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Le Journal par Betty

Published by mus.grove, 2016-08-26 13:19:23

Description: Le Journal par Betty - Life and times of French chanteuse Betty Spell - French text

Keywords: Betty Spell,Delage

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LE JOURNAL DE MA VIE Par Betty Spell À partir d'un document original, Écrit par Betty dans sa 90e année l'édition et de montage © Colin Musgrove 2016

BETTY SPELL: LE JOURNAL DE MA VIEC'est avec ma plume, oh bien timidement que je vais essayer de parler de ma vie, qui n'intéresserapeut-être personne car je suis bien oubliée mais je laisserai à mes proches, à ceux qui m'ont aimée,des bribes de ce gâteau que Dieu m'a donné. Plutôt jolie, bien faite, en un mot aguichante, ce quen'appréciait pas un père très sévère. Voici quelques traits de sa personnalité. Rochefortais defamille très aisée, il se maria avev Mlle de Saint-André. Ah! ce ne fut pas long. Trois mois après, ilpartit pour aller conter fleurette à une jeune femme, vendeuse dans une librairie. Il l'enleva, fitvenir de Londres des habits car lui aussi s'habillait à Londres. Bijou toute heureuse, c'était commecela qu'il l'appelait. Malgré la différence d'âge, papa 40 ans, maman 19 …ils partirent pour Bordaeuxcar le scandale avait fait grand bruit car ce papa là était un original. Au lieu de prendre la suite deson père, quand celui-ci mourut, une importante affaire en Charentes Maritimes d'importation desbois du Nord qui arrivaient par bâteaux. C'était considérable. Monsieur refusa d'en hériter et ce futun cousin « Bauch » qui prit la succession. Non, décidément, mon père ne voulait pas travailler.Néanmoins, il eut deux héritages de son père et de sa mère. C'était le temps où les opérettesfleurissaient comme des pâquerettes. C'était de bon ton d'avoir une maîtresse dans ce milieugalant. A l'entrée du théâtre se tenaient deux jolies artistes ayant dans chaque main un plateau oùle public déposait des pièces d'argent ou d'or. Un soir, Napoléon III y déposa une poignée de Louisd'or. Mon père, qui se trouvait juste derrière, en fit autant, ne voulant pas être en reste avec ceseigneur. Il nous racontait souvent des anecdotes de ce genre. Et je naquis rue Jean Soula. Jen'oublie pas dans mes souvenirs d'enfance Madeleine La Fontaine, nous étions voisines. La pluscoquine des deux, je ne saurais vous le dire. Lorsque maman La Fontaine préparait des dattesfourrrées pour les fêtes, nous l 'aidions et, pour celles destinées à des pimbêches que nous n'aimionspas,on crachotait à qui mieux mieux sue ces pauvres dattes. J'ai 15 ans.

Rue Jean Soula aujourd'hui… bâtiments beaux!Après avoir obtenu le brevet, l'anglais m'a aidée. Je le parlais couramment grâce à mon père quiconversait souvent avec moi. J'eus l'idée de prendre des cours chez Pigier-une intuition! Père sefâchait, prétendant que j'en profiterais pour m'échapper car il me tenait à l'oeil, connaissant bienmon caractère de fille qui se voulait déjà indépendante, ce qui donnait lieu à des colères répétées.L'ambiance familiale n'était pas de tout repos, si bien qu'un jour, excédée, ma mère partit avec uncommandant de bateau, M. de Tavernier. Elle vécut en Indochine, heureuse, comblée. Elle avait uncabriolet attelé à un petit cheval. Il voulait l'épouser, mais il fallait d'abord divorcer et papa s' yrefusa avec force et fracas. Il lui promit monts et merveilles et si ma mère cèda ce fut bien sûr àcause de moi. -------------------------------------------Un matin de printemps, je marchais d'un bon pas, Cours de l'Intendance, les yeux plein de soleil,lorsque je rencontrais un homme que je reconnus avoir parlementé un brin avec ma jolie maman.« Bonjour, » lui dis-je. Il s'arrrêta et nous devisâmes sur des choses comme« Vous êtes bien jolie, le printemps vous va bien »Flattée, mais aussi intimidée, ou bavarde. Il me dit d'un ton enjoué :« je pars pour Paris dans deux heures, je vous emmène? »Chiche!« A 14 heures, gare Saint-Jean ».

Arrivée à la maison, je fis mine de grignoter et ce fut l'aventure. Tout d'abord, lorsqu'il me vit avecma robe de collégienne, juste un petit sac à la main, j'ai lu dans son regard un nuage d'inquiétudeou de surprise.« Vous n'avez pas de valise? »« Je ne pouvais pas! »Il ne me posa plus de question. Il pensait sans doute que je vivais ma vie comme un oiseau quis'envole au gré de son caprice.Paris, Grand-Hôtel, rue Scribe. Je comprenais qu'il était un habitué. Au portier, il donna le nom deMonsieur et Madame Gomez. J'ai su plus tard qu'il habitait Lisbonne et qu'il était Président-Directeur général d'une importante firmes de conserves. Très fortuné, pourtant jeune, la trentaine,beau, quelques fils gris aux tempes qui ajoutaient à son charme.« Vous êtes charmante , si jolie que j'aimerais vous habiller. Voici une liasse de billets. Vous saurezbien vous débrouiller. Hélas, je n'ai pas le temps de vous accompagner, j'ai d' importants rendez-vous. Tachez de trouver des vêtements sobres et élégants. Nous irons au théâtre, dans lesrestaurants. »Enfin la belle vie comme dans les contes de fées . Me voici partie tout de go aux Galeries Lafayette,robe noire sexy ouverte sur les jambs, lesquelles, paraît-il, étaient très belles. Ce sont les critiques,plus tard, qui l'ont écrit.Arrivée dans le hall de l'hôtel, l'horreur! Je vois mes deux tantes, Jane et Rachel discuter avec leportier. Elles se mirent à hurler:« la voilà! »« Pas de scandale! », leur dis-je, « montons à l'appartement. »Comment ne pas croire au miracle? Paris est grand, des grands hôtels il y en a. Elles en avaient déjàvisité quatre ou cinq. C'est pourtant la plus stricte vérité. Cinq minutes plus tôt ou plus tard , elles neme trouvaient pas. Le destin. J'ai eu droit à tous les qualificatifs de fille perdue, que mes parentsétaient dans l'angoisse, qu'ils avaient alerté la police, etc. L'ami entra, surpris de voir ces deuxfemmes, pensa qu'il se trompait de chambre, fit mine de se retirer mais tante Jane l'arrêta :« Nous sommes les tantes de Betty. Elle a fait une fugue. Savez-vous seulement qui elle est? »Il était si embarassé qu'il ne sut quoi répondre. Je m'étais réfugiée dans la salle de bain.« Venez, ne faites pas l'enfant, je suis dans de sales draps. Je vais essayer de calmer vos tantes. »« Je reconnais Mesdames que j'aurais dû m'informer sur cette jeune personne mais elle était si sûred'elle que j'ai pensé quelle était libre de sa vie. Si vous voulez bien accepter mon pardon et le sien etvous donner, sans vous froisser, une somme d'argent. Le montant m'importe peu, je suis plus quesolvable étant doné ma position dans mon pays. »

