de la monarchie savoyarde au milieu de l’indignationdes peuples frémissants. » Ces lignes, vieilles de prèsdes trois quarts d’un siècle, ont été réimpriméespendant les journées de crise de mai 1915 : à traversles années, la parole de Cavour n’avait rien perdu desa vigueur. La maison de Savoie se trouvait ramenée àl’une de ces grandes dates historiques qui sereprésentent pour elle de génération en génération, etc’était pour Victor‐Emmanuel III comme pour toutel’Italie qu’une heure solennelle avait de nouveausonné. Comme son aïeul Charles‐Albert, à qui s’adressaitl’adjuration de Cavour, Victor‐Emmanuel III aurait puprendre pour devise : « J’attends mon astre. » Depuisquinze ans que la mort d’Humbert Ier l’avait appelé autrône, quelle occasion avait eue le successeur du roi «galant homme » et du « re buono » de manifester sesidées et son caractère ? Aucune. L’occasion, soudain, seprésentait avec éclat. Le roi, à ce carrefour, devait agirà la fois comme souverain constitutionnel et commesouverain traditionnel. Il avait à résoudre une crise decabinet impliquée dans une crise nationale. D’une part,il devait agir comme le représentant du pouvoirexécutif dans un régime parlementaire. De l’autre, levœu public, la poussée populaire l’investissaient d’unmandat infiniment plus vaste que celui de consulterdes hommes politiques et de distinguer les volontés dela Chambre pour la constitution d’un ministère. C’estde l’initiative et de la responsabilité suprêmes dans laquestion paix ou guerre que le sentiment généralchargeait Victor‐Emmanuel III. Car la formule « le roirègne et ne gouverne pas » n’a jamais été biencomprise des foules. Du moins, en temps de crise, ont‐elles toujours tendance à se tourner vers le chef de 201
l’Etat, à attendre, sinon à réclamer de lui, des décisionset des actes. On raconte que, durant une des journéesles plus chaudes des manifestations du mois de mai, lafoule s’étant rassemblée devant le Quirinal, le syndicde la municipalité romaine fut reçu au palais et que cebref dialogue eut lieu entre le roi et l’édile : « — Vous venez avec tout le peuple ? » avaitdemandé Victor‐Emmanuel III. Un peu incertain du sens de la question qui lui étaitposée, croyant peut‐être y discerner un blâme, leprince Colonna s’empressa de répondre : « — C’est pour la grandeur de Votre Majesté. » « — Pour la grandeur de la nation, » repartitvivement le souverain. C’est dans l’esprit le plusnational, en effet, que le roi a rempli les deux partiesdu rôle qui lui était dévolu, mais, témoignant une raresouplesse, ce sont des méthodes bien différentes qu’ila employées dans chacune. Pour la résolution de la difficulté ministérielle,Victor‐Emmanuel III s’est montré politique consommé.On lui attribue cet aphorisme qui résume sonexpérience personnelle : « Quand les ministères sontforts, la couronne peut être faible, et quand lesministères sont faibles, c’est la couronne qui doit êtreforte. » M. Giolitti, dont les ministères avaient euautrefois une vitalité exceptionnelle, n’a pas dû, eneffet, dans ses conversations avec le roi, pendant lesjournées critiques de 1915, retrouver l’atmosphère destemps anciens. Et le roi, ayant achevé le tour desministrables, les ayant laissés partir convaincus que laseule politique à faire était celle de M. Salandra, leurayant démontré que, si M. Salandra s’était retiré, c’étaitpar désintéressement personnel, pour prouver qu’il nerecherchait pas la gloire d’attacher son nom à laguerre, — cela fait, le roi avait déblayé la place, 202
liquidé la difficulté parlementaire, et il ne lui restaitplus qu’à rappeler au pouvoir les hommes qui avaientdénoncé l’alliance autrichienne et conclu un accordavec la Triple‐Entente. Ainsi, par un véritable chef‐d’œuvre, le roi avaittraduit constitutionnellement le vœu populaire. Sanscourir les risques d’une dissolution et d’électionsnouvelles dans un pays troublé, en face de la plusgrave des crises européennes, il avait mis fin au conflitqui menaçait d’opposer le Parlement et l’opinionpublique. En sorte que le monde politique doit àVictor‐Emmanuel III une solution honorable du conflit,un apaisement dont plus d’un parlementaire sentaujourd’hui le prix. L’Italie lui doit la décision quiouvre tout l’avenir à la nation italienne, l’oriente versses plus grandes destinées. Le roi a repris les traditionsde sa maison. Il a été ce qu’on attendait de lui : unSavoie. Pour le pays, il a été le guide, le chef, et, dansle sens le plus romain du mot, le dictateur. Son prestigepersonnel est désormais immense. La dynastie n’aurajamais été plus forte, mieux assise, plus populaire dansla péninsule. Et, de nouveau, imitant l’exemple desMazzini et des Garibaldi, des républicains patriotes sesont, par raison d’intérêt national, ralliés à lamonarchie… Est‐on fondé à aller plus loin, à dire (quelquespersonnes le soutiennent à Rome) que le plus grandservice que la couronne ait rendu à l’Italie, dans cescirconstances, ait été de lui faire faire l’économie d’unerévolution ? Si le retour de M. Salandra, si l’interventionet la déclaration de guerre à l’Autriche n’avaient puêtre obtenus, si les partisans de la neutralité l’avaientemporté, aurait‐on pu voir les manifestationspopulaires, arrivées le 15 mai à leur plus haut degré deviolence, dégénérer en un mouvement véritablement 203
révolutionnaire ? Quelques témoins de ces événementsl’ont pensé. « Je n’ai jamais si bien compris la Terreur, »nous confiait l’un d’eux. La princesse X… nousracontait également que, le soir du 15 mai, elle s’étaitcrue transportée en 1793 lorsqu’elle avait vu unebande d’hommes du peuple envahir son appartement :ce n’était, il est vrai, que des orateurs suivis de leursamis et qui avaient jugé que le balcon du palais étaitun excellent endroit d’où haranguer le peuple … Mais,une révolution, de nos jours, et avec les moyenspuissants dont les gouvernements disposent, ne peut sefaire sans le concours de l’armée. L’armée italienne sefût‐elle prêtée à un pronunciamiento ? Se fût‐ilseulement trouvé chez elle l’équivalent de cette Liguemilitaire qui, voilà quelques années, en Grèce, avaitchangé la face de la politique ? Rien ne permet de lecroire, et les Italiens sont unanimes à écarter cettehypothèse. En même temps, toutefois, ils sontnombreux à dire qu’on ne peut prévoir ce qui se seraitpassé si le sentiment public n’avait pas reçusatisfaction, si M. Salandra n’était pas revenu aupouvoir. Et l’on pense en même temps que, si lesneutralistes l’avaient emporté, la répression et mêmeles représailles qu’ils auraient exercées, eussent étésévères. Il nous est arrivé d’entendre soutenir, — cequi est peut‐être exagéré, — que M. Giolitti, enreprenant sa dictature, n’eût pas hésité à faire fusillerGabriele d’Annunzio. Ainsi l’autorité du roi aurait faitfaire à l’Italie l’économie, non pas sans doute d’unerévolution ni même d’une véritable guerre civile, maisau moins d’un trouble grave et prolongé dans l’espritpublic, trouble infiniment dangereux à un moment oùl’Italie, comme tous les peuples d’Europe, ne pouvaitavoir trop de force ni d’union à l’intérieur. 204
