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Biotechnologie et Éthique - Mini-mémoire

Published by chloeduprat2, 2022-12-16 23:34:15

Description: Biotechnologie et Éthique - Mini-mémoire

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Bachelor of Arts and Sciences Semestre d'automne 2022-2023 Institut d'Études Politiques de Paris Mini-mémoire d'éthique animale Les biotechnologies sont-elles éthiques ? Yann Milo Contreras et Chloé Duprat Enseignants : Alice Di Concetto et Michel Tarpin

Table des matières INTRODUCTION …………………………………………………………………………………………………………………...................... 2 1. INTRODUCTION AUX BIOTECHNOLOGIES ……………………………………………………………………….................... 4 A) Chronologie et typologie …………………………...….…………………………………………………………................... 4 B) Cadre législatif ………………………………………………………………………………………………………….................... 6 2. LES DÉTRACTEURS DE CES SCIENCES NOUVELLES …………………………………………………………….................. 7 A) Conséquences et dérives potentielles ............................................................................................ 7 B) L'anthropocentrisme au cœur des biotechnologies : anti-spécisme .............................................. 9 3. LES DÉFENSEURS DES BIOTECHNOLOGIES : UTILITÉS ET ESPOIRS........................................................ 10 A) Le point de vue utilitariste ............................................................................................................ 10 B) Les biotechnologies au service du bien-être animal ..................................................................... 11 CONCLUSION …………………………………………………………………………………………………………………........................ 12 BIBLIOGRAPHIE ………………………………………………………………………………………………………………….................... 13 1

Introduction : Avons-nous besoin des biotechnologies pour sauver le monde ? La réponse serait affirmative, selon l’ONG américano-émiratie « AIM for Climate », qui cherche à établir une coopération entre des acteurs publics et privés pour accélérer la recherche en biotechnologies afin de construire un monde plus durable1. Pendant la journée thématique « Adaptation et Agriculture » de la COP 27, évènement au sein duquel l’ONG AIM a participé, des sujets tels que le développement d’outils biotechnologiques pour séquestrer le carbone dans le sol, la diffusion à grande échelle de l’agriculture de précision, et la modification génétique des plantes et du bétail ont été proposés pour répondre à l’urgence climatique. La généralisation de l’usage des biotechnologies souhaitée par « AIM for climate » intéresse évidemment un nombre croissant d’acteurs qui ont décidé de devenir les partenaires de l’association américano- émiratie. Cet intérêt se comprend dans le cadre de la recherche pour la sécurité alimentaire des partenaires étatiques de l’ONG, tels que l’Union Européenne et les gouvernements du Brésil et de l’Argentine. Elle peut aussi se comprendre sous l’angle de la maximisation du profit pour des partenaires privés, comme l’illustrent les entreprises Syngenta et Bayer par exemple2. Ces dernières entretiennent en effet des liens commerciaux avec l’ONG. Les biotechnologies représentent une problématique complexe et multidimensionnelle devant être traitée avec caution, non seulement depuis un point de vue scientifique et technique, mais aussi depuis les angles de la politique, de l’économie et de la loi. Commençons par un exercice de définition de ce terme polysémique. La biotechnologie mobilise simultanément deux définitions en vue de leur complémentarité. La première, connue par l’OECD comme une définition « unitaire » des biotechnologies, les définit comme « L’application de la science et de la technologie à des organismes vivants, de même qu’à ses composantes, produits et modélisations, pour modifier des matériaux vivants ou non-vivants aux fins de la production de connaissances, de biens et de services3 ». L’autre définition, ou la définition « par liste » avec laquelle l’OECD conçoit les biotechnologies est en fait une liste indicative et non-exhaustive de neuf techniques qui sont utilisées par la biotechnologie. Elles sont mises en relation avec les champs scientifiques et les procédures concrètes que chacune de ces techniques permet de développer. Ainsi, l’OECD décrit la culture des cellules, le génie tissulaire et la manipulation embryonnaire comme des disciplines découlant de la technique biotechnologique de l’ingénierie des cellules et des tissus. La nécessité de définir les biotechnologies non seulement comme une discipline « unitaire », mais aussi comme une liste diverse et multidisciplinaire de techniques prouve à quel point ces technologies sont diverses, complexifiant de fait leur analyse comme un objet homogène avec des frontières clairement définies. Face à l’accélération des recherches en biotechnologies, un nombre croissant de scientifiques, juristes et politiciens, ainsi qu’une partie importante de la société civile, ont commencé à analyser les implications éthiques et morales que ces technologies entrainent. Ainsi, plusieurs notions ont été inventées pour 1 AIM for Climate. (2022). https://www.aimforclimate.org/ [consulté le 15 décembre 2022]. 2 KRINKE, C. (2022). Le changement climatique : une opportunité pour les OGM ? – Inf’OGM https://www.infogm.org/7602-changement-climatique-opportunite-ogm [consulté le 15 décembre 2022]. 3 Définition statistique de la biotechnologie- OCDE. (2005). Consulté 15 décembre 2022, à l’adresse https://www.oecd.org/fr/sti/tech-emergentes/definitionstatistiquedelabiotechnologiemiseajouren2005.htm 2