C'est ma tante qui parle:« Mais nous ne mangeons pas de ce pain-là, Monsieur. Nous sommes d'une honorable famille, nenous faites pas cet affront. Que Betty rentre à la maison. Je vais prévenir ses parents, arrêtertoutes recherches. Avouez que Dieu nous a guidées, c'était trouver une aiguille dans une botte defoin dans ce Paris. »Dans les minutes qui suivirent, le calme, l'atmosphère fut moins tendue. Elles comprirent que c'étaitun homme bien, malgré l'inconscience de son acte. Il était sincère lorsqu'il leur dit :« Elle est venue avec tant de naturel que j'ai pensé qu'elle était libre de ses actes. Je la regretteraicar c'est peut-être une gamine, mais adorable. Voulez-vous faire la paix et que nous allions terminerla soirée chez Prunier? »Ce qui, fut dit fut fait. Mes tantes, heureuses de ramener l'enfant prodigue, mais moi, dans tout ça,je perdais mon amour.Le retour: mes parents, prévenus, m'attendaient. Le comissaire de police était présent. Il avait faitpromettre à mon père de ne pas me frapper, le connaissant très violent. J'avais sali son honneur. Ilfut convenu qu'il ne m'adresserait plus jamais la parole et que je prendrais mes repas à la cuisine.Maman ne disait mot. Il n'y avait pas à discuter avec Léon Leps. Un an se passa ainsi. Mon père eutla grippe espagnole, très malade malgré les bons soins prodigués par maman. Je rends ici hommageà son courage car cette maladie était contagieuse. Papa se sentant mal, me fit appeler.« Tu as fait une faute, mais tu es si jeune que je dois te pardonner. La jeunesse est souvent fautive,manque d'expérience, j'aurais dû y penser. Pardon petite fille ».Trois jours plus tard, il nous quittait. Merci papa. -----------------------------------------------Nous avons eu une belle vie. Nice l'hiver, Vichy en juin, Royan l'été. Les jolies femmes dont monpapa était très amateur. A la fin, il ne nous restait pas grand chose dans le bas de laine. Ma mèrevendit quelques objets d'art. En somme, ce papa bien imprudent nous laissa bien démunies. Nouspartîmes pour Nice où tante Jane, l'ainée des quatre soeurs, nous trouva un appartement. Nonoavait 35 ans, encore très belle, elle refit sa vie… ---------------------------------------------------J'avais 17 ans. Avant de repartir sur Paris, voici une petite anecdote : un matin, je me promenaisPromenade des Anglais et, horreur, je perdis ma petite culotte devant ce superbe magasin Van Cleefet Arpels. Un monsieur se tenait justement sur le pas de la porte. Il pouffa de rire et me dit :« Vous avez perdu votre petite culotte »J'étais rouge de honte.

« Oh! Ne soyez pas si perturbée, rien n'est grave quand on est jeune et jolie. Si un jour vous allez àParis, passez donc me voir, Place Vendôme, au magasin Van Cleef, je serais heureux de vous revoir »Voilà où Pigier s'est rappelé à moi. Rappelez-vous quand j'avais insisté pour y prendre des cours. Jem'y étais inscrite contre la volonté de mon père.Parfois le destin veille. Je rentrais donc chez Max Rodel-Rophé, banquiers rue Scribe, comme sténo-dactylo. Je profitais de mes moments libres pour flâner dans les beaux quartiers-Paris est si beau-etc'était le printemps. Je me suis rappelée l'invitation de passer chez Van Cleef pour revoir cemonsieur qui avait assisté à mon desarroi, histoire d'une petite culotte. Arrivée Place Vendôme, jevis cette merveille : le joailleur des Mille et Une Nuits. Car c'était cela, ce magasin. Je rentre. Unmonsieur vînt vers moi.« Je viens voir M. Van Cleef. »D'abord étonné,il me dit :« Avez-vous rendez-vous? »« Bien sûr, sinon je ne serais pas là! »Je me rappellerai toujours ce monsieur descendant trois,quatre ou cinq marches au centre de cesalon.« Vous désirez me voir? »« Ah! mais monsieur,vous n'êtes pas Monsieur Van Cleef! »« Ah non, » dit-il, prenant l'air bon enfant, car l'instant l'amusait de voir une très jolie jeune fille,habillée comme une collègienne. Je racontais comment je fis la connaissance d'un monsieur à Nicequi m'avait fait promettre de venir lui rendre visite, ici, Place Vendôme.J'ai su plus tard qu'ils travaillaient en famille.« Je vais vous faire descendre un à un tous mes cousins et vous me direz. »« Non Monsieur, ce n'est toujours pas lui. »« Eh bien, j'y suis, c'est Jules Arpels, qui est actuellement à notre magasin de Vichy, mais dès qu'ilrentrera-donnez-moi votre nom et votre adresse-il ira vous voir. »« 55 rue Rodier » dis-je. « J'habite chez une de mes tantes. » Trois semaines plus tard, on sonne à laporte. J'étais en train de repasser une petite liquette. Quand il me vit, encore prise d'un fou-rire.« C'est vous, la charmante gamine à la petite culotte? » et nous avons bien ri. Lorsque j'écris ceslignes, je me demande « est-ce possible? Est-ce de l'inconséquence? Non, la jeunesse, et ça nes'arrête pas là. »