Un homme politique italien d’une grandeexpérience, qui a occupé de hautes charges dans sonpays, nous disait avoir remarqué que nulle part, enItalie, on n’avait poussé le cri de : « Vive la guerre ! »aussi longtemps que le gouvernement ne s’était pasprononcé. La guerre était dans les vœux de la nation.Mais, comme l’armée elle‐même, la nation attendait lemot d’ordre royal, le commandement du chef suprême.Ce que traduisaient avant tout les manifestationspopulaires, c’était la fierté nationale blessée parl’intervention allemande, c’était l’indignation causéepar le sentiment insupportable que des influencesétrangères tentaient de peser sur la politique de l’Italie.Les observateurs ont été frappés, en effet, par la forceavec laquelle, pendant ces journées d’émotion, l’idéede trahison s’était emparée de l’esprit public. Il faudrase souvenir qu’on disait à Rome, en mai 1915, « Bülowet Macchio », à peu près comme on disait « Pitt etCobourg » à Paris en 1793. Voici, d’ailleurs, un trait quis’ajoute à ceux que nous avons déjà cités : on a puvoir, dans la grave journée du 15 mai, les employésdes ministères manifester, en corps, en faveur de M.Salandra. Que des fonctionnaires n’aient pas craint defaire éclater leurs sentiments et de se compromettre(jusqu’à maltraiter matériellement certains hommespolitiques), ce serait, dans tous les pays du monde, untrès grand symptôme. C’est un des signes de l’émotionredoutable que la parole de Victor‐Emmanuel III estvenue soulager. Mais si pourtant le roi avait dit non ? S’il avaitpréféré les calculs du neutralisme aux risques de laguerre ? Oh ! alors, il est plus que probable qu’aprèsquelques mouvements tout fût rentré dans le calme. Leroi eût trompé l’espoir des patriotes, déçu desaspirations historiques. Mais il eût eu avec lui, 205
personne ne songe à se le dissimuler, non‐seulement lamajorité de la Chambre et du Sénat, mais encore, dansla masse profonde de la population italienne, la partierurale surtout, attachée, là‐bas comme ailleurs, aurepos, ennemie du changement, résignée aussi à suivreles impulsions dont le signal est donné par les grandesvilles, elles‐mêmes conduites par leurs élites. * Les Italiens ne sont pas médiocrement fiers del’énergie qu’ils ont déployée, du goût de l’action qu’ilsont manifesté dans ces circonstances. « La criseeuropéenne a montré d’une part des peuples qui ontrépondu à une provocation ; d’autre part, des peuplesqui ont aveuglément suivi leur gouvernementagresseur. Tous ont accepté une situation créée à leurinsu ou imposée par la force des choses. Nous seuls,en accord avec notre gouvernement et notre roi, nousseuls avons choisi, nous seuls avons voulu notreguerre. » Ainsi dit‐on en Italie, et non pas à tort. C’est,en effet, il ne faudra pas l’oublier, un mouvementpopulaire puissant et profond qui a poussé l’Italie àintervenir. Et ce mouvement a trouvé, pour le diriger,une dynastie nationale, pour l’exalter un poète. Enmême temps, des hommes politiques de la hautevaleur de M. Salandra et de M. Sonnino, d’uneampleur de vues et d’une droiture qui n’auront jamaisété dépassées en Italie, auront eu, durant ces joursdécisifs, la charge du gouvernement. C’est une page deson histoire dont l’Italie aimera à se souvenir. C’est unesorte de préface et de préparation à sa guerre nationalequi mérite une admiration élevée. 206
Note8 Parecchio est un terme qui s’emploie surtout dans le langagepiémontais. On l’a traduit en français par « quelque chose ». Le vraisens serait plutôt « un certain nombre de choses », et même, étantdonné le caractère familier de l’expression, « pas mal de choses ». 207
CHAPITRE VIII — L’AVENIRLes objectifs de l’Italie. — L’« égoïsme sacré ». — Le réalisme italien et le principe des nationalités. — L’Italie et l’Allemagne : pourquoi elles attendent toutes deux une déclaration de guerre. — Hypothèses sur le rôle de l’Italie dans un futur Congrès. — Le « coussinet » autrichien. — Menaces du pangermanisme. — « La guerre qui doit fonder l’Europe centrale. » — Politique future de l’Italie dans les Balkans et en Orient. — Avenir des rapports franco‐italiens. — Raisons de croire à une entente durable et à une amitié prolongée. L’Italie sait parfaitement ce qu’elle a fait et cequ’elle a voulu en entrant dans la guerre européenne.Elle s’est défini à elle‐même avec clarté ses intentionset elle a eu, dès le point de départ, une conscienceadmirablement lucide des objectifs qu’elle se proposait. Ces objectifs (il importera de toujours se lerappeler) sont au nombre de quatre. D’abord, lareprise sur l’Autriche des terres irredente, de Trieste etdu Trentin. Ensuite, la domination de l’Adriatique et lemaintien de l’équilibre dans les Balkans.Troisièmement, la consolidation des résultats obtenusdans la mer Egée par l’occupation du Dodécanèse,préface du développement de la pénétration italienneen Orient, spécialement en Asie‐Mineure.Quatrièmement, enfin, l’affirmation de l’Italie commegrande puissance européenne, affranchie de toutesubordination, de toute servitude vis‐à‐vis de qui quece soit. C’est en face des Empires du Centre, c’est enface de l’Allemagne, si imposante encore par sesressources militaires, que l’Italie, en 1915, a proclamé 208
sa complète indépendance, sa volonté de se joindreaux peuples en lutte contre une entreprised’hégémonie. Dernière venue dans la haute sociétédes nations européennes, un peu regardée jusque‐làen cadette de l’hexarchie, l’Italie, par son initiative, sesera définitivement classée Etat de premier ordre. A cepoint de vue, l’intervention aura été le couronnementde toute sa politique depuis 1870. Elle aura même étécomme une reprise agrandie, étendue au champd’action européen, de la célèbre formule : fara da se.Bon pour des peuples de seconde catégorie detrembler devant l’Allemagne. Guillaume II en aura faitl’expérience : l’Italie, à l’avenir, ne devra plus être prisepour le satellite de personne. Imprudent quiméconnaîtra qu’elle se trouve désormais à égalité avecles plus grands. Quoiqu’il arrive, quelle que soit l’issue del’entreprise des alliés, voilà, pour le peuple italien, unpremier résultat acquis. Ce bénéfice politique et moralne lui sera plus enlevé. D’autre part, rachètera‐t‐il auprix du sang les villes et les provinces réclamées parl’irrédentisme ? Restaurera‐t‐il l’Empire vénitien sur uneAdriatique qui aura cessé de lui être « très amère », où iln’aura plus à subir le voisinage d’une Autrichefavorisée par les meilleurs ports, par des îles et descôtes hospitalières ? Ce sont des secrets qui reposentencore dans le sein de l’avenir. Mais, dès maintenant,l’Italie a réalisé son hypothèque sur Vallona, ceGibraltar albanais. La possession de Rhodes ne lui estplus contestée. Matériellement non plus, elle ne sortirapas de cette guerre les mains vides. Ce qu’il convient de ne pas perdre de vue, c’estque la guerre qu’a faite l’Italie est surtout une guerred’expansion et de conquête. Ni la France, nil’Angleterre, ni la Russie, pour ne parler que d’elles, ne 209