analyser les risques et dangers conséquents au développement des biotechnologies. Par exemple, le concept de « biorisques » est souvent utilisé, surtout à l’heure de définir le cadre légal régulant les biotechnologies. Les biorisques relèvent purement de la technique4 et se réfèrent à l’identification des dangers entrainés par l’usage des biotechnologies et les cadres légaux et techniques nécessaires pour en minimiser les risques. Un autre concept majeur dans le cadre de cette réflexion est celui de la bioéthique. Elle est définie par le ministère de la santé comme un « ensemble de recherches, de discours et de pratiques, généralement pluridisciplinaires, ayant pour objet de clarifier ou de résoudre des questions à portée éthique suscitées par l’avancement et l’application des technosciences biomédicales5 » La réflexion bioéthique répond donc à la volonté de comprendre et de maîtriser les évolutions de la médecine et des biotechnologies. Elle s’intéresse aux pratiques biomédicales où l’humain est l’objet d’interventions, mais aussi aux biotechnologies qui visent les manipulations sur les végétaux et les animaux6, objet principal de notre étude. La notion de bioéthique va au-delà de la simple identification et régulation des risques associés aux biotechnologies. En effet, elle relève de la morale, et son émergence prouve les inquiétudes que de telles technologies provoquent. Si le sujet des biotechnologies a l’importance qu’il a aujourd’hui, c’est en grande partie grâce aux avancées majeures que ces techniques ont facilité dans les domaines de la médecine, de l’agriculture et de l’élevage. En 2019, 10% des surfaces totales cultivées dans le monde étaient des OGM, tandis qu’en 2021, 70% des importations destinées à l’alimentation animale dans l’UE étaient issues de plantes génétiquement modifiées. En ce qui concerne les espèces animales, en 2017, 2.59 millions d’AGM (animaux génétiquement modifiés) ont été utilisés à des fins de d’expérimentation dans l’UE et la recherche dans le développement de nouvelles races d’animaux transgéniques s’accélère7. Les implications économiques de l’émergence des biotechnologies sont elles aussi considérables, leur application se traduisant par des « gains chez les consommateurs en quantité et en qualité8 » dans les biens produits grâce aux biotechnologies. Cependant, l’émergence des biotechnologies et leur application dans les processus productifs ont levé des débats sur les conséquences et les risques associés à leur utilisation. Ainsi, des craintes ont surgi vis-à-vis des liens entre les OGM et les maladies humaines, de la destruction de la diversité génétique naturelle dans l’environnement au travers de l’introduction d’organismes fabriqués dans des écosystèmes et aussi du traitement et de la moralité de la modification d’organismes animaux par l’homme. Ainsi, nous nous demanderons : dans quelle mesure l’éthique s’inscrit-elle dans les débats suscités par les biotechnologies ? 4 Houdebine, L. M. (1993). L’entrée de l’éthique dans la biotechnologie animale? Natures Sciences Sociétés, 1(2), 153-155. https://doi.org/10.1051/nss/19930102153 5 Ministère de la Santé et de la Prévention. (2022, octobre 11). 5 questions sur la bioéthique. https://solidarites- sante.gouv.fr/grands-dossiers/bioethique/article/5-questions-sur-la-bioethique 6 Feuillet-Le Mintier, B. (2002). Normes nationales et internationales en bioéthique. Revue française des affaires sociales, 15-30. https://doi.org/10.3917/rfas.023.0015 7 Ministères Écologie Énergie Territoires. (2022, septembre 22). Les organismes génétiquement modifiés (OGM) . https://www.ecologie.gouv.fr/organismes-genetiquement-modifies-ogm-0 [consulté le 15 décembre 2022]. 8 OCDE. (1999). La biotechnologie moderne et l’OCDE. Synthèses de l’OCDE. 3