Taper à la machine chez Rodel, j'en avais marre! Un jour, rue de la Paix, je vois une annonce-ondemande mannequin - mon rêve! Je ne fais ni une ni deux, je me présente.« Je viens pour l'annonce. »Une vendeuse vient à moi, me jauge du regard d' un air amusé.« Voilà M. Paquin! »« Ainsi, Mademoiselle, vous voulez être mannequin? Venez avec moi dans ce petit salon. Pasezcette robe du soir. »Un robe à traîne.« Mais Monsieur, ce n'est pas mon style! »Tout le personnel, jusqu'aux petites mains, n'en perdait pas une bouchée. J'ai compris, mais un peutard, et je fondis en larmes.« Allons, allons, ne soyez pas effrayée. Vous avez l'air d'un bébé bien en chair, joliment bien roulée.Quel âge avez-vous? »« Dix-sept ans. »« Et vous avez besoin d'un job? Que savez-vous faire? »« Je suis sténo-dactylo, je parle anglais. »« Eh bien voilà, je vous attendais. Je vous garde. Vous servirez d'interprète pour la clientèle anglaise,américaine. »J'étais le plus souvent dans une arrière-salle à faire les paquets et, le comble, c'est que ce Paquin-làprenait plaisir à me pincer les fesses, à me peloter, disons le mot. Un jour, je ne suis pas revenue.Fini le rêve mannequin. --------------------------------------------------Un soir, une amie m'invita à dîner au Cul Blanc, Faubourg Montmartre. Deux jeunes hommes nousreluquaient et, lorsque nous sortîmes, l'un des deux me prit par le bras, me mit d'autorité dans savoiture et ce fut le commencement d'une liaison adorable. Il m'a comblée. Appartement, bijoux,voiture, fourrures. Il avait 23 ans. Je ne puis vous donner son identité, seulement ses initials ‘AC ‘.Fils d'un grand savant qui, par ses recherches , a fait don à la France et au monde entier d'un vaccinmiraculeux. C'est donc à André C. que je devins actrice. Il aimait le monde du spectacle. Il trouvamon nom Betty Spell. Si vous le retournez, vous trouverez Leps. Il me présenta à Fursy et Mauricet «Le Moulin de la Chanson ». Je fus tout de suite engagée en leur donnant mon curriculum vitae chantdanse. En douce, le soir, je me rendais chez Malatzof, Avenue Daubigny. C'était dur, la barre,souplesse japonaise, grand écart, pour devenir une fantaisiste accomplie. J'ai crée le rôle de ‘Mi’

dans » Le Pays du Sourire » à la Gaîté-lyrique avec le fameux ténor Willy Thunis. Puis « Victoria etson hussard » au Moulin-Rouge avec Lily Palmer, vedette américaine. Les Folies-Bergère avec JeanSablon comme partenaire. Le Casino de Paris, où je devais doubler Mistinguett. Elle avait une santéde fer, je n'ai jamais pu descendre le fameux escalier. Les plus belles amours n'ont qu'un temps.Nous nous quittames André C. et moi.J'avais une prédilection pour le Boeuf sur le toit, tenu par Moisès. C'était le Tout-Paris qui venait làchaque soir. Jean Cocteau, Jean Marais, Sacha Guitry, de gransds couturiers, Jean Dessès.Justement, j'ai un mot à dire à ce propos. Un soir, il vint à moi, me félicitant puis, sans détour, medit :« Vous êtes mal habillée. Qui vous a fait cette robe genre ‘Carioca’? Une couturière? Ca n'a aucunepersonnalité. Vous êtes belle, venez me voir demain, promis? »Et il conçu pour moi une robe de rêve. Et depuis ce jour-là, je me faisais habiller par les plus grands,Nina Ricci, surtout Pierre Balmain, Jacques Fath, Robert Piquet. Quand je passais dans les cabaretsélégants, soit en province ou à l'étranger, je me faisais remarquer en changeant chaque soir detenue. Pour en revenir au Boeuf sur le Toit, accompagnée par mon pianiste, Henry Wyn. Ce derniereut l'idée de faire des cartes toutes blanches, avec imprimé dessus une belle bouche rouge,deuxlèvres charnues, avec écrit en -dessous : « Prenez mes lèvres Monsieur ». J'allais dans la salle enchantant « Prenez mes lèvres,Monsieur » et déposais sur chaque table une de ces cartes. J'endonnais une à Sacha Guitry, qui me remercia et me sourit. A la fin du spectacle, il me fit parvenir lacarte avec son autographe « Bravo à Melle Betty Spell » (Betty a toujours gardé sur une commodedans son appartement rue Osvaldo Cruz l'autographe). J'étais très émue, touchée, flattée que le

grand Sacha me fasse cet honneur. Lorsqu'il jouait, je ne manquais pas d'aller l'applaudir, le visiterdans sa loge. Il me recevait avec tant de gentillesse, comme il aimait féliciter Mona Goya, unesuperbe fille aussi jolie que talentueuse. Elle aussi passait au Boeuf. Je ll'aimais beaucoup. J'ai faitencadrer l'autographe de Sacha, qui est toujours sous mes yeux, placé sur une petite commode LouisXVI. Souvenir, souvenir! ----------------------------------------------------------- Betty avec Louis Delâge et Andre Roanne, Bagatelle 1933. D6-11 détenue par Automobiles DelageLes jeunes femmes en vogue étaient sollicitées pour présenter les plus belles voitures. Un jour, unmonsieur Pinier de la maison Louis Delâge, Avenue des Champs-Elysées, me demanda sij'accepterais de piloter une de leurs voitures au Concours d'Elégance Automobile au Bois deBoulogne. J'ai accepté, ai pris rendez-vous avec ce monsieur Pinier. J' étais assise dans cemagnifique hall lorsque passa un homme de grande prestance. Je n'y fis guère attention. AvecPinier, nous nous arrêtons sur un modèle d'une élégance rare, avec un capot qui n'en finaissait plus.Pour la couleur,un rêve de bleu, ni ciel, ni turquoise. Carrossé par Letourneur et Marchand, un desgrands carrossiers de l'époque. Echantillon en mainpour la couleur, ce fut Piquet qui me fit unensemble ton sur ton, capeline de chez Paulette. Betty se perche sur le « Rêve bleu» L & M Coupé. La couleur a été appelé 'Bleu Tentation'!

