« CHAPOUTIER CITY » Entreprendrese ghettoïser, de devenir un produit snob », « Des grands AFFAIRE DE FAMILLEmet-il en garde. Pour lui, la production entrepreneurs Tout à sa quête du prochain Eldorado,de vin de qualité à prix abordable est américains, Michel Chapoutier a implanté la mai-un impératif. « Le vin est une distraction, Michel Chapoutier son Chapoutier en Alsace, au Portugal,les gens peuvent se passer de nous », rap- possède la démarche en Espagne, jusqu’en Australie où il estpelle-t-il. Alors pour attirer les jeunes et pressée et le besoin tombé fou amoureux de l’art aborigène.un public moins fortuné, l’entrepreneur de sortir des sentiers Sa passion des arts premiers le pousserevendique la mise sur le marché de battus » aussi à acheter une maison au Canada.côtes-du-rhône bon marché. À l’image Un tissage inuit orne d’ailleurs le fondde Mouton Rothschild avec mouton-ca- quelqu’un comme lui dans le Beaujolais », de son bureau. On l’interroge sur le sensdet dans le Bordelais des années 1930, lance David Large, viticulteur de 31 ans des dessins. « C’est une carte. » Pour Cha-la maison Chapoutier joue la carte de la installé à côté de Villefranche-sur-Saône. poutier, ne pas se perdre passe aussi pardémocratisation. « Cela permet de montrer Enfant d’une famille de vignerons depuis un maintien de l’activité dans la valléenotre savoir-faire à des gens qui ne peuvent deux siècles, il a officié comme caviste du Rhône. Le groupe exporte aujourd’huipas acheter des bouteilles à quarante ou cin- puis est devenu sommelier chez Cha- près de la moitié de sa production. « Onquante euros, mais le pourront peut-être un poutier entre 2015 et 2017 avant de se pourrait arriver à 80 % facilement, mais cejour de manière occasionnelle. » Pour par- consacrer à temps plein à son exploitation ne serait pas souhaitable », estime Michelvenir à vendre des vins de bonne qualité familiale en vin naturel. De son passage Chapoutier. « C’est facile d’exporter, maisà des prix abordables, Chapoutier pro- dans l’entreprise, il retient une « énergie plus difficile de se maintenir sur le marchéfite de sa double casquette de producteur incroyable », une exigence et un appren- français », approuve sa fille, Mathildeet de négociant. Au fil des ans, l’entre- tissage de la biodynamie, « rare chez des Chapoutier, devenue en juillet der-prise a créé un réseau de viticulteurs, des grands groupes ». Depuis quelques mois, nier, à 26 ans, directrice commercialesous-traitants encadrés tout au long de le jeune homme se lance lui aussi dans du groupe. La huitième génération del’année par la maison-mère, qui rachète le négoce et rachète le raisin de produc- « M. Chapoutier » n’a rien d’une novice.leur production. Une position loin de teurs locaux. « C’est un modèle à suivre », Plus « cartésienne » que son père, multi-l’image d’Épinal du petit producteur assure-t-il. diplômée, elle a déjà passé trois ans enindépendant, revendiquée par d’autres. D’autres sont moins tendres. « On n’a rien Chine et en Asie centrale à développer« Quand vous achetez un foulard Hermès, en commun. Un peu comme le tourneur-frai- le groupe familial. Avec le même instinctvous ne demandez pas si c’est un salarié seur d’une usine qui ne croise jamais le pionnier. En témoigne le positionnementd’Hermès ou un sous-traitant qui l’a fait », PDG », étrille Thierry Allemand, farouche de l’entreprise au Tadjikistan ou en Ouz-réplique Michel Chapoutier. viticulteur indépendant installé en Cor- békistan qu’elle a entamé. « Une opportu- nas, l’une des appellations les plus en nité à ne pas rater », assure-t-elle. Elle jureACQUISITIONS À TOUT-VA vue de la vallée à une quinzaine de kilo- ne pas avoir voulu travailler dans l’entre-Mais le négoce ne suffit pas toujours à mètres de Tain-l’Hermitage. « Moi je passe prise paternelle, mais s’être prise au jeu.produire un vin abordable. « Aujourd’hui, mon temps dans les vignes. Lui il délègue », Quant aux soupçons de favoritisme, ellel’amortissement du foncier représente près tranche-t-il. « C’est comme les cuisiniers, les balaie immédiatement : « Mon père estd’un tiers de la bouteille », rappelle-t-il. En Alain Ducasse, Paul Bocuse, qui parcourent deux fois plus dur avec moi. »1975, son grand-père refusait d’acheter le monde et multiplient les projets. Leurune parcelle de la colline de l’Hermitage talent c’est de savoir gérer une grosse équipe, TOLÉRANCE ZÉROvendue 10 000 francs. Quarante ans plus moi je ne sais pas faire. » Chacun chez Car le génie n’empêche pas l’exigence.tard, l’hectare vaut entre deux et trois soi, les deux mondes ne se croisent pas Dans le milieu viticole, Michel Chapou-millions d’euros. Impossible à renta- souvent. Mais depuis quelques années tier a la réputation de mener ses troupesbiliser. Le groupe s’est donc lancé dans le souffle de Chapoutier se fait sen- à la baguette. Certains évoquent mêmeune stratégie d’acquisition de domaines tir jusque dans les paisibles coteaux de une personnalité capricieuse, éprou-moins prestigieux, moins chers, mais Cornas. Comme d’autres investisseurs vante pour ses collaborateurs. « Vendreprometteurs. « Nous sommes devenus à la recherche de la bonne affaire, l’en- de l’excellence, c’est vendre de l’effort, de lades inventeurs de terroirs, au sens d’inven- treprise rachète des terres pour y planter contrainte, de la tolérance zéro », rétorque-teurs de trésors. Il faut que nous arrivions, des vignes. « Les prix montent, on ne peut t-il, en évoquant les sacrifices nécessairesen pionnier, à repérer les sols à potentiel plus acheter, les jeunes ne peuvent plus s’ins- dans le sport de haut niveau. Son assis-énorme, et à petits prix. J’ai acheté des terres taller », regrette Thierry Allemand pour tante l’interrompt : « Sébastien Chabal estdans le Roussillon à 15 000 euros l’hectare, qui l’appellation est victime de son suc- dans le coin, il souhaiterait vous rencontrer. »qui ont donné des vins notés 100/100 par cès. « Des gens comme Auguste Clape ou Le maître des lieux accepte. « Je ne suis pasParker », s’enorgueillit-il. Inconditionnel moi-même ont travaillé pour faire connaître très people », assure-t-il. L’homme reçoitdes sols granitiques, Michel Chapoutier l’appellation. Et puis les grosses entreprises pourtant régulièrement des personnali-pronostique une « ruée vers l’or » dans comme Chapoutier n’ont plus qu’à venir tés, notamment des politiques de droiteles cinquante prochaines années sur les récupérer notre savoir-faire. Ce sont d’abord comme François Baroin fin octobre, outerroirs des côtes d’Auvergne. « Avec le des hommes d’affaires ». Gérard Larcher il y a deux ans. Présidentréchauffement climatique, des terroirs qui d’Inter-Rhône, l’organisme chargé de laétaient un peu frais deviennent intéres- promotion des vins de la vallée, Michelsants », anticipe-t-il. Chapoutier ne fait pas mystère de son opposition aux 35 heures et de ses posi-ADMIRATION ET ÉNERVEMENT tions plutôt libérales, mais n’hésite pas àDans la région, la croissance de la maison venir en aide financièrement au journalChapoutier suscite aussi bien l’admira- l’Humanité par souci de pluralité. Le droittion que l’énervement. « J’aurais bien aimé au paradoxe, toujours.N°138 Décembre 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 51
Entreprendre TRIBUNE Évoquer l’intelligence c’est faire émerger mille et une croyances, mille et une représentations, mille et une certitudes. On sait tous, intuitive-L’INTELLIGENCE ment, ce qu’est l’intelligence, nous avons tous cette conviction que nousCOGNITIVE pourrions par enir à la définir spontanément. st-ce si rai ’intelligenceNE PEUT (inter ligere en latin (faire des liens), et princeps en grec (se saisir duFONCTIONNER monde)) relève de cette capacité complexe qui nous permet de percevoir, com-SANS ÉMOTION prendre et donner du sens à notre environnement, pour s’y ajuster, s’y adap- ter, mais aussi pour en extraire les in ormations nécessaires afin de décider, choisir, créer, inventer, imaginer. Il est fréquent de réduire l’intelligence à des processus cognitifs, dit supérieurs, émergeants d’une science récente : les sciences cognitives, qui ont répertorié l’ensemble des mécanismes qui régissent notre fonctionnement mental. Ces processus (appelés fonctions exécutives) assurent nos grandes capacités intellectuelles : apprendre, comprendre, mémoriser, sélectionner, planifier, décider. es mécanismes qui u rent, sans rel che, pour résoudre tout t pe de probl mes. e cer eau est en acti ité permanente, ses cellules se connectent les unes aux autres à grande vitesse, transportent des informa- tions en continu qui sont transmises au cortex préfrontal, siège des fameuses fonctions exécutives qui enverront les ordres nécessaires au corps et à l’environnement. Nous sommes dans un système top down d’informations des- cendantes. Sous cet angle, il est facile d’inférer que l’intelligence est un gage central de réussite, et que celle-ci est l’arme centrale des décideurs, entrepreneurs, che s d’entreprise. t pourtant, cette intelligence cogniti e ne peut fonctionner sans émotion. Sans ce système plus archaïque, celui du système limbique, amygdale et hypothalamus, niché dans les replis profonds de notre cer eau. e philosophe escartes a ait bien réussi à con aincre que les émotions étaient mauvaises conseillères, et que pour penser intelligem- ment il nous fallait nous départir de tout ressenti. Or, nous savons mainte- nant, depuis les tra aux princeps du neurobiologiste ntonio amasio que les émotions participent de façon majeure à notre possibilité d’« être intelli- gent ». Qui souhaite optimiser son intelligence doit y intégrer ses émotions répondent les neurosciences contemporaines.ENTREPRENDRE,C’EST COMME L’INTELLIGENCE,À LA FOIS UNIQUE ET PLURIELLEJeanne Siaud-Facchin VISIONNAIREPsychologue clinicienne etpsychothérapeute es émotions sont donc cette orce i e qui nous rend intelligents, qui nous ouvre aussi la voie à des compétences essentielles : comprendre les autres, se comprendre soi-même. Être pleinement conscient. Il est intéressant de © DR comprendre les liens encore plus intimes qui eront toute la différence dé elopper ses compétences émotionnelles a orise une confiance en soi plus stable, plus solide et une confiance dans ses compétences et dans la ie. r, pour innover, pour s’engager sur des chemins de traverse, il nous faut sor- tir de notre zone de confort, prendre des risques. Oser. Un mouvement qui ne peut se faire lorsque cette base de sécurité interne est fragile, et que seule une bonne régulation émotionnelle a pu construire. Un sentiment de sécurité, socle de lancement dans toutes nos entreprises. ntreprendre, c’est un peu comme l’intelligence, à la fois unique et plurielle, faisant intervenir un ensemble de compétences, qui, agissant de concert, ouvre en grand notre appréhension du monde pour s’en saisir pleinement. Être visionnaire, c’est développer toute son intelligence, en ouvrant très grand notre corps, notre c ur, notre cer eau aux in ormations que nous rece- vons en permanence, du dehors et du dedans, et qui ne pourront nous embar- quer et convaincre les autres, que si nous avons réussi à intriquer toutes ces composantes de notre intelligence humaine, corps et me. e c ur a ses raisons que la raison ne connaît pas apprenons à appri oiser notre c ur et notre intelligence grandira.52 Acteurs de l’économie - La Tribune N°138 Décembre 2017
CAPI,un territoire pour : ENTREPRENDRE INVESTIR INNOVER entre Lyon et GrenobleCommunauté economie.capi-agglo.frd'AgglomérationPorte de l'Isère
Inventer RUBRIQUE DE NOM PUBLI-REPORTAGE © cyano66LE ROANNAIS LANCE UN APPELÀ PROJETS INNOVANTS Après le succès de son édition Ala clef, une dotation de A l’issue de l’appel à projets,15 candi- 2016, la CCI Lyon Métropole 50 000 euros et un accompa- dats seront sélectionnés (5 créateurs Saint-Étienne Roanne et gnement sur-mesure pour les ou repreneurs d’entreprise et 10 Roannais Agglomération entreprises et porteurs de projet qui entreprises existantes). L’accom- renouvellent en cette fin choisiraient de s’installer sur le Roan- pagnement à la réalisation de leur d’année 2017 leur Appel à nais. Les candidatures, ouvertes à projet démarrera dès février 2018. tous les secteurs d’activité, seront L’année dernière, la société lauréate projets innovants, avec son lot soumises à un comité de sélection. Üper Ticks, plateforme sociale lu- d’améliorations puisque A noter que chaque candidature dé- dique de pronostics sportifs en ligne posée bénéficiera d’un diagnostic avait bénéficié d’une aide de 5 000 le partenariat est désormais gratuit ! euros permettant de lancer le déve- élargi aux banques et aux Les dossiers sont à rendre jusqu’au loppement de sa version test, une autres acteurs publics de 31 décembre 2017 sur le site www. aide décisive pour cette jeune so- l’innovation. toutetsimplement.fr. Pourront par- ciété prometteuse. Üper Ticks est ticiper les entreprises déjà implan- actuellement en recherche de fondsINFOS : tées sur l’arrondissement de Roanne pour la mise en production de saPour participer à l’appel à projets et présentant un projet innovant, ou plateforme au grand public.innovants les créateurs d’entreprise ayant un ROANNE, TERRE FERTILEhttps://www.toutetsimplement.fr/ projet innovant à présenter. À LA CRÉATION D’ENTREPRISESnos-offres-2-312-appel-a-projets- Une chance à saisir pour le public Avec la création de sa marque « Roanne, Toutinnovants- roannais.html lyonnais et rhônalpin, car Roanne, & Simplement », le Roannais propose desFlorent Brosse en plein codeur de la nouvelle ré- solutions concrètes et un accompagnementCCI Lyon Métropole Saint-Étienne gion Auvergne-Rhône-Alpes, offre sur-mesure aux entreprises qui souhaitent s’yRoa5n4nAecteurs de l’économie - La Tribune de véritables atouts aux entrepre- installer. Depuis quelques années il attire ainsiTél. 04 77 44 54 29 neurs : un foncier et un immobilier de nombreux cadres dirigeants et porteurs de très bas, un maillage institutionnel projets. Créateur d’opportunité le Roannais in- facilitant la création d’entreprises vestit également dans des secteurs porteurs : et une situation géographique clé́ le numérique, les nouvelleNs°13t8ecDhéncoelmobgriee2s0, 17 pour se développer. l’agro-culinaire, l’économie circulaire...
