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No 136 Acteurs de l/'économie

Published by AGEFI, 2017-07-12 02:31:28

Description: Juillet 2017

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acteurs L 16956 - 136 - F: 9,50 € - RD DE L’ÉCONOMIE JuillFeétveriteAro2û0t1270179,509,e5u0reosuros JEAN ZIEGLER CONSCIENCES DE TOUS PAYS, SOULEVEZ-VOUS !éruption LAURENT WAUQUIEZ I entrepreneur FRÉDÉRIC LENOIR I demain SCIENCE HUMAINE Auvergne-Rhône-Alpes [ www.acteursdeleconomie.com ] N°136

permet à / Crédit Photo : La Griffe / Février 2017 d’avancer sans faire deCNR, le 1er fournisseur françaisd’énergie 100 % renouvelablepour les véhicules électriquesAvec notre offre Move in Pure® proposée par les plus grands constructeursde véhicules électriques, nous garantissons une recharge issue de notre productionhydroélectrique certifiée 100 % renouvelable. Et pour encourager la mobilité alternative,nous développons un corridor de stations de recharge rapide en Vallée du Rhône.Participez pleinement à la transition énergétique : chargez et roulez zéro émission !CNR innove et agit pour la mobilité de demain.

ENTRÉE EN MATIÈRE DialoguerENTRÉE EN MATIÈREFRÉDÉRIC LENOIR“Un entrepreneur est-il un philosophe ? Un philosophe est-il un entrepreneur ? A priori, ces deux mondes n’ont rien en commun. Tout semble les opposer. D’un côté, l’un – l’entrepreneur – est essentiellement tourné vers l’action et cherche à faire prospérer son activité. De l’autre, le philosophe s’en tient à réfléchir. Il est en quête de lucidité et de vérité. Leurs méthodes semblent si éloignées, leurs finalités, si distinctes. Hier, ce postulat semblait encore évident. Aujourd’hui, pourtant, l’on tente de les récon- cilier. Entrepreneurs et philosophes s’appréhendent, s’apprivoisent, essayent de se connaître, de se comprendre. L’intérêt pour la philosophie s’observe particulièrement chez les entrepreneurs qui, parfois sans le savoir, ni le voir, l’appliquent d’une manière telle que nous pouvons la qualifier de pragmatique. Le vivre-ensemble, le bien être au travail et la qualité de vie des salariés sont récemment apparus comme des thèmes incontournables pour toute organisation. Conséquence d’un environnement complexifié, hyperconnecté et d’un monde privilégiant la quantité à la qualité, la compétition à la coopération, les individus sont de plus en plus malmenés, stressés, oppressés. Une situation qui conduit l’entrepreneur à une réflexion sur son comportement et, donc, sur le modèle qu’il entend appliquer à son entreprise, dans l’intérêt de tous. La philosophie devient alors le moyen adapté pour développer un esprit critique sur le mana- gement, essayant de le rendre plus humaniste, et d’ouverture, afin de chercher à mieux comprendre la complexité des relations interindivi- duelles. Le besoin de retrouver du sens est observé à tous les éche- lons et c’est la raison pour laquelle de plus en plus d’entreprises font appel à des philosophes. On leur demande parfois aussi d’apporter un éclairage sur la complexité du monde pour aider les décideurs à améliorer leur vision. Toutefois, ne confondons pas réflexion philosophique et développement personnel. Ce n’est à, mon avis, ni à l’entre- preneur ni à l’entreprise qu’il revient de répondre à la quête de bonheur des individus. Car le bonheur, chacun le construit à travers ses fina- lités, ses ambitions, ses rêves, ses choix de vie, tant professionnels que relationnels. Il s’agit plutôt pour les entreprises d’assurer aux salariés un environnement épanouissant qui les motive et leur permette de donner le meilleur d’eux-mêmes dans leur propre intérêt et celui de l’entreprise. Cela implique par exemple des méthodes de management fondées sur la bienveillance ou d’impli- quer les salariés dans le processus de décision stratégique de l’entreprise. Au fond, ce dont l’entrepreneur a besoin est de connaître et de respecter les êtres humains qui l’entourent et qui composent, dès lors, la substantifique moelle de son organisa- tion. Les philosophes qui sont amenés à travailler avec les entre- prises découvrent un univers complexe, où sens et e cacité doivent apprendre à s’accorder, ce qui enrichit aussi leur réflexion sur le travail, sur les organisations et sur l’humain. Les rapprochements entre ces deux mondes sont réels et montrent que philo- ’’sophe et entrepreneur sont plus proches qu’il n’y paraît. Frédéric Lenoir PhilosopheN°136 Juillet-Août 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 3

Dialoguer RUBRIQUE DE NOM4 Acteurs de l’économie - La Tribune N°136 Juillet-Août 2017

RUBRIQUE DE NOM DialoguerJean Ziegler« L’INSURRECTIONDES CONSCIENCESEST EN MARCHE »Ses responsabilités au sein de l’Organisation des nations unies – hier rapporteur spécial pourle droit à l’alimentation, aujourd’hui vice-président du comité consultatif du Conseil des droitsde l’homme – arrimées à son expertise de sociologue, confèrent à Jean Ziegler d’êtreun observateur unique de l’état « humain » du monde. De sa confontation, intellectuelle et« physique », à la véracité de l’extrême pauvreté, au cynisme des mécanismes diplomatiques,aux obscurantismes multiformes, au dépérissement des utopies, l’auteur suisse de Cheminsd’espérance (Seuil) restitue une sombre réalité de l’âme humaine, aliénée par les dévastationsque perpètre un capitalisme planétaire belliciste « mondialisant » la cécité, l’endoctrinement et ladocilité. Certes, assure-t-il, l’humanisation de l’homme progresse ; mais lorsque chaque année,dans le silence, meurt de faim une population équivalente à celle de toutes les victimes de laSeconde guerre mondiale, ne peut-on pas douter que l’on emprunte le « bon » chemin menant àl’accomplissement de l’espérance ? Lui qui « est » les yeux et la voix des plus vulnérables demeurepourtant confiant. Il voit, il entend poindre, surgir et grandir l’incarnation collective des aspirationsindividuelles, cette « conscience adjugée » qui tour à tour s’inspire de et nourrit la conscience dela réciprocité, la conscience de l’identité, la conscience de la singularité. Une incarnation modeléepar la société civile, dont la prolifération des luttes et des initiatives compose une fraternité de lanuit appelée peu à peu à voir et à faire voir la lumière, à entendre et à faire entendre le bruit d’unehumanité humaine. A ensemencer et à concrétiser l’espérance d’une civilisation débarrassée de« l’ordre cannibale du monde », réconciliée avec l’essentiel : la considération de l’autre, de chaqueautre vivant – humain, animal, végétal. L’insurrection des consciences est en marche, croitle fervent croyant, promettant la révolution des raisonnements, la métamorphose descomportements. Et de voir et d’entendre le possible triompher de l’apparent impossible.ENTRETIEN, DENIS LAFAY Acteurs de l’économie - La Tribune 5PHOTOGRAPHIES, LAURENT CERINO / ADEN°136 Juillet-Août 2017

Dialoguer JEAN ZIEGLERous avez sillonné le monde, vous vous Et pourtant… On meurt de ce manque. En « Cette fraternité quiêtes confronté à l’indicible de la guerre, témoigne le scandale le plus insupportable aurait permis de créerde la famine et des désastres humains, et le plus inacceptable de notre contem- un lien entre le besoinvous avez mené d’âpres combats poli- poranéité : le massacre quotidien perpétré vital des uns, et latiques, institutionnels, idéologiques, par la faim. Selon le Rapport sur l’insécu- faculté des autres d’ylittéraires en faveur de la ou de votre jus- rité alimentaire dans le monde de la FAO, un subvenir, a disparu »tice, vous vous êtes heurté à ce que l’in- enfant de moins de 10 ans meurt de faimdividu a, au fond de lui, de plus barbare ou de ses suites immédiates toutes les… les marxistes allemands composant l’Ecoleet de plus extatique, de plus cynique et cinq secondes. La noma, cette terrible de Francfort dans les années 1950, lade plus généreux. Cette expérience des maladie qui gangrène le visage des enfants considération de la justice fait l’objet d’uneâmes humaines et des systèmes – poli- victimes de malnutrition, ne cesse de pro- double histoire ; la première convoque unetiques, économiques, religieux – qui les gresser en Afrique. Celle que provoque la justice effectivement vécue, empiriquementfaçonnent, que vous invite-t-elle à penser faim est l’une des morts les plus doulou- vécue, la seconde recourt à l’eschatologie –du monde contemporain ? reuses, que j’ai vue ronger puis emporter l’étude de ce que la conscience revendiqueNous vivons sous un ordre absurde, et des centaines d’enfants, du Guatemala comme juste. Or à cette aune, réaffirmermême cannibale du monde. Karl Marx est au Bangladesh. Près d’un milliard d’êtres sans nuance ou retenue que l’humanisationmort, épuisé, le 14 mars 1883 dans son humains sont en permanence sous-ali- de l’homme progresse est une ineptie. Outremodeste appartement de Londres. Jusqu’à mentés, et ainsi «  interdits  » d’exercer la famine, que faut-il penser de l’humanisa-son dernier souffle il a cru que le « couple une activité, un travail, une responsabi- tion de l’homme lorsque un milliard d’êtresmaudit  » du maître et de l’esclave allait lité familiale. Et ce désastre civilisationnel, humains n’ont pas accès à une eau noncornaquer l’humanité pendant de nom- cet assassinat au grand jour interviennent toxique ? Lorsque la capacité des conglo-breux siècles encore. Or, là, il s’est trompé. alors que la capacité de production de mérats pharmaceutiques de soigner voireLe formidable emballement des révolutions l’agriculture mondiale est à même de nour- d’éradiquer des maladies s’autolimite pourindustrielles, technologiques, scientifiques rir copieusement l’humanité entière. Ce de basses raisons mercantiles, laissantqui se sont succédés à un rythme inédit, a qu’incarne cet exposé antithétique, c’est alors les épidémies ravager les populationspotentialisé comme jamais auparavant la que la fraternité a disparu, cette fraternité les plus vulnérables ? Pour les peuples duproductivité, et c’est ainsi que pour la pre- qui, en l’occurrence, aurait permis de créer tiers-monde, la troisième guerre mondialemière fois dans l’histoire de l’homme – et un lien entre le besoin vital des uns, et la a bel et bien commencé. La consolidationcet événement est survenu au début de ce faculté des autres d’y subvenir. du nombre de victimes identifiées par cha-XXIe siècle –, le manque objectif a disparu. La main de l’homme produit ce que cune des 23 organisations membres des l’homme réclame pour se nourrir et boire, Nations unies (Unicef pour les enfants,6 Acteurs de l’économie - La Tribune elle possède les moyens de cultiver ce que OMS pour la santé, BIT pour les condi- tous les hommes de tous les continents exigent tions de travail, FAO pour le programme d’«  essentiel vital.  » Encore faut-il initier alimentaire mondial, hauts-commissa- quelques réformes, aussi aisées qu’immé- riats pour les réfugiés ou pour les droits diates, et pour cela bousculer les politiques de l’homme, etc.) s’est élevée en 2016 à 54 et les systèmes. Ce qui implique une insur- millions. Soit l’équivalent du nombre total rection des consciences. des victimes militaires et civiles recensé pendant la Seconde Guerre mondiale. Votre combat a, pour partie, théâtre En d’autres termes, l’humanité du tiers- l’ONU, et notamment le Conseil des droits monde perd chaque année dans le silence de l’homme dont vous êtes vice-pré- ce que cette boucherie effroyable a infligé à sident du comité consultatif depuis 2009 l’humanité entière pendant six ans. – après avoir été rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimen- Pour autant, ce constat, imparable, de tation de 2000 à 2008. Ces dernières régression n’est pas synonyme de capi- décennies, le droit de certains hommes a tulation. L’espérance (doit) continue(r) de progressé, celui d’une grande partie des s’imposer à l’abdication… hommes a stagné voire reculé. Que reste- Absolument. Mon espérance est réelle, t-il des Lumières, de Jean-Jacques Rous- mais plus encore L’espérance est univer- seau dont le Contrat social aura inspiré les sellement réelle. Elle est aussi concrètement déclarations aussi bien d’indépendance réelle, c’est-à-dire qu’elle n’est nullement américaine (1776) que des droits de fondée sur un quelconque idéalisme ou l’homme de la Révolution française puis de fallacieux arguments postulatoires, de l’ONU, et qui incarne le combat pour mais au contraire repose sur des éléments l’humanisation individuelle et collective de sociologie démontrés. Parmi eux, rete- de l’humanité ? L’humanité de l’Humanité nons la formidable progression de ce que a-t-elle atteint son plafond de verre ? Theodor Adorno (1903 – 1969) – philo- J’aime citer Jean Jaurès : « La route est bor- sophe, sociologue, compositeur et musico- dée de cadavres, mais elle mène à la justice. » logue allemand – nomme la «  conscience Incontestablement, l’humanisation de l’homme progresse. Voilà ce que mon expé- N°136 Juillet-Août 2017 rience, mes observations, mes combats indiquent. Mais ils enseignent aussi une autre réalité. En effet, comme l’étayaient

JEAN ZIEGLER Dialogueradjugée » : ce que les individus considèrent et même son âme  ? Comment une telle La société civile voit son rayonnementindividuellement « juste » se trouve un jour conscience revendicatrice de justice grandir proportionnellement au déclinincarné dans une revendication collective, peut-elle atteindre le seuil culminant à des États – qui ne sont plus des moteurselle-même pierre angulaire d’un change- partir duquel l’incarnation prend forme, d’espérance. A la fois elle s’en nourrit etment du monde. Voilà de quoi espérer. La comment une telle fraternité de la nuit, le comble. Sa raison d’être  ? L’impératifproblématique de la « faim dans le monde » invisible, disséminée, désorganisée, par- moral de Kant  : «  L’inhumanité infligée àillustre le paradigme. Il y a encore deux vient-elle à former une seule flamme qui un autre détruit l’humanité en moi  ». «  Jegénérations, l’«  affreuse  » théorie de Tho- va embraser bien au-delà – géographique- suis l’autre, l’autre est moi » constitue sonmas Malthus (1766 – 1834) dominait dans ment et temporellement – des projections fil conducteur, et à ce titre honore lales milieux universitaires ou religieux, et originelles ? Ce moment aussi mystérieux « conscience de l’identité » consubstan-même au sein de l’ONU : dans son malé- que magique, rien ne permet de l’anticiper tielle à l’homme – la seule des espècesfique Essay on population growth, le pasteur ou de le quantifier. vivantes – mais que fragilise l’obscu-anglican et économiste britannique estimait rantisme néolibéral. Cette folle idéolo-que la mort par la pauvreté et la faim était «  Les murs les plus puissants tombent à gie sacralise le marché, qu’elle substitueun «  mal nécessaire  », car il protégeait la partir de fissures », professait Ernesto Che à l’homme comme sujet de l’histoire,planète des risques de surpopulation. En Guevara. L’espérance prend forme dans l’homme n’étant plus qu’un rouage, uned’autres termes, l’élimination des plus l’existence de ces fissures, et surtout dans variable, un vassal du marché. Les des-faibles – notamment des classes sociales la perspective de nouvelles fissures. Ces potes de ce marché possèdent un pouvoirles plus vulnérables – garantissait la pros- dernières, en repérez-vous ? qu’aucun roi, aucun empereur dans toutepérité aux plus aisés, aux mieux «  nés  ». Absolument partout apparaissent de nou- l’histoire n’a jamais détenu. L’une desCette doctrine malthusienne de la natura- velles brèches, et effectivement chacune plus grandes conquêtes de cette absoluelité, c’est-à-dire d’une gestion inhumaine d’elle est une raison supplémentaire d’es- omnipotence est « l’impuissance à ripos-de l’espérance de vie et des populations, pérer. Un phénomène planétaire inédit ter » qu’elle instille dans les consciencesservait nombre de causes. En premier lieu a surgi  : la société civile. Des fronts de des peuples. Et c’est à libérer ces âmes,celles des pouvoirs coloniaux et des classes résistance et d’initiatives alternatives aux à les aider à s’affranchir de cette suze-dirigeantes qui y concevaient une manière systèmes homogènes, aux oligarchies qui raineté, à leur restituer la «  consciencecertes contestable mais bienvenue pour orchestrent le capitalisme financier globa- de l’identité  » d’où découlera une poli-justifier leur monopolisation des richesses. lisé et meurtrier, s’organisent. Une myriade tique de solidarité, de réciprocité, deDorénavant, plus personne, pas même les de mouvements sociaux est en marche  : complémentarité, que nous devons nousplus extrémistes, n’oserait promouvoir cette Greenpeace, Attac, WWF, Colibris (de employer. Et à l’accomplissement depensée. Et qu’il soit définitivement admis Pierre Rabhi), ou encore le mouvement ce projet, la société civile contribue deque la faim constitue une honte absolue, paysan international Via Campesina qui manière capitale.une ignominie intolérable, est ancré dans représente 121 millions de petits paysans,les consciences citoyennes, suscite l’indi- métayers et ouvriers agricoles journaliers Vous estimez que « les droits de l’hommegnation de la société civile, motive la colère du Honduras jusqu’au Bangladesh en sont une arme formidable aux mains ded’une multitude de mouvements sociaux. quête de droits, etc. Qu’il s’agisse de son ceux qui veulent changer le monde, apai-N’est-ce pas là un progrès significatif ? La fonctionnement, de sa puissance, de son ser les sou rances d’autrui, briser le brasligne de flottaison de la civilisation s’élève professionnalisme, cette société civile fait des prédateurs. » Ce que votre expériencesans cesse. Reste l’obsession – la vôtre, la d’impressionnants progrès, et la révolution de diplomate et d’intellectuel a accumulémienne, de tous les intellectuels – de l’in- technologique lui fournit des armes d’une de désillusions n’altère-t-il pas ce qui res-carnation. Dans quelles conditions une idée efficacité redoutable. C’est ainsi que cette semble davantage à un vœu – voire unedevient-elle une force matérielle ? fameuse fraternité de la nuit voit la lumière. chimère – qu’à une réalité ?Un éternel et insondable mystère « Je sais combien, au fond de moi-même, l’intangibilité des droits de l’homme peut vacillerProgresse-t-on, là aussi, dans son sous les coups de l’indicible. Mais tout intellectuel n’a-t-il pas pour devoir de continueréclaircissement ? coûte que coûte le combat vers le grandissement intérieur de toute l’humanité ? »« On ne connaît pas les fruits des arbres quel’on plante », confient avec perspicacité et Acteurs de l’économie - La Tribune 7sagesse les paysans wolofs du Sénégal…« A quoi ont servi tous ces combats ? », medemandé-je souvent. Ce processus d’in-carnation, c’est-à-dire de transformation,de concrétisation collectives d’une idéeen acte, demeure totalement mystérieux.Qui donc peut bien expliciter les ressortsintrinsèques du mouvement qui, au matindu 14 juillet 1789, conduisit les artisansouvriers des faubourgs Saint-Martin etSaint-Antoine à Paris à saisir des armessommaires, à marcher ensemble vers laBastille, à s’emparer de la prison poli-tique du Roi, à libérer les détenus etdonc à changer pour toujours la France –son système politique, son organisationsociale, son architecture institutionnelle,N°136 Juillet-Août 2017

Dialoguer JEAN ZIEGLERLorsque le Programme alimentaire mon- intégrité. «  L’alternative aux mains sales,  « Les murs les plus © Maria Grazia Picciarella / Ropi-Réadial ne parvient à recueillir que 270 mil- c’est la pureté, l’inaction, la contempla- puissants tombent à partirlions d’euros des quatre milliards réclamés tion passive de l’histoire qui se déroule de fissures », professaitauprès des pays riches pour endiguer la sous nos yeux  », poursuivez-vous. De Ernesto Che Guevara.famine « conjoncturelle » qui frappe vingt quels fondamentaux constituez-vous des « Qu’il soit un fanatiquemillions de personnes dans cinq pays arbitrages qui éthiquement peuvent être de Daech ou un enfantd’Afrique dévastés par la guerre, que dire, douloureux ? soudanais, tout être humainque faire ? Lorsque dans le sillage de son Blanc, éduqué, confortablement installé,Président François Hollande, l’Etat français dans une société libre  : je suis extraor- en danger de mort est un êtretout à la fois « pleure » les souffrances des dinairement privilégié, et suis dans la humain égal à tout autre auxcivils au Yémen et arme la cynique et ultra- lumière quand une immense partie de la yeux de ceux chargés de leurradicale Arabie saoudite pour 18 milliards population est muselée dans la nuit. «  Il venir en aide. L’universalité ded’euros en partie consacrés à massacrer n’est pas de commune mesure entre le com- la normativité internationalece peuple, que dire, que faire  ? Lorsque bat libre et l’écrasement dans la nuit », jugeaitles toutes-puissantes multinationales des si lucidement Antoine de Saint-Exupéry. est fondamentale. »pays développés, qui déjà échappent à tout J’ai pour responsabilité d’être les yeux et « Une nouvelle catégorie d’humains a faitcontrôle inter voire intra étatiques, par- la voix des plus vulnérables, de tous ceux irruption : ni opprimés ni exploités, sansviennent à dissuader le Conseil des droits que la pauvreté ou la privation des droits véritable toit et sans nourriture suffisante,de l’homme – troisième plus importante et des libertés enferment dans le silence et ils n’ont aucune perspective de travail,instance onusienne, qui veille à l’applica- la soumission, j’ai pour exigence de par- aucun espoir d’exercer une fonction, sonttion des 51 droits humains, civils, poli- ticiper, même très modestement, même définitivement exclus. Le pape les assimiletiques, économiques, sociaux et culturels très imparfaitement, à leur émancipation à des « déchets », dont le nombre est estiméinscrits dans la déclaration universelle de d’êtres. L’accomplissement de cette respon- à un milliard. Est-ce çà le progrès ? »1948 – d’instaurer de nouvelles normes de sabilité et de cette exigence a pour axe car-droit international et de durcir la judicia- dinal l’efficacité. Laquelle, dans le cadre de N°136 Juillet-Août 2017risation des entreprises « coupables », que mes fonctions onusiennes, signifie « nouerdire, que faire ? des alliances  » au prix, parfois, de subs-Ce dernier cas témoigne de l’extraordi- tantielles compromissions. Et celles-ci, jenaire pouvoir de nuisance et d’influence les assume. Si, pour améliorer le droit desdu capitalisme financier, incarnation d’une paysans d’Afrique, je dois obtenir l’accordviolence structurelle inédite, qui s’im- de l’ambassadeur d’Arabie saoudite ou despose aux dirigeants des multinationales Etats-Unis, me demandé-je si je «  salis  »souvent contre leur gré. Imagine-t-on les mes convictions, aux antipodes desdirigeants de Nestlé se réjouir des morts cultures politiques de ces deux pays ? Non.provoquées par la police brésilienne venue L’avenir des enfants qui meurent de faim au« casser » les grèves menées par les sala- Soudan doit-il être subordonné aux étatsriés locaux du géant de l’agro-alimen- d’âme d’un petit bourgeois genevois ? Non.taire ? Non. Pense-t-on leurs homologues Ai-je regretté d’accepter les conditionsde Monsanto se féliciter des cancers que médiatiques imposées par ce diable deleurs produits diffusent chez les paysans Saddam Hussein au moment de négocierdu nord de l’Inde ? Non. Mais ces caciques la libération de 18 otages suisses  ? Non.ont en commun d’être les rouages d’une Seul le but compte, peu importe les moyensviolence structurelle, qui ne leur donne d’y parvenir. Préserver ou non ma « puretéaucun autre choix que de produire, quel d’âme » n’est d’aucune importance à l’aunequ’en soit le coût humain, toujours plus de des enjeux pour lesquels je me bats.retour sur capital pour leurs actionnaireset les marchés boursiers. Au risque, sinon, Ce refus du romantisme politiqued’être eux-mêmes « débarqués. » Alors ils convoque en filigrane une citation du phi-s’emploient à protéger au maximum le libre losophe Régis Debray : « L’homme ne peutmarché des contraintes, des normes, des se contenter d’une existence sans han-sanctions. Oser toucher au libre marché, tise ni utopie.  » Vous-même confiez quec’est plus que jamais un pêché capital. « l’homme vit en permanence une doubleCes trois exemples le prouvent : bien sûr, histoire  : celle qu’il vit concrètement etle combat est très rude, bien sûr l’angé- celle que sa conscience revendique souslisme n’a pas sa place, bien sûr les décep- forme d’utopie  ». Quelle place, au courstions, les contradictions, les hypocrisies de vos engagements, avez-vous réussi ousont immenses. Mais faut-il pour autant échoué à accorder à l’utopie ?baisser les bras ? Qu’est-ce que l’utopie ? « Quelque chose » qui n’est pas encore réalisé mais qui vit«  Un intellectuel n’est rien par lui-même, en nous sous forme de revendication. Leil n’accède à l’existence historique qu’en progrès de la conscience – ou «  consciences’alliant avec les mouvements sociaux  » adjugée  » – progresse, comme l’atteste laet pour cela doit accepter les compro- condamnation planétaire de faits autrefoismis, les renoncements, et des accords universellement puis, au fil du temps et despour le compte desquels il expose son combats, partiellement admis. L’esclavage8 Acteurs de l’économie - La Tribune

