Avions de combat : une version « light » est-elle crédible ? Pas vraiment, comme le montre un examen critique de l’étude rédigée par le consultant Acamar pour les opposants à l’acquisition des avions de combat. Leur option favorite (le Leonardo M346) ne se détache pas vraiment du reste, et ce classement est sensible aux critères. Il n’en demeure pas moins qu’une réflexion de fonds sur la politique de sécurité suisse est nécessaire étant donnée la nécessité de renouveler plusieurs moyens dans les années à venir. Il n’est pas nécessaire d’annuler l’achat d’avions pour conduire cet exercice, mais une structuration de la commande entre des achats fermes et des options est souhaitable. Une évaluation critique de l’étude ACAMAR La firme de consultants Acamar, dont la spécialisation porte sur les défenses sol-air, a rédigé en novembre 2019 un rapport critique du projet de renouvellement des avions. Les opposants se basent sur ce rapport pour recommander l’achats d’avions légers, plus précisément le M346 de la firme Leonardo. Cette recommandation est pour le moins discutable si l’on se penche sur le tableau d’évaluation de l’analyse (page 69 du rapport) reproduit ci-dessous. Le rapport pondère une série de neuf critères, que je regroupe entre les performances de vol, les coûts, et d’autres aspects comme la capacité de servir d’avion de formation. L’étude classe les avions de 1 à 6 selon les critères. Le classement pondéré place le M346 en tête avec un rang de 2.61. Classement des avions selon l’étude Acamar Critère Poids F/A18C F/A18E Eurofighter Dassault Lockheed Leonardo (%) Hornet Super Martin M346 Hornet Typhoon Rafale F35A 3 Performance de vol 13.9 4 2 15 6 6 Rayon d'action 13.9 3 3 15 2 5 Vitesse 8.3 5 4 32 1 6 Capacité des détecteurs 2.8 5 4 21 3 Armement 1 16.7 5 3 42 6 1 Coûts 16.7 2 2 22 6 2 Coût d'utilisation horaire 11.1 1 3 56 4 Coût d'entretien 1 Coût d'achat 11.1 2 2 22 5 2 5.6 3 5 64 1 Autres 2.61 Potentiel de formation 100 3.19 2.81 2.69 3.36 4.33 4.71 Distance de décollage 38.9 3.93 2.93 1.50 4.07 3.29 1.25 44.4 2.88 2.63 3.50 3.00 5.50 1.33 Rang pondéré 16.7 2.33 3.00 3.33 2.67 3.67 Total Performance Coûts Autres 1
Note : le poids du critère correspond au facteur indiqué dans le tableau de l’étude Acamar divisé par la somme de ces facteurs (36). Un tel classement ne permet qu’un premier « débroussaillage » car évaluer un avion est un processus complexe. En outre, établir simplement un classement reflète mal l’ampleur des écarts : l’avion en deuxième position est-il marginalement ou substantiellement meilleur que celui en troisième position ? Malgré ces limites, il est instructif de se pencher sur le tableau. La pondération des critères est fortement orientée vers les aspects de coûts (44.4 pourcent du total), les performances étant moins pondérées (38.9 pourcent), avec notamment un poids minimal sur l’armement. La pertinence de certains critères est aussi discutable : pourquoi prendre en compte la capacité de servir comme avion de formation alors que ce n’est pas dans le cahier des charges ? Si le M346 arrive en tête dans l’ensemble, ce résultat est fragile. La partie inférieure du tableau, et la figure ci-dessous, montre le rang selon le total, et dans chacune des trois catégories de critères. Le rang du M346 (2.61) est quasiment identique à celui de l’Eurofighter Typhoon (2.69) et très proche du F/A18E Super Hornet (2.81). L’avion léger italien n’est donc pas une évidence. En fait, seul le F35A est nettement en queue de peloton. Si le Dassault Rafale est aussi mal classé, les notes attribuées par Acamar laissent perplexe : sa vitesse est considérée comme très différente des autres et son coût d’achat nettement plus élevé que le celui du F35. En outre, le classement sur base des performances (ligne bleue) indique que le Rafale est similaire au F/A18C équipant actuellement les forces aériennes. Voilà qui est très discutable. Classement selon les catégories 6 5 4 3 2 1 0 F/A-18-C F/A-18-E Super Eurofighter Dassault Rafale Lockheed Leonardo M- Hornet Hornet Typhoon Martin F35-A 346 Total Performance de vol Coûts Autres 2
