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Animisme et Colonisation - Manuel Scolaire

Published by chloeduprat2, 2022-11-27 19:44:39

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Histoire 1re Sous la direction de Mathilde Saure, Louise Darnet, Esther Rubeo, Baptiste Huault et Chloé Duprat Programme de 2050

CHAPITRE LA MISE EN RÉCIT DE L'ANIMISME EN 3 AFRIQUE DE L'OUEST SOUS LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE Quels sont les fondements, caractéristiques et remises en cause du récit républicain de l’animisme transmis dans les écoles de la IIIème République, en métropole et dans les colonies françaises d’Afrique subsaharienne ? Couverture d'un manuel scolaire en 1900, illustration de G. Dascher, collection privée

IPNoTuRrOcDoUmCTmIOeNncer L'Afrique en 1884 Après la défaite cuisante de 1970 face à la Prusse, provoquant la chute du Second Empire au profit de la IIIe République, la France se lance dans une expansion coloniale visant à réactiver le sentiment national et l'adhésion populaire au nouveau régime. Malgré la conquête de l’Algérie en 1848, et des débuts d’expansion antérieurs en Afrique de l’ouest, c’est sous la IIIe République que se confirme la domination de la France sur tout un pan de l’Afrique. La conférence de Berlin de 1885 entérine cela en définissant le cadre juridique et spatial du partage du \"gâteau africain\" par les grandes puissances européennes. En 1895, la création de la fédération de l’Afrique Occidentale Française (l’AOF), unit tous les territoires sous une seule organisation administrative. Cette domination territoriale s'accompagne d’un véritable désir colonial de “civiliser” les populations autochtones. C’est la fameuse “mission civilisatrice”, qui vise à “élever” les populations colonisées au niveau des colonisateurs. Cette entreprise commence dès les années 1850, avec les conquêtes territoriales du colonel Louis Faidherbe, et s'intensifie à partir des années 1870. C’est en 1882 qu’est créé le sous-secrétariat d’Etat aux Colonies puis le ministère dix ans plus tard, permettant une organisation plus structurée des territoires conquis. L'Afrique en 1914 Ceci s’accompagne d’une prise d’importance des missions religieuses, qui vont elles aussi contribuer à l'objectif colonial de domination des peuples. Posant la religion catholique comme supérieure aux autres, les missionnaires chrétiens entreprennent de convertir les peuples autochtones dont une grande partie est animiste. La notion d’animisme, polysémique, rassemble une grande partition de croyances et de rites diverses, et est définie par l'anthropologue Philippe Descola comme le don d’une intériorité identique à l’humain à des non-humains, rejetant la différenciation humains/non-humains, contrairement au catholicisme. Ainsi, la religion catholique, représentée par les missionnaires et l’administration coloniale, va profiter d’un outil majeur pour insuffler ses valeurs et ses rites : l'École, véritable catalyseur de la mission civilisatrice. C’est ici qu’entre en jeu la confrontation entre une éducation laïque en métropole, et un enseignement catholique prosélyte dans les colonies. Les revues coloniales, les archives de lois, mais aussi et surtout les manuels scolaires d’époque nous ont permis de mettre en lumière ce contraste et d’étudier la mise en place d’un récit colonial de l’animisme. Nous étudierons donc en quoi l'entreprise coloniale a interprété et impacté la diversité des religions traditionnelles africaines, ici réunies sous le terme d’animisme, au travers du questionnement suivant : quels sont les fondements, caractéristiques et remises en cause du récit républicain de l’animisme transmis dans les écoles de la IIIème République, en métropole et dans les colonies françaises d’Afrique subsaharienne ? 33