1. INTRODUCTION AUX BIOTECHNOLOGIES A) Chronologie et typologie 1. Repères historiques Lorsque l’on parle de biotechnologies, on pense immédiatement à ses formes les plus modernes : fécondation in-vitro, clonage d’embryons, transgénèse… Néanmoins, si l’on étudie les biotechnologies par le prisme de leur définition première, elles remontent à une époque bien plus ancienne. En effet, dès les phases les plus précoces de l’humanité, les sociétés utilisaient de la matière vivante pour produire des biens et des services : pensons à la fermentation qui permet d’obtenir du pain, du fromage, des boissons alcoolisées… C’est sous le terme de “proto-biotechnologies” que l’on englobe cette utilisation purement empirique de ce que nous savons être des micro-organismes aujourd’hui.9 Pasteur marque au cours du XIXème siècle un tournant dans l’histoire de la science et de la médecine (animale et humaine) lorsqu’il identifie les microorganismes responsables des fermentations alcoolique, lactique ou encore acétique, mais aussi et surtout avec ses découvertes du vaccin contre la maladie du charbon et de la rage. C’est ainsi qu’émerge la microbiologie et que se développe une nouvelle phase dans l’utilisation de matériaux vivants pour la recherche scientifique. Au XXème siècle, les grandes découvertes scientifiques concernant la biochimie des protéines, l’enzymologie, la biologie moléculaire, ou encore et surtout le génie génétique, associées à des avancées technologiques toujours plus rapides, ont abouti aux biotechnologies modernes telles que nous les connaissons aujourd’hui. Vingt ans après l’invention du terme “biotechnologie” par le scientifique allemand Károly Ereky, le professeur à Harvard Gregory Pincus parvient à faire la fécondation de l’ovocyte du lapin, créant des débats houleux et de fortes oppositions. Pour autant, en 1978, les avancées spectaculaires de la science permirent la naissance du premier bébé éprouvette : Louise Brown. C’est dans cette même période que sont créés les premiers OGM, par Paul Berg et son équipe à Stanford. Ces derniers organisent les 23 et 27 février 1975 la conférence d’Asilomar10 qui se penche sur les dangers de la transgénèse. Cette rencontre se conclut en 1975 par l'adoption d'un texte appelant à un encadrement strict des expériences de génie génétique, ce qui sera réalisé aux États-Unis par les National Institutes of Health. De nos jours, les recherches en laboratoire mobilisent des lignées transgéniques de souris, tandis que des entreprises proposent des saumons génétiquement modifiés de sorte à croître plus rapidement. Ainsi, ces technologies sont désormais omniprésentes : allant des tomates génétiquement modifiées, du clonage animal et du séquençage du génome humain ; jusqu’à notre vie quotidienne, où des protéases d'origine microbienne sont ajoutées dans le détergent de la lessive par exemple.11 9 Douzou, P., Durand, G., & Siclet, G. (2001). L’histoire des biotechnologies. Que sais-je?, 5(2127), 5‑18. https://www.cairn.info/les-biotechnologies--9782130511236-page-5.htm 10 Universalis, E. (s. d.). Conférence d’ asilomar. Encyclopædia Universalis. Consulté 17 décembre 2022, à l’adresse https://www.universalis.fr/encyclopedie/conference-d-asilomar/ 11 Le développement des biotechnologies : quelques repères historiques. CRDP d'Alsace. https://www.genopole.eu/IMG/pdf/reperes-dev-biotechnologie.pdf 4

2. Comment fonctionnent les biotechnologies ? Notons que résumer en quelques lignes l’ensemble des techniques englobées sous le terme de biotechnologie est un projet excessivement ambitieux, c’est pourquoi nous nous concentrerons sur les méthodes principales permettant d’obtenir des animaux transgéniques. Précisons que la transgénèse est l'opération de génie génétique la plus couramment mobilisée pour l'obtention d'« OGM ». Ainsi, le terme organisme transgénique est souvent utilisé comme synonyme d'organisme génétiquement modifié. La première méthode de génie génétique utilisée avec succès (est encore pratiquée à grande échelle aujourd’hui) est celle de la micro-injection : une micro-seringue permet d’incorporer dans le pronuclei de l’embryon d’un mammifère du matériel génétique extérieur. La souris transgénique obtenue transmettra à sa descendance le nouveau gène. Cette technique a pourtant ses limites (effets de dose et de position) et est relativement peu efficace puisque seuls 3% des souris manipulées deviennent des adultes transgéniques… C’est pourquoi une deuxième stratégie, plus complexe, a été mise au point : la greffe de cellules recombinantes, dites cellules ES (embryonnaires). Cette dernière sert à invalider un gène ou même à le remplacer, et s’élabore à un stade plus tardif du développement de l’embryon, permettant notamment de choisir l’emplacement du transgène que l’on intègre. Les cellules ES peuvent être cultivées dans des conditions où elles conservent leur totipotence (c’est à dire qu’elles ne se différencient pas) et peuvent recevoir in vitro un gène étranger, ce qui permet de les réintroduire ensuite dans un embryon en cours de développement. Il existe enfin la technique de mutagenèse conditionnelle : la recombinaison Cre-Lox est une technologie de recombinase site-spécifique, servant à effectuer des délétions, des insertions ou encore des translocations dans l'ADN des cellules. Elle est dite conditionnelle dans la mesure où le scientifique peut activer ou désactiver le transgène quand il le souhaite, en utilisant des répresseurs, pouvant se fixer en fonction de la présence d’une drogue, comme la tétracycline par exemple.12 Un outil de biologie moléculaire que nous évoquerons dans notre développement est Crispr/Cas9, qui, malgré ses limites et certaines imprécisions, gagne de plus en plus de popularité dans les cercles scientifiques. Il permet en effet de couper l'ADN au niveau de séquences spécifiques, lui valant le qualificatif de “ciseaux moléculaires”. Cette technologie fait beaucoup parler d’elle, à la fois parce qu’elle alimente l’espoir de soigner de nombreuses maladies génétiques mais aussi à la lumière de l’éthique : les dérives de son utilisation sont largement prises au sérieux par les scientifiques, et mobilisent une intervention de la loi. 12 Louis L. Houdebine. Les biotechnologies animales. Productions Animales, 1991, 4 (1), pp.81-88. https://hal.inrae.fr/hal-02700739/document 5

