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Published by alexandramelancon, 2015-05-01 01:00:29

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LA REVUE D’ART ET DE LITTÉRATURE DU CSTJMOTS DE TÊTE#2 VOLUME 11 • HIVER 2015 LA REVUE S’OUVRE À ISSN 2291-6962 L’ART... ENCORE PLUS! Grâce à une collaboration grandissante de la part de ces énergumènes chevelus (pas tant que ça finalement) qu’on appelle artistes, la revue gagne en profondeur avec une dimen- sion « arts visuels » de plus en plus assumée. Au menu : des démarches artistiques, un masque, une danse rockabilly, une hanche (!?) et d’autres affaires capillaires. SPÉCIAL NOUVELLES Ce numéro, en plus du reste, offre 10 nouvelles de haute voltige qui vous feront voyager d’un Québec rétro-futuriste au cœur de l’Afrique en guerre, en passant par le pays de l’enfance et de la folie!Sarah MADGINSans-titre, Acryliquesur masonite, 2014

LA REVUE D’ART ET DE LITTÉRATURE MOTS DE TÊTE / INTRODUCTIONL’ÉQUIPE DE RÉDACTION TABLE DES MATIÈRESLES ÉTUDIANTS Introduction................................................................2 Écrivain ou artiste ?Milan Lachance, [ Rédacteur en chef ]Catherine Perreault, [ Rédactrice ] NOUVELLES ET POÈMES.............................3 APPEL DE TEXTES ETCharlie Lanthier, [ Rédactrice ] Frisson d’été...................................................................3 D’OEUVRESFlorence Viau, [ Rédactrice ] Épave.......................................................................4 et 5Frédérike Filion, [ Responsable artistique ] Poussière en suspension...........................................6 SOUMETS TES CRÉATIONS À Jeux de poupée.............................................................7 MOTS DE TÊTE • LA REVUE D’ARTLES PROFESSEURS Les rues croches...........................................................8 ET DE LITTÉRATURE DU CÉGEP DEAlexis Vaillancourt-Chartrand Les meubles...................................................................9 SAINT-JÉRÔMEBrigitte Caron Rambo un jour, Rambo toujours.............10 et 11Gamine Gagnon Vade retro Satana........................................12 et 13 APPEL DE TEXTESNancy Roy Quand cesse l’azur....................................................14 Nouvelles, poèmes, contes, critiques... L’année du gogol........................................................15GRAPHISME ET MISE EN PAGE Veilleuse...........................................................16 et 17 POUR SOUMETTRE UN TEXTEAlexandra Melançon La Maison-Moi...........................................................18 Le faire parvenir à [email protected] Après-bal......................................................................19 (maximum de 5 pages)LES ARTISTES Le bruit des os qui craquent......................20 et 21Annabelle Amyot Méduse-moi....................................................22 et 23 APPEL D’OEUVRESConstance Leblanc Jack l’Éventreur.............................................24 et 25 Oeuvres pour les textes, photos, des-Frédérike Filion sins, bandes dessinées.Gabriel Gaussiran La galerie d’art...............................................26 à 29Isabelle Tessier POUR SOUMETTRE UNE OEUVREMarie-Josée Desjardins Apporter l’original au département deSarah Madgin français (bureau G-358).Vanessa Lemoyne Pour des photos, faire parvenir le fichier par courriel (300dpi).LES AUTEURSAlexis Vaillancourt-Chartrand * Il est possible de publier votreAlexya Crôteau-Grégoire création sous un pseudonyme.Andréanne HébertCatherine PerreaultCharlie LanthierÉmilie BoisclairGabriel GaussiranJérémy CôtéJimmy PoirierJustine Normandeau-NaudKevin BornaisLaurent MontreuilMarie-Lou FromentinMyriam ThinelTristan PaquinVanessa LemoyneVincent CorbeilNOUS REJOINDRE NOS PARTENAIRESCÉGEP DE Département de françaisSAINT-JÉRÔME455, rue FournierBureau G-358Saint-Jérôme, (Québec), J7Z 4V2Courriel: [email protected]

LA REVUE D’ART ET DE LITTÉRATURE MOTS DE TÊTE / NOUVELLES ET POÈMESFRISSON D’ÉTÉPAR MARIE-LOU FROMENTINU...n frisson d’été. Ces mots à eux seuls savent un coup de chaleur. C’est un jeu pour les gens de L’éternité c’est long... Surtout vers la fin. — Woody Allen ..faire naître un sourire, mais aussi rafraîchir une grands vents, ceux qui passent comme des courants ..nostalgie lointaine. Les âmes libertines connais- d’air impétueux. Ceux qui vivent les passions comme ..sent bien les termes de ces ententes frivoles des sensations et non des émotions. Ces personnesqui durent juste assez ..longtemps pour les apaiser. qui savent retenir leur souffle juste assez longtempsCe sont en fait des attaches antiadhésives qui nous pour plonger tête première tout en pouvant sortir dulaissent un doux parfum de jeunesse. Ces instants qui tourbillon. Ceux qui ne se noieront jamais parce qu’ilscomportent un brin de folie, mais aussi une satisfaction se tiennent loin des zones de profondeur. Cette brisede vivre paisiblement ou alors pleinement le moment gourmande capable de renverser la chaleur du Soleilprésent. Il s’agit là d’un art incontesté; apprécier sans que seuls ces professionnels de la nage en surface ar-aimer, se laisser aller sans se perdre dans les nuages. Se rivent à ressentir. Voilà ce que c’est, un frisson d’été.laisser serrer dans cette étreinte enivrante sans avoirVANESSA LEMOYNE, IMMERGÉ (2015), PHOTOGRAPHIE NUMÉRIQUE, 8 1/2 X 11 PO 3

LA REVUE D’ART ET DE LITTÉRATURE MOTS DE TÊTE / NOUVELLES ET POÈMESÉPAVE PAR CHARLIE LANTHIER4 SARAH MADGIN. MÉPRIS (2014), TRANSFERT D’IMAGE, FUSAIN, PASTEL, ACRYLIQUE SUR TOILE LOUSSE, 78 X 98 CM

LA REVUE D’ART ET DE LITTÉRATURE MOTS DE TÊTE / NOUVELLES ET POÈMESI....l faisait nuit. J’étais seul dans un coin de la pièce. Ils me Enfin, je croyais en mon avenir. Pour la première ..disaient de me taire et de ne pas bouger. C’est ce que fois, je me voyais trouver un emploi et me marier. ..je fis. Je regardais le vide. Je ressentais le vide. J’étais Peut-être même avoir des enfants. Être entouré ..le vide. Elle me cria d’arrêter de penser. Cette voix, tou- de vraies personnes et avoir une vie tranquille.jours la même, qui s’élevait au-dessus des autres. C’est elle Je me voyais m’endormir le soir paisiblement enque je craignais. Si différente des autres. Je la ressentais au me disant que... me disant que… qu… Elle était defond de mes entrailles, elle empoignait mon cœur, ouvrait retour. Elle était là. Je devais me ressaisir et memes veines et résonnait dans ma tête. Elle hantait mes nuits. mettre à l’abri. Je me levai, mais il était trop tard.Depuis qu’elle était là, je ne savais plus ce qu’était le jour. Je Elle me serra la gorge et me poignarda le cœur,devais m’en protéger, alors je fermai les yeux. Je me dis que mais rien n’y paraissait. Aucune marque. Elle mesi je ne la voyais pas, elle ne pouvait pas m’atteindre, mais tira vers le sol, jusqu’à ce que mon crâne se fra-elle était toujours là. Encore, elle résonnait, encore jusque casse sur le plancher de béton. Je n’en pouvaisdans mes tripes. Je voulais fuir, quitter ma vie et ne plus être plus. Les larmes giclaient de mes yeux et le sangà ses côtés. Le problème? Peu importe où j’irais, elle me sui- se déversait de l’arrière de ma tête. Je n’étaisvrait. plus rien. Je ne ressentais plus rien. Ce duel du- rait depuis des années déjà. Tous ceux qui enJe ne voulais plus d’elle. J’aurais préféré la solitude éternelle connaissaient l’origine n’osaient plus me par-à cette présence asphyxiante. Je pensais à me débarrasser ler. Ils la craignaient eux aussi. Elle était virale.d’elle, mais elle le comprenait à chaque fois. Je me repassai Personne ne voulait s’en approcher. Elle noustous les scénarios impossibles en tête. Jamais je ne pourrais faisait perdre tous nos moyens. Elle nous pil-la regarder mourir. Elle était sans vie, sans âme. Personne ne lait de tout ce que nous avions de plus précieuxla voyait, ni ne l’entendait, mais moi oui. Existait-elle seule- jusqu’à notre âme. Voilà pourquoi tout le mondement? Oui, je la ressentais. Elle vivait là, en moi. la craignait. Elle m’avait tout pris. Je savais bien que j’avais perdu la bataille. Alors, j’abandonnai.Elle était moi et j’étais elle. Esclave de ce corps et de cet Je me laissai faire.esprit, je tentais chaque jour de la faire sortir par tous lespores de ma peau. Elle était toujours là. Elle s’agrippait à J’étais au sol, étendu et faible. Je n’avais plusmon âme et la déchirait en lambeaux. Ma cage thoracique rien pour la vaincre. J’étais comme mort. J’avaisétait sa prison et elle en faisait sa demeure. Elle sciait mes abandonné. Je ne pouvais plus faire compétitioncôtes pour se libérer de ce donjon, mais il lui était impossible contre elle. Les forces étaient inéquitables. Mond’en sortir. Chaque fois, mon sang tentait de la noyer et mes corps était paralysé. Ma peur s’était envolée.battements de cœur incohérents l’assommaient encore et Tous mes sens m’avaient quitté. J’étais le vide.encore. Elle revenait, toujours plus forte. Même si nous par- Cette voix avait déserté mon être. J’étais main-tagions cette même douleur ulcéreuse, elle ne faisait que tenant seul dans ce corps. « Seul », ce mot ré-l’admirer, pendant que moi, je la subissais. Je m’affaiblissais sonnait comme une douce mélodie. Cet océansous cette violence constante et j’étais bien le seul. Cette n’était pas interminable finalement. J’en avais,chose prenait des forces et puisait son énergie de mon dé- enfin, atteint le fond. Je me sentais paisible,sespoir. Mon corps était un cadavre et mon âme n’était que voire épanoui. C’est vrai que j’étais une épave,du vent. Elle avait réussi à me déshumaniser. À éliminer tout une de celles qui cachent un magnifique trésor:ce qui pouvait ressembler à des émotions. la liberté.À un moment, épuisé par le combat, je sentis que cette Finvoix l’était aussi. Elle avait déserté. Et pour la première foisdepuis longtemps, je me sentais libre. Je ne l’entendais plus,elle ne me contrôlait plus. J’étais seul. Libre. 5