JEAN ZIEGLER Dialoguer© L.Vallecillos / VWPics / Redux-Réa en est un symbole signifiant. Quel est le laquelle l’intérêt général s’est imposé et a moteur commun à toutes ces conquêtes brisé l’aliénation.© Gabriel Romero / Zuma / Réa cumulatives et définitives  ? L’utopie. Elle dessine un horizon au départ inatteignable, Dans quelle mesure œuvrer à la défense© Fanny Tondre / Réa que chaque lutte, chaque gain va rappro- des droits de l’homme constitue-t-il cher un peu plus et enfin transformer en un acte politico-idéologique  ? Lier aux « Au Qatar travaillent des dizaines de une réalité que l’on saisit de ses mains. objectifs onusiens – en particulier la milliers d’esclaves du XXIe siècle sans que ne lutte contre les exactions, les guerres, la sourcille aucun Etat occidental. Ce funeste Des maux qui a aiblissent notre contem- famine, les discriminations, les inégalités spectacle illustre toute l’hypocrisie de la poranéité, celui du déclin des utopies – une motivation idéologique ou politique diplomatie internationale, inféodée aux est-il l’un des principaux ? est-il inévitable et même souhaitable, ou intérêts mercantiles et pour cela capable de Très certainement. L’utopie a déserté les cela peut-il desservir leur accomplisse- taire les pires atrocités. » débats politiques et les enjeux de civilisa- ment – comme l’ont a rmé les détrac- tion. Et cette absence est l’illustration de teurs de vos prises de position contre laN°136 Juillet-Août 2017 l’absolue aliénation de la conscience collec- politique israélienne ou contre le compor- tive. C’est ce que d’ailleurs le scrutin pré- tement des banques suisses coupables de sidentiel français de 2017 a incarné ; d’un spoliation des biens juifs ? côté une fasciste adepte des ancestrales Au printemps 1776, lorsqu’il perd la théories du complot et du bouc-émissaire bataille de New York contre le corps expé- « étranger », de l’autre le bras armé de l’oli- ditionnaire anglais, Georges Washington a garchie financière et dont la formidable une idée « de génie » : envoyer un messa- puissance marketing a occulté au sein des ger à Philadelphie où se réunit le Conseil consciences citoyennes sa responsabilité des 13 états, et inviter les protagonistes à de ministre dans le désastre socio-écono- déclarer l’indépendance des Etats-Unis, mique du quinquennat Hollande. Michel avec pour préambule le texte, merveilleux, Rocard définissait l’utopie comme étant qui fondera plus tard la déclaration des «  le désir de tout autre  »  ; cette utopie droits de l’homme et de l’humanité de la semble avoir quitté la nation berceau des France puis des Nations unies. Et c’est ce plus grands progrès humains, politiques qu’il advient le 4 juillet de la même année. et civilisationnels. Benjamin Franklin, l’un des rédacteurs du texte, est alors nommé comme ambassa- L’impression que donnent l’auscultation deur auprès du Roi de France, avec pour du monde mais aussi les discordes sur la mission – réussie, puisque Lafayette réalité ou la hiérarchie des maux civilisa- embarque aussitôt – d’obtenir son aide tionnels, est que nous ne parvenons plus à militaire contre le monarque anglais. Un contester, à dénoncer, à haïr, à combattre soir, Benjamin Franklin dîne au Procope, ce qui doit l’être, le pronom relatif concen- dans le quartier parisien de Saint-Germain- trant l’ensemble des questionnements de des-Prés, en compagnie de sa maîtresse justice, d’équité, d’éthique, d’universalité. Madame Brillon. Un jeune révolutionnaire Au-delà du déficit spirituel et de l’excès en herbe – qui se révélera être Danton – mercantiliste, quelles sont les causes de le tire alors par la manche et l’insulte. Il notre égarement ? le traite d’hypocrite, mettant en perspec- La folie néolibérale, les multiples agres- tive son image de messager universel des sions perpétrées par l’oligarchie finan- droits de l’homme et la misère, l’arbitraire, cière, la théorie justificatrice d’un ordre les humiliations dont il rend coupable le du monde au nom duquel l’Homme n’est pouvoir politique en place. Et le docteur plus sujet de l’histoire mais vassalisé aux Franklin alors de répondre à l’impudent : ravageuses lois de la marchandisation, font « Détrompez-vous. Derrière ces droits rayonne leur œuvre. Malgré cela, la « conscience de une puissance bien plus grande que n’importe l’identité » connait des progrès. Et même quelle autre puissance politique ou militaire foudroyants, comme en témoignent la vita- dans le monde : le pouvoir de la honte. » lité et la variété de la nouvelle société civile En 2003, alors rapporteur spécial pour le planétaire, la multiplicité des mouvements droit à l’alimentation, je dois présenter mes sociaux et des fronts de résistance, y com- recommandations à Genève au Conseil des pris en occident – du parti espagnol Podé- droits de l’homme puis à New York à l’as- mos à la France insoumise de Jean-Luc semblée générale. Le paragraphe 5 de mon Mélenchon. La manière dont l’Indien Evo rapport stigmatise le comportement des Morales, triomphalement élu depuis 2005 autorités chinoises, qui restituaient – pour à la présidence de la Bolivie, est parvenu à une issue aisément imaginable – au régime museler l’action impérialiste, socialement de Pyongyang les exilés nord-coréens qui dévastatrice et irresponsable en matière avaient trouvé refuge en Mandchourie. J’en environnementale, de 221 sociétés inter- fais part au secrétaire général Kofi Annan, nationales exploitant gaz, mines et pétrole, lui-même usé par plusieurs années de est exemplaire ; il a réveillé chez ses conci- négociations avortées pour que la Chine toyens une « identité collective », grâce à accepte d’accueillir des camps de réfugiés Acteurs de l’économie - La Tribune 9

Dialoguer JEAN ZIEGLERsous l’égide de l’ONU. «  Fonce  », m’in- Soudan Omar al-Bashir à l’encontre des order, que signifie-t-il ? Que les Etats-Unisdique-t-il. Et quelques minutes avant que peuples Fours, Zaghawa et Masalit dans (re)légitiment les pratiques inhumaines,je ne révèle mes préconisations à l’assem- l’ouest du pays riche en pétrole, son émis- nivellent et alignent leur comportement,blée des rapporteurs et des ambassadeurs saire à l’ONU s’est élevé, et en substance leur philosophie, leur éthique sur ceux desdu monde entier, un homme m’accoste, il a déclaré  : «  Quelle arrogance coloniale, les terroristes qu’ils pensent museler par lam’implore de taire le fameux paragraphe 5, blancs veulent de nouveau nous condamner et torture. Ils se rabaissent à ceux-là mêmeset s’engage à relancer aussitôt lesdites négo- nous envoyer des soldats alors qu’ils laissent en qu’ils combattent, ils accomplissent unciations. C’était l’ambassadeur de Chine. toute impunité les Israéliens jeter la terreur sur acte aussi arbitraire et aussi immoral queMais au nom de quoi le représentant d’une Gaza. » Le double langage occidental n’est celui de leur « cible », et ainsi donnent aupuissance mondiale de 1,3 milliard d’êtres pas détestable seulement au plan moral  ; monde un message implacable : il est pré-humains venait-il supplier un rapporteur il fournit aux pires régimes violateurs les férable d’être au plus bas dans l’échelle despécial dont le pouvoir, confiné aux seules arguments pour se soustraire aux droits de la morale plutôt que de travailler à porterrecommandations, est objectivement nul ? l’homme, et même pour défier les droits de celle-ci toujours plus haut. Et les effets col-Là encore, le pouvoir de la honte. l’homme. In fine, il affaiblit considérable- latéraux sont tout aussi dévastateurs  ; enCes deux illustrations à des époques si éloi- ment les droits de l’homme et donc freine effet, si l’Etat de droit censé agir au nom degnées l’une de l’autre, qu’indiquent-elles ? les progrès civilisationnels. l’humanité se place sur un même niveauLe power of shame peut sembler abstrait, d’abjection que les terroristes combattus,même romantique voire angélique : il est « Ce que les individus comment peut-il revendiquer faire grandirpourtant une réalité, et plus que jamais considèrent l’humanité de chaque humain et l’humanitéune aide précieuse, une arme redoutable individuellement de l’humanité ? Au nom de quoi devrait-onpour contourner l’incapacité juridique « juste » se trouve alors interdire de considérer le tortionnairedes organisations des droits de l’homme un jour incarné américain «  égal  » du djihadiste syrien  ?de sanctionner les violations puis d’ap- dans une revendica- Imagine-t-on les arguments qu’une tellepliquer la punition. Naming and shaming : tion collective : cette situation suscite au sein de la propagandenommer et créer la honte. Démasquer, « conscience adjugée » terroriste  ? C’est, pour elle, du «  painjeter l’opprobre, et attendre que la société donne le droit bénit », car chaque écart moral – torture,civile s’empare du sujet pour exercer, dans d’espérer de changer massacres des civils, humiliations voireles démocraties, une pression et des repré- le monde. Mais dans viols des populations – des occidentauxsailles inédites. Voilà comment on peut quelles conditions est instrumentalisé, et se diffuse subrep-espérer stopper le «  bras meurtrier  » et une idée devient-elle ticement dans les consciences des jeunesobliger aux transformations. une force matérielle ? musulmans. La torture, c’est l’abdication, Insondable mystère… » la paresse, la facilité. Et surtout, c’est leLa préoccupation intrinsèque et mili- suicide. L’état de droit est une conquête detante pour les droits de l’homme est- « Les exécutions extra-judiciaires relèvent civilisation qu’absolument aucune réduc-elle transpartisane  ? Transcende-t-elle de l’arsenal terroriste », estimez-vous. Le tion, aucune entaille, aucun compromis neles blocs idéologiques, ou doit-on juger débat aux Etats-Unis ou en Israël sur la doit contester et fragiliser.que certaines convictions – libérales, pratique de la torture ou lesdites exécu-conservatrices, marchandes, clima- tions ciblées questionnent bien au-delà : L’égalité des droits de tous les hommes estto-sceptiques, technologistes – la l’éradication du mal justifie-t-elle tous les certes une règle, mais elle constitue aussidévoient fondamentalement ? moyens  ? Ce que vous appelez à ne pas un dilemme. Est-elle toujours une réa-Pour l’heure, rien apparemment ne semble perpétrer « au nom de l’Etat de droit » ne lité dans votre conscience ? Un djihadisteincompatible ou seulement même conflic- participe-t-il pas au contraire à consoli- pris au piège de l’armée syrienne et untuel. La défense des droits de l’homme est der l’Etat de droit ? enfant de Somalie tous deux rongés paruniverselle, et on assiste simplement à une Georges W. Bush avait décrété avant même la faim ne sont sans doute pas de mêmeescalade des hypocrisies. La Chine est au l’invasion de l’Irak, l’executive order, qui «  valeur  » à nos yeux d’hommes  ; est-ilpremier rang mondial des nations prati- ne fut par révoqué par Barack Obama et moral qu’ils le soient à ceux des organisa-quant les exécutions capitales, et dénonce est revitalisé par Donald Trump. Cette loi tions onusiennes ?l’Amérique de Bush retirant sa signature relevant de la compétence du président Au moment où nous dialoguons, 41 villesde la convention qui interdit la torture. La américain signifie que les Etats-Unis ont et villages – y compris quatre quartiersFrance, qui se revendique patrie historique retiré leur signature des traités interdi- de Damas – sont encerclés par l’armée duet symbolique des droits de l’homme, s’op- sant l’usage de la torture, qui constituent tyran sanguinaire Bachar al-Assad. Touspose aux conventions destinées à contrôler pourtant l’une des grandes conquêtes civi- sont soumis à la diète noire, cet effroyableles multinationales ou à améliorer les droits lisationnelles, une manifestation incon- dispositif consistant à couper tout appro-des paysans – ces derniers si peu appréciés testable du progrès humain. Cet executive visionnement en nourriture, eau et médi-des multinationales comme celle de Vincent caments, et ainsi à laisser mourir de faim,Bolloré qui, dans les pires conditions de de soif, de maladie. Parmi ces territoirescorruption, raflent des dizaines de milliers ciblés, certains sont sous contrôle isla-d’hectares de terres arables en Afrique occi- miste. Doit-on, pour cette raison, les relé-dentale pour produire du palmier à huile guer dans la hiérarchie de nos priorités ?ou construire des infrastructures aéropor- Bien sûr que non. Qu’il soit un fanatiquetuaires. Lorsque, pour espérer mettre fin de Daech ou un enfant soudanais livré àaux massacres du Darfour, le Conseil des lui-même, tout être humain en danger dedroits de l’homme a suggéré en 2016 une mort est un être humain égal à tout autrecommission d’enquêtes sur les exactions aux yeux de ceux chargés de leur venir enperpétrées par le dictateur islamiste du aide.10 Acteurs de l’économie - La Tribune N°136 Juillet-Août 2017

RUBRIQUE DE NOM Dialoguer 12:00 CONTINU À LA UNE STRATÉGIE INNOVATION TERRIT DE L ÉCONOMIE LE MÉDIA QUI COMPTE EN AUVERGNE-RHÔNE-ALPES Téléchargez l’applicationN°136 Juillet-Août 2017Rejoignez la communauté des acteurs de l’économie sur acteursdelecoAcnteoumrs dieel.’éccoonmomie - La Tribune 11

Dialoguer JEAN ZIEGLER« Selon Michel Rocard, l’utopie était « le désir de tout autre » ;elle a quitté la nation berceau des plus grands progrès humains,elle a déserté les débats politiques et les enjeux de civilisation.Illustrant là l’absolue aliénation de la conscience collective »Selon les normes du droit international de ou à perpétuité, à l’issue d’une longue, les mathématiques dans les bidonvilles deguerre régi par plusieurs conventions et minutieuse et exemplaire procédure. Plus Lisbonne après avoir été premier ministreprotocoles additionnels, ni le génocide, ni le près de nous, en Afrique du Sud, ce que la du Portugal – me somme alors d’inter-viol collectif, ni le déplacement de popula- commission Réconciliation et vérité réus- rompre mes démarches. «  Toi, Antonio,tion, ni la torture, ni l’emploi du gaz ou des sit à cautériser dans les corps et les âmes tu me demandes de mettre fin au projet  ?  »,bombes à fragmentation, ni bien sûr cette des victimes de l’apartheid, fut, là encore, lui demandé-je. « Oui. Car cela signifieraitfameuse diète noire – assimilée à un crime remarquable. Dans les deux cas, le droit rouvrir l’ensemble des textes qui charpententcontre l’humanité – ne sont admis. Quels avait triomphé, conférant aux verdicts une la convention originelle. Or franchement, àque soient l’auteur, le contexte de guerre, légitimité universelle. l’aune des pressions xénophobes, ségrégation-l’identité des belligérants. Un djihadiste nistes et nationalistes qui s’exercent partout entorturant un soldat de l’armée syrienne est Il ne peut exister d’« œuvre » civilisation- Europe, je ne suis pas sûr que même le droitcondamné de manière exactement similaire nelle universelle sans qu’au préalable une d’asile ne se trouve pas menacé de remise enà un soldat de l’armée syrienne torturant conception commune des droits et des cause voire de disparition. Bref, pour l’exten-un djihadiste. L’universalité de la normati- libertés ait été édictée et partagée. Ce sion si pertinente que tu proposes, nous risque-vité internationale est fondamentale. Si l’on postulat est d’une grande fragilité, et la rions de perdre tout le reste », me répond-il.tolère le moindre écart de relativité, c’est profusion d’agressions – d’ordres écono-tout l’édifice qui s’écroule. mique, énergétique, géopolitique – le vul- C’était en 2002. Quinze ans plus tard, ses nérabilise davantage. L’équilibre semble prophéties n’ont jamais été autant crédibles…Ce qu’«  est  » l’humanité du XXIe siècle osciller constamment entre progression Le contexte a même empiré.met-il particulièrement en péril cette uni- et régression… et pénalise la gouver-versalité de la norme et, au-delà, l’uni- nance internationale… Cette dégradation supplémentaire a plu-versalité de l’espèce humaine, du respect Une anecdote incarne bien cette réalité, sieurs origines. Notamment l’intensifica-et de la considération sanctuarisés de d’ailleurs source de tensions et de conflits tion et la propagation des radicalisationsl’homme ? Si même les droits de l’homme «  tactiques  » majeurs. La convention religieuses. L’islam rigoriste, qu’incarnentne sont plus un bien commun, comment internationale sur les réfugiés remonte à les disciples du wahhabisme, du salafisme,peut-on fonder l’espérance d’un vivre-en- 1951, et circonscrit à trois le nombre de des frères musulmans, mais aussi dusemble et d’une solidarité revitalisés ? «  causes  » autorisant la naissance d’un chiisme iranien, on le retrouve dans desLa tâche des intellectuels devient conco- droit d’asile : religieuses, ethniques, poli- pays qui autrefois étaient très pauvres,mitamment de plus en plus délicate et tiques. Alors rapporteur spécial du droit aujourd’hui sont devenus, pour certains,de plus en plus fondamentale – pour la à l’alimentation, j’ai émis le souhait de des puissances financières considérables.survie de la civilisation. Certaines situa- refondre le droit universel, et de réécrire A l’instar de la Turquie que Recep Tayyiptions sont, objectivement, intolérables, cette convention, notamment en ouvrant Erdogan est parvenu à reconfessionna-dans le sens où elles ébranlent toutes nos ces causes à la faim. Faut-il distinguer, liser et à asservir à son obsession des-convictions, même celles que l’on pen- dans l’échelle de l’horreur, la mort par potique, même des pays que l’on croyaitsait insubmersibles. Les parents, frères, la faim de la mort par une balle  ? Cette protégés par leur histoire et leur enra-sœurs, époux, conjointes, enfants, amis extension, c’est-à-dire la définition du cinement laïc, sont désormais contami-des victimes des assassins du Bataclan, « réfugié de la faim », était d’ailleurs aisée nés : l’islam constitue-t-il un obstacle aucomment peut-on s’étonner qu’ils puissent à délimiter ; grâce aux cartographies éta- progrès de l’universalité des droits deconsidérer comme des sous-hommes, des blies chaque trimestre par satellite, les l’homme ? L’extraordinaire complexité debarbares, des inutiles, des exclus de l’hu- régions du monde où ni ensemencement sa réalité politique confère-t-elle à l’Is-manité, ceux qui ont perpétré l’innom- ni récolte ne sont possibles pendant un lam d’être un obstacle à un ordre mondialmable ? Comment peut-on contester qu’ils certain nombre de mois consécutifs sont équilibré et apaisé ?puissent souhaiter pour les tortionnaires répertoriées, ce qui permet de distinguer L’islam est la troisième religion mono-survivants une riposte d’égale horreur ? Je les populations concrètement menacées de théiste, elle partage avec le christianismele comprends, je l’admets pleinement. Et je mort de celles « seulement » affectées par et le judaïsme un même Dieu, et ses textessais combien, mais au fond de moi-même, la dégradation de leurs conditions d’exis- théologiques sont à l’image de la bible  :l’intangibilité des droits de l’homme fait tence. Un dimanche, alors que depuis plu- pleins de contradictions, mais surtout del’objet de lézardes sous le coup de l’indi- sieurs mois je « remuais ciel et terre » pour tolérance et d’amour. Bref, il appelle uncible. Mais n’est-il pas du devoir de tout informer, sensibiliser, créer des alliances absolu respect, et en premier lieu de cesserintellectuel de continuer coûte que coûte le – préalable indispensable à toute offensive d’être aussi scandaleusement assimilé auxcombat vers l’élévation, vers le grandisse- juridique au sein des Nations unies –, je dérives fondamentalistes incarnées par lesment intérieur de toute l’humanité ? Pour reçois un appel du Haut-commissaire pour talibans, les disciples fous d’Al-Qæda, dedemeurer solide, pour sortir victorieux des les réfugiés (HCNUR), Antonio Guterres Boko Aram ou de Daesh. La diffamationcombats intérieurs auxquels cet indicible – secrétaire général des Nations unies de l’islam tout comme l’éradication de cesexpose, on peut se remémorer le procès depuis le 1er janvier 2017. Cet ami, catho- terroristes qui instrumentalisent le corande Nuremberg. Dix-neuf haut-dignitaires lique de gauche et d’une incontestable à des fins guerrières ou terroristes doiventdu IIIe Reich furent condamnés à mort «  humanité  » – il enseigna gratuitement faire l’objet d’une lutte sans relâche.12 Acteurs de l’économie - La Tribune N°136 Juillet-Août 2017

JEAN ZIEGLER DialoguerPour autant, des réalités ne doivent pas être  « Mes responsabilités onusiennes ont pour axe cardinal l’efficacité. Les compromissions pour yniées. Certains préceptes islamiques mis en parvenir, je les assume. Seul le but compte, peu importe les moyens. Préserver ma « pureté d’âme »avant par des Etats non terroristes contre- n’est d’aucune importance à l’aune des enjeux pour lesquels je me bats. »viennent aux droits de l’homme. La libertéde religion constitue un article de la Décla-ration universelle des droits de l’hommede 1948 que l’Organisation de la coopéra-tion islamique (OCI) refuse de reconnaître.Dans certains pays musulmans, se conver-tir à une autre religion est même considérécomme un acte d’apostasie et puni de lapeine de mort. C’est impardonnable. Etaux exigences de l’OCI et particulièrementde ses membres les plus déterminés (Iran,Turquie, Arabie saoudite…) réclamant lareformulation dudit article, il est impératifde ne pas céder. Car alors ce serait ouvrir laboite de Pandore, et mettre concrètementen danger la reconnaissance universelle dudroit international.Le droit des femmes fait lui aussi l’objetd’entailles parfois d’une immense gra-vité. Ce que la charia contraint dans leurliberté (d’expression, de mobilité, d’éman-cipation, de travail), et même impose enmatière de châtiments corporels – jusqu’àla lapidation pour les femmes infidèles –est absolument inacceptable. Là encore,il ne faut consentir aucun compromis,aucune reculade, et même il faut intensi-fier les efforts de sensibilisation. Et d’ail-leurs, cela porte ses fruits, petit à petit.Dans les pays wahhabites où coexistentdes gouvernances religieuses d’une intran-sigeance insupportable et des directionspolitiques aveuglées par les profits les plusextravagants, la jeunesse commence à fairesiennes la considération et l’appropriationdu progrès des droits humains.« La folie néolibérale, © Fanny Tondre / Réala théorie justificatrice © Patricio Murphy / Zuma-Réad’un ordre du monde  « Partout des fronts de résistance auxau nom duquel oligarchies du capitalisme financier voientl’Homme n’est plus le jour. Issus de la société civile, ils formentsujet de l’histoire une lumineuse fraternité de la nuit. »mais vassalisé auxravageuses lois de « De chacun selon ses capacités, pourla marchandisation, chacun selon ses besoins » : cette exhortationfont leur œuvre. de Marx incarne le combat politique, social,Malgré cela, la environnemental qu’il faut mener. »« conscience del’identité » connait Acteurs de l’économie - La Tribune 13des progrès.Foudroyants »N°136 Juillet-Août 2017

Dialoguer JEAN ZIEGLER © Nyani Quarmyne / Panos-Réa La géographie planétaire des droits de « Plus de 50 millions de morts : ce que l’effroyable boucherie l’homme peut-elle alors constituer une de la Seconde guerre mondiale a infligé à l’humanité entière indication sur la situation et peut-être la hiérarchie des civilisations  ? A l’aune de pendant six ans, l’humanité du tiers-monde le perd chaque année ces droits des femmes et de cette liberté dans le silence. Pour les peuples du tiers-monde, confessionnelle, la civilisation occiden- la troisième guerre mondiale a commencé. » tale peut-elle être considérée comme «  plus avancée  » que celle des pays14 Acteurs de l’économie - La Tribune musulmans rigoristes ? Ce double questionnement oblige à se plonger dans l’histoire. Les Lumières européennes ont engendré les républiques américaine, française et pour l’essentiel occidentales, qui forment le modèle socié- tal le plus abouti à ce jour. Ces républiques sont nées avec les droits de l’homme et la séparation des pouvoirs, ce qui permet d’ailleurs de situer géographiquement (Occident) et temporellement (XVIIIe siècle) ces avancées capitales. En cela, les contempteurs des droits de l’homme issus des pays en voie de développement ont bien tort de qualifier cette affirmation d’«  ethnocentrisme colon  »  ; elle est une réalité. D’aucuns exhortent aujourd’hui à un «  islam des Lumières  », c’est-à-dire à une mise à niveau de l’islam sur les stan- dards des Lumières. Mais savent-ils qui étaient les intellectuels, aussi bien philo- sophes que mathématiciens, qui rayon- naient du XIe au XIIIe siècles à Grenade, Cordoue ou Aranjuez ? Qui plus tôt avaient traduit Aristote, diffusé en Europe l’héri- tage grec, « éduqué » les sauvages celtes ? Ils officiaient au sein des Emirats ou dans les prestigieuses universités musulmanes de la péninsule ibérique. Ces musulmans constituaient l’avant-garde de l’humanité. Et avant eux, les peuples d’Afrique qui édi- fiaient les pyramides pendant que l’Europe était le terrain de combat des tribus bar- bares. Voilà qui ramène à de justes propor- tions nos considérations civilisationnelles contemporaines. « Quand l’invisibilité de l’ennemi et de ses armes croît, la violence ressentie par les vic- times enfle. C’est ce qu’éprouvent les sala- riés des entreprises dont la fermeture est décidée sans qu’un nom, une voix, un visage puissent être mis sur son auteur. » N°136 Juillet-Août 2017

