52 / RecensionLa ligne de fracture dans la famille libéraleL’immigration enrichit le pays d’accueil par la capacité d’innovation qu’elle apporte. Mais cela implique nécessairementune remise en cause de ce qui existait auparavant. FULVIO PELLI, BEATRICE ACKLIN, YANN GRANDJEAN Extrait de «Que veut dire être libéral aujourd’hui? Les réponses libérales aux défis du 21e siècle». Editions NZZ.Dans«Queveutdireêtre pour une limitation de l’immigration s’installer n’importe où, amène d’autres libéral aujourd’hui» avec une réglementation migratoire qui enjeux. La question centrale est celle de (Editions NZZ), des va dans tous les détails? Au niveau du li- la réciprocité. Si l’établissement était intellectuels, univer- béralisme «pur», sans les «forces de frot- possible partout, dans le monde entier sitaires ou politiciens, tement» – si j’ose dire –, toute personne et sans frontière, cela finirait par s’équi- qui peuvent se dire li- qui a un contrat de travail, qui n’est ni librer assez naturellement, mais celabéraux, se confrontent sous la direction un cas social ni un danger pour la so- n’est pas possible, car la réalité et lesde trois éditeurs, Fulvio Pelli, Beatrice ciété, devrait théoriquement pouvoir «forces de frottement» sont ce qu’ellesAcklin et Yann Grandjean, afin de faire s’établir en Suisse. sont. C’est pourquoi je pense qu’uneressortir les points communs et les di- Tibère Adler: Je suis très proche, mais je règle directrice doit être le principe devergences qui structurent aujourd’hui la distinguerais deux notions: la libre cir- réciprocité consistant à accorder les pluspensée libérale en Suisse. Pour les édi- culation et le libre établissement. Tou- grandes facilités aux pays qui nous lesteurs, il ne s’agit pas de souligner les dif- tes les conventions internationales sur concèdent également.férences mais plutôt de mettre en valeur cette question n’accordent pas ces deux Claude Ruey: La politique suisse en ma-la vivacité que la pensée libérale peut droits. La Suisse est parvenue à un état tière migratoire est à la fois paranoïa-apporter aux défis du XXIe siècle. Cet de civilité tel que l’on peut imaginer que et schizophrène. Elle est beaucoupexercice se décline dans huit différents que chacun puisse circuler librement fondée sur la peur, celle de l’étranger etdomaines: la responsabilité sociale, la sur cette planète, même si beaucoup de celle de l’autre. Et, dans le même temps,migration, la sphère privée et le monde pays ne sont pas si ouverts. La liberté on tolère des centaines de milliers dedigital, la santé, la famille et les autres d’établissement, c’est-à-dire la liberté de travailleurs «au noir» qui sont en faitformes de vie en commun, la religion et «gris» dans la mesure où ils cotisent àles communautés religieuses, le droit et Tibère Adler est avocat et diplômé l’AVS et à une assurance-maladie et oùla démocratie, enfin l’environnement. d’un MBA. Il est directeur romand leurs enfants vont à l’école, ce qui est d’Avenir Suisse, think tank organisé sous une bonne chose.L’individu parfois est un migrant. Indé- forme de fondation à but non lucratif, Tibère Adler: Toujours à un niveau unpendamment du cas suisse, quelle devrait dédié à des études prospectives dans peu abstrait, je pense que le droit d’éta-être la politique migratoire idéale pour un les domaines politique, économique et blissement n’est pas un droit aussi fon-libéral tel que vous venez de le définir? social, inspiré par des valeurs libérales. damental et puissant que les libertés d’expression ou de religion qui sontClaude Ruey: C’est l’ouverture, la libre Claude Ruey est docteur en droit et ti- des absolus pour lesquels la réciprocitécirculation, le respect de la personne, tulaire d’une licence en science politique. n’entre pas en ligne de compte. On nedes identités et de l’Etat de droit, l’ha- Entre 1990 et 2002, il siège au Conseil va pas limiter ces dernières parce quebeas corpus, le droit d’être entendu, d’État du canton de Vaud où il occupe tel ou tel Etat ne les reconnaît pas àle refus de l’arbitraire, moins d’Etat et successivement la tête des départements un même niveau. En revanche, le droitde tracasseries administratives. La loi de la justice, de la police et des affaires d’établissement, plus lié à des