LA REVUE D’ART ET DE LITTÉRATURE MOTS DE TÊTE / NOUVELLES ET POÈMESPOUSSIÈRE EN SUSPENSIONPAR ANDRÉANNE HÉBERTL....e soleil qui entre par la fenêtre vient frapper chambre minuscule tout au fond du taudis, on voit la poussière en ..contre le ..vase sur la table de la cuisine et fait suspension dans la raie de lumière, presque irréelle devant la pe- ..plein de jolies couleurs. La pièce est grande et tite recroquevillée sur elle-même au milieu de la pièce tapissée de ..lumineuse, on peut presque sentir la bonne crasse et sans vie.nourriture qu’une maman nous y ferait. Sur le sofa,le chat fait dodo et respire tout lentement, on voit ***son poil qui lève et qui descend en faisant des pe-tites vagues. La tapisserie du salon est rose avec des Le printemps, c’est beau. Il y a toujours des jolis oiseaux qui vien-fleurs tout partout. Si on monte l’escalier, on trouve ma nent nous chanter des belles mélodies. Todd leur a bâti une énormechambre à gauche. Au milieu, il y a mon lit, un grand cabane pour qu’ils puissent y dormir. Je vais leur donner des petitslit avec un baldaquin. Les couvertures sont si douces, grains à manger et marcher dans notre beau jardin. Les oiseauxc’est peut-être du coton égyptien. J’ai déjà entendu sont de beaux animaux, ils sont comme le printemps : légers, joyeuxparler de ce tissu. et ils nous font nous sentir bien. Mon chez-moi, mon sanctuaire.Dans une heure, tout au plus, Todd devrait rentrer. ***Il est si parfait. Il rentrera, me demandera commenta été ma journée, comment je vais. Todd est comme — Comprenez-moi bien, madame Létourneau, il faut avoir im-ça, gentil. Après avoir mangé, il appellera Ken pour médiatement recours à des mesures de protection. La petitel’inviter. Ils feront des choses de garçon et moi je ferai Emma ne peut pas rester vivre avec son père. La situation est plusce que fait une fille. qu’alarmante : elle n’a que six ans et elle est en charge de la maison, explique le psychologue. Elle s’est aussi plainte de douleurs sans*** que nous ne soyons jamais parvenus à découvrir quelque marque que ce soit. Nous le suspectons de s’être servi d’une barre de sa-— Lâche ça Emma! C’est pus de ton âge pis ça sert à von dans un bas de nylon pour la battre sans qu’il n’y ait de traces.rien. Viens donc te rendre utile au lieu de niaiser demême, rugit l’homme. Ça va pas se faire tout seul ce — Et à quoi pensez-vous? demande l’agente d’intervention.souper-là, c’est pas vrai que je vais avoir à cuisiner enplus! — Une famille d’accueil, sans aucun doute. Emma ne tiendra pas bien longtemps dans cette demeure. Il faut qu’elle parte, mais— Je dois y aller, sinon je vais encore avoir droit au sa- faites en sorte qu’elle puisse garder sa maison de poupées. Quandvon, dit-elle tout bas pour elle-même. J’arrive, papa! je lui ai posé des questions sur sa maison et sa famille, la petite s’est mise à parler d’un Todd et du fait qu’elle se sent bien chez elle.— Ben déniaise parce que j’ai faim. Je n’ai pas tout saisi, mais je sais qu’il faut qu’elle garde son refuge.***Étendue sur le dos, je regarde le voile qui pend au-dessus de mon lit. Le soleil brille encore et la maisonsent bon les fleurs que je viens de cueillir. Dans cha-cune des pièces, elles sont assorties au papier peint.Todd s’occupe de la pelouse. Tout est propre, tout estbien. À mes pieds, le chat s’est roulé en boule et fait despetits bruits de chat heureux.***On entend les bruits assourdis de coups répétitifs,de plaintes étouffées. Puis c’est le silence. Dans une6 MARIE-JOSÉE DESJARDINS. INNOCENCE (2009), HUILE SUR TOILE, 24 X 32 CM

LA REVUE D’ART ET DE LITTÉRATURE MOTS DE TÊTE / NOUVELLES ET POÈMESJEUX DE POUPÉEPAR CATHERINE PERREAULTM...a poupée. Tu es si jolie. Ce sourire enjoué et pourtant sans Je dois absolument jouer avec toi bientôt. J’en ai trop ..vie que tu affiches sans relâche me remplit de joie. Je vais envie maintenant, je ne peux plus attendre. Dis-moi ..jouer avec toi aujourd’hui, parce que j’en ai envie. Je sais où tu es, je te rejoins. ..que je joue avec d’autres, mais tu es la seule pour moi, tule sais bien. Tu es celle que je préfère. Non, non, pas besoin d’en parler, ce sera notre petit secret.Alors rejoins-moi ici et danse, ma jolie poupée, bouge ton petitcorps sans vie. Tourne, saute, fais une pirouette, tourne encore, Quoi? Tu ne veux pas…bouge pour moi, penche-toi, gémis et dis-moi que tu aimes ça. Si je dis s’il vous plaît? Non… Pourquoi non? Je suisComme tu es mignonne dans cette petite robe rose, et ces rubans ton ami, les amis jouent ensemble! Encore non… Tudans tes cheveux sont de la même teinte, que c’est joli. On va jouer dois me laisser jouer avec toi, tu es MA poupée, tuà un jeu, d’accord? Je vais dire des mots, et si tu as ce que je dis sur m’appartiens!toi, tu l’enlèves. Tu es prête? Poupée? Pardonne-moi, je ne voulais pas êtreBas. Toutou. Ah! ah! non, tu n’as pas ça sur toi, bien joué, on con- méchant…tinue. Bracelet. Ruban. Robe. Culotte. Poupée? Parle-moi s’il te plaît… Poupée?Oui, oui, ne t’inquiète pas, ce n’est qu’un jeu, on s’amuse. Tu peuxme faire confiance, nous sommes amis. Les amis font des jeux en- Ma poupée s’est déconnectée…semble et tu sais que c’est mon jeu favori. J’ai encore gagné, com-me à chaque partie, je suis vraiment doué à ce jeu.J’en suis venu à connaître ton petit corps frêle par cœur. J’ai regar-dé chacune de tes coutures, j’ai observé toutes tes formes, tu n’asplus de secrets pour mes yeux. Si seulement je pouvais te toucher,te caresser doucement, mais, si je tends ma main et effleure tapeau claire, je ne ressens que le froid, le vide. Tout pour me rappe-ler que la vie derrière ce visage angélique n’y est déjà plus, que tonregard et ce petit air aguicheur sont figés dans le temps. Le temps,qui a déjà son emprise sur toi, cet être fourbe qui changera toncorps comme bon lui semble. Je voudrais pouvoir jouer avec toiavant qu’il ne le fasse. Si seulement il n’y avait pas cette distanceinfranchissable entre nous, une distance que nos jeux ne suffisentplus à combler. Un monde nous sépare, ce monde derrière lequelje me cache pour jouer avec toi. Si seulement je pouvais supprimerce monde, ou l’utiliser comme passage. Ça, c’est une idée, je pourrais aller jouer avec toi au parc.Non, je ne peux pas, tu ne voudras pas jouer avec moi quandj’arriverai.D’un autre côté, dans quelques années, tu ne voudras plus t’amuseravec moi, même ici. De toute façon, tu ne seras plus aussi jolie, tuseras fanée, décrépie, et ta robe rose ne t’ira plus. Le temps t’aurausée, c’est alors moi qui ne voudrai plus jouer avec toi.CONSTANCE LEBLANC. FEMME (2014), ACRYLIQUE SUR PANNEAU DE BOIS, 92 X 122 CM 7

LA REVUE D’ART ET DE LITTÉRATURE MOTS DE TÊTE / NOUVELLES ET POÈMES LES RUES CROCHES PAR JÉRÉMY CÔTÉ Je sens tes joues se crisper de sourire Dans mon dos nu épuisé de sexe Tes courbes se sont fondues sur moi Nous sommes une belle ligne longue et calme Nous plongeons dans l’avenir de l’autre Un après-midi d’automne à la fois Dans les rues croches de Montréal Nos souliers marchent très droit Dans mon petit trois pièces trop cher Souvent tu t’envoles derrière tes livres Mais derrière tes lunettes amoureuses Tu me dédies chaque chapitre Et le soir venu, quand les voitures sont épuisées Que nous devons nourrir nos corps Par autre chose que des lendemains Tu pénètres dans la cuisine En chemise trop grande et en sous-vêtements Tu t’approches vaporeusement de moi En cherchant du regard une bonne bouteille Il fait chaud et tu as soif La présence de tes vêtements semble te déranger Tu étires tes grand bras fins Tu sais que le tire-bouchon n’est pas par là Toute excuse te semble bonne Pour te rapprocher de mon corps avide Tu t’immobilises dans mon cou De tes lèvres tu cherches quelque chose Tu remontes à mon visage Comme les poissons vers la liberté Tu t’arrêtes Et je sens tes joues se crisper de sourire.8 ALEXANDRA MELANÇON. PAS DE DANCE (2015), INFOGRAPHIE

