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Anima - Samie Louve - VERSO

Published by contact, 2015-08-30 15:20:45

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Samie Louve Anima,ou l’art d’être louve Take Your Chance

© Take Your Chance – Pau 2015 – ISBN 978-2-37351-012-6Toute représentation, traduction, adaptation ou reproduction, même partielle, par tousprocédés en tous pays, faite sans autorisation préalable est illicite et exposerait lecontrevenant à des poursuites judiciaires. Réf. : loi du 11 mars 1957, alinéas 2 et 3 del’article 41.Une représentation ou reproduction sans autorisation de l’éditeur ou duCentre français d’exploitation du droit de copie (20 rue des Grands-Augustins, 75006Paris) constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants duCode pénal

A mes amis les Loups et avec eux les Ours,Laissez-moi vous guider sur cette Montagne des Pyrénées oùles animaux et les hommes se côtoient afin que perdurent uneseule loi … celle du respect. Suivez-moi sur les sentiersempruntés par mes pas tout au long de ce voyage conté par moi… louve parmi les humains de bon aloi.J’ai posé pour vous un regard animal certes, sur cette Terre oùje vis parmi vous mais qui n’en est pas moins philosophique nevous en déplaise.

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La MontagneElle m’a reçue comme à son habitude, majestueuse dans satenue, digne, en arborant de ses flancs à son sommet cettegrandeur qui m’inspire tant de respect. Elle s’impose à moi sipetite sous ses effets tandis que je commence pas à pas àm’accrocher à elle sur des sentiers qu’elle porte en colliers, d’unversant à son autre côté d’où je vois peu à peu le monderapetisser. Sur un sol recouvert d’une épaisse couche d’herbeque la mousse s’exerce à emprisonner, tapissée d’innombrablesfougères d’où la bruyère s’évade, la Montagne me rappelle quel’automne est proche de l’été. Elle me reçoit de telle manièreque j’en suis flattée tandis que le soleil culmine sur ses crêtesd’où j’aperçois les rapaces tournoyer et se côtoyer. Elle estlumineuse de beauté, transformée d’une heure à l’autre àmesure que je la parcoure de mon regard émerveillé, le corps enéquilibre sur son décor sous un paysage qui me rend sage parcequ’il me fascine. Je gravis ses pentes lentement, elles quim’incitent à aller chercher sur leur faîte de quoi me ressourcer.Comme elle est fière me dominant de tous côtés, moi qui ne laquitte pas des yeux … tant de reflets, tant de courbes poséessagement me cernant de toutes parts, je pourrais m’envoler pourrattraper ce retard que j’ai sur elle, l’apercevoir du plus haut quemes ailes me portent sur un ciel qui n’est pas de hasard. Sur unde ses bords que j’ose affronter sans risquer d’être égratignée,je découvre des fleurs qui s’épanouissent dans les seulescoulisses d’un public averti. Des fleurs habillées de longuesannées, des coloris par milliers, des élites que la terre porte enelle, sereines, végétant de clairières en bosquets et que le tempsfait durer. 2

Des chardons légendaires à une certaine hauteur, si ardentsqu’ils poussent vers le ciel leur prestance faite de force et denuances printanières en cette belle saison. Une plante épineusemais d’une douceur confuse qui se diffuse en promenant lesdoigts sur leur ombrelle protégée de piquants éternels. Que diredes cercles des pierres que le temps a érodées…. Desmonuments ou des momies que la peur ou le courage ontrattrapé, des tumulus enfin que nos anciens soulevèrent avecforce et à coups de prières pour enterrer des êtres qu’ilsaimaient. Pour prendre le temps de souffler, je m’assieds àl’ombre de grands arbres, des géants se dressant sur un parterrequ’il me plait de fouler tendrement. Du houx au noisetieremmêlés pour l’éternité, tous deux symboles de l’amour et del’amitié… que je voudrais pour nous, des arbres noueuxjaugeant l’éternité dans laquelle nous irons nous baigner. Dessapins, jeunes ou anciens, pyramides naturelles s’élevant versles cieux et qui dressent vers eux leurs aiguilles et leurs cônesgracieux afin que le vent interprète leurs vœux. Je la revois toutecette végétation m’inspirant le souffle et le soupir pour ladécrire en cet instant… du chêne au châtaignier que j’entourede mes bras et sur lesquels je dépose un baiser en souvenir demon passage sur cette montagne qui me plaît tant de raconteravant qu’elle ne soit enneigée. 3

AnimaJ’hurle mais vous ne m’entendez pas, mon souffle puissant nevous parvient pas humains de peu de foi qui souillez le mondedu sang versé par vous et dont vous héritez votre forfaitaccompli … les animaux sont si peu de choses à vos yeux qu’ilsvalent que vous leur ôtiez la vie sans faire la plus petiteéconomie de sentiments transmis indignement sur ces êtresvivants. Le sang coule sur vos mains mais peu importe il n’estrien ou si éloigné de cette substance qui est la vôtre sinon celuide bêtes à abattre cruellement, sans coup férir, pour desserments, pour en jouir. Peu vous importe n’est-ce pas la vied’un animal tué souvent ignominieusement … cela ne toucheen rien votre morale, ni ne restreint la sensibilité de l’être douéde raison que vous êtes, vous dont le mental est si différent dece souffle de vie que l’on dit animale. Vos idées destructricesvagabondent sur cette mappemonde et avec elles toutes lessouffrances, inutiles parfois. Des conditions de vies que vousmenez allègrement au trépas, les menant tambour battant, deprivations à l’esclavage … d’abandons en prisons où souventun mauvais sort leur est réservé … de laboratoires en boucheriesaux magasins où ils ont croupis, ils vivent le purgatoire pour descrimes qu’ils n’ont pas commis. Sacrifiés, malmenés, mutilés,battus à mort, abandonnés, dépecés, crucifiés, vidés del’essence même d’une âme qui leur fut confiée, tous lesanimaux sont des fleurons, respectueux de notre Terre, humbleset contrairement à ce que vous croyez, pourvus d’un esprit léguépar celle-ci ! 4

