Jean-Philippe Rapp - bat

LA GRANDE INTERVIEW DE JEAN-PHILIPPE RAPPDE L’ÉPHÉMÈREAU DURABLEDaniel Rossellat, Syndic de la Ville de Nyon depuis 2008, entame depuis densité supportable, afin de fairejuillet 2016 sa troisième législature. Créateur, fondateur du Paléo Festival en sorte que ces quartiers aientdepuis 1986, il en est aujourd’hui le Président. une vie. Déterminer aussi quelles seront les autres activités adminis-Jean-Philippe Rapp La création quable. Ils méritent notre soutien et tratives, et la présence ou non deet la direction du Paléo prépare-t- accessoirement aussi le soutien des commerces de proximité.elle à la gestion d’une ville ? acteurs économiques. Parce que laDaniel Rossellat Le Paléo est une responsabilité sociale d’une entre- En fait, cela est-il compatibleville éphémère de 50’000 habitants prise ou d’un promoteur, c’est aussi avec la conception du quartierpendant six jours. C’est un laboratoire de faire en sorte que les gens ne souhaitée par les propriétaires ouextraordinaire. On a, à peu près, les soient pas juste posés là. les promoteurs ?mêmes services que dans une cité, Évidemment, le promoteur aime-sauf la morgue, l’église, la prison Mais quand on entre dans une rait optimiser son investissement,ou un arsenal. Et elle se construit municipalité on n’est pas en face avoir le plus de surfaces rentableschaque année. On y a même une d’une page blanche ? possible. L’autorité comprend l’ob-commission d’urbanisme. Nous Ce n’est pas un territoire vierge. Nous jectif de la rentabilité mais elleavons beaucoup travaillé pour qu’il y sommes en face d’une construction essaye aussi de déterminer les autresait une âme, une dimension sociale, de tous nos prédécesseurs. Des services nécessaires au quartier.de la convivialité. Et un esprit. Même projets ont déjà été votés et ils sontsi le festival ne dure que quelques suivis par des services. On doit alors Et installer en amont le néces-jours, on y apprend l’importance simplement les accompagner pour saire au bon fonctionnement ?de l’espace public. L’offre de diver- qu’ils se déroulent le mieux possible. Il faut bien sûr raccorder l’électri-tissements et la culture y jouent un Et puis, il y a toujours des quantités cité, l’eau, les égoûts et d’autresrôle extrêmement important. Si l’on de questions qui se posent. Même si équipements. Un nouveau quartierveut du lien social, il est nécessaire un plan de quartier a déjà été voté, augmente le nombre de voitures.d’avoir un certain nombre d’acteurs même si les permis de construire Nyon possède une des plus fortesqui soient investis et soutenus. ont été délivrés, nos services doivent densités de motorisation de Suisse : s’impliquer. Idéalement, le travail 570 véhicules par 1’000 habitants.Vrai pour le Paléo, vrai pour Nyon ? de la Municipalité devrait intervenir Il nous fait réfléchir au niveau desAbsolument. J’aime ce job parce que plus tôt, mais suivre tout ce qui a transports. Les nouveaux arrivantsdans un cas comme dans l’autre, été lancé avant nous fait partie de souhaiteront mettre leurs enfants àc’est vraiment dessiner et partici- mon travail. J’ai du respect pour ce l’école, à la crèche. Leurs enfantsper au développement d’une ville qui a été entrepris et j’ai essayé de voudront pratiquer un sport, alleroù il fait bon vivre et où les gens comprendre pourquoi il en a été peut-être au conservatoire. Ilssont fiers d’habiter. Pour moi, elles ainsi. auront envie de loisirs, de sécurité.doivent avoir une identité forte. Il faut donc penser à de nombreuses Même si la mise en œuvre de prestations supplémentaires pourCe qui est intéressant, c’est que certains projets dure longtemps et ces nouveaux habitants ou cesvotre éphémère laisse des traces que parfois on se dit qu’on n’au- nouveaux emplois.dans le durable ? rait pas procédé de cette manière ?C’est le but, c’est ce que j’essaye de À l’exemple du projet « La Voie Un investissement préalable pasfaire. Romaine » (ndlr. le nom initial du facile à gérer ? projet « La Petite Prairie »), par suite L’équation est en effet un peuEt la mixité d’un festival doit se d’oppositions, il s’est passé une très délicate. On ne peut pas leur direretrouver dans la ville ? longue période entre le moment « venez maintenant, mais l’écoleOui. Le lien social, c’est le fait de où le plan de quartier a été adopté existera dans trois ans ».favoriser des rencontres. Pour tous et le moment où les travaux ont Le développement et l’augmen-les âges, toutes les catégories de commencé. Cela explique, peut- tation de la population sont unegens. Nous avons, à Nyon, beau- être, qu’aujourd’hui on n’agirait pas chance. En revanche, ils entraînentcoup d’associations sportives, tout à fait de la même manière. des charges élevées, et même siculturelles et sociales et nombre les promoteurs payent par le biaisde gens dévoués. Combien d’édu- Dans ce cas précis, dans cette zone, de taxes d’équipement certainscateurs devrions-nous engager si quels besoins ? montants, ils restent faibles parnous n’avions pas les entraîneurs de La Municipalité a déterminé la rapport à tout ce qui doit êtrefootball, de basket, de handball, de nécessité d’avoir des écoles, des consenti comme investissements.tennis, etc. Ils font un travail remar- installations sportives, un parc, une En plus, la Commune ne perçoit qu’un tiers des impôts payés par