B) Cadre législatif Le cadre législatif européen qui régule les innovations biotechnologiques repose en partie sur le principe de précaution. Ce dernier est un pilier fondamental de la législation européenne en ce qui concerne les lois relatives à la protection de l’environnement et de la santé humaine. Celles statuant sur les biotechnologies sont donc inclues dans ce principe. Apparu dans les années 1970 en droit allemand, il est défini aujourd’hui par la commission européenne comme « une décision prise lorsque les informations scientifiques sont incomplètes, peu concluantes ou incertaines et lorsque des indices donnent à penser que les effets possibles sur l’environnement ou la santé humaine, animale ou végétale pourraient être dangereux et incompatibles avec le niveau de protection choisi »13. Ce principe est appliqué dans le cas des biotechnologies de façon contraignante. Puisque ces technologies s’accompagnent tant par des risques considérables pour l’environnement que par des incertitudes scientifiques, les législateurs européens préfèrent maintenir une position cauteleuse. La prudence de l’Union Européenne est visible dans une multitude de lois et directives qui régulent l’usage des biotechnologies. Par exemple, la directive 90/219/CEE régule l’utilisation des animaux transgéniques dans le cadre de la recherche de laboratoire. En effet, les modèles animaux sont essentiels pour comprendre non seulement les mécanismes pathologiques mais aussi l’action thérapeutique d’agents médicamenteux. La transgénèse permet l’élaboration de modèles plus pertinents pour la recherche biomédicale : utiliser des animaux transgéniques dans la recherche rend donc possible des progrès médicaux majeurs. La législation européenne et française en matière d’OGM a pour but de protéger l’homme, l’environnement et les animaux en vue des risques associés à la transgénèse, qui peuvent se manifester sous forme de virus transmis par les animaux modifiés ou les dangers que la multiplication d’un animal transgénique dans l’environnement peut provoquer. Ainsi, la directive 90/219/CEE, faite à l’origine pour réguler les micro-organismes génétiquement modifiés puis utilisée en France comme base pour réguler aussi les animaux génétiquement modifiés, prévoit une évaluation des risques liés aux animaux génétiquement modifiés, ainsi que leur classement et leur confinement. Les AGM sont donc classifiés en 4 niveaux, allant du niveau 1, associé à un risque limité jusqu’au 4, associé à un niveau de risque important. Cette distinction sert à établir des différences dans le confinement de chaque niveau, le 1 se limitant à isoler les animaux transgéniques des animaux non- expérimentaux à travers de barrières physiques pour empêcher leur multiplication dans l’environnement. Dans les niveaux 2 et 3, l’autoclavage des animaux est établi et des conditions supplémentaires sont imposées, telles que des renforcements des barrières physiques. Pour le niveau 4, un sas, des filtres d’air et une pression négative sont obligatoires, ainsi que l’autoclavage de tous les déchets produits par les animaux appartenant à ce type14. Le principe de précaution est aussi prégnant dans la position officielle du ministère de l’écologie français vis-à-vis des OGM. On peut lire sur leur site15 : « Il est donc nécessaire de poursuivre les évaluations sanitaires avant toute commercialisation, afin de prévenir tout risque pour la santé, et en vertu 13 Service de recherche du Parlement européen. (2015). Le principe de précaution : Définitions, applications et gouvernance. https://doi.org/10.2861/96978 14 DENAIS, D., & DEGRYSE, A. (2004). Les animaleries pour animaux transgéniques : législation et agrément en France. Revue de médecine vétérinaire, 155(1), 3-11. 15 Les organismes génétiquement modifiés (OGM) Ministères Écologie Énergie Territoires. Consulté 16 décembre 2022, à l’adresse https://www.ecologie.gouv.fr/organismes-genetiquement-modifies-ogm-0 6