J’hurle mais vous ne m’entendez pas hommes de peu de foi,vous qui torturez toute espèce animale pour votre confort pourvotre santé ou pour votre bien … négligeant sur votre chemince souffle que je sais divin d’un être vivant proche de l’Humain,né pour l’accompagner ou pour le consoler, pour le suivre ouregarder pour lui … lui sauver la vie. 5

Courir avec les LoupsJe n’avais jamais été aussi légère que dans ce rêve où mon vécus’offrait à moi de façon continue. Il défilait, nébuleux, presquepoisseux par endroits. J’avais du mal à y entrer cette fois. Il sedéroulait comme sur un vieux parchemin sur lequel se dessinaitmon destin, avec lui mon présent, mon passé. J’étais commedans la réalité à cette chose près que j’avais les yeux à moitiéfermés. Il y avait ce petit rien lumineux qui m’attirait au loin,vers cet obscur où je plongeais malgré moi pour le rejoindre peuà peu. Il m’entraînait tel ce papillon que je suivais lorsque petitelouve espiègle je le poursuivais, tentant de l’attraper. A cemoment du rêve, je souriais à cette apesanteur indéfinissablem’entourant de mystères insaisissables. Le sourcil froncé, lesoreilles dressées j’étais tout de même aux abois, comme quandmes parents me quittaient pour aller chasser. Je souriais de plusbelle à cet étrange néant mais si accueillant. Mes pattes del’avant se déplaçaient à la vitesse du vent, celles de l’arrièrecherchant à les rattraper. Je sautillais de temps en temps,allègrement. Plus je m’enfonçais dans mon rêve et plus monhorizon se dégageait. Mes gestes, tous mes gestes tenaient del’incroyable. J’avais la nette impression de voler par moments.Franchi le seuil de mon imaginaire, je me laissais porterdoucement par l’ensommeillement.Mais permettez-moi de me présenter voulez-vous. Je suis néede l’affection de deux êtres différents, dans une contrée àl’ensoleillement prolongé les jours d’été, aussi belle que mamère et imposante que mon père, j’apprenais auprès d’eux lesdivergences de caractère. 6

Dans mon comportement mais aussi dans mes manières, ilsm’affublèrent tous deux d’énergies extraordinaires. Robuste deconstitution et bien que d’aimable composition et de naturehospitalière, je devais à leurs pouvoirs respectifs et héréditairesd’être une espèce singulière. Elégante et têtue, bien quemâtinée, je dois bien avouer que plus d’un parmi les lupins metrouvaient une allure altière. Ma mère, une Louve comme on enrencontre peu, mon père un brave chien de berger que sonmaître entraînait à tuer, ses frères de la même lignée. Un peuplelointain et fier, libre et indépendant sur de nombreuses terres.Tous deux tombèrent amoureux en croisant leurs regardsmerveilleux, brillants comme le feu du soleil rougeoyant sur laplaine où furette le vent. C’est près d’eux et parmi cette meuteque j’ai grandi, entourée de nombreux amis dont mon père faitdésormais partie.Dans ce rêve qui m’enveloppait précieusement, je courrais àperdre haleine dans la vallée large et profonde où tous deuxm’emmenaient jeune louve durant leur ronde, m’enseignant lesrudiments de l’amitié entre deux mondes. Installéeconfortablement dans mes réminiscences, je galopais, degracieuse manière, le corps léger, frissonnante, la gueuleentr’ouverte à l’épanouissement, la langue pendante et lesoreilles couchées, je vibrais toute entière sous mon être haletanten suivant la meute de mes frères Loups. L’air était frais, le cielchargé de sombres nuées dispersées çà et là découvrant un pleinde Lune bleutée. Mes pattes en se mouvant allaient bien plusvite qu’elles le pouvaient essayant j’en suis sûre de rattraper letemps. 7

Mes lèvres puis mes joues avec elles s’agitaient sous le soufflepuissant s’exhalant de ma poitrine oppressée par cette coursefrénétique. Par instants, une voix venue de loin cognait aupavillon de mes oreilles qui instinctivement se levaient. Bienqu’elle soit imperceptible elle était audible et me faisait presqueperdre l’équilibre tandis que je me retournais sur cet écho mesemblant être une voix humaine. Je ralentissais mon allure tantla voix insistait ! Mon corps sans doute arrachant quelquesgémissements après tant d’efforts me dis-je l’espace d’uninstant. Cependant qu’elle ne me lâchait pas, m’interpellantsouvent au point que je freinais mon allure au risque de perdrede vue mes amis. Grande était mon hésitation à l’écoute de cetappel persistant. La meute elle prenait ses distances, s’éloignantde plus en plus. J’étais si intriguée et perdue dans mes pensées.Finalement, la horde ayant disparue de ma vue, je décidais destopper ma course à la lisière d’une forêt. La clairière étaitlumineuse à souhait, teintée de mille reflets. Flairant tout autourune quelconque odeur, un souffle inconnu de moi, je m’asseyaissur le bord de l’eau claire de ce joli coin discret. J’écoutais dansle silence cette voix résonnant fort à mon oreille, sourde ouclinquante, je dirais même étincelante tant je la sentais. L’eauruisselante apaisait ma belle énergie et je me rassurais en medisant que les miens me retrouveraient bien assez tôt … ilsuffisait de chanter.J’humais avec joie l’air de cette trouée hospitalière en suivantmon rêve tel qu’il s’installait. 8

Je regardais s’écouler la rivière et me sentis soudain attirée parelle et son cours tortueux. M’approchant d’elle pour y boire unpeu, j’eus une soudaine envie de plonger mon museau, puis matête. Puis ce fut au tour de mon corps tout entier.Cela faisait du bien après cette longue chevauchée. J’étaisheureuse, si heureuse ! Je n’ai pas vraiment compris pourquoien remontant sur la berge, j’avais entre les mâchoires un galetque je posais doucement sur le pré. Après m’être ébrouée, jeregardais la pierre avec étonnement et replongeais une nouvellefois instinctivement dans le courant pour en sortir une seconde... puis une troisième et une quatrième … et ainsi de suitejusqu’à former un cercle avec à son devant une ouverture. Je necessais de faire chaque fois les mêmes gestes, entrer dans l’eau,en ressortir avec un caillou, petit ou grand ou plus gros, peuimportait. Sortie de l’eau, je les posais délicatement, les uns prèsdes autres, proches ou éloignés, alignés subtilement, à desendroits précis qui me furent soufflés par je ne sais qui, je nesais quoi ! Tout cela formait des figures, les unes arrondies, lesautres droites, des angles ouverts à l’infini au bout de cesdernières. Des figures géométriques, toutes dictées par je ne saisquel élan magique. Je n’en revenais pas. Et toujours cette voixamie, tout près de moi, indéfinissable et si agréable. Elle meparlait. Je sentais à présent cette évanescence se prolonger surmon pelage et caresser mon corps avec tant de douceur qu’elledevenait perceptible. Une présence. Elle était là, dans monsillage, mon odorat ne me trompait pas. 9