JEAN ZIEGLER DialoguerLe capitalisme financier et spécula- « Naming and travail, ils n’ont aucun espoir d’exercer unetif, incarné dans son paroxysme par les shaming : nommer fonction, ils sont définitivement exclus.fonds vautours qui exploitent la dette et créer la honte. Le pape les assimile à des « déchets. » Desdes pays pauvres et en voie de dévelop- Démasquer, jeter « déchets » dont le nombre est estimé à unpement, a atteint un niveau de perfor- l’opprobre, et attendre milliard. Est-ce çà le progrès ?mance et de puissance despotique inédit. que la société civileCeux qui composent son oligarchie se exerce pression et De l’égoïsme à la cupidité, ce quesont largement imposé au périmètre de représailles. sécrètent le capitalisme et le libéralismecompétences et de contrôle des Etats, Voilà comment dérégulés constitue un affadissement,parvenant à liquider la normatisation et on peut stopper le même une destruction d’humanité. Toutle contrôle étatiques. Doit-on considé- “ bras meurtrier ” » aussi incontestable est que, tempérés,rer ce capitalisme comme le coupable ces mêmes capitalisme et libéralisme sontou le bénéficiaire principaux de la déli- des valeurs patrimoniales supérieures sources d’épanouissement, d’accom-quescence de légitimité des Etats  ? L’in- à celles des 99 % restants, les avoirs des plissement de soi, de volonté de bâtir etdividu dans son individualité, dans son 62 premiers multimilliardaires dépassent d’entreprendre. Stigmatiser, sans nuance,rapport aux autres, dans sa demande de ceux de 50 % des habitants de la pla- le mal est aussi inepte que glorifier, sanset sa contribution à la société, dans la nète. Le monde est bel et bien «  engagé nuance, le bien…réalisation de l’intérêt général, sait-il ce dans une spirale infernale.  » Cette e a- C’est vrai. Toute globalisation est réduc-que cette dissolution des souverainetés rante accélération des inégalités est tou- trice. La concentration des pouvoirs, queprovoque ? tefois modérée par la décélération de la symbolisent les grandes entreprises trans-Je ne le pense pas. Et d’ailleurs sans doute sous-alimentation  : les 805 millions de continentales, relève d’une logique féo-est-ce là un symptôme supplémentaire de personnes concernées représentent 11,3 % dale. Mais assimiler, sans discernement,cette aliénation. Pierre Bourdieu consi- de la population mondiale contre 18,7 % ces entreprises à des suzerains exerçantdérait l’idéologie néolibérale comme le au début des années 1990 (donnée FAO). leurs droits despotiques est inadapté. Carsupport obscurantiste le plus efficace que L’accroissement de richesse des plus riches nombre d’entre elles sont à l’origine del’humanité ait connu, car, jugeait-il, elle et l’irruption de très riches dans les pays en progrès scientifiques, médicaux, techno-concentre dans une seule main invisible : devenir semblent constituer un levier d’ap- logiques, et même sociaux incontestables.celle du marché mondialisé, le soin de pauvrissement de la pauvreté… En d’autres Reste que la transformation marchande etdistribuer le «  pain  », et les forces qui termes, l’inflation des inégalités sert l’élé- mercantile de ces formidables découvertesaniment ce marché obéissent aux lois vation des plus pauvres… dérape immanquablement  ; lorsqu’unede la nature. Il en est, par exemple, du Cette démonstration n’est que partiel- molécule révolutionnaire se retrouvecapital qui s’oriente mécaniquement là où lement juste  ; tout dépend des valeurs, réservée aux seuls pays et consommateursle profit est maximalisé, s’assurant une absolue ou relative, retenues. En effet, la capables de les rémunérer, est-ce moral  ?accumulation qui enfle naturellement et part que les populations sous-alimen- Est-ce humainement acceptable ?rapidement. Si bien que l’homme, par- tées occupent, est en recul. En revanche,ticulièrement dans les pays en voie de la pression démographique considérable Les occidentaux étant privés d’exercerdéveloppement, n’a pas d’autre alterna- (environ 8 % par an) et qui concerne la violence par les armes, ont-ils trouvétive, pour survivre, que de s’exécuter essentiellement les pays vulnérables, offre dans le capitalisme spéculatif et, au-delà,devant lesdites lois. Et ce diktat est par- une grille de lecture antagonique. Par ail- dans l’inflammation consumériste, com-venu à contaminer même ceux que l’on leurs, il est possible de mettre en doute pétitrice, marchande, un moyen d’exercercroyait protégés. A ce titre, comment ne la stricte véracité des démonstrations de « autrement » leur pulsion belliqueuse ?pas exhumer ces échanges avec Gerhardt l’Organisation des Nations unies pour L’étude lexicale des discours des servi-Schröder, alors chancelier allemand, au l’alimentation et l’agriculture  ; les fonds teurs, politiques ou d’entreprises, dusein du comité exécutif de l’Internatio- qu’elle collecte sont indexés sur les résul- capitalisme est révélatrice de dérivesnale socialiste auquel nous contribuions tats de ses programmes d’action… Enfin, pathologiques. «  Combat  », «  guerre  »,tous deux  ? C’était à la fin des années et quelle que soit l’exactitude des chiffres, «  conquête  », «  victoire  », «  domina-1990, au moment où la troisième puis- est-il tolérable de considérer de la sorte, tion », « suprématie »… voilà ce qui com-sance économique du monde était frappée c’est-à-dire de manière si déshumanisée, pose leur vocabulaire, et même la Siliconpar une vague massive de délocalisations le sort de chacun des humains, de cha- valley si souvent plébiscitée pour sonorchestrée par de grands groupes locaux, cun des enfants, victime de cette abomi- supposé progressisme culturel et mana-pourtant copieusement rentables, aveu- nation  ? Dans l’ouvrage de conversation gérial, en est le théâtre. L’«  icônique  »glés par les promesses d’Europe de l’est. avec Andréa Tornielli, Le nom de Dieu Steve Jobs n’exhortait-il pas ses salariés« On ne peut rien face aux forces du marché est miséricorde (Robert Laffont, 2016), le à se transformer en «  soldats du bien  »qui dictent aux dirigeants d’entreprise ce qui pape François évoque une nouvelle caté- mobilisés dans une «  guerre écono-est leur intérêt économique et financier. Ces gorie d’humains qui a fait irruption ces mique mondiale » inédite ? Ces élémentsforces commandent tout. On ne peut que s’y dernières années : ni opprimés ni exploi- de langage et de communication belli-adapter, et pour cela réaliser des réformes tés, sans véritable toit et sans nourriture cistes convoquent les pires instincts depériphériques, à la marge », me confia-t-il suffisante, ils n’ont aucune perspective de la nature humaine, qu’ils détournent eten substance. Quel aveu de soumission… manipulent pour combattre, asservir, détruire. Tout concurrent est adversaire,Les chi res sont implacables : en 2015, les tout compétiteur est rival et un obstacle500 plus puissantes sociétés contrôlaient qu’il faut « neutraliser. » Et « l’efficacité »53 % du produit mondial brut (données du système capitaliste résulte en grandeBanque mondiale), le 1 % des personnes partie de cette machination rhétorique etles plus riches de la planète possèdent comportementale.N°136 Juillet-Août 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 15

Dialoguer JEAN ZIEGLER« Liberté de religion ou droit des femmes : des identités et des centres décisionnelsce que la charia impose doit faire l’objet d’un desdites entreprises, ont tout à la fois érigécombat inflexible. Il est impératif de ne pas une barrière invisible, une distance insai-céder. Car alors ce serait ouvrir la boite de sissable entre bourreaux et victimes, etPandore, et mettre en danger la reconnaissance rendu l’argent si virtuel, si désindexé de la réalité, qu’il est dépourvu de toute maté- rialisation. Cet argent n’est plus une subs- tance, il est un outil abstrait de domination et d’asservissement. Et combien d’ouvriersuniverselle du droit international » voient aujourd’hui leur usine fermer sans parvenir à mettre un visage, un nom, uneA l’automne 2015, le secrétaire général inféodée aux intérêts mercantiles et, à ce voix sur ceux qui, aux commandes desdes Nations unies, Ban Ki Moon, confiait titre, capable de taire les pires atrocités. fonds d’investissement, ont décidé à l’autreà la seconde épouse de l’ancien émir du Dans ces conditions, d’avoir confié à une bout du monde de mettre fin à leur tra-Qatar et mère de l’actuel souverain, le monarque représentant l’un des pays les vail ? Quand l’invisibilité – de l’ennemi etsoin de présenter l’Agenda 2030 de l’ONU moins respectueux des droits humains la de ses armes – croît, la violence éprouvée– stratégie de lutte contre les tragédies responsabilité, si grande, de conduire un par les victimes enfle.humaines sur la planète. Une absolue Agenda 2030 destiné à lutter contre les tra- gédies humaines, est absolument ubuesque.hérésie si l’on considère le comportement De la gouvernance internationale, l’Europesocial, humain, démocratique des diri- C’est, là encore, la confirmation de l’ex- constitue un organe clé. Elle est pourtantgeants wahhabites, incarnation du tota- traordinaire pouvoir, de l’extraordinaire (très) malade, même agonisante. L’Europelitarisme. Une absolue évidence si l’on violence, de l’extraordinaire immoralité que non seulement du marché commun mais porte le capitalisme.retient pour critère de désignation la puis- plus encore d’un gisement unique d’épa-sance énergétique, financière, politique nouissement, d’humanité, d’exemplaritéde l’Emirat – capable d’obtenir l’organi- Du haut d’une expérience de sociologue, tel que Stefan Zweig l’espérait dans sessation de la Coupe du monde de football d’élu et de diplomate débutée il y a une Appels aux Européens ou ses fondateurspuis d’en construire les infrastructures soixantaine d’années, observez-vous une le dessinèrent au lendemain de la Secondedans le déni des droits humains les plus détérioration accélérée de cette moralité – Guerre mondiale, peut-elle être sauvée ?élémentaires. Ce cas en semble sympto- ou plutôt, dans le sillage de votre En 2017 a été commémoré le soixantièmematique  : la géoanalyse du capitalisme croyance idéologique, une nocivité crois- anniversaire du Traité de Rome, consti-mondial forme une grille de lecture per- sante de cette immoralité ? tutif de la Communauté européenne ettinente de la géopolitique internationale… Charles Dickens, dans cette formidable embryon de l’Union européenne. QueElle est, effectivement, d’un enseignement analyse sociologique du capitalisme qu’est reste-t-il de la formidable «  communautésidérant. Le tiers du territoire du Qatar, Oliver Twist, l’affirme  : c’est un enfer d’être de valeurs » initiée puis modelée par Kon-producteur incontournable de pétrole pauvre (It’s hell to be poor). Ce texte, retra- rad Adenauer, Jean Monnet, Robert Schu-et de gaz naturel, constitue une sorte de çant le déracinement et le dépérissement man ou Charles de Gaulle  ? Initiée, ouconcession américaine, dévolue à une base des populations rurales «  happées  » par plutôt ressuscitée – tant elle fut une incon-militaire éminemment stratégique. Ce qui la révolution industrielle, il l’achève en testable réalité au long de l’histoire, notam-induit un niveau d’aliénation, de satellisa- 1839. Près de 180 ans plus tard, l’adage ment bien sûr au Siècle des Lumières –,tion aux intérêts économiques, financiers, est incroyablement contemporain. Seule cette « communauté de valeurs » est dis-énergétiques américains inédit. Concomi- véritable différence, fondamentale, entre soute, ou plus exactement cette extraordi-tamment, 80 % de la population qui réside ces époques d’une exploitation et d’une naire communauté de nations, de cultures,dans le pays est étrangère, en provenance violence comparables  : au XIXe siècle, il d’humanités a « liquidé » ses valeurs. L’Eu-d’Inde, du Pakistan, du Népal, du Bangla- existait une grande proximité entre bour- rope n’est plus qu’un marché, un terrain dedesh, du Sri Lanka ou du Maghreb. Tous reaux et victimes. D’autre part, ce qui jeu pour multinationales, une institutionassujettis, exerçant leur métier dans des incarne la conquête capitaliste  : l’argent, dévolue à la maximalisation des profits.conditions sociales, pécuniaires, matérielles avait une valeur palpable, concrète, parfois Elle s’emploie méticuleusement à se déshu-qui relèvent de l’esclavagisme moderne. Et même affective. Dorénavant, l’internatio- maniser, à enterrer ses formidables trésorspar le truchement d’un entrecroisement nalisation du capitalisme, les mécanismes civilisationnels.extrêmement sombre de compromissions – incroyablement complexes, abscons, Pour preuve, parmi d’innombrables, laet de collusions internationales, ce régime et même délictueux – des flux financiers lâcheté de ses dirigeants face aux poli-accélère son processus de « légitimation » transfrontaliers, la suprématie des canaux tiques anti-migratoires ignominieusesde la dynastie wahhabite aux yeux de l’oc- informatiques et digitaux, la massification des ex-pays de l’est – Pologne, Répu-cident, par exemple en « achetant » l’orga- des entreprises, enfin la mondialisation blique tchèque, Slovaquie, et en premiernisation de la Coupe du monde de football.Laquelle met à « l’œuvre » des dizaines demilliers de ces esclaves du XXIe siècle sans « Combat, guerre, conquête, victoire, domination,que ne sourcille aucun des Etats occiden-taux, muselés par ledit entremêlement opa- suprématie… Tout concurrent est adversaire,que des intérêts. L’entrisme, parfaitement tout compétiteur est rival qu’il fautaccepté, des fonds souverains qataris dans « neutraliser. » Le lexique du monde capitalistele sport, les médias, les entreprises françaisen est une autre démonstration. Ce funeste convoque les pires instincts de la naturespectacle illustre toute l’hypocrisie de humaine, manipulés pour asservir et détruire »cette diplomatie internationale, totalement16 Acteurs de l’économie - La Tribune N°136 Juillet-Août 2017

JEAN ZIEGLER Dialoguerlieu Hongrie. « On » a autorisé leurs gou- morale et d’arbitrer en fonction d’enjeux fondamentale, permet d’investiguer lavernants non seulement à ériger des murs humains ou civilisationnels. Et pour vôtre. Car ainsi on s’emploie à circonscrireet à emprisonner des enfants, mais pire : cause : une telle exigence est incompatible la «  raison d’être  » de cette finitude. Laà transgresser la loi. En effet, la conven- avec l’obsession d’assurer la meilleure per- «  conscience  » de cette dernière est capi-tion des réfugiés de 1951 stipule que formance capitaliste, libérale et financière. tale pour saisir que l’on agit dans un tempstout personne victime de persécutions Les campagnes menées au printemps 2016 fractionné, qu’aucune décision ne peut êtrede natures raciale, religieuse, politique en Grande-Bretagne avant le référendum effacée, que chaque acte est irréversible. Ladans son pays est en droit de traverser sur le Brexit furent elles mêmes symptoma- perspective de la mort, la conscience d’êtreles frontières et de faire une demande tiques : les partisans du maintien au sein mortel convainc d’inscrire son existencede droit d’asile dans l’un des 189 états de l’Europe avaient pour seuls arguments dans une durée déterminée, mais aussisignataires – demande dont bien sûr il l’intérêt économique et marchand, pas une d’être en obligation de responsabilité et enrevient ensuite aux autorités domestiques seule fois l’enjeu moral, humain, civilisa- obligation de sens puisqu’ainsi embarquésd’arbitrer de manière souveraine l’issue. tionnel ne fut énoncé. Faut-il alors s’éton- dans un destin nous sommes ce que nous fai-Or là-bas, même cette démarche, qui a ner de l’issue du scrutin ? sons. Nous sommes ce que nous initions,pour valeur juridique de casser le prin- bâtissons, osons, partageons. Et dès lorscipe même d’illégalité migratoire, n’est « Je suis habité par la terreur de la mort et nous sommes en conscience du principe,plus possible. Sur cette négation absolue ses vertiges récurrents. » Cette obsession fondateur de toute civilisation, de singu-du droit de l’homme universel, l’Union de la mort – « elle m’impose la conscience larité. Conscience de la singularité de soi,européenne a fait le choix de fermer les de la finitude de mon existence, elle et donc de la singularité de chaque autre –yeux et la bouche. Une honte. confère à chacun de mes actes une chaque autre étant chacun de ceux qui nous incomparable dignité, et à chaque ins- ont précédés, chacun de ceux qui sont nosCet exemple d’opprobre jeté sur les tant qui passe son unicité. Sans elle, je ne contemporains, chacun de ceux qui nousvaleurs de l’Europe, est-il encore possible serais, au sens précis du terme, personne » succéderont. La conscience de cette singu-d’y remédier ? – chez vous nourrit empathie, altruisme, larité est déterminante si l’on veut participerUne grande partie des ressources publiques résistance, chez d’autres est apaisée par à construire non seulement une actualitéde ces Etats provient de l’Union euro- l’accomplissement matériel, consumé- mais aussi un avenir qui dépassent notrepéenne, via des contributions de solidarité riste, asservissant, égoïste. Cette élas- finitude, et embelliront l’actualité de chaquequi, pour le seul régime fasciste de Victor ticité signifie-t-elle que sans sens, sans autre dans vingt, cinquante ou cent ans. EtOrban, représentent annuellement 6,5 mil- perspective, sans support spirituel, cette à cette condition, on s’épargne de s’étour-liards d’euros. Suspendre le versement de conscience universelle de la finitude dir dans la consommation immédiate, de seces contributions ne ramènerait-il pas à la convoque le pire comme le meilleur ? perdre dans le contentement exclusivementraison les gouvernements coupables ? Les Comment ne pas être réduit, c’est-à-dire en personnel, de s’abrutir dans la dominationcaciques de Bruxelles ou de Strasbourg sont premier lieu ne pas se réduire à ses simples ou l’exploitation, de se corrompre dans laincapables d’exercer la moindre réaction fonctionnalités  ? Explorer cette question, jouissance irresponsable. © Zuma Press, Inc. / Zuma / Réa © 2015 DepoPhotos / Zuma / Réa « La manière dont l’Union européenne  « Les Etats-Unis (re)légitiment les pratiques inhumaines, alignent leur éthique sur  « Aucun médium intellectuel ferme les yeux sur l’incroyable entrave celle des terroristes qu’ils pensent museler par la torture. Ils se rabaissent à ceux n’est plus puissant que le livre au droit international perpétrée par Viktor qu’ils combattent, accomplissent un acte immoral que celui de leur « cible », et pour faire rempart à l’un des Orban à l’égard des migrants est une ainsi donnent au monde un message implacable : il est préférable d’être au plus poisons les plus redoutables honte absolue. Et une preuve du bas dans l’échelle de la morale plutôt que de travailler à porter celle-ci toujours de la déconstruction dépérissement éthique de l’institution. » plus haut. Mais si l’Etat de droit censé agir au nom de l’humanité se place sur un civilisationnelle : l’éphémère. » même niveau d’abjection que les terroristes combattus, comment peut-il reven- diquer faire grandir l’humanité de chaque humain et l’humanité de l’humanité ? »N°136 Juillet-Août 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 17

Dialoguer JEAN ZIEGLER« L’Europe n’est plus qu’un marché, une Le Président équatorien Rafael Correainstitution dévolue à la maximalisation des voulut mettre fin aux concessions, localesprofits. Elle s’emploie méticuleusement à se et étrangères, exploitant sans retenuedéshumaniser, à enterrer ses formidables ou plutôt pillant sans vergogne les tré-trésors civilisationnels » sors de la forêt. Des trésors essentiels à la défense de la biodiversité, à la sauve-« Un livre est une arme formidable contre vous est « impossible de ne pas croire en garde des populations autochtones, àla mort  », confiez-vous, faisant réfé- Dieu  ». De retour des camps de concen- la sanctuarisation de toute l’histoire derence pour cela à un anonyme du Nouvel tration et d’extermination, Sam Braun, ces territoires. En contrepartie, il avaitEmpire égyptien qui écrivit sur un papy- auteur de Personne ne m’aurait cru alors demandé et obtenu de la communautérus : « L’homme périt, son corps redevient je me suis tu (Albin Michel) considéra de internationale des subsides. Jamais cettepoussière ; tous ses semblables retournent son côté que « Dieu est mort à Auschwitz ». compensation ne fut versée. Et la mortà la terre ; mais le livre fera que son sou- Vous avez éprouvé certes non dans votre dans l’âme, sans autre choix au regardvenir soit transmis de bouche en bouche. chair mais dans votre âme l’atrocité de des risques de paupérisation sociale etMieux vaut un livre qu’une solide maison la barbarie humaine. N’a-t-elle jamais économique, il rouvrit les autorisations[…] ou qu’une stèle, dressée dans un sanc- lézardé votre foi ? d’exploitation.tuaire.  » De toutes les formes qu’a pris L’amour, viscéral, que je ressens pour Ce cas est doublement symptomatique :votre combat humaniste, est-ce celle de mes proches ne peut résulter, selon moi, d’une part des moyens, simples, del’écriture qui aura le mieux œuvré, mais que d’une source autonome, transma- remédier aux dérives ; d’autre part de laaussi le mieux colmaté vos vulnérabilités, térielle. Ce raisonnement vaut «  aussi  » couardise, irresponsable et même suici-soulagé vos peurs, désarmé la mort ? pour la barbarie. Le tortionnaire le plus daire, d’instances internationales aveu-Immense est, j’insiste, le privilège de abject agit-il ainsi selon son seul système glées par la nécessité de produire plus etpouvoir exercer librement ledit combat, nerveux ? Je ne le pense pas. Une déter- immédiatement dans le déni des réalitéset pour cela de pouvoir employer diffé- mination exogène participe à déclencher – développement de nouvelles maladies,rentes voies  : le mandat parlementaire, l’acte émotionnel, qu’il soit le plus pur ou dégradation de la planète, disparitionles conférences-débats, l’enseignement le plus inhumain. Mais pourquoi, alors, d’espèces végétales et animales, réchauf-universitaire, les interventions au pupitre cette source autonome du bien ne s’im- fement climatique… Que faire…des Nations unies, les responsabilités pose-t-elle à celle du mal  ? Malheureu-au Conseil des droits de l’homme… sement je l’ignore, nous l’ignorons tous, … si ce n’est stimuler et organiser cetteChacune d’elles est une arme, un levier même les plus éminents théologiens, les fameuse insurrection collective  ? D’ail-de sens et d’utilité que je déploie au gré plus réputés exégètes l’ignorent. Et c’est leurs n’est-ce pas cette sauvegarde dedes circonstances. Dans cet éventail, la là le Grand Mystère, le plus insondable la planète végétale, animale, climatique,«  parole  » que je distille dans les livres des mystères. qui peut cristalliser le combat, transcen-occupe une place très particulière, car elle Je crois toutefois aux «  significations  », der les cloisonnements – géographiques,résonne à la fois fortement, durablement, qui constituent une «  approche de com- sociaux, générationnels –, libérer desintemporellement et, via les traductions, préhension.  » Le sacrifice du Christ se totalitarismes – productiviste, consu-universellement. «  On  » n’absorbe pas laissant crucifier puis ressuscitant au nom mériste –, réinitialiser un sens existentiella parole lue comme la parole entendue  ; de l’amour de Dieu et des hommes en fut universel fondé sur cette réciprocité etla première investit comme nulle autre une  ; la conscience cumulative, c’est-à- cette solidarité aujourd’hui moribondes ?la conscience de celui qui activement la dire la juxtaposition des connaissances, Cette perspective semble solide. Surtoutreçoit, qui a fait l’effort de la chercher, a des compétences, des émotions grâce à si elle est confrontée à l’impression-pris le temps de l’interpréter, a décidé de laquelle notre humanité individuelle pro- nante prise de conscience de la jeunesse,la retenir dans sa mémoire. Enfin, ce qui gresse et se libère, en est une autre… notamment des pays les plus coupables,lie l’auteur au lecteur est si merveilleu- pour cet enjeu. Partout en effet se mobi-sement mystérieux… Ce dernier, je ne A l’Humanité participent la préservation lisent des mouvements de réflexion, desais rien de ce qui a motivé son emprunt de la biodiversité et la sauvegarde d’un conscience, de lutte altruistes. Et cha-ou son achat, des conditions dans les- climat aujourd’hui en péril. A l’aune de cun d’eux, et plus encore chaque âmequelles il s’y plonge, des réactions qu’il l’accélération irrémédiable du réchau e- humaine qui y participe, est une raisonéprouve, des enseignements qu’il retire. ment climatique, David Carlson directeur d’espérer. Oui, je crois que le possible peutTout livre est un objet a priori non vivant, du programme mondial de le recherche triompher de l’apparent impossible.or chaque lecteur lui donne vie, car il se sur le climat de l’Organisation météoro-l’approprie, il se met en mouvement, il logique mondiale OMM (émanation onu- « Plus l’horreur, la négation et le mépris delui confère ainsi un sens et une utilité très sienne) a rme implacablement  : «  Nous l’autre dominent à travers le monde, plussinguliers. Enfin, aucun médium intellec- sommes désormais en territoire inconnu. » l’espérance, mystérieusement, grandit.  »tuel n’est plus puissant que le livre pour La lutte contre le réchau ement clima- Vous le percevez, le ressentez, l’a rmez :faire rempart à l’un des poisons les plus tique est essentiellement «  un problème l’insurrection collective des consciences,redoutables de la déconstruction civilisa- de riches  » et susceptible d’entraver en germe d’une révolution civilisationnelletionnelle : l’éphémère. premier lieu la dynamique de croissance inéluctable, semble donc bel et bien des pays en voie de développement. proche…Vous considérez avoir «  reçu et éprouvé Comment peut-on gérer ces injonctions « Le révolutionnaire doit être capable d’en-tant d’amour » au cours de votre vie qu’il contradictoires ? tendre pousser l’herbe  »  ; «  la révolution avance sur les pas d’une colombe » : ces pen-18 Acteurs de l’économie - La Tribune sées, confiées respectivement par Marx et Nietzsche – deux des plus fins obser- vateurs du processus révolutionnaire –, N°136 Juillet-Août 2017

JEAN ZIEGLER Dialoguerinvitent leurs disciples d’aujourd’hui à celle de l’exploitation incontrôlée des « singulière », une et indivisible, de cha-faire preuve d’une extraordinaire atten- ressources naturelles, celle des mas- cun des 85 milliards d’êtres humainstion à chaque bruissement, à chaque sacres des espèces animale et végétale… qui ont peuplé la terre depuis 2,8 mil-opportunité de composer un peu mieux, in fine, cette conscience de la réciprocité lions d’années –, enfin la conscientisa-un peu plus cette insurrection collective. est ce qui doit paver la marche en avant tion d’une œuvre collective respectueuseOui, « je suis l’autre, et l’autre est moi » : vers ladite insurrection, car de cette der- de l’Homme et de son environnement.la conscience de cette réciprocité elle-même nière dépendent d’abord l’émancipation, « De chacun selon ses capacités, pour cha-constitutive de la conscience de l’identité l’autonomisation, la libération de chaque cun selon ses besoins » : cette exhortationconcentre une naturelle et formidable conscience, puis le déploiement d’une de Marx illustre parfaitement le combatcondamnation de tout ce que le capita- solidarité et d’une complémentarité politique, social, environnemental qu’illisme et le néolibéralisme charrient de universelles – et non d’une «  égalité  » faut mener. Georges Bernanos (1888 –« maux humains » : la loi du plus fort, des hommes  : celle-ci n’a d’existence 1948) écrivit : « Dieu n’a pas d’autre maincelle de la concurrence sauvage, celle de que sur le fronton des établissements que les nôtres  »  ; ou bien c’est nous quila hiérarchie des succès, celle du « clas- de la République. Et pour cause  : elle changeons l’ordre cannibale du monde,sement humain » selon les biens acquis, n’est pas compatible avec la conception ou c’est personne.« La conscience d’être mortel convainc d’être en obligation de responsabilité etde sens puisqu’ainsi nous sommes ce que nous faisons. Et dès lors nous sommesen conscience du principe, fondateur de toute civilisation, de singularité »N°136 Juillet-Août 2017 « Blanc, éduqué, confortablement installé, dans une société libre : je suis extraordinairement privilégié, et suis dans la lumière quand une immense partie de la population est muselée dans la nuit. J’ai pour responsabilité d’être les yeux et la voix des plus vulnérables. » Acteurs de l’économie - La Tribune 19