ÉTUDE DE La mise en récit des religions africaines à DOCUMENTS l'école de la IIIème République française Les peuples des colonies sont dépeints dans les manuels scolaires français comme appartenant à une race inférieure. Sans toujours en faire une mention explicite, ceci inclut donc leurs traditions, rites et croyances. Dans les représentations collectives, les théories évolutionnistes sont ainsi prolongées par l’illusion d’un déterminisme culturel, la persistance des pratiques animistes au sein des sociétés en Afrique de l’Ouest étant présentée comme le propre d’une société primitive, alimentant le discours de la \"mission civilisatrice\". 1.Une hiérarchie des races inscrite dans une 2. Reprise dans les manuels scolaires discipline \"scientifique\" “Les Nègres, peu intelligents, n’ont jamais bâti que \"Les quatre races d’hommes. — La race blanche, la des huttes parfois réunies en assez grand nombre plus parfaite des races humaines, habite surtout pour faire une ville ; [...]; la culture de la terre est l’Europe, l’ouest de l’Asie, le nord de l’Afrique, et chez eux au maximum de la simplicité. [...] Il faut l’Amérique. Elle se reconnaît à sa tête ovale, à une mettre après eux, comme intelligence, les petites bouche peu fendue, à des lèvres peu épaisses. races d’hommes qui habitent les régions les plus D’ailleurs son teint peut varier. — La race jaune occupe inaccessibles de l’Afrique […]. Bien au-dessus du principalement l’Asie orientale, la Chine et le Japon : Nègre nous élèverons l’homme à la peau jaunâtre visage plat, pommettes saillantes, nez aplati, […]. Il a fondé de grands empires, créé une paupières bridées, yeux en amandes, peu de cheveux civilisation fort avancée […] mais tout cela semble et peu de barbe. — La race rouge, qui habitait autrefois tomber en décadence. […] Mais la race toute l’Amérique, a une peau rougeâtre, les yeux intelligente entre toutes, celle qui envahit et tend enfoncés, le nez long et arqué, le front très fuyant. — La à détruire ou subjuguer les autres, c’est celle à race noire, qui occupe surtout l’Afrique et le sud de laquelle nous appartenons, c’est la race blanche.” l’Océanie, a la peau très noire, les cheveux crépus, le nez écrasé, les lèvres épaisses, les bras très longs.\" DOC 1 : Paul Bert, Premières leçons de zoologie. Lectures à l’usage des élèves des établissements DOC 2 : G. Bruno, Le Tour de la France par deux secondaires des écoles normales primaires et des enfants, Belin, 1877 écoles primaires supérieures, 1885 DOC 3 : \"Les quatre races d'hommes\", illustration dans Le Tour de la France par deux enfants, G.Bruno Pour aller plus loin Regardez le documentaire de Jean Rouch intitulé Au Pays des Mages Noirs : comment les pratiques et les croyances des Songhaï sont-elles décrites ? Renseignez-vous sur le film ethnographique : à quel public est-il destiné ? 34

3. Véhiculer l'idée d'un darwinisme culturel « Les croyances du Nègre ne portent que sur des espèces. Point de Le point de vue de l'historien généralisation, point de système. L’univers est pour lui composé d’êtres À l’heure où la conquête est achevée, les richesses de l’empire colonial juxtaposés et agissant doivent être exposées aux yeux des Français. Ainsi, chez les observateurs indépendamment les uns des autres, de terrain ou dans les expositions coloniales qui se multiplient au début comme les Nègres sur la terre du xxe siècle […] les populations et leur culture sont mises en exergue. Les d’Afrique. Tout est diversité dans la mœurs et les coutumes des peuples font désormais partie intégrante de vaste machine. Leur cosmologie est la définition des races. Pour autant, le regard porté sur les pratiques un amas confus de notions éparses culturelles des Africains à cette date demeure souvent critique, voire que chacun enrichit à son gré, quand railleur et condescendant. […] L’un des apports nouveaux et un fait inexplicable met la science à fondamentaux dans la raciologie de cette époque réside dans la défaut. C’est le propre du multiplication des travaux des médecins coloniaux. Au-delà des polythéisme. L’unité du monde ne va traditionnelles descriptions des particularités corporelles des peuples, les qu’avec la conception du Dieu observateurs s’attardent de plus en plus sur la diversité et la richesse des unique [...] Le fond de la croyance est cultures en Afrique.\" un vague spiritualisme [...] Si l'on entend le mot « culte » dans le sens DOC 4 : Peiretti-Courtis, D. (2021). 14. Culture et exotisme africains : entre de pratiques et cérémonies mépris et tolérance. Corps noirs et médecins blancs : La fabrique du impliquant hommage et vénération préjugé racial, XIXe-XXe siècles envers un ou plusieurs êtres supérieurs à l’homme, il n’y a point 4. La mission civilisatrice de culte dans la religion nègre. Il n’existe […] rien qui ait la prétention « Le peuple dahomien est encore exclusivement fétichiste. [...] Les de représenter le dieu suprême ou les féticheurs, ces prêtres de l'idolâtrie, entretiennent avec trop de soin le déités secondaires » fanatisme dont ils vivent exclusivement et qui fait leur puissance, pour laisser prendre de l'influence à d'autres réformateurs. [...] Ces peuples DOC 5 : Dr Cureau, administrateur et sont primitifs; ils n'ont pas eu de relations sérieuses avec la race médecin colonial, Les sociétés blanche; mais ils sont intelligents et adroits. Enseignez-leur ces nombreuses conventions dont l'ensemble s'appelle civilisation, et dans primitives de l’Afrique équatoriale, vingt-cinq ans, ils n'auront presque rien à nous envier » 1912 DOC 6 : Journal des Instituteurs du 18 septembre 1892 \"Le Dahomey\" Questions Question 1) DOC 1 et 2 la Quels éléments caractérisent hiérarchie entre les races ? Question 2) DOC 3 et 4 A partir de la définition p. 37 et des documents 3 et 4, expliquez ce qu'est le darwinisme culturel. Question 3) DOC 6 Expliquez ce que ces éléments apportent au concept de mission civilisatrice. Exercice de rédaction À partir des différentes caractéristiques des races dépeintes dans les différents documents, expliquez comment cette description a pu jouer un rôle dans la colonisation. La couverture d'un manuel scolaire en 1900, illustration de G. Dascher, 35 collection privée