LA REVUE D’ART ET DE LITTÉRATURE MOTS DE TÊTE / NOUVELLES ET POÈMESLES La chaleur des disputes qui me coule sur la peauMEUBLES Des tornades de cheveux et de méchancetéPAR JÉRÉMY CÔTÉ Je m’assois sur le bout du lit Ma faiblesse qui me fixe du coin de l’œil Avec toi dans le salon, qui pleure J’en ai assez de rouiller tes joues Ton regard perce les murs Je me redresse et je fige Gainsbourg chante ses conneries À peine nous l’entendons Tu t’approches de moi et me prêtes tes yeux Comme toujours je suis preneur J’ai des remords de crocodile Tu me trouves attendrissant Et je profite de toi De ta jeunesse, et de ta blancheur Je me lève, j’essuie mon cuir Je prends ta main, l’entraine vers la chambre Lentement, lâchement, fatalement.GABRIEL GAUSSIRAN. ROCKABILLY (2014), AÉROSOL SUR TOILE, 24 X 24 PO 9

LA REVUE D’ART ET DE LITTÉRATURE MOTS DE TÊTE / NOUVELLES ET POÈMES RAMBO UN JOUR, RAMBO TOUJOURS PAR VINCENT CORBEIL S...hawbridge, c’est de là que je viens. Trop grand pour être un village, mais pas assez pour être une ville. Shawbridge, le ..quartier légendaire aux mille et une histoires. Y’en a partout! Pis c’est pas les volontaires qui manquent pour les raconter! ..Ma mère a grandi ici. Était là dans le temps qu’on pouvait encore dire que Shawbridge, c’était vraiment un village. Y’a rien qui s’est passé ici qu’est pas au courant! Quand était plus jeune, elle connaissait tout le monde, pis tout le monde la connaissait. Ça fait que des histoires, elle en a une pis une autre. Des vertes pis des pas mûres! C’est d’ailleurs elle qui m’a raconté tout ce que je m’apprête à vous dire, et d’aussi loin que je me rappelle, tout est vrai, jusqu’aux plus infimes détails. Si vous me croyez pas, vous avez rien qu’à passer dans le coin un jour, tous les anciens du village en parlent encore. Tout a commencé avec un jeune gars nommé Rambo. Rambo, y’était très très très grand pour son âge, gigantesque même, mais tout aussi simple d’esprit. Ça menait souvent à des situations assez drôles, mais c’est pas de ça que j’vais vous parler aujourd’hui. Rambo, c’était pas son vrai nom, mais c’est de même que tout le monde l’appelait parce que le jour de sa première journée d’école, y portait une tenue de camouflage que son père avait dénichée pour lui dans un surplus de l’armée. C’est qu’y grandissait si vite, vous voyez, pis son père, y’était pas en moyens. Le surnom est toujours resté, même si y’en était pas particulièrement fier. En fait, tout ce que Rambo désirait, c’était de le faire oublier en faisant tout ce qu’y pouvait pour se démarquer des autres. Malheureuse- ment pour lui, ça se terminait généralement assez mal et un rire en entrainant un autre, une anecdote, un souvenir, les gens finis- saient par se rappeler la première journée d’école… Une année, Rambo a pensé avoir trouvé la solution pour être enfin accepté et reconnu des autres. Y’allait remporter la célèbre course de boites à savon de Shawbridge. Une tradition annuelle qui avait toujours lieu dans la grande côte menant au fameux pont qui a donné son nom au village. Cet événement-là attirait chaque fois des gens de toutes les villes des environs. L’année d’avant, le gagnant avait remporté un prix d’une valeur de 500 $ offert par le casse-croûte du village. *** J’veux pas interrompre l’action, mais on dit souvent que les patates ont sauvé le Québec… Eh ben, en tous cas, c’te patate-là a sauvé Shawbridge! Ce p’tit resto-là, si on peut l’appeler d’même, était là ben avant ma mère et même ben avant sa mère à elle.10

LA REVUE D’ART ET DE LITTÉRATURE MOTS DE TÊTE / NOUVELLES ET POÈMESOn dit qu’y était là avant les premiers habitants du village… mais ça Le p’tit gars cherchait donc à échapper à son mau-reste encore à confirmer. Quand les récoltes allaient moins bien, le vais sort et à terminer la journée sur une note uncasse-croûte nourrissait toute le monde. Des générations complètes peu plus positive. Mais même le joint ne changeaitont survécu juste avec des frites pis des roteux. Ç’a eu des drôles de rien et y’a décidé de s’en débarrasser.répercussions sur les gens du coin. . La bouffe était bonne pis pas cher,fait que tout le monde a fini par lâcher ses récoltes. À plus cultiver, pis Rambo le savait pas encore, mais y venait de faireplus cuisiner, ça leur laissait beaucoup plus de temps pour eux-mêmes, une gaffe monumentale. L’étincelle qui était pasdonc tout le monde a commencé à exploiter son p’tit côté patenteux. encore éteinte a flairé l’opportunité de faire duTrès peu le savent, mais plusieurs choses viennent de là. Le meilleur dommage. À s’est détachée du joint pour volerexemple, c’est l’gars qui voulait faire changement avec sa poutine pis tout doucement jusqu’à aller se loger ben tran-qui a créé le si délicieux fromage deux couleurs. On s’égare un peu de quillement dans une fissure du pont. Vous pouveznotre histoire, mais c’te patate-là étant probablement le lieu le plus im- demander à n’importe quel pompier, y va vousportant du village, c’était digne de mention. confirmer que c’est de même que l’feu se com- porte. Y’est véritablement doté d’un esprit, d’une*** volonté malveillante. J’ai appris ça dans mon cours de physique. Peu importe, ça en prenait pasOn en était donc déjà rendu au jour de la compétition. Rambo avait plus pour que la petite étincelle donne naissancetravaillé sur sa voiture tout l’été. Elle était tellement parfaite qu’y était à une flamme, et c’te flamme à une autre. Le feu,convaincu de sa victoire. Tout est allé très vite pour lui c’te journée-là. croyez-le ou non, était pareil à un tsunami. Y seY’avait jamais été si stressé de sa vie. Y a pris place pis comme y vérifiait propageait même plus vite que Rambo dans sonque tout était en marche, BAM ! C’était déjà le départ. Un peu surpris, bolide. Et, dans le temps qu’y fallait pour le dire,y’a eu un départ tardif. Y’était pas chanceux, Rambo! Malgré ça, ç’a pas tout le pont fait de bois s’était enflammé. Aprèspris plus que quelques secondes qu’y voyait déjà plus ses poursuivants seulement quelques minutes, y’était déjà en trainderrière lui tellement y’allait vite. Avec la qualité des routes du Qué- de s’écrouler dans la rivière. Le lendemain, ybec, particulièrement à c’te époque-là, la course était très dangereuse. restait plus rien de sa présence, si ce n’est que desRambo devait zigzaguer entre les nids-de-poule, qui ressemblaient fondations en béton armé. Pour Rambo, tout estplus à des crevasses. L’année d’avant, un participant était tombé dans vraiment tombé à l’eau c’te journée-là.une de ces crevasses-là. Elle était tellement profonde qu’on l’avait ja-mais retrouvé. Pis ça, c’était un stress de plus pour lui. C’est donc les La catastrophe! Le village venait de perdre sonyeux plein d’eau, d’la brume dans lunettes, d’la broue dans l’toupet, que identité. Son nom avait plus aucun sens, il fal-Rambo filait à toute allure. Rendu en bas de la pente, en passant la ligne lait l’appeler Shaw. Heureusement, ç’a pas duréd’arrivée juste avant le pont, dans sa grande excitation pour terminer le trop longtemps. La construction d’un nouveaupremier, y’a complètement oublié de freiner. Il allait tellement vite qu’y pont a commencé l’année même pis s’est achevéeest passé au travers des remparts de foin. Y’est tombé avec sa voiture l’année suivante. Le nouveau pont, en métal dudirectement dans la rivière. Une perte totale. Y’avait gagné, mais le ré- même vert que le bolide de Rambo, est encoresultat était pas celui dont y’avait tant rêvé. La course s’était terminée présent aujourd’hui. On peut même voir sur undans les rires et le déshonneur. des pylônes une photo à la mémoire du gagnant de 1984, mais malheureusement pour lui, c’est leVers la fin de la journée, n’ayant jamais été si déçu, Rambo s’est rendu nom « Rambo » qu’y est écrit dans la légende…sous le pont, juste à côté de l’endroit où y’était tombé quelques heu-res plus tôt, afin d’aller fumer un peu. Je l’avais pas dit encore, mais la Findrogue a toujours été omniprésente dans Shawbridge, particulière-ment à c’te époque-là. On la trouvait sous toutes ses formes. Pis desept à soixante-dix-sept ans, on fumait. Ça faisait partie de la culture,du patrimoine, des traditions, peu importe comment vous appelez ça. 11