LE RÊVE Inventer LE RÊVE CÉLINE BARDET‘‘Le meilleur est-il toujours à venir (avenir) ? Un rêve n’est-il pas, par essence, ce quelque chose qui s’apparente à cette quête qui nous permet de nous lever chaque matin en nous donnant une raison de vivre ? Un sens. Moi qui passe une grande partie de mon temps sur des zones de conflits ou dans des zones en crises, à écouter des victimes ayant subi les pires horreurs, à ouvrir des charniers, ce travail qui centre ma vie m’a forcément ancrée dans un réel violent, tellement loin de mes rêves… Parce qu’ancrée dans ce réel violent ; ancrée dans cette urgence d’ici et maintenant rend demain tellement volatile. Et pourtant, tout le monde pense à demain. Mais selon que l’on se trouve à Bagdad, à Bangui, à Alep ou à Paris, ce demain est plus ou moins incertain, plus ou moins visible et surtout plus ou moins ambitieux. Néanmoins, l’humain (ré)invente, toujours et encore, sa vie quand elle lui a été détruite. Il s’adapte, continue à croire et à espérer. La résilience dont l’humain est capable est une force extraordinaire. Alors, que devrait être ce rêve de nos jours - pour nous européens et occidentaux - qui disposons de la liberté, de la laïcité, de l’accès aux soins, de la culture et de tous les besoins primaires comme se nourrir et être éduqué ? Telle est la sempiternelle question en 2017. Ce monde dans lequel nous vivons est celui des réseaux sociaux, de la peur du terrorisme, des réfugiés, des startups, des applications, des conférences TED, du transhumanisme, de l’immortalité même ! Tout change et l’humain n’a d’autres choix que de s’adapter. Mais si aller dans l’espace, faciliter nos vies avec la technologie, l’accès plus facile à l’information, et la liberté sont des progrès indéniables, il va falloir apprendre à se réguler, à se gérer et à essayer de revenir à l’essentiel. Cet essentiel s’appelle « nous », l’humanité. Celle qui sou re dans les trois quarts du reste du monde, celle dominée par les enjeux économiques et financiers, celle qui ne fonctionne plus nécessairement à travers des gouver- nements, mais à travers le pouvoir de l’argent, des lob- bies et du capitalisme dans sa version la plus sombre. Mon rêve de demain est celui d’aujourd’hui. Capitali- ser sur cette ouverture du monde qui va enfin nous permettre de mieux comprendre que rien n’est uni- latéral ni certitude, que la notion de sécurité, de besoins, d’envie varie selon les cultures et son histoire. C’est dire oui aux technologies si elles servent réellement le bien commun, mais aussi, et surtout se demander comment, en 2017, peut-on encore être victime de barbarie, mou- rir de faim ou de maladie ? L’Europe qui a donné la paix, doit être aujourd’hui solidaire. Une Europe qui s’ouvre, qui n’a pas peur, celle qui protège et qui défend des valeurs, des principes, qui forment notre dignité. Celle des Hommes et des Femmes que nous sommes et qui aspirent - de Kinshasa à New Delhi, de Ber- lin à Ankara - à vivre heureux, en paix, en dignité et en sécurité. Ce qui nous lie les uns aux autres, c’est bien ce rêve. Ce qui nous porte et nous libère, c’est bien nous, parce que le pouvoir – celui d’accéder à nos rêves -, seuls nous en disposons. ’’Nous sommes notre force et donc notre rêve. Céline Bardet Juriste internationale, fondatrice de We are NOT weapons of warN°138 Décembre 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 55
Inventer ET SI DEMAINHYPERLOOPSAINT-ÉTIENNE-LYON,FAST AND CURIOUSTirée des rêves visionnaires d’Elon Musk, l’idée de placer la capitale ligérienne à dix minutes à peinede la métropole lyonnaise grâce à un train supersonique – hyperloop – se déplaçant à 1 200 km/hpourrait-elle devenir, un jour, réalité ? Les contraintes techniques et financières sont telles qu’uneliaison de ce type entre Lyon et Saint-Étienne semble plus qu’hypothétique. Séduisant au premierabord, un train futuriste aurait des conséquences dramatiques pour l’économie stéphanoisesi le projet ne s’insérait pas dans une réflexion globale d’aménagement du territoire etde gouvernance métropolitaine. Néanmoins, imaginons…REPORTAGE, STÉPHANIE GALLO Saint-Étienne56 Acteurs de l’économie - La Tribune N°138 Décembre 2017
ET SI DEMAIN Inventer« Imaginez…, Au-delà de la boutade, le Stéphanois DES AVANCÉES IMPORTANTESLyon et Saint- Fabien Soler, directeur adjoint du cluster Lorsque les étudiants ingénieurs de Chris-Étienne numérique Digital League, pointe du doigt tian Brodhag se sont emparés du rêvedeviendraient l’évolution majeure que générerait un rap- d’Elon Musk (Tesla et SpaceX) de relierune seule et prochement entre les deux villes. À savoir, Los Angeles à San Francisco en moinsmême non pas la cohabitation de deux clubs de 30 minutes (550 kilomètres), pour leagglomération. historiquement ennemis dans un même plaquer sur une infrastructure stépha-Celle-ci serait périmètre géographique, mais la création no-lyonnaise dans le cadre d’un travailde fait l’égale d’une nouvelle aire urbaine, une méga- scolaire, le projet semblait farfelu, inima-des grandes pole provinciale qui pourrait bouleverser ginable. Deux ans plus tard, l’idée a faitcapitales l’équilibre de la région. La concentration son chemin. À tel point qu’une commis-économiques évoquée ici n’est ni politique, ni écono- sion de travail, pilotée par le Ligérien Dinoeuropéennes. mique, ni administrative. En réalité, elle Ciniéri, s’est même constituée au sein duPourquoi ? est un peu tout à la fois. Il s’agit du rappro- conseil régional. Commission fortementParce qu’elle chement, radical, que pourrait instaurer plébiscitée notamment par les opposants àaurait deux la création d’une liaison hyperloop entre l’A45, voyant là l’opportunité de tordre leéquipes de les deux villes. Sujet posé sur la table, il y cou une bonne fois pour toutes à ce projetfootball de haut a déjà plusieurs mois, par Christian Bro- d’infrastructure autoroutière qu’ils esti-niveau, comme dhag, enseignant-chercheur à l’école des ment d’un autre âge, à contresens d’uneMadrid, Mines de Saint-Étienne, délégué intermi- société plus verte et plus durable. QueBarcelone, nistériel au développement durable entre l’hyperloop soit ou non concurrent deMilan ou Rome. » 2004 et 2008 et vice-président du conseil l’A45, les avancées techniques, lentes mais de développement de Saint-Étienne Métro- encourageantes, permettent aujourd’hui pole. Grâce à cette navette supersonique de s’intéresser à l’idée sans passer pour un – une capsule de transport placée dans hurluberlu des temps modernes. un tube dépressurisé et se déplaçant sur Au-delà de la faisabilité technique d’un un coussin d’air par lévitation magnétique hyperloop et de celle plus spécifique à la vitesse à peine imaginable de 1 200 d’une liaison entre Saint-Étienne et Lyon, km/h –, la capitale des Gaules ne serait au-delà des centaines de millions d’euros plus qu’à 10 minutes à peine de Saint- qu’un tel projet pourrait coûter et du prix Étienne. La force déployée serait d’un g, potentiellement dissuasif du billet associé proche de celle ressentie dans un manège. à un cadencement non satisfaisant, au-delà du problème que pourrait poser une coha- bitation immédiate des supporters de l’Olympique Lyonnais avec ceux de l’AS Saint-Étienne, quelles seraient les consé- quences sur le plan de l’aménagement du territoire, de la politique, de la formation ou encore de l’économie ? Faisons fi de toutes les contraintes et imaginons un futur avec un hyperloop entre Lyon et Saint-Étienne. Les équilibres régionaux pourraient bien être bouleversés. LyonN°138 Décembre 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 57
Inventer ET SI DEMAINUN DÉSENCLAVEMENT DE « Le projet UNE GOUVERNANCE semblait farfelu, MÉTROPOLITAINE À CONSTRUIRESAINT-ÉTIENNE, MAIS À QUEL PRIX ? inimaginable. « Essayons d’être objectifs. La liaison hyper-« Quand la question de l’hyperloop s'est Deux ans plus loop apporterait un plus grand service àinsérée dans l'actualité, nous avons immé- tard, l’idée a fait Saint-Étienne qu’à Lyon, même si les deuxdiatement pensé aux bouleversements qu’a son chemin » territoires opèrent de plus en plus ensembleapportés le TGV dans les années 1980. En et que de nombreux Lyonnais travaillent ouréalité, depuis la révolution industrielle, Ludovic Meyer, directeur adjoint d’Epures, font des affaires dans la Loire. La valeur d’unechaque innovation dans la mobilité a amené illustre la problématique : « Il est possible très forte accessibilité du territoire stéphanoisun nouveau rapport au temps et le découpage d'imaginer que l’hyperloop serait la solution reste plus limitée qu’une très forte accessibi-de nouveaux bassins de vie. La nouveauté aux problèmes d’accessibilité de Saint-Étienne, lité de Lyon », poursuit Olivier Klein. « Desavec l’hyperloop, c’est la réduction à l’extrême l'insérant dans l’orbite de Lyon, et lui permet- entreprises pourraient s’implanter à Lyon oùde l’espace-temps », explique Frédéric Bos- trait ainsi de bénéficier de son rayonnement, elles auraient non seulement accès à Saint-sard, directeur de l’agence d’urbanisme à l’instar du Nord Isère. L’hyperloop serait un Étienne avec l’hyperloop, mais aussi au restestéphanoise Epures. Jean Ollivro, pro- bel atout distinctif dans le paysage national, du monde avec l’avion et le TGV. » La problé-fesseur de géographie à l’université de mais il pourrait y avoir des conséquences matique de cette évasion vers Lyon peutRennes et expert national des thèmes liés inattendues au fait de pouvoir naviguer si être élargie au commerce. Pour quelquesà la vitesse, compare lui aussi l’hyperloop facilement entre les deux villes. » L’urbaniste minutes de transport, les consommateursau TGV : « Une amélioration importante évoque des antennes de services publics stéphanois pourraient être tentés de fairede la liaison entre deux territoires amène ou même d’entreprises privées présentes leurs emplettes dans les grandes enseignesforcément une forte mobilité entre ces deux dans la ville stéphanoise et qui pourraient lyonnaises. « Si un hyperloop devait voir lepoints. » Pour lui, celle-ci conduit presque être purement et simplement rapatriées à jour, il deviendrait absolument indispensablesystématiquement à renforcer la plus Lyon. Car après tout, à quoi bon maintenir de créer une vraie gouvernance économiquepuissante des deux villes. Olivier Klein, une antenne de la Banque de France, ou et politique de cette nouvelle aire métropoli-directeur adjoint du Laboratoire aména- de la Caf, à 10 minutes à peine du siège ? taine afin de gérer les concurrences écono-gement économie transports, laboratoire miques entre les deux territoires. Dans le caslyonnais issu notamment du CNRS et de contraire, les conséquences pourraient êtrel’Université de Lyon, appuie le propos de très néfastes pour Saint-Étienne », assèneson confrère breton, tout en prenant ses Olivier Klein.précautions : « L’ensemble des conséquences Florent Laroche, maître de conférencesne peut pas être évalué aujourd’hui. Cela à l’université Lyon 2 et économiste desdépendra de la manière dont les acteurs pour- transports, rappelle le cas de Swissmetroraient se saisir de ce dossier (particuliers, col- qui a ainsi dû, en 2009, abandonner sonlectivités, entreprises), du tarif du billet, de la projet de relier Zurich à Bâle en quelquesfréquence des navettes, etc. Cela étant, nous minutes par un système de sustentationsavons effectivement qu’une communication électromagnétique. Outre les questions derenforcée profite aux deux villes, mais dans faisabilité technique, les autorités repro-des proportions bien plus grandes à la plus chaient à l’entreprise de vouloir transfor-importante des deux. Non pas en raison de sa mer la Suisse en une gigantesque ville,taille, mais de sa performance et de la qualité avec de simples quartiers. « Il n’est pas tou-supérieure de ses services. » jours bon, pour les aires de marchés, de trop rapprocher les villes. » Ne parlez pas d’hyperloop ! Pour contrer une éventuelle aspiration lyonnaise, les spécialistes d’Epures pré- Surtout…, ne rien dire qui pourrait porter préjudice au brûlant dossier de l’A45. coniseraient un développement décuplé C’est le sentiment global qui ressort des contacts pris avec le monde économique de l’économie servicielle à Saint-Étienne lyonnais et stéphanois très investi dans un collectif en faveur de cette autoroute afin de retenir les acteurs du développe- suspendue aux arbitrages budgétaires de l’équipe Macron. La plupart des interlo- ment sur son territoire. « Tout se jouera cuteurs n’ont pas souhaité se prêter au jeu du « Et si demain… ». Emmanuel Imber- sur sa capacité à faire valoir ses atouts et ses ton, président de la CCI de Lyon Saint-Étienne, François Méon, président de la avantages comparatifs. » Et à transformer délégation stéphanoise de la CCI, Jean-Charles Foddis, directeur de l’Aderly, Dino ses fragilités en force. Parmi celles-ci, Ciniéri à la Région… Aucun n’a donné suite à nos demandes. « Il s’agit d’un tir de l’immobilier. diversion, alors que le projet A45 est ficelé et urgent », nous a tout de même indiqué très brièvement Patrick Martin, président du Medef Auvergne-Rhône-Alpes. Seuls ATTIRER DES LYONNAIS Benoît Fabre et Daniel Villareale, représentants respectifs des organisations ligé- « Avec un hyperloop, certains ménages iraient riennes du Medef et de la CPME, ont accepté de répondre. Mais veulent a cher un probablement s’installer à Saint-Étienne, très fort scepticisme face à l’utilité d’un hyperloop. « L’intérêt serait très limité pour encore faut-il que la ville poursuive sa trans- les entreprises. Nous n’avons même pas encore réussi à mettre des camions sur les formation vers un habitat plus agréable et trains, alors sur un hyperloop… Et puis, moi ce qui m’intéresse vraiment, ce n’est pas plus qualitatif », insiste Olivier Venet,58 Adc’atelluerrs àdeLly’éocnoneonm1i0e -mLianTurtibeusn, emais d’aller à Barcelone ou à Paris en 20 minutes. » agent immobilier et secrétaire général de la FNAIM du Rhône. Saint-Étienne, qui a déjà largement fait évoluer son offre immobilière depuis l’arrivée de Gaël Perdriau à la mairie avec l’émergence d’un certain nombre de programmes N°138 Décembre 2017
ET SI DEMAIN Inventer« L’hyperloop hausse très importante des prix et délo- confiant. Si l’hyperloop devait voir le jour, ilressucite les geant à terme la population en place. « On renforcerait nos pôles de recherche d’excel-bouleversements verrait probablement fleurir des buildings lence. Et faciliterait le recrutement de cher-que le TGV a très chers autour des deux gares », avertit cheurs de haut niveau », conclut Jacquesapportés dans Olivier Klein. Quant à l’aménagement du Fayolle, directeur de Télécom Saint-les années 1970 » territoire, Florent Laroche pressent des Étienne. De nombreux fantasmes et d’im- retombées sérieuses pour l’ensemble des portantes problématiques vont longtempsimmobiliers haut de gamme, devra donc axes de circulation : « Ce projet concentre- entourer ce projet d’hyperloop, cristalli-absolument poursuivre ses efforts si elle rait la majeure partie des budgets transports sant les tensions et produisant des rêvesveut profiter d’un effet hyperloop et s’ins- dans la région pendant des décennies. Or, il un peu fou. Et si demain il devenait réa-crire, pourquoi pas, dans un système de ne répondrait qu’à une partie de la demande. lité, nul ne doute que ce train futuristegentrification. Fabien Soler de Digital Contrairement à une autoroute ou à un TER, devra réussir à satisfaire tous les acteursLeague imagine que « Saint-Étienne pour- il ne dessert par les territoires interstitiels, du territoire. Un nouveau défi – aprèsrait devenir la banlieue de Lyon. Ce n’est pas cela pourrait être dramatique. » L’écono- le pari technologique – qui s’annoncenégatif en soi. Mais reste à savoir quelle ban- miste des transports met également en périlleux.lieue ? Banlieue verte, banlieue huppée ? ». garde contre une fracture sociale, ou éco-« Il est vrai qu’il existe un danger important nomique, qui apparaîtrait entre ceux qui « Saint-Étiennede concentration à Lyon, il faudra mettre en pourraient se payer un billet hyperloop et pourrait devenirplace une vraie politique publique commune les autres. la banlieue de Lyon.aux deux villes. La question de la gouver- Néanmoins, reste deux domaines où Ce n’est pas négatifnance économique sera primordiale », pose toutes les parties prenantes semblent en soi. Mais resteChristian Brodhag. L’effet immobilier d’accord sur les bénéfices d’une liaison à savoir quelleresterait néanmoins circonscrit dans un de quelques minutes entre Lyon et Saint- banlieue ?périmètre très serré autour de la gare de Étienne : la formation et la R&D. « De Banlieue verte,l’hyperloop. Créant, en conséquence, une nombreux diplômes sont accrédités entre Lyon banlieue huppée ? » et Saint-Étienne. Les déplacements seraient alors beaucoup plus simples », sourit Khaled Bouabdallah, président de l’Université de Lyon. « Évidemment qu’on peut le percevoir comme un risque potentiel, avec des diplômes haut de gamme à Lyon et des premiers cycles à Saint-Étienne. Personnellement, je suisLa navette supersonique de l’hyperloop prend la forme d’une capsule de transport placée dans un tube dépressurisé et se déplaçantsur un coussin d’air par lévitation magnétique à la vitesse de 1 200 km/h. Ici, le projet de l’entreprise HTT. © DRUn hyperloop pour trois entreprisesAu niveau mondial, trois entreprises travaillent sur le sujet. Deux d’entre elles sont américaines – Hyperloop One rebaptiséeVirgin Hyperloop One depuis l’arrivée au capital de Richard Branson, et Hyperloop Transportation technologies (HTT) –, latroisième est canadienne, Transpod. Pilotée par le Français Sébastien Gendron, cette dernière compte notamment à soncapital le groupe industriel tricolore Mersen. Cet été, Hyperloop One a annoncé avoir réussi à faire léviter sa capsule pendantplusieurs secondes à 112 km/h. Bien loin donc des 1 200 km/h escomptés, mais la recherche avance. HTT, de son côté, a validéfin octobre la création d’une piste d’essai d’un kilomètre à Toulouse et l’implantation dans la ville rose d’un centre R&D. Elle ad’autres projets en Slovaquie, en Inde, en Corée du Sud, et aux Émirats arabes unis. Son patron, Bibop Gresta, promet mêmeune commercialisation dans moins de cinq ans. Transpod cherche, elle, sa première base. Et elle l’aurait bien vue quelque partentre Lyon et Saint-Étienne, comme l’a évoqué son dirigeant, il y a quelques mois, devant un parterre de responsables sté-phanois plus intéressés par le business que pourrait générer la fabrication d’un hyperloop local que par la liaison elle-même.N°138 Décembre 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 59