Entre deux contrats, je pilotais ces belles Delage. Belgique, Suisse, Londres, toujours seule au volant.Souvent je partais la nuit. Dans le milieu automobile, on disait que j'étais une fameuse conductrice.Nous devînmes très amis. J'habitais les trois quarts du temps rue de la Faisanderie . Il aimaits'entourer de jeunesse. D'ailleurs, entre nous, il n'y eut rien d'équivoque. Ma présence, monbavardage de fantaisie lui suffisait pour l'éloigner de ses lourdes charges de grand contructeur. Ilavait déjà un certain âge et se sentait parfois fatigué. J'avais une sincère admiration pour cet hommequi venait d'un milieu très simple mais combien honorable. Son père était cheminot, sa mamanvenue de la campagne, n'avait pas reçu d'instruction, ce qui ne l'empêchait pas d'avoir un jugementsain, intelligent sur les gens et les choses de la vie me disait-il. Il me reconta aussi ses débuts. A 18ans, il était féru de mécanique, de moteurs. Le constructeur De Dion-Bouton s'intéressa à ce jeunehomme, lui proposa de lui ouvrir son usine, où il pourrait travailler le soir, après la sortie desouvriers. Effectivement, quelques mois passèrent. Il y eut un concours pour petites voituresautomobiles. Louis y participa et gagna le Premier Prix, la Delage était née. L'ascension fut rapide.Je continuais mon métier. Je fus engagée aux Folies-Bergère pour jouer des sketches avec JeanSablon et Spadaro, vedette en Italie. Ensuite ce fut l'Amérique du Sud dont je garde un merveilleuxsouvenir.Rio de Janeiro,,l'arrivée sur la Baie de Rio,quelle beauté et Corcovade qu'on aperçoit auloin.Une luxuriante variété de plantes,de petites orchidées par milliers,qui vous griffent le visage,quand on s'égare dans les environs de Rio. Le public m'a fait fête. A mon retour à Paris, je revins chezmon grand ami Louis Delâge.« Ce soir, » me dit-il, « j'ai retenu deux places au Théâtre des Variétés. Ce sont les débuts de JeanneMoreau. »« Bravo, » dis-je, « je l'adore. »Nous étions au troisième rang J'avais mis une ravissante robe du soir de chez Worth, en satin derose unique, comme les grands couturiers en ont le secret, très décolletée dans le dos, je diraisjusqu'à la taille. Derrière nous, il y avait Maurice Chevalier et son secrétaire, Maurice Ruppa. Toute lasoirée, Maurice, appuyé sur le rebord de mon fauteuil, me caressa le dos. A l'entracte, Louis Delâgese mit à converser avec Maurice, en marchant de long en large dans les couloirs. Ruppa me dit endouce :« Donnez-moi votre numéro de téléphone. »Ce que j'ai fait. A la sortie, mon ami Louis me demande si je rentre rue de la Faisanderie.« Oh non, » dis-je, prenant un air innocent! « Je me sens fatiguée. Je préfère me délasser chezmoi.» Bien entendu, à peine arrivée, le téléphone. C'était Ruppa, de la part de Maurice, medemandant de les rejoindre au Peroquet.« Ok, venez me prendre au 9 rue des Dardanelles »Ce fut une soirée inoubliable. Il y avait à la table de Maurice un homme très beau. C'était CharlesBoyer, accompagné d'une très jolie jeune femme. Nous dansâmes une partie de la nuit, joue contrejoue et, naturellement, je suivis Maurice à l' hôtel où il était descendu momentanément. Commentrésister à ce titi parisien que j'admirais et dont j'étais amoureuse. Notre idylle dura hélas peu detemps car il avait un contrat pour Hollywood, avec Janet MacDonald pour partenaire.

Je me revois l'accompagner à la gare, direction Le Havre ou Cherbourg. Des années passèrent. Jen'étais plus très jeune. Avenue Georges V, Maurice arpentait l'avenue. Arrivée à sa hauteur, je luidit :« Bonjour Maurice. Vous m'avez sûrement oubliée après tant d'années. »Il m'a répondu, adorable comme toujours« On n'oublie pas une femme aussi charmante que vous. » -----------------------------------------------------------------Pour l'instant, mon humeur reste à la joie, au bonheur d'aller jouer à Londres une comédie auComedy Theater, « Paris in London ». J'avais comme partenaire WC Bascomb, vedette en Angleterre.Nous avons joué trois mois avec un franc succès. J'ai beaucoup aimé Londres. Ils ne sont pas avaresde parcs. Il y en a beaucoup. C'est verdoyant et aimable à l'oeil. J'habitais Albemarle Street, un joliflat. Les petits déjeuners sont succulents, copieux. Ils font un grand repas le soir. Leur cuisine estdiscutable pour nous français, qui avons la réputation d'être des gourmets. Un matin, le stewartm'apporte un plateau. Il paraissait ému.« What’s ‘appenin’? »« Oh, Mrs Betty Spell, l saw your name on the ‘bus. You are a great lady. That's why l am proud toknow you. »Il était fier de servir une vedette.J'étais venue avec une superbe Delage que Louis Delâge m'avait prêtée pour épater un peu lesanglais! Je sors de chez Worth et je vois un homme penché sur le tableau de bord, qui étaitmanifestement intéressé.