Dialoguer RUBRIQUE DE NOMManpower France - RCS Nanterre B 429 955 297 - 06/2017 - Dialogues - Getty Images. manpower.fr20 Acteurs de l’économie - La Tribune DEPUIS 1957, MANPOWER INNOVE ET TRAVAILLE POUR VOUS. N°136 Juillet-Août 2017

ÉDITORIAL DialoguerOL’ÉDIT RIAL,DENISLAFAYLAURENT WAUQUIEZ À BOUT DE SOUFFLEAu boulot, maintenant. Oui, passées les festivités, le triomphe électoral entrepreneuriaux, syndicaux – et à l’intérieur – représentants du personnel, d’Emmanuel Macron à la présidentielle puis de La République en marche « simples » salariés, élus de tous bords, et même membres de l’exécutif – de aux législatives à la fois manifeste et soulève une espérance inédite, qui la collectivité administrée par Laurent Wauquiez depuis dix-huit mois, lesdicte dans les mêmes proportions un impérieux devoir de faire. Non seulement démonstrations d’un malaise profond préfigurateur d’un climat de rupturede faire, mais de faire autrement. Et c’est dans la substance de cet adverbe s’accumulent. Certes, le maire du Puy-en-Velay peut revendiquer un indé-que se concentre celle de l’aggiornamento annoncé, de la transformation niable succès : celui d’avoir engagé l’assainissement des finances de l’ins-promise. Car c’est bien à la capacité de matérialiser et de prolonger dans les titution, jusqu’à dépasser sur 2016 et 2017 le seuil cumulé de 150 millionsactes législatifs et exécutifs l’intuition qui féconda la naissance d’En marche !, d’euros de réduction des coûts de fonctionnement. Mais à quel prix ? Déficitqu’est conditionné le devenir de cette douce révolution. Or, parmi les nom- organisationnel et climat social empoisonné, dialogue social inexistant etbreux facteurs qui prévalurent, deux émergent particulièrement : celui d’une méthodes managériales anathématisées, pratiques « clientélistes » et arbi-manière singulière, en l’occurrence bienveillante, enthousiaste, innovante, trages budgétaires idéologiques : ce coût est renchéri par le double sentimenten apparence authentique, de penser un programme politique et une cam- que l’institution ne poursuit pas de « vision » et est otage des ambitions poli-pagne électorale ; celui, surtout, d’une correspondance singulière entre d’une tiques nationales de son président. Lesquelles font désormais l’objet d’un rejetpart l’exercice démocratique propre à la constitution et à l’organisation du viscéral à l’aune du durcissement voire de la « radicalisation » des doctrinesmouvement – tout du story telling n’est pas « que » image –, d’autre part l’exi- qu’il distille dans le sillage de l’implosion puis de la recomposition du parti Lesgence d’une démocratie renouvelée telle qu’une grande partie des votants l’a Républicains dont il brigue le leadership.exprimée et surtout que les mutations sociologiques de la société françaisela façonnent. Plus encore que celui de la présidentielle, le scrutin législatif a mis en exergue l’évolution de la relation que citoyens et élus sont exhortés àAl’égard des nouveaux élus de la démocratie représentative, cette établir, ou plus exactement que les premiers imposent aux seconds. Et citoyenneté en (r)éveil semble prête à comprendre beaucoup, à accep- cela vaut aussi dans les collectivités, puisque les aspirations citoyennes et ter beaucoup, à pardonner beaucoup. A condition qu’elle saisisse en professionnelles se confondent dans la conscience de chaque fonctionnaireeux une volonté sincère et honnête, un engagement de considération et ou contractuel travaillant pour l’élu. Cette relation, ensemencée dans unede respect, une probité intellectuelle et morale, une humilité et même une profonde mutation des rapports de force et des contributions au débat public,humanité qu’elle pense dissouts depuis des décennies dans l’arrogance, l’im- est celle d’un contrat. Un contrat « équilibré », un contrat qui désagrège le lienpunité, l’inaccessibilité, l’instrumentalisation. Emmanuel Macron a repéré, séculaire de quasi subordination, de quasi sacralité à l’élu, un contrat quiconceptualisé puis victorieusement exploité la pression populaire en faveur confère à l’accomplissement de moyens exigeants – en matière d’intégritéde la désacralisation de la fonction politique. L’exigence d’une équité entre comportementale – une importance au moins aussi grande qu’à celui decitoyens et élus, l’aspiration à une interpénétration de ces deux composantes résultats dont il est acquis qu’il émane d’un contexte multifactoriel de moinsde la démocratie atteignent un degré inédit ; à ce titre, le profil des candidats en moins contrôlable. Et l’assimilation de ce nouveau paradigme s’annonceLREM à la députation sélectionnés par la commission d’investiture – pilotée d’autant plus naturelle dans le nouvel hémicyclique qu’il est composé d’unepar un Jean-Paul Delevoye incarnant les propriétés humaines, morales et proportion élevée de parlementaires issus de la société civile et donc éduquésintellectuelles réclamées par l’électorat –, mais aussi le casting de l’exécutif dans cette culture respectueuse et coopérative des « comptes à rendre. »gouvernemental et même le style de communication employé favorisent leurexaucement. Son histoire politique, philosophique et culturelle, sa réalité géo- Ce constat non seulement incarne l’impressionnante « lame de fond » dugraphique, économique et sociale ne confèreront jamais à la France d’épou- double scrutin électoral et peut-être même – il est bien trop tôt pour l’af-ser les coutumes politiques régulièrement plébiscitées des pays d’Europe du firmer – un moment majeur de l’histoire politique et démocratique fran-nord, et d’ailleurs rien n’indique que ce modèle de démocratie soit approprié çaise, mais aussi indique que l’exercice de l’autorité autoritariste et infatuée,aux particularismes de l’Hexagone ; en revanche, cette démythification de l’exercice de la hiérarchie verticale et déresponsabilisante, et donc l’exercicela « chose politique » est irréversiblement… en marche, et commande à son traditionnel de la responsabilité politique marginalisent et même disqualifientarchitecte Emmanuel Macron et à ses artisans ministres et parlementaires leurs exécutants. S’il veut durer et surtout réussir aux commandes du nouvelune responsabilité considérable : celle sinon de réussir, au moins de ne pas ensemble régional Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez doit entendreéchouer. Car toute perception, dans la conscience citoyenne, que l’espérance cette métamorphose systémique, il doit entendre la détresse d’un corps socialaura pu résulter d’une manipulation, d’une duperie ou d’un artifice marketing hier enclin à accomplir son projet aujourd’hui meurtri et en colère, il doitprophétiserait un chaos démocratique aux inestimables dégâts. entendre son propre exécutif partager le mécontentement, il doit entendre le besoin, désormais irrépressible, d’exemplarité. Laquelle est, d’abord, « de com-Besoin de sincérité, de considération, de respect, de probité intellectuelle, portement. » Plus que tout autre, il manque à Laurent Wauquiez d’avoir connu de conscience morale, d’humilité, d’humanité… faisant face à la réalité une trajectoire de « citoyen normal », et notamment oeuvré en entreprise. Il de l’arrogance, de l’impunité, de l’inaccessibilité, de l’instrumentalisa- y aurait découvert que de la « qualité » du fonctionnement humain et mana-tion : c’est la mise en perspective de cet écart d’appréciation qui synthétise gérial, et en premier lieu de l’humanité qui l’irrigue, dépend la « possibilité » del’enquête conduite au sein de la Région Auvergne-Rhône-Alpes (p.30). faire (faire) beaucoup… ou peu. Entendre tout cela, entendre l’urgence de faireRecueillies à l’extérieur – cénacles décisionnels politiques, économiques, autrement, le peut-il ? Et surtout le veut-il ?N°136 Juillet-Août 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 21

SOMMAIRE Dialoguer Entreprendre Inventer Entrée en matière 3 Frédéric Lenoir Jean Ziegler Région « L’insurrection des consciences est en marche » 4 Auvergne-Rhône-Alpes 21 Collectivité au bord Le rêve de Éditorial 24 de la crise de nerfs Christophe Galfard 57 L’actualité en images Génération 2050 58 L’initiative de Fanny Auber 26 Brice Hortefeux La science en ordre 62 Lu sur acteursdeleconomie.com 27 « Vice-roi » d’Auvergne de marche ChroniquesN°136 Chroniques 28 Roanne 52 Tribune Serge Berthier 29 Futur eldorado entrepreneurialActeurs de l’économie est publié par RH Editions (capital 276 990 euros). - 51 avenue Jean Jaurès, - 69007 Lyon - Tél. 04 72 18 09 18 - Fax 04 72 18 09 21 - [email protected] - acteursdeleconomie.compremièrelettreprénom.nom @acteursdeleconomie.com - Directeur de la publication et de la rédaction : Denis Lafay - Directeur général délégué : Valérie Asti - Rédacteur en chef adjoint : Romain Charbonnier - Rédacteur en chef adjointweb : Maxime Hanssen - Journalistes : Didier Bert, Stéphanie Borg, Marie-Annick Depagneux, Dominique-Myriam Dornier, Karen Latour, Marie Lyan, Mathieu Perisse, Yann Petiteaux - Secrétariat de rédaction :Nicolas Rousseau - Photographes : Laurent Cerino - Dessinateurs : Kanellos Cob, Vic - Maquette : Marie-Anne Joly - Conférences-Débats : Steven Dolbeau - Responsable webmarketing & communication : Eric Fossoul- Comptabilité : Marylin Gombault - Abonnements - Publicité : Razala Oulka - Impression : Courand et Associés, 82 route de Crémieu, 38230 Tignieu-Jameyzieu N° de CPPAP : 0320K89381 ISSN 1620-6096 - Dépôt légal :1er semestre 2017 - 5 n°/an - Avec ce numéro, le Supplément entreprendre. Vous souhaitez optimiser votre patrimoine, préparer des projets ou développer votre activité. Retrouvez-nous dans À la Banque Rhône-Alpes, vous disposez d’un conseiller dédié et d’experts pour vous l’une de nos 80 agences accompagner. Connectez-vous sur Banque Rhône-Alpes - S.A. à Directoire et Conseil de Surveillance au capital de EUR 12 562 800 - SIREN 057 502 270 - RCS Grenoble - Siège Social : 20 et 22, bd Edouard Rey www.banque-rhone-alpes.fr BP 77 - 38041 Grenoble Cedex 9 - Siège Central : 235, Cours Lafayette - 69451 Lyon Cedex 06 - Société de courtage d’assurances immatriculée à l’ORIAS sous le N° 07 023 988. N°13612/J0u8i/l2le01t6-A0o8:û41t:124017 Acteurs Eco 200x45.indd 122 Acteurs de l’économie - La Tribune

Comprendre 11e Prix de l’esprit d’entreprendre RespirerPerrine Ruby 65 Domaine Clape 11e Prix de l’esprit d’entreprendre 96La rêveuse Les cornacs du cornas Grand Prix Jean-Marc Borello 100Family o ces 66 Prix Révolutionner Hélène Courtois 102Les garants (très discrets) 74 Prix Éduquer Prosper Teboul 104des patrimoines 80 Prix Rebondir Christian Barqui 106Baud Industries Prix Mobiliser Emmaüs-Lyon 108L’union sacrée Prix Créer Amélie Thépot 110Chroniques 84 Retour en images 112N°136 Juillet-Août 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 23

3 Dialoguer L’ACTUALITÉ EN IMAGES1© Laurent Cerino / Réa © Laurent Cerino / Acteurs de l’économie 1 LYON Le siège social de l’éditeur de solutions logicielles Cegid, fondé par2 Jean-Michel Aulas et passé sous pavillon anglo-américain (Silverlake et Alta One) en avril 2016, pourrait déménager de Lyon pour les Pays-Bas et passer ainsi en société européenne. En parallèle, le consortium propriétaire annonce vouloir retirer le titre de la cotation de la Bourse de Paris. 2 AUVERGNE-RHONE-ALPES Le pôle Nuclear Valley (210 membres) va-t-il passer de la région Bourgogne-Franche-Comté à celle d’Auvergne-Rhône-Alpes ? Tous les signes montrent que la collectivité présidée par Laurent Wauquiez pourrait aspirer l’établissement sur son territoire moyennant un grand plan de soutien à la filière et particulièrement financier. De quoi inquiéter son voisin. 3AUVERGNE-RHONE-ALPES Les élections législatives auront été marquées par une redistribution massive des cartes avec la victoire de La république en marche (41 députés (avec Modem) sur 64 députés). Une élection également marquée par les défaites de figures politiques comme Philippe Cochet (LR), Georges Fenech (LR), Najat Vallaud-Belkacem (PS), Philippe Meunier (LR), ou encore Louis Giscard d’Estaing (UDI). 4AUVERGNE-RHONE-ALPES Arnaud Peyrelongue quitte la direction Sud-Est de Bpifrance pour prendre celle du Grand-Ouest (régions Bretagne, Loire-Atlantique et Nouvelle Aquitaine). En Auvergne-Rhône-Alpes, la banque publique d’investissement a soutenu 13 863 entreprises en 2016 et financé l’économie régionale à hauteur de 3,3 milliards d’euros. 4© Laurent Cerino / Acteurs de l’économie © Laurent Cerino / Acteurs de l’économie24 Acteurs de l’économie - La Tribune N°136 Juillet-Août 2017

RUBRIQUE DE NOM DialoguerN°136 Juillet-Août 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 25 En harmonie avec votre vie

Dialoguer L’INITIATIVE FANNY AUBER L’AFFABLE© Laurent Cerino / Acteurs de l’économie La question des réfugiés et des migrants ne cesse d’alimenter le débat avec plus ou moins de passion et de stéréotypes véhiculés, si bien que depuis 2011, le mouvement citoyen Singa a fait le choix de répondre à cette problématique en sen- sibilisant les publics par la volonté de créer du lien entre les individus. Une démarche devant mettre fin à la stigmatisation du « réfugié ». D’ailleurs, le mot est banni de leur vocabulaire. « Ce sont des personnes avant tout », préfère souligner Fanny Auber, responsable de l’antenne lyonnaise, qui a vu le jour au début de l’année 2016. Singa est ainsi un tisseur de lien entre des populations françaises et réfugiées, et ne se considère pas comme une structure d’accompagnement. « Notre mission est à la fois d’informer, pour que le regard change, et montrer que ces personnes ne sont pas un poids pour la société, mais un atout. De connecter les populations autour d’une passion, d’un métier, d’un projet entrepreneurial. Enfin, d’innover en cherchant des solutions pour améliorer l’accueil des personnes réfugiées, impliquant la société civile. » À Lyon, l’association regroupe une communauté de 1 300 membres dont 450 personnes réfugiées. « La mobilisation est forte, mais demande une grande pédagogie pour démystifier les idées reçues », reconnaît Fanny Auber. Et parmi les per- sonnes accueillies, nombreuses sont chefs d’entreprises dans leur pays d’origine ou développent un esprit d’entreprendre, mais ne disposent pas de réseau, ni de compétences ni de connaissances pour entreprendre en France. Singa apporte alors les clés avec son incubateur, La Fabrique. « Notre travail n’est pas de faire à la place des personnes réfugiées, mais bien de les aider à entreprendre elles-mêmes, en s’entourant de notre écosystème. » Pour les Français engagés dans l’association, il s’agit, au-delà de l’apport de leur temps, de s’enrichir de cultures di érentes, de partager des bonnes pratiques, de faire des rencontres, mais aussi, pour certains, d’entreprendre au travers de projets à vocation inclusive. Singa s’emploie à porter ce message le plus largement possible auprès, particulièrement, de ceux qui pourraient en être éloignés notamment dans les entreprises et les collectivités, afin que le vivre-ensemble ne soit pas un vain mot, mais appliquer à tous et pour tous. RC Retrouvez Fanny Auber dans l’émission Start’Up Co, proposée par TLM-Télé Lyon Métropole et Acteurs de l’économie-La Tribune, chaque 2e et 4e vendredi du mois à 19H15. 26 Acteurs de l’économie - La Tribune N°136 Juillet-Août 2017

LU SUR ACTEURSDELECONOMIE.COM Dialoguer« Les Français comptent sur le nouveau gouvernement « POUR LES ENTREPRENEURS ET DIRIGEANTSpour croire encore en la politique. Le peuple a, pour un D’ENTREPRISE, CEUX QUI SONT DOUÉS D’INTELLIGENCEtemps, tourné le dos à l’extrémisme du Front national. Il ÉMOTIONNELLE, SÉCRÈTENT MOINS DE CORTISOLa essayé la droite, il a été déçu. Il a essayé la Gauche, il (HORMONE DU STRESS), GÈRENT PLUS FACILEMENTa été amer. Il accepte maintenant d’essayer une famille LA COMPLEXITÉ, ONT UNE MEILLEURE SANTÉ ETrépublicaine recomposée... comme une dernière chance SONT MOINS SENSIBLES AU BURN-OUT »pour la France. Cette fois, les politiques n’ont pas intérêtà trahir sa confiance » Comment les émotions peuvent aider à entreprendre Christophe Haag, docteur en comportement organisationnelUn Gouvernement d’union nationale pour sauver la politique française et professeur-chercheur à emlyon business school, 1er juinAzouz Begag, ancien ministre, chercheur au CNRS, 17 mai« LE DANGER DU BIG DATA LU SUR « Le geek 2.0 est devenuET DE SES ALGORITHMES, ACTEURSDELECONOMIE.COM tendance. InfluenceurN’EST PAS UN DANGER des temps modernes,SOCIÉTAL FANTASMÉ SI il est technophile etLA MISSION EST DÉVOYÉE. adopte souvent lesMAIS IL EST CONCOMITAMMENT innovations enUNE OPPORTUNITÉ ET PEUT avant-première.S’AVÉRER PORTEUR DE Connecté au monde entier,FORMIDABLES AVANCÉES il performe sur des jeuxHUMAINES » vidéo multi-joueurs en ligne, interagit sur les réseauxLe big data est-il sociaux et manifesteun danger sociétal ? de la curiosité sur lesYannick Chatelain, nouveautés produits »professeur associéà Grenoble école de management, Le numérique ne concerne pas18 mai que les geeks ! Laurent de La Clergerie, président et fondateur du groupe LDLC, 24 mai LA BLOCKCHAIN : BIG-BANG DE LA RELATION CONTRACTUELLE L’algorithme et le big-data engendrent des bouleversements considérables sur la relation contractuelle, le droit et, par conséquent, l’avenir immédiat des professions juridiques et judiciaires. Le 05 octobre 2017, l’Institut de Droit et d’Économie des Affaires organise un premier colloque intitulé « Blockchain : big-bang de la relation contractuelle ». Il sera suivi en 2018 d’un second colloque relatif à la Justice prédictive. La blockchain nous oblige à penser différemment le contrat, avec l’apparition des smarts-contrats, le transfert des titres de propriété, l’élaboration des cadastres par exemple. La désintermédiation que permet la blockchain remet en cause l’exercice professionnel et peut-être même l’existence des professions telles que les notaires, huissiers, greffiers, avocats, assureurs et banquiers. Il n’est pas une profession, un secteur économique, qui ne réfléchisse pas, dès aujourd’hui, aux conséquences de la blockchain sur son modèle économique. @Droit_Lyon3 CONTACT ÉQUIPE DE RECHERCHE LOUIS JOSSERANDN°136 Juillet-Août 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 27

Dialoguer CHRONIQUESDIALOGUE SOCIAL ET RENOUVELLEMENT DÉMOCRATIQUE Bruno Dupuis Le dialogue social mis en œuvre de façon appropriée, coopération aux autres niveaux les plus appropriés Associé senior advisor, revisité parfois à tous les niveaux possibles est, de ce en appliquant le principe de subsidiarité, de branche, Alixio point de vue, un formidable outil sur lequel il faut s’ap- inter-entreprises, territorial. Le niveau interprofes- puyer pour dégager des compromis. Entre les grandes sionnel sur des sujets d’intérêt général, nationauxLa période qui s’ouvre est une formidable échéances électorales, il constitue un ciment qui per- et transversaux, doit être plus rare. Il faudra aussi occasion pour franchir un palier clef dans la met d’embarquer le plus largement possible le corps dans cette pratique du dialogue ne pas laisser sur transformation de notre pays en fédérant ses social et ses différentes parties prenantes, de faire le bord de la route certaines franges ou catégories forces de progrès pour utiliser mieux ses très partager des diagnostics sur tels ou tels grands sujets de la population éloignées du salariat et des syndi- nombreux atouts. En bref, pour qu’une plus que nous avons à aborder dans sa dimension sociale. cats traditionnels. Il s’agit alors de trouver de large fraction de nos concitoyens voie le verre à moitié Nous avons su le faire de façon très large à certaines nouvelles formules pour embarquer dans les plein, pour qu’ils aillent de l’avant plutôt que d’obéir à occasions, même si parfois les choses se sont un peu échanges tous les travailleurs, les indépen- des réflexes de défiance, de peur et de replis sur soi, arrêtées en route au moment de passer à l’exécution, dants, ceux de la nouvelle économie utili- pour que la France donne à l’étranger l’image attractive comme dans les suites données au Grenelle de l’envi- sant les plateformes numériques mais aussi d’un pays qui, fort de ses valeurs, se projette dans le ronnement et au vaste chantier de la transition éner- ceux de l’ancienne économie comme dans 21e siècle ce qu’il fait déjà avec sa fertilité en startups. gétique, générateurs d’activités et d’emplois. Bien sûr, le monde agricole ou celui des professions de ce point de vue, l’entreprise est un niveau essentiel indépendantes. Après le mouvement de renou- de proximité pour traiter de nombreux sujets et il faut vellement du personnel politique auquel nos com- faire confiance aux acteurs, ne pas les mépriser en patriotes ont montré qu’ils aspiraient avec un sens considérant légèrement comme on l’entend parfois « il politique aigu, il faudra aussi que le processus de suffit d’un accord  » quand on sait la difficulté qu’il y renouvellement des corps intermédiaires fasse son a souvent, et les exigences de part et d’autre, pour œuvre. Les résultats récents du second cycle de arrêter un consensus tenant compte de concessions et mesure de la représentativité pour les syndicats de de contreparties réciproques. salariés et le premier pour les organisations patro- nales montrent une assez lente évolution au regard Renouvellement des transformations dont notre pays a besoin. Un Mais il faut certainement aller encore plus loin renouvellement générationnel est aussi clef de ce et revivifier le dialogue sur des sujets concrets de côté pour aborder l’avenir.CLAUSE MOLIÈRE : l’utilité du débat en questionLa manière dont la campagne électorale s’est Walter Salamand Or, en l’espèce, contrairement aux positions péremp- © Christian Chamourat - DR emparée du sujet, au combien technique, des Avocat associé droit public toires qui ont pu être soutenues, la question de savoir si clauses dites «  clauses Molière  » est assez CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon la compréhension du français sur un chantier peut être symptomatique d’un monde politique qui légalement imposée pour permettre la compréhension cherche le clivage pour exister. Certains ont la non-discrimination dans l’accès à la commande des règles de sécurité est loin d’être évidente. Il est débattu avec frénésie du caractère discriminatoire, ou publique, la libre circulation des travailleurs dans l’Union fort probable que la jurisprudence considère comme au contraire protecteur, des clauses linguistiques sur et la libre prestation de service. Mais toute entrave à bien fondée la pratique d’une langue commune sur un les chantiers, sans même que soit posée la question ces libertés n’est pas forcément illégale. chantier. La possibilité d’imposer la langue d’un Etat de leur efficience pour lutter contre le travail détaché. membre en particulier est plus discutable. Aussi, avec De manière rationnelle, il faut circonscrire le débat et Une question d’efficience pragmatisme, il semble possible de considérer que, les définir ce qu’est une clause Molière. On constatera Selon une jurisprudence bien établie les entraves clauses Molière ne constituent pas une entrave dispro- que derrière les approximations, la clause Molière peuvent être justifiées, à la condition qu’elles répondent portionnée dans la mesure où les règles contractuelles est dénuée de la portée symbolique qu’on veut bien à une raison impérieuse d’intérêt général et qu’elles et réglementaires de sécurité sont bien rédigées en lui prêter. En effet, si l’utilisation des clauses soient strictement nécessaires pour satisfaire celle-ci. français. Mais au-delà de la légalité des clauses lin- linguistiques était sans doute initialement guistiques, se pose la question de leur efficience. Bien une technique pour lutter contre la pratique qu’il soit possible de prendre des précautions juridiques des travailleurs détachés, elle ne l’est plus. dans leur rédaction, ces clauses seront bien difficiles à Lorsqu’on étudie les clauses utilisées, il n’est appliquer et surtout, elles risquent d’être un « foyer de nullement fait référence aux travailleurs déta- contentieux ». Par exemple : comment définir le niveau chés. Il est tout au plus exigé que les salariés qui de français à exiger et comment faire la preuve que œuvrent sur un chantier maîtrisent la langue française ce niveau n’est pas atteint  ? Une mise en demeure pour comprendre les règles de sécurité. serait-elle possible pour permettre à l’entreprise d’amé- Les partisans du protectionnisme comme les défen- liorer le niveau de compréhension exigé ? Quelle est la seurs de la non-discrimination seront donc nécessai- sanction envisagée, et surtout est-il possible de mettre rement déçus par le caractère très juridique, presque un terme à la sanction  ? Ainsi, avant de se laisser aseptisé, du débat sur la légalité des clauses Molière. instrumentaliser sur la supposée portée symbolique Certes, le fait d’exiger que les travailleurs maîtrisent la des clauses Molière, il faut avoir conscience de son langue française sur un chantier entrave trois libertés : manque d’efficience.28 Acteurs de l’économie - La Tribune N°136 Juillet-Août 2017