Inventer TRIBUNEHYPERLOOP ET Visitant la France en 1787-1790, Arthur Young s’extasiait de l’étatAUTRES DRONES des routes, alors les meilleures d’Europe. Ce réseau semblaitSEMBLENT FAIRE être un atout pour l’industrialisation, avant que le chemin de ferDE LA ROUTE tienne ce rôle. La révolution automobile du XXe siècle a remis au cœurLA VICTIME DU des attentions une route renouvelée par l’autoroute. L’ère du numériquePROCHAIN STADE et de l’électrique pose un nouveau défi : hyperloop, Sea Bubbles etTECHNOLOGIQUE, autres drones semblent faire de la route la victime du prochain stadeCONDAMNÉE À NE technologique, condamnée à ne devenir qu’un souvenir ou un patrimoine,DEVENIR QU’UN comme la RN 7. Certes, les réseaux peuvent connaître des contractions,SOUVENIR OU comme le chemin de fer, réduit de moitié, parfois au profit de vélo-UN PATRIMOINE, routes. Le Haut Moyen Âge a été un moment de déclin des voies romaines,COMME LA RN 7 trop coûteuses à entretenir. Plus récemment, ne peut-on pas voir une rétrogradation, dans la départementalisation d’une grande partie des nationales et la privatisation des sociétés d’autoroutes ? Plusieurs raisons poussent pourtant à croire en leur pérennité. La route est d’abord plastique. Support de la circulation hippomobile, elle s’est muée en domaine du moteur, de la moto au poids lourd, de l’auto- car Macron au covoiturage. Elle a permis l’essor de l’automobile urbaine avant d’être un support de la relance des modes actifs, comme l’il- lustrent les voies sur berge à Paris. Revêtement et abords se sont ainsi adaptés aux circulations successives, en excluant toutefois les usagers incapables de suivre la course de vitesse qu’a ouverte la motorisation. Mais la capacité intégratrice de la route demeure une dynamique fon- damentale. La disparition de la rue, prônée par le mouvement moderne, a fait long feu. L’intérêt pour l’espace public, support de circulation comme de sociabilités, est ancré dans les politiques publiques. Les nouvelles mobilités urbaines renforcent cette dynamique, en ouvrant une période où la mixité pourrait prévaloir sur la séparation des flux.SANS ROUTE, LA DÉROUTE ?Arnaud Passalacqua ENJEU CENTRALMaître de conférencesen histoire contemporaine Ensuite, la route est un enjeu de pouvoir : de la poste aux chevaux deà l'université Paris-Diderot Louis XI aux routes royales de Colbert, la monarchie y a vu le moyen(ICT/LIED) d’assurer son contrôle et de favoriser les échanges. Le poids des ingé- nieurs des ponts et chaussées dans l’administration depuis le XVIIIe siècle reflète cet enjeu, à l’interface entre pouvoir politique et entre- © DR prise privée. Une thématique lisible dans les récents plans de relance autoroutiers. Mais la route sait aussi être le support d’un pouvoir contestataire, celui des blocages qui incarnent les tensions socio-po- litiques. Enfin, la force des réseaux anciens est d’être déjà en place. Face aux défis écologiques, tout projet d’infrastructure se heurte à des difficultés : A45, Lyon-Turin, Seine-Nord, etc. L’échec de l’Aérotrain illustre cette antériorité qui permet les effets de réseau, en faisant passer du rural à l’urbain et de la voirie lourde à la desserte de proximité. Loin d’être marginalisée par les innovations annoncées, la route semble donc armée pour s’imposer comme un enjeu central d’une mobilité soucieuse des territoires et consciente des matérialités.60 Acteurs de l’économie - La Tribune N°138 Décembre 2017
RUBRIQUE DE NOM InventerN°138 Décembre 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 61
LESSECRETDSE L’URBAN LAB
LES SECRETS DE L’URBAN LAB InventerCentre d’innovation ouvert mplanté au sein du pôle Pixel de Villeur-de la métropole de Lyon, banne, le laboratoire Urban Lab cassel’Urban Lab se saisit des outils tous les codes ordinaires des « labo-numériques pour les mettre ratoires ». Il faut dire que ce lieu estau service de la ville pour le moins singulier. Au sein de ceintelligente. Culture, vaste espace aveugle, point de surfaceséducation, urbanisme, immaculées, pas plus de chercheurs ensanté sont ses terrains de jeu blouses blanches et encore moins d’ex-favoris. Ingénieurs, designers, périmentations confinées dans de petiteschercheurs, entrepreneurs éprouvettes. Ici, les murs et les sols sontses partenaires privilégiés. revêtus d’un noir profond, les cher-Plongée au cœur d’un cheurs, véritables Géo Trouvetout, sontlaboratoire pas du tout loin d’avoir tous fait des études scienti-comme les autres et fiques et ce que l’on y expérimente, ceméconnu de la population. sont les usages du numérique. Étrange ? Abstrait ? Impalpable ? Pas tant que cela,IMMERSION, FRANÇOISE SIGOT car depuis sa création en 1998, le labora-PHOTOGRAPHIES, toire Erasme, devenu Urban Lab en 2016,LAURENT CERINO / ADE a été à l’origine de nombreuses réalisa- tions aujourd’hui familières à bien desN°138 Décembre 2017 Lyonnais et même au-delà. Ainsi, dans le Rhône, des parents d’enfants sco- larisés en école ou en collège utilisent quotidiennement l’application laclasse. com pour communiquer avec l’établis- sement sans savoir qu’elle a été conçue par Erasme. Les tablettes tactiles Educa Touch présentes dans de nombreux CDI sont aussi le fruit d’un projet conduit par l’Urban Lab. Autant d’innovations ren- dues possibles par la célérité et la plura- lité des équipes du laboratoire. Car s’il fallait résumer la recette mise en œuvre par ce « do tank » qui transforme des idées en réalisations bien concrètes, l’agi- lité et l’ouverture aux autres en seraient les ingrédients principaux. Le tout avec un objectif : « Permettre à tout acteur de la métropole de pouvoir conduire des pro- jets innovants qui figurent dans notre feuille de route », résume Patrick Vincent, son responsable. Service de la métropole de Lyon depuis 2016, l’Urban Lab concentre en effet l’essentiel de ses efforts en direc- tion de cette collectivité qui se familiarise petit à petit avec cet outil pas comme les autres. Acteurs de l’économie - La Tribune 63
Inventer LES SECRETS DE L’URBAN LABAU SERVICE DES POLITIQUES de ces cadres qui ont pris l’habitude de ARCHITECTURE OUVERTE travailler avec l’Urban Lab. « Cette struc- Pour innover, il s’appuie sur ses six col-PUBLIQUES ture apporte du décloisonnement au sein de laborateurs permanents, spécialistes« Nous organisons régulièrement des réu- notre collectivité. Nous en avons besoin pour du design, de l’animation de groupes etnions de service afin d’exposer notre action innover », résume-t-il. Et les résultats sont de l’accompagnement de projets. Maisaux techniciens de la collectivité et nous les bien tangibles. « L’un des sujets sur lesquels il peut surtout compter sur un écosys-invitons à soumettre leurs problématiques. nous travaillons concerne la qualité de l’air, tème très fourni au sein duquel il puise,Nous leur présentons également certains avec un objectif : révéler l’invisible afin de au cas par cas, les ressources nécessairesprojets qui naissent entre nos murs et qui permettre aux Grand Lyonnais de mieux pour relever les défis. Enseignants, cher-pourraient avoir une valeur ajoutée pour la prendre conscience de la pollution. Grâce cheurs, designers, ingénieurs, socio-collectivité », décrit le responsable. Pour à cet espace, nous avons pu identifier un logues, acteurs de la ville, du domainebien cadrer son action, l’Urban Lab se champ des possibles pour atteindre cet objec- médical, chefs d’entreprise, le laboratoirefixe chaque année une feuille de route. tif et aujourd’hui nous disposons d’un proto- métropolitain fait appel à une pluralitéAprès les jeux et les politiques publiques type », explique Pierre Gréau. Fruit d’un de compétences qui gravitent autour.en 2016, ce sont les nouvelles réalités qui travail de collaboration avec les équipes Certains sont des partenaires réguliers,figurent cette année au programme du du laboratoire et d’ATMO Auvergne- d’autres sporadiques. Une architecturelaboratoire. Entendez par là l’exploration Rhône-Alpes (observatoire de la qualité « agile », où rien n’est imposé afin de nedes opportunités offertes par les techno- de l’air), ce polluscope, le prototype en pas brider la créativité. « Nous travaillonslogies de réalité virtuelle. Chef de pro- question, trône, avec d’autres objets en selon plusieurs formats de créativité. Parjets usages et services numériques à la devenir, au beau milieu de l’Urban Lab. exemple, nous organisons régulièrementmétropole de Lyon, Pierre Gréau est l’un Et il suffit de positionner ses yeux au des sprints créatifs durant lesquels nous centre de ce long tube pour observer les réunissons nos équipes et des partenaires particules fines qui envahissent l’espace extérieurs afin qu’ils trouvent une réponse au sein duquel est implanté le pollus- à une problématique qui nous est soumise cope. Un peu anxiogène pour tout un par un partenaire ou que nous apportons. chacun, mais fort utile pour les acteurs qui travaillent sur la qualité de l’air. Pour mettre au point ce prototype, l’Urban Lab a comme toujours fait appel à son réseau.Régulièrement, le laboratoire organise des sprints créatifs durant lesquels équipes et partenaires extérieurs tentent de trouverune réponse à une problématique.64 Acteurs de l’économie - La Tribune N°138 Décembre 2017
LES SECRETS DE L’URBAN LAB InventerMICHELIN AGITEN FAVEUR DELA MOBILITÉ DURABLE.N°138 Décembre 2017 Retrouvez notre action sur #MichelinTakesAction Sur notre site michel.in/mobilite-durable Acteurs de l’économie - La Tribune 65
Inventer LES SECRETS DE L’URBAN LABDans ce cadre, notre objectif est de trouver réactivité », commente le professeur innovations. Lesquelles sont exposées enla réponse au problème et surtout d’incar- Hung Thaï-Van, chef du service d’audio- permanence au sein de son show-room.ner cette réponse en construisant, en deux logie et d’explorations otoneurologiques à La partie visible de l’iceberg, car nombresemaines, un prototype », explique Patrick l’hôpital Édouard-Herriot qui intervient de travaux ne se transforment pas immé-Vincent. Ces jours-là, autour d’une vaste aussi à l’hôpital Femme-Mère-Enfant de diatement en objets, nouveaux servicestable, tout le monde apporte ses idées, Lyon. Sur le même modèle, mais avec un ou entreprises. Pour autant rien n’estbonnes ou mauvaises. Utopiques, idéa- calendrier plus long, la « R&D partena- perdu. « Nous faisons en sorte de documen-listes, onéreuses, généreuses, toutes les riale » permet de mettre en commun des ter tout ce qui est produit ici. Ainsi, nous nouspistes sont explorées, critiquées, aban- moyens et des enjeux afin de produire de inscrivons dans l’écosystème d’innovation dudonnées ou enrichies des compétences nouvelles solutions de services. « Sur ce territoire et nos recherches sont parfois valo-et des connaissances de chacun. « Ce format, nous avons développé Educa Touch. risées des mois ou des années après avoir étébrassage d’idées et ce croisement de compé- Les tablettes tactiles sont installées dans les conduites », souligne Patrick Vincent. Entences permettent de faire émerger la solu- CDI des collèges du territoire et utilisées garantissant la traçabilité et la pérennitétion », assure le responsable de l’Urban comme support d’apprentissage et de colla- de ce qui est entrepris entre ses murs, leLab. Vient ensuite le temps de passer boration », fait valoir Patrick Vincent. laboratoire s’impose comme un acteur etdans l’atelier du laboratoire pour fabri- un animateur incontournable de l’envi-quer à l’échelle 1 un premier prototype. PROLONGER LE TRAVAIL ronnement de la recherche locale. Ce fai-Une phase de concrétisation qui rend la Loin d’être circonscrit au stade des sant, il amène à lui d’autres acteurs, ainsidémarche encore plus rare. « J’ai été mis idées, le travail de l’Urban Lab consiste la dynamique créative s’entretient et seen contact avec les équipes de l’Urban Lab également à faire vivre ses recherches renouvelle. Un cercle vertueux, substratpour leur présenter ma problématique, qui dans le temps. Pour y parvenir, il peut idéal pour innover. Et demain, un autreétait de faciliter la rééducation des patients compter sur les services de la Métropole défi attend les équipes du laboratoire.atteints de troubles de l’équilibre. Je leur ai qui s’approprient de plus en plus ses « Tout ce qui est produit est open source etfait un bref exposé des troubles de l’équilibre « trouvailles », mais aussi sur un réseau aujourd’hui nos ressources proviennent exclu-chez l’enfant et trois semaines après j’avais de partenaires privés qui se chargent, sivement de la Métropole. Notre ambition estun prototype du « Funambulium », un outil parfois eux aussi, d’industrialiser les de trouver une ou des formes de services plusinteractif de rééducation. Je suis pour- adaptées pour saisir des opportunités de cofi-tant familier de l’univers de l’innova- nancement de nos projets », dévoile le res-tion, mais jamais je n’avais vu une telle ponsable Une fois encore, les équipes de l’Urban Lab promettent de faire bouger les lignes, sans toutefois déroger à l’action qui les guide : demeurer au service des politiques publiques de la Métropole.Loin d’être circonscrit au stade des idées, le travailde l’Urban Lab consiste à faire vivre ses recherchesdans le temps. Du Département à la Métropole Créé en 1998 par le conseil général du Rhône, le laboratoire Erasme (devenu Urban Lab en 2016) était à l’origine implanté à Saint-Clément- les-Places dans les monts du Lyonnais. Depuis cette base rurale, l’outil a d’abord eu pour mission d’accompagner le développement d’infrastruc- tures de réseaux connectés, avec l’objectif d’explorer le champ des pos- sibles pour simplifier l’accès des services publics, spécialement ceux gérés par le Département. En 2002, les missions du laboratoire se déplacent vers les usages du numérique. Les équipes d’Erasme s’investissent alors principalement sur des sujets liés à l’éducation et à la culture. Ce virage vers l’innovation conduit le laboratoire à élaborer ses propres projets de R&D et à élargir ses partenariats pour cibler, inventer et tester de nou- veaux usages du numérique. Le premier pas vers la constitution d’un éco- système riche de partenaires très divers qui permet aujourd’hui à l’Urban Lab de se positionner comme un « do tank » de l’innovation. Un living lab urbain qui n’a quasiment pas d’égal ailleurs. À l’occasion de la création de la métropole de Lyon en 2015, Erasme entre dans le giron métropolitain puis devient Urban Lab. Il concentre aujourd’hui son action sur quatre grandes thématiques : la culture, l’éducation, la solidarité et le « bien vieil- lir », et la smart city.66 Acteurs de l’économie - La Tribune N°138 Décembre 2017
RUBRIQUE DE NOM InventerN°138 Décembre 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 67
Inventer LAUSANNEL’ORLAUSANNE68 Acteurs de l’économie - La Tribune N°138 Décembre 2017
LAUSANNE InventerVERT © Peter CharafUsines de biogaz ou de capture de CeOt d2,uacvhiooncoetlabta, qteuaeusoélretectnrtiqdueessinaiutitaotnivoems erest,ecn’etisstsaauntceœs suurrdleaLausanne, royaume de l’horlogeriescène mondiale dans le domaine de l’environnement. Dans cette ville suisse s’invente, se dessine ets’opère une grande partie des innovations vertes grâce à un écosystème favorable et une politiquede soutien active participant ainsi à la singularité de la cité du bord du Léman.REPORTAG, SAMUEL MAÏON-FONTANA Acteurs de l’économie - La Tribune 69N°138 Décembre 2017
Inventer LAUSANNE innovation helvétique n’est plus à prouver. En tête de proue figure évidemment le Le petit pays eut tôt fait de compenser son célèbre Solar Impulse, un avion élec- absence de matières premières par de mul- trique alimenté par énergie solaire qui, tiples revalorisations et un terreau propice l’an dernier, a bouclé un tour du monde aux startups et à la prospérité entrepreneu- sans une goutte de carburant et aucune riale (lire à ce sujet les numéros 131 et 132 émission polluante. Imaginé dès 1999 par d’Acteurs de l’économie-La Tribune), jusqu’à Bertrand Piccard, rejoint dans son projet se classer comme le pays le plus innovant fou par André Borschberg, à l’École poly- au monde. technique fédérale de Lausanne (EPFL), Déjà compétitive et en avance dans de nom- une telle invention ouvre la voie à bien breux secteurs, la Suisse s’illustre de plus des espoirs. Car pour les deux pilotes, en plus sur le plan de l’économie durable cette performance pionnière n’est que le et en matière d’« innovation verte ». début. En créant le Comité internatio- Nombre d’entreprises suisses misent en nal pour les technologies propres, leur effet sur les technologies durables qui, objectif est bien de fédérer des centaines avec une forte progression sur l'ensemble d’organisations, entreprises et associa- du globe, s’annoncent comme la tendance tions environnementales pour toucher majeure des prochaines décennies. Et l’opinion publique et politique. Côté Lausanne, plus grande ville du canton de développement industriel, le savoir-faire Vaud et terreau fertile aux jeunes startups acquis par les équipes de Solar Impulse technologiques, porte haut les couleurs de va pouvoir se décliner, notamment dans cette « clean technology », vivier de tech- la conception de drones solaires stratos- nologies propres. phériques capables d’œuvrer comme des satellites spatiaux. Airbus et Facebook suivent déjà de très près les tests des prototypes suisses. Quant à l’aviation, les pionniers à croix blanche assurent qu’avec leurs recherches, d’ici une décen- nie, des avions électriques embarqueront quelques dizaines de passagers pour des vols courts ou moyen-courriers. C’est dans le même esprit que la fon- dation Race for Water, sise à Lausanne, vient de lancer pour cinq ans la nouvelle « Odyssée » de son catamaran, dont le système à hydrogène novateur qua- druple l’autonomie solaire. Objectif de cette mission née d’un partenariat avecHistoriquement à majorité rose-verte et longtemps dirigée par un écologiste, Lausanne a fait un pas de plus en 2009 en créant une société anonyme pour70 Acteurs de l’économie - La Tribune N°138 Décembre 2017