du principe de précaution » et « Il est également nécessaire d’exercer une surveillance à long terme pour détecter rapidement tout effet indésirable éventuel 16». On trouve dans la législation européenne quelques préoccupations morales, notamment dans l’article 2 de la loi n° 2004-1338 du 8 décembre 2004 relative à la protection des inventions biotechnologiques. En effet, cette dernière établit la non-brevetabilité des procédés de modification de l’identité génétique des animaux susceptible de provoquer chez eux des souffrances sans utilité médicale pour l’homme ou l’animal. L’approche européenne vis-à-vis du cadre légal des animaux transgéniques peut être contrastée par celle des États-Unis ou encore de la Chine, deux puissances scientifiques qui investissent une quantité de ressources croissante dans l’amélioration des biotechnologies. En effet, aux États-Unis ces technologies sont perçues comme un enjeu majeur, étant un moteur de prospérité économique. Le système américain repose sur la responsabilité de l’industriel, la FDA (Food and Drug Administration) n’intervenant que ponctuellement dans des cas jugés absolument nécessaires. En Chine, l’autorisation des OGM « ne semble pas faire l’objet d’une réglementation spécifique »17. Il existe donc des différences fondamentales quant à la réglementation des biotechnologies entre l’UE, les États-Unis et la Chine, comme résultat de conceptions bioéthiques contrastantes. Une législation aussi rigide en Europe s’explique par les grands débats qui entourent les biotechnologies, et qui sont ponctués par de nombreuses réticences et inquiétudes. En effet, l’optimisme vis-à-vis du progrès que cette technique fait entrevoir n’est pas partagé par l’ensemble de la communauté scientifique. En outre, les activistes en droit animal dénoncent une forme prégnante d’anthropocentrisme au sein de la défense des biotechnologies. 2. LES DÉTRACTEURS DE CES SCIENCES NOUVELLES A) Conséquences et dérives potentielles De nombreux scientifiques dénoncent un manque de recul quant à l’utilisation des biotechnologies. Les risques que peuvent provoquer sur l’être vivant des techniques de modification génétique sont qualifiés de biorisques. Mais si l’on dépasse la problématique de la santé humaine, le danger concerne aussi les écosystèmes. En effet, chaque animal fait partie d’un réseau trophique complexe, au sein duquel les chaînes alimentaires sont toutes interconnectées, créant des relations de dépendance ou encore de prédation. La modification d’une seule espèce peut ainsi avoir un impact majeur sur tout l’écosystème. La technique de forçage génétique par exemple permet de propager une modification génétique en seulement quelques générations (donc bien plus rapidement que les lois classiques de Mendel sur l’hérédité). Actuellement, de nombreux laboratoires se sont penchés sur l’utilisation de cette méthode de sorte à diffuser la stérilité de certains moustiques vecteurs de maladies dangereuses. Ces moustiques GM permettraient en effet de lutter contre les maladies comme la dengue, Zika, le paludisme ou la fièvre jaune. L’argumentation en faveur de cette méthode se base notamment sur un prétendu faible impact environnemental en comparaison aux pesticides généralement utilisés jusqu’ici. Qu’en est il en réalité ? 16 Ministères Écologie Énergie Territoires. (2022). Les organismes génétiquement modifiés (OGM) . https://www.ecologie.gouv.fr/organismes-genetiquement-modifies-ogm-0 [consulté le 15 décembre 2022]. 17 \" Transgéniques : pour des choix responsables \" Rapport d'information présenté au nom de la Commission des Affaires économiques par M. Jean Bizet, Sénat n° 440, 1997-1998. https://www.senat.fr/rap/r97-440/r97- 44052.html. [consulté le 15 décembre 2022]. 7

Basons-nous sur le cas brésilien qui a autorisé en 2014 la dissémination commerciale du moustique Source : magazine Libre Service Actualités transgénique OX513A à Jacobina, une ville de l'État de Bahia, avec le lâcher de 450 000 moustiques sur 27 mois. Créé par l’entreprise anglaise Oxitec, l’objectif de son utilisation est de réduire la population de Aedes aegypti, une espèce de moustique capable de transmettre la maladie de la dengue, à l’état d’épidémie dans le pays. Néanmoins, de nombreuses inquiétudes secouent les cercles scientifiques, les intellectuels ainsi que le grand public. En premier lieu car environ 3% de ces moustiques ne sont pas stériles, et en présence de la tétracycline (un antibiotique très répandu que nous avions évoqué en première partie), le taux de survie monte à 15 % environ. Ces résultats limités sont la conséquence d’une entrée sur le marché trop rapide selon Frédéric Simard, directeur de l'unité \"maladies infectieuses et vecteurs : écologie, génétique, évolution et contrôle\" de l'Institut de recherche pour le développement (IRD). Il l’explique par l’intérêt commercial d’un tel projet. En effet, l’agence britannique s’inscrit dans un marché extrêmement prometteur : il faudrait plus de sept millions de moustiques GM stériles par semaine pour avoir une chance de supprimer une population sauvage de seulement 20 000 moustiques. Au sens du scientifique français, pour que ce type d’innovations soient plus éthiques, \"ces nouveaux moyens de lutte doivent être évalués de façon indépendante, par des laboratoires publics\"18. En outre, les scientifiques sont inquiets quant au fait que la niche écologique laissée par l’élimination de Aedes aegypti puisse être occupée par Aedes albopictus, le moustique tigre. Le forçage génétique fait ainsi peser une réelle menace sur la biodiversité : c’est un argument que l’on retrouve chez les détracteurs du saumon transgénique. Si ce dernier s’échappe de son lieu d’élevage, on encourt le risque qu’il colonise le milieu de vie des saumons sauvages, exerçant de fait une pression de survie sur ces derniers, qu’il pourrait à terme remplacer. Enfin, selon Jean-François Silvain, membre du Conseil scientifique du Patrimoine naturel et de la biodiversité (CSPNB), « parfois, les espèces développent des résistances. On ne sait pas non plus comment réagira l’écosystème à une disparition d’une espèce, qui peut-être nuisible pour l’homme mais essentielle pour la chaîne du vivant locale. » Dès lors, la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’Homme) a proposé dès la fin des années 1980 de grands principes éthiques qui ont servi de base aux réglementations nationales et internationales, de sorte à diminuer les risques liés aux biotechnologies. Toute recherche ou application commerciale dans les biotechnologies doit par conséquent inclure une étude des risques physiques, chimiques et toxicologiques, et être accompagnée de solutions pour prévenir et gérer ces risques le cas échéant. 18 Bécherel, S. (2019, octobre 2). Les moustiques transgéniques sont-ils vraiment l’arme infaillible contre la dengue ? France Inter. https://www.radiofrance.fr/franceinter/les-moustiques-transgeniques-sont-ils-vraiment-l- arme-infaillible-contre-la-dengue-6525601 8

