l’autel afin qu’elle bénéficie des rituels du matin et du soir… La mixture fut ensuite séchée au soleil et mé- langée de nouveau avec de la poudre avant d’être moulée et frappée en amulettes souvenirs destinées à ceux qui faisaient des donations au temple. Les amu- lettes devinrent extrêmement populaires parmi ceux qui fréquentaient les temples parce qu’elles avaient été consacrées, à travers une pleine année de médita- tion, par Luang Pou en personne accompagné de dis- ciples qui avaient tous atteint Dhammakāya. Au début, ces amulettes ne furent distribuées qu’aux fidèles du temple. Elles ne faisaient l’objet d’aucune publicité. Ce ne fut que plus tard, lorsque se répandit le bruit de leur existence, que des centaines de per- sonnes vinrent chaque jour au temple pour en rece- voir. Luang Pou les distribuait lui-même. Seuls ceux qui avaient fait un don et pouvaient en présenter le reçu à Luang Pou étaient autorisés à recevoir une amulette. Avec la diffusion de la nouvelle, même les fidèles des lointaines provinces vinrent visiter le temple en grou- pes massifs. Certains avaient loué des barges fluvia- les. S’ils arrivaient trop tard, ils devaient attendre le jour suivant pour recevoir leur amulette. Le temple commença à recevoir près de 1.500 personnes par jour. On considérait que ces amulettes n’avaient un caractère sacré que si elles étaient reçues des mains mêmes de Luang Pou. Qu’une personne ait fait une donation de mille bahts ou de dix mille bahts, elle recevait une seule amulette, pas plus. Lorsque l’on demandait pourquoi à Luang Pou, il répondait que la sainteté de l’amulette était 102 www.kalyanamitra.org
sans rapport avec un prix. Un millier de bahts ou dix milliers de bahts n’étaient rien en comparaison de la vraie valeur de ces amulettes. Le premier lot de 84.000 amulettes fut épuisé en moins d’un an et Luang Pou produisit un second lot pour satisfaire tous ceux qui venaient soutenir le tem- ple. Même lorsque Luang Pou tomba gravement ma- lade, il continua à diriger la production des amulettes qu’il distribuait lui-même en personne malgré sa santé défaillante. Ce ne fut que lorsque son état de santé empira qu’il délégua la distribution à son disciple Phra Kru Samana-thamm-samathan (Luang Pou Lek, Thira Dhammadharo), un disciple qui avait atteint Dhammakāya depuis son noviciat, pouvait guérir les autres par la méditation et, à la grande satisfaction de Luang Pou, pouvait enseigner la méditation. Les amu- lettes continuèrent donc de jouir de la même populari- té même lorsque Luang Pou cessa de les distribuer lui-même. Luang Pou n’appréciait pourtant pas ceux qui n’étaient inspirés que par les miracles ou les objets sacrés. S’il considérait ses propres amulettes comme d’une valeur supérieure, rendues spéciales par la pure- té des membres du temple, il ne manquait jamais de rappeler à ceux qui les recevaient que l’image du Bouddha qu’ils s’apprêtaient à porter autour du cou ne pouvait en rien les protéger si eux-mêmes ne prati- quaient pas le don*, ne respectaient pas les Préceptes* moraux et ne s’entraînaient pas à méditer en prenant cette image comme support de leur méditation. 103 www.kalyanamitra.org
Quelqu’un demanda un jour à Luang Pou ce qu’il devait faire s’il voulait atteindre Dhammakāya en l’espace de trois jours. Luang Pou lui répondit que tout ce qu’il avait à faire était : … de laisser l’esprit atteindre l’apaisement et de ne pas être effrayé par l’idée de la mort ; de se dire à soi-même : tant que je ne suis pas ma- lade, je ne peux pas mourir. Sans jamais faire défaut, chaque dimanche, à chaque phase de la lune et chaque jeudi après-midi, dans le hall de méditation de trois étages du Wat Paknam (qui servait également d’Institut Pāli), Luang Pou ensei- gnait la méditation à l’assemblée des bhikkhū, des novices, des résidents laïcs et du public. Luang Pou commençait son enseignement en s’enquérant de ceux qui, dans la congrégation, se considéraient comme défenseurs de la foi bouddhiste. A ceux-là, ils rappelaient qu’ils avaient un double devoir : l’apprentissage des textes (gantha-dhura) et la méditation (vipassanā-dhura). Des deux devoirs, le second était le plus important, parce que la médita- tion est la voie qui mène la libération de la souf- france*. C’est pour cette raison que Luang Pou portait toujours l’accent sur la culture mentale*. Il était im- portant d’avoir une connaissance claire de l’esprit parce que l’objet de l’enseignement de Luang Pou était d’aider les disciples à se purifier eux même des fermentations mentales*. Après ce prêche à l’assemblée, Luang Pou comman- dait que l’on allume les bougies et les bâtons d’encens devant l’autel. Il conduisait ensuite les rituels pour toute la congrégation, récitant Namo tassa…* trois 104 www.kalyanamitra.org