LAUSANNE Inventerles équipes de la société avant-gardiste PALLIER LE « TOUT ÉLECTRIQUE » « Si de telles avancéesSwiss Hydrogen et qui accueillera des Ces différentes démarches arrivent à prennent placescientifiques du monde entier : étudier « point nommé », selon Charles-Denis Per- en Suisse, ce n’est pasjour et nuit la pollution des eaux par le rin, actuel président d’une plate-forme de un hasard. C’estplastique, à bord d’un bateau 100 % auto- réflexion politique sur l’approvisionne- surtout un choixnome, équipé de 500 m² de panneaux ment énergétique et la sortie du nucléaire. des pouvoirs publicssolaires avec un système d’électrolyse de « La consommation d’électricité va augmen- et un engagementl’eau de mer. Le président de la fondation, ter », assure cet ancien élu de la ville de de la population »Marco Simeoni, explique que 5 à 10 % Lausanne. Même alarmisme de la partde la production mondiale de plastique des différents professionnels de l’éner- Une énergie transformée en chaleur parfinissent dans les océans et présage pour gie. En cause ? Le plein essor du « tout ces fermes de serveurs qui nécessite des2050 autant de plastique immergé que électrique », qui tente de garantir la pro- climatisations encore plus énergivores.de poissons. « Nous ne nous battons pas gression du numérique. Smartphones, Trouver comment valoriser ces déperdi-contre le plastique, tempère-t-il, mais plutôt voitures, objets connectés, domotique, tions devient donc incontournable pourcontre sa fin de vie. » Et d’expliquer que pompes thermiques, ordinateurs et même casser le cercle vicieux. Dès 2008, enla solution pour l’empêcher d’atteindre montres, les appareils électriques qui Suisse, IBM a ainsi choisi de réutiliserl’eau serait de mieux le valoriser. En doivent se recharger ou rester branchés les 2 800 mégawatts de chaleur annuelsguise d’exemple : une technique qui vise se révèlent de plus en plus nombreux et pour chauffer une piscine publique. Dansà transformer le plastique en gaz puis en gourmands (entre 3 000 et 5 000 kWh des villes comme Genève ou Gland, cetteélectricité en le chauffant entre 800 et par an et par foyer, sans compter l’éner- même chaleur est réutilisée pour chauf-1 050 °C. La technologie est produite par gie dite « grise » relative à la fabrication, fer les immeubles voisins, tandis que desla société franco-suisse Etia et s’apprête l’acheminement et l’élimination de ces certificats imposent l’utilisation d’uneà être testée en terre vaudoise, à Gland. objets). « Si le monde entier possédait des énergie verte, d’origine hydraulique.« En traitant 7 500 tonnes de déchets plas- tablettes, nous n’aurions pas assez d’élec-tique, on produirait de l’électricité pour plus tricité pour les recharger », explique avecde 3 300 foyers suisses », assène Marco pragmatisme un électricien. « Et alors queSimeoni. Le projet global de Race for tout un chacun a recours à des services dansWater permettra, par la même occasion, le nuage, il ne faut pas oublier que le cloud,de sensibiliser les populations en démon- c’est avant tout des ordinateurs qui ont besointrant que des technologies matures et des d’électricité pour stocker des données et desénergies renouvelables fiables permettent ressources dans des data centers », poursuitune réelle transition écologique et affi- un informaticien. Force est de consta-chera ces convictions lors de grands évé- ter que ces gigantesques bâtiments quinements comme la Coupe de l’America pullulent pour un numérique galopantou les Jeux Olympiques de Tokyo. s’avèrent être une plaie pour l’environ- nement, tant la consommation d’énergie est gargantuesque (l’équivalent d’une ville de plusieurs milliers d’habitants).le développement des énergies renouvelables. © FotoliaN°138 Décembre 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 71
Inventer LAUSANNECette dernière fait d’ailleurs partie des « Le gros point réduction de la consommation… quittenombreuses énergies renouvelables et d’interrogation à payer plus cher leurs factures d’élec-des agrocarburants favorisés ou testés en demeure la manière tricité. Mais les objectifs climatiquesSuisse, à l’image du complexe d’Emos- dont nous allons seront sans doute difficiles à tenir en rai-son, près de Chamonix, où plusieurs bar- fournir tant d’énergie son de l’impact écologique de certainesrages produisent près de 3,5 millions de et qui payera orientations. « Et ne déplacerions-nous paskWh/an, pour un débit cumulé de plus les raccordements innocemment la pollution chez les autres ? »,de 400 m3/s, et 51 000 l/s. Ainsi, un spéciaux » s’interroge un électricien.seul litre d’eau du lac peut produire dequoi éclairer une lampe de 40 W durant canton de Vaud (de 0,1 à 0,3 % d’impôt TOUT N’EST PAS VERT5 minutes ! Ces prochaines années, aux sur le capital par exemple, contre de 1,8côtés de technologies innovantes, les à 2 à Genève), ces choix politiques ont Parallèlement à l’Union européenne quiénergies solaire, géothermique, éolienne de quoi convaincre les entreprises du met les bouchées doubles en matière deet hydraulique auront donc encore plus… secteur. Patrick Barbey, directeur de la protection de l’environnement, les Suissesle vent en poupe. plateforme InnoVaud, distingue de son n’ont pourtant pas à rougir de leurs pou- côté d’autres arguments qui expliquent belles, leur pays étant même hissé dansUNE DÉMARCHE POLITIQUE l’attractivité de la région lausannoise : « les premières places par l’OCDE.Et si de telles avancées prennent place Les infrastructures sont riches dans la région Avec des taux de recyclage exemplairesen Suisse, ce n’est pas un hasard. C’est avec des incubateurs et des technopôles bien (dans le peloton de tête au niveau mon-surtout un choix des pouvoirs publics et fournis qui sont autant de lieux adaptés à dial avec plus de la moitié de ses déchetsun engagement de la population. Outre l’agritech et à la cleantech, et à la fois proches recyclés et compostés, un taux plusune forte implication en faveur des des marchés-cibles pour tester au plus près élevé qu’en France en générant plus deentreprises, le soutien à la cleantech est du terrain. » Les aides financières accor- déchets), le système helvétique de gestionparticulièrement important, grâce à un dées aux entreprises innovantes sélec- et de traitement des déchets fait officeécosystème dynamique, des initiatives tionnées sont également légion, jusqu’à de bon élève dans la (re)valorisation despopulaires retentissantes et de nom- 100 000 francs (85 000 euros) à fonds ordures. Pour preuve : la plus grandebreuses subventions aux rénovations. perdus par start-up, le remboursement installation de biogaz inaugurée l’annéeLausanne propose ainsi un crédit de de la moitié d’un dépôt de brevet ou de dernière par Greenwatt dans le canton700 000 francs (600 000 euros) pour les la sous-traitance d’une partie de l’acti- de Vaud sur un terrain de Nestlé et quiparticuliers qui n’auraient pas obtenu le vité, participation financière à la parti- alimentera en électricité un millier desoutien fédéral à une installation pho- cipation à des salons professionnels, etc. ménages en traitant chaque année 28 000tovoltaïque. Historiquement à majorité « De quoi grandement soulager la trésorerie tonnes de matière organique, fournie parrose-verte et longtemps dirigée par l’éco- des entreprises qui se lancent », souligne le les paysans locaux et… le marc de cafélogiste Daniel Brélaz, la Ville a même fait directeur. Même le distributeur d’élec- des capsules usagées de Nespresso. Deun pas de plus en 2009 en approuvant la tricité local joue le jeu en tissant des même, Zurich a vu s’installer la premièrecréation d’une société anonyme (SA) pour partenariats avec les jeunes entreprises usine au monde de capture de éCcOon2.oDmeiesle développement des énergies renouve- innovantes. Des conditions qui nour- déploiements disruptifs pour l’lables, en la dotant d’un capital de 30 rissent ainsi un terreau particulièrement en place mais nécessaires.millions de francs (25 millions d’euros). fertile, où l’innovation fait progresser la Car à l’échelle mondiale, la consomma-Cette nouvelle entité de l’exécutif lausan- transition énergétique, jusqu’à voir muter tion d’énergie devrait bondir de prèsnois vise des investissements de plusieurs progressivement l’approvisionnement. de 40 % d’ici à 2040 et l’alimentationdizaines de millions de francs afin de pro- Alors qu’en France (pays le plus nucléa- des bâtiments va devenir insuffisante.duire d’ici à 2020 au moins 100 GWh/ risé au monde avec 58 réacteurs dans 19 « Le gros point d’interrogation demeurean à partir d’énergies propres. « Depuis centrales), Nicolas Hulot, ministre de la la manière dont nous allons fournir tant2014, tout nouveau bâtiment doit couvrir 20 Transition écologique et solidaire, vient d’énergie et qui payera les raccordements% de ses besoins en électricité par une source d’annoncer le report de la réduction de la spéciaux », note avec beaucoup de scep-de production renouvelable, détaille Denis part du nucléaire de 75 à 50 %, celle de ticisme le gérant d’une entreprise d’élec-Rychner, conseiller de la direction géné- Vaud a chuté à… 19 % (35 % au niveau tricité suisse. « Sur le seul sujet des voituresrale de l’environnement. Une disposition national, moins de 6 % pour Lausanne). électriques qu’on veut systématiser, à l’instarqui s’ajoute à celle, déjà existante, de pro- Yverdon, comme Genève et Bâle, déclare d’un Paris sans essence à l’horizon 2030, ilduire 30 % de ses besoins en eau chaude sani- même un taux d’achat de 0 % au moment faut installer un voire deux transformateurstaire par une source renouvelable. » Normes où les Suisses ont approuvé par référen- de 3 x 1 500 ampères, soit 1 000 kW, pouret certifications sont donc élevées, alors dum une loi interdisant la construction un seul immeuble rien que pour les bornesque la R&D n’est pas en reste, avec le de nouvelles centrales, actant la sortie de recharge automobile, soit autant que pourprogramme « 100 millions pour les éner- du nucléaire par la fermeture progres- toute la consommation ménagère ! Quantgies renouvelables et l’efficacité énergétique sive des quatre centrales que compte la aux éoliennes, l’armée contrôle les sites d’ins-». « Le canton de Vaud encourage et soutient Suisse, favorisant les énergies vertes et la tallation en raison du trafic aérien et, pourle renouvelable, insiste la conseillère d’État le photovoltaïque, nous n’aurons pas assezJacqueline de Quattro. L’État influence de matière première pour en fabriquer pourmême les fournisseurs dans les priorités tout le monde. »et orientations. Une réelle stratégie éner- Faire progresser le secteur est donc ungétique qui s’est imposée après la catas- enjeu primordial pour l’avenir. Des mul-trophe de Fukushima, et provoque le tiples avancées dans le domaine sontdéveloppement d’un écosystème. Conju- incontournables, quand bien même cer-gués aux taux d’imposition attractifs du taines sont balbutiantes. Et sur ce point, Lausanne se révèle être précurseur.72 Acteurs de l’économie - La Tribune N°138 Décembre 2017
RUBRIQUE DE NOM Inventer“ L’INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE EN DIRECT ”1 mois *29 .-d’essai à CHFPapier (uniquement en Suisse) L'Agefi Indices Nos autres titres (selon périodicité)Numérique Code d'accès Tous les contenus agefi.com Archives en ligne, + de 420’000 articles Tous nos titres sur notre App iPad NewsletterAbonnement sur www.agefi.com/abo agefi.com*Cette offre est valable toute l’année et non renouvelable. TVA et frais de port inclus. Acteurs de l’économie - La Tribune 73 N°138 Décembre 2017
Inventer GÉNÉRATION 20502050ON A MARCHÉ SUR LAD’où venons-nous ? Où allons-nous ? Sommes-nous les seuls êtres « intelligents » à peupler lagalaxie ? Après des siècles de questionnement, la confirmation de l’existence d’une forme de viesur Mars ou le relevé de traces de vie sur Titan, l’un des satellites de Saturne, relancent la machineà théories, jusqu’à rendre concevable, en 2050, la présence de quelques Terriens sur la planèterouge. Une conquête qui permettrait à ceux qui restent, sinon de préserver, du moins de prolonger,le capital terrestre. En contrepartie, ce nouveau champ des possibles demanderait à l’humanitéune véritable remise en cause. Pour le meilleur comme pour le pire.FEUILLETON, STÉPHANIE BORG74 Acteurs de l’économie - La Tribune N°138 Décembre 2017
GÉNÉRATION 2050 InventerMARSPLANÈTE Décembre 2050. © FotoliaN°138 Décembre 2017 Après six mois de voyage, suivi au quotidien par près de dix milliards de Terriens, une poignée d’hommes et de femmes s’est posée sur Mars. L’amerrissage s’est réalisé sans trop d’encombre, grâce aux renseignements précis récoltés par des robots envoyés par plusieurs missions précédentes. À commencer par celle de « Mars 2020 », qui a validé des zones sécurisées pré-identifiées par une équipe-projet en 2017, avec laquelle collabore la géo- logue Cathy Quantin-Nataf, rattachée au Centre de recherche astrophysique de Lyon (CRAL). L’équipage est bien entraîné, il est capable de communiquer avec la terre par système de messages interposés − mais différés d’au moins une vingtaine de minutes −, il dispose de tout un arsenal technique avec des batteries de grandes capacités et il est même apte à extraire de l’eau de l’atmosphère. Une technique, améliorée depuis, qui a notam- ment fait ses preuves lors d’une mission de reconstitution de la vie sur mars, financée par la Nasa, organisée en 2016-2017 par l’université d’Hawaï, à laquelle a participé l’astrobiologiste fran- çais Cyprien Verseux. Bien sûr, la conquête spatiale ne se réduit pas à fouler le sol de Mars ou aux annonces spectaculaires du milliardaire américain Elon Musk. Un large volet est consacré à l’astronomie, à la découverte de nouvelles planètes, à l’étude des étoiles, aux satellites et aux télécommunications. Mais il faut bien un objectif ambitieux pour faire rêver le monde et débloquer les ressources nécessaires pour faire avancer la recherche de l’en- semble du secteur. Acteurs de l’économie - La Tribune 75
Inventer GÉNÉRATION 2050« En 2050, nous seronsla première espèce colonisatricede la planète Mars avec unecentaine d’hommes sur place »LA TECHNOLOGIE PORTÉE PAR LE SPATIAL « L’espace est à l’origine © FotoliaLongtemps, les hommes se sont contentés d’observer les étoiles, des nombreuses disruptionslaissant aux écrivains de science-fiction le soin de leur inven- actuelles dont nous ne connaissonster, sur la base de jugements scientifiques souvent truffés d’er- pas encore les impacts définitifs »reurs, un futur dans l’espace. « Observer les étoiles, comprendrel’univers, c’est satisfaire la curiosité humaine. On cherche avant tout DE L’AVÈNEMENT DU MIEUX-ÊTRE SUR TERREà répondre aux questions que l’on se pose sur l’origine du monde. Désormais, le spatial est entré dans une nouvelle ère. Et préfigureÉbranlé par Galilée, Kepler et Copernic, puis plus tard par la théorie déjà nos vies de 2050. D’autant que les perspectives colossalesde la relativité générale et par celle de la gravité, l’homme a pro- de développement attirent − et c’est un fait inédit − les fonds, lesgressivement reconsidéré sa position, déplaçant au fur et à mesure entreprises privées et les startups innovantes. Selon le New Spacele centre de l’univers », rappelle Emmanuel Pécontal, astronome, Global, un cabinet conseil qui analyse pour les investisseurs lehistorien des sciences au CRAL, laboratoire renommé pour ses secteur de l’espace, en quelques années, le secteur spatial dansrecherches multiples (physique des plasmas denses appliquée le monde est passé de 100 à 1 000 entreprises, dont 70 % sontaux étoiles de faible masse, naines brunes et exoplanètes, etc.). installées aux États-Unis. « Sous l’influence des acteurs privés, nousMais le contexte géopolitique des années 1950 et la course aux assistons à une approche par segment de marché. Cela va certainementétoiles que se livrent les États-Unis et l’URSS pour devenir les reconfigurer le secteur, qui, depuis cinq ans, voit arriver de plus en pluspremiers à aller sur la lune entraînent une première rupture de nouveaux acteurs. Parmi eux, de nombreux échecs sont à prévoir,profonde relative à la place de l’homme dans l’univers. « Aupara- mais certains vont percer, sans aucun doute », poursuit Philippevant, les hommes vivaient confinés dans l’enceinte d’une planète et de Lattes. Et ouvrir encore un boulevard à l’innovation spatiale,son atmosphère. Après, ils peuvent sérieusement envisager qu’un jour dont l’effet levier est important : selon les estimations du Centreil sera possible de s’installer durablement ailleurs dans le cosmos », national d’études spatiales (Cnes), un euro investi permet vingtécrivent à ce propos Jean-François Clervoy et Frank Lehot dans euros de retombées pour l’économie, la recherche ou la société.leur livre, Histoire de la conquête spatiale (éd. De Boeck). Un En 2050, grâce à l’espace, une observation plus fine de la terrechangement d’espace-temps qui a conduit à valoriser les filières sera possible, ainsi que le suivi des évolutions des terrains grâcedes sciences et des techniques. « On ne compte plus le nombre aux satellites et à une cartographie plus juste. On pourra mieuxd’étudiants qui se sont inscrits dans ces matières dans les universités comprendre, et donc exploiter, l’érosion des terres arables etaméricaines à cette époque », confirme Francis Pollet, directeur de évaluer la taille des forêts. Nous serons capable de mener unel’école d’ingénieurs spécialistes de l’aéronautique et du spatial vraie politique de l’environnement grâce à une meilleure com-IPSA. Mais surtout, il a favorisé l’émergence de nouvelles tech- préhension du climat. La médecine aura accompli des avancéesnologies, devenues, en 2017, objets de vie quotidienne. « Grâce spectaculaires en continuant à étudier le comportement des osau programme Apollo, on a inventé tous les systèmes d’information, dans l’atmosphère. Au quotidien, il se pourrait que nous nousl’ordinateur portable, le CD-Rom et le téléphone cellulaire », poursuit déplacions en avion électrique sur certaines distances. Grâce àFrancis Pollet. Les hommes ont aussi élaboré la télémédecine – le une technologie capable d’extraire de l’eau du sol ou de l’atmos-premier électrocardiogramme « à distance » a été mené sur un phère, nous pourrons cultiver des terres qui ne le sont pas. Lecosmonaute positionné dans une station spatiale – ou l’IRM. L’es- véhicule autonome, individuel ou collectif sera la norme « à partirpace, grand-mère de la Silicon Valley et donc des GAFA (Google, du moment où nous aurons résolu la problématique des batteries et duApple, Facebook, Amazon), façonne notre société contempo- stockage », estime Francis Pollet. Sans compter l’avènement deraine. Il reste à l’origine des nombreuses disruptions actuelles l’intelligence artificielle, de l’ordinateur quantique, et l’arrivée dedont nous ne connaissons pas encore les impacts définitifs. « Le nouveaux systèmes fréquentiels, peut-être ioniques. Mais la vraiespatial a déjà eu une influence sociétale considérable. La convergence révolution demeure le changement de paradigme.du GPS et du Smartphone a donné naissance à Uber, et par extension,à l’ubérisation. Si le phénomène s’est développé si vite, c’est parce qu’ilutilise des technologies issues du spatial, capables de marcher facile-ment partout dans le monde », analyse Philippe Lattes, délégué auxaffaires spatiales, à la recherche et aux projets européens du pôlede compétitivité Aerospace Valley.76 Acteurs de l’économie - La Tribune N°138 Décembre 2017