I. La mise en récit des religions africaines LEÇON à l’école de la IIIe République française A Des programmes a ttribuant un caractère primitif aux croyances animistes Notions Sous la IIIème République va se constituer un véritable racisme scientifique, porté par l’anthropologie Anthropologie : naissante. Dans la continuité des théories Science qui étudie les caractères évolutionnistes développées par les naturalistes, les anatomiques de l'espèce humaine individus d’origine africaine dont la peau est noire vont ainsi être présentés comme primitifs et appartenant à Ethnologie : étude théorique des une race sous-évoluée. groupes humains décrits par l'ethnographie selon des critères L’adaptation des théories naturalistes à des physiques et sociaux. sociétés humaines va permettre le développement du darwinisme social. Les administrateurs et les Évolutionnisme : missionnaires déployés dans les colonies 1. Théorie explicative de l'évolution entreprennent de décrire les pratiques culturelles des des espèces au cours des âges. différents groupes sociaux en mobilisant un 2. Doctrine anthropologique et vocabulaire scientifique et uniformisant pour désigner sociologique qui considère que toute une multitude de pratiques dont la complexité est ainsi culture est le résultat d'un processus essentialisée et rationalisée. De telles ressources constant d'évolution. appuient la théorie raciale en corrélant aux \"retards d’évolution biologique\", un retard de développement Expositions coloniales : culturel, entérinant le qualificatif de primitif. Cette idée Manifestations organisées dans transcende les travaux d'anthropologie et surtout de différents pays pour permettre aux l’ethnologie naissante. habitants des métropoles de découvrir les différentes facettes des colonies. Le fait religieux a été un outil idéologique essentiel dans la création de la hiérarchie entre l’homme blanc et l’homme noir. Les cultes animistes sont perçus comme primitifs en raison des objets qu’ils sacralisent et de leur diversité. L’anthropologue français Paul Belloni du Chaillu voyait dans l’absence de « système théologique » la preuve du sous-développement de ces croyances. Les préjugés corroborés par les travaux pseudo-scientifiques évoqués plus haut sont transmis au public par de nombreux vecteurs, à commencer par différentes revues et bulletins coloniaux comme La Revue Coloniale. Pendant les expositions coloniales, les zoos humains sont scénarisés et les pratiques religieuses reproduites, parfois par des acteurs payés. L’école et les programmes scolaires vont eux aussi catalyser la diffusion de ce racisme. Loin d’être éradiquée des programmes scolaires, la religion y est largement abordée. En effet, magré la suppression des cours de religion, ceux-ci sont remplacés par un enseignement moral et civique, au sein duquel on retrouve toute une taxonomie du fait religieux. De telles leçons sont notamment proposées dans le Journal Des Instituteurs de l'époque. Cette taxonomie se présente sous la forme d’une hiérarchie mobilisant le christianisme comme socle de la morale, comme religion estimable et évoquant au contraire les pratiques animistes comme du folklore, voire du religieux effrayant. Ces idées sont enseignées aux élèves par le biais d’exercices proposés dans les manuels scolaires, ce qui renforce l’idée de hiérarchie des races et des religions et laisse place au concept de mission civilisatrice. 36