NOUS AVONS TRIBUNE DialoguerDOMESTIQUÉ,TRANSFORMÉ, Le génial artiste et inventeur Leonardo da Vinci incitait ses élèves à sor-PILLÉ ET, tir de l’atelier pour, disait-il : « Aller observer la nature, là est votreEN GRANDE futur ! ». Une fois de plus trop tôt prononcée, cette phrase est une révolu-PARTIE, tion pour l’époque et reste, encore aujourd’hui, d’une étonnante pertinence. UneDÉTRUIT révolution, car nous étions, pour reprendre les termes de Patrick Deville, en cesLA NATURE. temps où la nature n’était pas cette vieillarde mourante qu’il faut protéger, maisNOUS un redoutable ennemi qu’il faut vaincre. Hormis cette remarquable parenthèse,COMMENÇONS l’Homme ne s’est que fort récemment inspiré de la nature pour ses œuvres, saufENFIN À LA peut-être dans le domaine militaire. Nous l’avons domestiquée, transformée, pilléeREGARDER D’UN et en grande partie détruite, mais nous ne commençons qu’à peine à la regarderNOUVEL ŒIL d’un nouvel œil : que peut-elle nous apporter d’autre que ses richesses en élé- ments ? L’idée fondamentale de la bio-inspiration repose sur l’évolution et la sélection naturelle. Les organismes vivants que nous pouvons observer aujourd’hui sont le résultat de mutations aléatoires et du passage par le redoutable filtre de la sélection naturelle. Ils ont ainsi bénéficié de milliers d’années de tests grandeur nature - de recherche et développement, dirait-on aujourd’hui - et nous pouvons considérer qu’ils ont ainsi atteint une forme de perfection, ou plutôt un optimum. Deux manières permettent d’aborder le bio-mimétisme ou la bio-inspiration. On peut d’une part adapter à nos besoins et avec nos matériaux les réalisations de la nature. L’exemple le plus connu est sans nul doute le velcro, copie conforme de la graine de bardane. Une extraordinaire réussite industrielle qui génère des chiffres d’affaires colossaux et a bouleversé l’accroche dans tous les domaines. Il en est de nombreuses autres, moins connues, ayant apporté de réels progrès dans de très nombreux domaines : aéronautique, cosmétique, affichage, médecine, etc. Des progrès, mais pas de bouleversements sociétaux !QUAND LA NATURE PEUT NOUS OFFRIRDES STRATÉGIES ÉCONOMIQUESSerge Berthier COMPLEXITÉ ET DÉSORDRE © DRChercheur à l’Institutdes nanosciences de Paris Au-delà de ses inventions pratiques, la nature peut aussi nous offrir des straté- gies. Deux grands principes régissent les constructions naturelles. Le premier estN°136 Juillet-Août 2017 la grande économie en éléments chimiques et son corollaire : la minimisation des déchets. Alors que nous utilisons peu ou prou l’ensemble des éléments de la clas- sification périodique des éléments, la nature n’en utilise que très peu dans ses structures. Le second est la multifonction. Les structures naturelles sont toujours multifonctionnelles, ce qui participe également à l’économie évoquée précédem- ment. Cette stratégie - faire beaucoup avec peu - a un prix : la complexité et le désordre. La première permet d’obtenir une structure adaptée aux diverses fonctions. Les structures naturelles sont multi-échelle, parfois fractales, chaque échelle étant particulièrement (mais pas exclusivement) optimisée pour une tâche donnée. Le second - le désordre - permet l’optimisation en moyenne des différentes fonctions. Toutes étant aussi vitales les unes que les autres, aucune ne doit prendre le pas sur les autres, aussi ne sont-elles jamais « parfaites » et un judicieux désordre assure cette harmonisation des fonctions. Économie, désordre, multifonctionnalité, complexité : pratiquement l’inverse point par point de nos stratégies humaines. À un point tel que bien des réalisations industrielles bio-inspirées, pourtant très performantes, sont inadaptées à nos sociétés, notre mode de vie, et restent au stade de prototypes. La stratégie humaine - puiser à loisir dans les éléments natu- rels - s’est avérée parfaite dans un monde aux ressources « infinies » et a permis cette extraordinaire expansion qualitative et quantitative que nous connaissons. Mais nous voilà arrivés dans un monde fini. Dans le même temps alors que la popu- lation humaine va atteindre son maximum viable, nous allons également atteindre les pics de production de la plupart des éléments chimiques, beaucoup étant déjà considérés comme « stratégiques » aujourd’hui. Il est temps de réfléchir aux moyens de nous en passer, et c’est sans nul doute la plus grande leçon de la nature, et le plus grand intérêt de la bio-inspiration. Là, est notre futur. Acteurs de l’économie - La Tribune 29

Entreprendre RÉGION AUVERGNE-RHÔNE-ALPESRÉGION AUVERGNE-RHÔNE-ALPESCOLLECTIVITÉ AU BORDDE LA CRISE DE NERFS30 Acteurs de l’économie - La Tribune N°136 Juillet-Août 2017

RÉGION AUVERGNE-RHÔNE-ALPES Entreprendre La Région Auvergne-Rhône-Alpes traverse une tempête violente. Jamais depuis 1998 et le tristement célèbre rapprochement entre Charles Millon et le Front national, la collectivité (8 800 agents et 3,685 milliards d’euros de budget) n’avait connu pareille tornade. Élus de la majorité et de l’opposition, membres de l’exécutif, salariés, représentants du personnel, interlocuteurs extérieurs, spécialistes en stratégie territoriale, dirigeants consulaires, syndicaux et patronaux, conseillers du Ceser, élus de la Métropole de Lyon… dressent un état des lieux social, humain, organisationnel inquiétant. Même funeste. Dix-huit mois après la victoire de Laurent Wauquiez, les espérances ont pris la forme d’interrogations puis de troubles puis de frondes, qui hypothèquent l’e cacité même des compétences de l’institution. Avec pour objet de cristallisation la personnalité, le comportement et les (grandes) manœuvres de son président. Auvergne-Rhône-Alpes avait vocation à être le « laboratoire » d’expérimen- tations destinées à une duplication hexago- nale ; le conflit des intérêts poursuivis par Laurent Wauquiez y a inoculé un poison, qui confère à la collectivité d’être l’otage des ambitions politiques nationales de son charismatique patron. À une synthèse qu’on imaginait, aux prémices de l’enquête, contrastée et équilibrée s’impose au final un sévère réquisitoire. ENQUÊTE, DENIS LAFAYN°136 Juillet-Août 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 31 © Laurent Cerino / Acteurs de l’économie

Entreprendre RÉGION AUVERGNE-RHÔNE-ALPESUNE RADIOGRAPHIE ORGANISATIONNELLE,SOCIALE, MÉTHODOLOGIQUE ALARMANTE…UNE RÉORGANISATION EN PANNE Les répercussions de ces dysfonction- Les mobilisations du personnel qui se sontLes quatorze mois de vacance à la direc- nements frappent l’exécutif et ont franchi succédées depuis le 7 novembre 2016 ention des ressources humaines – Jean-Louis les murs de l’enceinte. Elles frappent l’exé- témoignent. L’un des vice-présidents leBiard, en provenance de la mairie de cutif, comme le rapportent les salariés concède lui-même  : dans sa délégationCannes, a pris ses fonctions en février 2017 et le reconnaissent des vice-présidents coexistent des situations de «  burn out  »– en sont l’illustration : la définition puis la consternés par d’ultimes arbitrages qui les et d’autres de « bore out » (lire p.36). Lesmise en œuvre d’une nouvelle architecture déjugent publiquement et au sein même représentants du personnel l’affirment : leorganisationnelle concrétisant la fusion de leur délégation (lire p.39), jusqu’à les nombre d’arrêts maladie a « explosé », sansdes collectivités Auvergne et Rhône-Alpes réduire à des rôles de «  figurants  » ou de toutefois – faute d’obtenir des informa-et la gestion managériale et sociale, des «  simples exécutants.  » Tout ou presque tions de la DRH – être en mesure d’étayerpostes et des emplois, sont, pour l’heure, transite par le cabinet du président ; une quantitativement l’allégation… qu’Étienneun échec. En cause, pêle-mêle une impré- hyper centralisation qui tranche avec l’hy- Blanc lui-même est dans l’incapacité deparation, des négligences. Et quelques stra- per – et à certains égards très excessive contester ou d’invalider. « La direction a-t-tégies troubles. 8 800 agents (dont 6 800 – liberté dont jouissaient les vice-prési- elle fait le calcul financier de ce phénomène,à… 6 027 selon les sources, affectés aux dents de l’exécutif précédent de Jean-Jack auquel d’ailleurs moi-même participe pour lalycées) sont employés, réunis dans cinq Queyranne. Un proche du directeur géné- première fois dans ma carrière ? », interrogepôles eux-mêmes subdivisés en 22 direc- ral des services l’affirme  : «  Guillaume un cadre non syndiqué. Enfin, sans qu’iltions, elles-mêmes sectorisées par services. Boudy est lessivé, tétanisé, en souffrance. La soit possible de distinguer clairement ceLa conjonction d’une volonté, affichée – au rumeur de son départ ne cesse d’enfler.  » qui relève du fantasme et de la réalité, lenom du plan pluriannuel de réduction des Et elles ont franchi les murs de l’enceinte et personnel syndiqué ou non stigmatise uncoûts de fonctionnement pour un montant rejaillissent sur la fluidité des dossiers contexte « de peur » et de « paranoïa », destotal de 300 millions d’euros – d’alléger mêlant le tissu socio-économique, comme méthodes « de pression insupportables », desles effectifs, de l’ampleur considérable que en témoigne l’«  immense bordel  » ainsi pratiques d’intimidation « inacceptables. »constitue l’agglomération de deux collecti- résumé par une figure du monde patronal. Et tous notamment de faire référence auvités, mais aussi d’une insuffisante considé- La simplification des process internes et mouvement de contestation du 9 févrierration du chantier, provoque une situation l’assèchement bureaucratique, promis pen- 2017. « Nous étions rassemblés dans l’atriumexplosive. C’est à plusieurs centaines que dant la campagne pour décongestionner intérieur du siège social, que surplombent desles organisations syndicales chiffrent les le fonctionnement de l’établissement, sont passerelles. De là, des personnes nous pho-postes fermés, en cours de redéfinition ou encore à l’état de chantier. «  Tout est blo- tographiaient  », assurent-ils. «  Quand doncde redéploiement, dans l’attente de recrute- qué, en stand-by, en attente de signatures ou, les dossiers que des collègues commencentments ou de départs. Les nominations aux pire, de responsables pour prendre la plume et de constituer déboucheront-ils enfin sur despostes de directions sont loin d’être ache- de collaborateurs compétents », complète un plaintes pour harcèlement ?, questionne l’unvées, les organigrammes sont incomplets, spécialiste des politiques territoriales. d’eux. Quand je découvre le projet de condi-et en cascade les affectations intra et inter tionner désormais les absences pour « décès »services sont figées. Même celui des res- Une compétition ou «  maladie très grave  » des proches auxsources humaines, censé mettre en œuvre « malsaine » met aux prises «  nécessités de service  »… C’est aussi gro-la politique des emplois, n’est pas pleine- les agents, otages des tesque que scandaleux. Le climat est irrespi-ment opérationnel. Que le vice-président rumeurs, des connivences rable. Vivement que j’en parte. Et c’est sansÉtienne Blanc (lire p.41) s’avoue dans l’in- et des inimitiés, sommés doute le but que poursuit cette stratégie decapacité de produire une photographie de de postuler dans tel service découragement.  » Et de lancer un avertis-la situation est révélateur. Et ce sont donc contre tel autre candidat, sement : « Imagine-t-on l’ampleur du séismel’incertitude, les calculs tactiques, les (dé) pour conserver tel emploi si, pour des motifs professionnels, un agent seespérances qui caractérisent l’état d’esprit, contre tel prétendant… balance dans le vide du haut de l’édifice ? »notamment au siège lyonnais, du person- le tout entretenu par une La politique de l’exécutif n’est pas non plusnel. Avec pour point d’orgue une compé- hiérarchie jugée d’amatrice étrangère au découragement. D’une culturetition souterraine, « malsaine » résume une à cynique historique de mission et de projets, la collec-salariée, entre agents, otages des rumeurs tivité apparaît aux yeux du personnel s’êtreet des supputations, des connivences et UN CLIMAT SOCIAL DÉLÉTÈRE enfermée dans celle de « simple » gestion,des inimitiés, exhortés à postuler dans Ce contexte organisationnel participe en qu’incarne le dogme des 75 millions d’eu-tel service contre tel autre candidat, pour premier lieu à un mal-être qui s’est pro- ros de réduction des coûts de fonctionne-conserver tel emploi contre tel préten- pagé et ramifie indistinctement services ment en années 2016 et 2017. « On ne bâtitdant… le tout, sciemment ou maladroite- et strates hiérarchiques. Sans vision des pas un projet d’entreprise, on ne mobilise pasment entretenu par une hiérarchie jugée au emplois, sans perspective commune de des agents sur ce seul objectif  », déplore lemieux amatrice au pire cynique. « Dans ce sens, sans dynamique managériale par- socialiste Jean-François Debat, vice-pré-contexte, il s’avère difficile de séduire des hauts tagée, le corps social apparaît désemparé. sident de la Région Rhône-Alpes en chargeprofils externes de venir et de convaincre ceux des finances dans la précédente manda-en interne de rester », commente un profes- ture. Seul  ? Certes non. Mais l’ensemblesionnel des ressources humaines. des observateurs, y compris dans le cénacle32 Acteurs de l’économie - La Tribune N°136 Juillet-Août 2017

RÉGION AUVERGNE-RHÔNE-ALPES EntreprendreL’hyper centralisation du système Wauquiez tranche avec © Laurent Cerino / Acteurs de l’économiel’hyper liberté de la méthode Queyranne. Principale victime :l’exécutif, dépossédé de prérogatives décisionnellessyndical ou dans l’exécutif de Jean-Jack (Ceser) – « on ne compte plus les silences et Tout le monde l’admet : le personnel et la dynamique © Guillaume AtgerQueyranne (président de 2004 à 2015), le les actes dilatoires, les entraves délibérés y collective étaient usés par la deuxième mandaturereconnait : le corps social de la collectivité compris en terme d’information et de commu- Queyranne et réclamaient un électro-choc. © Laurent Cerino / Acteurs de l’économieétait usé. Restaurer un cadre responsabi- nication », pestent aussi bien Michel Weilllisant, rigidifier les procédures, revitaliser et Jean-Marc Guilhot (CFDT) que des par- Jean-François Debat est catégorique : la poursuite du © Laurent Cerino / Réaune perspective, redynamiser les agents ticipants au collège patronal – et dans la plan de réduction des coûts ne sera pas supportableétait devenu urgent. Ce qui, en premier bouche même des plus hauts hiérarques au-delà de 2017.lieu, impliquait de mettre fin aux gabegies patronaux. «  De manière doctrinaire, et– y compris dans la gestion, « élastique » parce que viscéralement il exècre toute for- Juliette Jarry, Martial Saddier, Étienne Blanc, Yannickvoire laxiste, du personnel – et aux emplois mation syndicale, Laurent Wauquiez a tiré Neuder : des vice-présidents salués pour leursinutiles qui avaient sédimenté au gré des un trait sur le dialogue social  », résument compétences ou leur « bonne volonté. »largesses et des négligences. deux d’entre eux. Sa décision de mettre fin à la Conférence sociale annuelle, où La « violence » de la réaction de Laurent WauquiezUN DIALOGUE SOCIAL DISCRÉDITÉ germèrent, par le passé, le Fonds régio- aurait participé à la décision de la présidenteCet examen aussi sévère qu’incontestable nal d’action d’urgence, le hub financier et du Ceser Sybille Desclozeaux de ne pas postulerdes dérives de l’ancienne mandature est notamment le Fonds régional d’investis- à la reconduction de son mandat.d’ailleurs au carrefour des espérances origi- sement, le plan PME, la gouvernance desnelles et des désillusions actuelles qu’incarne CTEF (35 contrats territoriaux emploi for- Acteurs de l’économie - La Tribune 33Laurent Wauquiez. Unanimement en effet, mation aujourd’hui supprimés et appelés àl’impériosité de réveiller l’endormie de être remplacés par un dispositif endogène),concert avec les injonctions économiques ou encore la plateforme de sécurisationet financières – liées à la raréfaction des des parcours professionnels, surgit commesubsides de l’État et donc des ressources – un symbole. Y compris d’une « méfiance »s’est imposée. «  Nous sommes parfaitement voire d’une «  aversion dogmatiques  » pourconscients de la situation des collectivités. Et les corps intermédiaires et les espaces demême nous étions en attente forte du nouvel contre-pouvoirs, supposés « déranger » laexécutif pour mettre en œuvre un projet compa- démocratie directe qu’il revendique – danstible avec l’obligation de contraintes incontour- le sillage de Nicolas Sarkozy. «  Or, quenables et d’une rigueur retrouvée  », résume traduisent la transformation de la politiqueÉlisabeth Le Gac, secrétaire régionale de la française et la mutation de la démocratie queCFDT. C’est pourquoi, affirme-t-on chez les nous vivons en 2017 ? La volonté citoyenne deagents, que la victoire de Laurent Wauquiez «  prendre part à  ». Exactement l’inverse desfut accueillie avec «  beaucoup d’espoir  » et logiques de Laurent Wauquiez  », complètesécréta une volonté « motivante » d’apporter Élisabeth Le Gac.leur contribution au vaste chantier. Or, très Au final, et exacerbé par ses prises devite, le désenchantement a assombri les position politiques nationales et par lacertitudes, avant de les éteindre. En cause, perception d’une instrumentalisation de sa fonction régionale au service de son« Dans ma délégation destin personnel, le corps social apparaîtcohabitent des situations électrisé. Même le devoir d’obéissance etde burn out et de bore out » de loyauté, intrinsèque à tout emploi de fonctionnaire, semble fragilisé, et vaciller.Un vice-président D’aucuns estiment leur intégrité malme-la perception que le président déconsidé- née. Passent les « cas évidents », comme larait les organisations syndicales, manifes- clause Molière imposant l’usage du françaistait une défiance « idéologique et sectaire » à sur les chantiers publics ; finalement jugéel’encontre d’agents assimilés à des suppôts discriminatoire et contraire à la législationde la gauche, méprisait le dialogue social. européenne, les agents ne peuvent être« Une chasse aux sorcières », claque Chris- sommés de la mettre en oeuvre. Mais bientian Darfeuille, secrétaire général UNSA. d’autres situations échappent à cette limpi-Une perception créditée par des gestes et dité. «  Comment voulez-vous «  considérer  »des phrases – «  comme son refus, dès son votre président lorsque celui-ci déclare que lesarrivée, de nous reconnaître officiellement plats préparés dans les lycées par le personneltoute légitimité tant que les élections du per- de la Région sont de la « m…. » ?, synthétisesonnel concrétisant la fusion ne seraient pas un cadre. Alors nous ne faisons rien pour noustenues… ce qui intervint dix mois plus tard », mettre en faute, mais nous ne faisons pas plusfulminent les organisations syndicales  –, pour faire honneur à notre responsabilité.  »corroborée par des membres du Conseil Une insubordination sourde et déguisée,économique, social et environnemental mais un sabordage réel. Ce qui n’est pas « obligation factuelle » est potentiellementN°136 Juillet-Août 2017

Entreprendre RÉGION AUVERGNE-RHÔNE-ALPESLaurent Wauquiez et durable Rhône-Alpes) qui maillaient le De hauts représentants dul’exécutif ont réussi au-delà territoire et diagnostiquaient les besoins monde patronal le constatent :des promesses originelles locaux, loin de faire l’unanimité. Outre Laurent Wauquiez « rejetteà sortir la collectivité l’obsolescence dont les milieux écono- viscéralement les organisa-de l’asphyxie financière miques le taxent volontiers (lire p.42), il tions syndicales », discréditeet d’une dette étouffante représente un levier éthiquement suspect, « idéologiquement les corps c’est-à-dire un outil d’exercice d’influence intermédiaires » et a « tiré unnié ou détourné. «  On ne se déplace plus, potentiellement soustrait à l’impartia- trait de manière doctrinaireon ne relance pas les mails, on ne provoque lité et à la transparence. Au sein même sur le dialogue social »pas de réunion, on ne prend plus d’initiative », des instances représentatives des chefsconfient, en substance, les témoins. d’entreprise, confidentiellement «  on  » compris de l’exécutif, on s’émeut d’attri- s’inquiète qu’un tel instrument de pouvoir butions « étonnantes », qui correspondentDES AIDES DIRECTES VILIPENDÉES permette à quelque individu obsession- aux intérêts électoraux des RépublicainsLa relation conflictuelle que Laurent nellement de pouvoir d’assouvir immo- et à une cartographie des « points forts »Wauquiez semble entretenir à l’égard dérément et «  amoralement  » l’exercice en Auvergne – « outrageusement favorisée »des corps intermédiaires et cette culture politique du pouvoir. Et de mettre en garde – et dans les zones rurales, là où Laurentde la démocratie directe ne sont pas contre cette logique là encore «  très sar- Wauquiez fonda son succès en 2015. Laétrangères au choix, prioritaire, des kozienne » des rapports de force, au nom subvention directe de 1,2 million d’euros«  aides directes  » pour matérialiser la de laquelle «  rien n’est jamais gratuit  » accordée lors de la première session plé-mobilisation de l’exécutif régional en et «  toute aide est subordonnée à un ren- nière le 28 janvier 2016 au colosse Aubertfaveur du tissu socio-économique. Un voi d’ascenseur. Comment croyez-vous que et Duval, propriété du géant minierdispositif, concomitant à l’éradication Laurent a été fait star au Puy-en-Velay ? », Eramet, pour soutenir l’installation d’unedes CDDRA (contrats développement questionne, caustique, une figure régio- unité de production est restée dans les nale de l’entrepreneuriat proche de l’inté- mémoires. Et « annonçait la couleur ». ressé. Au sein de la Région et du Ceser, y Celle, clament désormais sans se cacher les interlocuteurs, d’un «  clientélisme  » © DR habilement maquillé, aux commandes duquel règne celui que ses détracteurs INSTITUT FRANÇAIS DE CIVILISATION MUSULMANE surnomment le « préfet » ou l’« âme dam- LE RATÉ SYMBOLIQUE ? née  » du président  : Ange Sitbon, que « Je n’ai plus de nouvelles de lui depuis le printemps 2016. » Kamel Kabtane, recteur de la Laurent Wauquiez a débauché au sein Grande Mosquée de Lyon, est amer. Au cours de la campagne électorale de 2015, Laurent de l’ex-UMP où il exerçait son excellente Wauquiez l’avait assuré d’honorer la décision de la Région de participer à hauteur de un mil- connaissance de la carte électorale – lire lion d’euros (comme l’État par la voix des ministres de l’Intérieur Manuel Valls puis Bernard également «  Ange Sitbon, la perle secrète Cazeneuve, la Métropole et la Ville de Lyon) à l’édification de l’Institut français de civilisation de Wauquiez  » sur mediacites.fr. Officiel- musulmane. Cet établissement, qui se veut le « pendant » de l’Institut du monde arabe à Paris lement «  simple  » délégué général aux voire, pour partie, du Mucem à Marseille, a une vocation « strictement culturelle » d’ouverture missions transversales et à la relation du et au monde musulman. Dans le « moment » civilisationnel si particulier que connait l’ex- aux élus, il est en réalité « les yeux et les pression culturelle, cultuelle et sociale de l’islam en France et en occident, ce projet, qui inves- oreilles du président en son absence, dans tiguera également la formation des cadres religieux et dont l’inauguration est programmée au la collectivité comme sur tout le territoire », début de l’été 2018, apparaît majeur. Or une fois élu, Laurent Wauquiez « fait volte-face », et constate un élu de la majorité. En effet, à renonce. Les déclarations de son vice-président (et député LR du Rhône) Philippe Meunier lui et à son équipe rapprochée, constitu- éclairent les motivations : « On marche sur la tête ! On fait des économies sur les budgets tifs d’un « cabinet noir », l’arbitrage ultime publics et on va jeter des millions d’euros d’argent public par la fenêtre, sur le dos du contri- d’un certain nombre de fléchages finan- buable ? Où va-t-on ? » Et celui qui s’était distingué en 2011 en co-organisant à l’Assemblée ciers. Et des fléchages financiers dont, nationale un apéritif « saucisson pinard » pour « fêter dignement le 14 juillet », prévient alors : dans l’ensemble et au-delà du périmètre « Il est hors de question de voter le moindre euro de subvention à ce projet. » Promesse tenue. d’intervention « Sitbon », les motivations Comme contrepartie, selon Kamel Kabtane, Laurent Wauquiez prend l’engagement de partici- n’apparaissent pas « que » électoralistes : per au financement de programmes ou manifestations développés au sein de l’Institut. « Nous celles dites «  idéologiques  » sont aussi avons présenté il y a un an l’ensemble du projet sur les échéances à venir ; nous n’en sommes convoquées. Là encore encrée de manière même pas au stade des refus : nous n’avons reçu aucune réponse. »  DL indélébile, la mise en perspective des trois millions d’euros de subventions plu-34 Acteurs de l’économie - La Tribune riannuelles votés le 22 septembre 2016 en faveur de la Fédération régionale des chasseurs pendant que des mouvements de défense de l’environnement comme la Frapna ou la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) étaient appauvris. Culturelles ou sociales, les associations souffrant des restrictions drastiques de la Région sont légion. «  Même le secteur de l’économie sociale et solidaire est atta- qué », déplore-t-on au sein du Ceser, où, N°136 Juillet-Août 2017

