LE BLOG DE JULIEN GRANGEIMMOBILIER 2030ESQUISSED’UNE DISRUPTIONJulien Grange a fait ses études d’écon-omie entre HEC Lausanne et la L.SternSchool of Business de la New YorkUniversity. Il vit aujourd’hui à Londreset travaille pour une entreprise activedans le développement et le finance-ment de projets immobiliers en Europe.23 juillet 2030, 7h30 du matin, le monde et son milliard Scène de vie chez WeWork San Franciscode nouveaux habitants se réveillent de bonne heure etles jumelles Federer fêtent aujourd’hui leur 21e anni- coworking entre les repas ; les résidences de co- livingversaire – nous a annoncé le grisonnant Darius dans de The Collective permettent aux habitants d’un bâti-le 19h30 d’hier soir. Autres nouvelles importantes, ment de partager un salon, une cuisine, un espace deles premières voitures sans conducteur ont emprunté détente, une salle de sport, une terrasse ou un potagervendredi dernier la flambant neuve traversée du lac et tout en bénéficiant d’une véritable appartenance à unela ligne Léman Express célèbre ses 10 ans de mise en communauté ; les pop-up stores proposés par Hopshopservice. En cette année 2030, la viande est imprimée – en plus d’être devenus sérieusement à la mode –en laboratoire, les enfants apprennent à coder au jardin permettent au propriétaire d’une arcade de rentabiliserd’enfants, les carences alimentaires du corps humain ses périodes de vacances. En bref, le citoyen urbainsont surveillées par une puce implantée sous la peau, moderne de demain recherchera une manière de vivredes drones arrosent les cultures, sauvent les blessés en davantage sociale et responsable qui lui permettra d’ex-montagne et effectuent des livraisons. Pensez-vous que ploiter ses ressources au maximum et de consommernotre rapport à l’immobilier n’a pas changé ? Dans ce plus juste. Dans un contexte d’ultra-urbanisation desclimat de perpétuelle innovation, il serait légitime d’en populations, l’immobilier va très probablement s’adap-douter. Si notre plus grande motivation vient probable- ter à cette nouvelle demande.ment du fait de ne pas connaître le déroulement exactdu futur, essayons-nous ici tout de même à peindre Les progrès techniques et technologiquesl’hypothétique tableau de l’immobilier 2.0. font rétrécir le monde Le méga projet Hyperloop d’Elon Musk veut relier SanPlus de partage, moins de gaspillage Francisco à Los Angeles en 35 minutes en propulsantNous sommes entrés, il y a quelques années, dans l’ère des trains-capsules à une vitesse de pointe de 1200de l’économie du partage qui impose une tendance km/h avec des moteurs à induction linéaire et desmajeure dans nos manières de fonctionner : l’optimisa- compresseurs d’air. Si ce train futuriste était mis en placetion des ressources. Le World Economic Forum estime en terres helvétiques, il relierait Genève à Zürich en àqu’entre 40 et 50% de la surface d’espaces de bureaux peu près 15 minutes. Si l’on suit ensuite la théorie deaux Etats-Unis est inutilisée pendant les heures de Richard Branson et de sa navette spatiale commercialetravail. Ces espaces pourraient-ils servir de salles de Virgin Galactic, le transport aérien suborbital (à plus declasse ? La cuisine d’un appartement pourrait- elle êtreutile à un voisin ? Une voiture pourrait- elle répondreaux besoins de plusieurs ménages ? Derrière toutesces interrogations se retrouve la même idée, celle dene pas laisser de ressources inexploitées. Airbnb etBreather n’ont pas raté le coche en proposant à leursutilisateurs de louer une chambre, un lit ou un bureauqu’ils n’utiliseraient pas, mais les applications de ceconcept sont sans fin : les espaces de co-working deWeWork permettent à des entrepreneurs, artistes, free-lances et start-ups de partager des espaces en communtout en profitant d’une infrastructure de bureaux dequalité ; Spacious rentabilise les restaurants pendantles heures creuses en les transformant en espaces de
Premiers essais de la technologie développée par Hyperloop One dans le désert du Nevada en mai dernier.100km d’altitude) permettra de relier la Suisse à l’Aus- est totale. Grâce à ces outils, les potentiels acheteurstralie en moins d’une heure. S’ajoute à ces ambitieux se font une meilleure idée de ce qu’ils achètent, ce quimoyens de transport une vitesse de progrès technolo- pourrait drastiquement augmenter la part des biensgique encore jamais observée qui offre la possibilité vendus avant le début des travaux.aux individus de communiquer plus facilement et de, Des agences de location japonaises ont mis en placepar exemple, travailler à distance pour une entreprise des visites d’appartements non-accompagnées àsituée à l’autre bout de la planète. l’aide de smart-serrures, de smart-clés et de caméras. L’intéressé n’a qu’à réserver son heure de visite viaCes mégas tendances auront immanquablement l’application mobile de l’agence, se rendre sur placeplusieurs conséquences