facteursn’a pas à régler à proprement parler le militaires de 1990 à 1994, de l’intérieur physiques et pratiques, est à un niveaumarché du travail; elle doit veiller à la et de la santé publique de 1994 à 1998 où la réciprocité est exigible. préservation de l’ordre public et de la sé- puis des institutions et des relations On voit ici la ligne de fracture au seincurité ainsi qu’à l’intégration. En 1910, extérieures de 1998 à 2002. Pendant de la famille libérale, c’est-à-dire lel’immigration était plus importante par cette période, il préside le Conseil d’État rapport que les libéraux entretiennentrapport à la population qu’aujourd’hui. en 1995 et 1999 et le Conseil du Léman avec la nation. Si l’on considère que lesAvant la Première Guerre mondiale, de 1997 à 1999. Membre du Conseil droits des individus sont garantis dansla liberté de circulation était presque national de décembre 1999 à 2011, il un cadre national, alors il n’y a pas né-totale. Cependant, les migrants d’alors préside le Parti libéral de juin 2002 au 15 cessairement de liberté d’établissementappartenaient à la civilisation judéo- mars 2008 où il est remplacé par Pierre pour les étrangers. Une fois installés, leschrétienne. Devant les difficultés posées Weiss après avoir annoncé son retrait. étrangers bénéficient certes des mêmesaujourd’hui par le déficit démographi- droits que les autres, mais l’Etat décideque, comme le financement de l’AVS, souverainement qui entre ou non surest-ce que les libéraux peuvent plaiderAgefi Magazine | Journée des banquiers | septembre 2015
Recension / 53«La Suisse est parvenue à un état de civilité tel que l’on peutimaginer que chacun puisse circuler librement sur cette planète.Même si beaucoup de pays ne sont pas si ouverts.»son territoire. De l’autre côté, il y a l’idée des théories administratives. Revenons Claude Ruey: Je vais vous dire pourquoiplus «libertarienne» qui plaide pour une aux «forces de frottement». Est-ce que je n’y crois pas. Certaines valeurs sontliberté d’établissement pleine et complè- la pensée libérale, avec sa dimension universelles. L’idéal des droits de l’hom-te des individus quelle que soit leur ori- fortement économique, voire matéria- me est très largement partagé, même sigine. Toujours d’une manière générale, liste, est à l’aise à l’égard d’un certain ces droits ne sont pas appliqués partout. comment voyez-vous l’immigration du nombre de valeurs non matérielles qui Et puis, la remise en cause peut aussi ap-point de vue économique? s’expriment dans la société? Est-ce que porter un enrichissement. Les Hugue-Tibère Adler: Pour l’essentiel: amener des les questions d’identité ou d’insécurité nots ont quand même grandement en-compétences et des capitaux que nous culturelle trouvent leur place dans la richi la Suisse! Et les études ont montrén’avons pas. La dimension immatérielle pensée libérale? par exemple que les Romands mangentde l’immigration doit s’exprimer dans la Claude Ruey: Cette question est liée à la mieux depuis qu’il y a eu l’immigrationpolitique d’asile, qui doit être conduite nécessité de l’intégration. Aujourd’hui, venue d’Italie et des autres pays médi-selon d’autres principes. on est confronté à la question de l’Islam. terranéens. Le vrai problème, c’est leDonc une politique migratoire ciblée ou La libre circulation doit quand même rythme de ce processus. sélective… être conditionnée par un certain nom- Tibère Adler: C’est effectivement uneTibère Adler: Selon ma philosophie, les bre de règles, comme la langue, l’Etat question de dynamique et de statique. choses s’équilibrent naturellement par Le problème migratoire n’est pas stati-les besoins exprimés par les individus et Le problème migratoire que. On ne peut pas bloquer la situation. les entreprises elles-mêmes. n’est pas statique. On ne C’est une dynamique dont le rythmeSans tomber dans un discours trop ex- peut pas bloquer la situation. peut varier. On peut tenter de la régulertrême, on peut dire aussi que si le sys- C’est une dynamique dont un peu, mais c’est tout, car les moyenstème social suisse est trop attractif et si le rythme peut varier. d’influence qui existent sont limités. Lel’on ouvre les frontières, on attire néces- problème qui se pose en Suisse est jus-sairement des gens dont on