LA REVUE D’ART ET DE LITTÉRATURE MOTS DE TÊTE / NOUVELLES ET POÈMESVADE RETRO — Ben oui, t’as pas vu ton chapelet, fille? C’est pas tout le monde qui peutSATANA s’en payer un bon comme ça. Voyons, calvaire! En m’en retournant chez moi après mon shift, je te vois souvent rentrer à l’église pour la messe de de 3 heures du matin, explique-t-elle avec un sourire on ne peut plus ma- ternel aux lèvres. La foi est la plus belle vertu, Marie, mais trouve donc le temps de dormir! — Je comprends, répond-elle, un peu gênée. — On fait tous ce qu’on peut.PAR TRISTAN PAQUIN Ça ne fait qu’une dizaine d’années qu’on donne des messes pendant la nuit. Une décision universellement saluée par le peuple des Diocèses-— Finalement, comment s’est passée ta première possession? Unis du Québec. Avec l’arrivée des confessionnaux de coins de rue, l’ouverture jour et nuit des lieux de culte semblait être la prochaine étape— Mieux que prévu! mais mon cou me fait encore mal… logique. Métro, boulot, eucharistie, dodo. Les Très Saintes Terres du Canada ont emboîté le pas quelques mois plus tard. Peu importe la con-Les deux infirmières se trouvent devant l’entrée principale d’un fession, on lutte de manière très similaire. Même avec l’indépendancehôpital de la ville aux cent clochers, fumant leurs cigarettes. C’est bien méritée des Diocèses (difficile d’être catholique dans une mer pro-très laid dehors, tout est gris, sale et mouillé; on assiste à la quin- testante, aux grands maux les grands moyens) les deux contrées restenttessence du mois d’avril. C’est le genre de journée où tout semble étrangement liées et, certains osent dire, semblables. Même ferveurplus long. Les heures sont interminables, les plaintes monocordes portée au hockey.des malades n’en finissent plus et l’urgence devient un bruyantpurgatoire rempli de magazines féminins que l’on regarde, mais On vit bien ici. Ce n’est pas le Saint-Siège, mais on doit bien s’y faire.qu’on ne lit pas. Les yeux semblent plus cernés, les cheveux plusamochés. Tous ces stigmates marquent au fer rouge ces deux in- Ç’a commencé il y a une centaine d’années en Europe. On était mieuxfirmières. L’une, plus jeune, semble abattue, mais arbore tout de préparé ici quand le mal a traversé l’Atlantique. Quelques remanie-même un sourire franc. L’autre, plus vieille, bien plus potelée et à ments à faire, des noms de postes à changer et des agents du Seigneurla voix parfois rocailleuse, parfois grumeleuse, parait résister au à former. Oui, comme une sorte de court service militaire imposé à tousboulot qu’elle exerce depuis visiblement très longtemps. les hommes et à toutes les femmes valides, mais avec plus de latin. Usage de l’eau bénite, du crucifix et du Livre Saint… Les méthodes ont fonction-— Oh, t’en fais pas, fille. T’as l’air d’être faite forte, dit la plus vieille né. Aujourd’hui, ce n’est plus tout le monde qui reçoit cet enseignement,en regardant les voitures passer. J’aimerais être pieuse comme hormis le strict nécessaire. De toute façon, les soutanes ont peut-êtretoi, ça m’éviterait de me retrouver ici en-dehors de mes heures de diminué en nombre, mais leurs talents se sont démultipliés. Baptêmestravail. sous les balles, confessions en plein feu de forêt, exorcismes de cam- pagnes électorales…— Pieuse, moi? s’exclame la plus jeune, surprise. Tout pour combattre Satan.12 GABRIEL GAUSSIRAN. ROADKILL (2014), AÉROSOL SUR TOILE, 24 X 36 PO

LA REVUE D’ART ET DE LITTÉRATURE MOTS DE TÊTE / NOUVELLES ET POÈMES— Une journée tranquille, somme toute… affirme Marie après un long silence, ajustant sa cornette.— Pour toi, peut-être! Toi, t’étais pas prise avec celui que j’avais tantôt! s’exclame la matrone, presque offensée. J’ai jamais vu un corps voleraussi vite, je suis surprise qu’il se soit pas brisé le dos sur le lit. J’avais presque plus de voix à force de réciter.Soudainement, le fracas d’une vitre, un long cri, ensuite ce qui semble être un pare-brise qui explose et finalement une alarme de voiture quise met à chanter.— Maudite misère, ça fait cinq ans qu’on demande des calices de barreaux, remarque la vieille.— On peut pas tous les sauver…— Ouain… ? Tendant le paquet à la novice: en veux-tu une autre?— Vous ne m’inculquez pas les meilleures des habitudes, madame…— Elles ont été bénites par le cardinal Girard lui-même.— Ah.Elle en prend une et l’allume en moins de temps qu’il le faut pour faire un signe de croix. Ses parents, à Gaspé, ne seraient pas très fiers. Aumoins, elle est d’une grande tempérance en ce qui concerne la boisson (que ses géniteurs prononçaient « boésson »), se dit-elle. Une bonnepetite sœur, une fierté de la famille. Plus catholique que le pape, qu’on disait. Être fumeuse, ce n’est pas être dévergondée pour autant !— Excusez-moi, demande une voix masculine, mais timide, juste derrière les deux femmes.— Comment puis-je vous aider, mon cher monsieur? demande rapidement la vétérane.— Où se trouve le dépanneur le plus près?Il est beau, il faut l’admettre. Son regard oscille, mais juste un peu. Sa démarche est assurée, mais semble camoufler un trouble, un boitement,peut-être.— Vous continuez le long de la rue, pointe-t-elle de son doigt boursouflé, vous prenez la première droite, et vous voilà. Vous pouvez pas lemanquer!— D’accord, merci, répond-il d’un ton soulagé.On pêche, on se confesse, on baise, on supplie le Seigneur de nous pardonner. On lit le journal, on constate que rien n’a changé dans la mêlée àtrois au Moyen-Orient.— Charmant, murmure Marie.— Adorable, affirme l’autre, avec plus de conviction.Les deux partagent un agréable silence, un espace vierge entre deux paragraphes.— Personne n’est infaillible, dit finalement Marie, contemplative.Il marche dans la saleté d’avril, confus, mais toujours lucide, enlevant les éclats de verre qui se sont logés dans le haut de son dos. Une chutede cinq étages, ça fait sonner les cloches. Il achète au passage un paquet de gomme au dépanneur, le caissier ne l’a pas trop dévisagé; c’estbon signe. On entend des sirènes passer en vitesse devant le commerce. Ce n’est pas la première fois qu’il réussit à s’échapper. En brisant unefenêtre, là, il s’agit d’une première. Difficile, la vie de sataniste, on vit un ostracisme constitutionnel et la plupart du temps on ne sacrifie que desécureuils, ou des vers de terre si on est sans le sou.Lui, il voit ça comme un mal presque nécessaire, il préfère voir son maître comme un crétin pris dans la glace au fond des enfers que comme uneentité assise sur un trône de crânes. Trop de malhonnêteté de l’autre côté, trop de croisades. Il plaiderait bien pour un athéisme, mais il fautcroire en quelque chose, le mal est empirique en plus d’être divin.Il arrive chez lui, ça sent l’encens. Pas de sacrifice ce soir, il n’a pas la tête à ça. Il allume son ordinateur, sécurise sa connexion, et lit les nouvellesmises à l’index. Il regarde un téléjournal français.« Nouvelle particule élémentaire découverte en Suisse. »Au moins, la science avance en Europe. Là-bas, on intègre, se dit-il en buvant son thé. 13

LA REVUE D’ART ET DE LITTÉRATURE MOTS DE TÊTE / NOUVELLES ET POÈMES QUAND CESSE L’AZUR PAR JIMMY POIRIER Le bonheur est une destination. Aller est un chemin de toute une vie. Le bonheur, c’est le soleil des autres. En attendant, je piétine dans l’ombre. Regarder, c’est toujours loin en avant ou loin derrière. Regarder, pour s’apercevoir qu’il est tout près. Regardez, le soleil des autres, comme il est beau! Le bonheur est nomade. Où j’irai, l’amas doré n’est plus. Le soleil des autres se couche à l’ouest. Le mien se lève tout croche. Je me lance à la re- cherche de l’astre perdu. Je n’ai pas fini d’y croire. Je l’ai vu dans ses yeux. Je l’ai cherché au fond d’une bouteille. Je l’ai vu au présent non au futur ni au passé. Je l’ai cherché au fond de mes yeux. J’ai reçu un éclat d’azur. Il se porte à merveille. Il n’est pas pierre froide. Ses braises sont encore vives. Le soleil des autres s’est couché. Le mien s’est levé auprès de l’arrogance. Je suis heureux, sachez-le ! Voilà que je croise le malheur. Je feins de m’en soucier. L’ombre m’indiffère. J’ai les yeux troués.14 FRÉDÉRIKE FILION. LE PASSAGE DU TEMPS (2015), PHOTOGRAPHIE NUMÉRIQUE, 11 X 8 1/2 CM

LA REVUE D’ART ET DE LITTÉRATURE MOTS DE TÊTE / NOUVELLES ET POÈMES L’ANNÉE DU GOGOL PAR ALEXIS VAILLANCOURT-CHARTRANDD’après les recherches récentes en astrophysique, dans un gogol d’années (10100 ans)l’univers devrait être à ce point dispersé que même les trous noirs se seront érodés etdissous. Ne resterait alors, comme « événement », que les rencontres hasardeuses dedeux particules environ à chaque 200 000 ans.Quand les soleils ne se feront plus,Et que la lumière, au bout de son usure, se sera tue,Quand le grand rire biologique aura refermé son mystère,Et que le vertige des nombres sera la matière,Quand le silence aura déplié sa carte,Quand la tristesse ne saura plus rien des lacs,Étirée dans sa peau jusqu’au vide de l’atome,La mort, alors, sera le luxe des ancêtresEt nous aurons oublié, depuis longtemps,Que la vieÉtaitUn méchant beau spot 15