fois en hommage aux bouddhas du passé, du présent et du futur. La récitation rituelle se poursuivait avec une demande de pardon pour les transgressions corpo- relles, verbales ou mentales, commises à l’encontre des Trois joyaux*. Il expliquait ensuite que, le cœur ainsi purifié, la conscience était maintenant claire. Venait enfin la requête à tous les bouddhas, au Dhamma* et au Saṅgha*, de s’établir dans l’esprit de chaque membre de l’assemblée. Il demandait alors à chacun d’adopter une posture confortable pour mé- diter. Se servant d’une image dessinée sur un tableau noir, il expliquait comment concentrer l’esprit. Deux outils étaient utilisés pour la concentration : la répéti- tion d’un manta* (parikamma*-bhāvanā*) et la visualisation d’un objet de méditation (parikamma- nimitta*). L’expression utilisée comme manta était « sammā-arahaṃ ». Et l’objet était une sphère. Luang Pou prenait une boule de cristal dans sa main et la présentait à toute l’assemblée, demandant de la visua- liser en commençant par la situer à l’entrée d’une na- rine (la droite pour les hommes, la gauche pour les femmes), ce que l’on appelle la première « base de l’esprit ». Durant cette concentration initiale de l’esprit, expli- quait Luang Pou, il faut réciter trois fois, silencieuse- ment, « sammā-arahaṃ », tout en fixant son attention sur la sphère de cristal centrée sur la première base, avant de la faire glisser mentalement vers la seconde base, située au coin de l’œil (droit pour les hommes, gauche pour les femmes). Lentement, tout en suivant 105 www.kalyanamitra.org
le rythme de la respiration, il faut réciter trois fois « sammā-arahaṃ » puis déplacer la sphère jusqu’à la troisième base, située au centre du crâne et, parvenu à cette nouvelle base, y réciter de nouveau trois fois le manta. La même procédure est suivie pour fixer l’attention au niveau des quatrième, cinquième et sixième bases52, en y répétant toujours le même manta à trois reprises. L’attention ne doit pas dévier du si- gne*. L’esprit doit finalement être installé au centre du corps. Tout en répétant le manta trois fois, la sphère doit s’élever à un niveau situé à deux doigts d’épaisseur au dessus du niveau du nombril. Telle est la septième base de l’esprit. Trois centres fondamen- taux peuvent y être trouvés : l’élément terre à droite, l’élément eau sur le devant, l’élément air à gauche, l’élément feu à l’arrière, l’élément espace occupant le centre de la base. Au centre de cet espace repose l’élément cognitif (viññāṇa-dhātu) et la sphère appe- lée « le premier chemin » (pathama-magga). L’esprit doit être fixé exactement au centre de cette sphère et le manta « sammā-arahaṃ » répété en silence, sans interruption, sans permettre à l’attention de divaguer. Si l’attention divague, il faut la ramener tout douce- ment vers le centre. Le but de la méditation est de se concentrer de cette façon jusqu’à l’apparition d’une lumière intérieure. Une fois cette lumière apparue, il faut maintenir le calme de l’esprit. Si un autre objet mental apparait, qu’il s’agisse d’une feuille, d’une fleur ou d’un nuage, 52 Cf. en annexe : « Comment méditer ? » 106 www.kalyanamitra.org
il faut l’examiner avec détachement. L’objet change de lui-même sans que l’on fasse intervenir une pensée discursive. S’il ne voit rien, le méditant ne doit pas être déçu, parce que la capacité de voir clairement avec l’esprit finira par apparaître spontanément. Il faut éviter le doute, il faut éviter d’être intéressé par une vision, il faut être calme et examiner les choses avec équanimité*. Après avoir ainsi constaté que les choses changent en raison de conditions*, une petite sphère, translucide et brillante, peut être finalement aperçue en train de flot- ter au centre du corps. Il s’agit de la « sphère du paṭhama magga », le début (pathama) du chemin (magga), un fruit (phala) de la voie intérieure vers le nibbāna. L’esprit doit être maintenu au centre de cette sphère. C’est ainsi que progressivement l’on peut ac- céder aux domaines de l’existence sensuelle subtile, puis aux domaines « divins » avec forme, puis aux domaines « divins » sans forme53. Il ne faut à aucun prix permettre à l’attention de se déplacer hors du corps. Elle doit toujours être conservée à l’intérieur. Que l’on soit assis, allongé, debout, en train de mar- cher, il faut maintenir son esprit concentré au centre de la septième base de l’esprit. Il est possible de s’asseoir dans n’importe quelle position si elle est confortable, mais la position assise traditionnelle, la jambe droite croisée au dessus de la gauche, la main droite au dessus de la gauche, les paumes vers le haut, 53 Ces trois grandes étapes de l’expérience méditatives cor- respondent aux trois ensembles de plans d’existence* qui peuvent être expérimentés par la méditation et devenir des lieux de renaissance. 107 www.kalyanamitra.org
l’index droit touchant le pouce gauche, est bien évi- demment la meilleure posture. Après avoir longuement guidé la méditation, Luang Pou demandait aux fidèles assemblés de médi- ter par eux-mêmes, et il continuait à parler très bas pour les aider, jusqu’à ce que finalement sa voix s’efface dans le silence. La méditation se prolongeait ainsi durant une heure et demie. Puis, la voix de Luang Pou s’élevait de nouveau pour clore la session. Les mains jointes, il récitait en pāli : Sabbe buddhā balapattā Paccekānañca yaṃ balaṃ Arahantānañca tejena Rakkaṃ bandhāmi sabbaso. Bhavatu sabba maṅgalaṃ Rakkhantu sabbadevatā Sabbabuddhānubhāvena Sadā sotthī bhavantu te. Bhavatu sabba maṅgalaṃ Rakkhantu sabbadevatā Sabbadhammānubhāvena Sadā sotthī bhavantu te. Bhavatu sabba maṅgalaṃ Rakkhantu sabbadevatā Sabbasaṅghānubhāvena Sadā sotthī bhavantu te. demandant ainsi que les Trois joyaux protègent et bénissent l’assemblée. 108 www.kalyanamitra.org