Néanmoins, plutôt que de modifier la génétique des animaux et de légiférer dessus, l’homme ne devrait-il pas en priorité changer son état d'esprit ? Sortir du paradigme voulant que l’on bouleverse une espèce, voire un écosystème entier, pour un problème ponctuel, aussi grave puisse-t-il être ? B) Anthropocentrisme et spécisme au cœur des biotechnologies “Les bêtes n'ont pas seulement moins de raison que les hommes, elles n'en ont point du tout”. Cette citation est constitutive de la théorie de “l’animal-machine” de René Descartes. Décriée par Peter Singer dans son ouvrage Libération Animale, la pensée du philosophe français fait selon lui partie de ce qu’il qualifie de “spécisme” : un terme créé sur la même base que les notions de racisme ou encore de sexisme, et qualifiant une discrimination liée à l’appartenance à une espèce. Ce courant de pensée est flagrant en ce qui concerne les biotechnologies. De fait, là où la loi est encore rigide quant à la modification génétique chez les humains, la législation devient de plus en plus souple concernant les animaux, comme en témoigne l’utilisation massive de souris transgéniques en laboratoire, ou encore la prise d’importance des AGM dans de nombreux secteurs. En Chine par exemple, plusieurs équipes de chercheurs ont réussi, même s’il y a eu des taux d’échecs importants, à désactiver certaines séquences génétiques en utilisant les technologies Crispr/Cas919. L’une d’entre elles a même mis au point des chiens de race Beagle plus musclés qui courent plus vite, et espère les vendre aux chasseurs... voire à l’armée ; une autre équipe propose un cochon nain qui reste vraiment nain, et aimerait le vendre comme animal de compagnie… La question que beaucoup posent est donc celle de la nécessité de l’homme à “jouer avec la nature”.20 On retrouve aussi une forme de spécisme au sein du code de Nuremberg, qui, à l’heure de répondre à l’eugénisme scientifique nazi, avait établi des critères concernant les conditions que doivent satisfaire les expérimentations pratiquées sur l'être humain pour être considérées comme « acceptables » d'un point de vue moral ou éthique. Il instaure de fait une différence fondamentale entre les hommes et les animaux en édictant que l’expérimentation humaine ne peut prendre place qu’après celle effectuée sur d’autres espèces animales. Selon certains activistes, ceci contiendrait donc l’idée implicite d’une hiérarchie entre les espèces, et viendrait à l’encontre d’une quelconque éthique animale. Comme l’explique la biologiste Nicole Le Douarin, les progrès immenses qui ont été faits dans le domaine de la reproduction (avec le développement de la fécondation in–vitro notamment) ont avant tout fait l’objet de fortes résistances, générant souvent “des scandales plutôt que de l’enthousiasme”. De manière générale, et lorsque l’on pense à la loi sur la bioéthique de 2021 par exemple, ces débats sont centrés sur la santé humaine, laissant dans l’ombre celle de la transgénèse animale. L’exemple du saumon transgénique développé par l’entreprise AquaBounty Technologies en 1995 est lui aussi révélateur de cet élément. Modifié pour pouvoir croître trois fois plus vite que la normale, sa mise sur le marché en 2015 a fait l’objet d’oppositions fortes et immédiates, et ce à la lumière d’une inquiétude centrale : l’impact potentiel sur la santé humaine. Enfin, les partisans du courant abolitionniste poussent leur lutte contre le spécisme plus loin, considérant que l’on devrait mettre un terme à l’utilisation d’animaux, quelle que soit leur utilité dans les 19 Lacamp, I. (2020, octobre 7). A quoi sert la technologie d’édition génomique CRISPR-Cas9 ? Sciences et Avenir. https://www.sciencesetavenir.fr/fondamental/biologie-cellulaire/a-quoi-sert-la-technologie-d-edition-genomique- crispr-cas9_141256 20 « Frankenfish » et « enviropig », ces animaux génétiquement modifiés pour mieux nous servir. (2014, avril 23). Franceinfo. https://www.francetvinfo.fr/sante/biologie-genetique/frankenfish-et-enviropig-ces-animaux- genetiquement-modifies-pour-mieux-nous-servir_582915.html 9