LA REVUE D’ART ET DE LITTÉRATURE MOTS DE TÊTE / NOUVELLES ET POÈMESVEILLEUSE PAR LAURENT MONTREUIL I...l ne savait plus depuis combien de mois, d’années ou de décennies il était isolé dans cette maison. Le temps avait lentement ..rongé le vieil homme de l’extérieur comme de l’intérieur, alors que cette chaleureuse bâtisse semblait être imperméable à ..cette fatalité de l’univers et était aussi impeccable que le jour de son arrivée. L’hôte de ces lieux ne connaissait personne, ne ..sortait jamais et ne s’y serait jamais risqué. Ce qu’il restait de ce monde lui donnait d’ailleurs parfaitement raison et il avait accumulé assez de provisions pour plus d’une vie. Sa demeure était très lumineuse ; il n’éteignait jamais les lumières à l’exception de celles de la chambre. Il avait toujours l’électricité, grâce à une génératrice de secours, et des ampoules à profusion. Des ri- deaux couvraient chaque fenêtre. Il y avait beaucoup de pièces, trop pour une personne seule. D’ailleurs, il n’en habitait que trois, les autres ne servaient qu’à lui rappeler sa trop grande solitude. S’ajoutaient à cette atmosphère les craquements des murs qui résistaient à l’assaut incessant des courants d’air extérieurs. Depuis des années, un vent presque constant se heurtait aux murs de la maison, produisant ainsi une ambiance monotone de tempête hivernale. Pourquoi ne sortait-il jamais? Par prudence, ou par peur probablement. Dehors, il n’y avait rien de bon pour lui, seulement l’obscurité totale, l’inconnu et le danger. La mort, voilà la seule certitude que lui offrait le monde extérieur. Un jour, alors qu’il était en train de manger, il s’arrêta brusquement, scrutant le vide d’un air perdu. Il croyait avoir entendu quelque chose. Il se leva. De petits bruits sourds provenaient de l’arrière de la maison, à l’extérieur. Il s’approcha du mur du fond et y colla son oreille. Il entendait des chuchotements étouffés par l’épaisseur du mur. Soudain, après quelques secondes, toutes les lumières s’éteignirent. Les voix semblaient devenir plus fortes et se dirigeaient vers l’entrée. Se précipitant vers le garde- robe faisant face au salon, il trébucha sur le tapis. Un fracas infernal provint alors de l’entrée et il trébucha une seconde fois. Tâ- tonnant le mur d’une main tremblotante, il toucha une poignée. Il poussa la porte et, au même moment, celle de l’entrée s’ouvrit brutalement, accompagnée de faisceaux lumineux aveuglants. Le vieil homme referma la porte du garde-robe. Des craque- ments de plancher indiquaient la progression des intrus à l’intérieur de la maison et l’on pouvait entendre des bruits métalliques et des respirations haletantes. Il entrouvrit la porte et regarda par l’embrasure. Le vieillard pouvait maintenant entendre des rires euphoriques et saccadés qui se mêlaient à des cris et des mots inintelligibles provenant de quatre formes floues. Munis de lampes de poche, les cambrioleurs se dirigeaient lentement vers la sortie. Il se replia de justesse et eut tout de même le temps de constater qu’ils ne transportaient que de la camelote encombrante et des objets brillants. Pourquoi ne prenaient-ils pas la nourriture? Pourquoi ressortaient-ils dans la nuit alors qu’ici, ils seraient à l’abri du danger? À force de côtoyer la mort dans les ténèbres, ils avaient probablement fini par perdre la raison. Pauvres bougres. Ils devaient convoiter ces objets anciens qui leur rappelaient certainement une époque meilleure, depuis longtemps révolue. Les bruits de pas s’évanouirent dans le vent. Une sueur froide mouillait les joues du vieil homme, qui ouvrit brusquement la porte du garde-robe. Le vent devenait de plus en plus bruyant. Malgré l’absence de lumière, le vieillard se mit à courir vers le salon. Des cris se faisaient entendre dehors. L’homme s’agenouilla. Il se trouvait devant une vieille génératrice de secours. Il se mit à manipuler violemment l’appareil. L’homme toucha une manivelle et l’actionna frénétiquement. Les lumières revenaient lentement quand l’homme se tourna vers la porte d’entrée qu’il se mit à fixer intensément. Celle-ci était demeurée ouverte. Il semblait que la lumière clignotante de l’ampoule pendue au plafond avait du mal à se propager à l’extérieur, occupé par une obscurité totale. Au bout d’un moment, cette noirceur parut commencer à ramper à l’intérieur. Oui, les ombres glissaient lente- ment le long de la porte et étaient maintenant accompagnées d’un son aigu à en défoncer les tympans. Le pauvre homme, qui commençait à manquer d’air, se déchaînait à présent sur la génératrice. Alors que la lumière devenait progressivement plus vive,16

LA REVUE D’ART ET DE LITTÉRATURE MOTS DE TÊTE / NOUVELLES ET POÈMESles énormes bras ralentirentleur course, puis reculèrent.Il continua, toujours à boutde souffle, à actionner déses-pérément la manivelle dela génératrice. Les mainsdisparurent bientôt com-plètement dans l’obscurité.Quelques secondes passè-rent. La génératrice eut sou-dain un court-circuit et pritfeu. Toutes les ampouless’éteignirent en même temps,plongeant la maison dansl’obscurité. Son cœur s’arrêtal’espace d’un instant et desfrissons d’épouvante par-coururent tout son corps.Maintenant, il savait qu’il n’yavait qu’une seule chose quipuisse le sauver de l’obscuritéoppressante.Il prit une vieille bouteille decognac posée sur un tabouret,en aspergea le salon et y mitle feu. Il retira ensuite sonchandail, s’en fit une torcheet propagea le feu au restede la maison, qui mit trèspeu de temps à s’embraser.Il regardait la porte d’entréeoù les ombres qui s’étaientintroduites de nouveau recu-laient désormais face à la lu-mière des flammes. Il se diri-gea lentement vers celle-ci entitubant et en toussant, jetaun dernier coup d’œil derrièrelui avant de sortir enfin.Il franchit quelques mètres et se posta à une distance suffisante pour éviter d’être brûlé. La lumière du brasier révélait à unecentaine de mètres autour de la maison d’innombrables créatures d’ombres qui se mouvaient dans tous les sens au niveau dusol et qui semblaient provoquer d’énormes rafales de vent. Dire qu’il croyait ne voir dehors que noirceur à l’infini. Il tourna ledos aux ombres et s’assit, regardant son passé brûler devant lui, regardant sa maison qui était, et serait jusque dans la mort, cequ’il croyait être son seul refuge contre l’obscurité qui l’avait l’oppressé presque toute sa vie. Le feu devenait de moins en moinsintense et la maison s’obscurcissait lentement. Il resta assis là. Il avait perdu espoir depuis bien trop longtemps et il le savait. Uneétincelle scintillait faiblement dans le lointain. Il voyait le feu se mourir et sentait sa fin se rapprocher de lui. Une cavité s’étaitformée dans les murs face à lui et il pouvait voir la source de tous ses maux à travers ce qui restait de sa maison, qui sombraitde plus en plus. Il voyait même des ombres ramper hors de cette ouverture, comme si elles faisaient partie de la charpente dela maison. Il observa longuement, très longuement ce trou et la noirceur qui s’en échappait. Une lueur apparaissait dans le ciel,l’heure était arrivée. Il contemplait les dernières flammes s’étouffer lentement sur la silhouette noire de sa maison et il regardaau loin. Une aube flamboyante naissait à l’horizon.ISABELLE TESSIER. PSYCHO-FRAGMENTATION (2014), ACRYLIQUE SUR MASONITE, 91 X 123 CM 17

LA REVUE D’ART ET DE LITTÉRATURE MOTS DE TÊTE / NOUVELLES ET POÈMES LA MAISON-MOI PAR ÉMILIE BOISCLAIR I...l faisait un temps de chien dehors. J’entendais la pluie battre ceux que j’avais aimés. Maintenant inutile, des ..contre les fenêtres de ma chambre. Lorsque je me décidai enfin assiettes sales s’y empilaient. Un peu partout, des ..à ouvrir la porte de mon esprit encore brouillé de sommeil, des bouteilles d’alcools forts jonchaient le sol couvert de ..marteaux me fracassèrent le crâne. Tous les jours, c’était la même cendres mortes, de linge noirci. Je regardai cette cui- chose. Je revenais de la nuit comme on s’extirpe d’un cercueil. Mon sine aussi froide et abandonnée que moi et décidai regard croisa le miroir. Habituellement, je l’évitais. Toujours aussi de boire un thé chaud, espérant que celui-ci nous moche. Une charpente meurtrie, des muscles de bois noués, une réchaufferait. façade négligée, pâlie, qui me rappelaient vaguement la femme que j’avais été. Je franchis la porte qui menait au sanctuaire de ma solitude, m’asseyant dans ce fauteuil que tu avais C’est alors que je remarquai un bruit sourd, continu. Comme tapi affectionné et qui conservait encore ta trace. En dans l’ombre. Un bruit agaçant. Je ne me demandai pas longtemps ces temps maussades, je m’y réfugiais le plus sou- qui cela pouvait être. J’étais seule, trop seule. Il n’y avait personne vent, il me servait à naviguer, malgré ma douleur, d’autre que moi ici. Personne. Et depuis tant d’années. Ce n’était que jusqu’à toi. Toi qui m’avais tant aimée. Toi qui m’avais ma respiration qui faisait écho dans le cœur de ma chambre. construite, soutenue de l’intérieur, moi qui étais dé- sormais en lambeaux depuis ton départ. Une maison Je descendis alors à l’étage, là où tous mes souvenirs bouillaient sur hantée j’étais. un four brûlant. J’errai dans la vaste pièce où j’avais tant cuisiné pour Je tournai la tête vers la fenêtre aussi embuée que mes yeux vitreux. Il neigeait dehors. Soudain, à tra- vers les flocons, je crus discerner quelque chose. Je me levai, posai mes paumes contre la fenêtre glacée, ne faisant qu’une avec elle. Et je le vis. Lui. Un homme marchait dans ma direction. Il me regardait fixement de son regard de ténèbres. Il marchait vite, de plus en plus vite. Il se rapprochait de la porte de mon âme, comme poussé par un vent du diable. J’étais figée, gelée par le froid qui émanait de ses yeux. J’aurais voulu me sauver, fuir jusqu’à la cave, finir mes jours à compter les craques sous ton vieux bureau. Je le vis enfin de près. Une cigarette fumante aux lèvres. Ses yeux plantés dans les miens. Sans pren- dre le temps de dire quoi que ce soit, il prit le mégot brûlant et le lança sur ma toiture qui s’embrasa im- médiatement. Je sentis bientôt la chaleur lécher chaque structure, descendre vers moi, puis me pren- dre, monter en moi, brûlant chaque fibre de mon corps sec en même temps que mes souvenirs. Lorsque je repris conscience, il était parti, laissant là les restes de mon corps crépitant dans la braise. Je suis peut-être morte, mais j’espère, je peux croire maintenant qu’une autre maison m’attend, qu’un jour, il y aura mieux que la Maison-Moi.18 GABRIEL GAUSSIRAN. MONOCHROME (2014), ACRYLIQUE SUR TOILE, 16 X 20 PO