les futurs contribuables. Le Canton Prairie » nous avons la chance de (district, Vaud, Genève, voire plus encaisse les deux tiers. Et avec travailler en bonne intelligence, avec loin). Nous avons de la chance, ce tiers, on essaye d’équilibrer le des rapports courtois et efficaces. Je Nyon est une petite ville avec un budget par rapport aux charges connais les règles de la construction, centre historique et une longue que nous avons eues. C’est un vrai celles de la promotion immobilière. histoire, un château, un bord de investissement. Et l’on s’endette. lac, une plage, notamment. Nous Mais le rôle qui vous apporte le voulons éviter que ce centre ville D’où vient votre expérience ? plus de satisfactions ? devienne un musée et que des quar- À titre personnel, j’ai eu la chance Débloquer des projets, prendre tiers se transforment en cité dortoir. d’acheter un immeuble où l’on a mon bâton de pèlerin, mettre des installé les bureaux du Paléo. Puis gens autour d’une table essayer Parlons de la pression genevoise d’en construire un autre. J’ai dû de trouver des solutions, avancer. et son influence sur les loyers faire des dizaines de plans finan- Quand un projet est fini, inauguré, d’appartements proposés… ciers parce que je n’avais pas de habité, cela fait plaisir. Aujourd’hui, cela se calme un peu sous et que je devais convaincre un Je n’ai pas de rêves de pharaon ; le mais il y a eu une période où la banquier. J’ai été locataire, j’ai eu vote du projet, le concours d’architec- pénurie engendrait une frénésie des locataires. Pour faire ce projet ture, le crédit d’étude, la réalisation, avec des prix et des bénéfices j’ai dû apprendre et comprendre un la première pierre et bientôt l’inaugu- indécents. Il y eut même des opéra- peu tous les mécanismes : le coût ration, toutes ces étapes m’apportent tions immobilières permettant à de la construction, les chantiers, beaucoup de satisfactions. quelques promoteurs de gagner des montants très confortables et© Pierre Descombes « Nous avons de la chance, amenant des familles à payer des Nyon est une petite ville loyers trop chers leur vie durant. avec un centre historique Ce sont les lois du marché. Et pour et une longue histoire, un moi, l’autorité doit intervenir quand château, un bord de lac, ces lois ne fonctionnent plus. une plage notamment. » En particulier dans le logement ? le prix du mètre cube suivant la Et pour les projets futurs, ceux que Il y avait selon nous une forme de qualité désirée, le prix du mètre vous pourrez maîtriser plus tôt ? distorsion de concurrence. Si nous carré suivant la qualité qu’on veut. Nous aimerions avoir des politiques avions laissé les seules lois du Je suis capable, quand on déve- sectorielles exemplaires. Un envi- marché fonctionner, en quelques loppe deux-trois projets, de faire ronnement socialement correct, une années nous n’aurions eu que de la les calculs, de les faire vérifier par mixité sociale et générationnelle. PPE à loyers très élevés. D’où l’im- des experts, de savoir si une affaire Avoir à la fois des bâtiments bien portance de la Ville de dire non. est correcte. construits et des énergies renouve- Mais cela se détend un peu, nous lables, avoir des systèmes qui ne évoluons vers un rapport plus juste Et votre rapport avec les promoteurs ? soient pas de trop gros consomma- entre l’objet et le loyer. Je dirais qu’il faut de tout pour faire teurs d’énergie. Et pouvoir favoriser un monde. Le mieux est de mener l’intégration de nouveaux habitants Votre ville, comment la voyez des projets avec des promoteurs pour qu’il y ait une vie de quartier. vous dans 15 ans ? qui ont des moyens mais qui sont Nous voulons offrir un cadre de vie Actuellement, nous vivons une responsables. Si leur unique objectif agréable, que les gens s’installent à progression très forte. Nous souhai- est le gain maximum, ce n’est pas Nyon, qu’ils y trouvent du travail. tons maîtriser ce développement. Et l’idéal. Le bénéfice fait partie de Nous avons une balance positive pour moi, personnellement, qu’on l’opération, il est normal qu’il y ait des emplois. La population active parvienne plus vite à un esprit de une marge par rapport aux risques est de 11’000 habitants et nous quartier. J’aimerais que nous ayons pris. Mais nous espérons avoir des avons 16’000 postes de travail. Les une diminution du « pendularisme », interlocuteurs qui ont un minimum Nyonnais n’en occupent que 3’000, d’avantage d’emplois qui soient en de responsabilité sociale, quelques donc 8’000 personnes vont travailler adéquation avec les logements, investisseurs qui financent des ailleurs, essentiellement à Genève autrement dit des salaires qui quartiers, à la fois pour de la loca- où les salaires sont plus élevés. C’est correspondent aux loyers. tion et pour de la propriété mais qui évidemment pas tout à fait ce que puissent aussi imaginer des projets nous souhaitons. Notre vœu c’est La qualité de vie ? coopératifs, des modes de fonction- moins de transit, donc moins d’ef- La qualité de vie, c’est surtout les gens nement avec des marges plus faibles. fort d’intégration. Tous les autres le qui vont l’assurer. La Municipalité Dans le cadre de ce projet « La Petite sont par des gens venus d’ailleurs peut mettre en place des infrastruc- tures, apporter des subventions mais le tissu associatif est d’une extrême importance et il est le fait de gens, bénévoles le plus souvent. Nous pouvons les soutenir mais nous ne pouvons pas le faire à leur place. Le bonheur ne se décrète pas.