potentielles sur l’immobilier. et ouvrir la porte à l’aide de son téléphone qui génèreTout d’abord, le concept de périphérie pourrait être automatiquement une clé virtuelle cryptée. Des camé-redéfini. D’ici à 2030, travailler à Genève et habiter ras de surveillance veillent à ce que tout se passe dansà Zoug sera probablement chose commune. Nous les règles.verrons sans doute le développement de zones plus L’ère du big data et de l’intelligence artificielleéloignées des grandes villes, qui tout à coup devien- Le 15 mars dernier, AlphaGo – le programme infor-dront accessibles aux travailleurs urbains. Ensuite, les matique développé par Google capable de jouer auréseaux immobiliers auront tendance à sortir de leur jeu de société Go – a battu pour la première foiséchelle locale que l’on connaît aujourd’hui. Un clientgenevois démarchant une régie genevoise pour trou- Essai du dispositif Oculus Rift à Utrecht, Pays-Bas.ver un appartement à Madrid n’étonnera personne.La technologie réduit les distances et rapproche lesindividus. Le service immobilier – pour être adaptéà la demande – devra prendre en compte le carac-tère international et global d’une population devenuegéographiquement flexible.La technologie au service de l’utilisateurSuite à ce raz de marée d’applications facilitant la viedes utilisateurs, l’immobilier en tant que service vacertainement connaître quelques chamboulements.Demain, n’importe quel service se devra d’être intuitif,ergonomique et surtout pensé pour le confort et l’indé-pendance maximale de son utilisateur. La technologiea très clairement son rôle à jouer dans ce processusdéjà entamé.Dans le domaine de la vente sur plan, plusieursagences digitales et bureaux d’architectes proposentdéjà des visites virtuelles immergées de projets immo-biliers à l’aide du fameux casque Oculus Rift de chezFacebook et d’une manette de jeux vidéos. L’immersion
LE BLOG DE JULIEN GRANGEle champion de ce jeu de stratégie chinois, considéré de s’adresser à un spécialiste. Les plateformes de listingcomme impraticable pour les robots à cause de la y jouent un rôle de plus en plus important et certainspart importante d’intuition requise. « C’est tellement acteurs ont poussé le concept un peu plus loin.beau ! », s’exclama Lee Sedol après avoir été battu dansla cinquième manche. La victoire du robo-player a La plateforme de listing américaine Zillow – quimarqué un tournant dans la perception que l’on se a atteint le chiffre impressionnant de 171 millionsfait des intelligences artificielles. Ses applications dans de visiteurs en un mois en mai dernier – proposed’autres domaines, nécessitant une prise de décision, une multitude d’informations à ses utilisateurs :sont innombrables, à commencer par l’immobilier. évolution de la valeur théorique du bien dans lesLes robo-advisors qui chamboulent les milieux finan- 10 dernières années, loyers médians dans le quar-ciers à travers des plateformes comme Wealthfront tier, « température » du marché, l’historique du loyer, laou Betterment, feront sans aucun doute leur appa- popularité de l’annonce sur la plateforme, le taux derition dans le monde de la pierre pour conseiller les criminalité dans la région, les écoles aux alentours,propriétaires et gestionnaires immobiliers. La capa- etc. La capitalisation boursière de l’entreprise atteintcité de ces robots dotés d’intelligence artificielle à aujourd’hui presque $2 milliards. Avec 110 millionsanalyser des quantités de données historiques et à de logements analysés chaque année, Zillow est deve-anticiper de mieux en mieux les réactions humaines nue une véritable source d’information reconnue pourleur fera en tout cas prendre une place prépondérante suivre l’évolution du marché immobilier américain.dans la prise de décision. Le groupe de consultingA.T. Kearney estime que l’industrie du robo-advising Financements alternatifspèsera $2.2 trillions d’ici à 2020. Le World Trade Center numéro 3 à New York a étéSans même aller aussi loin, les applications de financé en partie par une campagne de crowdfundingl’utilisation intelligente de données de masse sont immobilier sur la plateforme américaine Fundrise. Siaujourd’hui déjà en place. les vertus du crowdfunding – qui a commencé à se populariser il y a quelques années sous forme de donsLa jeune pousse SmartZip guide les agents immo- aux artistes – ne sont plus à prouver, son penchantbiliers dans la nouvelle vague du smart marketing, immobilier a lui aussi un impact grandissant sur sonprincipe basé sur le big data. Leur base de données milieu. Le concept est décrit comme le segment de laagrège une quantité gargantuesque d’informations pour finance alternative avec la plus forte croissance.tirer des conclusions sur la probabilité qu’une maisonsoit vendue. « Le propriétaire du numéro 95 de la rue Aperçu de l’interface intuitive de PropertyPartner.de la Servette a 80% de chance d’être