n’aurait pas de droit et la démocratie, dont le respect tement celui de la vitesse de l’immigra-forcément besoin. peut être exigé et qui doivent au moins tion et du rythme de son intégration. Claude Ruey: Je ne suis pas tout à fait être enseignées. Sur un autre plan, il Claude Ruey: A cela s’ajoute la recher-d’accord. Comme je le disais: si vous faut faciliter la reconnaissance des com- che du bouc émissaire. Le libéralismeavez un contrat de travail et donc de pétences professionnelles des immigrés a triomphé du communisme et, sansquoi subsister, il ne devrait pas y avoir qui peuvent se trouver «sous-employés» adversaire, on ne voit plus que ses dé-au moins théoriquement de limite à en raison des difficultés administratives fauts. Et on attribue à l’immigration lesl’immigration, parce qu’il doit aussi y en la matière. craintes liées au développement, lequelavoir de la concurrence entre les agents L’immigré apporte sa capacité d’inno- amène nécessairement des inconvé-économiques sur le terrain. Car, au vation et son énergie qui font défaut nients comme des trains où l’on restefond, qui peut décider si quelqu’un est dans le pays d’accueil dès lors que le debout… Et il y a surtout des retards«hautement qualifié» sinon le marché? marché l’appelle. L’innovation suppose dans les investissements, ce qui n’a rienDans ce sens, les prestations sociales nécessairement une remise en cause de à voir avec l’immigration. ///entrent moins en ligne de compte. Par ce qui existait auparavant. Au sein decontre, on doit pouvoir refuser ceux qui l’entreprise, elle implique de bousculer FULVIO PELLI,viennent seulement chercher l’aide so- les habitudes et les routines. Cela per- BEATRICE ACKLIN,ciale, ce qui est d’ailleurs possible dans met à l’entreprise de s’enrichir, mais cela YANN GRANDJEANle cadre des accords bilatéraux. peut aussi déstabiliser les individus qui Que veut dire êtreTibère Adler: Je pense que nous sommes la composent. On retrouve ce phéno- libéral aujourd’hui?d’accord. Dans le fond, la politique ac- mène pour l’ensemble de la société. Qui Les réponsestuelle, qui ne permet de résider qu’aux dit immigration ne dit-il pas remise en libérales aux défis dugens qui ont un emploi, est assez libéra- cause, voire disparition, de toutes les va- 21e siècle.le et pragmatique, parce que les besoins leurs traditionnelles qui existaient aupa- Editions NZZsont autodéfinis par les entreprises et les ravant dans le pays d’accueil?individus eux-mêmes, plutôt que parAgefi Magazine | Journée des banquiers | septembre 2015
54 / PerformanceLe péché contre les règles du jeuLa compétition mène souvent à des déformations de l’esprit d’une discipline. Qui finissent malheureusementpar être assimilées au jeu lui-même. Larry Legault Coach sportif professionnelDistinction. Depuis l’existence DR était basé sur l’intimidation, commedes écrits philosophiques, l’hom- en témoigne précisément leur re-me s’est penché sur des questions cord de temps de pénalité. Cette tac-d’ordre éthique. La prééminence de tique a obligé les autres équipes à sel’église catholique en Europe a fait munir de «policiers» – des joueursque de nombreux textes traitant de dont le rôle principal était de proté-la nature et du péché ont vu le jour. ger leurs coéquipiers. Et la distinction entre un crime et un Agressif. Cette tendance apéché, pour les avides de questionsdéontologiques, provoque presque même inspiré au réalisateur oscari-toujours un débat passionnant. Une sé, George Roy Hill, le film «Slaps-fois le péché éliminé du langage, le hot», connu en France sous le titrebon fonctionnement de la société «La Castagne». Cette comédierepose sur la volonté de ses citoyens raconte les déboires d’une équipeà respecter les lois, sachant qu’y médiocre de hockey des ligues mi-manquer mène à la pente glissante neures, les Chiefs de Charlestown,vers l’anarchie. Mais la volonté de et de son joueur-entraîneur vieillis-vouloir exploiter l’esprit des règles Fred Shero a permis aux Philadephia sant, Reggie Dunlop, interprété parà son avantage a toujours existé, Flyers de dominer dans les années Paul Newman. Risée du public, lessurtout dans les sphères d’activités Chiefs stagnent dans les bas-fonds 1970. Mais contre l’esprit des règles. du classement. Les dirigeants