B Une qualification qui alimente la rhétorique de la mission civilisatrice dans les manuels scolaires occidentaux Les discours produits dans les archives étudiées précédemment alimentent ainsi l’idée du Darwinisme social ou encore du fardeau blanc, d’où la justification de la conquête impériale pour aider les peuples “inférieurs” d’Afrique de l’Ouest. Les manuels scolaires, en plus de véhiculer l’idée d'une supériorité de la race blanche, participent grandement à la diffusion du concept de mission civilisatrice. Dans La France et ses colonies, il est dit : « On appelle colonies des pays qui sont soumis à l’autorité d’une nation civilisée qui les administre, les met en valeur, y développe l’activité économique et la civilisation. ». La mission civilisatrice est donc prêchée par les manuels scolaires qui glorifient l’aide apportée par les nations civilisées (dont la France) aux nations “inférieures”. Cette idée est également présente dans les livres Notions éducatifs de G.Bruno dont le vrai nom est Augustine Fouillé. Cette dernière se lance dans la rédaction d’un Darwinisme social : théorie livre éducatif dont le but est d’unifier les français en évolutionniste de Darwin, appliquée mettant en avant les valeurs morales de la France ainsi aux sociétés humaines. Elle affirme qu’en prônant sa grandeur. que l’évolution se fait par sélection naturelle : ce sont les animaux les Ses ouvrages jouent un rôle primordial dans la plus adaptés à leur milieu qui justification de la mission civilisatrice. survivent. Transposée aux humains, Dans Les Enfants de Marcel. Instruction morale et civique en on comprendrait cela comme la action, elle loue l’intelligence des “civilisés” qui a permis justification de la supériorité d’une d’avoir des machines supérieures aux animaux “race” sur une autre par ses qu'utilisent les peuples africains. caractères plus évolués ou du moins plus adaptés à la vie moderne. On comprend bien que cet enseignement est au service de l’idéologie coloniale. Il s’agit d’un enseignement Mission civilisatrice : Idée du européocentré qui diffuse la théorie d’inégalité entre les caractère moral de l’entreprise races. Il véhicule aussi des stéréotypes sur les peuples coloniale, prétendant la justifier. colonisés afin d’inculquer la notion de « races et religions Ladite mission est celle des « inférieures » aux écoliers. La race noire, par exemple, est Lumières » de la civilisation française. décrite comme barbare et cannibale. Elle a pour but d’ “éclairer les chemins où trébuchent douloureusement les Notez que toute la rhétorique des manuels scolaires races moins fortunées que la sienne”. consistant à remettre en cause la capacité des indigènes à se civiliser par eux-mêmes sert précisément à la mission civilisatrice : c'est l'idée d'aider les Africains à se défaire de leurs religions traditionnelles primitives pour adopter un système religieux monothéiste, considéré comme “développé”, séparer le pouvoir temporel du pouvoir spirituel, en somme : les convertir “pour leur bien”. 37

ÉTUDE DE La laïcisation en métropole confrontée DOCUMENTS au prosélytisme dans les écoles des colonies Questions Question 1) DOC 1 En sachant que La Petite Lune est un hebdomadaire satirique anticlérical fondé et dessiné par André Gill, que pensez-vous de cette caricature ? Faites le lien avec le contexte de la IIIème République française. Question 2) DOC 2 et 3 Observez les cartes postales. Dans quelle mesure décrivent- elles le lien fort entre colonisation et christianisme ? Liez-les à la notion de \"mission civilisatrice\" vue précédemment. Exercice de rédaction Rédigez un commentaire de documents mettant en lumière l'ambivalence que pointent ces sources visuelles, entre une métropole qui se laïcise, et des missions religieuses encore intrinsèques au fonctionnement de l'éducation dans les colonies françaises. DOC 1 : Caricature de Jules Ferry croquant un curé en pain d’épices, 1879. DOC 2 : Carte postale d’une mission à Quittah, en DOC 3 : Carte postale au Soudan français (AOF), à Côte d’Or, l’actuel Ghana. Ségou : “L’enseignement du catéchisme”. Sœurs Missionnaires de Notre-Dame d'Afrique. À retenir : Les écoles des colonies éduquaient les africains sous un prisme chrétien fort, les forçant à l’abandon de leurs “croyances primitives”. Selon Carole Reynaud-Paligot (Diplômée de l'Institut d'études politiques de Grenoble et de l’EHESS, historienne et professeure d'Histoire et de sociologie à l'université de Bourgogne) : “L'école est pensée pour être l'auxiliaire de la conquête coloniale.” Enfin, dans leurs travaux, les historiens Alice Lefilleul et Mamadou Diouf qualifient le fait religieux de véritable outil idéologique : les structures coloniales ont ainsi indéniablement interagi avec l’animisme. 38