SILEX1& SILEX2CRÉATEURSDE BIEN ÊTREPOUR UNE VIEACTIVE - www.saentys.com Crédit photo : Asylum / Conception-création : DÉCOUVREZ DÈS MAINTENANT Acteurs de l’économie - La Tribune 77 NOS NOUVEAUX PROGRAMMES PREMIUM SILEX1 & SILEX2 AU CŒUR DE LYON PART DIEU SUR FONCIEREDESREGIONS.FR Imaginer et concevoir des immeubles tertiaires multi-services, générateurs d’activité, de connectivité et d’innovation… Chez Foncière des Régions c’est, depuis toujours, notre raison d’être.N°138 Décembre 2017
Inventer GÉNÉRATION 2050« La vraie révolution demeure OBJECTIF MARSle changement de paradigme » En 2024, le Cnes va rapporter, dans le cadre de la mission Mar- tian Moons Exploration, des échantillons de Phobos, satellite deCHACUN SON SATELLITE Mars. Une première mondiale. « Compte tenu de l’avancée rapideLe spatial « aura la capacité d’imaginer aussi des services aux citoyens des travaux d’exploration vers Mars, on peut envisager qu’en 2050,de la terre, au plus près de leurs besoins pour une vraie amélioration nous serons la première espèce colonisatrice de la planète Mars avecde leur vie quotidienne », avance Gilles Rabin, directeur de l’inno- une centaine d'hommes sur place », affirme Gilles Rabin. D’abord,vation, des applications et de la science du Cnes. Son objectif : parce que la planète, banlieue de la terre, est accessible en seule-construire une série de partenariats, comme celui récemment ment six à huit mois de voyage – à titre de comparaison, il nousnoué avec LyonBiopôle, afin d’être au cœur de toutes les com- faut actuellement dix ans pour rejoindre Saturne. Autre point enmunautés, au-delà de celle du spatial, pour inventer des services. faveur de Mars : « Elle réunit toutes les conditions d’habitat − l’eau« Le coût du kilogramme en orbite ne cesse de baisser. Nous assistons est présente −, bien qu’on ne sache pas si elle est habitée par une formeà un renversement de la logique : chacun pourra posséder son propre de vie quelconque. Et puis la Nasa prévoit le retour d’objets à l’horizonnanosatellite récoltant ses propres données. Par exemple, un agricul- 2028, un signe encourageant pour faire revenir les hommes », rappelleteur pourra, sur une très grande exploitation, repérer les vaches en Cathy Quantin-Nataf. Mais les astronomes voient encore pluspériode de vêlage. Comme il s’agit du moment où elles produisent le loin. Dans l’optique de leur super grand télescope, apparaissentplus de lait, elles pourront être mieux exploitées », explique Phi- de nouvelles étoiles et des projets encore plus fous qui pour-lippe Lattes. L’agriculture mais aussi de nouveaux services pour- raient, bien après 2050, nous faire sortir du périmètre du systèmeraient bénéficier de la démocratisation de l’accès aux satellites. À solaire. Et les Terriens, dans tout cela ? « L’humanité a envie, maisl’image de Snap Planet, une application mobile développée par à quel prix ? s’interroge Emmanuel Pécontal. Douze astronautes surune start-up toulousaine qui permet de prendre des photos de la Lune ont coûté 180 milliards de dollars d’aujourd’hui pour quelquesla Terre en piochant dans les images fournies par les satellites. kilogrammes de pierre. Serions-nous prêts à accepter le risque de laFace à cette industrialisation de l’espace, « il faudra rester vigilant, mort ? » Pour Cyprien Verseux, qui raconte son expérience danstempère Francis Pollet, et ne pas oublier l’humain dans toute cette le livre Vivre sur mars (éd. Michel Lafon), « l’homme est psycholo-technologie fondée sur une accumulation considérable des données ». giquement prêt, c’est surmontable. Notre équipe a réussi à maintenirPhilippe Lattes va encore plus loin : « Le spatial relève de la sur- ses niveaux de performance et ses capacités de recherche. Nos rap-veillance permanente de ce qui se passe sur la terre. Cela entraîne ports sociaux étaient plus difficiles, et notre quotidien assez monotone,un rétrécissement géographique du monde. Le risque : que l’on donne sans accès à l’air libre ». En conséquence, l’individu sera-t-il prêtnaissance à une civilisation sous surveillance permanente de tout le à abandonner son quotidien fait de travail, de loisirs, de ren-monde par tout le monde. » contres, de déplacement, d’amour, de tout ce qui constitue la vie humaine ? Si l’avenir est sur Mars, l’avenir de l’homme semble pour le moment bien être sur la planète Terre.78 Acteurs de l’économie - La Tribune N°138 Décembre 2017
GÉNÉRATION 2050 InventerGÉNÉRATION 2050 Grâce au programme Apollo, on a inventé tous les systèmes d’information, © NasaL’ÉVÉNEMENT l’ordinateur portable, le CD-Rom et le téléphone cellulaire.Acteurs de l’ économie-La Tribune organise,lundi 11 décembre, la première édition du forumGénération 2050 au musée des Confluences, àLyon. L’occasion de se pencher sur le futur denotre société pour défricher les grands enjeuxéconomiques et sociaux à venir. L’innovation,le collaboratif, le numérique, la robotique...sont autant de composantes d’une révolu-tion qui préfigure le pire, comme le meilleur.Vivrons-nous de grands mouvements sociaux,un accroissement des inégalités et un indivi-dualisme forcené ? Ou au contraire un éveil desconsciences par le savoir, une solidarité renou-velée, et une ère de progrès pour l’Homme ?Demain sera-t-il mieux qu’aujourd’hui ? Tablesrondes et débats rythmeront une journée deprospective riche et exigeante à la fois dansles domaines du management, de l’enseigne-ment, de la santé, de la planète, de la culture ouencore de l’énergie. CHAQUE SOIR, LE 18 19RÉGIONAL Crédits Photos : Éric GANNAT AU MICRO DE MARIE LEYNAUD ET DU LUNDI JEAN BAPTISTE COCAGNE, AU VENDREDI À 18H15 UN TOUR D’HORIZON COMPLET DE L’ACTUALITÉ RÉGIONALE AVEC NOS 11 RÉDACTIONSEN AUVERGNE RHÔNE ALPES.N°1A3n8noDncéec_eJmB bCroeca2g0ne17& Marie Leynaud_18-19_1/2 page_ActEco_231017.indd 1 Acteurs de l’économie 2-4L/1a0/T2r0i1b7un1e9:4749
Inventer CHRONIQUESL’INNOVATION dans tous ses états Pascal Gustin progressivement celui de progrès, et cela à tort. Le technologique pouvait réduire ou augmenter les iné- Président d’Algoé progrès renvoie au développement, à la progression, galités sociales entre des populations d’ouvriers, en à l’essor et à l’évolution, là où l’innovation parle de fonction de leur compétence de départ.Innovation de produit, de service, sociale, organi- changement, de nouveauté, de transformation voire De même, les débats actuels sur la viabilité et l’intérêt sationnelle, réglementaire… la liste serait longue de révolution. de l’hyperloop en sont une illustration. de tous les objets dont se voit affubler l’innovation. Dans les acceptions les plus communes, le progrès Mot valise devenu obligatoire dans tout discours se doit d’être universel et porteur de sens, pas l’inno- Incertitudes de dirigeant et dont les acceptions font l’objet vation. Pour celle-ci, la création de valeurs peut être Dans un univers aussi mouvant et rapide, que prévoir de discussions, le terme d’innovation a remplacé positive pour son concepteur, mais pas obligatoire- face à un futur non défini ? « Le chemin se construit en ment pour son environnement. marchant », dit Antonio Machado, encore faut-il avoir En substituant un terme à l’autre, on ne résout pas la un horizon. Face à ces incertitudes, l’application du « problématique du futur » ni la projection vers de nou- concept de précaution ralentit le cycle de l’innovation, veaux horizons que pose la notion de progrès. Fina- mais engendre d’autres émergences et apporte plus lités et échelles temporelles ne sont pas les mêmes. de questions que de réponses. La maîtrise de l’in- Que ce soit par la technologie ou par de nouveaux novation sous toutes ses formes, qui nous a permis outils, méthodes et savoir-faire, nous savons main- d’évoluer, nous contraint maintenant à poursuivre ces tenant accélérer l’émergence et le développement changements dans une systémique globale, contrai- d’une source incessante de nouveautés ou d’idées gnante et exigeante. La question n’est donc plus com- qui apparaissent innovantes par rapport à un existant. ment innover, mais vers quoi et pourquoi. Comment préfigurer leurs impacts pour l’ensemble de Il nous faut innover de manière différente pour pouvoir leur environnement social et environnemental ? Une « réinventer le progrès », comme Étienne Klein l’appelle étude démontrait en 2015 que la même innovation de ses vœux.LA MOBILITÉ DE DEMAINentre raisonnabilité et compétitivitéFace au poids majeur du secteur des transports Philippe Blanquefort de la mobilité est confrontée au resserrement des dans le changement climatique, aux enjeux Directeur régional contraintes de finances publiques. L’urgence est donc sociétaux, à la dépendance des territoires et de proposer de nouveaux modèles de financement, des personnes, il est essentiel de placer les Auvergne-Rhône-Alpes d’améliorer la performance des transports et de déve- questions relatives à nos comportements en de la Caisse des dépôts lopper des offres innovantes et adaptées aux parti- matière de mobilité au cœur des réflexions en matière cularités des territoires. Il s’agit désormais, outre de d’innovations sociales et techniques. L’enjeu majeur se déplacer plus vite et plus proprement, de limiter © DR du XXIe siècle est à présent de répondre aux besoins le poids financier des infrastructures ou encore des actuels et futurs du marché, des organisations et services offerts pesant sur les budgets locaux. des politiques territoriales relatives aux « mobilités durables » et aux services connexes associés. Réflexion interterritoriale La croissance démographique, conjuguée à la dis- Innover dans la mobilité paraît dorénavant durablement persion des populations - plus d’un français sur deux s’inscrire dans une conception duale où l’inventivité du vit en dehors des centres-villes - rend les besoins moyen de transport le disputera à celle du montage de mobilité aussi aigus qu’exigeants. Ils s’accom- juridique et financier. Aujourd’hui, les acteurs les plus pagnent de la transformation numérique du secteur divers : constructeurs, usagers, collectivités territo- de la mobilité combinant la valorisation des données riales, État, investisseurs de court et de long terme urbaines, de mobilité et le développement lié d’une concourent au financement du transport collectif et offre en matière de stationnement intelligent. De des mobilités alternatives, au moyen d’outils et de fait, les transports et la mobilité durable qui consti- mécanismes de financement inédits. tuent aussi et surtout un vecteur de compétitivité Les infrastructures lourdes telles que l’hyperloop, territoriale, de transition énergétique et de cohésion l’anneau des sciences, les contournements urbains, sociale devront répondre à la demande d’un volume s’accompagnent irrémédiablement d’une réflexion croissant de voyageurs sans ne peser davantage ni interterritoriale ambitionnant d’installer des modes de sur l’environnement ni sur les finances publiques. déplacements complémentaires durables et vertueux Si la valorisation et la dynamisation des territoires dans des villes respirables. Jamais autant de possi- appellent de grands projets en matière de transports bilités n’auront été offertes pour intégrer les enjeux collectifs urbains et interurbains, d’intermodalité et de d’aménagement du territoire et aider les autorités services numériques, leur conception s’inscrit dans organisatrices à construire un nouveau modèle éco- un contexte économique difficile. La problématique nomique de mobilité durable et intégrée.80 Acteurs de l’économie - La Tribune N°138 Décembre 2017
CHRONIQUES InventerLES GAZ VERTSau cœur de la transition énergétiqueLa transition énergétique concourt à l’avène- Sandra Roche Réduction de l’empreinte carbone ment d’un monde en 3D : décentralisé, décar- Directeur new gas L’hydrogène vert représente, à son niveau, une véritable boné, digitalisé. Les gaz verts (hydrogène révolution dans le domaine de l’énergie. Il permet notam- vert, biogaz, méthane de synthèse vert) vont Engie ment de stocker sur une longue durée le surplus d’éner- y jouer un rôle déterminant : d’une part en se gies renouvelables, grâce à un procédé d’électrolyse de substituant aux énergies émettrices de gaz à effet de l’eau. On parle dans ce cas de « Power to gas ». L’usage serre comme le charbon, d’autre part, en complétant de l’hydrogène vert pour la mobilité est particulièrement efficacement les sources d’énergies renouvelables, intéressant puisque les véhicules hydrogène à piles à par nature intermittentes (éolien, solaire). combustible (FCEV) ne rejettent que de l’eau tout en Ils offrent un autre avantage de taille : ils peuvent offrant la même autonomie que les véhicules à moteur être déployés dès à présent dans les réseaux gaziers thermique. Nombreuses sont les collectivités qui misent existant, sans nécessiter de financer de nouvelles aujourd’hui, à nos côtés, sur cette nouvelle technologie infrastructures. afin de réduire leur empreinte carbone. La ville de Pau Enfin, produits à partir de ressources locales, ils a décidé de mettre en service les premiers bus hydro- contribuent à créer une économie circulaire qui génère gène en France, et la région Occitanie est en route pour de la valeur et de l’autonomie pour les territoires. développer des applications de l’hydrogène vert dans les Le biogaz a la particularité supplémentaire de répondre zones aéroportuaires de Toulouse et de Tarbes. Enfin, la à une problématique de plus en plus prégnante : la région Auvergne-Rhône Alpes, dans le cadre de son pro- valorisation des déchets. jet « Zero Emission Valley », vise à développer la mobilité En effet, il est produit à partir de déchets agricoles, hydrogène sur tout son territoire. Grâce à un engagement urbains ou municipaux. Et constitue ainsi un soutien au volontariste de tous les acteurs des filières gaz verts, monde agricole permettant une agriculture raisonnée. ainsi qu’un soutien appuyé des pouvoirs publics favori- À titre d’exemple, Engie construit actuellement dans le sant des contextes financier et règlementaire incitatifs, les Loiret une installation qui, dès 2018, traitera 25 000 dernières études montrent que les gaz verts pourraient tonnes de déchets agricoles par an et produira l’équi- représenter jusqu’à 30 % des consommations de gaz en valent du besoin de 1 900 foyers en gaz. France dès 2030 et jusqu’à 100 % en 2050 ! RÉSEAUX SOCIAUX, quels enjeux pour une entreprise ? Hugo Clemares communication est devenu incontournable pour toutes réseaux sociaux constituant également un support © Engie / Miro / Antoine Meyssonnier, DR Responsable les sociétés, car il offre de nombreuses opportuni- de communication non négligeable, ils peuvent être communication/marketing tés aux professionnels pour générer de l’activité, faire utilisés pour faire de la publicité : achat d'espaces, FBI Rhône connaître leur entreprise, leur service, leur image. bannières publicitaires, création d’événements, etc. Ils Pour réaliser également de la veille concurrentielle représentent également un outil marketing pour dyna-Facebook, LinkedIn, Viadeo... Les réseaux ou encore économique, pour suivre les dernières miser les ventes ou accroître une base de données sociaux attirent de plus en plus de personnes tendances ou effectuer des recrutements. Du fait de clients. Facebook et Twitter ainsi sont très pratiques sur internet chaque mois. Ils deviennent donc leur facilité d’utilisation (contrairement à un site inter- pour communiquer la sortie d'un nouveau produit ou un enjeu pour les entreprises qui doivent net plus complexe à alimenter) et de la fluidité qu’ils lancer une opération événementielle. L'information apprendre à s'en servir pour renforcer leur génèrent dans le partage d’information, les réseaux sera rapidement relayée entre les membres du réseau présence sur ces supports. Ce nouveau canal de sociaux connaissent une croissance exponentielle. si bien que le « buzz » généré permettra d'attirer de nouveaux prospects touchés par la publication. Par N°138 Décembre 2017 Une vitrine de l’entreprise ailleurs, l'utilisation du web se voulant toujours plus Ces sites représentent un vecteur de communication interactive, les internautes n'hésitent pas à donner tout comme les médias classiques, mais présentent leur avis. L’entreprise pourra donc avoir accès à des un coût moindre et donc un retour sur investissement retours d'expérience utilisateurs, étudier l’affluence sur beaucoup plus intéressant. En tant que chef d'entre- sa page ou encore le nombre de personnes ayant prise, auto-entrepreneur ou responsable de TPE ou vu une publication afin d’organiser au mieux sa com- de PME, il est impératif de créer une page au nom munication. Enfin, nombre de recruteurs utilisent les de sa société. Elle contiendra les informations essen- réseaux sociaux (Linkedin et Viadéo pour embau- tielles sur l’entreprise (nom, descriptif, zone d'activité, cher leurs futurs collaborateurs en publiant une offre contacts, etc.) et comprendra un lien qui renverra d'emploi afin de toucher un public très large, et donc vers le site officiel pour générer du trafic supplémen- davantage de candidatures. Une démarche plus active taire. La page doit être la vitrine de l’entreprise. Les pour trouver le candidat idéal. Acteurs de l’économie - La Tribune 81
Inventer RUBRIQUE DE NOM« J’ai déjà contacté BDO. Ils nous envoient une équipe. » BDO, au service des entreprises innovantes5ème réseau mondial d’audit et de conseil, BDO est présent dans 157 pays dans le monde etcompte 42 bureaux en France.Nos équipes dédiées aux jeunes entreprises innovantes, start-up et entreprises de croissancefournissent ainsi des solutions sur mesure : financement – innovation – CIR – JEI – coaching –stratégie de [email protected] N°138 Décembre 201704 72 61 05 76Audit | Conseil | Expertise comptable | Expertise sociale & RHwww.bdo.frBDO est la marque utilisée pour désigner le réseau BDO et chacune de ses sociétés membres. Tous droits réservés BDO 2015 .82 Acteurs de l’économie - La Tribune