Les moines qui pratiquaient la méditation pos- sédaient rarement le don de l’expression. Ceux qui prêchaient bien n’étaient généralement pas de grands spécialistes des textes canoniques. Luang Pou, en re- vanche, très compétent en pāli, était capable de pré- senter tous les enseignements à la lumière de sa pro- pre expérience. Il annonçait son sujet en pāli et pro- nonçait un sermon en relation avec la pratique médita- tive, entremêlant son discours des notions pāli per- mettant de soutenir et de nourrir sa signification. De ce fait, il portait une attention particulière au Mahāsatipaṭṭhāna-sutta. Luang Pou conseillait toujours à ses disciples de se poser les questions : « qui suis-je ? Pourquoi suis-je né ? Comment dois-je conduire ma vie ? » Et il ré- pondait à ces questions de deux manières différentes : à travers la théorie et à travers la pratique. Luang Pou délivrait des sermons théoriques et enseignait la médi- tation en tant qu’application pratique de ces sermons. Luang Pou enseignait de manière graduelle, de l’élémentaire au plus complexe. Il enseignait ce qu’il faut connaître des plans d’existence* les plus pro- ches ; puis ce qu’il faut connaître des plans d’existence plus éloignés comme les plans des devā ou les enfers. Puis il évoquait le nibbāna. Il s’agissait uniquement d’inciter ses disciples à comprendre le cycle des existences*, de trouver la voie permettant de sortir du cycle des existences et d’atteindre le nibb- āna. Les enseignements de Luang Pou étaient toujours vérifiables par la pratique personnelle et conduisaient de ce fait à une confiance inébranlable dans la vérité 109 www.kalyanamitra.org
des enseignements du Bouddha et à la ferme détermi- nation de placer ses pas dans ceux du Bouddha. Luang Pou utilisait volontiers l’exemple du souterrain pour encourager ses disciples à persévérer dans leur pratique. Il leur disait : Creusez votre puits à la recherche de la source. Continuez de creuser sans cesse. Creusez peu profond, vous ne trouverez pas d’eau. Creusez profondément, jusqu’au fond, et l’eau coulera à flots. Luang Pou soutenait toujours que : Le pouvoir de Dhammakāya est comme les nu- triments qui mènent un arbre à sa maturité. Si nous voulons qu’un arbre produise des fruits, nous devons l’arroser et lui fournir des engrais. De la même façon, celui qui souhaite s’épanouir dans la vie doit s’entraîner jusqu’à atteindre Dhammakāya. Les arbres ne sont pas les seuls à avoir besoin de nourriture, les hom- mes aussi ! Luang Pou avait la capacité de connaître avec précision ce qui se passait dans l’esprit des autres. Lorsqu’il délivrait un sermon, nombre de personnes ressentaient que le contenu du sermon semblait avoir été taillé à leur mesure. Même lorsqu’il fut trop ma- lade pour quitter sa chambre, il sut toujours exacte- ment ce qui se passait dans le temple. 110 www.kalyanamitra.org
Lors des principales fêtes religieuses célébrées au Wat Paknam, comme le Visakha Puja54 et le Mag- ha Puja55, Luang Pou plaçait la cérémonie sous l’égide du Bouddha lui-même. De nombreux fidèles assemblés étaient témoins de la présence d’une image de Dhammakāya aussi vaste que la chapelle, dans diverses positions, haut dans le ciel ; ils la voyaient de leurs propres yeux, en particulier lorsqu’ils prati- quaient la circumbulation nocturne ; cet événement ne survenait qu’à travers une prouesse mentale* de Luang Pou. A propos de la générosité*, Luang Pou ensei- gnait que : Donner est quelque chose que tout le monde doit faire, mais donner doit être fait de manière désintéressée : par exemple, si vous donnez de la nourriture à un chat afin qu’il chasse les sou- ris, ce n’est pas de la générosité parce que la motivation est centrée sur le donateur. En re- vanche, si vous nourrissez le chat afin d’apaiser sa faim et que vous n’en attendez rien, c’est de la générosité. Nourrir les autres animaux, c’est 54 La principale fête du bouddhisme, correspondant aux anniversaires de la naissance, de l’Eveil et du parinibbān* du Bouddha. Elle se déroule lors de la pleine lune du sixième mois de l’année lunaire (environ mi mai). 55 Cette fête commémore l’événement durant lequel 1250 bhikkhū ayant atteint l’Eveil vinrent rendre spontanément hommage au Bouddha. Elle se déroule lors de la pleine lune du troisième mois de l’année lunaire (en février). 111 www.kalyanamitra.org
la même chose : vous devez donner sans aucun désir de recevoir quelque chose en retour. Si vous prenez soin d’un chien uniquement pour effrayer les voleurs, ce n’est pas de la générosi- té. Vous devez donner honnêtement, par sym- pathie, intentionnellement et penser : « si je ne lui donne pas quelque chose maintenant, il ris- que de mourir parce qu’il dépend de moi ». Luang Pou était empli de compassion mais il ne supportait pas le mensonge. Il disait qu’une per- sonne qui ment est dénuée de bonté. Il prônait la sin- cérité en toutes choses, y compris dans la recherche de la vertu. Lorsque Luang Pou apprit que son premier soutien, « Nuam », handicapée par l’âge, n’avait plus personne pour s’occuper d’elle, il la prit au temple, la confiant aux soins des renonçantes. Avec une pensée remplie de gratitude pour la façon dont Nuam l’avait aidé dans des temps difficiles, Luang Pou l’aida jus- qu’à la fin de ses jours, et, lorsqu’elle décéda, il lui organisa des funérailles dans les formes. Un vieil homme d’une foi très solide, mais aux moyens très limités, venait régulièrement étudier la méditation. Même la plus petite parcelle de progrès dans sa méditation le submergeait de joie et il rentrait chez lui pour partager cette joie avec sa femme et sa famille. Soucieux de montrer sa reconnaissance, il vint un jour avec un simple poisson séché et l’offrit à Luang Pou en disant : « je vous offre ce poisson. C’est tout ce que j’ai ». Luang Pou sourit et lui dit : 112 www.kalyanamitra.org