RÉGION AUVERGNE-RHÔNE-ALPES Entreprendrelà aussi, est mise en avant « l’impression- Le corps social stigmatise par les parcours de professionnalisation,nante » cohérence des arbitrages avec les un climat « irrespirable » ont participé à la décision régionale.positionnements politiques et les préfé- de peur, d’intimidation, « C’est, là encore, un bon exemple de ce quirences thématiques du président. Avec à de paranoïa, de pression. caractérise la stratégie de Laurent Wauquiezla clé, selon les organisations syndicales, « Qu’adviendra-t-il si un agent confondant vitesse et précipitation. La néces-la disparition de 1 500 emplois. Le sec- se jette du haut du bâtiment ? » sité d’économies et pour cela de nouveauxteur de la formation professionnelle n’est questionne un cadre arbitrages budgétaires est tout à fait légi-pas épargné. Au sein du Cnam (Conser- time ; appliquer la règle dans l’immédiateté,vatoire national des arts et métiers) et sans nuance ou plan B, et dans le mépris desdu Greta, dont acteursdeleconomie.com conséquences est inacceptable », précisent àrévélait le 13 avril les conséquences sur l’unisson des représentants des collègesl’emploi des coupures budgétaires bruta- syndical et patronal du Ceser. « La brus-lement décrétées, on ne peut s’empêcher querie aveugle n’est pas compatible avec lade considérer que la nature même des réalité et les contraintes objectives qui fondentformations dispensées, l’ADN des établis- le fonctionnement d’une collectivité régio-sements, et le type de publics concerné  nale », abonde Jean-François Debat.… INCARNÉE PAR UNE PERSONNALITÉPRÉSIDENTIELLE HÉTÉROCLITEUN PLAN DE RÉDUCTION ACCOMPLI montre en revanche dubitatif. « L’immense mais aussi de la double parité hommes-AU-DELÀ DES OBJECTIFS majorité d’un budget régional est composée de femmes et professionnels de la poli-Le bilan de Laurent Wauquiez peut-il être postes de dépenses et d’investissements incom- tique-société civile a toutefois été mise enconfiné dans ce seul réquisitoire ? Non. Ce pressibles, dans les secteurs des transports, de œuvre. Au sein des milieux économiquesqui compose son actif n’est pas anodin. Et la formation, ou de l’économie. Imagine-t-on et patronaux, leur propre expérience destout d’abord, l’accomplissement du prin- générer éternellement des économies dans si complexes et souvent périlleuses fusionscipal vœu de campagne : la réduction des l’entretien des lycées ou des transports ferro- d’entreprises dicte une grande indulgence àcoûts de fonctionnement de l’institution. viaires ? Non. En année 1, la justification des l’égard de celle des collectivités auvergnate300 millions sur l’ensemble de la manda- économies était possible. En année 2, ce sera et rhônalpine – ici complexifiée par leture, dont 75 millions pour chacune des nettement plus compliqué. Au-delà, cela est déploiement, cahoteux, de la loi NOTRe –,deux premières années. Selon le premier impossible, sauf à vider la politique régionale et la préoccupation personnelle de Laurentvice-président Étienne Blanc (lire p.41), le de sa substance. Enfin, peut-on simultanément Wauquiez pour la «  chose entrepreneu-seuil annoncé des exercices 2016 et 2017 réduire drastiquement les affectations dans les riale » n’est l’objet d’aucun soupçon. Enfincumulés sera même dépassé. « Oui, il y avait domaines culturel et environnemental et affir- la « bonne volonté » et les dispositions affi-un peu de gras  », concède Jean-François mer une « vision » pour la Région ? ». chées par quatre des cinq vice-présidentsDebat. Ce «  coup de volant  » de rigueur, concernés – Étienne Blanc, Martial Sad-souligne-t-on unanimement dans les rangs Le plan de réduction des dier (économie, emploi, entreprises), Yan-patronaux était une «  absolue nécessité.  » coûts de fonctionnement nick Neuder (enseignement supérieur etL’institution était encalminée, enkystée. est brillamment recherche) et Juliette Jarry (numérique), le« Ce que le président et son exécutif ont réussi accompli sur les deux « cinquième élément » étant Philippe Meu-pour la sortir de cette asphyxie est remar- premières années. nier, délégué à la Chasse, la pêche, la sécu-quable.  » Y compris parce que cela doit Il doit assurer de libérer la rité… et aux partenariats internationauxpermettre de desserrer l’étau des restric- capacité d’investissements. – sont soulignées. « Il est d’ailleurs étonnanttions, et libérer de nouvelles marges d’in- Mais à quelles fins ? de constater l’écart, abyssal, entre la dyna-vestissement. «  Dans mon secteur [celui mique de coopération de ces quatre vice-pré-des transports, d’1,260 milliard d’euros DES VICE-PRÉSIDENTS « ÉCONOMIE » sidents et l’esprit de non coopération de leurNDLR], nous devons remédier à l’usure du APPRÉCIÉS président », constate l’un de leurs alter egosréseau ferroviaire, principalement des lignes Autre fortune, la composition d’un exécutif à la Métropole de Lyon. Surtout, au som-secondaires. Sans cette stratégie qui permet de globalement apprécié. Certains vice-pré- met de cette hiérarchie de l’exécutif, exercedégager une capacité d’investissements de 40 sidents certes balbutient voire souffrent, un Étienne Blanc plébiscité (lire p.40).millions d’euros, je n’aurais pas pu convaincre principalement ceux issus de la société Au point qu’entamée plusieurs semainesl’État d’abonder de 215 millions d’euros pour civile et/ou dont la « matière » ne consti- avant le dépôt des candidatures au scrutinlancer les travaux de réfection de 1 200 km de tue une priorité ni programmatique, ni législatif (19 mai) la somme des entretiensrails  », illustre Patrick Mignola (vice-pré- idéologique, ni électoraliste – « des faire-va- composant l’enquête révélait « l’espoir » etsident Modem et désormais député La loir » ou « des fantômes », les raille-t-on (lire le « soulagement » – pour les plus mesurésRépublique en marche). Son expérience p.39). La promesse d’un rajeunissement, – la « délivrance » – pour les plus vindicatifspassée de vice-président des finances – d’un départ, alors fortement crédible, delui conférant une expertise particulière Laurent Wauquiez pour le Palais Bourbondans ce domaine, Jean-François Debat se et concomitamment son remplacement parN°136 Juillet-Août 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 35

Entreprendre RÉGION AUVERGNE-RHÔNE-ALPESle maire de Divonne-les-bains et ex-dé- UN PROBLÈME « PERSONNEL » « mensonges » selon Jean-François Debat,puté de l’Ain. «  En tant que représentante En définitive, le «  problème  » de la faisant référence à la « gestion criminelle »des salariés, c’est exactement ce à quoi j’as- Région Auvergne-Rhône-Alpes apparaît dont Laurent Wauquiez qualifia la man-pirais  », claque Viviane Huber, secrétaire circonscrit à «  celui  » de son président. dature Queyranne. « Nous le savions tous :CFDT. «  Douche glacée  », ce jour-là, pour Et d’une personnalité anathématisée. son engagement hautement médiatisé d’ins-les détracteurs du possible futur président Pêle-mêle sont rapportés l’«  extrême  » taller des portiques de sécurité dans les lycéesdes Républicains. Glacée mais promise à dureté de ses propos, l’«  autoritarisme  » était irréaliste, comme en témoigne la poignée de son leadership, un « machiavélisme » et d’établissements aujourd’hui équipés. Peu« À un ectoplasme un «  narcissisme  » «  pathologiques  », des importe, l’effet d’annonce a réussi  », prend(Jean-Jack Queyranne) comportements duplices et des arbitrages pour exemple Viviane Huber. Incarna-a succédé un fantôme » sophistes, sa propension à « intimider » et tion symptomatique  : selon nos sources, à « humilier » – y compris, en public, son la «  violence  » de sa réaction, en privé,tiédir, puisque son statut de suppléant lui exécutif –, ses manques « d’humanité » et lorsque le Ceser émit des réserves sur leassure, avec la victoire d’Isabelle Valentin même «  d’éducation  » dans certaines cir- budget de la Région aurait participé à ladans la 1ère circonscription de Haute-Loire, constances, sa logique des rapports de décision de sa présidente Sybille Desclo-de retrouver un strapontin de député au force et sa défiance naturelle cultivées zeaux de ne pas postuler à la reconduc-moment où il le jugera utile. Ce qui pour- dans une vision manichéenne des situa- tion de son mandat.rait intervenir bien avant la fin de sa man- tions et des individus. Son instrumenta- Également déploré : son pilotage « à tempsdature en 2021. lisation « experte » de la communication très partiel  » de la collectivité. Le chan- liée à sa « soif de lumière » est source de tier de la fusion, pour n’évoquer que lui,« NIÉE, DÉCONSIDÉRÉE, INUTILE »Martine* est un cas symptomatique des répercussions humaines des dysfonctionnements internes.VElle confie son épreuve de « bore-out. »oilà plusieurs années que le lexique « Comme tant d’autres », elle a cru dans les pro- contribution au fonctionnement et au deve-managérial et des maladies profes- messes stratégiques – et notamment de démocra- nir de l’établissement, niée dans ce qu’elle asionnelles a intégré le «  burn out  », tie directe, de proximité humaine, de stimulation apporté, même modestement « mais avec foi »,traduisant un épuisement physique et intrapreneuriale – de Laurent Wauquiez. par le passé à son employeur. Niée dans cepsychique dû aux surcharges de tra- qu’elle est intrinsèquement, jusqu’à mettre envail. Depuis peu a surgi son antithèse, le « bore « L’HORRIBLE SENTIMENT DE N’ÊTRE RIEN » doute tout ce qui professionnellement a parti-out », dont l’issue similaire résulte d’une absence Mais très vite, elle déchante. Et la réalité qui cipé pendant une trentaine d’années au mode-de tâche. A la Région AURA, selon les représen- s’impose à elle apparaît déconcertante. Désor- lage de sa personnalité, de ses acquis, de sestants du personnel et les témoignages d’agents, ganisation des services, trous béants dans les réussites. Peu à peu rongée par « l’horrible sen-les deux phénomènes extrêmes, suscités en pre- organigrammes, décisions contradictoires, timent » d’être dépassée, disqualifiée, vieille.mier lieu par le déficit organisationnel et mana- absence de cap et d’interlocuteurs : « tout s’est Et un jour infectée de la plus indicible des per-gérial, gangrènent le corps social. Si le premier figé.  » La fossilisation de l’établissement est ceptions : celle de l’inutilité. Et de n’être rien.est désormais bien cerné, le second l’est moins. en marche, et l’exercice de ses responsabilités « Jamais je n’aurais imaginé conclure de la sorteLa confession de Martine révèle des mécanismes, est directement affecté. Sa fonction est alors ces décennies de travail, d’abnégation, de joie pro-des manifestations et des répercussions redou- vidée de toute consistance, même de toute fessionnelle. » Est-il anormal de se déconsidérertables, qui convoquent des ressorts distincts du substance. Pas une seule commande de tâche, lorsqu’on est ainsi déconsidéré ?« burn out. » pas une seule directive, pas une seule réponse Sa chance  ? « Etre parfaitement entourée » auMartine était un agent fonctionnaire qui pendant – « ou ne serait-ce qu’un accusé de réception » – sein de sa famille, et ainsi pouvoir travaillerune trentaine d’années s’est employée à mettre aux mails qu’elle adresse. Y compris lorsqu’ils dans des conditions «  réconfortantes  » à, passa « loyauté » et sa « rigueur au service de cette si correspondent au vœu affiché du président à pas, déculpabiliser, verbaliser les maux, sebelle institution ». Elle a tout connu des mandats, de mobiliser les idées du personnel pour reconstruire. Et recouvrer une dignité bru-y compris celui, éruptif, de Charles Millon. Elle a riposter au drame des violences conjugales talement défigurée. «  Mais tous mes collèguestravaillé avec des élus « de tous les bords », même qui frappe, de mort, une salariée de l’institu- eux aussi victimes partagent-ils ces heureuses cir-communiste. Elle a initié ou co-porté des projets tion. Pas même un « bonjour », le matin, de constances ? Sans doute pas. » Dans son service,« passionnants ». Elle a toujours eu le sentiment son supérieur hiérarchique. Quelques mois constate-t-elle, six des dix agents ont été oud’être « considérée », même lorsque ses préconi- plus tard, elle craque. Douze semaines d’ar- sont toujours en arrêt maladie. « Preuve » quesations ou ses arbitrages n’étaient pas retenus in rêt. Elle attendra une quinzaine de jours avant la duplice gestion managériale et humaine dufine. Son « âme de militante » – pour des enjeux « d’oser » sortir de chez elle. Les dégâts sont corps social, résultant pour partie de négli-de société et de démocratie, précise-t-elle, elle considérables. L’«  humiliation  » cristallise ce gence pour partie de calcul, constitue «  unequi n’a « jamais » été syndiquée –, cette collec- qu’elle éprouve au plus profond d’elle-même bombe à retardement. ». DLtivité qui fut longtemps « de mission » avant de et de sa conscience. L’humiliation de se sentirdevenir «  de gestion  » a permis de l’épanouir. ainsi niée dans ses compétences, niée dans sa *Prénom d’emprunt36 Acteurs de l’économie - La Tribune N°136 Juillet-Août 2017

RÉGION AUVERGNE-RHÔNE-ALPES Entreprendreautorise-t-il une présidence en pointillés ? « L’énergie et la vista obsessionnelle – de conquérir l’Élysée,«  À un ectoplasme a succédé un fantôme  », intellectuelle de Laurent contribue à enflammer les doutes, lesfustige le président d’une société conseil Wauquiez « font rejets, et donc les supputations plus ouen stratégie. Enfin, last but not least, la jux- indéniablement avancer ». moins fondées. Au premier rang desquelstaposition antagoniste de ses responsabi- Des projets voient le jour le «  désintérêt  » pour sa fonction régio-lités régionales et de ses visées nationales, après une année contre nale, entretenu par l’exiguïté du budget etla collision qu’instruît l’exaucement de trois ou quatre dans des marges de manœuvre, par des convic-son intérêt personnel et celui de l’intérêt d’autres conditions » tions personnelles en matière territorialegénéral propre à sa présidence, la com- et européenne «  peu compatibles  », parpatibilité, conflictuelle, de la neutralité il exerce son pouvoir incarne et modèle l’illisibilité de sa «  vision régionale  », etidéologique caractéristique de tout mandat celle de ses convictions les plus intimes. surtout par la nature des compétencesrégional et de la liberté idéologique – vitu- Les récentes évocations, dans le cadre de gérées qui ne lui autorisent guère depérée jusque dans son camp – émise dans la future présidence des Républicains, visibilité «  publique et électorale  ». Sonle cadre du débat public national. Au soir d’une proximité avec Marion Maréchal « combat » en faveur de la réduction desdu premier tour du scrutin présidentiel, Le Pen – qui lui «  tend la main  » dans coûts de fonctionnement participe d’ail-son refus, déterminé et isolé, d’appeler un entretien à Valeurs actuelles le 17 mai leurs des rares opportunités pour luiles électeurs LR à voter pour Emmanuel – et le mouvement intégriste Sens com- de faire valoir, le moment venu, dans leMacron afin de faire barrage à Marine mun – qui « salue et soutient ses prises de débat national sa capacité à dupliquer surLe Pen, fut considéré comme le symbole position courageuses  » – attisent un peu la géographie hexagonale les enseigne-supplémentaire d’une «  radicalisation  » plus les braises. Ce contexte confusant ments du «  laboratoire  » régional. « Sonet même d’un «  sectarisme  » orchestrés et même collusif, accréditant la percep- populisme idéologique et tactique, et sa poli-dans le cadre de la recomposition du parti tion qu’il prend la collectivité régionale tique clientéliste n’honorent pas le sens dedont il brigue les commandes. L’un de au piège de son ambition – légitime mais la responsabilité républicaine et citoyenne »,ses anciens comparses du Conseil d’État tranche Élisabeth Le Gac. Pour toutesobserve son évolution idéologique vers la ces raisons, la perception qu’en décembre«  droite dure  »  : au début, il la croyait 2015 son objectif final était davantagede «  pure  » opportunité circonstancielle. de conquérir le poste que de piloter laAujourd’hui, et à l’aune de ses 18 pre- Région est peu à peu devenue certitudemiers mois à la tête de la collectivité, il dans les consciences, synthétise Christianen est « sûr » : la « brutalité » avec laquelle Darfeuille. 1 an 40 €Je m'abonne pour TTCDE L ÉCONOMIE / 5 numéros + supplémentsOFFRE 2 ans 70 €Je m’abonne pour TTC / 10 numéros + supplémentsSPÉCIALE Société : ......................................................................................................................................................................................... Nom / Prénom : ......................................................................................................................................................................... Adresse : ........................................................................................................................................................................................ .............................................................................................................................................................................................................. Code postal  : ................................................................ Ville : ................................................................................................ E-mail : ............................................................................................................................................................................................ Tél. : ................................................................................................................................................................................................... Date et signature MODE DE RÉGLEMENT Chèque libellé à l'ordre de RH ÉDITIONS à retourner à Acteurs de l'économie - Immeuble le Diplomate - 51 avenue Jean Jaurès - 69007 Lyon Je souhaite recevoir une facture acquittée Je souhaite m’inscrire à la newsletter RÉSERVÉ À ACTEURS DE L'ÉCONOMIE Réf. client :......................................................... Périodicité : du n°............................. au n°.......................... Banque : ....................................................................... N° chèque : ...................................................................N°136 Juillet-Août 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 37

Entreprendre RÉGION AUVERGNE-RHÔNE-ALPES« Vivement que je parte. des votes, peu favorables à sa formation d’en souffrir dominent. «  Quel gâchis. EnEt c’est sans doute le but politique, au Puy-en-Velay lors de la pré- quelques mois, il a dissous l’énergie et les com-que poursuit cette stratégie sidentielle – François Fillon arrivé seu- pétences que les salariés étaient déterminésde découragement » Un cadre lement troisième, avec 21,78 % des voix, à mettre à son service  », peste un cadre. derrière Emmanuel Macron (26,46 %) et Laurent Wauquiez – qui n’a pas donné de« LE MAL EST FAIT » Jean-Luc Mélenchon (23,18 %)  –, la pré- suite favorable à notre demande d’entretienPersonne ne se hasarde à contester son paration du congrès LR de l’automne… et – entendra-t-il ce blâme  ? Est-il disposé à« impressionnante » intelligence, un don rare bien sûr la « place » que la nomination de et capable de procéder aux retournementsd’ubiquité, une capacité de travail « hors du Gérard Collomb au ministère de l’Intérieur assurant sa réversibilité  ? Les prochainscommun » qui lui assurent une « excellente » libère dans l’agglomération lyonnaise. mois seront révélateurs.maîtrise des dossiers. « Il déplace des mon- Martial Saddier et Alain Berlioz-Curlettagnes  », admire le vice-président Martial (président de la commission Economie de La confusion desSaddier. Nul doute, à ce titre, que « l’impa- proximité, commerce, artisanat) l’assurent intérêts et des ambitionstience » et « l’opportunisme » le caractérisant en substance : « le meilleur est à venir au sein – locaux et nationaux –résultent de cette singulière agilité intellec- de la collectivité. C’est-à-dire qu’après les bou- de Laurent Wauquiez,tuelle. Intellectuelle mais aussi tactique  ; leversements imposés par la construction de la tout comme l’expressionson renoncement momentané (et surpre- fusion va venir le temps de la stabilisation et de ses posturesnant) à la députation a « intégré » la vic- de la consolidation. » Il n’empêche, le « mal idéologiques relèventtoire d’Emmanuel Macron, la déroute du est fait. » L’immodérée personnification et du conflit. Certainsparti LR et sa probable implosion, l’antici- l’excessive politisation dont, en matières de arbitrages de la Régionpation d’une débâcle le 18 juin, l’analyse gouvernance comme de communication, le en souffrent concrètement président a fait le choix de particulariser son exercice du pouvoir régional, sont à double tranchant. Pour l’heure, les raisons Le (surprenant) renoncement de Laurent Wauquiez à la députationa plusieurs explications : notamment la « place » que la nomination deGérard Collomb au ministère de l’Intérieur libère dans l’agglomération lyonnaise (ici encadrant Stéphane Aguettant lors de l’inauguration d’un nouveau site du laboratoire éponyme). « Tout aide directe est subordonnée à un renvoi d’ascenseur. © Stéphane Audras / RéaComment croyez-vous que Laurent Wauquiez a été fait starau Puy-en-Velay ? », commente une figure de l’entrepreneuriatrégional à l’évocation des dérives clientélistes (ici en 2011 dansles rues du Puy avec Nicolas Sarkozy et Frédéric Mitterrand) La conquête de la présidence nationale des Républicains exhorte Laurent Wauquiez à un durcissement idéologique et programmatique qui rejaillit négativement au sein du corps social de la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Salariés, tissu socio-économique, réputation du territoire sont-ils pris en otage ? © Élodie Grégoire / Réa © Laurent Cerino / Réa38 Acteurs de l’économie - La Tribune N°136 Juillet-Août 2017

RÉGION AUVERGNE-RHÔNE-ALPES Entreprendre« MALAISE » ET « SOUFFRANCES »AU SEIN DE L’EXÉCUTIFLes vives critiques de vice-présidents sur les dérapages organisationnels, managériaux et politiques dela collectivité mettent en cause nommément le président Wauquiez.« Violent. Très violent.  » C’est ainsi que, mur- suzerain sont indissociablement liés ; « On une logique et des ressorts entrepreneu- muré à l’oreille du abandonne une partie de sa liberté contre de la riaux et innovants « alléchants », « il » pro- journaliste, un(e) protection. » La première « violence », c’est de mettait « tant… » Dix-huit mois plus tard, constater l’absence de gestion, de formation, le vice-président reconnait que «  sa vista vice-président(e)* croi- de culture RH (ressources humaines) ; dans intellectuelle et son énergie «  font indénia-sé(e) inopinément dans une file d’attente de son service cohabitent des agents « en burn- blement avancer  ». Des projets voient le jourl’aéroport Saint-Exupéry un début de week- out » et d’autres « en bore-out », et six mois après une année contre trois ou quatre dansend résume le management de Laurent seront nécessaires avant d’obtenir le «  feu d’autres conditions.  » Mais au prix d’uneWauquiez à son endroit. Est-il(elle) seul(e) vert  » pour structurer a minima sa déléga- part de négligences organisationnelles quidans ce cas  ? Deux autres vice-présidents tion. A cet état des lieux participe l’absence entravent la fluidité de l’exécution, d’autreet un élu de la majorité aux commandes « effrayante » de lisibilité décisionnelle et de part de substantiels dommages collatérauxd’importantes délégations exposent, confi- rigueur procédurale. L’opacité, la profusion au sein du corps social. « Et cela, qu’il s’agissedentiellement, leur mal-être. Le plus mesuré « d’injonctions paradoxales » et, là encore, les de l’exécutif, où certains de mes collègues sont,déplore que son président, au nom de son court-circuitages dominent. « Des décisions comme moi, en souffrance, ou des salariés. Laimpatience et de sa vitesse d’exécution, sont actées, commencent de « descendre » dans bienveillance et la considération, nécessaires àpuisse être « aussi cassant » avec des élus, les services, puis sont interceptées, remontent tout management respectueux et performant,«  n’accepte pas qu’on le conteste ou qu’on se au plus près de Laurent Wauquiez, puis nous n’ont d’existence que si elles sont incarnées aumette en travers de sa route  », confine les reviennent, amendées voire annulées.  » Au sommet de la hiérarchie.  » Au final, y com-membres de l’exécutif à n’être « rien » selon plus près  ? «  Chez cet absolu c……. d’Ange pris à l’aune de la polarisation nationale deson mode de fonctionnement. ses arbitrages et de ses discours politiques,Le plus embarrassé opte d’abord, en guise mais aussi de la conviction, progressive,de réponse aux questions portant sur ledit « Laurent Wauquiez est « que sa responsabilité de président de Régionmanagement et la considération de son pré- l’une de mes plus belles lui pèse », « Laurent Wauquiez est l’une de messident, pour un franc et silencieux sourire. rencontres. Et de mes plus plus belles rencontres. Et de mes plus grandesPuis se risque. « Oui, son style personnel pro- grandes déceptions… dans déceptions… dans cet ordre ! J’adore mon tra-voque le malaise au sein de l’exécutif, oui son cet ordre. » Un vice-président vail ; je déteste les conditions dans lesquelles jemode de gouvernance nous déjuge au sein des l’exerce. Je « tiens » parce que je ne suis pas seuldélégations, oui l’extrême politisation dont il a dans cette situation, et parce que mon action faitfait le choix d’incarner sa responsabilité rejail- Sitbon  », qui siège «  à la droite de Dieu  » sens. Pour le territoire et au fond de moi. » Quelit défavorablement sur et dans l’institution. » auprès de qui il exerce son « omnipotence » six des douze vice-présidents, c’est-à-dire laEt «  oui  », l’orientation idéologique «  qui et exploite à son profit sa « fine connaissance moitié de l’exécutif, aient choisi la batailleconsiste à lorgner les plates bandes du Front de la carte électorale. » des législatives synonyme d’abandon denational » et blesse « mes valeurs humanistes, Quant au jugement destiné à Laurent leur mandat en cas de victoire, a peut-êtresociales, résolument européennes, et transpa- Wauquiez lui-même, il est empreint de « aussi » pour origine ce magma. DLrtisanes lorsque l’intérêt général est en jeu  », « grande amertume. » « Il » l’avait convaincul’ébranle. Au point, si se poursuivent les – sans pour autant qu’il soit «  dupe  » de«  coups de canifs  » dans son engagement toutes ses motivations –, « il » personnifiait *L’identité et le genre retenus assurent l’anonymat des interlocuteursoriginel d’imperméabiliser strictement sesfonctions nationales et régionales, qu’ilprendra ses responsabilités dans le courant « J’adore mon travail ; je déteste les conditions dans lesquelles je l’exerce. » Un vice-présidentde l’été. «  Je ne participerai pas à la droiti- (ici l’exécutif auquel manquent Étienne Blanc et Patrick Mignola)sation de la Région, à ce qui s’apparenterait àune prise d’otage idéologique et politicienne del’institution. »« GRANDE AMERTUME »Quant au plus affecté des quatre témoins, illivre un examen méticuleux. Séduit il y avingt mois par l’énergie et la vision du futurprésident, mais surtout par l’envergure desprojets qui lui sont promis, il accepte de«  plonger  », et pour cela de se soumettreà des «  codes singuliers  » et notamment àun système féodal dans lequel vassal etN°136 Juillet-Août 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 39 © Franck Trabouillet