sont entrées en campagne avec des viséesd’agrandissement. On le sait de reste : il s’agissait pources puissances de défendre leur vie, de résister à uneattaque et à une menace de destruction. Il y a là, aupoint de départ, entre l’Italie et les Alliés, unedifférence sensible. Cette différence n’affecte nullementleurs rapports. Elle n’entrave pas l’œuvre commune.Mais on aurait tort de l’oublier. C’est un fait dont ilconvient, comme de tous les faits, de tenir compte. Ilpeut, dans telle ou telle circonstance, impliquer un étatd’esprit qui soit particulier au gouvernement et aupeuple italiens. Nous avons essayé de montrer, au cours de ce livre,comment et dans quelle proportion se sont combinésl’idéalisme et le réalisme pour former la politique del’Italie contemporaine. Mais cet idéalisme lui‐même,nous lui avons trouvé un caractère dominant. Nousavons reconnu qu’il était surtout nationaliste. « Egoïsmesacré » : le mot fameux, le mot historique, qui avait faitnaître tant d’hypothèses, et que M. Salandra avaitprononcé au moment où l’orientation de l’Italie étaitencore incertaine, ce mot est l’expression profonde dela pensée italienne. L’égoïsme, quand il s’applique auxnations, devient un devoir et une vertu. Il se purifie.Ne s’agit‐il pas du sort de millions d’hommes vivants,de millions et de millions d’hommes à naître ? Cetégoïsme‐là, les gouvernements qui n’en ont pas lesentiment sont coupables, ils sont d’une dangereusemalfaisance. Les peuples qui le méconnaissents’exposent à de cruels réveils. Oh ! ce cas ne sera pascelui du peuple italien. Il est parti pour cette guerre,pour « sa » guerre, avec la notion la plus claire de sesintérêts. On lui a dit, et il a parfaitement compris, qu’ilne faisait pas une guerre de magnificence ni uneguerre de principes, qu’il se battait pour lui‐même et 210
non pour le voisin. Il ne faudrait pas en conclure, toutefois, que l’Italiefût restée indifférente aux attentats dont le mondecivilisé est témoin depuis bientôt deux ans. Rien neserait plus injuste, rien ne serait plus faux. Le sort de laBelgique a soulevé l’indignation de l’opinion publique.Lorsque les armées allemandes marchaient sur Paris,l’Italie était dans l’angoisse, et la victoire de la Marne,qui arrêtait l’invasion, la soulageait d’une anxiétécruelle. L’Italie est bien loin d’être insensible au bondroit : mais elle répugne à faire de la justice et du droitpur les maîtres absolus de sa politique. Elle n’estnullement incapable d’enthousiasme et de générosité.Mais elle ne veut pas être généreuse à ses dépens. Elleest réfractaire au sacrifice. En sorte que cet Etat, fondésur le principe des nationalités, qui a bénéficié jadis del’engouement qu’excitait la cause des peuples, serefuse lui‐même, — et très franchement, — à servir ceprincipe sans examen ? à défendre cette cause sansréserve. Il existe, sans doute (car rien ne pousse deprofondes racines comme une idée), une importantefraction de l’opinion italienne sur qui les doctrines dela Révolution et du libéralisme français sont encoreagissantes. La présence des garibaldiens en Argonne ena fourni la preuve. Le Secolo, par exemple, qui a tantfait pour l’intervention, a parlé le langage del’idéalisme démocratique, celui de la plupart desjournaux français. Et si cet élément n’a pas laissé decontribuer au mouvement qui a entraîné l’Italie dans lalutte, ce n’est pas lui pourtant qui aura été décisif. Lesdoctrines libérales traditionnelles ont été, depuis delongues années, dissociées par la critique italienne.Quant au public, il est amateur de ces discussions dephilosophie politique et elles ont été vulgarisées à son 211
usage. Nous nous souvenons même d’avoir lu, il y adeux ans, dans un journal populaire, sous la signatureimprévue de M. Luzzatti, une analyse des Droits del’Homme où paraissait bien de l’ironie et que, cheznous, aucun homme politique, même conservateur,n’eût osé signer par respect pour les idées reçues et lesdoctrines établies. L’Italie qui, dans cette guerre, aura travaillé pourelle‐même, risquera donc de rester étrangère àcertaines considérations théoriques ou sentimentalesqui, semble‐t‐il, conservent de la valeur aux yeuxd’une partie au moins des Alliés. Qu’il s’agisse, parexemple, en un futur congrès, d’organiser l’Europeconformément au principe des nationalités, comme ilen aura été si souvent question chez nous et chez lesAnglais, on peut douter que l’Italie se trouve toujourset sur tous les points d’accord avec la France etl’Angleterre. Pour ce qui est de l’Orient, en particulier,indépendamment de leurs intérêts spéciaux, de leursvues personnelles, les Italiens nourrissent unscepticisme assez justifié quant à la vertu du principedes nationalités et ils seraient disposés à voir en lui unfacteur de trouble plutôt qu’un facteur de pacification.N’oublions pas qu’il s’agit pour les Italiens dequestions d’une portée pratique et immédiate, depeuples avec lesquels ils sont en contact, dont ils ontl’expérience directe. Ils ne croient pas qu’une formulesoit capable d’agir comme une baguette magique et dedébrouiller ce chaos. Surtout, ils ne sont d’humeur àsacrifier ni leur sécurité ni leurs projets à une théoriequi leur paraît au surplus contestable. Réaliste dans laguerre, l’Italie le sera encore dans la paix : voilà unpremier point, un point essentiel qu’il ne faudra, àaucun moment, perdre de vue. 212