La performance du M346 repose essentiellement sur les coûts et les autres facteurs, comme le montre les lignes vertes et grises dans la figure. En termes de performances (ligne bleue) il est clairement en queue de peloton. Le classement est dès lors – sans surprise – sensible à la pondération des catégories. La figure ci-dessous montre le classement si nous changeons le poids de la catégorie coût et ajustons le poids attribué aux performances d’autant (le poids de la catégorie autres est maintenu à 16.7 pourcent). La ligne verticale indique la pondération considérée dans l’étude. Nous voyons clairement que le M346 rétrograde rapidement dès que le poids mis sur les coûts est diminué. Effet de la pondération des coûts 4.5 4.0 3.5 F/A-18-C Hornet F/A-18-E Super Hornet Eurofighter Typhoon 3.0 Dassault Rafale Lockheed Martin F35-A 2.5 Leonardo M-346 2.0 30% 32% 34% 36% 38% 40% 42% 44% 46% 48% 50% Pondération des coûts Par conséquent les propres chiffres de l’étude d’Acamar ne démontrent pas qu’un avion léger est clairement une solution préférable. D’autres aspects de l’étude sont également discutables. Elle inclut une longue discussion de la défense sol-air, en se penchant sur deux systèmes : le Patriot américain et le SAMP-T européen. Ces deux systèmes sont évalués par l’armée suisse dans le cadre du projet Bodluv et ont fait l’objet de test rigoureux en Suisse durant l’été 2019. Or l’étude ne fait aucune mention de cela, ce qui amène à se demander si ses auteurs sont conscients de ce qui se fait concrètement en Suisse. En outre, malgré un accent sur les besoins de lutte anti-missile, l’étude ne discute pas des systèmes comme le THAAD américain ou l’Arrow israélien qui sont pourtant conçus précisément dans cette optique. L’impact environnemental est minime Un argument avancé contre l’achat des avions est l’impact environnemental. Le réchauffement climatique est clairement un – voire le – problème majeur auquel nous faisons face. Des mesures 3
sont nécessaires, comme une taxe CO2, et la complaisance du Conseil Fédéral envers les véhicules polluants est affligeante. Mais ce n’est pas un sujet dans le cadre de la votation sur les avions. Les forces aériennes émettent 120'000 tonnes de CO2 par an. Catastrophique ? Non : cela correspond à une journée d’émissions de CO2 de la Suisse. Prenons un peu de recul Si les opposants proposent des alternatives discutables aux avions évalués par les forces aériennes, ils mettent en avant une question tout à fait pertinente: quels sont les besoins de défense de la Suisse dans les décennies à venir ? Il est d’autant plus important d’y répondre que, outre les avions, plusieurs catégories d’équipements de l’armée devront être remplacés. C’est donc clairement le moment de savoir ce que nous voulons sur le fonds. L’analyse publiée par le conseiller national Pierre-Alain Fridez, un des chefs de file des opposants, mérite pleinement lecture. Si je ne partage pas tous les points de vue de cet ouvrage, il n’en présente pas moins une vision bien documentée et réfléchie. D’autres contributions soulignent également le besoin de repenser la sécurité en profondeur, comme l’analyse par Pascal Lago d’Avenir Suisse et le rapport que Pierre Aeppli, Peter Arbenz, Christophe Keckeis et Pierre Maudet avaient rédigé il y a bientôt 10 ans. Ces analyses soulignent le risque minimal d’un conflit classique en Suisse et le rôle grandissant des menaces cyber et de terrorisme. J’y ajouterais le besoin d’une information de qualité. La meilleure manière de gagner un combat est de saper la motivation de l’adversaire à le mener. A l’heure des fake news et de l’utilisation active de la désinformation par des états, il est important d’assurer à la population suisse un accès à une information non manipulée. Il est vrai que planifier la sécurité sur 30 ans ou plus est un exercice incertain. Mais simplement dire qu’il faut acheter des avions en nombre parce qu’on ne sait jamais ce qui peut arriver revient à éviter une réflexion nécessaire. Que faire alors ? Comme la discussion de fonds sur la sécurité n’a hélas pas encore eu lieu, faut-il arrêter le projet d’achats d’avions, réfléchir, puis tout recommencer ? Une approche plus pragmatique est possible. La question majeure pour le format de l’aviation est de savoir si la Suisse veut une force au capacités large, incluant l’attaque air-sol, ou une force axée sur la police du ciel et le maintien de zone temporaires d’exclusion. Cette dernière option correspond grosso-modo à la variante 4 du rapport Air 2030. Une approche pragmatique serait de continuer le processus actuel d’achat des avions, mais de structurer la commande entre une première tranche de commandes fermes (disons une vingtaine d’avions) et une seconde tranche sous forme d’options à confirmer. Un tel format est tout ce qu’il y a de plus courant dans les commandes d’aéronefs. La discussion de fonds pourrait avoir lieu sur un nombre limité d’années. Si la Suisse choisit un format large pour ses forces aériennes, les options seraient converties en commandes fermes. Si en revanche le souverain préfère un format 4
plus restreint, les forces aériennes se contenteraient de la première tranche de commandes. Ce n’est pas forcément le format qu’elles préfèreraient, mais Cedant arma togae. 5
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