decompétitives où beaucoup d’argentou de gloire sont en jeu. Parfois ces l’équipe engagent alors trois nou-exploitations créent de belles casse- veaux joueurs, les frères Hanson. roles qui sont difficiles à réparer. Le sport professionnel est Sous leurs allures de binoclards maladroits, les frères Han-un de ces domaines qui pousse les compétiteurs à chercher son se révèlent être de véritables brutes. Leur venue inciteconstamment un avantage sur leurs adversaires. Cette recher- Reggie à prôner un style de jeu violent et agressif, au grandche frénétique mène à des transgressions de règles, certes, mais plaisir des spectateurs. La tactique s’avère payante, jusqu’à unplus pernicieusement, à des déformations de l’esprit des règles certain point. Evidemment, la nature hollywoodienne dedu jeu qui finissent par être assimilées au jeu lui-même – leur l’œuvre préserve la morale et l’esprit du sport. Le film capteéradication devenant souvent une affaire compliquée. parfaitement, et avec beaucoup d’humour, la réalité des li- gues mineures nord américaines de l’époque. L’un des per-Exploitation. Le hockey sur glace est un sport rude qui est sonnages, Ogy Oglethorpe, était même inspiré par le jeunede plus joué avec une canne pouvant servir d’arme. En Amé- canadien, Goldie Goldthorpe, un hockeyeur de talent modes-rique du Nord, les bagarres entre joueurs ont longtemps été te qui a perduré quelques années chez les semi-professionnelstolérées (bien que punies par une exclusion d’au minimum grâce à ses poings. cinq minutes) parce que, paradoxalement, elles se substituaientà une éventualité encore pire: un coup potentiellement fatal Traces. Ce n’est qu’aujourd’hui, après quarante ans et plu-de canne (NDLR: jusqu’en 1979, le port du casque n’était pas sieurs modifications des règlements, que le hockey profession-obligatoire en NHL). Le «code» du jeu voulait que tout conflit nel nord-américain change véritablement de cap en proposantse résolve honorablement, en combat face à face, plutôt que par un jeu beaucoup plus rapide et technique. Fred Shero, l’archi-des coups pernicieux avec un ustensile dangereux et à l’abri tecte de cette équipe des Flyers, était incontestablement undu regard du seul arbitre. L’exploitation de cette permission coach extraordinaire et n’a enfreint aucune règle, mais son(combattants non expulsés), conjuguée avec une fascination péché contre l’esprit des règles du jeu a laissé des traces quimalheureuse pour les bastons de la part d’un public améri- ont demandé des décennies pour commencer à être effacées. cain largement non-initié, a mené les Flyers de Philadelphie à Car, même aujourd’hui, le nettoyage continue. deux titres au début des années 1970. L’équipe possédait tout Les raccourcis qu’on utilise en pensant gagner un avantagede même une ossature d’excellents joueurs, dont peut-être le sur la concurrence produisent souvent des résultats éphémè-meilleur gardien de but de l’époque. Mais leur style de jeu res et, finalement, salissants. ///Agefi Magazine | Journée des banquiers | septembre 2015
De nouveaux challenges à relever suite à la Journée des Banquiers ?Élaborez votre nouvelle stratégie, réunissez vos équipes, célébrez vos succès !Châteauform’ City Le Château de CoppetUn lieu entièrement dédié à vos réunions, vos formations,vos événements d’entreprise en journée ou en soirée…Si vous souhaitez vous réunir « autrement »RXpFKDQJHUGDQVXQFDGUHGL̆pUHQW«nous vous accueillons comme à la maison !<UOH]YLKLWHP_L[K»PU[PTP[tH\_WVY[LZKL.LUu]L¯9 t\UPZZLa]VZtX\PWLZKLnWLYZVUULZ KHUZKLZZHSSLZOPNO[LJO[V\[LZnSHS\TPuYLK\QV\Y=VZKtQL\ULYZKHUZSLZHUJPLUULZtJ\YPLZ ]VZWH\ZLZNV\YTHUKLZnS»VTIYLKLZHYIYLZMY\P[PLYZ ]VZKzULYZKLNHSHV\JVJR[HPSZQ\ZX\»nWLYZVUULZ KHUZSLZJH]LZK\uTLZPuJSL= VZHJ[P]P[tZKLJVOtZPVUH\IVYKK\3HJ3tTHU V\KHUZSLWHYJK\*Oo[LH\KL*VWWL[= V[YLMVYMHP[*Oo[LH\form’HIZVS\TLU[[V\[JVTWYPZ® ZHUZZV\JPZ9 minutes en train depuis la gare Genève Cornavin15 minutes de l’aéroport international de Genève Vous avez un projet ? Ici, vous êtes chez vous… t : + 41 21 213 02 84 email : [email protected] Châteauform’ City Le Château de Coppet 2 rue de la Gare – 1296 Coppet I www.chateauform.com I 45 maisons enEurope et en Chine seront ravies de vous accueillir !
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