ÉTUDE DE L'échec de la christianisation DOCUMENTS Dans les colonies, si les conversions se multiplient, les prêtres et missionnaires se heurtent en fait à la persistance des pratiques et croyances dites traditionnelles. Pour illustrer cela, nous nous appuierons en grande partie sur la colonie du Sénégal, exemple de cette hybridation des croyances et des pratiques. DOC 1 : Boilat, P. D. Esquisses sénégalaises, pages Qui suis-je ? 214-215. Karthala, 1984. Abbé Boilat (1814-1901) Au commencement de décembre 1822, le séminaire du Saint- Esprit y envoya M. l’abbé Fournier, préfet apostolique, qui y Abbé d’origine africaine né d’un père vint seul, car on ne lui avait adjoint aucun autre prêtre. En français et d’une mère métis arrivant, il ne trouva ni église, ni presbytère; ne comprenant point la langue, il ne pouvait se faire comprendre lui-même : Envoyé en France pour recevoir une telle était la situation de ce prêtre tout animé de zèle. Il éducation cléricale commença par les baptêmes d’enfants, ensuite il choisit des interprètes pour répéter en Wolof les instructions qu’il donnait Passe dix ans au en français. On voit clairement qu’un prédicateur obligé de se Sénégal en tant fier à un interprète devait être très gêné. C’est ainsi cependant que directeur qu’on prêchait à Saint Louis et à Gorée, jusqu’à ce qu’on pût d’école, puis avoir des prêtres parlant la langue et que les jeunes gens, directeur de élevés dans les écoles fussent assez instruits pour parler le l’éducation français et profiter des instructions; disons mieux, jusqu’à ce que la génération fût généralement renouvelée par une Le Sénégal était à l’époque composé de éducation toute française. Quatre Communes, certaines à majorité chrétienne et d'autres à majorité musulmane. Ils étaient donc chrétiens par le baptême comme ceux de Joël, Ainsi, les habitants du Sénégal étaient pris superstitieux comme les mahométanes et les fétichistes. Leurs entre deux logiques de conversions, mœurs étaient à peu près les mêmes. Ces pauvres ignorants catholique et islamique que l’on retrouve dans étaient plus à plaindre qu’à blâmer (…) c’étaient des chrétiens les pratiques animistes. Toutefois, pour cette sans instruction, dans un pays éminemment mahométan, et étude de cas, nous prenons le parti de nous un seul prêtre étranger à la langue. concentrer sur les relations entre animisme et christianisme, bien que cette dernière soit L’Abbé Boilat écrit et publie en 1853 « Les Esquisses Sénégalaises ». Il y aussi influencée par l’avancée de l’islam dans discute notamment des soucis d’éducation, et de la progression de l'Église cette colonie. Catholique dans la colonie et y défend généralement l’idée d’une colonisation basée sur l’évangélisation et la croissance économique, faisant de l’Église catholique la clé de voûte d’une mission civilisatrice « réussie ». Questions DOC 2 : « Bulletin de l’enseignement de l’Afrique occidentale française ». Gallica, 1 juillet 1933 Question 1) DOC 1 Selon l’abbé Boilat, quels sont les facteurs LES FÊTES CATHOLIQUES empêchant la conversion au christianisme des habitants de Saint Louis et de Gorée ? Les fêtes catholiques sont demeurées inconnues dans le pays jusqu’à ces dernières années. Ceux qui ont des enfants à l’école se Question 2) DOC 1 doutent de leur existence parce qu’on donne un long congé à Quel regard porte-t-il sur cet échec ? leurs petits. Depuis deux ou trois ans, on a construit deux petites églises à Bobo et les Bobos-fings de la ville les fréquentent Question 3) DOC 2 certainement à cause de la bonté des « pères », car ils ne cessent Quelle est la nature de ce document ? À point d’adorer leurs dieux. Leurs masques, qui personnifient qui s’adresse-t-il ? l’animisme, entrent dans l’église sans savoir que c’est un lieu saint et respectable. Les chrétiens de Bobo sont surtout des étrangers Question 4) DOC 2 et comme ceux-ci augmentent de jour en jour, la masse de la Que révèle ce document sur le rapport population sait à présent l’existence de deux grandes fêtes des populations locales au christianisme ? catholiques : la Noël et les « Pâques ». SANON SANNY 39