Soudain le chant des Loups au loin me fit sursauter … la Luneà son zénith disparaissait. L’appel se faisait pressant, il mefallait partir, rejoindre mes amis, mes parents. Je repris macourse folle, le cœur battant à tout rompre dans ma poitrine,j’abandonnais cette aire reposant non sans jeter un dernierregard sur les galets que j’avais déposé ... et ô surprise, unvisage connu m’apparut, celui de l’humaine qui fut mon amie,regardant vers l’infini, le chemin fléché par mes cailloux. Assisedans le cercle formé par moi, elle pleurait. Je ne saurai jamaispourquoi. Je ne sais pas non plus quel est ce rêve ni où ilm’entraîne, si j’ai rendez-vous avec la mort et ma délivrancemais ce que je devine tout au fond de moi, c’est que j’ai courupour les rattraper et que me voilà à la frontière de l’au-delà,laissant mon amie là. A Belle. 10

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A mes amis les Loups … qui n’ont de sauvage que le mot.J’ai capturé la lumière et du fond de mes yeux la libère pouréclairer les cieux. Dans ce monde animal où je me meus, encompagnie d’êtres épris tout comme moi de liberté … noussommes les survivants d’une espèce trop tôt en voie dedisparition si vous les êtres humains ne faites rien afin que nouspuissions la vivre dignement. Nous sommes les enfants d’uneNature généreuse, tout comme vous ses habitants, appelés à lasentir bouger en nous, à la chanter autour de nous peu importele temps et les années qui vont passant, d’une génération àl’autre tout comme vous, née pour nous rappeler les souvenirsgravés sur nos chemins entrelacés, sur tous les éléments croiséslors de nos pieux égarements tandis que décidant de notre mortvous en faites un heureux évènement. Je suis Loup certes, surune terre devenue hostile à ceux-là qui courent librement soustous les vents, de la lumière du jour que j’emprunte pour vousfuir à celle de la nuit que vous fuyez à votre tour de peur qu’elleprovoque le flou dans vos esprits atteints de cécité. 12

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A chacun son LoupUn berger tueur de loups s’étant fourvoyé dans la grande forêtabritant ces canidés depuis de très longues années, se trouva fortdépourvu de mots et d’atouts pour expliquer à la meutesubrepticement rassemblée autour de lui, qu’il n’était pas là telun ennemi juré mais bien comme un émissaire venu auprèsd’eux négocier. Proposer en effet une nouvelle ère qu’il désiraitplus hospitalière entre les loups et les hommes forcés de secôtoyer. Se voulant rassurant bien qu’étant quelque peu effrayéface à la horde rapprochée le fixant avec insistance, il prôna latempérance, cette vertu dont tout le monde doit se flatter ainsique de la tenue dans ses manières pour rendre les choses moinsaustères, malgré une arme sur son épaule posée. Peu rassuré toutde même par ce discours que lui seul entendait, le chasseur futtroublé à la vue de cet attroupement dont il n’attendait rien debon ; s’emparant de son escopette, il l’arma lestement prêt àfaire feu le cas échéant. Le fusil serré entre ses deux mainsmoites et agitées, persuadé de trouver dans le regard des loupsune certaine hostilité, il les observa de la seule façon qu’ilcomprenait tandis que ceux-ci, en groupe serré, peu à peul’encerclaient. N’y tenant plus et craignant pour sa vie, il agitason arme levée devant lui. Sans menacer son adversaire maistout en prenant de l’avant et bien sûr, dans le but de protéger sesarrières, il tira un coup de semonce afin d’effrayer les bêtes quisûrement l’enserraient… A cet éclat saisissant et plusqu’assourdissant, que les loups connaissaient pour l’avoiressuyé maintes fois, aucun ne bougea, si ce n’est celui que l’onnommait Alpha. 14

Alpha, une Louve en vérité, des plus fascinantes, protectrice etmère de ce clan comportant nombreux de ses enfants. Elle et lessiens et comme avant eux leurs parents, tous étaient nés sur cetteterre, de l’un à l’autre de ses horizons où se forme la lumière àchacune des lisières de l’ineffable paysage qui ne connu jamaisde barrière. Fille, sœur puis mère à son tour de ce peuple libreet si fier, Alpha se souvient des promenades de naguère dans lesvastes prairies où se créent les colonies, paisibles et peusoucieuses alors de leur agonie. Un peuple vivant et prospère,prudent mais si curieux des choses vraies comme deséphémères. Des hordes de louves et de loups entourés de richesverdures où s’élancent et se côtoient la faune et toute sorted’animaux, où se dressent les fleurs, l’enivrante nature, d’oùs’exhalent des milliers de senteurs, de la profondeur de ses boiset bien au-delà des frontières, avant que l’homme ne s’installepour y poser ses repères, définies par lui et pour les êtres commelui. Lui, l’Homme, incrédule et superstitieux, devenuprétentieux à force de s’enorgueillir au fil du temps, de plus enplus menaçant envers sa grande famille, les femelles et lesjeunes loups, obligés tout comme elle lorsqu’elle n’est pasdécimée, de fuir ces havres où ils trouvaient la paix pour seréfugier à l’ombre des forêts, loin des clairières et des douceslitières où tous s’abandonnaient pour de nouveaux jeux, parfoisdes ébats amoureux.La vieille Louve s’approcha lentement du berger, le pelageassombri par la nuit, aussi légère qu’elle lorsqu’elle s’assoupit,lui souffla dans un long grognement cette partie des émotionsqu’elle gardait pour elle depuis trop longtemps. 15