* La question des rapports de l’Italie avec l’Allemagneappartient au même ordre de considérations. On s’est souvent demandé pourquoi, six mois aprèsavoir rompu avec l’Autriche, l’Italie n’était pas encoreen guerre avec l’Empire allemand, quoiqu’elle eûtdonné des preuves manifestes de son accord avec lesAlliés et même adhéré d’une manière officielle aupacte de Londres. Mais il faut bien voir que, si l’état deguerre n’existe pas entre les deux pays, c’est quel’Allemagne a fait tout ce qu’elle a pu pour l’éviter,pour retarder au moins le moment où il surviendrait.La presse allemande avait d’abord salué par uneexplosion de colère la dénonciation de la Triplice.Quarante‐huit heures après, le ton s’était déjàsensiblement radouci à l’égard du gouvernement et dupeuple italiens. Il n’était plus question de prendre faitet cause pour l’Autriche, cependant attaquée. Quelquessemaines plus tard, Maximilien Harden publiait mêmeun article où il présentait de la politique suivie parl’Italie une justification inattendue. Chacun sait qu’enAllemagne, les écrivains qui ont l’apparence d’être lesplus indépendants travaillent volontiers, comme lesautres, dans le sens indiqué en haut lieu. L’article deMaximilien Harden avait donc la valeur d’uneindication précise et générale. Depuis ce jour, en effet,le mot d’ordre allemand a été de ménager l’Italie. L’Allemagne la ménage pour de multiples raisons.Au point de vue militaire d’abord, il tombe sous le sensque l’empereur n’a aucune espèce d’intérêt à voirs’accroître le nombre de ses ennemis. Une déclarationde guerre à l’Italie, qui ne serait pas suivie d’uneoffensive immédiate et énergique, d’une campagne 213
foudroyante à la manière du général Bonaparte, d’uneentrée à Milan dans les trois semaines, accuseraitgravement la faiblesse de l’Allemagne et l’épuisementde ses armées. Or, ce plan, l’Empire n’a plus lesmoyens de l’exécuter. Déclarer la guerre à l’Italie pourne rien faire ou ne faire qu’une guerre défensive,comme celle qu’ont adoptée les Autrichiens, ce serait,de la part de l’Allemagne, diminuer elle‐même sonprestige militaire. Il est facile de comprendre qu’ellepréfère pouvoir dire que si elle ne se bat pas avecl’Italie c’est parce que l’Autriche (à qui elle a prêté,d’ailleurs, le concours de soldats bavarois) suffit trèsbien à la besogne. Il est clair encore que l’Allemagne désire qu’aumoment de traiter la paix, lorsque quelque congrèss’ouvrira, il reste au moins une grande puissanceeuropéenne qui n’ait pas été son ennemie, qu’elle n’aitpas rencontrée sur les champs de bataille, avec qui ellen’ait pas créé de l’inexpiable. En outre, au point devue économique et commercial, l’Italie était, naguèreencore, tout autant que la France et la Belgique,considérée par les Allemands comme une sorte dedépendance et de futur protectorat. Il leur est péniblede voir, à l’avenir, leur activité entravée de ce côté‐là.Ils se sentent désormais séparés de toutes les nationseuropéennes par un fleuve de sang. Ils se rendentcompte que la reprise de relations normales avec lereste de l’Europe leur sera difficile. Ils aimeraient qu’ilrestât au moins un grand Etat européen avec qui unrapprochement immédiat fût possible sans qued’atroces souvenirs et des ressentiments vinssents’interposer. De son côté, il est vrai, l’Italie, elle non plus, n’apas déclaré la guerre à l’Allemagne. C’est qu’ellen’aime pas les vaines parades ni les complications 214
inutiles. L’absence de frontières communes entre lesdeux pays eût rendu le conflit théorique. Et ce conflitsans effet militaire eût été propre à faire naître,notamment à l’intérieur, certaines difficultés. Il ne fautpas se dissimuler que la répugnance à la guerre,montrée, jusqu’au mois de mai, par plusieurs élémentsde l’opinion italienne, n’avait pu céder sans laisserquelques traces. Oh ! certes, le neutralisme s’étaitincliné de bonne grâce. Il avait accepté la guerre àl’Autriche. Mais la guerre contre l’Allemagne eûtsoulevé d’autres objections, une nouvelle résistance. Legouvernement italien a mieux aimé procéder parétapes et laisser agir les événements. Il connaît leterrain, et sa prudence est faite de sagesse etd’expérience : il convient de le laisser juge desopportunités. Il n’ignore pas, au surplus, que les avantagesremportés sur l’Autriche seront précaires et mêmeillusoires tant que l’Allemagne ne sera pas vaincue etbien vaincue. L’Italie sait aussi que, dans le cas d’unevictoire allemande, elle tomberait sous la sujétion desEmpires germaniques et que sa sécurité même, sonintégrité territoriale seraient menacées. Le sentimentque le péril de l’hégémonie allemande existeégalement pour l’Italie a pris d’ailleurs autant delucidité que de force. Quelques voix, au cours de cesdernières années, avaient déjà signalé l’envahissementde la péninsule, la main‐mise de l’Allemagne sur diversorganismes de l’Etat italien. Les événements de 1914ont achevé d’éclairer l’Italie et lui ont révélé dans touteson étendue le danger de la domination politique,économique et même spirituelle à laquelle prétend laGermanie. Dans un petit livre qui a eu unretentissement considérable, l’Italie et la civilisationallemande, M. Ugo Ojetti a présenté avec vigueur les 215
raisons qui commandent aux Italiens de ne subir, nidans le domaine de l’intelligence, ni ailleurs, latyrannie de l’Allemagne. D’autre part, de nombreuxouvrages, qui ont été très lus, ont révélé et démontré lapénétration de la vie économique de l’Italie par labanque et le commerce allemands. Ces révélations ontcréé un état d’esprit. Avec la haute conscience qu’elle ade sa personnalité nationale et morale, l’Italie estdésormais en garde contre les méthodes de cetenvahissement sournois et tenace à qui l’Allemagnesait aussi bien trouver les formes de la paix que lesformes de la guerre. Cependant si la clairvoyance et la méfiance del’Italie sont en éveil, il faut compter avec d’autresconsidérations qui, un jour donné, pourraient agir pourrapprocher, sur certaines questions, le point de vueitalien du point de vue allemand. Ce n’est pas par unpur hasard que les deux unités, l’italienne etl’allemande, auront coïncidé dans l’histoire. Elles ontété en fonction l’une de l’autre et beaucoup d’espritspolitiques, en Italie, estiment que le royaume serait endanger si l’Allemagne venait à s’affaiblirconsidérablement ou retournait à l’état deconfédération amorphe, sinon de « mosaïque disjointe.» Dans l’hypothèse d’un congrès où les alliés victorieuxentreprendraient sérieusement de ruiner le « militarismeprussien » en supprimant la condition même de la forceallemande, qui est l’unité de l’Allemagne sous ladomination de la Prusse, il y a des raisons de croireque l’Italie pourrait être disposée à élever desobjections contre un programme renouvelé, quant auxpays germaniques, des traités de 1815 et des traités deWestphalie. Toutefois la question est encore loin de seposer dans ces termes, et il est peu probable qu’elle se 216