LEÇON II. Une nouvelle lecture de ce récit colonialiste de l'animisme A Un paradoxe républicai n révélé : entre laïcité en métropole et prosélytisme des missionnaires dans les écoles des colonies Notions La IIIème République est caractérisée par une politique de laïcisation qui va premièrement toucher la sphère politique, avec un procédé Laïcité d’épuration, c’est-à-dire le renvoi de nombreux catholiques occupant des postes importants de la fonction publique. Mais ceci touche aussi Séparation de l'État et des fortement l’école. Dans les années 1880, alors que le gouvernement procède à une nationalisation de l’enseignement, les jésuites et d'autres organisations religieuses. congrégations religieuses qui réalisaient une grande partie de l'enseignement scolaire s'exilent ou se font expulser. Désormais le principe de la On ne va pas sans citer les Lois Ferry de 1881 et 1882, qui vont instituer laïcité de l'État est posé par l’école primaire gratuite, obligatoire et laïque au sein de la République. En effet, pour ses décideurs politiques, influencés par les idées des l'article 1er de la Constitution Lumières, l'école a pour rôle de soustraire les élèves à certaines influences française de 1958. néfastes telle que celle de l'Eglise, considérée comme une survivance du Prosélytisme passé et accusée de soutenir les adversaires de la République. C'est pourquoi l'instruction religieuse, remplacée par l'instruction morale et Zèle déployé pour recruter civique, ne fait plus partie des programmes. des adeptes. Pour autant, lorsqu’on se penche sur la question des colonies de la jeune République, ceci fait émerger une ambivalence flagrante, qu’il convient de souligner. En effet, en parallèle de cette laïcisation institutionnelle en métropole, la religion est utilisée comme un véritable outil d'oppression et d’assimilation dans les colonies. Notons d’ailleurs que l’article 43 de la loi de 1905 sur la Séparation des Églises et de l’État prévoit une clause spécifique aux colonies, permettant des détournements : Ainsi, il y a dans les colonies un véritable effort de substituer l’animisme par la religion chrétienne. Ceci se traduit par la prégnance d’écoles régies par des missionnaires chrétiens dans les colonies françaises. En effet, en parallèle de l’accélération de la colonisation à la fin du XIXème et durant le XXème siècle, les missions catholiques se sont multipliées au sein des possessions françaises. Dans l’article “Missions religieuses, laïcité et colonialisme”, l’historien Gérard Vignier énonce : “Si laïque qu’elle ait pu être dans le territoire métropolitain, la politique coloniale de la France s’est largement appuyée sur l’action des missionnaires.” Notons que leurs relations avec l'État colonial ont été faites de collaboration, de consensus… mais aussi de conflits : les années 1870 sont marquées par une tension forte entre les républicains et l’Église pour cause de la laïcisation évoquée plus haut. Néanmoins, un argument économique fort va pousser l'État français à tolérer les écoles missionnaires dans les colonies. En effet, le personnel enseignant métropolitain désireux d’exercer dans les colonies était peu nombreux, mais surtout coûteux, si bien que les autorités coloniales françaises, si désireuses qu’elles aient pu être de favoriser une école laïque, ont accepté volontiers l’existence des écoles de missions qui fonctionnaient à moindre coût. 40