Le regard oblique et les yeux phosphorescents, appuyés surceux de l’homme fasciné, elle lui murmura presque sous le nezquelques bouffées de colère dont elle avait le secret. Après avoirinspecté son habit du bas vers le haut, reniflé longuementchacun de ses aspects avec les usages dus à son rang, Alpha sefrotta contre lui sans intention de l’offusquer.Cette approche effectuée selon les rites de la communauté, ellese figea face lui pour enfin lui parler. Dans une plainte elle luidemanda pourquoi ce coup de fusil qui apeure et que redoutenttous les habitants de la forêt, pourquoi tant de tremblements etde crainte dans sa voix. A ces mots surgis de nulle part, le tueurfut saisi d’effroi et de frissons le gagnant jusqu’au front… ilsuait tant qu’il en perdit la sienne tandis qu’Alpha serapprochant de lui, montra ses crocs joliment polis alors que sonpoil se hérissait longuement sur un corps qu’elle savaitimpressionnant. Elle lui posa d’autres questions en le priant dese saisir des mots qui tiennent dans son vocabulaire qu’elleavoua limité, pour exposer sa venue et la raison de celle-ci. Ense pressant à nouveau contre lui, elle fit preuve d’un infinirespect puis demanda à son clan de faire quelques pas en arrièrepour le laisser respirer. Après avoir fait preuve d’autorité auprèsde ses compagnons puis rassuré plus ou moins le larron, elle lepria de s’expliquer pour de bon sur les motifs de son animosité.Le souffle coupé et la voix prise de bégaiements, le berger futmal en point jusqu’à ce que la Louve s’assoie gentiment près delui, puis, changeant son comportement, elle lui glissa dansl’oreille dans un long hurlement qu’il n’avait rien à craindred’elle ni des membres de son clan. Le berger quelque peuapaisé, s’assit à son tour et chevrotant à demi mots, commençaà s’exprimer. 16

Il raconta à Alpha les exploits que les loups faisaient en pillantson troupeau de moutons et de chèvres qu’il tenait dans un préen été ou dans la bergerie lorsque l’hiver est venu, qu’il n’enpeut plus de ce harcèlement de tous les instants car ses précieuxovins servent à alimenter une population de pauvres paysans.Qu’il a tout comme elle une famille à nourrir avec la viande etle lait fournis par ses animaux patiemment apprivoisés ; demême que leur toison sert à couvrir tout ce petit monde quil’entoure.L’homme se laisse à raconter ses motivations et le pourquoi desa colère qui le pousse à tuer les prédateurs que sont les loupslorsqu’ils s’en prennent à son bétail.Le laissant parler, La Louve écoute sagement l’être humain puiselle se lève enfin, le museau collé à son nez, le regard acéré,pointé sur les yeux du berger, elle rehausse ses lèvres qu’elleretrousse largement en lui montrant une nouvelle fois sonéclatante dentition. Puis à son tour elle donne les raisons à sesyeux essentielles, qui font que les Loups doivent se nourrir,mais à leur façon, naturellement, pas plus que de raison et avecles seuls moyens qui leur sont offerts, leurs évidencescarnassières. Qu’ils sont prédateurs depuis la nuit des temps etchasseurs pour ne pas mourir de faim, dans des lieux à présententièrement envahis par les humains. Elle se fit pressante en sefrottant à lui, qu’elle dominait à présent en montrant ses crocsdevenus menaçants.« Vois-tu, dit-elle à l’homme pétrifié qui n’osait plus bouger,nous ne tuons pas n’importe où, n’importe comment etn’importe qui nous !!!!Quant à toi, tu occis mes enfants… depuis déjà longtemps… etcela je ne puis plus l’accepter. Nous ne sommes coupables de 17

rien de ce que tu viens de citer … car nos besoins ne sont pasceux des humains, et si nous chassons, c’est légitimement quandvous êtes responsables de bien des irrégularités et de torts dansun monde si diversifié qu’il est autant celui de l’animal et duvégétal que celui de l’Homme. »Le berger se redressa et se tournant vers la meute qui l’écoutaitles oreilles largement dressées, lui demanda pardon pour tout lemal qu’il avait fait ; s’adressant à Alpha, les yeux rougis, ilpromit que plus jamais on ne le reprendrait à tuer un loup égarésur son pré, ou un quelconque animal qui viendrait se nourrirpuisque c’est lui-même qui dès le lendemain subviendrait auxbesoins de la meute ici présente.L’histoire ne dit pas comment le berger s’arrangea pouralimenter ces merveilleux animaux, mais si vous passez par cetendroit et que vous entendez chanter le Loup, ne craignez pasde lui, il remercie simplement son ami le berger.Un conte pour croire que l’Homme n’est pas un Loup pourl’Homme, pas plus que l’homme n’est un prédateur pour cemagnifique animal. 18

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HurlementsJ'hurlais à l'orage qui faisait rage aux abords de la tanière où lesp'tits loups dont je suis la mère se plaignaient de bien bellemanière pour m'accompagner..... waouhhhhhhhhhhhhhs'écriaient-ils longuement, la tête hors du gîte confectionnéhâtivement avec mon compagnon de misère. Les temps étaientrudes sur cette Terre depuis que l'homme avait dressé desbarrières en séparant l'un après l'autre tous les paysages qu'ils'appropriait. Aux limites de chacun d'eux il y déposa desfrontières, y installa des barbelés auxquelles nos pelissess'accrochaient ouvrant sur nos corps de larges plaies. Seuls lesgrands solitaires osaient s'aventurer sur les plaines peu arboréesoù leur pitance paissait sous le regard bienveillant d'un cousinéloigné, que l'on appelle chiens de berger ou plusprosaïquement, patous des Pyrénées ! Ces parents nousdevenaient familiers, bien plus corpulents que nous, ils semontraient avisés, mais plus que tout ils étaient bien nourrisquand nos estomacs se fermaient chaque jour un peu plus. Sinos amis les loups, de toutes nationalités étaient rusés, ceschiens là aussi avaient du flair et l'oreille si fine qu'un souriredans la brume les interpellait. Ils aboyaient alors avec insistanced'une voix lourde qui réveille les consciences. Celle du bergeren l'occurrence qui s'armait aussitôt d'une machine à tuerservant aux coups de semonces mais aussi à déchiqueter les plushardis, les plus affamés d'entre nous. 20