présente d’ici longtemps avec cette netteté et cetterigueur. L’objection, qui existe dans certains espritsitaliens, est donc pratiquement négligeable et les vraispréoccupations du jour ne sont pas là. Contrairement à un préjugé répandu en France, ladiplomatie italienne ne semble pas, d’un autre côté,aussi désireuse qu’on l’avait cru de voir disparaître lamonarchie austro‐hongroise. Une fois réglés ses vieuxdifférends avec l’Autriche, une fois en possession desterre irredente et sans inquiétude du côté del’Adriatique, l’Italie verrait d’un œil favorable l’Empiredes Habsbourg subsister avec une force suffisante. Sicet Empire s’écroulait, l’Italie se trouverait en contactimmédiat avec une Allemagne dont la puissance seraitaccrue d’une manière formidable, et c’est un voisinageauquel elle ne tient nullement. A l’opposé, elle a prévudepuis longtemps que la constitution d’un État jougo‐slave, qui suivrait la dissolution de l’Autriche‐Hongrie,et qui apparaîtrait sur la scène du monde avec desforces jeunes et des appétits nouveaux, compliqueraitsa situation et risquerait de lui créer des difficultés pourl’avenir. L’Italie, avec raison, préfère le connu àl’inconnu. De là est née la théorie dite, avecingéniosité, du « coussinet autrichien. » Rien nerépondrait mieux, semble‐t‐il, aux vœux de l’Italie,qu’une Autriche incapable de lui nuire et encore assezvigoureuse pour servir d’État‐tampon, s’interposer entreelle et des Empires trop puissants ou des nationalitésexubérantes. Par le même besoin d’équilibre, elle neserait pas opposée à la reconstitution d’une Pologneautonome aux confins de la Russie et du mondegermanique. Ce sont là les éléments d’une sagepolitique d’empirisme et de conservation européenne.Si, après les bouleversements de cette guerre immense,nous devons assister à un de ces retours à la 217
modération dont l’histoire, après les grandscataclysmes, montre tant d’exemples, l’Italie, sur cesdonnées, peut trouver à remplir un rôle d’arbitre qui lagrandira d’une façon singulière. Il se peut aussi, toutefois, que les événementstournent de telle sorte qu’une politique de juste milieuarrive trop tard. Après un an passé de guerre, lesprojets et les vues de l’Allemagne commencent à nousapparaître avec plus de clarté. Les rêves d’hégémonieeuropéenne qu’on lui prêtait étaient vagues. Ils se sontprécisés à mesure que se développait la lutte. On a dûs’apercevoir que la guerre de 1914‐1915 était conçuepar les Allemands comme la suite naturelle des troisguerres de 1864, 1866 et 1870, comme la guerre quidoit achever l’unité nationale de l’Allemagne,incomplète aussi longtemps que l’Autriche ne fera pasde nouveau, et comme autrefois, partie de l’Empiregermanique. L’idée essentielle de Guillaume II paraîtbien être celle qu’ont reprise tour à tour les théoricienspangermanistes, c’est‐à‐dire la formation dans l’Europecentrale d’un puissant État par la réunion desdomaines des Habsbourg à l’Allemagne proprementdite. La manière dont le gouvernement impérial a misla main sur les armées et l’administration de l’Autriche‐Hongrie à la faveur du conflit européen est révélatrice.Et si ce projet, si menaçant pour l’Europe, venait à êtreexécuté avec les conséquences qu’il entraîneraitnécessairement, — à savoir l’hégémonie allemande enOrient, dans cette péninsule balkanique quel’Allemagne savante a définie « l’Europesubgermanique », — si cela devait être, qui ne voitcombien la politique de l’Italie en serait affectée,l’avenir italien compromis ? * 218
L’Europe n’aura pas assez pris au sérieux, pendantces quarante dernières années, la propagande del’école pangermaniste. De 1870 à nos jours, les théoriesde cette école, beaucoup plus pratiques qu’elles n’enavaient l’air, ont constamment tendu à se traduire enactes. On n’y voulait voir que des rêves d’intellectuels.Mais ces rêves, l’Allemagne politique travaillait à lesréaliser, comme Bismarck avait déjà réalisé ceux desidéologues patriotes de la période antérieure. Du reste,au point de vue historique, la filière est facile à suivre.En 1849 (lorsque l’Allemagne révolutionnaire essayaitde fonder l’unité à l’aide des principes libéraux), qui setrouvait représenté au Parlement de Francfort ? Tous lespays germaniques, toute la confédération germanique,tout ce qu’il restait du vieux Saint‐Empire de nationgermanique : c’est‐à‐dire que les Autrichiens figuraientà ce Parlement grand‐allemand au même titre que lesPrussiens. Mais le Parlement de Francfort ne devait pasréussir à fonder l’unité nationale. L’Allemagne restaitsoumise au régime particulariste, au régime des petitsÉtats, aggravé par la rivalité des deux principauxd’entre eux : la Prusse et l’Autriche. Le libéralisme et larévolution s’étaient montrés impuissants à réaliser cettefusion. Il fallait donc que l’Allemagne se résignât à voirdurer l’ancien état de choses, — dispersion et division,— ou bien qu’elle acceptât la méthode de Bismark. Or Bismarck a procédé par étapes. En 1864 (guerredu Danemark), il attire l’Autriche, toujours membre dela confédération, dans un piège. En 1866, l’affaire desduchés lui ayant fourni l’occasion de la rupture, il batl’Autriche et tue l’influence autrichienne en Allemagne.La place est libre pour la Prusse qui, en 1870, unitl’Allemagne et prend la présidence de la nouvelleconfédération. Que reste‐t‐il à faire alors pour que la dernière 219
étape soit atteinte, pour que la pensée des patrioteslibéraux du Parlement de Francfort, reprise, avec desmoyens autoritaires, par Bismarck, soit réalisée ? Celasaute aux yeux, cela est clair : il reste à faire rentrerl’Autriche dans le giron de l’Empire germanique. C’estl’œuvre à laquelle a tendu la politique allemande de1870 à 1915. Notons bien que Bismarck a préparé de longuemain ce résultat, qu’il l’a rendu possible, en ménageantl’Autriche après Sadowa, en ne l’accablant pas, en nela rendant pas irréconciliable. Après 1870, il cherche àconsolider ses victoires en constituant avec elle et avecla Russie l’alliance des trois Empereurs. Mais, dès qu’ilvoit que l’antagonisme austro‐russe s’accuse, seprécipite (par les affaires d’Orient), il n’hésite pas, quoiqu’il lui en coûte. Son choix est fait d’avance. C’estpour l’Autriche qu’il opte. Dès lors, soutenir l’Autrichecontre la Russie et le slavisme devient le programmeallemand : car l’Autriche, c’est l’Allemagne. C’est unepartie de la chair de la grande Germania. Ainsi, en 1914, l’Empire allemand eût pris, contre laRussie, la défense de l’Empire austro‐hongrois, mêmecontre le gré de Vienne. Si, à quelque moment de cesfatales journées de juillet, l’Autriche, comme on a crule remarquer, s’est avisée qu’il serait plus sage decéder, il était trop tard. L’Autriche ne s’appartenait déjàplus. Pour elle, l’Allemagne décidait de la paix ou dela guerre… La chose autrichienne, c’est la choseallemande, comme l’Autriche est le prolongement del’Allemagne. Et puis, la communauté des armes arouvert une source de fraternité pour les peuples.L’idée de derrière la tête des dirigeants de Berlin ;reconstituer au centre de l’Europe une Germaniecompacte, d’un seul tenant, sous la direction de la 220