COURS B Aller au-delà de l’opposition : \"l'indigénisation\" LEÇON du catholicisme B Le témoignage de l’Abbé Boilat nous renseigne sur les logiques de conversion au catholicisme qui dépendaient essentiellement de trois facteurs : Notion Clé Premièrement, l’origine. Par exemple les « mulâtres », nés d’un père blanc et Syncrétisme Religieux : d’une mère noire ou inversement, ont au moins un parent de religion chrétienne, ce qui favorise leur conversion. Le syncrétisme religieux désigne la création d’une Deuxièmement la proximité avec les européens. Citons l'exemple des « nouvelle religion par la gourmets » : des noirs chrétiens, par conséquent jugés plus intelligents que les confrontation et l’influence autres africains. de croyances et de valeurs issues de systèmes culturels Et enfin la subordination, car les captifs sont tous baptisés par leur maîtres. opposés. Ce terme est tantôt stigmatisé comme Toutefois, la plupart des conversions sont de façade et ne disent rien de la réalité contamination par l’autre, spirituelle des convertis : les pratiques et croyances traditionnelles animistes tantôt valorisé comme persistent malgré les efforts de purification des mœurs chrétiennes par le synthèse créative clergé colonial. Un important aspect de l’adaptation forcée au message chrétien fut l’adoption de la langue Wolof pour le catéchisme. Initialement, certains membres du clergé s’y étaient opposés car, selon eux, elle aurait été impropre à retranscrire les termes théologiques de la religion chrétienne. Pour autant, ils finirent par accepter la nécessité de traductiNonoptoiuor nobtCenléir des conversions. Autre facette de ce syncrétisme : la persistance des pratiques traditionnelles. Cette constance se retrouve notamment dans les mariages, les baptêmes, ou encore les rites de protection mystico-religieuse. « On a toujours considéré que la violence Les mariages étaient célébrés selon les traditions : fêtes coloniale était capable d’imposer les figures spectaculaires, maintien de la polygamie… Les baptêmes étaient plus de sa domination et de son hybridité, dans proches des pratiques Wolof que chrétiennes : elles rassemblaient le déploiement de son savoir de griots, dons, et chants. Enfin, le port d’ « amulettes » et de « gris-gris » classification et sa morgue, enracinée dans confectionnés par des « marabouts » était encore majoritaire au sein la supériorité de sa mission civilisatrice. Les de la population. trajectoires originaires, dans leurs esthétiques bariolées et la monumentalité Le clergé colonial accepte donc progressivement ce que Mamadou des mosquées et églises démontrent des Diouf appelle une « indigénisation du christianisme ». Les histoires d’identités et de transactions où missionnaires abandonnent leur quête de purification des mœurs s’est imposé un pluralisme et une catholiques notamment comme mode de lutte contre l’expansion de distinction indigène au cœur du projet l’islam au Sénégal. colonial. » C’est ce relatif échec que souligne Achille Mbembe dans Afriques Indociles. En effet, malgré sa présence constante, le christianisme Source : Diouf Mamadou (Historien, n’a pas réussi à imposer son hégémonie. directeur et enseignant chercheur à Mbembe va encore plus loin dans son analyse en interprétant cette « l'Institut d'études africaines de l'Université indigénisation du christianisme » comme une forme de réponse à de Columbia) dans la tentative de domination religieuse, politique et idéologique de la Assimilation coloniale et identites religieuses puissance coloniale. Elle est selon lui le témoignage de l’« de la civilité des originaires des Quatre indiscipline » des populations et de leur capacité Communes (Senegal). Canadian Journal of d'autodétermination. African Studies, vol. 34, nᵒ 3, 2000, p. 565. Au delà des conversions de façades, les discours chrétiens n’ont pas été reçus de manière passive par les populations locales. Ils ont été re-appropriées, et retravaillés au sein des croyances animistes. Mbembe,NAoctheizlleq.uAefrcieqruteasinisndmooctilseos:ncthértiéstmianisisemnter,epgouuivlloeimr etsE:tailtsernelsèovceinéteé npoesftfceot ldounilaelxei.qKuaertchoalolan,i1al9,8e8t. sont porteurs de la dimension raciste de l’époque. 41