Que me sert de hurler à la Lune ce monde sans pitié pour lesLoups, elle est absente, mais elle luit fort au fond de mesyeux quand je peux mordre et tuer mais jamais ne le fais, ceshommes vaniteux ivres de brutalités, rompus à châtier autrui sursa route vaine et faite de doutes, salir et maugréer pour la vomirsur nous sa bestiale identité faite Homme ... 21

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La Louve et la LicorneSur la plaine couleur d’hymen, marchant vers la lointainehorizon, une Louve avance vers le soleil couchant. Le museaubas sous les frémissements du vent, les yeux fermés sous despaupières empesées par les ans. Le pas lent, elle chemineportant sur elle de glorieuses années. Suivant le tracé du destin,elle se rend sur ce lieu sacré où s’éteignent les âmes après lescorps … las d’exister. Du plus jeune au plus ancien, chaque loupde la meute, frères, sœurs et enfants, tous la regardent s’éloignertristement. Sur la brise effleurant son visage avenant,soigneusement blanchi par les ans, lui parvient parfois le chantde l’un d’entre eux, malheureux. Pourtant, elle ne se retournepas préférant aller de l’avant car tel est le sort réservé aux êtresdéclinants, appelés à ne point faillir, ne faisant pas subir leurtriste sort, ni faire du tort au précieux clan. La vieille bête bienqu’inquiète avance résolument, luttant contre ses proprestourments, son passé qu’elle ressasse, un présent qu’elle admet,un avenir à présent inexistant. Sur la plaine couleur d’hymenqu’elle traverse lentement, lui parvient les effluves de sesnombreux embrasements tandis que jeune louve, la courtisaientses amis, ses amants. Elle s’entend chanter les soirs de Lunenoire assise sur le grand rocher ses rêves dérisoires appelant lalumière à se poser sur la Terre, hurler ses souhaits profonds etsacrés afin qu’ils ne soient plus éphémères. Sur ce cheminsinueux, tortueux par endroits dont le bel animal connait l’issuefatale, des petits bonheurs en pointillés bordent sa route toutetracée … des petites joies brodées ici ou là, qu’elle savaitlimitées certes mais qu’elle a tant appréciée … savourantchacun d’eux même s’ils étaient suivis de pleurs comme en ce 24

moment tandis que se rapproche d’elle sa dernière heure. Leslèvres plissées, elle semble sourire à ses plus beaux souvenirs.Levant la tête pour regarder au loin, dessiné sur ce futur qu’ellesait sûr, un arc en ciel ouvre grande son embrasure étincelante.Sur ces couleurs chatoyantes, d’une majestueuse couronnedigne d’allure, la Louve étonnée se fige puis admirative prendle temps de s’asseoir face au gracieux phénomène qui la laissesans voix. Présageant qu’il s’agit là de ce destin auquel elle doitfaire face, elle se lève, puis reprend sa marche vers son insignetrépas… La bête franchit l’arc illuminé rejoignant ce qu’ellepense être l’au-delà.L’œil moins vif qu’à ses jeunes années mais le flair aussiprompt à sentir que jamais, elle hume quelques embrunsdécochés par une cascade aussi jolie qu’elle fait du fracas.S’approchant d’elle et de ses chutes d’où s’échappent lesprécieuses gouttelettes, la Louve flaire une humeur qu’elle neconnait pas … une odeur vague et plaisante lâchant sur elle desfragrances odorantes. Ce lieu est providentiel se dit-elle engonflant son poitrail recueillant les arômes frêles. Elle peutmourir en paix sous ce ciel et cet aura l’invitant à l’éternel, rienne peut être plus beau que ce moment touchant et solennel.Cependant que son instinct lui dicte de se méfier d’une présenceinconnue d’elle. Après un bref soubresaut, elle entend une voix.Soulevant ses babines montrant ses belles canines, la Louvepenche la tête vers la voix qui l’invite à se rapprocher d’elle.Cette voix si douce parait être plus un murmure à son oreille,aussi s’en inspira-t-elle pour étouffer sa crainte et enfin s’enapprocher. 25

Un cheval … cela n’est qu’un cheval pense la Louve enapercevant la bête de plus près… d’une fière telle et si blancheque sa toison l’aveuglait ! Mais sa surprise fut plus grande envoyant la longue corne posée sur le front du majestueux animal.Es-tu venu pour moi interrogea la Louve à l’être merveilleuxsans lui montrer son effet ? Oui, je suis là pour t’aider à franchirle pas dit la Licorne à la Louve soudain sublimée par la belleapparition, mais pas celui que tu crois. Je ne connais rien de telque ce merveilleux instant repris la Louve et franchir le pasauprès de toi m’ôte toute peur … ainsi je ne crains plus rien nimême quoi que ce soit dans ce magnifique endroit ! Après avoirinvité la Louve à la suivre et franchi toutes deux la cascadeécumante, écouté ses rumeurs rugissantes et s’en êtregrandement imprégnées, l’une et l’autre en sortirent ens’ébrouant.La Licorne réjouie par la nouvelle vie, s’évanouit doucementsous le regard brillant de la Louve toute entière rajeunie… retournant vers sa meute prestement !Je suis Louve et quelque soit le lieu où je me trouve, mon regardse fait discret, rassurant tandis que traversant le temps, ilretrouve le néant, pénètre vos cœurs jusqu’à atteindre vos âmesfacilement pénétrables mais si vulnérables tandis que vous êtesconfrontés aux tourments provoqués par votre inclination àpropager les funestes sentiments ici où là sur bien des horizonsque vous faites vôtres au détriment d’une Nature bienveillanteà ses précieux environnements. 26

Oui, je suis la Louve et peu importe où je me trouve, je marchesur vos pas et de mon flair piste vos intentions de nuire tandisque loin d’harmoniser vos émotions afin de les rendre utiles ausort qui vous attend vous dictez péremptoirement des sermons,haussant le ton, ici où là sur cette terre de bienfaits que tant defois vous malmenez… 27