« Eh,lui » dis-je, « ne vous gênez pas! »Il s'excuse et tous les deux nous eûmes la conviction de nous être rencontrés quelque part. Bien sûr,c'était à Bordeaux, j'avais alors 17 ans et lui peut-être 25, à un thé dansant. Nous avons beaucoupdansé , nous nous sommes plu mais il repartait le lendemain matin pour Londres où il habitait.J'avais gardé un souvenir très fort de ce beau jeune homme, mais hélas inaccessible. Nous étionsémus de nous retrouver . Le hasard encore une fois avait frappé à ma porte. Nous nous vîmessouvent. Ce fut une jolie histoire d'amour. Le destin décide. Je ne peux en dire plus. « Quand unconte de fées finit mal, il faut mettre un autre ».Je rentre à la maison, heureuse de retrouver les amis, les visites à Louis Delâge, mon tour de chant?L'Alhambra, l'Etoile où je me suis fait épingler!Bruxelles au Théâtre du Parc. Je joue ‘La Dame de chez Maxim's’, La Môme Crevette, critiqueélogieuse, dont une qui a flatté mon ego :‘Depuis Cassive, Betty Spell est la meilleure Môme Crevette, infiniment drôle sans jamais une oncede vulgarité.’Si bien qu' Henri Varna, Directeur du Casino de Paris, et qui venait de reprendre le Théâtre Antoine,eut vent de mon succès et me demanda de jouer la Môme. Jean Bérard me fit refuser, ayant préparéune grosse publicité à l' ABC. Pour un homme avisé, il me fit faire une grosse erreur car la comédiem'aurait ouvert d'autres portes!De toutes façons, mon planning est bien rempli. Deauville, c'est l'été. Un tréteau bien aménagé avecpleins de fleurs. Chanter en plein air, ce n'est pas facile. Le tour fini, je monte dans mon cabrioletquand Aimée Mortimer me happe au passage et me dit :« Veux-tu me ramener? OK. »Nous arrivons rue Osvaldo Cruz, où elle habitait. Sur le trottoir, se trouvait un jeune homme quimanifestement l'attendait.Présentations! Le lendemain, coup de fil, c'est Jacques Guérin. Il insiste pour me rencontrer. Je suistrès prise, excusez-moi. Et ça recommence, coups de fil, billets doux. Excédée,« il ne faut plus m'importuner, je ne suis pas libre et puis…je n'aime pas les hommes gros! »Là, il y eut un froid. Un mois plus tard, on sonne à la porte. C'était Jacques Guérin que je n'ai pasreconnu.« Pour l'amour de vous, j'ai perdu 17 kilos. »Le jeune blond de 22 ans, avec de grands yeux bleus Il était beau à craquer. Eh bien, j'ai craqué.Trois semaines plus tard, on se mariait. Mes témoins étaient Jean De Rovera, Directeur du journalComédia, et Louis Delâge . Ce dernier m'avait pourtant dit :

« Dans votre métier, il vaut mieux garder sa liberté. »Il n'avait pas tort, mon grand ami Louis. Trois ans plus tard, nous divorcions car j'étais rarement à lamaison : l'Amérique du Sud, l' Egypte, le Maroc, l'Algérie, la Belgique. Il en a eu marre!!! Maisj'aimais mon métier, je gagnais bien ma vie. Quelques larmes et puis…on passe à autre chose. C'estla vie!L'Agence Tavel me fait un contrat magnifique. Gros cachet pour un cabaret très élégant au Caire,accompagnée par le Grand Orchestre du Lido. Le Roi Farouk n'est pas venu pour raison d'état.Dommage, comme m'a dit plus tard Georges Ulmer, avec lui, il n'y aurait eu aucun incident, il avaitun faible pour les artistes français.Première chanson, applaudissements timides. Deuxième chanson, les gens parlaient, semblaientm'ignorer. Troisième chanson, c'était de pire en pire. Je dis à l'orchestre :« Arrêtez. Où se trouve la politesse ici? C'est ça l' Egypte? C'est ça les Egyptiens? »Se lève un homme courroucé, c'était le Ministre de la Justice. Il ordonne :« Faites-moi partir cette femme en Palestine. »Georges Ulmer a demandé un peu de silence, m'a excusée…j'étais une grande vedette française. Ellen'a pas accepté ce brouhaha dans la salle, etc. Georges m'a expliqué plus tard, à Paris, qu'une artistefrançaise avait chanté mes chansons la quinzaine d'avant. Ce qui explique le manque d'intérêt à monégard. Le Directeur de ce somptueux cabaret s'est arrangé pour me faire prendre le premier vol enpartance pour Paris. J'aurais embrassé la terre car j'ai eu très peur de me retrouver prisonnière enPalestine. Je n'oublierai jamais le Directeur de cet établissement. Je luis dois peut-être la vie. Avantl'ouverture, nous sommes restés au Caire cinq à six jours. Il n'y a pas que des coups durs. Il y a aussides coups de grâce. Visiter le Musée du Caire. Dès l'entrée, deux statues gigantesques de Ramsès,statues de Toutankhamon, figurées dans l'attitude rituelle de la marche, qui encadraient la portemurée de sa chambre funéraire. Puis c'est encore Toutankhamon qui parait très jeune, allongé surson tombeau en or massif. C'est impressionnant et très beau. Je n'en finirais pas si je devais citertoutes ces merveilles restées intactes, jusqu'à de minuscules morceaux de nourriture, rangés dansde petites cages de verre scellées, avec aussi des bijoux, des pierreries précieuses aux colorissubtils…et qui sont restés tels quels depuis l'origine. Quel est leur secret? ------------------------------------------------------CINEMA…Un film avec Fernandel et Carette. Ces deux-là ensemble. C'est impensable, je dois refaire le noeudde cravate de Fernandel. Sa mimique avec Carette derrière, j'ai été prise d'un fou-rire! MarcAllégret, metteur en scène, m'engueule, me dit :« cette scène,vous devez être sérieuse »

Chaque fois, on doit reprendre, impossible de me contrôler si bien qu'Allégret s'est fâché :« Allez dans un coin. Remettez-vous. Pensez, je ne sais pas moi, à la mort de Louis XVI. Vous mefaites perdre de la pellicule. Allez Betty, on recommence. »Il a du se résigner à filmer où je suis de dos. D'ailleurs, quand le film est passé en salle, on me voitavec un frémissement des épaules, mais le public n'a rien perçu de tout cela. Le ‘le noeud de cravate’!J'ai tourné une trentaine de films : Messieurs les ronds de cuir, Tout s'arrange avec André Roanne.Des fous-rires, j'en ai eu en scène. Pour s'arrêter, c'est parfois impossible. Une autre fois avecJacques Mancier, au Grand Guignol, il a fallu baisser le rideau. On a été remplacé au pied levé. J'aitourné avec Noël-Noël dans Tout va très bien Madame la Marquise où je dansais la carioca. Un autre film avec Fernandel – ‘La Meilleure bobonne’ 1930Voici une anecdote avec Bourvil. Je suis la tête d'affiche à Pau pour mon tour de chant. Ca a marchétrès fort. Bourvil passe en N°2 avec ses « crayons ». Applaudissements bien timides. Nous rentronssur Paris. Dans le train, j'ai vu un Bourvil déprimé.