C’est ainsi que les choses devraient toujours être. Vous êtes maintenant un homme riche. Vous avez donné tout ce que vous avez, tout comme Punnadāsi qui, à l’époque du Bouddha, offrit le dernier de ses beignets et atteignit ra- pidement la prospérité. Votre poisson séché a bien plus de valeur que tout beignet. Votre bonne action d’aujourd’hui est pleine de mé- rite. Entendant l’éloge de Luang Pou, l’homme demanda à être ordonné ; comme il n’avait même pas assez d’argent pour acheter les huit accessoires nécessaires aux moines, Luang Pou les prit personnellement en charge. Luang Pou enseignait que, de toutes les actions méritoires, la méditation est la plus haute. Il disait : Méditer jusqu’à ce que l’esprit soit immobile, même pour un instant aussi bref que le batte- ment de l’oreille d’un éléphant ou le sifflement de la langue d’un serpent, est une action méri- toire immense, plus grande encore que la cons- truction de dix kuti ou dix temples, parce que le mérite acquis à travers la construction de tem- ples, même s’il améliore la qualité de votre prochaine renaissance, n’en mène pas moins à renaître dans le saṃsāra*, le cycle des nais- sances, des morts et des renaissances56. 56 La méditation, elle, permet ultimement d’échapper au saṃsāra, d’atteindre le nibbāna. 113 www.kalyanamitra.org
Luang Pou reçoit des disciples et leur remet des amulettes 114 www.kalyanamitra.org
L’atelier de méditation Dhammakāya est la force première. Rien, dans tout l’univers, n’est d’une portée supérieure. Phramongkolthepmuni Dans la majorité des temples de Thaïlande, le programme quotidien du Wat Paknam et le nombre élevé de participants auraient été considérés comme largement suffisants. La plupart des temples se se- raient félicités d’un tel nombre de fidèles et de la pleine réalisation d’un tel calendrier d’activités reli- gieuses. Pourtant, Luang Pou ne faisait pas de la norme commune le niveau à atteindre. Il était sans cesse à la recherche de moyens nouveaux pour aug- menter le niveau de compréhension de ses fidèles concernant le Dhamma*. Dans ce but, il avait besoin de donner un nouvel essor à la tradition de l’enseignement oral de la méditation qui tombait en désuétude en Thaïlande. La force de Dhammakāya*, sur lequel la tradition de l’enseignement de la méditation* pouvait être recons- truite, reposait sur le fait que chaque méditant doit et peut vérifier par sa propre expérience l’effectivité de 115 www.kalyanamitra.org
cette technique. La chose la plus utile que Luang Pou pouvait faire pour la majorité de ses disciples était donc de leur fournir le temps, le lieu et l’opportunité de perfectionner leur savoir faire et leur expérience personnelle de la méditation. L’innovation consistant à doter le Wat Paknam d’un Rong.ngahn.tahm.vijja, « atelier de connaissance du Dhamma », répondait à ce besoin. Luang Pou décrivit les contributions financières destinées à la construc- tion de l’atelier de méditation comme immensément méritoires. Lorsqu’il annonça son projet, un donateur offrit de sponsoriser l’ensemble du projet. Luang Pou s’y opposa, expliquant qu’il devait s’agir là d’un ef- fort collectif parce que le financement même d’une simple planche ou d’un simple clou de l’atelier appor- tait un mérite permanent et incalculable, cet atelier étant construit pour conduire les méditants hors du saṃsāra*. Le premier atelier de méditation fut construit sur un emplacement situé à mi chemin de la chapelle et du vihāra*, près de la tour. C’était un petit bâti- ment en bois comprenant deux niveaux. Les étages supérieurs et inférieurs étaient reliés par un conduit suffisamment large pour que la voix de Luang Pou puisse être audible des fidèles assis en bas. A l’étage inférieur, on trouvait deux rangées de six emplace- ments séparées par une allée suffisamment large pour que l’on y circule. Le sol était en terre battue. Durant la journée, les renonçantes s’asseyaient sur ces empla- cements pour méditer. Durant la nuit, une mousti- quaire était drapée autour d’elles afin de leur permet- 116 www.kalyanamitra.org
tre de continuer leur méditation sans subir les piqûres des moustiques. L’étage du haut était aménagé de la même façon, mais seul Luang Pou, les moines et les novices pouvaient y accéder. Il n’y avait pas d’escalier intérieur entre les deux niveaux, les entrées des deux pièces étant séparées afin d’éviter que les méditants hommes et femmes ne puissent se voir et encore moins être en contact. Le second atelier méditation qui fut construit était un bâtiment carré d’un seul niveau composé de deux salles jumelles séparées par une mince cloison. Chaque pièce pouvait contenir quarante méditants. La pièce de droite recevait les hommes laïcs (upāsakā) et les moines. Celle de gauche recevait les femmes laïques (upāsikā) et les renonçantes. La place de Luang Pou était en face de la partie droite ; une fente dans la cloison permettait aux upāsikā d’entendre les instructions de Luang Pou sans pouvoir voir son vi- sage. Ici aussi, les entrées des deux pièces étaient sé- parées. Luang Pou souhaitait que cet atelier soit utilisé par les méditants vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le Vénérable choisissait uniquement les méditants les plus doués. Leur mission était de consacrer leur vie à l’exploration du monde spirituel qui s’étend au-delà du premier chemin de Dhammakāya. Les méditants laissaient tout de côté, y compris leur temps libre. Ils n’avaient quasiment plus le temps de dormir. Luang Pou était encore plus occupé puisqu’il devait de sur- 117 www.kalyanamitra.org