La Louve et l’AngeCe matin je me suis frottée le dos; comme à mon habitude, surla terre mouillée, je suis restée longtemps ainsi à gigoter, à melisser le poil et le brosser à ma manière, en tortillant mon corpshistoire de le décrisper, sous le regard émue de mon amiel'humaine, qui souriait béatement en me voyant me trémousser.Puis je me suis levée promptement sur mes quatre pattes et mesuis dirigée vers elle... j'ai appuyé ma langue longuement sur sajoue puis elle m'a serrée fortement dans ses bras en me disantdes mots d’amour je crois. Soudain, une avalanche degouttelettes, qui tels des ornements, précipita sur nous la pluietombée des nues. Nous nous enfuîmes alors, moi en jappant,elle en riant de ce jardin noyé sous un torrent d'averse quidevenait providentielle.C’est alors que moi la Louve je me mis à penser, un Louvepensante, dans un jardin d’Eden, où l’amitié nous prenait par lessentiments. A présent réfugiée elle et moi, de ce déluge déversé,les yeux levés au ciel, les oreilles en arrière, assise sur monpostérieur, il m’arrivait souvent de détourner la tête et regardervers elle, mon amie de toujours, cette femme qui ne disait rien,mais qui tout comme moi était plongée dans ses pensées. Lesoreilles aux aguets, le nez très aiguisé aux humeurs qu’elledaignait parfois partager avec moi, je percevais ses soupirsintérieurs. Elle était fine mon amie, elle paradait en faisant minede ne pas se soucier, en oubliant qu’il m’arrivait à moi aussi deréfléchir et de la sentir aussi loin que la conduisent seségarements. Que je pouvais de mon nez perspicace et de monodorat, humer tout à loisir ses douleurs ou ses joies. 28

Elle avait beau me les cacher, ses sentiments, elle oubliaitsouvent que j’étais Louve et que de mon instinct moi je faisaistout ce que je voulais. Elle pensait si fort aujourd’hui que je lapercevais sans faire le moindre effort. Elle s’éloigna de moi, elleétait partie loin, voyageant dans le temps, pour sortir d’unroncier un humain tout comme elle et qu’elle voulait aider, neserait-ce que moralement. Ah, les humains, pudiques et sicritiques à la fois, l’esprit déambulant, d’un vase à l’autre pourqu’ils deviennent enfin communicants… Je l’entendais si bienà présent que mes oreilles se dressaient ; ce garçon là, elle levoyait… tout comme moi elle le sentait, têtue, il lui fallait allerau bout des émotions qu’elle ressentait.Il était tel un Ange, mais il était malade, quand les anges eux nele sont pas !!! Il était atteint du Sida… il venait de l’apprendreet devant son miroir, seul et abandonné, ne subsistait aucunetrêve, il en était désespéré car il ne vivait pas un rêve. Il déliraità moitié nu mais sans déraisonner, il cherchait à se souvenir dujour de son plus grand désir en se fermant les yeux comme poureffacer de sa mémoire les instants douloureux qui le suivraientjusqu’à son désespoir, agité sur un lit devenu un mouroir. Il sesentit alors partir, ne plus s’appartenir… la maladie ayant avecpassion pris possession de lui, il se mit à pleurer et elle levoyait ! Elle me sidérait, cette femme là, celle qu’un jour je prisd’amitié, un jour qu’au hasard d’un chemin, et après que l’onm’ait abandonnée moi aussi, je devenais la Louve à ses côtés,elle avait presque autant de flair que moi…. 29

Elle tremblait à présent en pensant au roncier qui peu à peu dansle miroir entourait le malade le griffant de toutes parts jusqu’àle faire saigner, l’empêchant de sortir, et même de se mouvoir…elle se mit à hurler, tout comme moi, posant délicatement samain sur mon crâne, elle me caressa, d’une telle ferveur qu’elleme fit presque peur, à moi la Louve. Alors, nos regards seposèrent l’un sur l’autre pour ne plus se quitter, nous restâmesainsi elle et moi un long moment, jusqu’à ce qu’à mon tourj’aperçus l’Ange, il n’était pas déchu… simplement fatigué. Ilavait entendu l’appel de la forêt… il savait que nous étions à sescôtés… elle et moi, que son identité bientôt lui serait rendue,nous étions tous trois assemblés maintenant, courant et riant ausoleil, sous le bel arc en ciel… nous existions !!! 30

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La forêt où tout s’endortNous allions ma Louve et moi respirer l'air de la forêt,embrasser du regard ses doux reflets, épouser dans le silenceson étrangeté et nous enrichir de l'odorante présence surgie dela terre où s'assombrissent les mystères. Nous allions par lesobscures allées sur un sol embourbé où nos pas se dérobaient, àla rencontre de celle qui m'invite à partager chaque saison et sesdivers apprêts.Mon cahier d'écolier sous le bras, ma Louve à mes côtés jecheminais sur les sentiers que côtoient les fourrés déprimés parla morte-saison, en écoutant les soupirs que me livrent lesarbres, immuables majestés enlacés par le lierre toujoursenamouré. Les plus âgés des arbres, revêtus d'un long manteaud'hiver semblaient suffoquer sous ces tiges ligneuses enracinéessur eux. Sur le tronc de l'un d'entre eux, où se lisent les lignesdu temps, je m'appuyais l'espace d'un instant. L'oreille colléesur son flanc mes deux bras l'entouraient, j'écoutais le murmureque je pensais venir du vent, des branches nues d'où nulle sèvene coule plus. Je m'en voulais d'être attachée ainsi à lui, tel lelierre qui s'en nourrit, mais je sentais de vagues mouvementsqui m'attiraient vers lui. Des voix me parvenaient de cevieillissement qu'il me fallait éprouver, aussi dans un baiserm'enquis-je de sa végétale santé.Ce fut un murmure comme une complainte émise de son écorcejusques à ma figure qui répondit à mon étreinte. La plainte d'unarbre vieillissant mais preux, s'élevant vers le ciel où les âmesl'appellent. 32