Les lauréats de la deuxième édition des InnoWards (de gauche à droite) : Ronald Bronsaer, prix InnoSanté (Cellmade) ; INNOWARDS InventerJean-Michel Amaré, prix InnoJump (Atawey) ; Nicolas Chalvin, prix InnoCulture (Orchestre des Pays de Savoie) ; OlivierNicollin, prix InnoManagement (Nicomatic) ; Bernard Fournier, prix InnoIndustrie (groupe Fournier).INNOWARDSINNOVATIONS TOUS AZIMUTSLa seconde édition du prix InnoWards, organisée par Acteurs de l’économie – La Tribuneen partenariat avec Harmonie Mutuelle, BDO et EDF, a mis en avant cinq démarchesentrepreneuriales innovantes, du territoire Savoie-Mont Blanc. Portées par des personnalitéscapables de sortir des sentiers battus pour se tailler, en toute liberté, une trajectoire pouvantaller du sommet du Mont-Blanc à l’espace en passant par la microcellule, elles symbolisenttoute l’audace d’innover pour de meilleurs lendemains.COMPTE-RENDU, STÉPHANIE BORGPHOTOGRAPHIES, LAURENT CERINO / ADEFaire face aux évolutions sociétales, Après une première mission en 2015, qui fabrication d’hydrogène à partir de l’eau répondre à de nouveaux besoins, a permis d’obtenir un état des lieux des salée de quoi augmenter l’autonomie du aller plus vite dans la recherche, se océans, sa fondation a lancé une seconde bateau de six jours. La protection de l’en- dépasser, se libérer des contraintes opération, baptisée « Odyssée 2017-2021 » vironnement ou la meilleure maîtrise des pour avancer, se prémunir plu- avec l’objectif de sensibiliser à la cause ressources est souvent à l’origine de l’in- tôt que de systématiquement se soigner, environnementale en particulier lorsqu’il novation. À l’image de la start-up Atawey accompagner, rassurer, autant de leviers s’agit des rejets de plastiques. Mais pas de (prix InnoJump, décerné par le vote du et de ressorts qui favorisent l’innovation. mission sans innovation technologique. public, devançant deux autres entreprises Après ses succès entrepreneuriaux, Marco Le 9 avril dernier, son catamaran solaire en lice, Morphosense et Touti Terre) qui Simeoni, président de la fondation suisse (106 000 m² de panneaux solaires, huit a imaginé des stations de recharge d’hy- Race for water, et président d’honneur de tonnes de batteries lithium capables de drogène mobile et rapide. Autre cause à la cérémonie des InnoWards (organisée stocker 750 k/Wh d’électricité) s’est lancé, défendre : la diffusion de la culture, en par Acteurs de l’économie - La Tribune le depuis Lorient, dans ce voyage autour particulier celle de la musique classique. 16 octobre, à Annecy) est motivé par sa du monde. Pour augmenter son autono- C’est la mission de l’Orchestre des Pays volonté, farouche, d’agir pour l’environne- mie de base (72 heures sans soleil), les de Savoie (prix InnoCulture), dirigé par ment et pour la préservation des océans. ingénieurs ont développé un système de Nicolas Chalvin. N°138 Décembre 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 83
Inventer INNOWARDS« Il porte toutes les caractéristiques d’un entre- « Nous avons la volonté de continuer à pro- nationale solide avec les grandes entreprises.preneur. Il a su transformer ses contraintes en duire des meubles uniques, personnalisables C’est la somme des deux qui produit le succèsopportunités. Comme l’orchestre n’a pas de à l’extrême dans les délais prévus, de façon de l’innovation », estime Jacques Longuet,salle attitrée, c’est lui qui va à la rencontre du industrielle », assure-t-il. Un point de vue délégué régional d’EDF Rhône-Alpes*.public. Dans les entreprises, les lieux publics partagé par Erasmia Dupenloup, direc- Autre secteur restant à la croisée deset jusqu’au Mont-Blanc ! Enfin, en choisis- trice du développement des entreprises chemins, entre innovation sociétale etsant d’expliquer les morceaux qu’il s’apprête du pôle de compétitivité Minalogic (et technologique, la santé qui ne saurait seà jouer, il s’inscrit hors des codes du genre », jurée), qui ajoute : « L’entreprise du futur passer de coopération. Il faut soulignersalue André Montaud, directeur général se veut agile, flexible, moins coûteuse, centrée la recherche fondamentale et les décou-de Thésame et juré. autour de l’homme avec une intégration du vertes de Ronald Bronsaer, fondateur de numérique dans la chaîne de production. Et Cellmade (prix InnoSanté), qui a créé uneL’INNOVATION AU SERVICE ce, dans le respect de son environnement. » technologie de culture cellulaire en 3D etDES HOMMES de biomarqueurs capables de prédire desAvec le souhait d’impliquer davantage COOPÉRATIONS À TOUS NIVEAUX états de santé. Pour la développer, il a crééde collaborateurs dans son projet, Oli- L’innovation n’est donc pas la chasse un laboratoire de recherche commun avecvier Nicollin, directeur général de Nico- gardée des startups, ni celles des grands l’université Savoie Mont-Blanc. Sensible àmatic (prix InnoManagement) à adopter groupes. Elle se retrouve à tous les niveaux l’homme, attentive aux enjeux de demainle système de l’entreprise « responsabi- dès lors qu’un changement est nécessaire et respectueuse d’un environnement àlisante » (ou libérée). La PME familiale et trouve son efficacité dans la combinai- préserver : ainsi se dessine le triptyque dede 250 salariés (25 millions d’euros de son des savoir-faire. « Nous disposons d’un l’innovation sur le territoire.chiffre d’affaires) a ainsi progressivement côté de l’agilité et de l’innovation locale avec *Partenaire de l’événement.expérimenté, depuis trois ans, de nou- des startups. De l’autre, une base de R&Dveaux modèles d’organisation. Un processqui a séduit ses partenaires industriels. Les membres du juryRésultats : ses connecteurs pour milieuxsévères se retrouvent jusque dans l’espace, • Patrick Emin, président de French Tech in the Alps, vice-président de Digital Leaguesélectionnés pour entrer dans la compo- • Jérôme Akmouche, directeur du Syndicat national du décolletagesition des outils de la mission ExoMars. • Erasmia Dupenloup, directrice du développement des entreprises de MinalogicSe centrer autour de l’homme, c’est ainsi • Docteur Philippe Zrounba, adjoint du directeur général pour les a aires médicalesle même désir qui guide Bernard Four-nier, président du Groupe éponyme (prix du Centre Léon-BérardInnoIndustrie). Le fabricant et distribu- • Nicolas Forestier, vice-président de l’université Savoie Mont-Blanc en charge deteur, installé à Thônes et spécialiste de lacuisine (marque Mobalpa, Perenne et So la valorisationCook), a transformé son site de production • André Montaud, directeur général de Thésameen usine du futur, avec l’intégration de la • Et l’équipe d’Acteurs de l’économie - La Tribunehaute technologie dans sa production. Lauréats et remettants sur scène. Marco Simeoni, président de la fondation suisse Race for water, et président d'honneur de la cérémonie des InnoWards, avec Serge Delémontex (animateur).« Comment susciter l’innovation », table-ronde entre JacquesLonguet, délégué régional d'EDF en Rhône-Alpes, GrégoireBisson, président de BDO Rhône-Alpes et Abdel Belaroussi,directeur du développement Sud-Est d'Harmonie Mutuelle. Intermède musical avecl’orchestre des Pays de Savoie.
RUBRIQUE DE NOM Inventer Prendre soin de la santé et du bien-être de ses salariés.Mutuelle soumise aux dispositions du livre II du Code de la mutualité, n° Siren 538 518 473, n° LEI 969500JLU5ZH89G4TD57. DirCom - 11/17 NOTRE ENGAGEMENT MUTUALISTE est de construire avec les entreprises des solutions sur mesure pour leurs dirigeants et leurs salariés. Notre réseau d’experts en prévention, en santé et en prévoyance accompagne les entreprises au quotidien : • Diagnostics et accompagnement dans la mise en place de plans d’action. • Boîtes à outils pour mener une campagne d’information auprès des salariés. • Ateliers-formations sur des questions de santé (risques psychosociaux, risques routiers, sécurité…). Découvrez nos solutions sur harmonie-mutuelle.fr/entreprises 04 72 71 21 40 N°138 Décembre 2017 PRÉVENTION • SANTÉ • PRÉVOYANCE Acteurs de l’économie - La Tribune 85 Près de 2 000 délégués s’engagent pour vous.
PATRON HOMOET ALORS ?ENQUÊTE, MAÏTÉ DARNAULT/WE REPORTLes questions d’orientation sexuelle et d’identité de genre ne sont pas censées occuperle devant de la scène au travail. Or elles déterminent en filigrane nombre de relationsentre collègues et de rapports de pouvoir au sein de l’entreprise. Et la problématique del’inclusivité des personnes lesbiennes, gays, bi et transsexuelles (LGBT) demeure un tabou,en particulier dans les PME où les compétences en matière de RH s’avèrent variables.
Comprendre PATRONS HOMOSEXUELSNe pas mélanger « La tendance générale est de repousser cela « La finance estvie privée et vie dans la sphère privée, d’en faire un non-sujet. un milieu encoreprofessionnelle : Il reste malvenu d’en parler car cela renvoie à très machiste,l’adage est une minorité, constate Christophe Falcoz*, où la performanceconnu de tous, spécialiste du management de la diver- est gage de virilitépatrons comme sité, professeur associé à l’Institut d’ad- et les commentairessalariés. ministration des entreprises (IAE) Lyon. qui peuvent fuserDans la pratique, Souvent, les personnes se débrouillent pour sur les lesbiennesil fait plutôt porter un masque “normal”, hétéronormé, sont parfois trèsfigure de dans ce réflexe de déni et aussi parce qu’elles désobligeants »contre-vérité, anticipent le risque discriminatoire. » Invi-que l’on soit sibles, inaudibles ou mal entendus, les Pionnière sur ce sujet, l’Autre Cercledirigeant ou homosexuels sont en théorie protégés par fédère des professionnels LGBT por-exécutant. le Code du travail. À ce jour, la loi recon- tant « la vision [d’]un monde profession- naît 25 critères de discrimination. Alors nel épanouissant, inclusif et respectueux deDepuis une dizaine d’années, des études que les premiers ont été établis à la fin toutes les personnes dans toute leur diver-se sont penchées sur le ressenti des des années 1980, la prise en compte de sité », explique l’association, qui possèdetravailleurs LGBT français, les repré- l’orientation sexuelle (2001) et de l’iden- douze antennes régionales. Celle d’Au-sentations globales des salariés et les pra- tité de genre (2012) est assez récente. vergne-Rhône-Alpes vient de publier untiques actuelles. Elles constatent toutes « En France, les pratiques restent très tour- guide, intitulé « Ne vous privez d’aucunqu’environ deux tiers des LGBT se dis- nées vers les anciens critères, tels le sexe, talent », destiné aux TPE-PME. Selonsimulent au travail ou se dévoilent de l’âge, le handicap. Les obligations légales les l’Insee, elles représentaient en 2015 prèsmanière extrêmement sélective. En 2015, concernant sont plus importantes. Et comme de 99 % des établissements français etun rapport inédit de SOS Homophobie les entreprises ont tendance à agir sous la employaient la moitié des salariés dumontrait que seules 18 % des lesbiennes contrainte, les avancées se sont surtout faites pays. « Là plus qu’ailleurs, tout repose surinterrogées confient à l’intégralité de sur les critères les plus encadrés », explique l’impulsion du dirigeant. S’il n’est pas sensibi-leurs collègues leur orientation sexuelle. Christophe Falcoz. lisé, il ne se passera rien », souligne Chris- tophe Falcoz. Dans les petites entreprises,88 Acteurs de l’économie - La Tribune 2012, LE DÉCLENCHEUR le patron endosse le rôle de régulateur La prise de conscience s’est toute- habituellement dévolu à la DRH dans fois accrue depuis le début des années une grande société, où la communication 2010. L’histoire des mœurs s’écrit bien institutionnelle en matière de diversité souvent par à-coups. Lancé en 2012, le a déjà été éprouvée. Le guide de l’Autre débat autour du mariage gay a servi de Cercle se veut un condensé des bonnes déclencheur : dans le sillage de la Manif pratiques en termes de prévention et de pour tous, la recrudescence de l’homo- savoir-faire : comment aborder le sujet, phobie (introduite en 2003 dans le Code réagir face à un salarié qui décide de se pénal comme circonstance aggravante livrer, ou non, à l’équipe ; quid de la d’un crime ou d’un délit) a poussé les responsabilité managériale et légale du entreprises à se positionner, à sanction- dirigeant de PME. Ce dernier est d’une ner les propos tenus par certains colla- part tenu de recruter et d’accompagner borateurs et à communiquer en interne l’avancement de ses employés sans faire sur la promotion de valeurs inclusives. de discrimination, et il doit d’autre part Cette mobilisation explique les récentes agir en médiateur lorsque des tensions avancées : en 2013, l’association l’Autre ou de potentielles discriminations émer- Cercle a promulgué une charte d’enga- gent au sein de son effectif. « Il a tout à gement LGBT à destination des acteurs inventer, alors qu’il ne dispose pas du tout des économiques. Plus d’une cinquantaine mêmes moyens qu’un grand groupe finan- d’entreprises privées et publiques l’ont cier ou industriel. Or il doit respecter les depuis signée. Une démarche volontaire- mêmes règles du Code du travail », souligne ment novatrice, qui considère la diversité un consultant en relations humaines qui comme une source de valeur ajoutée et a participé à l’élaboration du guide de un argument pour le rayonnement d’une l’association. marque. N°138 Décembre 2017
RUBRIQUE DE NOM Comprendre MIEUX COMPRENDRE POUR MIEUX DÉCIDER L’INFORMATION EQUNOLTIIDGIENNNEE EN AUVERGNE-RHÔNE-ALPES P2A5R0A€N OFFRE DIGITALE 100% NUMÉRIQUE Abonnements groupés : contactez-nous au 04 72 18 09 18 pour profiter de nos offres sur-mesureN°138 Décembre 2017 Rejoignez la communauté des acteurs de l’économie sur acteursdelecAocnteourms deiel’é.ccoonmomie - La Tribune 89
Comprendre PATRONS HOMOSEXUELSUn constat valable quel que soit le « Globalement, « Il faut aller vers lesdomaine d’activité : « Il n’y a pas de sec- jamais une chambre gens, dire les chosesteurs préservés ou facilitateurs, de métiers de commerce et avec le sourire.plus homophiles ou homophobes », rappelle d’industrie ou une J’embaucheCatherine Tripon, porte-parole de l’Autre chambre des métiers régulièrement desCercle. « En tant que dirigeant, mon rôle est ne s’est mobilisée apprentis. Avant mêmede faire en sorte que tout le monde travaille sur le sujet » de faire le contrat, ilsensemble le mieux possible dans le cadre sont mis au courantfixé par la loi et par l’accord de la profession, Si un patron n’est pas habitué à parler que je suis gay, leurstémoigne André Faucon, directeur régio- ouvertement à ses équipes, « c’est d’em- parents aussi s’ils sontnal de France 3 Auvergne-Rhône-Alpes. blée compliqué d’aborder ce sujet sensible. mineurs. Ainsi, si jeJe n’ai jamais caché mon orientation sexuelle, Pour quelqu’un qui est dans le lien, avec tombe sur unmais je ne l’ai jamais mise en avant, si ce n’est qui les échanges sont spontanés, ce sera plus homophobe, ilque je m’autorise à évoquer mon compagnon, simple », résume un consultant RH. C’est a le choix de neà mettre sa photo sur mon bureau. Je n’en fais le cas pour Alain Meynier, ébéniste dans pas signer »pas tout un plat, mais je suis franc. Ça évite la région lyonnaise : « C’est d’abord unela gêne, les rumeurs. Mon attitude oblige question de personnalité. Il faut aller vers Mais la liberté que revendique l’artisanmes interlocuteurs à considérer cela comme les gens, dire les choses avec le sourire. J’em- ne s’accompagne pas forcément d’unnaturel. Il ne m’a jamais rien été reproché. bauche régulièrement des apprentis. Avant engagement militant. « Selon moi, il y aA contrario, dans une autre entreprise de même de faire le contrat, ils sont mis au cou- des causes, mais pas une cause LGBT. Jemédias, des amis ont pu connaître des dif- rant que je suis gay, leurs parents aussi s’ils n’aime pas les étiquettes, je n’ai pas envieficultés parce qu’ils ont été confrontés à des sont mineurs. Ainsi, si je tombe sur un homo- d’être classé. En l’occurrence, j’habite unindividus qui avaient un problème avec cette phobe, il a le choix de ne pas signer. » Sur les petit village à la campagne, je ne suis pasquestion. » chantiers, l’artisan intervient en parallèle très gay pride et compagnie. » Tout l’inverse d’une multitude de corps de métier. « Je de Guillaume Tanhia, ancien manager« JE POURRAIS PERDRE UN MARCHÉ » n’ai jamais eu aucun souci avec les autres de l’hôtel 4 étoiles La Tour rose, à Lyon,Si l’origine des conflits est d’abord d’ordre patrons de PME. Il m’arrive même de faire avant cela cofondateur et rédacteur enprofessionnel, l’effet de groupe peut favo- des blagues, de tourner cela en dérision », chef du mensuel gay Tabloïd, diffusériser les dérapages homophobes : « J’inter- raconte-t-il. Seul bémol à cette ouver- dans le sud-est de la France. « Je n’étaisviens dans l’industrie auprès d’employés dont ture : le rapport aux clients. « Je ne m’af- pas un homo tranquille, en couple, conforme,le bagage académique n’est pas très élevé, fiche pas automatiquement, surtout avec des mais assez délirant, plutôt dans le registrequi occupent des postes à basses qualifica- personnes d’un certain âge. Je ne le dis pas si grande folle. Et c’est plus ma façon de vivretions, explique un consultant en relations je sens que je pourrais perdre un marché », mon homosexualité, de prendre du plaisir,humaines, membre de l’Autre Cercle. Ce concède l’ébéniste. Difficile néanmoins que mon homosexualité en soi qui a déter-sont des groupes massivement masculins qui de déterminer réellement – entre discri- miné ma façon de manager, explique-t-il.se réfèrent à des codes anciens très fermés : mination et autocensure – si l’orientation Par exemple, une réunion à 9 h du matinun homme n’a pas peur, doit maîtriser ses sexuelle d’un dirigeant peut lui faire du n’était pas envisageable. Je fonctionnais surémotions, les femmes sont souvent évoquées tort dans ses affaires ou dans ses relations des contrats d’objectifs, mais jamais avecen tant qu’objets sexuels et le mot “pédé” est au sein d’organisation patronale. des plannings imposés. » Désormais auxcouramment utilisé pour décrire une forme manettes d’une nouvelle aventure entre-de faiblesse. » Le niveau de diplômes n’est preneuriale au Maroc, Guillaume Tanhiacependant pas décisif. « La finance est un continue de prôner la responsabilisationmilieu encore très machiste, où la perfor- de ses employés, mais se fait plus discretmance est gage de virilité et les commentaires sur son orientation sexuelle. « La questionqui peuvent fuser sur les lesbiennes sont par- ne se pose pas car elle n’a pas à être posée.fois très désobligeants, témoigne la direc- Ici, la loi condamne les homosexuels pourtrice d’un cabinet de courtage en Savoie. atteinte aux bonnes mœurs. Je sais qu’il yQuand mon épouse a accouché, seule mon a des gays dans mon équipe mais on n’enadjointe était au courant de la raison réelle parle jamais. Ils ressentent certainement unedu congé que j’ai pris – et auquel j’avais liberté qu’ils n’ont pas dans leur famille, maisdroit ! – à ce moment-là. » je n’ai pas de protection ou de faveur particu- lières à leur endroit. Le but reste de réussir90 Acteurs de l’économie - La Tribune ce projet. » N°138 Décembre 2017