croît multiplier ses apparitions en public pour le bien être général du temple. Au cours de la seconde guerre mondiale, Luang Pou sépara ses méditants qualifiés en deux équipes. Ils s’asseyaient pour méditer douze heures par jour (en deux séquences de six heures) en alternance, de mi- nuit à six heures, de six heures à midi, de midi à dix- huit heures et de dix-huit heures à minuit. Après la guerre, Luang Pou commença à utiliser trois équipes pour assurer en alternance des périodes de méditation de quatre heures. Chaque équipe avait son propre res- ponsable, choisi par Luang Pou pour la qualité de sa discipline. Au changement d’équipe, la nouvelle équipe arrivait une demi heure en avance afin de se « réchauffer l’esprit » tout en bénéficiant de l’énergie spirituelle générée par l’équipe sortante. Les enseignements élevés donnés par Luang Pou n’étaient accessibles qu’aux disciples ayant accumulé des perfections* suffisantes au cours d’un grand nom- bre d’existences successives. De tels enseignements n’étaient pas accessibles au tout venant parce que seuls des adeptes de Vijjā Dhammakāya* pouvaient ainsi s’assembler pour sonder les replis les plus sub- tils du psychisme humain. Peu de temps après le démarrage des ateliers de méditation, une disciple particulièrement compé- tente de Kuhn Yay Thonsuk, nommée « Chandra » fut présentée à Luang Pou. Luang Pou reconnut en elle une aptitude innée à la méditation et la salua avec ces mots : « pourquoi avez-vous été si longue à venir ? ». Sans qu’elle eut besoin de passer les épreuves habi- 118 www.kalyanamitra.org
tuelles de capacité dans la pratique du Dhamma, Luang Pou l’intégra directement à l’atelier de médita- tion. Dés qu’elle se fut familiarisée avec le protocole et le langage particuliers de l’atelier, Luang Pou la désigna comme responsable de l’équipe de nuit. Dans l’atelier de méditation, Vijjā Dhammak- āya était l’objectif principal. Dans ses étapes initiales, Vijjā Dhammakāya renvoie à la compréhension de la connaissance enseignée par le Bouddha, c'est-à-dire les Trois sciences*, l’octuple connaissance supranor- male* et la sextuple connaissance suprême. Ces for- mes de connaissances parfaitement maîtrisées, elles peuvent être appliquées à la recherche de la libération pour tous les êtres prisonniers du saṃsāra. Rien ne surpassait le programme de méditation perpétuel dans la mesure où lui seul permettait de vérifier encore et encore la sagesse de Dhammakāya. A trois reprises, Luang Pou utilisa le pouvoir spirituel des méditants pour faire apparaître des en- trailles de la terre une grande et ancienne boule de cristal. La première fois, dans les années 1935-1936, il perçut, à l’aide du discernement* né de Vijjā Dham- makāya, la présence d’une boule de cristal, de la taille d’un durian57, très profondément enfouie sous le bâ- timent blanc du temple. Luang Pou sut qu’il s’agissait 57 Fruit tropical très prisé des Thaïs, d’une consistance et d’une odeur… déconcertantes. Sa taille peut atteindre 40 cm de circonférence et son poids 5 kg. 119 www.kalyanamitra.org
de l’un de ces joyaux naturels considérés comme un symbole des monarques universels*. Il déclara : Si nous pouvions disposer de cette boule de cristal, nous n’aurions plus besoin de nous in- quiéter à propos de ce vieux monde. Nous pourrions initier un monde radicalement nou- veau. Nous pourrions tous vivre à l’aise, soute- nus par le pouvoir de cette boule de cristal, sans avoir besoin de gagner notre vie. Il demanda à une moitié de ses disciples de creuser le sol à la recherche de la sphère et à l’autre moitié de méditer afin de l’attirer vers la surface. Le soir venu, la boule apparut à l’ouverture du trou, sa lumière verte illuminant la moustiquaire placée autour ; et chaque nuit, un chat aux yeux de diamant apparaissait et jouait dans l’aura de la lumière de cristal. Parmi ceux qui creusèrent le trou se trouvait un jeune aram58 d’une douzaine d’année qui devint plus tard le Vénérable du Wat Lamphaya. Luang Pou plaça une moustiquaire immaculée au dessus du trou et s’assit pour méditer dans l’isolement de son kuti. Chaque fois que les disciples creusaient plus près de la boule de cristal, elle s’enfonçait un peu, hors de leur portée, glissant à travers la roche avec un son si grave que le jeune aram était gagné par la peur. A cette époque, le nombre des méditants adeptes de Vijjā Dhammakāya était encore faible. Ils avaient un pouvoir insuffisant 58 Un aram est un jeune garçon, confié au temple pour y servir les moines et y préparer le noviciat. 120 www.kalyanamitra.org