CONCLUSION À retenir La Troisième république a construit au cours de ses conquêtes coloniales un récit visant à inférioriser les populations africaines colonisées et à les présenter comme populations non-civilisées qu’il faudrait élever au niveau de “l’Homme blanc”. Cette hiérarchie des \"races\" va aussi s’appliquer aux religions, plaçant le monothéisme catholique au-dessus des croyances animistes africaines. Cette doctrine est catalysée par les programmes scolaires de la Troisième République. L’école va en effet fortement contribuer à la hiérarchisation des peuples et de leurs croyances, en défendant la “mission civilisatrice” occidentale dès l’éducation primaire des petits français, alors même qu'elle commence à prôner un enseignement laïc. Toutefois, la vision républicaine d’une école laïque crée une dichotomie avec l’éducation religieuse imposée dans les colonies. Les programmes de la métropole, au sein desquels la religion est volontairement absente, masquent le caractère chrétien oppresseur de l’école coloniale, qui, par l'omniprésence de missionnaire religieux dans le corps professoral, va participer à l’abandon forcé des croyances animistes. Mais cette tentative de christianisation se heurte à la résistance des populations locales. Car ces conversions sont souvent de façade et ne dévoilent pas la spiritualité intérieure du converti. De plus un important syncrétisme est né entre la religion catholique, les croyances locales et l’islam . Pour autant, malgré l'échec du christianisme à infuser l’ensemble des strates religieuses et politiques des colonies, on ne peut omettre l’impact indéniable qu’il a eu dans la construction spirituelle de l’Afrique subsaharienne. Dès lors, comment les populations africaines ont pu ressaisir Le saviez-vous ? leurs croyances ancestrales après une imposition d’une certaine identité religieuse ? Dans certaines régions d’Afrique L’impact du prosélytisme ne se borne de l’ouest on peut voir la persistance des croyances animistes pas aux frontières des colonies : citons les génies de l’eau des Dogons ou les Bois sacrés en françaises. Les Anglais ont aussi pays kabyè. Mais cette survivance est-elle généralisée à mené d’importantes missions l’ensemble des anciens territoires coloniaux français ? Ou religieuses dans leurs possessions, persiste-t-elle seulement dans certaines régions spécifiques ? dont les conséquences tout autant sociales que politiques sont encore Nous pouvons aussi réfléchir à la notion de l’animisme prégnantes de nos jours. Pour aller comme croyance se conjuguant au pluriel au sein de la plus loin, vous pouvez lire Purple même aire géographique mais aussi à travers le monde. Hibiscus de l'auteure nigériane La thèse d’Alice Lefilleul, De l’Afrique aux Premières Chimamanda Ngozi Adichie, roman Nations, penser la décolonisation avec les écrivains, qui au sein duquel on découvre une propose une “réflexion comparée entre les littératures famille déchirée par un homme des Premières Nations du Québec et celles d’Afrique devenu catholique fanatique, alors subsaharienne et afro-descendantes” avec les textes de que son père décide de conserver ses ces écrivians “Innu, franco-camerounaise et togolais” sont croyances traditionnelles. articulés à partir de la notion d’animisme. Sa réflexion lie toute la politique coloniale de déconstruction des croyances animistes que nous venons de traiter, en y portant un regard comparé sur différentes zones colonisées par la France, sous le prisme de la littérature. Pour finir Par l’école, la France a donc imposé une identité religieuse en Afrique subsaharienne. Aujourd’hui, se ressaisir de l'animisme et célébrer les syncrétismes qui ont suivi la colonisation serait-il une manière de permettre à la négritude de se ressaisir de son identité ? 42

POUR ALLER PLUS LOIN... A LIRE SOURCES PRIMAIRES Sources scolaires ou éducatives Journal des Instituteurs du 18 septembre 1892 “Le Dahomey” G. Bruno, Les Enfants de Marcel. Instruction morale et civique en action. Livre de lecture courante, Belin, 1887 G. Bruno, Le Tour de la France par deux enfants, Belin, 1877 Revue coloniale Revue de l’Enseignement Colonial (1904-1959). Documents officiels Journal officiel de la République française, 11 décembre 1905 : loi sur la séparation des Églises et de l’Etat. Bulletin de l’enseignement de l’Afrique occidentale française ». Gallica, 1 juillet 1933 Sources à vocation scientifique Dr Cureau, Adolphe, II “La Religion” dans Les sociétés primitives de l’Afrique équatoriale, 1912 Calaméo - Les Sociétés primitives de l'Afrique équatoriale par Dr Cureau, Ad. 1912 (calameo.com) LITTÉRATURE SCIENTIFIQUE Mylena Boudehane, L’enseignement colonial dans les manuels scolaires des écoles primaires de la IIIe République (1882-1945) Volker Saux, L'Afrique au temps des colonies : par la ruse et par la force, publié par GEO, 2016 Alice Lefilleul - Animismes. De l’Afrique aux Premières Nations, penser la décolonisation avec les écrivains. Littératures. Université Sorbonne Paris Cité; Université du Québec à Montréal, 2018. Mamadou Diouf, Assimilation coloniale et identités religieuses de la civilité des originaires des Quatre Communes (Sénégal), Revue Canadienne des Études Africaines, 2000 Raphaël Granvaud - Colonisation et décolonisation dans les manuels scolaires de collège en France, 2006 LIVRES Léon, Antoine. 1991. Colonisation, enseignement et éducation : étude historique et comparative. Collection Bibliothèque de l’éducation. Paris : L’Harmattan. Gérard Vignier “Missions religieuses, laïcité et colonialisme” À REGARDER Documentaire “Au Pays des Le rapport Brazza : un docu-fiction qui redonne voix aux Africains Mages Noirs” de Jean Rouch. exploités par la France coloniale. Le rapport Brazza | Podcast sur 1947. https://www.ina.fr/ina- Spotify eclaire- 43 actu/video/afe04020801/au-pays- des-mages-noirs


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