PATRONS HOMOSEXUELS Comprendre © Cédric RoulliatDi cile de déterminer réellement - entre discrimination et autocensure - si l’orientation sexuelle d’un dirigeant peut lui faire du tort dans ses a aires ou dans ses relations au sein d’organisation patronale. Photo issue de l’exposition « Clichés et préjugés ».LOBBY GAY : FANTASME OU RÉALITÉ ?L’ostracisme dont les personnes LGBT sont victimes dans leur milieu professionnel pourrait-il les pousser à privilégier les col-laborations avec d’autres membres de leur communauté, qui partagent un vécu similaire en matière de discrimination ? Celadépend des individus. Et où ces derniers fixent-ils la limite éthique de l’acceptable, c’est-à-dire la ligne de démarcation entre cequi relève de l’entraide légitime mais honnête au regard des histoires souvent douloureuses – homophobie, ravages du sida – etce qui s’apparente à un soutien communautariste invisible et donc discriminatoire, alors comparable aux « mauvaises pratiquesde la mauvaise maçonnerie » ? Il semble qu’une quelconque mainmise d’un supposé « lobby gay » tienne surtout du fantasme, enparticulier dans les milieux économiques et d’a aires. Le business reste le business, et l’argent n’a pas de sexe. « Il pourrait en e ety avoir un « marché gay », convient Alain Meynier, ébéniste dans la région lyonnaise. Mais je ne vois pas l’intérêt de démarcheruniquement une clientèle en particulier. Moi-même, je n’ai pas un autocollant sur ma voiture pour dire que je suis « artisan gay » ! »Pas question non plus pour Guillaume Tanhia, ancien manager de l’hôtel 4 étoiles La Tour rose à Lyon, que son identité sexuelleinflue sur son recrutement : « Je n’ai jamais choisi les gens avec qui je travaillais parce qu’ils étaient gays. J’ai toujours eu envie dem’entourer d’une diversité la plus grande, à la fois par conviction et parce que cela conditionne la cohésion d’équipe. » L’intentionà l’origine de l’association L’Autre cercle n’est d’ailleurs pas la création de débouchés commerciaux, mais bien celle d’un réseaud’entraide, qui fasse œuvre de prévention, rende la cause visible et serve de ressource en cas de « maltraitance » professionnelle.N°138 Décembre 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 91
Comprendre PATRONS HOMOSEXUELS © Cédric Roulliat ÉDUQUER LES FUTURS DÉCIDEURS « Il n’y a pas de Dans les entreprises, la mobilité inter- secteurs préservés Exposition photos « Clichés et nationale et l’interaction avec d’autres ou facilitateurs, préjugés », par le photographe espaces culturels peuvent servir d’ai- de métiers plus Cédric Roulliat, présentée par guillon au management de la diversité. homophiles ou l’association l’Autre Cercle Mais rarement à l’avantage du salarié. homophobes » Auvergne-Rhône-Alpes à la mairie Certains gays sont forcés de refuser un du 3e arrondissement de Lyon, poste à l’étranger dans un pays où l’ho- « Nous n’avons pas l’habitude de ce genre de du 22 janvier au 3 février 2018. mosexualité est considérée comme cri- problématiques, reconnaît François Turcas, minelle. D’autres déclinent l’offre car leur président de la CPME Auvergne-Rhône-92 Acteurs de l’économie - La Tribune conjoint ne pourrait pas suivre, bien que Alpes. Il y a un travail énorme à faire pour motiver le refus auprès de son employeur former nos PME-PMI, pour qu’elles sachent oblige à se dévoiler. « Nous portons une comment procéder. D’autant que les ordon- vision, celle de former des managers res- nances nous obligent à être beaucoup plus ponsables et sensibles à leur environne- responsables. » La récente réforme du droit ment, donc vigilants vis-à-vis de possibles du travail modifie en effet les conditions discriminations, explique Jérôme Rive, du dialogue social dans les entreprises de maître de conférences, directeur général moins de cinquante salariés. Les discus- d’IAELyon et président d’IAE France. sions peuvent y avoir lieu sans aucune Sur d’autres territoires, nous devons éga- représentation syndicale, dans un face-à- lement être porteurs de ces sujets, tout en face exclusif entre employé et employeur. respectant des codes socio-culturels autres. Ce qui n’exempte pas ce dernier de ses Quand nos jeunes partent en mobilité inter- obligations en matière de discrimination, nationale, nous leur rappelons de rester notamment à l’encontre des personnes vigilants, d’être prêts à s’adapter. Même en LGBT. Occident, les avancées sur les thématiques Au-delà de la loi, il ne s’agit pas non plus LGBT sont très récentes. » Dans les PME, d’« une mode », prévient André Faucon : « le profil du patron demeure en majorité « C’est important que des managers s’en- un homme, âgé de plus de 40 ans », pointe gagent, portent des actions collectives. Car le chercheur Christophe Falcoz. Une un individu qui n’ose pas évoquer sa vie pri- génération peu ouverte au sujet, non pas vée devant la machine à café le lundi matin, tant par principe que par ignorance. D’où c’est bien souvent une personne en souffrance. la nécessité d’éduquer les futurs déci- Il n’y a rien de pire que de ne pas assumer deurs au management de la diversité. ce que l’on est, de ne pas pouvoir le faire. » « Aujourd’hui, dans les grandes écoles fran- Ce « stress minoritaire » est un frein aux çaises, on forme encore mal à cette question. performances individuelles. Qui peut Contrairement aux États-Unis, au Canada finir par peser lourd sur la productivité ou au Royaume-Uni, nos élites sont très en de l’entreprise. retard sur les problématiques de discrimina- *Auteur de L’Égalité femmes-hommes au tion, alors que cela devrait faire partie d’un travail, perspectives pour une égalité réelle, bagage de base », considère Christophe éditions EMS, à paraître en janvier 2018 Falcoz. Autre challenge : atteindre les cadres déjà en place. Alors que des sec- N°138 Décembre 2017 tions LGBT sont nées dans la foulée du Pacs, à la fin des années 1990, au sein des grandes entreprises (Mobilisnoo chez Orange, V-Eagle chez Volvo, Per- sonn’ailes chez Air France, Casino Pride chez Casino, Gare! à la SNCF, Rainbhôpi- tal dans les établissements de santé, Flag! dans la police...), aucun réseau transver- sal, hormis l’Autre Cercle, ne s’est foca- lisé sur les PME. « Globalement, jamais une chambre de commerce et d’industrie ou une chambre des métiers ne s’est mobilisée sur le sujet », estime Christophe Falcoz.
RÉFLEXIONS TRIBUNE ComprendreSEXISTES,HOMOPHOBES, Ni mes supérieurs hiérarchiques ni mes collaborateurs. Et pourtant, onHUMOUR est homosexuel tout en étant patron, dirigeant, syndicaliste ou salarié.DÉPLACÉ Et le regard que porte la société sur les homosexuels concerne tout leSUR LE monde, puisqu’il occupe le débat public. Alors s’il faut sortir du bois etHANDICAP, témoigner de son expérience, allons-y, même s’il s’agit d’une prise de risqueLE COMBAT non mesurable ! Sortir du bois, l’expression n’est pas tout à fait exacteEST LE MÊME, d’ailleurs. L’idéal pour vivre son homosexualité dans l’entreprise, c’estL’ÉTHIQUE encore de ne pas y penser. La photo de mon compagnon est sur mon bureau.IDENTIQUE Quand on me demande si ma femme travaille aussi à Lyon, je réponds que mon compagnon est ingénieur dans une grande entreprise à Grenoble. Si l’on me demande si mon épouse m’accompagnera à tel dîner, je réponds que mon par- tenaire de Pacs n’aime pas les mondanités, et lorsqu’un carton d’invitation s’adresse à Madame et Monsieur, je le renvoie en barrant la mention inutile… En quinze ans de responsabilités comme rédacteur en chef puis comme cadre-di- rigeant de France 3 en région, jamais un collaborateur, jamais un responsable hiérarchique n’a fait de commentaire sur mon orientation sexuelle. En tous cas, jamais devant moi. Quelques phrases maladroites ont bien été prononcées. Quelques réactions stupéfaites, mais polies ont été lancées. Puis il y a eu quelques réflexions malheureuses, mais celles-ci, c’est en tant que dirigeant qu’il a fallu les traiter. Car nous sommes patrons avant tout et une partie de la fonction consiste aussi à ne laisser passer aucune attitude ou propos discriminatoire dans l’entreprise. Réflexions sexistes, homophobes, humour déplacé sur le handicap, ou même agressivité verbale entre salariés, le com- bat est le même, l’éthique identique. Aujourd’hui, les outils RH nous permettent de réagir immédiatement. La régle- mentation donne au manager la possibilité de sanctionner. Pas par passion du « politiquement correct » mais par nécessité de créer le climat de confiance nécessaire à l’épanouissement de chacun, quelle que soit son « originalité », quelle que soit sa nature. France Télévisions s’inscrit dans cette démarche et encourage les managers à s’emparer du sujet. Cela n’a pas toujours été le cas. Je me souviens d’un DRH, tournant le regard, alors que je lui expliquais l’importance pour l’entreprise de signer une charte sur la diversité et l’in- clusion à l’image d’autres grandes entreprises. Une mouche passa… et s’égara.QUE JE SOIS HOMOSEXUELNE REGARDE PERSONNEAndré Faucon RESPONSABLE © DRDirecteur régionalde France 3 Se cacher, détourner le regard, ne rien dire. La pire des attitudes pour lesAuvergne-Rhône-Alpes homosexuels ou pour toutes les minorités, quelles qu’elles soient. Nombreux optent pour le droit à l’indifférence, sans reconnaître que cette indifférenceN°138 Décembre 2017 est souvent subie. Ne pas raconter son week-end en famille à la machine à café, ne pas oser parler de son ami(e) à ses collègues, et redouter une cer- taine malveillance. Je n’oublie pas cet ami qui a caché sa « vraie vie » dans une grande entreprise de communication parce que ses collègues et son chef enchaînaient les blagues et les allusions contre les « PD ». Il riait même avec eux, forcément. Comment oser évoquer son homosexualité quand on se sent en milieu hostile ? Je n’oublie pas non plus ce cadre qui n’a jamais parlé de son enfant homo à ses collègues, qui garde pour lui cette part d’inti- mité, cette part de vie privée que beaucoup aiment pourtant échanger dans la vie quotidienne du travail. Dans une entreprise, le bonheur n’est ni assuré ni obligatoire, mais la mise en place des conditions de vivre sa diversité, sa différence sans en souffrir est un enjeu majeur. Patron, dirigeant, sala- rié, législateur, élu du personnel ou simple collègue de travail, chacun est concerné et doit se sentir responsable. Finalement, que je sois homosexuel regarde tout le monde. Acteurs de l’économie - La Tribune 93
Comprendre CHRONIQUES Marion Cabanes Xavier Vahramian Avocat, Avocat associé,LIBÉRALITÉS graduelles contentieux et arbitrage contentieux et arbitrageet résiduelles CMS Bureau Francis CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon Lefebvre LyonLe Code civil de 1804 interdisait, sauf exception, les libéralités gra- duelles et résiduelles. La réforme du 23 juin 2006 a opéré un ren- RUPTURE DE RELATIONS versement total en légalisant ce type de libéralités. Dans le cadre de libéralités graduelles ou résiduelles, le disposant peut donner ou précCiOsMioMnERsC,IpALaErSaÉdTAoBxLeIEsS léguer des biens identifiables à deux gratifiés qui vont en jouir suc- et nouveautés cessivement. Lorsque la libéralité est graduelle, le premier gratifié a l’obliga- tion de conserver le bien donné, et de le transmettre à son propre décès au L’action en responsabilité pour rupture brutale de relations commerciales établies, sur le second gratifié. Le premier gratifié supporte donc une contrainte importante. fondement de l’article L442-6 du Code de commerce, apparaît toujours plus protéiforme, A l’inverse, le second gratifié est assuré de recevoir les biens faisant l’objet offrant aux juges la possibilité d’en nuancer les contours à l’infini. Apportant une précision d’une libéralité graduelle. opportune en pratique, la Cour de cassation juge, dans un arrêt du 1er mars 2017, qu’une Par exemple : dans le cadre d’une famille recomposée, une libéralité gra- reprise des relations commerciales après une première notification de rupture exclut l’exis- duelle de la résidence principale du couple pourra être effectuée au profit tence de manquements graves de nature à justifier, par la suite, une rupture avec un préavis abrégé. du conjoint survivant (premier gratifié) et des enfants du premier lit (seconds Ainsi, une attitude conciliante face à des manquements peut être interprétée comme une forme gratifiés). Pendant toute sa vie, le conjoint survivant sera plein propriétaire du de tolérance et empêcher de s’en prévaloir ultérieurement pour justifier une rupture des relations bien immobilier ; à son décès, les enfants du premier lit deviendront proprié- commerciales sans préavis. Aussi, la prudence commande d’adopter une attitude cohérente et taires de ce bien immobilier. proportionnée. En cas de manquements imputables à son partenaire, leur formalisation est vivement recommandée pour se prévaloir, en cas de litige, de leur existence. De même, toute notification Régime avantageux de rupture causée par des manquements devra être expressément motivée, de façon exhaustive. Lorsque la libéralité est résiduelle, le premier gratifié n’a pas l’obligation de Sans cette précaution, il sera ensuite difficile d’exciper de leur existence pour justifier une rupture conserver le bien donné. Il peut donc le céder s’il le juge nécessaire. En des relations commerciales sans préavis suffisant. La Cour de cassation rappelle, à cette occasion, revanche, s’il conserve le bien reçu, il devra le transmettre au second gratifié que le préjudice résultant de la rupture brutale doit être évalué en considération de la durée du lors de son décès. Exemple : des parents ont un premier enfant qui a lui- préavis jugé nécessaire, peu importe que la victime ait, pendant cette période, identifié - ou tenté même des enfants, et un second qui est lourdement handicapé et ne pourra d’identifier - d’autres débouchés. Ainsi, la reconversion réussie de la victime postérieurement à la pas avoir d’enfants. Ils peuvent envisager de donner ou léguer certains biens rupture n’interférera pas d’une part, sur la durée du préavis manquant et d’autre part, sur le chiffrage à cet enfant handicapé, avec une clause résiduelle au profit de leur autre du préjudice. Ce dernier sera calculé, selon une jurisprudence devenue classique, au regard de la enfant. S’agissant d’un enfant, la clause résiduelle devra porter sur la seule perte de marge brute subie. quotité disponible. Ainsi, l’enfant handicapé pourra bénéficier des revenus des biens donnés ou légués, ou céder ces biens. Résultat paradoxal © Alain Rico - DR Au moment du décès de l’enfant handicapé, si certains de ces biens identi- En parallèle, les difficultés économiques éprouvées par l’auteur de la rupture, invoquées pour justifier fiables subsistent dans son patrimoine, ils seront transmis au premier enfant. un préavis abrégé, ne seront pas prises en considération lorsqu’elles ne relèvent pas d’un cas de Sur le plan fiscal, les libéralités graduelles et résiduelles bénéficient d’un force majeure. Dans ce cas d’espèce, l’articulation de ces paramètres aboutit à un résultat para- régime avantageux : lors de la première transmission, les droits de dona- doxal, aux termes duquel ni les difficultés économiques de l’auteur de la rupture ni la reconversion tion ou de succession sont exigibles. Lors de la deuxième transmission, réussie de la victime ne viennent infléchir la position de la Cour de cassation. Toutefois, cette solu- les droits de de succession seront également exigibles, mais en tenant tion doit être tempérée à la lumière d’un autre courant jurisprudentiel (Cass. com., 12 février 2013 compte du lien de parenté entre le second gratifié et le disposant, et des « Caterpillar »), retenant le contexte économique pour apprécier le caractère prévisible et délibéré de abattements disponibles. La valeur des biens est estimée au moment du la rupture et partant, sa brutalité. premier décès. Enfin, les droits acquittés sur les mêmes biens lors de la Davantage novateur, un arrêt de la Cour de cassation du 20 septembre 2017, directement inspiré première transmission seront déductibles des droits acquittés lors de la d’un arrêt de la CJUE du 14 juillet 2016, approuve la Cour d’appel de Paris d’avoir jugé qu’en pré- seconde transmission. Les libéralités graduelles ou résiduelles permettent sence d’une relation contractuelle tacite reposant sur un faisceau d’éléments concordants (relations donc d’organiser une transmission à double détente, dans un cadre fiscal commerciales établies de longue date, régularité des transactions…), l’action indemnitaire fondée avantageux. sur une rupture brutale de relations commerciales établies relevait de la matière contractuelle et non délictuelle. Cette décision, conforme à la jurisprudence européenne, mais dont la portée reste Olivier Morin encore à définir, pourrait emporter des conséquences majeures sur la détermination de la juridiction Responsable du service compétente et du droit applicable en présence de relations commerciales internationales. gestion privée, Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes94 Acteurs de l’économie - La Tribune N°138 Décembre 2017