Il gémissait sans doute depuis de long mois dans son troncdevenu creux. Il me conta les nombreux exploits qui legrandirent maintes fois auprès des peuples d'autrefois, sesblessures profondes refermées sur son corps, ses vertigineuxémois et enfin ses lents ébats avec celui qui irait au trépas s'il nes'attachait pas de ses racines à sa cime, en lui promettant sanget vie, lumière et eau ; des mots dont l'arbre alors fleurissant nese souciait guère puisqu'il était fait de cette matière comme lui,d'une origine disait-il qui comme lui se serait assoupie les jourset chaque nuit d'hiver.Mais me confia-t-il, il y eut trop peu de méfiance de notre partà nous anciens de la forêt dont la souche se meurt quand le lierrenous envahit en s'enrichissant de nos pleurs. Merci à toi fille delumière, me dit-il, de nous rendre visite dans ces bois oùnaissent les légendes, merci d'avoir posé tes pas sur le sol oùdoucement je m'enlise, où le parasite qui me grise m'enterremalgré moi dans cette terre où je ne puise plus aucune énergie.Sur ces mots l'arbre se tut, son œil se referma sur une larme quime parut être un long sanglot. Puis un silence troublant s'installadans la forêt de Morte Bois ...Belle ma Louve s'approcha de nous, elle me sourit comme ellele fait à chaque fois lors de rencontres qui s'interposent entreelle et moi. 33

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La magie de NoëlNous promenant dans la forêt que nous côtoyons ma Louve etmoi quelques fois, entourées par une nature figée par le froid,nous marchions en pressant le pas, rendre visite aux hôtes de sesbois. Sur ses chemins peu éclairés le silence nous entourait,faisant peser sur nous la masse informe d'un brouillard surgit denulle part. Dans ce matin blafard qui m'enlevait tout espoir devoir bouger la vie et se profiler le hasard, je frémissais encheminant, ma Louve à mes côtés, heureuse elle de déambuler.Les seuls bruits rassurants de cette forêt étant ceux des branchesgelées qui craquaient sous mes pas empesés, et le souffle de mavoix qui murmurait pour me tranquilliser, j'allais néanmoins del'avant, l'esprit libre et réconfortée par de chauds vêtements. Delisières en clairières, aux sous-bois que le givre maintenait soussa loi, je demeurais attentive au moindre souffle qui s'adressaità moi... Présent partout, jusque sur le chemin que j'empruntaispour rentrer, le frimas m'alourdissait, il m'éblouissait à présenten déposant sur mes yeux une telle blancheur qu'elle noircissaitmon âme d'une certaine peur. Il s'en prit alors à mes doigts puisà mes membres pourtant couverts douillettement et qu’ilengourdissait ... puis à mon corps tout entier à qui il commençaità faire du tort : enfin, il me glaçait tant que je sentis le remordspoindre sur moi me reprochant d'être sortie sans craindrevraiment de lui. J'étais à ce point aveugle et tétanisée, et moncorps disloqué, que j'invitais ma Louve à arrêter le pas et venirtout près afin de me réchauffer. Ce qu'elle fit de grande joie. Lesilence pesait plus encore sur mon être dans ce décor où lebrouillard était plus dense que jamais. 36

Agenouillée près de ma Louve, je la tenais fort serrée contremoi pour sentir sa chaleur redonner la vigueur qui manquait àmon cœur. Quelque peu revigorée, je m'appuyais sur elle pourme relever lorsqu'elle hurla soudain de sa divine voix enregardant vers le ciel ce qu'il avait d'éternel.Elle ne faisait pas cela souvent et son chant à ce moment étaitsi émouvant que je fus saisie d'effroi en même temps que defroid. Sa voix s'éteignit lorsqu'une autre me dit : « BonjourSamie... nous sommes heureux de vous rencontrer, ta Louve ettoi... »... Mon effroi tomba de mes yeux à ma voix qui ne savaitque balbutier... et comme je contenais cette crainte accumuléedepuis le début de la randonnée, je cessais de respirer le tempsde me retourner et de prendre une bouffée d'air ... totalementfrais. Dans cette atmosphère de désolation, devenue épaisse etsoudain noire, imaginez un peu mon émotion. J'entendaisprononcer mon nom dans ce désert de solitude où la vie s'étaitassoupie. J'étais tremblante n'en doutez pas, ma Louveconsternée mais plus confiante que moi. La voix reprit, puispetit à petit le brouillard se dissipa ; alors celle-ci m'invita àm'asseoir dans la ronde de l'Espoir, ce que je fis au plus tôt enentendant ce mot plein d'esprit. Belle hurla une seconde foispuis elle s'assit tout près et d'une lippe me confia son bonheurd'être là. Alors puisque Belle était bien... il n'y avait aucuneraison que je ne le sois pas ! Quelle ne fut pas ma surpriselorsqu'assise et le voile de brume levé, je vis autour de nouscette fameuse ronde de l'Espoir... 37

Il y avait là, tous les animaux de notre forêt, deux biches, deuxlièvres vagissant et leurs petits, un faisan et sa compagnepiaillant tout ce qu'ils savaient, une fouine accompagnée d'unfuret, un renard à la queue fournie qui avait l'air un brin rusé, unécureuil, les oreilles droites prêt à écouter, une chauve-sourisprécieusement attachée à une branche gelée, elle tremblait bienplus que moi, une mésange apprivoisée mais si gonflée que jene la reconnus pas, le règne animal s'était donné rendez-vousdans ce carrefour de la joie, la taupe et aussi le mulot rongeantun reste d'arbrisseau.Nous tenaient compagnie le sanglier qui ronflait les yeuxfermés, une vache et son ami le chevreuil, un loup qui avait faitle déplacement à cet appel touchant... toutes et tous étaient làrassemblés au milieu de ce bois, les grands comme les petits...et il y avait moi ... qui n'en revenais pas, car toutes et touss'exprimaient comme vous et moi. Quelle cacophonie ce matinlà, dans la forêt, réjouie de nous entendre nous raconter, suivreà travers le brouillard et le froid la même direction : celle de nosespoirs... Après avoir bien palabré, un temps que je diraisindéterminé et je n'étais pas en reste croyez le, je suis rentrée,plus réchauffée que jamais, avec au cœur une sorte de douxémoi, le sourire attaché à mes pas et dans la voix une chanson,celle que nous entonnions tous ensemble avant de nous quitterpour de bon.Un conte qui ne raconte qu'une histoire, celle dont j'ai rêvé avantde vous retrouver. 38