LA REVUE D’ART ET DE LITTÉRATURE MOTS DE TÊTE / NOUVELLES ET POÈMESAPRÈS-BALPAR ALEXYA CRÔTEAU-GRÉGOIRET...out le monde crie. Personne n’a idée de ce qu’il faut faire. Non seulement il est vide, mais il est brûlé. ..C’est la panique, ici. Je ne sais plus comment agir, comment Tout est en cendres. Chaque mur est noirci ..respirer. Mon souffle est bloqué par la fumée qui jaillit de par le feu. Les questions vont et viennent ..partout. Ma vue s’estompe peu à peu et je perds le contrôle dans mon esprit. Je ne comprends plusde moi-même. J’essaie de me diriger vers la sortie mais c’est pra- rien. Je panique. Je ne sais plus commenttiquement impossible. Les gens me poussent et oublient qu’ils ne agir, comment respirer. Mon souffle estsont pas seuls. Je tente de me souvenir de chaque recoin du chalet bloqué. Ma vue s’estompe peu à peu et jepour trouver une issue mais je n’y arrive pas. Je suis trop déséquili- perds le contrôle de moi-même. J’essaiebrée par les événements. de me diriger vers la sortie mais c’est pratiquement impossible. Je suis trop*** déséquilibrée par les événements. C’est comme si tous mes souvenirs s’effaçaient.Tout le monde attend cette soirée depuis le début de l’année sco- Comme si l’idée d’un monde nouveaulaire. Nous nous sommes consultés pour trouver un endroit où transperçait mon âme. Je vois défiler desfaire cette fête de fin de secondaire. C’est un gros événement pour images de mes années au secondaire enmoi parce qu’il annonce la fin officielle d’une grande étape de ma une seconde et tout s’estompe.vie. Quelques fois, ça me fait peur de quitter les personnes avec qui j’ai passécinq années dans le même établissement, et c’est officiellement à partir de Puis une silhouette apparaît finalementdemain matin que nos chemins vont se séparer. Cette idée me fait frissonner. de l’autre côté de la pièce principale. LaNous avons tous une trajectoire différente. Certains changent de ville pour silhouette d’une fille. Elle prend une allu-le programme d’études dont ils ont besoin, d’autres restent ici pour terminer mette et met le feu aux cendres. Quandun cours échoué. Perdre contact avec des gens extraordinaires semble impos- les murs noirs se mettent à brûler unesible à mes yeux, mais je suppose que je dois profiter de ces instants qui me deuxième fois, je revois mes souvenirsrestent avec eux plutôt que de me baigner dans la nostalgie. Ce soir, c’est donc disparaître. Les images qui me sont lesla dernière fois qu’on pourra être tous ensemble. La dernière fois qu’on pourra plus chères me filent sous les yeux ets’amuser comme des fous sans se soucier du reste. Parce que demain, notre s’emprisonnent pour toujours où je nevraie vie commence. Ma vraie vie commence. pourrai jamais les retrouver. La fille se met à paniquer et se faufile à travers des per-Il est à peu près onze heures du soir et je me rends au chalet où se passe la soirée. sonnes imaginaires. Elle crie et essaie deIl y a déjà pas mal de monde. C’est un chalet sur le bord d’un lac et l’atmosphère respirer mais elle s’effondre. Je remarquesemble paisible. Par contre, la musique est forte et tout le monde s’amuse. Plus aussitôt que cette fille, je la connais. C’estle temps avance, plus il y a de monde. L’ambiance devient intense. Il fait chaud moi.et je sens la sueur sur mon front quand je danse. Une bière par-là, un shoot devodka par-ci. Il y a même cette odeur louche de gâteau qui me passe sous le nez.Ce gâteau semble en intéresser plusieurs, si vous voyez ce que je veux dire. Lasoirée devient folle, les gens sont partout. Dehors, certaines personnes se bai-gnent, certaines font des jeux loufoques. Ce chalet est l’endroit idéal pour cettedernière soirée entre amis. Il n’y a personne aux alentours pour nous dire quoifaire et ne pas faire. Nous sommes seuls, vraiment seuls.La nuit continue à avancer et je ne sens plus mes pieds. Ma tête tourne et mesjambes flageolent. Je marche dans la maison, sans savoir où je vais me rendre.Tout autour de moi semble flou et je n’écoute plus ce qui se passe. La musiquedevient secondaire et j’atterris finalement dans la salle de bain. Je me pencheau-dessus de la toilette pour vomir, mais rien ne sort. Je m’adosse au mur en es-sayant de retrouver mes esprits. Soudainement, je n’entends plus de musique,plus aucun son. Je tente de me relever pour aller voir ce qui se passe. En ou-vrant la porte, je remarque qu’il n’y a plus personne. Le chalet en entier est vide.ANNABELLE AMYOT. MASQUES (2013), DESSIN FAIT AVEC PASTELS ET FUSAINS, 80.5 X 100.3 CM 19

LA REVUE D’ART ET DE LITTÉRATURE MOTS DE TÊTE / NOUVELLES ET POÈMES LE BRUIT DES OS QUI CRAQUENT PAR KEVIN BORNAIS, (INSPIRÉ DE LA PIÈCE DE SUZANNE LEBEAU) L...a lune brillait haut dans le ciel. À quelques mètres au niveau du sol. Il songea que, si l’un d’eux devait se réveiller, ..devant lui, à travers les branches d’arbre, Théodor il pourrait les réduire au silence assez facilement, tant ils sem- ..pouvait apercevoir les contours des habitations qui blaient sans défense. Aussi, il vit, sur le mur du fond, ce qu’il ..se dessinaient. Il serra sa mitraillette entre ses mains, était venu chercher: un sac de riz volumineux trônait sur le comme pour s’assurer qu’elle s’y trouvait encore, puis, d’un sol, prêt à être volé. pas incertain, il sortit du couvert des arbres. S’avançant avec agilité dans la hutte, il parvint à se rendre à Le village était parfaitement silencieux. À cette heure, les son objectif sans émettre le moindre bruit. Il déposa sa mi- habitants dormaient depuis déjà plusieurs heures. Avec traillette sur le sol et, d’un mouvement, porta le sac de riz à un peu de chance, il parviendrait à ramener quelques vic- son épaule. Il était lourd, bien plus que ce à quoi il s’attendait. tuailles sans avoir à tirer ne serait-ce qu’une seule balle. Il Déjà, il sentait les fibres de jute lui érafler les mains sous le s’avança lentement vers la hutte la plus proche en jetant des poids du riz. Il ignorait s’il serait en mesure de le transporter regards furtifs autour de lui. Sous la lumière lunaire, il aper- jusqu’au campement. çut ses trois compagnons qui se mouvaient furtivement dans la nuit, se dirigeant chacun vers une hutte différente. Il entendit soudain un bruit sec, comme un claquement. Avant même qu’il ne puisse se questionner sur son origine, il com- Ils le faisaient avec une confiance qui était encore inconnue prit d’où il venait: le sac de riz s’était déchiré d’un seul coup et, de Théodor. Pour eux, les raids nocturnes étaient déjà une maintenant, son contenu se déversait bruyamment sur le sol. habitude, voire une routine. Ils étaient plus âgés, plus ex- Il aurait voulu disparaître. périmentés: il était la nouvelle recrue. Il ne pouvait échouer, il devait réussir s’il voulait un jour leur ressembler. Comme il s’y attendait, les quatre villageois qui dormaient aux alentours furent tirés de leur sommeil d’un seul coup, Soudainement habité d’une volonté qui semblait l’avoir alarmés. Théodor jeta le sac désormais vide de côté et se abandonné, Théodor s’approcha de la porte de la hutte et pencha pour ramasser son arme. Cependant, elle était main- l’ouvrit. Il serra les dents en entendant le grincement de tenant recouverte d’une épaisse couche de riz. Il fouilla avec la porte qui lui parut être aussi bruyant qu’un coup de feu désespoir dans l’amas de riz qui se trouvait à ses pieds, mais dans le silence de la nuit. Il s’arrêta quelques secondes et il lui semblait que plus il cherchait, plus son arme s’enfonçait. tendit l’oreille, attentif aux bruits environnants. Au loin, Lorsqu’il mit finalement la main sur sa mitraillette, des heures il entendait le bruit léger des pas de ses camarades qui semblaient avoir passé. s’introduisaient dans d’autres huttes. Plus près de lui, il n’entendait que les respirations lentes et régulières des vil- Il la prit à deux mains et la pointa aussitôt devant lui, prêt à lageois qui dormaient encore. Jusqu’à maintenant, tout al- tirer. Ses yeux scrutèrent les alentours, mais les lieux étaient lait pour le mieux. déserts. Les villageois étaient sortis pendant qu’il s’affairait à retrouver sa mitraillette. Il savait qu’il venait de commettre Il mit le pied dans la hutte et prit quelques secondes pour une terrible erreur. Par sa faute, ses trois camarades, en plus s’habituer à la profonde noirceur. Dans l’ombre, il pouvait de lui-même, venaient d’être compromis. D’horribles repré- repérer les quatre personnes qui dormaient sur des matelas sailles l’attendraient pour son incompétence.20