« Savez-vous, » lui dis-je, «que vous êtes un grand comique. J'étais dans les coulisses et bien j'ai ri.Le public est ingrat pour ceux qui passent au début. »Ils attendent la vedette. Je ne m'étais pas trompée, Bourvil est devenu un grand comédien. Il avaitune drôlerie fine irrésistible . Il touchait tous les publics, il savait aussi faire pleurer . C'était ungrand.Je reviens à moi, c'est que j'écris au fil de ma mémoire. Je dis des poèmes, bien choisis dans manature. Un jour, au Théâtre de la Madeleine, on donne une matinée avec les artistes de la ComédieFrançaise. Jean Bérard, toujours lui, me fait engager.« Mais je ne peux pas rivaliser avec des comédiens français, » dis-je.« Mais ça n'a aucun rapport. Ils disent leur texte avec talent bien sûr, mais avec emphase. Toi, tu lesdiras comme on parle dans la vie. »Le contrat avait joué. J'ai eu trois rideaux. Les poèmes sont de Jean-Marie Huart, de Sacha Guitry «Allo chéri » , « S'il fallait des raisons », et mes chansons « Don Quichotte », « Coeur de grenouille »,« Moustache polka », « Ramon », « Ouvrez la porte », « Oh la la quelle rumba », « ca fait sport »,…Elles sont enregistrées sur Columbia.Un petite anecdote : un affichiste coté, me fit une affiche où j'étais assise sur un tabouret assezhaut. Je portais une blouse à pois, un short en satin noir très court, mes jambes croisées l'une surl'autre. Ces affiches furent collées sur toutes les colonnes Morice. Un jour, surprise! Je n'avais plusde jambes, il ne restait plus que le buste. Etait-ce le fait d'un maniaque ou d'un admirateur de mesjambes? Plusieurs critiques ont écrit « les plus belles jambes de Paris ». Cela me gêne de flatter monego. C'est pourtant la stricte vérité. Je suis repartie quelques mois. A mon retour, je me replongedans la vie Parisienne. Je n'oublie jamais mes devoirs dans l'amitié. J'apprends que Louis Delâgehabite chez des amis au Vésinet.« Que vous est-il arrivé? »,« Je suis ruiné, je n'ai plus rien. Tous mes biens ont été vendus. La maison Delâge s'est écrouléecomme un château de cartes. Me sentant fatigué, à 70 ans, c'est normal. J'ai cédé le gouvernail àPierre mon fils, qui a été malchanceux et incapable, » lui dis je.« Sans doute. Il a fait la D4 qui ne s'est pas vendue. Un fiasco. Ca va vite, vous savez. »J'étais éffondrée. Je ne trouvais pas les mots qu'i aurait fallu lui dire. Malgré tout, je l'ai trouvéserein. La providence a eu raison de ce désastre. Le Père Brothier est allé à lui. Ils se rencontraientsouvent. Sa bonté, sa patience ont eu raison de son manque de foi. Il a pris sa bicyclette un beaumatin de printemps pour faire un pélerinage à Lourdes. Il raconte :« Lorsque je m'arrêtais au bord de la route, un peu en retrait, pour manger mon casse-croûte, Betty,je m'émerveillais de cette nature si belle. J'avais devant moi la plus belle salle à manger du monde.Un petit garçon, d'un village voisin sans doute, me regardait intrigué, je croquais une barre dechocolat. ‘Il est bon tu sais’ – ‘Oh ,non monsieur,je ne veux pas vous priver.’ Ce petit garnement, àmon allure plus que simple, refusa d'y goûter.

« Tu sais, » lui dis-je, « je peux encore te donner mon chocolat. Il apprécia et nous partageâmes legoûter. En vous racontant cette petite anecdote, je souris en pensant à mon passé. Etait-ce le mêmehomme? La vie est un puzzle parfois. J'avance doucement vers Lourdes, mais un aprés-midi, assis surmon pliant afin de me reposer, arrivent deux gendarmes,avec un fort accent du terroir : » Selon toute probabilité la dernière photo de Louis Delâge sur son pèlerinage à Lourdes« Eh bien! Que faites-vous là? Vous avez vos papiers? »« Bien sûr, mais je ne vous les donnerais pas parce qu'ils sont au fond de mon barda et qu'il m'estimpossible de défaire tout ce qui est soigneusement rangé. »« Eh bien, puisque c'est ça, dirent-ils, venez avec nous à la gendarmerie. »« Bon, bon, » dis-je.Une fois arrivés, le chef me dévisage, non pas avec insolence mais avec indulgence, vu mon grandâge. Les papiers en mains, j'ai bien vu son air ahuri, ne sachant pas si c'était du lard ou du cochon. Illut à haute voix :« Louis Delâge, Constructeur d'automobiles, Officier de la Légion d'Honneur . »« Je comprends votre stupéfaction, mais c'est bien moi. . »« Au revoir les amis. Pour me revigorer, ils m'offrirent un bon verre de vin du terroir. J'enfourchaismon vélo et, une fois arrivé à bon port, bien que très fatigué, je m'approche de cette viergemiraculeuse. Je la remercie de m'avoir donné la force de venir jusqu'à Elle. J'ai longuement prié ceJésus que j'ai ignoré et qui est Tout Amour, avec la Vierge Marie. »« Vous voyez, » me dit-il, « l'homme athée que j'ai été, c'est par ignorance. Si je peux me racheter,c'est aujourd'hui à Lourdes que je demande le pardon, que le Père Brothier m'a déjà donné. »Quelques années plus tard, il nous quittait l'âme en paix.