domaines de la santé humaine. À leur sens, tout être sensible aurait le droit fondamental de ne pas être traité par d’autres comme une propriété. Il faut alors militer pour l’abolition de l’exploitation animale et non pour sa réglementation. Pour conclure, de Descartes à nos jours, les hommes ont instauré l’idée d’une différence fondamentale entre les hommes et les animaux. D'aucuns dénoncent cet anthropocentrisme, l’instituant comme une barrière fondamentale à une biotechnologie dite éthique. À ceci s’ajoute une responsabilité environnementale : est-il moralement juste de modifier la nature, alors même que nos connaissances sur les conséquences écosystémiques qui en découlent sont limitées ? Néanmoins, certains courants de l’éthique animale nuancent ces affirmations, valorisant les avancées majeures qu’ont permis les biotechnologies, et les avancées qu’elles permettent parfois dans le sens de la cause animale. 3. LES DÉFENSEURS DES BIOTECHNOLOGIES : UTILITÉS ET ESPOIRS A) Le point de vue utilitariste Depuis la révolution opérée pendant les années 1970, les biotechnologies ont permis d’immenses avancées techniques ayant augmenté sensiblement la production de biens de consommation. Pour l’OCDE, les connaissances acquises par la biotechnologie ouvrent à l’humanité des perspectives sans précèdent : une longévité accrue et une meilleure santé, un approvisionnement abondant en produits alimentaires et en eau et un élevage et une industrie dont la production s’inscrit harmonieusement dans l’environnement21. Cette vision relève d’une position éthique de l’utilitarisme. Pour les utilitaristes, une action est jugée bonne si les conséquences prévisibles de l’action sont elles-mêmes jugées bonnes. Les conséquences sont donc mesurées en termes d’utilité. Ainsi, les avantages décrits par l’OCDE permettent de maximiser l’utilité d’une société et, par conséquence, utiliser la biotechnologie serait un choix moral, cohérent en termes d’éthique. En effet, les biotechnologies animales se développent principalement dans deux champs d’importance pour les utilitaristes : la recherche médicale et l’élevage. Dans le cadre de la recherche médicale, en 2018, 2.53 millions d’animaux génétiquement modifiés, (la plupart à partir de techniques comme la transgénèse par micro-injection ou la mutagénèse) ont été utilisés à des fins d’expérimentation scientifique22. La recherche mobilisant ces AGM permet d’obtenir de nouveaux vaccins, ou encore de produire des protéines humaines difficiles à exprimer en cellule23. Les souris génétiquement modifiées par exemple, (transgéniques et aux gènes inactivés) représentent des outils extrêmement précieux dans la plupart des domaines de la recherche médicale. Des chercheurs chinois ont aussi fait des avancées dans la recherche pour créer des porcs humanisés dont les organes pourraient être utilisés pour les transplanter dans des humains24. Ceci est d’autant plus important que la pénurie d'organes humains est un gigantesque problème de santé publique : environ 22 personnes 21 OCDE. (1999). La biotechnologie moderne et l’OCDE. Synthèses de l’OCDE. 22 Alliance suisse pour une agriculture sans génie génétique ASGG et Protection Suisse des Animaux PSA. (2022). Le génie génétique chez les animaux. 23 Association Francaise pour l’Information Scientifique. (2019). OGM : une source de progrès pour la santé (One Health). https://www.afis.org/OGM-une-source-de-progres-pour-la-sante-One-Health 24 Ricroch, A. (2020). Les biotechnologies en Chine : investissement stratégique et massif dans l’édition du génome. Monde chinois, 61, 54-69. https://doi.org/10.3917/mochi.061.0054 10

meurent chaque jour aux États-Unis en attente d'un organe vital, « tandis que les organes porcins peuvent atteindre une taille idéale pour les humains », selon la revue Science. Quant à l’élevage, les nouvelles techniques liées à la reproduction des mammifères, comme la maturation des ovocytes in vitro, pourraient progressivement se superposer aux techniques déjà existantes, comme le transfert d’embryons, et ainsi contribuer à raccourcir les cycles de reproduction et la durée des programmes de sélection génétique25, permettant de produire plus tout en diminuant les coûts. Il est donc évident que d’un point de vue utilitariste, les biotechnologies animales sont éthiques, dans la mesure où elles pourraient à terme assurer une meilleure sécurité alimentaire dans le monde, et permettre des développements sans précédent dans le développement de la médecine. B) Les biotechnologies au service du bien-être animal Mis-à-part de l’utilitarisme, qui peut être considéré comme anthropocentré dans son raisonnement, certains défendent les biotechnologies comme un outil qui, au lieu de nuire aux intérêts des animaux, pourrait être mis au service d’une forme d’abolitionnisme. En effet, selon Louis-Marie Houdebine, dans son article « L’entrée de l’éthique dans la biotechnologie animale », les biotechnologies peuvent être utilisées pour construire un monde dans lequel l’exploitation des animaux serait minimisée ou même supprimée. Le bien-être animal est premièrement défendu au sein d’instances législatives et légales. Par exemple, le Conseil de l’Europe a reconnu en 1960 que la protection des animaux faisait partie des idéaux et des principes qui constituaient le patrimoine commun de ses États membres. La base de la législation sur les animaux de laboratoire est la directive 86/609/CEE du Conseil du 24 novembre 1986, qui traite de l'hébergement, de l'utilisation, de la manipulation et de l'abattage des animaux expérimentaux dans les laboratoires et les activités des établissements d'élevage qui fournissent des espèces d'animaux expérimentaux. Cette directive suit le concept des trois R développé par Russell et Burch en 1956. Elle stipule donc que ceux qui travaillent avec des animaux de laboratoire doivent chercher à remplacer ou réduire l'utilisation d'animaux dans des procédures de laboratoire spécifiques, ou les raffiner de manière à ce que les animaux aient le moins de douleur ou de souffrance. Les trois R sont essentiels à la réduction du nombre d'animaux de laboratoire ou à l'amélioration de leurs conditions de vie, ainsi qu'au remplacement de leur utilisation par d'autres méthodes biotechnologiques. Il est donc clair que l’exploitation des animaux actuels est perçue par un grand nombre d’acteurs scientifiques, civils et politiques comme un « mal nécessaire » dans la recherche d’un monde meilleur pour l’humanité. Cependant, les biotechnologies ouvrent des perspectives intéressantes du point de vue du bien-être animal. La conception de la viande produite par l’agriculture cellulaire permet d’arrêter de consommer des animaux au profit de la consommation de tissus générés à travers des biotechnologies26. Il serait aussi possible d’utiliser les biotechnologies pour produire des animaux moins sensibles à la douleur et aux mauvais traitements, ce qui augmenterait effectivement leur qualité de vie. Il s’agit certes d’une perspective discutable à la lumière des postures abolitionnistes, mais quels choix faire ? Thématique complexe, l’utilisation des biotechnologies pour le bien-être animal est donc une solution envisageable, qui pourrait gagner en importance dans les prochaines années, notamment grâce à la mobilisation du public qui se soulève de plus en plus contre la maltraitance animale. Cela s’exprime 25 Louis L. Houdebine. Les biotechnologies animales. Productions Animales, 1991, 4 (1), pp.81-88. ⟨hal-02700739⟩ 26 Formoso, B. (2020). Jocelyne Porcher, Cause animale, cause du capital. Études rurales, 205, 250-253. https://doi.org/10.4000/etudesrurales.23263 11