pour contrôler la boule de cristal et celle-ci retourna à la terre. Dans les années 1940, Laung Pou demanda de nou- veau à ses méditants de creuser à la recherche d’une boule de cristal. Cette fois-ci, ils envoyèrent dans le trou une renonçante qui avait déjà atteint Dhammak- āya tandis que le reste des disciples méditait à la sur- face. La renonçante parvint à prendre la boule de cris- tal dans un linge blanc. De nouveau, le vert rayonne- ment de la boule illumina le trou. Luang Pou prit la boule de cristal et la plaça sur l’autel de la chapelle principale. Tous rendirent hommage à la boule de cristal avec des fleurs de jasmin ; elle était bien de la taille d’un durian, incroyablement claire, mais noueuse. Cette boule de cristal resta dans la chapelle durant six jours ; au cours de la septième nuit, une tempête hors de saison se déchaîna autour du temple. Un éclair frappa la chapelle et la boule disparut avec son tissu blanc. Luang Pou songea : Nos perfections sont encore faibles. Nous n’avons pas encore vaincu le côté obscur du monde. Nos épreuves doivent continuer parce que nous sommes toujours corrompus par les fermentations mentales*. Notre sagesse est en- core imprécise. C’est pour cela que la boule de cristal nous a échappé. Une troisième fois, Luang Pou perçut la présence d’une boule de cristal sous le temple ; de nouveau ses disciples creusèrent aussi loin qu’ils purent. Chaque fois qu’ils s’en approchaient, la boule s’enfonçait un peu plus dans les entrailles de la terre, émettant un sourd grondement tandis qu’elle se déplaçait à travers 121 www.kalyanamitra.org
le sol rocheux. Alors que l’on s’en approchait d’un peu plus près, la boule de cristal disparut complète- ment et il ne resta plus à sa place qu’un nid de cobras dont les occupants attaquèrent sans répit les renonçan- tes. La boule de cristal avait disparu pour de bon. Luang Pou utilisa la méditation pour soigner les re- nonçantes. Il protesta : « Ils » ne veulent pas nous combattre face à face et « ils » ne veulent pas encore nous la donner. En une autre occasion, Luang Pou apporta une graine de manguier dans l’atelier, afin d’expérimenter le pouvoir de la méditation. Le sol du rez-de-chaussée étant fait de terre battue, il y planta la graine et l’arrosa. De manière surprenante, la graine germa et poussa jusqu’à devenir, en l’espace d’une demi-heure, un manguier de bonne taille avec des feuilles et des fleurs ! Il devait plus tard donner des fruits d’une belle teinte dorée, à l’image des fruits magiques des forêts de l’Himavanta59 décrits dans les textes boudd- histes. Luang Pou partagea les mangues entre les par- ticipants de l’atelier. Leur goût était exceptionnel ! Même si Luang Pou consacrait la majeure par- tie de son temps à l’enseignement et à la diffusion de la tradition Dhammakāya, il assurait toujours très sé- rieusement la direction de la communauté monasti- que. Il faisait chaque nuit la tournée du temple, veil- lant au comportement et au bien être de la communau- 59 L’un des noms de l’Himālaya dans les textes pāli. 122 www.kalyanamitra.org
té. Il s’attendait toujours à trouver des intrus dans l’enceinte du temple, particulièrement lorsqu’il pleu- vait. Il disait qu’il n’existe que deux catégories de personnes qui apprécient ce type de temps la nuit : les voleurs et les amants adultères. Il sortait aussi pour surveiller les moines, les novices, les renonçantes et les autres afin de prévenir d’éventuelles escapades nocturnes et afin, à l’inverse, de voir qui était particu- lièrement diligent dans ses études. Luang Pou pouvait ainsi vérifier l’ensemble des chambres dans lesquelles logeaient les moines et les novices. Si Luang Pou voyait de la lumière provenir d’une chambre et entendait le son de la récitation d’un texte, cela le remplissait de plaisir. Il demandait à rencontrer le moine, s’enquérait de son bien être et lui apportait un soutien particulier dans ses études. Durant certai- nes années, lorsque un nombre particulièrement conséquent d’étudiants avaient réussi dans leurs étu- des, il organisait une cérémonie de félicitations, of- frant de nouvelles robes aux moines et annonçant le nom des lauréats devant l’ensemble de la congréga- tion ; de cette façon, les sponsors du temple pouvaient recevoir leur part de ces félicitations. Si Luang Pou voyait de la lumière provenir d’une chambre accompagnée du son d’une conversation, il frappait à la porte et demandait au moine d’éteindre sa lampe. Tout le monde savait que Luang Pou prenait à cœur d’économiser l’électricité et l’eau, les deux ne devant être utilisées qu’en cas de réelle nécessité. Du- rant la journée, il coupait même l’interrupteur princi- pal, s’assurant ainsi que personne ne gâchait l’électricité. 123 www.kalyanamitra.org