Dans ce métier d'artiste, rien n'est facile. Jean Bérard entreprit de me lancer. Il fit une grossepublicité, commanda à des auteurs-compositeurs connus tels que Michel Emer, Louis Gasté,Lucchesi, Sauvat, excusez-moi si j'en oublie, où je pouvais donner toute ma fantaisie. Chanter,danser avec une drôlerie, parfois comique lorsque, sur scène, je quittais ma robe de rêve de PierreBalmain ou de Nina Ricci pour me vêtir du costume d'un comique américain, Al Sherman, etc.Je suis passée tête d'affiche à l'ABC, co-vedette avec André Dassary, ma salle préférée, où le publicattentif sait apprécier le moindre geste, un clin d'oeil, la finesse des mots. Je fis des disques quipassent encore…A mon deuxième passage à l'ABC, j'ai connu Yves Montand, qui avait déjà un look, bien à lui,chemisier et pantalon marron. Il arrivait tout droit de Marseille, il fit un tabac monstre et,cependant, comme il l'a écrit dans son livre ‘Tu vois je n'ai rien oublié’, il avait craint que cette BettySpell ne lui portât ombrage car je chantais comme lui des chansons américaines, comme ‘Johnny leGangster’ et lui chantait , ‘Dans les plaines du Far-Ouest’. Nous avons été très amis. Je le remercied'être resté fidèle au passé. A la sortie de son livre, il me consacra quelques lignes. A Ex-Libris, ilparla de Simone Signoret, de Piaf, de Marilyn Monroe et de Betty Spell. Quelle fidélité dans lesouvenir. Merci Yves, tu me ramènes à des jours heureux. Dans ce fameux livre, où il raconte toutesa vie ‘je n'étais rien, vraiment rien, on m'appelait Jacques Morand, Yves Montana. Dassary et BettySpell eux étaient très connus. Pourtant, ils ne m'impressionnaient. Betty Spell avait un coté marrant,parisienne, le côté hop-là dont je ne raffolais pas mais qui fonctionnait bien.’ Il m'a fait beaucoupd'honneur en me citant autant de fois. Il explique son passage à l'ABC où il dit ‘La trépidente BettySpell, fantaisiste à souhait, le met au désespoir. Elle lui plaît, Betty Spell. Elle va clore la premièrepartie d'un ‘Venez,venez dans mon rancho, qui risque de déflorer tragiquement mes ‘Plaines … ‘.Montand est convaincu qu'il part avec un terrible handicap. ‘ Tu vois , je n'ai rien oublié’, paru auSeuil en Septembre 1990. Bien sûr, il fit un triomphe qui ne le quitta plus jusqu'à la fin de sa vie.C'était un grand, un très grand, sinon le plus grand. Il nous quitta prématurémenr. Je te pleure,Yves,comme le monde entier.

----------------------------------------Il y avait au Boeuf une petite salle au premier où, tard le soir, quelques habitués venaient prendre undernier drink. Jean Sablon, dont j'adore le talent, y passait souvent. Un soir, après mon tour dechant, pour me délasser, je suis montée et là, tout seul devant un Gin Fizz, était assis un hommedont le regard profond et beau me troubla. Il me sourit et me dit « je vous attendais ». Je necomprends pas, rien n'était prévu. Peut-être… remercions le hasard. Très intimidée, j'ai reconnuJean Bérard, Directeur de Pathé, etc. On l'avait surnommé ‘Découvreur de vedettes ‘. LéoMarjane, Lys Gauty, Lucienne Delyle, Damia, et combien d'autres qui lui doivent leur célébrité. J'aiconnu auprès de cet homme des moments merveilleux. Quand il se mettait au piano; il étaitpassioné de Bach, de Beethoven, il jouait des heures sans se lasser et avec quel talent. Il avait aussile don du dessin. Un jour, dans un bistrot où il aimait s'encanailler, il prenait son crayon, dessinaitsur la nappe en papier ce qui lui passait par la tête, une silhouette de femme qui venait tout juste depasser, jolie ma foi. Il me fit cadeau d'une toile peinte à l'huile ‘que j'ai toujours ‘, des pivoinescouchées ça et là, aux tonalités miraculeusement atteintes, comme de la mousseline d'un blanc àpeine rose. Il avait cet art subtil.Jean, tu as été le cadeau de ma vie.Un jour, j'ai pris mes pinceaux. J'avais quelques dons pour le dessin, déjà très jeune. Je me suis miseà l'aquarelle. Je composais des petits bouquets de fleurs des champs, ou de pois de senteur,mimosas, bleuets. L'aquarelle permet de travailler par petites touches, avec des coloris d'unedouceur presque irréelle. Dans le village, cela s'est dit. Je n'arrivais pas à fourrnir. Tous mes amisen possèdent au moins une. Beaucoup sont partis. En reste-t-il encore de ces inconnus por sesouvenir de la jeunee fantaisiste?Je garde et relis quelquefois des critiques élogieuses, un bouquet qui fleure bon le souvenir. -------------------------------------------------------Il est temps que je termine ce petit livre, témoin de mes souvenirs, témoin aussi que je l'ai écritseule, avec toute la franchise que mon coeur et mon esprit m'ont dictés. Je le dédie à ma maman,qui m'a quittée il y a déjà 7 ans. Elle avait 101 ans. J'apprends qu'Elvire Popesco vient de nousquitter. Elle a tant souffert de ses rhumatismes déformants. Ne serait-ce pas une délivrance? Je merappelle, lorsqu'elle est arrivée en France, elle était très belle, avec un tempérament de feu.Quelques années plus tard, elle avait organisé avec Hubert De Malet des tournées théâtrales enFrance, en Belgique, en Suisse. Elle m'avait engagée pour jouer « Le Petit Café » avec Albert Préjean,Lucienne Givry et d'autres artistes dont je ne me rappelle plus le nom, je m'en excuse. Le matin dudépart pour cette tournée, rendez-vous fixé à 8 heures devant le domicile d'Elvire pour noussouhaiter bon voyage. Elle avait les bras chargés de roses pour chacune de nous et cigares etcigarettes pour le sexe mâle. C'était tout Elvire, sa délicatesse, sa gentillesse. Hubert conduisait lavoiture. Première étape Lille, Tourcoing, ensuite la Belgique, la Suisse, où on ne restait que quelquesjours dans chacun de ces pays. Cela m'amusait beaucoup, ayant l'habitude dêtre toujours seule avecmon tour de chant. Après le spectacle, nous allions tous souper dans une brasserie ou un petitrestaurant, et puis, et puis…Hubert était très beau. J'ai été sensible à son charme…de là desjalousies de femmes…Je ne savais pas qu'Elvire, mariée au Baron de ‘xxxxx’ avait des attaches avec lebel Hubert, et jusqu'à quel point…Je n'ai plus revu Elvire…Aujourd'hui, je la pleure…