particulièrement dans leurs choix de consommation : en priorisant des produits cosmétiques véganes par exemple. On dénote de fait la prise d’importance de labels comme le « cruelty free » qui signifie que les produits non pas été testés sur les animaux : à la place, des marques telles que L’Oréal testent sur des cultures de peau, in vitro. Source : Les jeunes plus enclins à manger de la viande cultivée in vitro. (2021). ladepeche.fr Le 16 de décembre de 2022, de https://www.ladepeche.fr/2021/05/19/les-jeunes-plus- enclins-a-manger-de-la-viande-cultivee-in-vitro-9554012.php Conclusion : Ainsi, les biotechnologies, nouvelles clefs de voûte de la recherche scientifique, nous invitent à mobiliser l’éthique animale sous ses différents angles. En effet, sa polysémie liée à son utilisation à des fins extrêmement variées (dans l’agro-alimentaire, l'industrie cosmétique ou encore la médecine) rend son analyse complexe, et fait émerger des débats houleux, encadrés par une législation qui s’ébauche peu à peu. Certains dénoncent donc l’anthropocentrisme inhérent à toute modification génétique d’animaux pour leur utilisation au service de l’homme. Ces militants, anti-spécistes ou abolitionnistes, défendent les droits des animaux et notamment celui de ne pas être considérés comme un “avoir”, une propriété. Les utilitaristes nuancent ces propos, en insistant sur l’importance des souris transgéniques dans la recherche médicale par exemple. Ils soulignent aussi que la création d’AGM, encore coûteuse et délicate, n’est toujours pas autorisée à des fins commerciales dans la plupart des pays du monde, limitant de fait les biorisques qui inquiètent beaucoup d’intellectuels. Le débat fait rage, d’autant que de nouvelles problématiques émergent à mesure que les biotechnologies se développent. Pensons par exemple aux dangers des dérives eugénistes qui nous mèneraient à transposer les techniques mobilisées sur les animaux pour créer un humain augmenté. En outre, l’inégalité de développement de certains pays, pose des questionnements géopolitiques, puisque ceci cause leur retard dans la recherche médicale par exemple. Un autre élément est celui que nous avons dépeint précédemment en ce qui concerne les différentes législations au travers du globe : le capitalisme et la loi du marché pourraient-ils avoir pour conséquence de pousser les scientifiques à tester des embryons dans des pays comme la Chine, où la réglementation est moins forte ? Dans ce cas, faut-il continuer de légiférer en Europe au prix d’un “brain drain” ou de développements incontrôlés dans d’autres pays, ou au contraire assouplir les mesures pour pouvoir contrôler les innovations biotechnologiques ? Il nous semble désormais essentiel d’encadrer les biotechnologies par des principes éthiques. Selon beaucoup, la prise de décision politique basée uniquement sur la science (dite “science-based ») est un idéal inatteignable, tant l’incertitude scientifique est constitutive de la discipline scientifique. La solution serait alors de construire des dispositifs qui font délibérer ensemble scientifiques, citoyens et décideurs politiques. C’est là la thèse des « dispositifs dialogiques » de Jürgen Habermas et Bruno Latour. L’objectif serait de construire un consensus sur des questions controversées, pour mieux éclairer le public et permettre aux citoyens de prendre leurs responsabilités dans leur soutien ou leur opposition à tel ou tel type de technologies. 12

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