Prusse, cette idée s’est vivifiée par les efforts, lesépreuves, les victoires communes. « D’Héligoland àOrsova, tous nous gagnons, nous perdons la mêmechose », a dit un député radical au Reichstag, FrédéricNaumann, dans un livre intitulé précisément Europecentrale, qui a paru à Berlin en 1915. Cet hommepolitique allemand y constate avec joie que, depuis laguerre, tout a tendu à faire de l’Allemagne et del’Autriche deux vases de plus en plus communicants. Ilcompte bien qu’après la guerre, ce résultat seramaintenu, que la renaissance d’une grande Germanie,nécessaire à l’un comme à l’autre Empire, sera en toutcas l’effet qu’aura produit le grand conflit européen, lerésultat qui restera acquis. Là‐dessus tout l’impérialismeallemand, dans ses nuances diverses, est d’accord.Pangermaniste en dépit de son nom français, Paul deLagarde avait déjà annoncé, en 1886, « la guerre quidevait fonder l’Europe centrale. » C’est à cette guerreque nous assistons aujourd’hui. L’Italie sait bien qu’elle n’a rien à gagner à ce quela question de l’Adriatique au lieu de se poser entreelle et l’Autriche, se débatte avec une plus grandeAllemagne. Elle sait que la question de Trieste peutredevenir demain celle de Venise, après demain cellede Milan. Elle se souvient qu’en 1859, après Magentaet Solférino, la Prusse, et toute la Confédérationgermanique avec elle, considérant qu’il s’agissait d’uneaffaire allemande, s’étaient déclarées prêtes à soutenirl’Autriche et, par la menace d’une intervention sur leRhin, avaient déterminé Napoléon III à signer lespréliminaires de Villafranca. L’Italie est trop avertie deses intérêts, de sa situation en Europe, pour ne pasfaire entrer en ligne de compte l’éventualité de laformation d’une puissance germanique accrue, et tellequ’elle égalerait une sorte d’Empire de Charles‐Quint. 221
Elle sait bien qu’elle en serait la première victime et laplus mal traitée. Si, d’ailleurs, l’Italie est entrée dans laguerre, c’est parce qu’elle a compris que sonimmobilité faciliterait la tâche de l’Allemagne et enseconderait l’ambition, c’est parce que, éclairée parl’histoire, elle a entrevu, comme suite d’une victoireallemande, sa vassalité ou même sondémembrement… C’est ainsi que le point de vue de la solidarité desdeux unités, l’unité italienne et l’unité allemande,apparaît comme un point de vue vieilli, archaïque,dépassé par les événements. L’Allemagne étroitementsoudée à l’Autriche, selon le programme que lepangermanisme a fixé, ne se trouverait plus intéressée,comme elle l’a été de 1866 à nos jours, au maintien del’unité italienne. Au contraire, elle reprendrait le vieuxprogramme impérial des conquêtes et desétablissements en Italie. D’autre part, la France, qui apu considérer quelquefois que l’existence à ses portesd’un robuste Etat italien était une incommodité, etmême, à certaines heures, un péril, désirera que l’Italieconstitue au Sud‐Est un rempart contre le mondegermanique. En sorte que si, dans certaines hypothèsesfutures, un nouveau rapprochement entre l’Allemagneet l’Italie peut ne pas paraître tout à fait impossible, lecours général des choses, la logique des événementsne lui laissent que de faibles probabilités. Pourtant les Allemands se flattent qu’ils remettronttoujours la main sur l’Italie. Avec cette imperturbableconfiance qui les caractérise et que le sentiment de leurforce et l’habitude du succès avaient si outrageusementdéveloppée en eux dans ces dernières années, leprince de Bülow a écrit au chapitre de sa Politiqueallemande qu’il a consacré à l’alliance italienne : «L’Allemagne et l’Italie ne peuvent se passer l’une de 222
l’autre. Elles se retrouveront toujours, grâce à une foulede causes importantes, à l’absence de toute rivalitéentre les deux nations et de toute réminiscencetroublante, — le souvenir de la lutte dans la forêt deTeutobourg et de la bataille de Legnano se perd dansla nuit des temps, — grâce aussi à l’analogie de leurdéveloppement historique et aux dangers communsqui pourraient constituer pour elles une menaceidentique. » Bismarck, qui avait plus d’expérience que le princede Bülow, qui avait aussi l’expérience d’affaires plusdifficiles et plus vastes, était plus réservé et plusméfiant. C’est à propos de l’Italie, justement, qu’il acomparé la politique internationale à un élément fluidequi, de temps à autre, se solidifie par l’effet descirconstances, mais qui retourne à son état premier aumoindre changement de l’atmosphère. C’est pourquoi,disait‐il, quand un Etat s’allie à un autre Etat, la clauserebus sic stantibus doit toujours être sous‐entendue.Dans ses calculs et son assurance, le prince de Bülow aoublié de compter avec cette clause au sujet de l’Italie. * « L’Empire de 1871 est en train de devenir unempire historique. A sa place on verra se former unvaste Empire germanique qui ne sera que larésurrection du Saint Empire romain germanique… telqu’il était au moyen âge, alors qu’il commandait sur lamoitié de l’Europe. » Ainsi s’est exprimé l’historienpangermaniste Karl Lamprecht qui, étant mort en 1915,a pu croire qu’il touchait au but. Avant lui, ConstantinFrantz avait déjà dit que rien, pour l’Allemagne, n’était« plus essentiel que de gagner les bouches de nos deux 223
fleuves principaux, le Rhin et le Danube. » Et Paul deLagarde disait encore qu’aucun peuple n’était plusqualifié que le peuple allemand « pour exercer uneaction décisive sur le remaniement des pays duDanube inférieur soumis autrefois à la dominationturque, et même de toute la presqu’île des Balkans. » L’invasion de la Serbie par les armées allemandes,la marche sur Constantinople, peut‐être bientôt surSalonique, auront montré que l’Allemagne passait àl’exécution de ces projets ambitieux conçus dans lesUniversités par ses intellectuels. D’ailleurs, n’est‐ce paspar l’Orient que la guerre a commencé ? N’est‐elle pasfonction du Drang nach Osten ? Là encore, toutes lesvues, toutes les idées, toutes les positions de l’Italieseraient bouleversées si les plans de l’Allemagnedevaient réussir et si l’Empire allemand plaçait les Etatsdes Balkans sous sa dépendance et les réduisait,suivant l’expression des théoriciens du pangermanisme,à la condition d’une « Europe subgermanique. » La politique de l’Italie dans les pays balkaniques asurtout été faite jusqu’ici de rivalité avec l’Autriche, deméfiance vis‐à‐vis des Serbes et des Grecs. Pourreprendre l’ancien empire de Venise sur les îles et lescôtes de l’Adriatique orientale, pour dominer de Triesteà l’Albanie, il ne s’agissait pas seulement pour l’Italied’exproprier les Habsbourg. D’autres concurrentss’étaient peu à peu découverts à elle. Les Slavesd’Autriche‐Hongrie, descendus vers la mer, devenus,par le mouvement des nationalités, plus conscients deleur personnalité et de leur langue, ne se connaissentpas seulement comme différents de leurs maîtres deBuda‐Pest et de Vienne, mais comme différents aussides populations italiennes qu’elles rencontrent àTrieste, à Fiume, à Raguse et qu’elles tendent àsubmerger. De ce côté, la politique italienne s’est 224