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Femme et LouveDes ruines de l’inconscient féminin demeurent force et vitalité,des bien-être au quotidien d’une âme généreuse dont ilssouhaitaient le déclin. Au-delà des instincts de cette Naturequ’elle a su apprivoiser, la femme possède le savoir, la richessede l’esprit et son ouverture face aux malappris. Elle détient cepouvoir qui est celui de croire à l’immense bienveillancedormante en chaque être humain … puisque ce dernier est siendéjà dans son ventre puis sur son sein. Comme beaucoupd’animaux sauvages elle fut la victime de la civilisation, lecauchemar de bien des religions. Comme les Loups, la femmefut persécutée et pour bien des raisons, des cultures, des culteset leurs perfides oraisons, elle fut chassée de son humblemaison. Traquée comme les Loups et bien que mise à genou,écartelée, souffre-douleur de bien des majestés en leur temps, laFemme nous montre le chemin … d’hier à demain.Sur la plaine couleur d’hymen, sur la Terre mère, ô combiennourricière, ses collines rebondies et alourdies de cratères en feud’où jaillissent ressentiments et colères, je vis, moi la Louve quel’on dit solitaire. Sur cette terre, matrice ruisselante de sève,visqueuse et cristalline où chacun boit à sa source, dès lanaissance, de son ventre à ses seins gorgés de pitance dont tousavons besoin. Quand de ses entrailles à ses flancs nous soutironspour l’user ce cordon qui doucement se tarit pour n’être plusque le nombril d’un monde fragile… je survis. 40

Sur cette Mère féconde où toutes et tous sommes nés, entourésde vertus ensemencées de l’humus d’où jailliront des âmesfragilisées, les homoncules ou les gnomes, les insaisissablescréatures qui de leurs opercules enfermeront le monde, jeparcoure le tracé de mon destin pansant chaque plaie ouverte,croisées sur mon chemin. J’apprends de la terre à être fière sansêtre orgueilleuse, à fixer mes racines partout où mes pas meconduisent. J’apprends d’elle l’écoute, l’observance mais aussiles belles manières. J’apprends d’elle sa colère dans sestonnerres, ses frissons, ses tenues en hiver ou celles printanièresen passant par l’automne et l’été m’inspirant de douces prièresou encore à frissonner sous une bise légère. Auprès de ma meuteou en solitaire, j’apprends de la Terre plus encore, à humer pourchanter ses prières. A goûter à sa source le souffle du vent meprojeter au loin vers des âmes hospitalières comme vers leurscontraires. Je prends d’elle l’humeur caressante sous sesembruns lorsqu’errante, mon regard posé au loin, où sans nuldoute se trouve mon destin, d’où nul ne revient. Où mes pas meconduisent, je voyage, de la Terre en passant par la Mer et sesdoux rivages comme ceux empreints des ravages causés par desêtres soumis aux poussées de rage. J’apprends de la Mer biendes couleurs, du rouge au noir en passant par le gris ou encorele bleu et jusqu’à la Mer Morte les souvenirs qu’entre elles, ellestransportent, calmes ou démontées. 41

Puis durant mes longues promenades me conduisant bien au-delà des tourments emportés par le vent, lorsque posant mes passur un quelconque endroit reposant, observant vers le Ciel salumière et son obscurité, sa brillance stellaire et ses doux reflets,je vois dans le regard de celle ou celui qui me dévisage tout unmonde, celui de l’amitié quand sur d’autres je croise le feu, deslarmes, des grandeurs d’âme tandis que je soupire mepromenant sous la voûte d’orages où les éclairs sillonnent laTerre où je vis souvent en solitaire. Enfin, après bien deserrances j’apprends du Ciel les rêves et avec eux chaque Cieuxoù ils se sont posés, des cauchemars aussitôt oubliés dans cetteimmensité.Ce que je peux en dire après avoir traversé ce bel univers c’estque j’ai appris de mes voyages en solitaire, à travers chacund’eux qu’il suffit auprès d’eux d’ouvrir grands les yeux et aveceux grandes les oreilles afin d’offrir à mon cœur de quoi lerendre heureux ! 42

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La Louve blancheSur la lande couverte de bruyère, de l’horizon où naît la lumièrepour s’épandre dans les chaumières, à son zénith où, déclinanteelle s’obscurcit, j’erre. Sur les monts à l’appel de mescongénères, sur les chemins de l’un à l’autre de ces espaces quem’offre de suivre la Terre ; sur les sentiers bordés de clairièresoù abondent les ombres crépusculaires, j’erre. Créature pousséepar les voix malicieuses de ces petits êtres légendairesenvahissant mon imaginaire croissant sous ces troublantesatmosphères, j’erre. Et ce faisant, tout en promenant mon âmesolitaire, solidaire de toutes les meutes et des miens, je me livreainsi aidé par le murmure du vent, à provoquer l’enchantement.Des nuits de pleine Lune appesantie par la froidure sous un cielassombri de sombres ramures tandis que je l’observedoucement se glisser dans vos rêves souvent noircis d’élansfunèbres, que des mornes éclaircies vous suggèrent en soulevantle voile de vos chimères, j’erre. A l’affût de vos insomnies ettandis que vous vous sentez trahis dans ce monde de misère, lesuaire pauvrement posé sur vos corps délabrés tremblant desmembres à vos flancs, je veille sur vos réveils afin de libérervos esprits de la hantise de quelques maîtres furieux faisant fide vos souhaits de vivre heureux sur une Terre-Mère oùabondent hélas un trop plein d’ossuaires. Se croyant divins etsupérieurs, des sources où vous avez éclos aux ornières creuséesafin d’y déposer vos augustes chairs, ces êtres parés d’ors auxallures guerrières embrasent vos regards d’aveuglanteslumières, empèsent vos mains d’armes meurtrières faisant devous des boucs émissaires. 44

Des diaphanes ombrées aux lointaines abysses où ces voleursd’âmes vous invitent à séjourner à l’azur morne que vous êtesen droit d’espérer, vous gisez à présent en attendant de lalumière et de l’insigne souffle du vent qu’il vous transportejusqu’à mon chant. 45


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