EDniatlroegpurerndRrÉeGIROUNBARUIVQEUREGDNEE-NROHMÔNE-ALPES © Laurent Cerino / Acteurs de l’économieÉTIENNE BLANC, L’ANTITHÈSESaisissant est le contraste des vice-président de la Région, son empathie LOYAUTÉ qualificatifs que les contemp- «  naturelle  », sa considération «  avérée  » Aurait-il constitué un successeur idoine teurs de Laurent Wauquiez des- des corps intermédiaires, des fondations de Laurent Wauquiez si ce dernier avait tinent au premier vice-président républicaines et de l’intérêt général, son mené le combat des législatives au Puy- Étienne Blanc, comme si l’acuité appétence pour le consensus «  solide  » en-Velay ? Nombreux – y compris au seindu réquisitoire contre le premier et celle privilégiée à la culture des clivages, mais de l’exécutif – ont espéré l’opportunité.des éloges réservés au second se nour- aussi son « excellente connaissance » de la Certes, comme d’aucuns l’estiment, sonrissaient mutuellement – jusqu’à exoné- réalité des territoires et son expérience leadership ne peut être mesuré à celui,rer ce dernier de responsabilité directe des méandres politiques et institution- « emblématique et charismatique » du jeunedes décisions de gestion «  humaines  » nels qui les animent, sont évoquées. Son quadragénaire, « nécessaire pour incarner unadmonestées. Au sein du Ceser (Conseil « habileté à ne pas faire de l’ombre à Laurent projet, une vision, une stratégie dans et autouréconomique, social et environnemental), si obsédé par la lumière » traduit, selon un de l’établissement.  » Peut-être ainsi s’épa-parmi les élus, d’anciens collaborateurs interlocuteur régulier des deux personna- nouit-il mieux dans la peau d’un « excellentou d’actuels interlocuteurs extérieurs, lités, une intelligence comportementale et second », juge une figure du patronat. Sanset jusque dans les rangs de l’opposition tactique « fine. » « Son humanité est réelle », doute enfin n’aurait-il pas pu s’affranchirqu’incarne le maire PS de Bourg-en- assure Martine (lire p.36), victime de bore de la tutelle que Laurent Wauquiez, offi-Bresse Jean-François Debat, le maire LR out. Au final, une somme de qualités et ciellement «  simple  » conseiller régional,de Divonne-les-Bains, député de la 3e de compétences qui lui confère, résume aurait exercé sur la stratégie, les méthodescirconscription de l’Ain de 2002 à 2016, Jean-François Debat, « d’assurer à l’exécutif de gouvernance, et la composition de l’exé-fait l’unanimité. Sa disponibilité « authen- de ne pas exploser. » « C’est lui qui tient la cutif. « Dans le cas contraire, si donc il avaittique », son écoute « sincère », l’« exempla- maison debout  », corroborent Jean-Marc disposé d’une marge de manœuvre réelle, nousrité » de son abandon, en 2016, du mandat Guilhot et Michel Weill, conseillers du aurions pu compter sur la restauration d’unede député pour se consacrer à celui de Ceser. gouvernance efficace et respectueuse, d’une 40 Acteurs de l’économie - La Tribune N°136 Juillet-Août 2017

RÉGION AUVERGNE-RHÔNE-ALPES Entreprendredémocratie interne apaisée, d’une légitimité jusqu’à la recomposition post-législatives A l’écoute, respectueux,et d’une reconnaissance des corps intermé- de l’exécutif – quels profils succéderont constructif, empathiquediaires aujourd’hui évaporées, in fine d’un à Martial Saddier, Emilie Bonnivard et « apartisan », humain, findialogue social constructif », assure Élisabeth Patrick Mignola ? Les « battus » Yannick connaisseur du territoire :Le Gac, secrétaire régionale de la CFDT. Neuder, Stéphanie Pernod-Beaudon et Phi- Étienne Blanc faitUn pronostic – pour l’heure – en jachère. lippe Meunier seront-ils conservés ? – et à l’unanimitéEntretien avec « le possible ex-futur » pré- la « gestion » des répercussions politiquessident de la Région AURA, dont la loyauté et managériales que ne manqueraient pasconstatée par les observateurs, la vision de provoquer simultanément l’implosionde la Région, et un tempérament compa- du parti Les Républicains puis la conquêtetible ne semblent pas augurer de lourds de la formation nationale à l’automne pro-nuages avec Laurent Wauquiez. Au moins chain par Laurent Wauquiez.« LAURENT WAUQUIEZ NE MÉRITE PAS QU’ONLUI FASSE UN PROCÈS PERSONNEL »Acteurs de l’économie-La Tribune. Dix- Shanghai, avons divisé par deux la surface de Dans quelles proportions ? huit mois après votre prise de fonc- nos bureaux à Bruxelles, avons retravaillé nos Avec la loi NOTRe – Nouvelle organisation liens avec les organismes satellites, avons sup- territoriale de la République, NDLR – lui tion, quels faits saillants dressez-vous primé des doublons – comme les Contrats de attribuant des compétences inédites dans le développement durable Rhône-Alpes, redon- domaine des transports et de l’économie, le du bilan de l’exécutif ? dants avec les compétences des communes budget de la Région est passé de 3,5 milliardsÉtienne Blanc. D’une manière générale le fait et des intercommunalités… Voilà quelques d’euros en 2015 à près de quatre milliardsque nous ayons mis en œuvre ce que nous exemples significatifs. avec la prise en charge des transferts de l’éco-avions promis. Et en premier lieu le plan de Comme l’a souligné l’agence de notation nomie et des transports (65 millions et 550réduction des coûts de fonctionnement. L’ob- financière Standard & Poor’s, Auvergne-Rhô- millions d’euros). Ce budget est lesté d’envi-jectif de 300 millions d’euros sur six ans pré- ne-Alpes est la seule des régions de France à ron 600 millions d’euros supplémentaires unevoyait une économie de 75 millions en années avoir accompli avec autant d’ampleur un tel fois la gestion des fonds européens affectée.1 et 2 ; pour le seul exercice 2016, nous serons plan de réduction des coûts de fonctionne- Sur la période 2010-2015, la capacité d’inves-au-delà des 100 millions, et la barre des 75 ment. Et dès lors, elle peut prétendre à (re) tissements avait décru de 16 % (de 850 à 716autres millions sera atteinte cette année. Ce devenir une collectivité d’investissements. millions d’euros)  ; sur le seul exercice 2016,chantier était un préalable indispensable.Indispensable pour redonner un sens à cettecollectivité qui depuis 2004 s’était perdue dansune politique de dépenses et une ventilationdes subventions incontrôlées – embauches etcommandes d’études tous azimuts, confortdes élus, etc. – ; indispensable pour ressusciterd’importantes marges de manœuvre d’inves-tissements  ; indispensable pour conférer à laRégion Auvergne-Rhône-Alpes la responsabi-lité que nous lui destinons : devenir l’interlocu-teur incontournable de l’ensemble des acteursdu territoire dans ses domaines de compé-tences. Une ambition d’autant plus utile dans lecontexte d’extrême paupérisation des moyensde l’État et des Départements – ces derniersdévorés par les dépenses sociales.« Le signal que nous diffusons © Stéphane Audras / Réaest que « c’est possible » »  Dans comme autour de la collectivité, l’hypothèse d’un remplacement par Étienne BlancConcrètement, quelles mesures avez-vous de Laurent Wauquiez « parti » au Palais Bourbon faisait l’objet d’un « grand espoir. »prises ?Nous avons diminué les indemnités des Acteurs de l’économie - La Tribune 41élus, avons ramené respectivement à 5 et 25le nombre de directeurs généraux adjoints(DGA) et de directeurs – ils étaient aupa-ravant 12 et 60 –, avons réduit d’un tiers leparc automobile, avons fermé l’antenne deN°136 Juillet-Août 2017

Entreprendre RÉGION AUVERGNE-RHÔNE-ALPESnous l’avons restaurée à 800 millions d’euros ressources humaines censé orchestrer le démissionnaires, tous impactés par la réor-(soit un bondissement de 12 %), et en 2017 nouveau fonctionnement, l’instabilité et l’il- ganisation et le plan de réduction, les cer-nous lorgnons la barre des 900 millions. lisibilité organisationnelles sont en premier nez-vous ? Il ne s’agit là que d’une classique lieu stigmatisées… photographie des emplois intégrée à la ges-Ce «  succès  » financier est accompli en Nous avons pris les commandes de la collec- tion des ressources humaines…interne au prix d’un profond malaise. Le tivité en janvier 2016. Sept mois plus tard, Il est trop tôt pour se prononcer. L’actuellemême corps social qui souscrivait à la néces- la totalité des DGA étaient en fonction. Puis mise en place des responsables de servicessité de ces réductions est ébranlé par la stra- successivement ont dû être recrutés les direc- va s’accompagner d’une redéfinition ultimetégie de mise en œuvre. Ne vous êtes-vous teurs, les directeurs adjoints et les directeurs de certains postes et donc d’une réaffectationpas trompé de méthodes ? de service. Tout cela dans le strict respect des d’une partie du personnel. Lorsqu’ils serontPlus qu’un « profond malaise », j’entends des obligations réglementaires d’embauches, dra- arrêtés, ces chiffres seront d’abord commu-inquiétudes et une certaine impatience à voir coniennes au sein des collectivités. Et j’affirme niqués au comité technique puis publiésse stabiliser la nouvelle organisation. Mais qu’Auvergne-Rhône-Alpes est la seule des dans les documents officiels – bilan socialfaut-il rappeler le caractère inédit et particu- régions de France à avoir conclu ce chantier notamment.lièrement difficile des défis que nous devons organisationnel. Vient désormais l’heure desrelever : la fusion de deux institutions, la chute «  calages  » au sein des services, qui effecti- « Je me refuse à considérerdes dotations de l’État (qui tutoiera le milliard vement peuvent perturber – mais la nature que le « malaise » résulted’euros à l’issue de la mandature), l’intégra- humaine ne préfère-t-elle pas les certitudes de la personnalitétion de nouvelles compétences, le tout dans aux doutes ? Jamais je n’ai négligé le mal-être du président »des délais déraisonnables fixés par la loi  ? des salariés, et j’ai donné instruction d’êtreToutes les Régions de France sont confrontées extrêmement attentif aux cas de fragilité indi- Trouvez-vous que les membres de votre exé-à ces mutations. Auvergne-Rhône-Alpes est viduels. Et nous suivons scrupuleusement ces cutif sont tous bien « heureux » ?de celles où cela se passe le mieux. Il n’est enjeux sociaux au sein du CHSCT. Si j’en juge d’une part la manière dont ils pré-pas anormal que cela suscite des questionne- sentent et défendent leurs projets, d’autre partments. Surtout dans un pays culturellement Mais pouvez-vous nous communiquer le leur satisfaction de contribuer à une stratégierétif aux changements. nombre cumulé de jours d’arrêts maladies ? pleinement cohérente avec les engagements de Le nombre de salariés concernés ? campagne, j’en suis certain. Mais peut-être neCe que confient les partenaires sociaux, Ce n’est pas possible en l’état des me disent-ils pas tout ?les agents interrogés, les interlocuteurs – connaissances.politiques, institutionnels, économiques, C’est un fait, si je me réfère aux confidencessociaux – extérieurs, et même des membres Et le nombre d’emplois disparus ou non de certains d’entre eux… Et vous-même,de l’exécutif dépasse le seul stade du « ques- reconduits, le nombre de postes redéfi- êtes-vous satisfait de vos conditions déci-tionnement  ». À l’aune des quatorze mois nis, le nombre de salariés en mutation, en sionnelles  ? Votre réputation en internenécessaires pour recruter un directeur des attente de réa ectation, en disponibilité ouLES PATRONS JUGENT « Les dégâts que cette loi folle, nonLE PROGRAMME ÉCONOMIQUE financée et applicable en un an, aurait pu provoquer sont consi-L’IMPATIENCE ET dérables. Tout était réuni pourLES CRAINTES GRANDISSENT qu’elle mette à mal l’organisa- tion économique du territoire. Nous avons relevéEn 2015, les milieux économiques et patronaux accueillaient le défi avec succès, et c’est là une grande fierté. »favorablement le programme de Laurent Wauquiez. Dix-huit Martial Saddier, vice-président délégué auxmois plus tard, ils saluent le retour à la gestion rigoureuse et Entreprises, à l’emploi et à l’économie – etaux promesses d’investissement, mais s’inquiètent outre de député LR vainqueur dans la 3e circonscrip-certains outils et méthodes employés, du double risque de tion de Haute-Savoie – souffle. Cette loi folle,polarisation politique et de luttes idéologiques dans un territoire c’est celle dite NOTRe (Nouvelle Organisa-qui a fécondé le succès de son écosystème entrepreneurial tion Territoriale de la République), qui confèredans la coopération transpartisane. désormais aux Régions le pilotage « de la défi- nition des orientations en matière de dévelop- pement économique » – incluant l’intégration, encore chaotique, des compétences écono- miques inhérentes aux Départements –, et notamment l’élaboration du Schéma régional de développement économique, d’internatio- nalisation et d’innovation (SRDEII). Lequel, adopté en décembre 2016, s’articule autour de leviers clés (formation-emploi, international, innovation, attractivité, révolution digitale), et, parmi ses objectifs « phares », prévoit chaque42 Acteurs de l’économie - La Tribune N°136 Juillet-Août 2017

RÉGION AUVERGNE-RHÔNE-ALPES Entreprendrecomme à l’extérieur de l’établissement est le contexte législatif et réglementaire – fusion Il avait clairement annoncé faire de la Régionrésolument positive. « A l’écoute », « ouvert des régions Auvergne et Rhône-Alpes, loi AURA un «  laboratoire  » de ses convictionsau dialogue », « respectueux de ses interlocu- NOTRe. Je me refuse à considérer qu’il résulte promises à être dupliquées dans l’Hexagone.teurs », « non sectaire », « totalement impli- de la personnalité du président. Ce dernier N’est-ce pas davantage à une instrumenta-qué dans sa fonction » : elle est aux antipodes est un bourreau de travail, doté d’une agilité lisation, c’est-à-dire à servir prioritairementdes particularismes dont ces mêmes témoins et d’une vista intellectuelles hors du commun un intérêt politique « personnel », que s’ap-caractérisent Laurent Wauquiez… Est-ce grâce auxquelles il produit des analyses, des- parente cette confusion des prismes local ettenable ? sine une stratégie, procède à des arbitrages national ?La répartition de nos compétences est claire, et prend des décisions toujours judicieuses. Les combats politiques que mène Laurentet assure une parfaite compatibilité. A lui d’ar- Alors oui il est pressé et il est appelé, un jour, Wauquiez sur la scène nationale sont par-bitrer, de trancher, de faire des choix parfois à exercer de très hautes responsabilités natio- faitement compatibles avec sa responsabilitédifficiles  ; à moi de les mettre en œuvre. Et nales. Mais en quoi cela devrait-il discréditer de président de Région. Par sa population etnos convictions sur l’ambition de la Région son formidable engagement à la Région ? son PIB, Auvergne-Rhône-Alpes constitue un– être LE partenaire de tous les acteurs du ter- territoire digne d’un pays d’Europe. Que sonritoire, et participer à porter la modernisation Les doutes sur son implication locale et sur président veuille faire la démonstration queet l’avenir du pays – et les moyens de l’exaucer son «  goût  » pour la Région sont pourtant ses succès locaux peuvent servir la réflexion et– réduire les coûts de fonctionnement pour aigus… l’action nationales ne me gêne nullement. Biendégager des opportunités d’investissements – Nous appliquons à la lettre la feuille de route, au contraire. Déployée au niveau de la France,se superposent fidèlement. constitutive de notre tandem, que nous l’envergure des réductions que nous menons nous étions fixée en amont de l’élection. A à bien dans la région assurerait à la nationLa personnalité de Laurent Wauquiez – son ce titre, mon rôle est d’apporter l’écoute, la d’être à l’équilibre budgétaire d’ici à cinq ans ;management, ses orientations idéologiques, disponibilité, la proximité nécessaires, mais n’est-ce pas un enseignement fructueux ?ses combats politiques nationaux – cristal- aussi de piloter la gestion du personnel, deslise pour partie la contestation en interne et finances, des économies budgétaires – sans Sauf qu’il n’est pas possible de comparer desau dehors. Comment gérez-vous ce facteur oublier les enjeux, à mes yeux essentiels, ensembles aux périmètres si dissonants. Lasubjectif de protestation ? du bassin lémanique. Laurent Wauquiez ne Région ne rémunère pas les enseignants etLe malaise que peut éprouver une partie du mérite pas un quelconque procès personnel. les policiers, ne finance pas l’armée et la jus-personnel et auquel je suis très attentif est lié Son attention et son empathie pour les sujets tice, ne gère pas l’impôt…à l’ampleur du chantier que nous menons – humains et sociaux, y compris personnels, Bien sûr. Mais le signal que nous diffusonsassainissement des finances –, exacerbée par sont réelles. est que «  c’est possible  ». Oui, il est possible« Notre Région est la seule de France à avoir accompli avec autant d’ampleur un tel plande réduction des coûts de fonctionnement »année de « soutenir 10 000 entreprises (dont 150 ciblé, et lorgne la distribution d’une enve- com la révélait neuf jours plus tôt – la direc-startups) et l’implantation de 150 nouvelles socié- loppe annuelle de 100 millions d’euros d’aides tion générale. Quatre personnalités au cœurtés », de « faire émerger des champions régionaux directes. d’un dispositif de gouvernance pléthorique :dans toutes les catégories », enfin de « favoriser à l’assemblée générale participent huit col-d’ici à 2021 la création de 10 000 emplois d’une GUERRE DE COMPÉTENCES lèges (Etablissements publics de coopérationpart dans l’économie numérique d’autre part dans Bras armé de cette mise en œuvre : Auvergne- intercommunale dits EPCI, enseignementle secteur du tourisme.  » L’ingénierie finan- Rhône-Alpes Entreprises, l’Agence économique supérieur-recherche-formation, entreprises,cière occupe une place centrale du disposi- régionale née le 18 mai. Dotée d’un budget chambres consulaires, pôles de compétitivité,tif, via le (re)déploiement ou le renforcement annuel de 110 millions d’euros et d’une équipe Départements, etc.) et au conseil de surveil-de fonds dédiés auxquels la Région s’engage de 200 collaborateurs, cette instance co-prési- lance pas moins de 55 personnes. Avec, parmià participer à hauteur consolidée d’environ dée par Laurent Wauquiez et Jean-Dominique les absences remarquées, celle des acteurs du30 à 45 millions d’euros. La collectivité doit Senard, (président de Michelin) veut être à dialogue social (syndicats patronaux et deégalement se mobiliser en soutien de prêts terme « le guichet unique des entreprises. » Aux salariés) et… pour l’heure, de la Métropoleaux entreprises et des fonds de garantie, et commandes opérationnelles : Gérard Guyard de Lyon.même en participation directe au capital des (président de Gravotech) pilote le directoire, En effet, au cœur de l’enjeu « politique » deentreprises jugées «  stratégiques.  » Des pôles Cécilia Tégédor – non présentée publique- cette création, figure l’articulation de ses com-de compétitivité aux commerces de proximité, ment le 18 mai, selon Martial Saddier sa pétences avec celles de la collectivité du Grandde l’artisanat au secteur agricole, des start-ups nomination n’ayant pas encore été annoncée Lyon qui a fait du développement écono-aux ETI, l’ensemble du tissu économique est aux équipes… alors qu’acteursdeleconomie. mique, de l’accompagnement des entreprises, de l’attractivité du territoire, le fer de lanceAuvergne-Rhône-Alpes Entreprises : tout le monde attend de son rayonnement. Y compris via l’Aderlydésormais que son organisation, ses prérogatives, le contenu (Agence dédiée pour la région lyonnaise) dont,de son leadership, son articulation avec les autres selon nos informations, la Région chercheraitstructures déjà existantes soient « clairement visibles » à convaincre certains partenaires institution- nels de se retirer pour ensuite négocier sonN°136 Juillet-Août 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 43

Entreprendre RÉGION AUVERGNE-RHÔNE-ALPESde ne pas se résigner, de ne pas abdiquer, il « Peut-être les vice-présidents ne me disent-ils pas tout ? »est possible de renverser des logiques qui ontprévalu pendant si longtemps qu’elles sem- chasseurs simultanément à une réduction de interventions privilégiait les corps intermé-blaient s’être enracinées définitivement dans 30 % du budget alloué à l’environnement et à diaires aux aides directes…l’esprit commun. Et cela vaut dans tous les la disparition de 17 emplois à la Frapna : pour Lorsque nous mettons en place des contratsdomaines, y compris celui de la formation ne faire référence qu’à cette mise en pers- de bourgs pour soutenir la création ou le sau-professionnelle dont nous voulons bouleverser pective, comment peut-on ne pas soupçon- vetage de commerce de proximité dans desles réflexes qui dominent depuis des décen- ner de partiaux, d’idéologiques, d’intéressés zones frappées par la désertification, ne fai-nies. N’est-il pas vertueux de démontrer que certains arbitrages de Laurent Wauquiez  ? sons-nous pas œuvre essentielle, particulière-rien n’est inéluctable ? Peut-on nier que la cartographie substan- ment utile au tissu socio-économique local ? tielle et géographique de ces arbitrages Réhabiliter les fonctions supérieures ruralesDans ce domaine de la formation profes- épouse celle de son électorat ? est l’une de nos missions, comme d’ailleurssionnelle, l’incompréhension et même la Les chasseurs ont, de tous temps, été raillés, y concourt cette «  fameuse  » subvention àcolère sont palpables. Pour n’évoquer que méprisés. Or leur contribution à la préserva- la Fédération régionale des chasseurs. Seuleles seuls cas du Greta et du Cnam – révélés tion de l’environnement et des écosystèmes, cette exigence dicte nos arbitrages.sur acteursdeleconomie.com le 12 avril –, mais aussi à celle d’un certain esprit decertaines orientations sont douloureuses, convivialité est incontestable. Les reconnaître Ces interrogations sont intimement liéeset même jugées iniques et dogmatiques. dans cette singularité était nécessaire et jus- aux responsabilités, obscures voire opa-Fixer comme règle d’arbitrage intangible la tifié. Au-delà de ce seul cas, la politique de ques, qu’exerce Ange Sitbon, objets debarre des 50 % de taux de réinsertion pro- la région est de participer au rééquilibrage nombreux fantasmes et critiques. « A quoi »fessionnelle, c’est nier la réalité des parcours des forces territoriales, notamment en réac- cet ex-responsable des élections au sein desociaux et humains… tion à l’hyperconcentration des richesses, des l’UMP, désormais délégué général aux mis-Je suis en parfaite symbiose avec la politique moyens, des opportunités dans les grandes sions transversales et à la relation aux élus,de Laurent Wauquiez  : qu’y a-t-il de plus métropoles. Les leviers de recherche, d’inno- « sert-il » ?noble que de privilégier les formations qui vation, de numérique, d’apprentissage, où les Son équipe et lui constituent un rouagepermettent – notamment aux jeunes – d’ac- trouve-t-on : à Saint-Flour ou à Gerland ? Lut- précieux du dispositif  ; en effet, ils sont enquérir de l’autonomie et des compétences ter contre la paupérisation des territoires les contact permanent avec les maires et élusemployables, donc un travail, donc de se réa- plus fragilisés par la désertification des ser- locaux, auprès desquels ils repèrent et col-liser et de construire leur vie utilement ? C’est vices publics d’État est l’une de nos missions. lectent les besoins ou les projets qu’ils fontainsi que nous pourrons contribuer à changer ensuite « remonter » au sein de l’exécutif etla société française. L’adéquation des fléchages régionaux et des des services. Ange Sitbon veille en amont à intérêts électoraux de Laurent Wauquiez «  lever  » les inévitables verrous et en aval àUne subvention de trois millions d’euros ne serait pas soulevée si le levier de vos l’application des engagements. Il s’agit là d’uneaccordée à la Fédération régionale desabsorption au sein d’Auvergne-Rhône-Alpes aussi éruptif d’ores et déjà provoque d’âpres d’autres « déjà » noirs rapportés au sein duEntreprises. Nombre de sujets, comme celui joutes, et des luttes d’intérêts volcaniques. Le milieu économique, plus que tout autredu fléchage des entreprises candidates à une « cas » du Musée des tissus et des arts déco- sensible à la stabilité des relations inter-ins-installation, ne sont pas éclaircis, concède un ratifs est emblématique. Le 29 mai, Laurent titutionnelles, et à un esprit de coopérationhaut responsable consulaire – dont l’établis- Wauquiez court-circuitait l’ensemble des par- que tout durcissement politico-idéologique,sement public doit, statutairement, se mettre tenaires, réunis quelques jours plus tard pour tout clivage partisan, tout antagonisme ins-«  au service  » des politiques publiques et examiner le rapport d’audit et de préconisa- trumentalisé met en péril. Or, caciques desdonc d’Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises. tion du cabinet In Extenso. Le président de instances consulaires, patronales, finan-L’enjeu économique, crucial, du territoire de la Région annonçait libérer une enveloppe de cières sont unanimes – y compris chez ceuxl’aéroport Saint-Exupéry que se disputent dix millions d’euros d’investissements et une qui avaient escorté la victoire de Laurentles deux collectivités régionale et métropo- contribution annuelle d’1 million d’euros au Wauquiez et « nourri » son programme – :litaine «  au-dessus  » de la Communauté de fonctionnement de l’établissement, condamné l’heure n’est pas à l’apaisement, elle n’estcommunes de l’Est lyonnais, ou les pressions suite au retrait programmé de sa tutelle, la pas non plus à la satisfaction. Loin s’en faut.exercées par la Région pour rebaptiser en CCI Lyon Métropole Saint-Étienne Roanne. L’actif du bilan de Laurent Wauquiez n’est« Auvergne-Rhône-Alpes Biopôle » le pôle de L’effet de surprise n’était pas fortuit ; outre de certes pas vide, ni même neutre (lire parcompétitivité Lyonbiopôle, constituent deux capturer la lumière, de confisquer les lauriers ailleurs). Mais l’impréparation, la mécon-autres motifs, eux aussi parmi bien d’autres, du sauvetage, et de provoquer l’ire de ses par- naissance des réalités, l’insuffisante culturede cristallisation. La sanctuarisation de ses tenaires, l’intervention survenait le jour même économique et entrepreneuriale de certainsprérogatives historiques en matière écono- où le nouveau ministre de l’Intérieur Gérard élus, sont stigmatisées. Et, pour exemple,mique et que conteste désormais la Région Collomb faisait ses adieux au conseil munici- font peser de lourdes interrogations surconstitue, au sein de l’exécutif de la Métro- pal de Lyon… l’implication annoncée d’Auvergne-Rhô-pole de Lyon, un postulat non négociable. A ne-Alpes Entreprises dans la co-gestioncette aune, l’obligation de dénouer l’enche- CIRCONSTANCES ATTÉNUANTES de certains fonds de soutien, notammentvêtrement des périmètres de compétences Voilà d’ailleurs l’un des points pour certains dédiés aux petites entreprises. « On ne s’im-dans un contexte politique local et national, encore «  seulement  » d’interrogation pour provise pas société de gestion, surtout dans un44 Acteurs de l’économie - La Tribune N°136 Juillet-Août 2017