singulièrement compliquée du jour où l’Italie a dûs’apercevoir que le problème, au lieu de se réduire àdeux termes, en embrassait trois ou quatre et que leprincipe des nationalités, au lieu d’aider à le résoudre,ne servait qu’à le rendre plus insoluble, les entitésnationales en présence étant irréductibles et leurséléments respectifs géographiquement mélangés lesuns aux autres d’une manière inextricable et propre àengendrer autant de discordes qu’il en existe parmi lespopulations de la trop fameuse Macédoine. Dans undiscours prononcé devant une députation d’exilésdalmates qui lui faisaient hommage d’un livre écrit à lagloire de leur pays, Gabriele d’Annunzio, au printempsdernier, tout en exprimant avec force que la Dalmatiedevait être une terre italienne, ne cachait pas non plusles compétitions dont elle était l’objet. « Ce livre quevous déposez entre mes mains, disait‐il, est un acte deposte session. Il est bref et pourtant il est d’un grandpoids. Il nous signifie, clair et concis, dans le style deRome, que la Dalmatie appartient à ‘Italie par droitdivin et humain. Sous la force latine de Rome, desPapes, de Venise, comme sous la force barbare desGoths, des Lombards, des Francs, des Othonsgermaniques, des Byzantins, des Hongrois, desAutrichiens, la vie civile de la rive de là‐bas, comme lavie civile de la rive d’ici, a toujours été d’origine etd’essence italienne. Elle l’a été, elle l’est, elle le sera. Nil’Allemand venu des Alpes, ni le Slovène du Carso, nile Magyar de la Puzta, ni le Croate qui ignore oufalsifie l’histoire, ni le Turc qui se déguise en Albanais,jamais personne ne pourra arrêter le rythme fatal del’accomplissement, le rythme romain. Je vous le dis,frères, mais vous le savez. Sur cet évangile dalmatiquenous pouvons en faire le serment. » Allemands, Slovènes, Croates, Magyars, voilà les 225
éléments composites auxquels l’Italie doit faire facedans sa revendication, sans compter les Grecs qui, parl’Epire, étendent leurs prolongements sur l’Albanie, Onconçoit donc que les Italiens aient toujours surveillé deprès les progrès de la Grèce, qu’ils aient été inquiétéspar le développement de la Serbie, considérée commeune sorte de Piémont balkanique, comme le noyaud’un Etat d’avenir et doué de rayonnement.Cependant, et ceci les honore singulièrement, lesItaliens ne se sont pas laissé entraîner à des jalousiesfunestes. Avec leur esprit diviseur, l’Allemagne etl’Autriche eussent aimé les voir prendre ombrage desSerbes et d’une « Grande‐Serbie. » Elles ont essayé decréer entre eux des malentendus, des incidents sur lethéâtre albanais. Peine perdue. Le gouvernement et lesjournaux italiens ont opposé un calme absolu à cesexcitations. Les Italiens n’ont pas voulu faire ce plaisirà leurs ennemis de Berlin et de Vienne : se brouilleravec les Serbes pour quelques opérations de police enAlbanie ni, à propos de Scutari, avec les Monténégrins. D’ailleurs, en ce moment où nous écrivons, rienn’est moins certain que la destinée de la nation serbe.Cette nation court le risque de se trouver, pourlongtemps, réduite en servitude. Elle pourra sans doutese relever de ses ruines et prendre sa revanche : unenationalité ne disparaît pas quand elle est aussi richede vie que celle‐là. Mais, en tout état de cause, il nesemble pas que l’idée « panserbe » ait l’avenir immédiatqu’on lui avait prêté. La décomposition spontanée del’Autriche, qui était une sorte de dogme et qu’on avaitannoncée comme un événement fatal, inévitable aucas d’une guerre européenne, d’un grand conflit entreGermains et Slaves, cette décomposition ne s’est pasproduite. La monarchie austro‐hongroise, surtout avec 226
l’appui que lui a prêté l’Allemagne, semble avoir euplus de résistance qu’on ne lui en attribuaitcommunément et, jusqu’ici, dans cette tourmente, ellea justifié le mot de Bismarck : « Je crois à la vitalité del’Autriche. » Un Etat serbe meurtri et saigné à blanc nerisque plus guère, pour le moment, d’être le centreaimanté qui serait capable de détacher de l’Empire desHabsbourg les populations serbo‐croates qu’ilrenferme. Cette partie de l’Europe semble encoredestinée à de longs combats, à des convulsionsrépétées, avant que le chaos ne s’en simplifie. Ceuxqui voyaient le prochain avenir sous la forme d’unerivalité italo‐serbe, ceux qui annonçaient même qu’unedes premières guerres qui suivraient celle‐ci seraitcertainement une guerre pour la possession del’Adriatique entre l’Italie et une plus grande Serbie,ceux‐là se sont probablement trompés, ou bien ils ontanticipé, et de beaucoup, sur les événements. Par son énormité même, la guerre actuelle crée del’incertitude. Elle pose trop de questions pour lesrésoudre toutes. Il semble bien que, de celles quiintéressent en particulier l’Italie, un certain nombredoivent rester en suspens. De ce futur état d’indécision,le gouvernement italien paraît avoir la prescience etc’est peut‐être une des raisons qui le font hésiter sur lameilleure manière d’intervenir avec les alliés dans lapéninsule balkanique. Pour l’Italie, qui se trouve sur lebord même de cette vaste cuve où les nationalitésfermentent, toute décision est grave, toute erreur peutentraîner d’incalculables conséquences et l’obscurité, laconfusion, le trouble sont tels que l’on conçoit quel’Italie ait besoin de réfléchir avant de s’engager dansune voie plutôt que dans une autre. Cependant si laBulgarie s’avançait à travers la Macédoine jusqu’àl’Adriatique, si elle menaçait l’Albanie, si l’ambition 227
que l’on prête au tsar Ferdinand (qui n’a pas faitapprendre sans dessein l’albanais à son fils le princeBoris), si cette ambition, encouragée par la cour deVienne, commençait à se réaliser, oh ! alors, il estprobable que l’Italie ne balancerait plus et ne laisseraitpas apparaître un nouveau compétiteur, un nouvelennemi sur cette mer qui, plus que toute autre, est « sa» mer. Selon toute apparence, l’Italie a encore devant elle,du côté qu’elle a choisi pour y porter son action, destâches difficiles et longues. Le jour où elle est entréedans le conflit européen pour remplir son programmenationaliste et impérialiste, ce n’est pas le repos qu’ellea choisi. Mais elle ne l’ignorait pas, et ce n’est pas nonplus le repos qu’elle désirait, mais la puissance et lagrandeur. C’est ce qu’elle attend de cette guerre. Desluttes qu’a vues le XVIe siècle entre la France etl’Espagne, était née la puissance anglaise. Les conflitsdu XVIIIe siècle, entre la France et l’Autriche, avaientengendré la puissance de la Prusse et celle de laRussie. Pour beaucoup d’Italiens, c’est la puissance del’Italie qui doit surgir de la guerre pour la dominationque se livrent, au XXe siècle, l’Angleterre etl’Allemagne. * Un dernier point à examiner, un des pluspassionnants, un des plus graves : que seront dansl’avenir les rapports de l’Italie et de la France ? Ici, jeprie les Français de tout parti, de toute opinion quiauront lu ce livre de ne pas s’étonner si la réponsenous apparaît comme enfermée dans les lignes mêmes 228