enclin à vendre »,nous affirmerait l’application californienne si elle étaitdisponible en Suisse. Pour établir un tel constat, l’algo-rithme prend en compte de multiples paramètres dontnotamment le temps passé dans la maison (selon lesfactures d’électricité), la variation du nombre d’occu-pants et l’état du crédit hypothécaire. Une fois les zonesà potentiel déterminées, la plateforme y envoie automa-tiquement du matériel marketing.Checkr – qui collabore aujourd’hui avec Uberet 3’000 autres entreprises – a entièrement auto-matisé la lourde tâche du background check. Sesalgorithmes passent automatiquement au peignefin l’identité, l’adresse, les casiers pénaux et civils,l’authenticité des diplômes, le parcours profession-nel, les dettes personnelles ainsi qu’une quantitéd’autres informations vitales pour s’assurer de l’au-thenticité et de la bonne conduite d’un potentiel ouactuel employé. Il est facile d’imaginer l’impact qu’untel concept pourrait avoir dans la sélection des futurslocataires.Reprise de contrôle du consommateuret transparenceLa démocratisation d’Internet, l’accès immédiat àl’information et le partage du savoir sont respon-sables d’une tendance majeure de l’industriedes services : le consommateur est plus informéet souhaite faire partie intégrante du processusdécisionnel. Ce constat est particulièrement véridiquedans le secteur immobilier, où l’individu désire souventse familiariser, s’imbiber et s’approprier son projet avant
PropertyPartner – leader du marché britannique la future utilisation d’un bâtiment par ses utilisateurs,– permet à n’importe quel investisseur d’inves- appartements pensés pour l’assistance automatiséetir en fonds propres dans l’immobilier britannique aux personnes âgées, énergies renouvelables, smart-sans limite de montant inférieure. Les loyers sont homes et maisons connectées, la conception et ladirectement versés sur le compte « utilisateur » de construction du bâti se fabriquent un nouveau visage.l’investisseur, qui peut décider de les réinvestir dans Au total, c’est plus de $1.5 milliards qui ont été inves-d’autres projets ou de simplement les verser sur son tis dans des start-ups technologiques immobilières encompte en banque. À la revente du bien immobilier, 2015 dans le monde. Dans un marché de plus en plusil récupère sa part de l’investissement et de la poten- concurrencé par le nombre croissant de nouveauxtielle plus-value effectuée. acteurs arrivant chaque année, mais également par l’autonomie grandissante des individus dans leursChaque immeuble dans lequel la plateforme inves- affaires, la créativité et l’innovation se placent au centretit est détenu par une structure unique (SPV) et est des préoccupations des professionnels de l’immobi-revendu automatiquement après 5 ans. Si l’investisseur lier. Cette multitude de start-ups émergentes ne faitsouhaite sortir plus tôt, il peut à tout moment mettre que répondre à un besoin accru d’idées fraîches dontses parts en vente – au prix de son choix – sur le la technologie est assurément une des clés majeures.marché secondaire de la plateforme. PropertyPartner Toutefois, il est vrai qu’il conviendrait d’être dans undémocratise et rend complètement transparent un premier temps sur ses gardes quant à une généralisa-marché qui traditionnellement n’était accessible qu’à tion trop rapide de ces jeunes pousses.quelques-uns. La plateforme a récemment battu unrecord de rapidité en levant £843’100, de 318 inves- En effet, étant pour la plupart nées après les annéestisseurs, en 10 minutes et 43 secondes. 2010, elles ne bénéficient pas encore de l’expérience des grandes entreprises et doivent toujours être considéréesOn ne construira plus comme avant comme early stage. La frilosité des anciennes généra-Bâtiments imprimés en 3D, constructions modulaires tions face à ces renversements de business modèles(construites en usine, puis livrées par blocs), nouvelles pourrait également être une source d’instabilités pourtechniques de Building Information Modeling (repré- ces ambitieux oisillons. Cela étant, les nouvelles tech-sentations virtuelles de futures constructions), beacons nologies vont retourner nos convictions, chambouleret collectes de données dans les villes pour anticiper notre vision du futur et repenser nos manières de vivre, que l’on s’en méfie ou non. La 4e révolution industrielle approche à grands pas et le monde de la pierre se doit de se réinventer s’il veut maintenir le niveau d’emploi qu’il connaît aujourd’hui. Le tout, d’ici à ce que les jumelles Federer soufflent leur 21e bougie, sera d’être à l’écoute de ces nouvelles tendances et de réussir à moderniser le système tout en maintenant cette relation de confiance qui fait la force des grands groupes depuis des décennies. Affaire à suivre. Plus d’articles de Julien Grange sur blogs.letemps.ch/julien-grange
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