LA REVUE D’ART ET DE LITTÉRATURE MOTS DE TÊTE / NOUVELLES ET POÈMES leur se fit ressentir à l’arrière de sa tête et il s’effondra sur le sol, face contre terre. Autour de lui, on pouvait entendre des bruits de pas se rapprocher. Son arme avait glissé hors de sa portée, mais il ne fit aucun effort pour tenter de la reprendre. De toute façon, c’était sans espoir. Alors que les bruits de pas laissaient place à des bruits de respiration, Théodor sentit une terrible douleur dans ses côtes: on venait de lui asséner un coup de pied pour le faire tourner sur le dos. Il discerna, sous la lueur lunaire, plusieurs visages qui l’observaient. Quatre au to- tal, tous des hommes. Deux d’entre eux avaient une machette à la main, et les deux autres tenaient des roches. C’est ce qu’ils avaient dû utiliser pour l’assommer. Il entendit vaguement les paroles de l’un d’eux, qui avait une voix plus douce que les trois autres, qui insistait sur le fait qu’il n’était qu’un enfant. Un enfant, oui. C’est bien ce qu’il avait été, il y avait de cela des siècles, lui sem- blait-il. Mais pour trois de ces quatre hommes, tout comme pour Théodor lui- même, il n’en était plus un. Il en eut la cer- titude lorsqu’il vit l’un des hommes élever sa machette haut dans les airs; et alors, la lune disparut derrière la lame souillée.C’est en courant qu’il sortit de la hutte, ne se souciant alors plus d’être discret. FinDehors, le village semblait encore aussi silencieux que tout à l’heure. Pourtant,une atmosphère menaçante y régnait maintenant. Il savait plus que jamais qu’ilétait un intrus et qu’on n’hésiterait pas à le descendre. Ses compagnons étaienthors de sa vue, mais Theodor se permit d’assumer qu’ils devaient déjà être re-tournés dans les bois avec des provisions.Il se mit à courir pour se mettre sous le couvert des arbres, mais alors quequelques mètres seulement le séparaient de l’orée de la forêt, une terrible dou-ANNABELLE AMYOT, ANCHE (2014), PHOTOGRAPHIE, 35.19 X 24. 13 CM 21

LA REVUE D’ART ET DE LITTÉRATURE MOTS DE TÊTE / NOUVELLES ET POÈMES MÉDUSE-MOI PAR JUSTINE NORMANDEAU-NAUD L...a méduse est un animal datant d’il y a plus de 500 courant, être la lumière dans mon chez-moi, être la reine de ..millions d’années. « Bien plus vieille que l’Homme », mon propre royaume. Et, profondément ancrée dans mon ..me diriez-vous, et, « entièrement d’accord », je vous cœur, battait l’idée de ne vivre que pour ne jamais mourir. ..répondrais. Elle est formée à 98 % d’eau pour 2 % de masse. Tout comme l’Homme, elle est constituée ma- Hier soir, je m’étais lancée sur mon lit, et malgré le soleil cré- joritairement de cet or bleu. La méduse se déplace tout au pusculaire traversant les rideaux, les étoiles avaient brillé au- long de sa vie. Encore et encore, elle se déplace. L’Homme delà du plafond beige, aujourd’hui jauni par la fumée blanche ne fait-il pas la même chose? La méduse dérive, et l’Homme de mes cigarettes – là, dans la poche de mon manteau qui marche. Il court. C’est dans une beauté gracieuse que la reposait mollement sur l’une de ces boites de carton dont méduse trouve proie, elle étend ses élégants tentacules l’ouverture laissait entrevoir un amas de vêtements sobres – et attend paisiblement. L’Homme, quant à lui, ne possède – et mon monde s’était mis à défiler lentement, comme mis au pas la même patience que l’ange marin, il est rapide, par- ralenti. Ma tête tombait lourdement sur le matelas, faisant re- fois froid, et animé d’une rage inconnue pour cette créa- ture translucide. Cependant, tous deux s’attaquent à leurs semblables, tous deux s’en nourrissent. L’Homme, parfois avec regret; la méduse; jamais. La méduse demeure dans les profondeurs obscures de l’océan, se faisant sa propre lumière, ou bien flotte sous les rayons chauds du soleil, à la surface de la mer, l’ombre lui étant inconnue. L’Homme, que fait-il? Il fuit la noirceur de son propre cœur, la noir- ceur de ses pensées, cherchant refuge dans la clarté du jour, dans l’éclat des sourires des autres. La turritopsis nu- tricula arrive à s’autorajeunir, à inverser son cycle de vie, et à retourner à son état primaire, un état larvaire, pour renaitre de nouveau. Renaitre tel le phénix jaillissant de ses cendres. L’Homme est-il capable de tel miracle? Je ne crois pas non. Je voudrais être méduse. Quand j’étais plus jeune, beaucoup plus jeune, mon père m’appelait sa petite méduse des mers. Je n’ai jamais su pourquoi; il est mort bien avant que je n’atteigne un âge où j’aurais pu en comprendre la signification. Et depuis, j’imagine, je rêvais d’être une méduse : dériver au gré du22 SARAH MADGIN. SANS TITRE (2014), TRANSFERT D’IMAGE, FUSAIN, PASTEL, ANCRE, ACRYLIQUE SUR MASSONITE, 91 X 122CM

LA REVUE D’ART ET DE LITTÉRATURE MOTS DE TÊTE / NOUVELLES ET POÈMESbondir en petites vagues l’ocre et l’émeraude de ma douillette de soie; s’y mélangeaient doucement les fils argentés, sinonblancs, qu’étaient devenus mes longs cheveux. Et, clignant des yeux une première fois, puis une dernière, j’entendais vaguementla radio jouer un air qui ne m’était pas inconnu. Étrangement, sans que je ne sache vraiment pourquoi, j’y ai pourtant reconnu lesilence des profondeurs.Et ce furent les abysses qui m’agrippèrent de leurs délicats, mais néanmoins dangereux, tentacules, et m’attirèrent dans le néantqu’était l’océan de mes pensées.C’est là, dans ces sombres abîmes, que j’étais élégance, que j’étais grâce. Dans ces profondeurs, j’étais beauté venimeuse, j’étaisbeauté éternelle. Mes cheveux devenaient ces incroyables tentacules, illuminant d’un blanc trop pur la noirceur de la nuit. Mapeau se faisait translucide; disparues sur mon épiderme les traces laissées par le temps, et le meilleur dans tout ça : le calmerégnait en moi, alors que le silence pesait sous ces eaux noires.Je serai méduse.Puis, je me réveillai dans un lit. Un lit aux draps blancs, immaculés. Une odeur flottait dans l’air, amère, âcre, forte : des anti-septiques, ou peut-être même la mort? J’étais étendue sur un lit aux draps blancs, sous un plafond tout aussi blanc, et c’est àce moment, exactement, que les étoiles se sont mises à s’éteindre, dans une succession lente et pourtant trop rapide pour mesyeux si fatigués, si épuisés. Je retrouvais à nouveau cette noirceur qui, avant, m’avait semblé si accueillante, sereine, mais qui,cette fois…Cette fois, je réalisais enfin à quel point j’avais peur du noir.Et c’est là, précisément, qu’une voix, celle de mon père peut-être, s’est élevée en moi pour me rappeler qui j’étais et ce quej’étais. Je sentais pratiquement les cordes vocales trembler, les lèvres pâles bouger. Les sons rappelant le bruit des vagues dansun coquillage me susurraient des vérités que j’avais, pendant des années, eu trop peur d’entendre. Des vérités qui aujourd’huim’effrayaient encore davantage, car elles prenaient enfin tout leur sens.Je ne pouvais me régénérer jusqu’à l’état fœtal pour pouvoir vieillir une seconde fois.Pour pouvoir oublier la maladie.Pour pouvoir oublier la mort…Je ne pouvais me permettre de vivre seulement pour ne pas mourir.Je n’étais pas immortelle.Je n’étais pas une méduse. J’étais devenue la proie. Et demain…Demain, plus une étoile ne brillerait dans la noirceur du jour…Demain, je ne serais plus… Ni humain, ni méduse.Je ne serais plus rien.Demain, je sais que je ne rouvrirai pas les yeux…Je ne serai jamais méduse. 23