Une nuit, Luang Pou passa près d’une chambre où se trouvaient deux moines. Il vit de la lumière filtrer sous la porte et entendit une conversation. Au dehors, tout était calme. Il n’y avait personne d’autres aux alentours. Luang Pou frappa doucement à la porte avec l’intention de demander aux moines d’éteindre la lumière. Entendant frapper, les moines interrompirent immédiatement leur conversation. Au lieu d’ouvrir la porte, l’un d’eux, croyant à la présence d’un laïque importun, cria de l’intérieur : « allez-vous en ! Je m’occuperai demain de vous transférer du mérite* ». Luang Pou ne dit rien et continua son chemin. Au petit matin, après la récitation rituelle, Luang Pou donna son sermon habituel. Normalement, s’il avait découvert quelque chose durant la nuit, il en parlait devant toute l’assemblée. Si quelqu’un avait trans- gressé les règles du Vinaya* ou celles du temple, c’était un moment où il se sentait mal à l’aise. Luang Pou avait sa façon bien à lui de faire connaître aux coupables que leur comportement avait été démasqué. Il voulait que tout le monde soit bien certain qu’aucun comportement ne pourrait demeurer secret. Ce matin- là, il s’exclama : Il y a peu, quelqu’un parmi nous a été assez gentil pour promettre de transmettre du mérite, gentil au point de promettre de transférer ce mérite à son Précepteur… bien que celui-ci n’ait pas encore quitté ce monde ! Lorsque Luang Pou avait des critiques personnelles à formuler, il le faisait en privé et non devant toute la communauté. Si l’affaire était très sérieuse, il deman- 124 www.kalyanamitra.org
dait aux coupables de quitter le temple sans en avertir personne. Luang Pou trouvait tout le temps de nouvelles façons de surveiller le temple durant la nuit, afin que per- sonne ne puisse anticiper ses interventions. Il faisait parfois sa ronde revêtu de sa seule sous-robe (angsa) et s’installait dans l’ombre avec un bâtonnet d’encens allumé, le bout incandescent pouvant passer pour ce- lui d’une cigarette ; personne ne lui prêtait attention parce que tous savaient que Luang Pou ne quittait jamais son kuti dévêtu et qu’il ne fumait pas. Il surprit une fois un novice en train d’utiliser du talc ; il lui demanda avec désinvolture s’il avait des boutons ; le novice lui répondit que non. Luang Pou lui dit alors de ne plus jamais utiliser de cosmétiques à la manière d’un laïque. Pour certains paresseux, la seule odeur distante de l’encens portée par le vent de la nuit était suffisante pour leur faire comprendre que leur laxisme avait été découvert par Luang Pou. Une autre nuit, Luang Pou passa par les logements des renonçantes. L’une d’elle avait invité une amie à passer la nuit dans sa chambre pour étudier les Pré- ceptes. Luang Pou vit qu’il était déjà tard mais que la lumière de la chambre restait allumée. Luang Pou regarda par la fenêtre et vit la renonçante essayant en riant, devant un miroir, la robe de son amie. Luang Pou saisit une brique et la jeta à travers la fenêtre ; elle fut rapidement suivie d’une seconde. La renon- çante revêtue de la robe se rua hors de la chambre mais ne put voir personne ; elle cria : « vous ne pou- vez pas vous sauver comme ça après m’avoir jeté des briques alors que je n’ai rien fait de mal ! Attendez un 125 www.kalyanamitra.org
peu que j’en parle à Luang Pou ! » Le matin suivant, la renonçante vint voir Luang Pou afin de lui deman- der de rechercher et de punir le coupable. Luang Pou lui demanda incidemment ce qu’elle faisait au mo- ment de l’incident et pourquoi elle n’avait pas encore éteint la lumière et rejoint son lit. La renonçante évita de répondre. Luang Pou continua à la questionner et lui révéla qu’il avait lui-même jeté les briques ! Il lui enseigna de ne plus jamais se comporter ainsi à l’avenir car la frivolité provoquait une dispersion de l’esprit et causait du tort à sa méditation. Il lui ensei- gna que tous les disciples qui avaient renoncé à la vie dans le monde devaient prendre garde à ne pas retour- ner à leur anciennes habitudes, faute de quoi leurs vœux auraient été pris en vain. Il enseignait : Le monde n’est pas profitable. Si le Dhamma est pratiqué avec des préoccupa- tions mondaines, Rien n’est abandonné, si ce n’est la nourriture, le sommeil et les sorties. Rien de plus. Malgré sa rigueur, Luang Pou gardait son sens de l’humour. Il avait l’art d’embarrasser les gens à pro- pos des défauts personnels qu’ils devaient corriger. Une fois, Luang Pou accepta une invitation à célébrer, en compagnie de huit moines, une cérémonie de consécration d’une nouvelle maison. Il y avait un vers que seul Luang Pou et un autre moine, Phra Kru Vi- chien Dhammakovit, connaissaient. Les autres moines ne le connaissaient pas. A la fin de la récitation ri- tuelle, le propriétaire de la maison apporta des rafraî- chissements aux neuf moines. Luang Pou indiqua que 126 www.kalyanamitra.org
le plateau devait lui être présenté en premier. Il prit le plateau et le posa à côté de lui. Il prit l’un des verres en disant qu’il devait être offert à Phra Kru Vichien et il passa sous le nez de tous les autres moines tandis que Luang Pou s’exclamait : « Vichien, seul toi et moi avons fait un réel effort aujourd’hui. Buvons donc ensemble ! » En une autre occasion, alors qu’Ajahn Treeta Niemk- ham venait tout juste de se retirer du monde pour de- venir renonçante, elle fut prise du désir de se faire faire une permanente. Elle vint demander une permis- sion de sortie à Luang Pou. Elle pensait que Luang Pou n’y prêterait plus attention, mais lorsqu’elle re- vint de chez le coiffeur, Luang Pou la convoqua. Elle pensa tout d’abord que Luang Pou devait avoir quel- que affaire importante à discuter avec elle, mais en fait Luang Pou avait bien compris qu’elle était partie chez le coiffeur. Il lui demanda : « combien cela a-t-il coûté ? ». « Cent cinquante bahts, Vénérable », ré- pondit-elle. « Oh », s’exclama-t-il, « c’est très cher mais c’est joli, j’imagine ? » Treeta respira en pensant que pour une fois Luang Pou n’allait pas être aussi terrible que d’habitude concernant ce type de frivolité, mais Luang Pou continua d’une façon qui effaça rapi- dement le sourire de son visage : « je pense que les poils de mes tibias sont plus jolis, naturellement fri- sés, et qu’il n’est pas besoin, pour les coiffer, de dé- penser un argent difficilement gagné !». Parmi les méditants, il y avait une Mae Chi, fine et astucieuse, nommée Nag. Elle était l’une des méditan- tes les plus douées. Elle avait purifié son esprit à un haut degré, au point de pouvoir mettre en œuvre des 127 www.kalyanamitra.org