de la politique italienne. Après trente‐trois ans d’alliance avec l’Allemagne,l’Italie s’est rangée avec nous et elle combat du mêmecôté que nous. Nous avons dit plus haut le pourquoide cette évolution. Les fautes de nos ennemis ont eu àce résultat une certaine part. La claire notion de sesintérêts que possède l’Italie a été déterminante. Le tactet la persévérance de notre diplomatie ont facilité lerapprochement. Et les sympathies de race, les affinitésintellectuelles ne sont pas, tant s’en faut, restées sansinfluence. Il importera cependant de se souvenir que lesentiment a joué un rôle secondaire dans la formationde la nouvelle alliance. La Quadruple‐Entente est avanttout une coalition fondée sur une communautéd’intérêts politiques et réunie par un même danger.Disons‐nous bien que ce n’est pas par l’idéalisme, sansplus, que durera une amitié à qui l’idéalisme aura servid’auxiliaire seulement. Je m’adresse d’une part à ceux de mes compatriotesqui garderaient une antipathie pour l’Italie créée auXIXe siècle par la rupture de pactes anciens. Jem’adresse d’autre part à ceux qui voient dans cetteItalie l’enfant d’un autre droit, le droit de la révolution,le droit des nationalités, le droit des peuples. Cesconservateurs comme ces libéraux doivent savoir qu’ilsvivent hors du temps, sur des traditions de plus en plusobscurcies pour la nation italienne elle‐même. Ilsrestent, les uns comme les autres, placés à un point devue périmé, qui ne correspond plus à la marche dumonde et des événements. Il se fonde en Italie unelégitimité nouvelle. Les années, en s’écoulant, y ontréconcilié bien des éléments contraires. Pour lescatholiques eux‐mêmes, l’unité est un fait acquis surlequel nul ne songe à revenir, une conquête précieuse 229
à laquelle nul n’a l’idée de renoncer. Pour lesdémocrates, l’Etat monarchique italien s’est révélé àl’épreuve comme l’édifice le plus habitable, lesaspirations libérales et les aspirations nationales ytrouvant également leur compte. A tous les Italiensnous risquons de parler un langage étranger et mêmeun langage choquant, nous ne pouvons pas nousentendre avec eux, si nous les croyons encore dansl’état d’esprit d’autrefois, celui de leurs origines, celuide leur lointain passé. En France, on désire que notre amitié avec l’Italiesubsiste après la guerre et ne disparaisse pas avec lescirconstances qui l’ont renouée. Pour cela, il importerade ne pas perdre de vue les conditions dans lesquellesl’alliance s’est faite. Ne croyons pas surtout que lesentiment, qui n’a pas suffi à la produire, suffira à laconserver. Il ne résoudra pas plus les questions franco‐italiennes qu’aucune de celles qui se poseront enEurope après le conflit. La guerre européenne a été la résultante d’uneimpuissance radicale des gouvernements à satisfairepacifiquement les besoins ou plutôt les exigences despeuples. Vers la fin de ses jours, évoquant devantEckermann les convulsions dont il avait été le témoindurant sa longue vie, depuis la guerre de Sept ansjusqu’aux guerres de la Révolution et de l’Empire,Gœthe exprimait l’appréhension que l’Europe revît desjours aussi troublés. « Ce que l’avenir nous réserve,disait‐il, il est impossible de le prophétiser. Cependantje crains que nous n’arrivions pas de sitôt à latranquillité. Il n’est pas donné au monde d’êtremodéré, aux grands de ne se permettre aucun abus depuissance, à la masse de se contenter d’une situationmédiocre en attendant les améliorations successives. » Ilest permis de se demander aujourd’hui, après Gœthe, 230
et à la lumière des événements qui se sont succédédepuis un siècle, si les causes qui engendrent lesrévolutions ne sont pas les mêmes qui engendrent lesgrandes guerres. Les unes et les autres ne sont peut‐être que des formes de la lutte pour la vie. Qui sait sile désir, naturel à l’homme, du « mieux être », n’a pasété l’aiguillon qui, du jour au lendemain, a fait, d’uneAllemagne presque socialiste, une Allemagneconquérante et guerrière ? Cette guerre, à laquelle laFrance aura été contrainte pour défendre son existenceet ses biens, d’autres peuples l’auront entreprise pours’assurer « leur place au soleil. » Que cette loi deconcurrence doive survivre à l’immense conflit qu’ellea causé, que, jusque dans la paix, il y ait encored’âpres luttes à soutenir, il est malheureusementdifficile d’en douter. Après la guerre, l’Italie sera préoccupée d’assurerles avantages qu’elle aura obtenus, d’accroître sesressources et de développer son action. Pour nousmettre d’accord avec elle, pour éviter les malentendus,il faudra bien connaître son programme, savoir, parexemple, qu’elle désire exercer une influence enOrient, semblable à celle dont la France a toujours eule privilège. Il faudra savoir aussi qu’elle veut « devenirun grand pays industriel », comme l’écrivait récemmentle député Nitti qui, déjà, voit l’Italie « techniquementtrès bien organisée », remplaçant l’Allemagne dansplusieurs domaines et lui succédant sur les marchés. Sans doute la communauté des armes aura resserréles liens entre la France et l’Italie. Cette guerre conduitecontre le même ennemi laissera des souvenirsdurables. Mais les peuples ne vivent pas de souvenirs.Ils ne vivent pas non plus de sentiment. Il y a, enItalie, un désir très sincère de continuer avec nous,après la guerre, les relations cordiales que la guerre a 231
établies. Cependant, si l’on interroge les Italiens, si onleur demande comment ils voient l’avenir de leursrapports avec la France, ils se réservent, en général,parce que les bases d’une collaboration future ne leurapparaissent pas encore nettement. Comme cet étatd’esprit nous plaît mieux, comme il offre plus desécurité que cet enthousiasme fragile et cet idéalismesans critique qui recouvrent mal les divergences ou lesconflits d’intérêts, qui n’entretiennent d’ordinairequ’une dangereuse hypocrisie ! Le fait certain, le grandavantage obtenu, c’est que, déjà, la lutte contre ladomination germanique a créé entre la France et l’Italieune nécessité commune, ouvert entre elles un nouveaucourant de sympathie. Ce sont des conditionshautement favorables à une entente prolongée : laclairvoyance, le réalisme, le sens politique desgouvernements feront le reste.FIN 232
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