Dans toute ma carrière, c'est la seule tournée théâtrale que j'ai faite. C'est si sympa d'être entrecopains, tandis que dans le tour de chant, on est irrémédiablement seule. Il faut donner en 20 ou 25minutes tout ce qu'on a dans les tripes. C'est éprouvant et merveilleux. Je ne craignais pas de metransformer en vamp, avec boa, longs cils d'un demi centimètre ou d'imiter le comique américain AlSherman, dont je tiens une photo dédicacée, ou Casimir le Tombeur, avec chapeau melon etmoustaches, pour redevenir moi-même. Mais quelle récompense quand les applaudissements vousarrivent par bouffées.Lorsque je suis revenue du Maroc, j'ai omis de vous dire que c'était sur le bateau El Cantara, unetraversée hélàs trop courte-quatre jours de festivités. Le Commissaire du bord m'a invitée à prendremes repas à sa table. La veille du retour, il y eut un superbe gala pour les ouevres de la mer.Smoking, robes du soir étaient de rigueur. J'avais mis une de mes plus jolies robes de chez Balmain,une de mes photos fut mise aux enchères, qui rapporta une belle somme d'argent. A la table ducommandant, on me présenta à Mr Beaumont, promoteur sur la Côte d'Azur. Entre Saint-Aygulf etSaint-Maxime, il était en train de créer un petit village - Les Issambres. Il m'invita à le visiter, avecl'espoir que je pourrais m'y faire un joli nid.« Mais Mr, je ne suis pas fortunée, je gagne bien ma vie, mais de là…. »Ce Mr Beaumont, charmant de surcroît, avait le sens de la publicité. En faisant des conditionsexceptionnelles à des personnalités du spectacle, du sport. Il avait déjà conquis Louison Bobet etd'autres dont je ne me souviens plus des noms. ------------------------------------------------------------------------------------Rentrée à Paris, malgré mes beaux voyages, je suis heureuse de retrouver les amis, le macadam, lespromenades le long des quais, Notre-Dame, les bouquinistes où, un jour, la chance me sourit. J'y aidécouvert un Mariette LYDIS. C'est amusant de fouiner, la preuve!! Comme Paris est beau. C'estbien la plus jolie ville du monde. On n'a pas le temps de s'y ennuyer. Un petit tour encore au Boeuf

sur le Toit, et puis… l'horreur, les yé-yé sont arrivés. Que faire dans cette galère? D'ailleurs, unimpresario, dont je ne citerai pas le nom, m'a fait comprendre que je n'avais plus ma place, etc. Ensortant de chez cet homme indélicat, j'ai pleuré… J'ai rencontré Lys Gauty, une amie, il lui a tenu lemême langage. Ecoeurée, elle est partie à Monte-Carlo où elle a monté une agence de voyages.C'était surtout son frère qui s'en occupait. Lys Gauty, admirable chanteuse et si adorable amie.J'apprends avec tristesse qu'elle vient de nous quitter.Et voilà comment j'ai tout plaqué. Bien des gens, plus tard, m'ont dit que je m'étais retirée trop tôt,que le public m'aimait bien…Destin? ----------------------------------------------------------------------------------

Je me suis rappelé de Mr Beaumont- Les Issambres.« Eh bien », me dit-il, « vous en avez mis du temps. »« Oh, pas tant que ça, » lui dis-je, « deux petites années. »« Venez, je vais vous montrer l'endroit que je voulais vous réserver, un peu en hauteur, vue sur lamer. »La maison fut vite bâtie, pas grande, avec deux petites terrasses en espaliers, remplies de fleurs,bougainvilliers, qui ont poussé assez vite, qui recouvraient tous les murs. Avec ma chère maman,nous y avons passé vingt années de bonheur. La maison était souvent pleine d'amis. Ils serégalaient avec le pistou, spécialité de Nono (c'est le surnom de ma mère). Je passais beaucoup demon temps à jardiner et à faire de l'aquarelle, que des fleurs. Les fleurs, c'est ma passion. Je n'aijamais pu m'en passer. Si les fonds sont bas, je me prive d'un tas d'autres choses, mais les fleurssont là. ----------------------------------------------------------------------------------Je pars de nouveau vers d'autres horizons. Alger la Blanche, Oran, Sidi-Bel-Abbès. Chaque pays vousenveloppe de son charme, les coutumes, les odeurs. J'ai vu un champ de roses immense à perte devue. Les yeux sont éblouis par tant de magnificence. Le hasard m'a fait renconter les Berbères auxbeaux visages, dont les traits sont taillés comme au couteau, aux regards impénétrables. J'ai eul'honneur d'être invitée dans une de leurs familles, à l'heure du thé à la menthe. Assis sur descoussins mouelleux, ras le sol. Conversation très animée sur l'art, la peinture, la mode parisienne,dont ils avaient déjà un aperçu avec mon tailleur Balmain, que je portais ce jour-là. Ils sont cultivéset amoureux du beau Paris. Quand on voyage beaucoup, on trouve souvent cet acceuil chaleureuxparce qu'on vient de France. Le Maroc aussi m'a enthouiasmée. J'ai vécu quelques jours à Rabat,toujours pour chanter, dans un délicieux cabaret. Beaucoup de leurs petites maisons à un étage,dont les murs ont couverts de bougainvilliers de toutes les couleurs, du violet, orangés, blancs. Leclimat y est très doux.De mon temps, la vie était paisible un peu partout. J'ai eu la chance de vivre une belle époque.Aujourd'hui, c'est autre chose. Tout bouge et souvent dans le mauvais sens. Pourquoi? La vie, labeauté, ce sont des dons précieux.Betty Spell

Remarques de l'ami et admirateur qui a initialement encouragé Betty à écrire ces mots. Nous sommes tous redevables à lui:« Durant près de 20 ans j'ai correspondu avec Betty Spell qui était née Léone Betina Guimbellot un 25septembre 1903 à Rochefort. J'allais souvent lui rendre visite dans son appartement parisien de la rue Osvaldo Cruz, nous allions au restaurant, nous sortions, elle était toujours en forme. Je me souviens l'avoir fait venir à la soirée Jean Sablon au Georges V en avril 2002! Elle avait gardé toute sa tête, je me souviens aussi de ses 100 ans où j'avais organisé pour l'occasion une petite exposition de sesphotos, de ses disques. Betty est partie sur la pointe des pieds le 26 mai 2006 , à Louveciennes. Betty repose au Cimetière de Pantin. J'écoute souvent ses disques et regarde ses passages dans des films » R.I.P Betty


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