LA REVUE D’ART ET DE LITTÉRATURE MOTS DE TÊTE / NOUVELLES ET POÈMES JACK L’ÉVENTREUR PAR MYRIAM THINEL L...ondres, East End, Whitechapel, 1888 ..Elle attendait le prochain. Dans une ruelle malodorante de ce quartier en perdition, elle regardait la rue, à l’affût. Un ..passant apparut. Elle souleva ses jupes, dévoilant ainsi le métier que sa condition lui imposait. Prostituée. La seule ..perspective d’avenir pour elle et ses enfants. Si elle voulait mettre du pain sur la table, elle n’avait d’autre choix que d’écarter les jambes pour quelques pennies. Un client potentiel passa, nullement intéressé. Elle soupira. Les quelques clients qu’elle avait eus n’étaient pas assez nombreux pour l’aider. Elle sentait que la nuit allait être longue et ne voulait que retourner auprès de ses petits qui l’attendaient, blottis les uns contre les autres dans leur misérable appartement. Soudain, une main se plaqua contre sa bouche. Le froid glacial d’une lame trancha la peau fine de son cou. Un puissant jet de sang chaud jaillit. La vie la quitta en même temps que le flux se tarissait. Sa dernière pensée fut pour ses enfants. L’homme parcourait les rues de Whitechapel sans presse. Que craignait-il? Son apparence lui évitait d’être inquiété, jamais un criminel n’oserait s’attaquer à lui, de peur de s’attirer des ennuis plus grands encore. Sous son bras, un vase canope d’Amset, fils d’Horus, contenait l’estomac et le gros intestin de la victime dont le sang rougissait la ruelle. « Du bétail, se dit-il en pensant à ces femmes, des catins inutiles à la société et ne contribuant qu’à perdre sa belle Londres. Les abattre, voilà ce qu’il fallait faire pour épurer cette ville ». Un fiacre l’attendait plus loin. Il s’embarqua direction Westminster, quartier riche de la ville. Cela ne prit pas de temps pour que les journaux fissent choux gras de ce meurtre. On y voyait en page titre « MEURTRE SOR- DIDE D’UNE PROTITUÉE DE WHITECHAPEL ». Fier de son coup, l’homme retourna sur les lieux du crime, afin de se délecter du spectacle. Le corps était toujours là et une foule compacte se pressait dans le périmètre de sécurité de la police de Scotland Yard. Il ne paraissait nullement suspect. À vrai dire, sa présence était plus que normale. Il scruta le corps, heureux de voir la pré- cision de sa lame et le cadavre de cette femme, de ce déchet sans vie. Il prit un malin plaisir en remarquant que des rats avaient fait un buffet de cette carcasse. Voilà tout ce qu’elle méritait. Elle était la première victime d’une série. Une semaine passa. Un soir, il sortit d’une maison bourgeoise et se dirigea vers le même quartier, mais plus loin à l’ouest. Le même modus operandi. Surprendre, égorger, éventrer, prendre les viscères et s’en aller. La victime succomba tout aussi rapide- ment. Cette fois-ci, c’est le petit intestin qui se retrouva dans le vase canope d’Hâpi. La même chose se reproduisit le lendemain. Les journaux, la foule, le corps éventré, les policiers ne sachant pas par où com- mencer, la satisfaction d’un travail bien fait. Bref, un travail digne d’un chef, d’un élu choisi par les dieux pour nettoyer la Terre des impuretés. La troisième victime, plus au sud cette fois, subit le même sort que les autres. L’autopsie révéla l’absence des poumons. Les po- liciers eurent beau chercher, ils demeurèrent introuvables. Rien de surprenant puisqu’ils étaient dans le vase de Douamoutef. Le meurtrier souriait en voyant ces idiots se démener. Sa satisfaction atteignit son comble quand le commissaire de Scotland Yard, embarrassé, eut à répondre aux questions acérées des journalistes. L’opinion publique commençait à se retourner contre le manque d’efficacité de la police. Ce qui le fit le plus rire, ce fut quand les journaux se mirent à l’appeler l’Éventreur. Il aimait ce surnom. La quatrième victime se retrouva avec le foie et la vésicule biliaire en moins. Le vase de Kébéhsénouf se trouva un réceptacle24

LA REVUE D’ART ET DE LITTÉRATURE MOTS DE TÊTE / NOUVELLES ET POÈMESde choix. Plus qu’une victime et son grand œuvre seraitenfin accompli. Pour la dernière femme, enfin s’il pou-vait la considérer ainsi, il procéda différemment. Il laconnaissait bien. Il avait enquêté sur elle, c’était l’une desamantes du patron de Scotland Yard. Celle-ci travaillaitdans une chambre et non dans la rue. Sur cette dernièrevictime, il déchaîna toute sa rage. Poignarder, éviscérer,découper, peler et composer une belle mise en scène. Lesorganes un peu partout dans la pièce, la peau placée sur lacommode. Les policiers chercheraient longtemps les orga-nes et seraient même incrédules devant cette boucherie,hors du modus operandi. La précision de la lame, l’efficacitéet la rapidité de l’action amèneraient les agents à croirequ’il était chirurgien. Et, cette fois-ci, c’est le cœur, élémentclé, qui se retrouva dans le vase de Seth, dieu des enfers.Encore souillé de sang, l’Éventreur descendit dans lesfondations d’un vieux bâtiment au centre même de l’EastEnd. C’était là que lui et sa confrérie égyptienne, quecertains oseraient appeler « secte » ou « groupesataniste », se réunissaient afin de purifier Londres. Aucentre de l’immense pièce, il y avait un pentagramme in-versé dessiné avec du sang humain. Les quatre vasescanopes contenant les organes étaient posés sur chaqueextrémité des branches. Si l’on avait superposé une cartedu quartier au symbole, on aurait remarqué l’étrangecoïncidence entre les lieux des meurtres et la position desvases sur les branches. L’East End était maintenant un pen-tagramme géant, tiré de la mort expiatoire des victimes.La cérémonie était une parodie morbide de la dissectiondes corps. L’homme sortit les organes des vases après lesavoir bénis avec du sang de chèvre, pour ensuite les placerdans un mannequin de paille, dont les bras et les jambesétaient écartés pour s’insérer dans la forme du penta-gramme. L’homme, heureux d’avoir accompli sa missionen posant le cœur à la place du cerveau, commença uneincantation afin d’invoquer un démon qui nettoierait enfince quartier infâme. Il finit en mettant le feu au mannequinet prit les cendres pour les éparpiller dans l’Est End, là oùles meurtres avaient été commis.Quelques semaines plus tard, le meurtrier sortit des bu-reaux de Scotland Yard. Dehors, une horde de journalistesl’attendait. « Lieutenant! Lieutenant! Que pensez-vous dela disparition de Jack l’Éventreur? Et de la démission duCommissaire? De ses liens avec les victimes? Allez-vousprendre sa place? Que dire de l’étrange fléau qui frappel’East End? Jack l’Éventreur serait-il un sataniste? Lieute-nant! Lieutenant! »FRÉDÉRIKE FILION. BALLERINE USAGÉE (2014), ACRYLIQUE SUR TOILE, 151 X 61 CM 25

LA REVUE D’ART ET DE LITTÉRATURE MOTS DE TÊTE / LA GALERIE D’ART La galerie d’art MA VIE EN QUELQUES LIGNES PAR VANESSA LEMOYNE Vide C’est comme ça que je me sens. Vide, sans énergie, sans motivation, sans inspiration. Vide de justification, vide d’argument, mais la tête pleine qui pense à ce que je devrais faire. Je sais que je devrais accepter mon vide, mais je m’en sentais incapable. Pas la force, pas l’énergie, pas les capacités, pas le courage. Je me sens vide de générosité, 2. vide d’amour, vide de joie, vide de rire. Vide de vouloir et vide de craindre d’avoir le pouvoir et l’espoir. Parler, c’est vide ; vivre sans penser, ça remplit. Mais com- ment vivre sans parler pour ne pas effacer ce qui nous rem- plit? Remplit de vie, remplit d’émotions, de ressentis, de moments présents et précieux. Apprendre à vivre, juste pour vivre sans penser. Se remplir en se vidant du trop-plein existant. Vivre-respirer-sourire- s’épanouir-jouir-rire-crier- s’exprimer-manger-courir- créer-observer-vivre.26

LA REVUE D’ART ET DE LITTÉRATURE MOTS DE TÊTE / LA GALERIE D’ARTL’ART DE LA RUE SUR TOILEPAR GABRIEL GAUSSIRAN Étant tout jeune, j’adorais les graf- fitis et j’aimais le côté révolte, le côté qui dénonce, le côté sombre de la rue, là où le simple peuple habite. J’étais interpellé par l’idée de vouloir changer quelque chose dans cette société, l’idée de vouloir faire bouger la situation, vouloir faire un changement pour la jeu- nesse. J’explore l’art de la rue sur toile, l’art qui provoque dans votre sa- lon. J’aime travailler avec les nom- breux choix que m’offre la peinture aérosol, les pochoirs « stencils » et la joie de pouvoir travailler sur n’importe quels supports. J’essaie d’aller chercher l’essentiel dans mes œuvres, en travaillant les contrastes des zones éclairées et des espaces sombres. Je souhaite en montrer, mais sans trop en mettre, pour laisser libre cours à l’interprétation du spectateur. 1. Vanessa Lemoyne Ébloui (2015), photographie numérique, 11 x 14 po 2. Gabriel Gaussiran Hood (2014), aérosol sur toile, 11 x 14 po 2. 27

LA REVUE D’ART ET DE LITTÉRATURE MOTS DE TÊTE / LA GALERIE D’ART LES DÉMARCHES ART DE FRÉDÉRIKE FILION ET SARAH MADGIN J....e ne suis rien de ce que je semble être et je suis tout ce que je suis. ..J’aborde ma démarche artistique à travers l’autoreprésentation. Souvent, je réalise une mise en scène de moi-même, dont ..la ligne directrice est de donner voix à mes préoccupations intérieures qui dominent. Sous un angle psychologique, ce que ..je cherche à atteindre à travers mes créations est la libération, la quête de l’équilibre. Puiser à travers les éléments de ma vie est ainsi une manière de rendre une interprétation singulière plus commune à tous, soit de renvoyer un miroir aux personnes qui regardent une de mes œuvres. *** Par une pratique multidisciplinaire, mes médi- ums de prédilection sont la peinture, la photo- graphie, l’installation vidéo et la performance vidéo. Adoptant une approche semi-figurative et abstraite en peinture, je puise mes influences premières chez les expressionnistes abstraits et le mouvement des automatistes. *** La présence de textualité, parfois même de manière démesurée, est ce qui me permet de me raccrocher à quelque chose de plus concret. Dans mes œuvres, les mots prennent pour moi la place de la beauté: à travers une simplicité pure qui permet de rassurer une pensée an- xiogène et à travers une langue qui permet de nous exprimer. La présence du corps, quant à elle, est un maté- 3. riau omniprésent dans mes œuvres. Elle permet de m’inclure dans celles-ci, en plus de tous ceux qui les regardent. Elle représente, moi, toi, lui, elle… Elle représente la personne qui veut bien s’y prêter et s’y abandonner. - Frédérike Filion28


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