RÉGION AUVERGNE-RHÔNE-ALPES Entreprendretâche aussi compliquée qu’essentielle ; compli- « Ange Sitbon est un ascension politique ? Et puis il faut accepterquée car elle peut être assimilée à une immix- bon soldat » que la vie politique soit celle d’un perpétueltion du politique dans les services, essentielle mouvement.car elle contribue à l’efficacité de notre action. à votre mandat de député afin de vous consacrer à votre nouvelle responsabilité Cela signifie que la moitié de l’exécutif a faitMais son rôle au plus près de Laurent régionale – vous avez conservé votre siège le choix de possiblement quitter l’exécutif deWauquiez, l’indépendance dont il jouit dans d’édile de Divonne-les-Bains. Six de vos la Région. Une manifestation de leur décep-l’organisation de la collectivité, la nature de vice-présidents – Philippe Meunier, Mar- tion ? Mais aussi l’assurance après la victoireses leviers d’action – aide directe – et son tial Saddier, Yannick Neuder, Stéphanie de trois d'entre eux (Martial Saddier, Emiliedomaine d’intervention aux côtés de Nicolas Pernod-Beaudon et Emilie Bonnivard (LR), Bonnivard, Patrick Mignola) d’un remanie-Sarkozy dès 2007, légitiment le «  clienté- Patrick Mignola (La République en marche) ment source, en interne, d’une nouvelle dés-lisme  » dont ses détracteurs qualifient ses –avaient candidaté pour être députés, deux tabilisation et de blocages supplémentaires ?arbitrages… responsabilités désormais incompatibles. Il n’y a ni blocage ni déstabilisation. Ils ne seIl n’y a rien de tel. Il ne regarde pas la « cou- Que vous inspirent ces ambitions ? sont pas présentés aux élections législativesleur politique » des maires dont il décide que La moralisation de la vie publique et politique par déception  ; ils voulaient, à l’Assembléela Région va soutenir les projets. Et son rôle est un enjeu fondé, mais elle fait fausse route à nationale, défendre leurs convictions. Je neest utile pour que la Région fasse régulière- limiter dans l’excès le cumul des mandats. Et crains pas une déstabilisation, les servicesment la démonstration de l’efficacité de son je suis très favorable à la possibilité pour un sont là pour assurer la mise en œuvre desaction. Car c’est la récurrence des faits qui député d’être également maire, car la proxi- politiques que nous décidons. Il n’y aura pasassoit la crédibilité de la collectivité, la légi- mité et le principe de réalité propres à la « res- de vacance du pouvoir, mais, le cas échéant,timité de ses engagements, l’autorité de ses ponsabilité locale » conditionnent la manière une transition assumée avec des élus qui ontdécisions. Ange Sitbon est un bon soldat. Et dont on exerce sa « responsabilité nationale. » déjà la pleine maîtrise des dossiers.une institution comme la Région AURA a « Un bon élu doit être à portée d’engueulade debesoin de ce type de collaborateur. ses administrés », illustre fort justement le pré- Laurent Wauquiez ferait-il, à vos yeux, un sident du Sénat Gérard Larcher. « bon » président des Républicains ?Même lorsque ses prérogatives l’«  auto- J’ai été député pendant quatorze ans, mes Absolument. Et ce qu’il entreprend avec suc-risent  » à court-circuiter ou à déjuger les responsabilités à l’Assemblée nationale m’ont cès en Auvergne-Rhône-Alpes a vocationdécisions des vice-présidents, comme cer- amené à piloter huit lois visant à la simplifi- à servir de laboratoire national ne fait quetains de ces derniers nous l’ont confié ? cation du droit, et j’ai jugé qu’à 61 ans il était consolider ce jugement. Pour être gouver-Pas une seule fois un vice-président n’est venu alors opportun de me concentrer pleinement née, la France a besoin d’un « patron », d’unese plaindre auprès de moi. sur les enjeux du territoire régional. Comment autorité incontestable que fondent la capacité pourrais-je contester l’ambition de ces six d’analyser, de comprendre le monde, d’êtreVous aviez donné l’exemple, lors de votre jeunes candidats, dans l’âge d’accomplir leur audacieux, de rassembler, de décider ; c’est cenomination en décembre 2015, en renonçant qu’incarne Laurent Wauquiez. DLécosystème en la matière parfaitement équipé », « HYPERDIRIGISME » CPME Auvergne-Rhône-Alpes Françoistranche un spécialiste. Tout aussi sympto- Enfin, c’est même d’inapproprié voire Turcas à l’aune des soutiens ou promessesmatique apparaît la formation de l’Agence d’hérétique que sont jugés d’une part financiers qu’il vient d’obtenir, des pro-économique régionale, « à la tête de laquelle «  l’hyperdirigisme, l’hyperinterventionnisme grès ont été réalisés qui manifestent unea été recruté un directeur général avant même idéologiques  » de Laurent Wauquiez en «  prise de conscience  » salvatrice après und’établir les prérogatives et le fonctionnement matière économique, d’autre part son rejet début d’exercice contraire aux attentesde la structure. Imagine-t-on en entreprise « doctrinaire » du dialogue social (lire p.33), du syndicat. Car dans un premier temps,élaborer un profil, sélectionner les candidats, enfin l’archaïsme de certains dispositifs, ce sont un désordre et des atermoie-puis arrêter un choix sans avoir au préalable en premier lieu celui des aides directes, ments supplémentaires que promet leclairement constitué le contenu et la mission «  anachronique, inadapté aux attentes des remaniement de l’exécutif suite au scru-du poste  ?  » Le fonctionnement interne entreprises. » Et sources de « dérapages clien- tin législatif – en premier lieu au sein dede la collectivité, qu’un haut dirigeant de télistes » (lire p.34). A ces aides directes et la délégation Entreprises, emploi et éco-l’aréopage patronal résume d’un implacable aux subventions – des «  machines à fonc- nomie désormais orpheline de Martial« immense bordel » et qu’exacerbent l’« épui- tionnaires » –, détaillent ces mêmes acteurs Saddier – qui avait déjà fortementsement  » du personnel, les dysfonctionne- des organisations patronales, consulaires consommé les énergies pendant la cam-ments et court-circuitages décisionnels, et ou financières, les chefs d’entreprise, « de pagne. «  L’impatience et la déception crois-le récent départ du directeur du service plus en plus dubitatifs devant la lenteur des santes des chefs d’entreprise ne sont pas prêteséconomie Stéphane Giboudaud – nommé à transformations annoncées  » préféreraient d’être apaisées », soupire l’un des participantsla tête du Fongecif Auvergne-Rhône-Alpes «  bien davantage  » un environnement de à l’élaboration du programme économiquele 1er juin –, est déploré. Ce que le flou dynamique collective, des outils – conseil, du « candidat » Wauquiez de 2015. Le che-entourant, pour l’heure, la délimitation et formation, sensibilisation, ingénierie finan- min vers l’exaucement du vœu de Martiall’imbrication des compétences opération- cière – qui fassent « leviers. » Et une orga- Saddier  : «  accomplir en Auvergne Rhône-nelles d’Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises nisation lisible, efficace, respectueuse. Et Alpes une porte d’entrée unique pour le milieuet des délégations économiques au sein de dépolitisée. Ils devront patienter – quand économique et en faire un modèle pour lala collectivité ne devrait pas élucider. bien même, assure le président de la France », s’annonce tortueux. DLN°136 Juillet-Août 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 45

Entreprendre BRICE HORTEFEUX46 Acteurs de l’économie - La Tribune N°136 Juillet-Août 2017

BRICE HORTEFEUX EntreprendreBRICE HORTEFEUX« VICE-ROI » D’AUVERGNEPORTAIT, MATHIEU PÉRISSE/WE REPORTPHOTOGRAPHIES, LAURENT CERINO / ADEFidèle parmi les fidèles de Nicolas Sarkozy, l’ancien ministre de l’Intérieur Brice Hortefeuxa su cultiver son influence sur la droite auvergnate quitte à se faire des ennemis tout en menanthabilement une carrière nationale. Plus à l’aise dans les seconds rôles qu’en tête d’a che,il occupe, discrètement mais subtilement, la deuxième vice-présidence de la région Auvergne-Rhône-Alpes, auprès de Laurent Wauquiez. Mais cette position va-t-elle le satisfaire pourlongtemps encore? L’ancien jeune loup du RPR qui tire les ficelles sur son territoire n’aurait,en e et, plus l’intention de s’en contenter.N°136 Juillet-Août 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 47

Entreprendre BRICE HORTEFEUXOn attendait le Même ses adversaires l’admettent, « Brice « De son fauteuil,« porte-flingue », Hortefeux est plus agréable que ce qu’on dit Brice Hortefeux restetant de fois habituellement ». Venant d’Alain Bussière, le grand ordonnateurdécrit dans ancien vice-président (PS) de la région de la droite locale.les médias. Auvergne et opposant de longue date, “ J’ai des règles :Un politique froid c’est presque un compliment. « Il est cour- je suis très gentil,comme ses yeux tois, il a le sens de l’humour et, avec lui, on seulement je n’aimebleus. C’est peut se parler cash, abonde Jean-François pas le désordre.finalement Debat, leader de l’opposition socialiste Si vous êtes monun homme régionale. Mais je comprends que certains ami, vous sereza able, pince- collègues le craignent davantage, car il peut récompensé. Danssans-rire, qui s’avérer très caustique, voire cassant ». le cas contraire,nous accueille À 59 ans, Brice Hortefeux reçoit dans un vous n’aurez rien ” »ce samedi matin bureau aux airs de musée de la « Sarko-dans sa zie ». Les portraits de « son » président de de Neuilly-sur-Seine, se sont rencon-permanence la République s’affichent un peu partout. trés adolescents. Son père, directeur deparlementaire Dans un coin, les affiches de « la France banque, en sera conseiller municipal pen-de Clermont- forte », slogan de la campagne de 2012, dant cinq mandats. Aujourd’hui encore,Ferrand. commencent à jaunir. Jusqu’au tableau de le petit village médiéval reste l’incontour-La poigne de fer Charles de Gaulle accroché derrière son nable fief familial. Sur la place principale,d’un habitué du fauteuil. « Piqué à Nicolas », sourit-il. Sur la patronne du restaurant acquiesce : ellepouvoir, enrobée les étagères, des bibelots rappellent aussi aperçoit « Monsieur Hortefeux » faire sondans le velours les fonctions qu’il a autrefois occupées. footing presque chaque dimanche dansdu notable de Une Marianne dorée, reçue lorsqu’il était le village. « Récemment, il est venu ici fêterprovince. ministre délégué aux collectivités, une l’anniversaire de son fils », se souvient-elle. statuette de lion, offerte par Abdoulaye48 Acteurs de l’économie - La Tribune Wade, l’ancien président du Sénégal. La PRISE EN MAIN DU RPR sonnerie de son portable l’interrompt. DU PUY-DE-DÔME À l’autre bout du fil, un élu Les Répu- Enfant, Brice Hortefeux passe tous ses blicains qui lui demande de rassembler étés dans cette commune auvergnate, les troupes, explique-t-il. « Ils m’appellent avec ses deux plus jeunes frères, Pascal et tous pour me demander des conseils.  » En Hughes. Une fratrie ancrée dans la région. plein entre-deux-tours de la présiden- Le premier est enseignant dans une école tielle, quelques jours après la défaite de de commerce de Clermont-Ferrand, tan- François Fillon, Brice Hortefeux tient à dis que le second a repris l’entreprise montrer qu’il joue toujours un rôle poli- locale Peretti, spécialisée dans le second tique de premier plan sur la scène natio- œuvre. Adolescents à la fin des années nale. Lui dont la carrière se poursuit 1960, ils participent à un spectacle his- aujourd’hui loin de Paris. torique son et lumière, basé sur l’histoire Car, début 2016, l’homme est passé de la reine Margot, monté par le curé des palais républicains de la capitale du village. Pendant six ans, Brice Hor- à la place de numéro trois de la région tefeux apprend à danser la bourrée avec Auvergne-Rhône-Alpes. De quoi faire les autres figurants bénévoles. « Cela me grincer les dents de ses opposants. « Sa sert rarement aujourd’hui  », s’amuse-t-il. boussole, c’est sa fidélité à Nicolas Sarkozy, Et grimpe les échelons de la figuration : plus que son ancrage local. Ce n’est pas par « J’ai commencé comme page et j’ai terminé la région qu’il s’est construit une légitimité », roi. » Un premier destin politique. estime Alain Bussière, également conseil- ler régional PS du Puy-de-Dôme. «  Du N°136 Juillet-Août 2017 côté de ma mère, c’est 100 % Auvergnat, se défend l’homme. Et mon arrière-grand- père était administrateur de Bergougnan, le grand rival de Michelin avant la guerre. C’est dire si je suis Auvergnat.  » Côté paternel, la famille alsacienne est venue s’instal- ler en Auvergne après la débâcle. « Mon grand-père était communiste à la Libération. Il était très original ! », ironise-t-il. Devenu gaulliste, le patriarche est élu maire de Saint-Saturnin, à quelques kilomètres de Clermont-Ferrand. «  Saint-Saturnin, ce sont mes racines, c’est mon identité  », assène Brice Hortefeux. C’est là, dans leur maison de vacance respective, que ses parents, issus de la bonne bourgeoisie

BRICE HORTEFEUX EntreprendreLa chose publique tiraille rapidement le « Nicolas Sarkozy d’Estaing fréquentent le même lycée,jeune Brice. « Déjà, pendant les événements n’a jamais compris Saint-Jean-de-Passy, dans le 16e arron-de Mai 68, à dix ans, il tenait un carnet sur pourquoi Brice dissement de Paris. Mais, très vite, unel’actualité », raconte son frère Hugues. Dès Hortefeux restait rivalité s’installe entre les deux hommes.1974, le jeune militant colle des affiches dans le Puy-de- «  Frères ennemis, effectivement, nous pou-pour Chaban-Delmas, puis pour Jacques Dôme. Pour lui, c’était vons dire quelque chose comme cela  »,Chirac, à Paris, en 1977. Avant de s’en- la Patagonie, ici » souffle Louis Giscard d’Estaing, anciengager au côté de Nicolas Sarkozy, dont il député du Puy-de-Dôme, aujourd’huidevient le directeur de cabinet à la mai- je m’y étais préparé  », admet-il. En 1995 maire de Chamalières et conseiller régio-rie de Neuilly-sur-Seine dans les années déjà, Valéry Giscard d’Estaing, fort de nal (UDI). « Son père avait une explication1980. Ce n’est qu’au début des années sa stature d’ancien président de la Répu- à cette mésentente. Il disait que cela devait1990 qu’il s’engage en Auvergne. « Je suis blique et de président du conseil régio- être une histoire de fille. Bien sûr, c’est faux »,rentré à la demande d’Alain Marleix  », se nal depuis 1986, avait tenté sans succès sourit Brice Hortefeux. «  Aujourd’hui, lessouvient-il. L’homme d’influence, élu du de faire tomber la citadelle socialiste, tensions se sont apaisées. Nous ne sommesCantal et proche de Charles Pasqua, lui échouant avec 49 % des suffrages. Lors plus en concurrence », veut croire l’anciendemande de prendre en main le RPR du des municipales de 2001, la candida- ministre. «  Nous en sommes venus à unePuy-de-Dôme, alors fantomatique. Dès ture de Brice Hortefeux ne parvient pas sorte de paix armée », estime de son côté1991, Brice Hortefeux prend la tête de à faire l’unanimité. En 2008, alors à la Louis Giscard d’Estaing. Mais les cou-la fédération départementale, « un peu à tête du très contesté ministère de l’Im- teaux ne sont jamais bien loin. «  Louisla hussarde », admet-il aujourd’hui, avant migration et de l’Identité nationale, il pensait sans doute que c’était le territoire ded’être élu conseiller régional d’Auvergne jette l’éponge. « J’aurais été battu, et mon son père, et que cela devenait donc le sien »,en 1992. Parallèlement, il continue son échec aurait été interprété comme celui de tacle Brice Hortefeux. La réponse estaventure au côté de Nicolas Sarkozy, qu’il Nicolas Sarkozy. » La fidélité, toujours. En cinglante : « Bien sûr que Brice Hortefeuxsuit au ministère du Budget en 1993. De 2014, Clermont-Ferrand reste aux mains a occupé des fonctions gouvernementales,quoi préparer les législatives de la même du socialiste Olivier Bianchi. « La réalité, mais ça ne fait ni un bilan local ni un suc-année. Mais, en pleine «  vague bleue  », c’est que c’est un terrain très difficile, parce cès électoral. Moi, toutes les fonctions queil est défait au premier tour. Un échec que c’est une ville qui a été sociologiquement j’ai exercées, c’est en gagnant des élections.électoral difficile à digérer. Néanmoins, vitrifiée », analyse-t-il. « L’essentiel des pro- Brice Hortefeux n’a été élu que sur des listesBrice Hortefeux gardera toujours un pied fessions libérales, les chefs d’entreprises, les ou nommé. C’est l’une de nos grandes diffé-en Auvergne. « Sarkozy n’a jamais compris indépendants, les catégories les plus tradi- rences : je n’ai jamais été nommé. »pourquoi il restait dans le Puy-de-Dôme. tionnellement à droite, ont été rejetés à laPour lui, c’était la Patagonie, ici », souligne frontière de Clermont. Et cela marche  !  », DÉFIANCE DES ÉLECTEURS ?un journaliste local qui l’a suivi depuis regrette-t-il. Réélu à chaque élection régionale, Briceses débuts. « Il était présent presque tous les Sur son chemin, il trouve Louis Giscard Hortefeux devient en effet député euro-weekends. Je pense qu’il cherchait un équi- d’Estaing, le «  fils de  ». La famille Hor- péen en 1999, sur une liste emmenée parlibre, à relâcher la pression », confie Fran- tefeux entretient pourtant de bonnes Nicolas Sarkozy. Pour beaucoup, l’ab-çois Lassere, artiste-peintre installé dans relations avec la dynastie auvergnate, sence de succès électoral sur son noml’Allier et ami d’enfance. basée à Chanonat, à quelques encablures signerait la défiance qu’il inspirerait loca- de Saint-Saturnin. Adolescents, les frères lement. L’attaque a le don de l’énerver.HORTEFEUX ET GISCARD D’ESTAING, Hortefeux vont jouer au tennis chez la « J’aurais pu avoir Neuilly-sur-Seine : NicolasLA RIVALITÉ cousine du président de la République. Sarkozy m’avait proposé de lui succéder. J’au-Le Puy-de-Dôme, une respiration, mais Vont nager ensemble au lac d’Aydat, tout rais été élu dans un fauteuil. Certains ici enpas une sinécure. C’est là tout le para- proche. Brice Hortefeux et Louis Giscard auraient rêvé.  » En tout, il affirme avoirdoxe de Brice Hortefeux. En s’installant reçu quatre propositions de points desur une terre dominée par la gauche et le chute faciles à remporter, dont une col-centre giscardien, le jeune loup du RPR lectivité «  proche de Lyon  », louvoie-t-il.sait que ses opportunités seront limitées. Toutes refusées. « D’abord, parce que je suisLongtemps, il s’est rêvé en conquérant de fidèle à ma région. Et ensuite parce que c’estClermont-Ferrand, ville de gauche depuis moi qui tiens la droite à bout de bras ici »,l’après-guerre. « C’était mon objectif initial, justifie-t-il. CONSEIL EN RECRUTEMENT 3 rue de la République, 69001 Lyon DIRIGEANTS & CADRES EXPERTS Tél. 04 72 00 76 76 - www.innoe.net LYON - PARIS - INTERNATIONAL Acteurs de l’économie - La Tribune 49N°136 Juillet-Août 2017

Entreprendre BRICE HORTEFEUX« Je comprends que certains collègues le craignent,car Brice Hortefeux peut s’avérer très caustique, voire cassant »La sonnerie de son téléphone le coupe la cohabitation Balladur-Mitterrand, dans position pour Laurent, le maire de Vichy, deune nouvelle fois. C’est Jean-Pierre Bre- les avions qui les ramenaient de Paris en Montluçon, d’Issoire, etc.  », se félicite-t-il.nas, le chef de file des Républicains à Auvergne en fin de semaine. « Nous étions La victoire acquise, le voilà deuxièmeClermont, qui renoncera à se présenter animés du même amour de la France. Nous vice-président délégué à l’Aménagementaux législatives, pour éviter une défaite faisions en sorte que nos patrons respectifs du territoire. Numéro trois de l’exécutif.trop cuisante. De son fauteuil, Brice Hor- s’entendent, se souvient Michel Charasse, Pour préserver l’équilibre régional, Bricetefeux reste le grand ordonnateur de la avec sa gouaille habituelle. C’est quelqu’un Hortefeux a dû faire de la place à Étiennedroite locale, distribuant les investitures d’agréable. Il ne se lève pas en se deman- Blanc, qui règne en maître depuis vingtet veillant à l’unité de sa famille politique. dant quelle « saloperie » il va faire, comme ans sur le Pays de Gex, de l’autre côté«  J’ai des règles  : je suis très gentil, seule- d’autres politiques.  » «  Je lui ai demandé de la grande région. Les relations entrement, je n’aime pas le désordre. Si vous êtes de nombreux conseils, sur les rouages de les deux hommes s’avèrent tendues. Luimon ami, vous serez récompensé. Dans le ma fonction publique, les mécanismes de assure n’avoir jamais visé la premièrecas contraire, vous n’aurez rien  », expose décision, les hommes aussi, résume Brice place. «  Je n’avais pas du tout l’intentionle maître des lieux, soudain tranchant. Hortefeux. Et honnêtement, je lui ai un peu d’habiter dans une voiture. Quand vousNombreux sont les élus locaux qui lui renvoyé l’ascenseur, en jouant un rôle dans voyez les emplois du temps et les trajetsdoivent tout ou partie de leur carrière. sa nomination au Conseil constitutionnel par des présidents de région ! » Au passage, ilComme Jean-Marc Boyer, maire de Nicolas Sarkozy. » décroche le titre de « délégué à la solida-Laqueuille, et favori pour les prochaines rité avec les territoires auvergnats ». L’ap-sénatoriales. «  Nous nous connaissons DE MICHEL BARNIER pellation froisse certains élus locaux, « çadepuis 25 ans. La première fois que je l’ai vu, À LAURENT WAUQUIEZ  fait un peu Tiers-Monde  », regrette Alainil était venu visiter un élevage de bisons dans Amateur de coups de billard à plusieurs Bussière. « Je sentais une inquiétude sur lama commune », se souvient le président du bandes et fin analyste des mécanismes dilution de l’identité auvergnate, il fallait queParc naturel régional des Volcans d’Au- électoraux, Brice Hortefeux préfère les ce thème soit présent », justifie Brice Hor-vergne. Sans surprise, l’élu ne tarit pas seconds rôles. Comme pendant la cam- tefeux, rappelant que quatre directionsd’éloges sur son mentor, décrit comme pagne des régionales de 2015. Il sou- régionales sur quinze ont été maintenues«  ouvert  », «  à l’écoute  », «  respectant les tient d’abord le Savoyard Michel Barnier. à Clermont-Ferrand. En coulisses, cer-positions de chacun ». « Il ne plaisante pas «  L’Auvergne, c’est 1,2 million d’habitants, tains évoquent le deal qu’il aurait passéavec la loyauté », conclut-il. sur 7,8 millions dans la grande région. Sa avec l’ambitieux Laurent Wauquier, quiLa loyauté, valeur cardinale. Un trait de candidature était plus logique.  » Avant de n’a jamais caché ses vues sur l’Élyséecaractère qu’il partage avec une autre se ranger derrière Laurent Wauquiez. pour 2022. Au maire du Puy-en-Velay, lafigure politique locale, Michel Charasse. Le patron de la droite auvergnate réunit vitrine de la région, qu’il envisage commeEntre le proche conseiller socialiste de les élus locaux. «  Je leur ai dit  : «  Vous un laboratoire de sa future politiqueFrançois Mitterrand et le double de Nico- êtes tous pour Barnier  ? Eh bien, ce nationale. À Brice Hortefeux, la souverai-las Sarkozy est née une amitié inattendue. sera Laurent Wauquiez. Vous êtes d’ac- neté sur les affaires auvergnates. La terreLes deux hommes se sont connus pendant cord  ?  » Et nous avons unanimement pris des volcans sera son pré carré. Longtemps les relations avec Louis Giscard d’Estaing, maire de Chamalières et conseiller régional (UDI), ont été tendues. Mais Brice Hortefeux assure qu’elles sont désormais apaisées. « Nous en sommes venus à une sorte de paix armée », estime le fils de l’ancien président de la République. © Richard Damoret / RéaEntre Laurent Wauquiez et Brice Hortefeux ce N°136 Juillet-Août 2017 « n'est pas une amitié mais une alliance ».50 Acteurs de l’économie - La Tribune


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