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Comprendre CHRONIQUES Bruno Dupuis Espérons aussi que les acteurs dans les branches et Associé senior advisor les entreprises s’emparent des nouveaux outils avec leRÉFORMES, acte 1 même esprit de loyauté. Alixio Un grand pas aura alors été fait dans notre pays pourAvec les ordonnances réformant le Code du passer d’une culture perçue comme d’affrontement, travail, le nouveau cadre du droit du travail à la hauteur des enjeux. Il ne pourra pas se contenter au demeurant assez éloignée de la réalité, à une et du dialogue social en France a enre- de concepts virtuels ou très peu opérationnels, devant culture du dialogue social à la française, accordant gistré un important lifting, digne des lois en particulier s’attaquer avec efficacité à la forma- plus de place à la co-construction, celle-ci n’ayant pas Auroux de 1982. Il ne s’agit toutefois pas tion des demandeurs d’emploi et des moins qualifiés. toujours besoin de la loi.d’une révolution copernicienne de notre modèle social. Espérons que pour les trois prochains actes touchant En effet, à la différence des lois Auroux qui avaientLe nouveau droit n’est pas en rupture avec l’ancien. au domaine social (formation, apprentissage, assu- créé - sans processus de concertation - de nouvellesAu-delà du fond alimentant spécialistes, colloques rance chômage et retraite), cette méthode éprouvée contraintes pour les acteurs de l’entreprise, ces ordon-actuels et bientôt soumis à l’interprétation des juges, il avec succès permettra de poursuivre la transformation nances ouvrent des espaces de liberté et de jeu per-convient de souligner l’exceptionnelle réussite de cette indispensable pour notre pays dans un climat apaisé, mettant aux acteurs des branches et des entreprisesméthode pour ce sujet très sensible. Il faut tout d’abord quelles que soient les tensions de fin de parcours. de forger, par la négociation, les solutions les plussaluer le fait que cet important train de transforma- adaptées.tion du Code du travail soit arrivé « en gare » sans Il reste à souhaiter que toutes les parties prenantesencombre et sans report, selon le planning annoncé. s’emparent des sujets avec un esprit de responsabilitéCela a été possible parce que le Président et son gou- sociale.vernement, d’une légitimité fraîche et indiscutable, ont Ainsi de la nouvelle rupture conventionnelle collectivetrès tôt annoncé la couleur et pris la peine d’emprunter qui ne doit pas seulement permettre, grâce au mirageun processus de gestation innovant et habile. Tout en du chèque valise, de cibler les moins employables ous’affranchissant stricto sensu des dispositions de la les seniors, au détriment de toute logique de compé-loi Larcher de modernisation du dialogue social, ils tences intergénérationnelles.se sont néanmoins inspirés de son esprit. Ils ont ainsi Enfin, sur la gouvernance, un pas plus audacieux auraiteu recours à un processus de concertation intensif et sans doute pu être fait de façon plus incitative que lesdense, respectueux de la démocratie sociale, proces- dispositions limitées sur le conseil d’entreprise poursus salué par presque toutes les parties prenantes contribuer au renforcement du contrat social élémentconcernées et impliquées. clé en période de transformation.Vers une culture du dialogue socialCes ordonnances mettant l’accent sur le volet flexibilité- le volet sécurité pour les personnes se devra d’êtreUNIVERSITÉSDepuis qu’il a été décrété, simplement au nom d’un principe pseudo égali- différence sur son capital matière grise. Dans une même famille, l’égalité des aptitu- taire, que 80 % d’une même classe d’âge devait parvenir à décrocher le des et compétences n’existe pas et il faudrait le nier aveuglément dans la société ? De sésame du baccalauréat, on a ouvert la boîte de Pandore du sacro-saint fait, les jeunes sont d’abord, depuis trop longtemps, les victimes d’un système vicié droit à l’accès à l’université, qui plus est, dans n’importe quelle filière « au dans ses principes, ses blocages, ses certitudes, ses méthodes, ses doctrines etchoix ». Et n’a-t-on pas été jusqu’à demander aux correcteurs de relever l’aveuglement qui les accompagnent (l’ont bien compris les enseignants du public qui mettent leurs enfants dans le privé). À ce stade jamais dépassé, ce débat fondamentalles notes à seule fin d’honorer cet objectif ? Les déficiences trop françaises en et urgent sur l’égalité des sexes qui use de l’écriture dite « inclusive » pour prendre la grammaire en otage.mathématiques n’ont, bien sûr, pas permis de calculer que le nombre des bacheliers La réalité en faceet celui des places disponibles ne coïncidaient pas et, quand bien même on s’en Il semblerait qu’enfin une prise de conscience ait eu lieu. Mais alors, une fois encore, pourquoi la réalité et la vérité sont-elles venues se cacher derrière des contorsions etserait aperçu, il ne fallait surtout pas le dire. Le résultat ? Le Loto du tirage au sort de des acrobaties de langage pour ne pas appeler un chat, un chat ? Pourquoi le « politiquement correct » voudrait-il calmer le jeu et éviter des vagues qui la dernière rentrée avec ses lots d’injustices criantes, ne manqueront pas d’avoir lieu quand les traditionnels opposants se chargent de les organiser via les réseaux sociaux ? Sans doute les vieilles ornières seront difficiles à de désillusions, de rancœur, de découragements. combler et effacer. Pour y parvenir c’est toute l’énergie du pays qui doit s’y consacrer, en regardant d’abord Belle politique de la jeunesse qu’ont laissée en la réalité en face, en la replaçant avec lucidité dans la perspective des bouleversements en cours et à venir, sans préjugés ni ostracismes, en déposant, enfin, au vestiaire friche trop de gouvernements précédents. les couteaux du sectarisme, ceux qui, plus sûrement que toutes autres armes, tuent l’avenir de nos et de vos enfants. Pourquoi nier les évidences ? 80 % des élèves N°138 Décembre 2017 sont-ils au vrai et bon niveau pour entrer à l’université et surtout pour y poursuivre et clô- turer positivement leurs études ? La réalité a © Christian Chamourat, DR démontré bien malheureusement le contraire depuis longtemps, gangrénée, une fois de plus, par cette confusion néfaste entre éga- litarisme et égalité, pendant que, sans étatsJean Lafay d’âme, l’environnement international fera la96 Acteurs de l’économie - La Tribune
CHRONIQUES ComprendreVive l’incompétence CRÉATIVE !Hélène Mugnier levier créatif. Pour ces éponges sensibles à tout ce qui de l’incompétence est inconfortable et risqué. CommentHistorienne de l’art les entoure, le déclic émerge quand (tout comme nous nous inspirer des artistes pour mieux reconnaître malgréet sismographe des mutations, aujourd’hui) ils cherchent à exprimer quelque chose pour tout cette intuition latente de nos limites et en dépasser laexpert APM quoi ils n’ont ni les mots ni les méthodes et outils adaptés. peur ? L’art contemporain est le meilleur laboratoire pour Les meilleurs sont ceux qui assument ce diagnostic critique apprivoiser l’incompétence. D’abord parce que ce sismo-Chacun fait l’expérience quotidienne d’être et repoussent leurs limites techniques en plongeant en zone graphe du présent ne cesse de l’afficher et nous renvoyer dépassé par les situations qu’il a à gérer, de d’incompétence, au-delà de la peur et du risque d’échouer. à la nôtre ! Incompétent, c’est pile ce qu’on reprochait à Notons que l’incompétence n’est pas une absence de Monet : ses tableaux n’étaient « ni fait ni à faire », « même faire ce à quoi il n’a pas été préparé ou de faire savoir-faire, mais bien la perception des limites des acquis pas finis » ! Techniques industrielles obligent, les artistes face à l’objectif recherché. La création artistique repose sur d’aujourd’hui ne font qu’emboîter le pas aux impression- semblant de savoir. Nous continuons d’accorder une aventure expérimentale dans l’incertitude du résultat. nistes : la compétence artistique n’est plus fondée sur le critère technique. Dès lors, cet art si déroutant a priori davantage confiance à nos acquis et best-prac- L’art contemporain, le meilleur laboratoire devrait nous autoriser à reconnaître à notre tour l’obsoles-tices qu’à l’intuition latente de leur obsolescence. Cette Gauguin s’est essayé au marbre, au bois, à la céramique, à cence de nos compétences et à accepter d’être dépassésposture rassurante n’est pas sans risques. À l’inverse, les la gravure avant de révolutionner la peinture. Tant pis pour par les ruptures en cours. Regardez donc un monochrome les règles académiques, le regard personnel du peintre noir de Soulages : en apparence, la compétence du peintreartistes cultivent depuis toujours l’incompétence comme dicte ses lois aux couleurs. Picasso, lui, revendiquait crâne- est quasi-nulle. Qui a fait l’expérience de sa peinture, sait ment son incompétence : « Je fais ce que je ne sais pas pourtant qu’il s’y passe quelque chose : la lumière vibre faire. Si je sais le faire, à quoi bon le faire ? » De fait, arrivé sur la matière au rythme du geste de l’artiste, le silence à Paris en 1900, le jeune surdoué constate que sa gram- et l’espace se dilatent. L’art contemporain invite explicite- maire classique ne lui permet pas de dire la Modernité ment à lâcher prise sur le bien-fondé révolu de nos acquis. industrielle. Qu’à cela ne tienne, il abandonne tous ses Plus important encore, il manifeste ce qui peut émerger de acquis, six ans de remise en question débouchent sur la neuf dans ce renoncement. À son meilleur (comme chez révolution cubiste. Questionner notre propre compétence, Soulages), il dompte la peur de l’incertitude et ré-ouvre les accepter de ne pas savoir et oser expérimenter, le chemin possibles. © DR TPE PME ne vous privez d’aucun talent Acteurs de l’économie - La Tribune 97 L’association l’Autre Cercle Rhône Alpes, dont l’objet principal est la lutte contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle dans le monde du travail, lance une brochure à destination des TPE-PME. Ce document a pour vocation d’aider patrons et sala- riés à mieux appréhender les questions liées au genre et à l’orientation sexuelle dans leur entreprise. Pour consulter ce guide, rendez-vous sur www.autrecercle.orgN°138 Décembre 2017
Respirer ARCHÉOLOGIE Trois barges romaines du 2ème siècle découvertes en 2003.© Laurent Cerino98 Acteurs de l’économie - La Tribune N°138 Décembre 2017
« Parc ARCHÉOLOGIE Respirer Saint-Antoine. Lasfargues, alors conservateur des musées D’ici 2020, archéologiques de Lyon et de Saint-Ro- la place d’Albon main-en-Gal (Isère). « Lyon n’a pas de sera entièrement grande particularité, car la taille de la ville réaménagée. antique est un cran en dessous de certaines Dans le cadre villes européennes comme Rome, souligne du projet Rives Luc Françoise dit Miret, ingénieur au ser- de Saône. »ARCHÉOLOGIELYON, LA NOUVELLE ROME ?Les découvertes s’amoncellent Lyonnais et touristes peuvent lire tout un vice régional d’archéologie de la Direc-depuis des décennies et monde de panneaux informatifs dres- tion régionale des affaires culturellespermettent de mieux comprendre sés entre la patrimoniale et imposante Auvergne-Rhône-Alpes, responsable del’origine de Lugdunum et plus église Saint-Nizier, la jadis galante et Lyon. Néanmoins, elle fait partie des pre-largement de l’époque romaine. aujourd’hui gastronomique rue Mercière mières villes en France à avoir développéNéanmoins, si Lyon est élevée et les quais de Saône, avec vue sur le tout l’archéologie de sauvetage, aujourd’hui appe-au rang des grands sites aussi patrimonial et touristique quartier lée préventive. Ce qui en fait une spécificitéarchéologiques par quelques du Vieux-Lyon, dominé par la colline de symbolique. » En 1986, un décret a d’ail-aficionados, peut-elle être Fourvière, basilique à l’appui. Point de leurs généralisé la réalisation des fouillesconsidérée véritablement départ de tout cela : un nouveau volet du préventives avant tout travail constructif.comme une grande ville de vaste projet lancé en 2002 par le Grand C’est la raison pour laquelle la Ville s’estl’archéologie mondiale à l’image Lyon (aujourd’hui devenu Métropole), rapidement « armée » d’un service actifde Rome ? Pas tout à fait encore visant à rendre la rive de la rivière lyon- spécialisé. En 1933, alors que le mairemême si elle regorge de naise à ses habitants. Composante d’im- de l’époque, Édouard Herriot, est inté-prestigieux vestiges et portance de l’opération : le forage d’un ressé par ces découvertes, la cité lanceaccueille chercheurs nouveau parc souterrain, avec un par- sur un pan de la colline de Fourvière leet étudiants du monde entier. king de 800 places, remplaçant l’actuel. dégagement des vestiges de ce que d’au- Un chantier déclenchant comme souvent cuns croient être le recherché amphi-REPORTAGE, GÉRARD CORNELOUP, en terre lyonnaise une action préalable théâtre romain où furent suppliciés lesROMAIN CHARBONNIER d’archéologie préventive. Un genre d’opé- premiers chrétiens en l’an 177. Mais qui ration menée dans le but de préserver et se révéleront être finalement le diptyqueN°138 Décembre 2017 d’étudier les éléments significatifs du théâtre-odéon antique, où a lieu chaque patrimoine local, menacés par les tra- été le festival des Nuits de Fourvière. vaux d’aménagement au sein de tout un Un atelier de fouilles est alors constitué, ensemble de composantes, des fouilles sous forme d’une équipe de 27 chômeurs préventives aux mesures de sauvetage. engagés en qualité d’ouvriers, œuvrant Un travail de mémoire du sol que la mul- sous la houlette de l’archéologue Pierre tiplication des grands travaux d’aména- Wuilleumier. Ces premières recherches gement du territoire et de constructions s’accompagnent de la création, deux alors lancés a évidemment stimulé. ans plus tard, d’un atelier municipal de L’expression « archéologie préventive » fouilles archéologiques qui devient le pre- aurait d’ailleurs été employée pour la mier service archéologique de collectivité première fois ici en 1979 par Jacques territoriale en France. Acteurs de l’économie - La Tribune 99
Respirer ARCHÉOLOGIEUN SITE DE CHOIX DES FOUILLES ENCORE ET ENCORE Il regroupe aujourd’hui 52 agents, per-Les villes se sont renouvelées au fil des En concertation avec les services de l’État, manents (pour une moitié d’entre eux)siècles en s’édifiant sur leurs propres ruines la Ville crée une politique de sauvegarde ou contractuels (recrutés pour les besoinset les fouilles archéologiques dévoilent du patrimoine, les missions du service temporaires d’une mission ou d’un chan-les occupations successives d’une strate sont redéfinies et son équipe se profes- tier). À leur tête : Anne Pariente. « Sur lesà l’autre, d’un quartier à l’autre, de l’An- sionnalise. L’atelier des fouilles prend trois dernières années, le service a réalisétiquité à notre siècle. Dans cet univers l’appellation de service archéologique, rat- entre quatre et douze diagnostics annuels.tout terrain, la ville de Lyon occupe une taché à la direction des affaires culturelles. Ainsi qu’entre six et neuf fouilles, dontplace de choix, depuis sa fondation en 43 Il est soumis au contrôle scientifique et quatre suivies de travaux », précise-t-elle.av. J.-C. comme colonie de droit romain technique de l’État et est chargé, en col- Et encore, il ne s’agit que des opérationsbaptisée Lugdunum et installée avant tout laboration avec les services compétents du service municipal, les prescriptions dusur la colline de Fourvière, d’ailleurs pré- de l’État via la Drac, de la détection, la service régional de l’archéologie sont « plusalablement occupée par un site gaulois... conservation et la sauvegarde du patri- nombreuses ». « On peut d’ailleurs espérer descomme l’ont confirmé de récentes fouilles. moine archéologique de la ville, mission découvertes tous les mois, soutient FranckDe quoi alimenter les débats entre experts. qui se décline en plusieurs volets comme Perrin. Le plateau de la Croix-Rousse sera le« À l’image de Marseille, Lyon intéresse forte- les opérations archéologiques (archéolo- sujet à venir après celui de Vaise. »ment la communauté spécialisée de l’Empire gie préventive, archéologie programmée,romain, puisqu’il s’agit d’un site sur lequel on découvertes fortuites), allant des études « Il manquea vécu depuis tout temps. Ce n’est pas qu’une scientifiques aux interventions sur le ter- un élément pourpetite capitale régionale », explique Franck rain. En 1991, nouveau changement : le affirmer que LyonPerrin, maître de conférences en protohis- département du Rhône s’octroie les sites ressemble à Rome :toire et en archéologie celtique à l’univer- archéologiques et le musée gallo-romain. nous n’avons passité Lyon 2. Les chantiers se suivent donc La Ville conserve le service, mais procède encore découvertintensément, d’autant plus qu’une loi de à une refonte complète de l’organisation de nécropole »1941 intègre la première protection spé- municipale de la structure, débouchantcifique au patrimoine archéologique et sur l’actuel Service archéologique de la RÔLE SOCIÉTALsoumet dès lors les recherches archéolo- ville de Lyon (SAVL), travaillant en liai- Chaque chantier apporte dès lors sagiques au contrôle de l’État. Pour sa part, son avec le Pôle éducatif local, la Maison contribution à de plus amples connais-la paix revenue, la ville de Lyon étend de l’Orient et de la Méditerranée, etc. sances sur le « matelas historique » dusa politique archéologique au-delà du passé lyonnais mais pas que. Nombreuxseul dégagement de ses monuments. Les sont les étudiants et chercheurs à avoirgrands travaux d’aménagement urbain et fait de Lyon leur objet de recherches afinl’explosion immobilière engagés depuis les de mieux comprendre l’époque romaine.années 1960-1970 amènent à une prise de Depuis quelques années, l’immense etconscience des « risques patrimoniaux ». diversifié chantier de l’ancien Hôtel-Des zones archéologiques sensibles sont Dieu du bord de Rhône s’est imposé enalors annexées dans le Plan d’occupation première ligne dans un domaine biendes sols (devenu Plan local d’urbanisme). particulier : celui des nombreux sque- lettes enterrés là du XIVe au XVIIIe siècle.Découverte en 2006, dans le quartier de Vaise, d’une chambre funéraire. © Ville de Lyon L’étude a montré, matériels et traces à l’ap- pui, que les catholiques y voisinaient avec100 Acteurs de l’économie - La Tribune des protestants et des juifs. « Une véritable expérience humaine sachant l’importance de ces découvertes funéraires liées au rapport des diverses sociétés avec la mort et le respect du corps comme du squelette. Un rôle sociétal qui est toujours celui de notre monde, laïc ou reli- gieux », analyse Anne Pariente. « De plus, dans un monde instable et incertain, il est ras- surant de se plonger dans les racines, donnant les moyens d’aller de l’avant et de se projeter dans le futur. C’est tout l’intérêt de l’archéolo- gie », pense Franck Martin. Ces découvertes peuvent aussi apporter quelques données essentielles, notam- ment pour les architectes actuels. « Les matériaux référencés donnent des clés pour N°138 Décembre 2017
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