pouvoirs comme ceux de faire trembler la terre et de deviner le futur avec précision. Lorsqu’elle faisait une prédiction, sa réalisation était certaine. C’est pour cela que, lorsqu’un jour elle annonça qu’elle serait mordue simultanément par trois cobras avant 7 h du soir, l’oncle Plaeng, le médecin du temple, très inquiet, prépara immédiatement un antidote contre les morsu- res de cobra. Entre les kuti du Wat Paknam, des deux côtés du chemin menant à l’atelier de méditation, il y avait une vaste étendue d’herbe. Mae Chi Nag ordon- na que personne ne sorte de son kuti avant 7 h du soir. Elle se retira elle-même dans son kuti pour y réciter les rituels du soir, une récitation qui consistait à l’époque en 108 répétitions de la stance Itipi so*. Elle avait une longue pratique et savait intuitivement, sans compter, quand elle avait achevé sa récitation. Ce soir là ne fut pas différent. Elle finit sa récitation et regar- da l’horloge. L’horloge affichait 7 h. Elle se couvrit de son châle et emprunta l’escalier jusqu’au sentier. Elle avait à peine descendu quelques marches qu’elle fut mordue au bras par trois cobras. Elle appela les autres à son secours. Toutes furent surprises de voir que Mae Chi Nag avait été la seule à désobéir à sa propre recommandation. Lorsqu’elles retournèrent à leur kuti elle virent que les aiguilles de l’horloge ne marquaient pas encore 7 h. Apparemment, malgré sa sagesse, le kamma négatif accumulé auparavant avait eu raison de sa vigilance, causant une lecture erronée de l’heure et l’entraînant vers le malheur qu’elle avait prédit. 128 www.kalyanamitra.org
Kuhn Yay Chandra était la plus appliquée des méditantes. Quelle que soit la question ou la requête formulée par Luang Pou, elle pouvait y répondre. Rien de ce que lui demandait Luang Pou n’était hors de sa portée. Si on lui demandait de voir quelle avait été la destination post mortem d’une personne, elle pouvait le faire. Si on lui demandait de voir dans le passé ou de prévoir le futur, elle pouvait le faire. Il lui fut même demandé une fois de comprendre un lan- gage animal : un jour que Luang Pou revenait du re- pas, il aperçut deux pigeons sur le toit du temple ; il demanda à Kuhn Yay de découvrir le sens de leur conversation ; il lui dit que les pigeons étaient perchés sur le toit du temple, que l’un d’eux avait détourné sa tête de l’autre et qu’ils s’étaient ensuite envolés dans la même direction. Kuhn Yay, sans rien savoir de plus, partit méditer. Elle fut capable de comprendre les pigeons et retourna porter la réponse à Luang Pou : ces pigeons étaient mari et femme, le mâle de- mandant à la femelle quelle route ils devaient emprun- ter pour ne pas se perdre ; la femelle avait détourné la tête pour vérifier la route avant qu’ils ne s’élancent dans la bonne direction. Luang Pou ne commenta pas les réponses de Kuhn Yay. Il n’avait pas l’habitude de féliciter les gens pour leur bon comportement : s’il critiquait les autres lorsque leurs erreurs méritaient d’être corrigées, il restait silencieux s’il n’y avait rien à corriger. En une occasion seulement Luang Pou félicita publi- quement ses disciples : ce fut lorsqu’il fit l’éloge de Kuhn Yay Chandra en affirmant qu’elle était la 129 www.kalyanamitra.org
« première entre tous », la plus compétente de ses méditants. Toute personne ayant eu l’opportunité d’étudier la nature des « miracles » réalise qu’ils ne sont en fait qu’un sous produit ordinaire de la pratique méditative et de la visualisation. De ce fait, Luang Pou n’eut jamais l’intention d’inciter ses disciples à attacher trop d’importance aux réalisations paranor- males. Son but, en utilisant Vijjā Dhammkāya, était d’atteindre la fin de toutes les fermentations menta- les* et de conduire tous les êtres vers le sanctuaire du nibbāna*. Un nombre considérable de personnes atteignirent, à travers la méditation, un bonheur sans mélange. Beaucoup d’entre eux, pleinement satisfaits de leurs résultats, quittèrent le temple pour aller enseigner la technique de méditation Dhammakāya dans d’autres provinces de Thaïlande. Malgré tout, un petit noyau de méditants particuliè- rement compétents resta de manière permanente aux côtés de Luang Pou ; ce noyau était constitué princi- palement de renonçantes. Comme Luang Pou, les re- nonçantes restaient au temple et ne se satisfaisaient jamais de leur niveau de réalisation, pourtant déjà haut, parce que selon les mots de Luang Pou : La profondeur du discernement* dans la tech- nique Dhammakāya est si vaste que méditer douze heures par jour durant une existence de quatre-vingt ans ne permet pas d’en épuiser l’étendue. 130 www.kalyanamitra.org
Au niveau national, le succès de Luang Pou et son zèle inébranlable étaient reconnus. Ses efforts ne passèrent pas inaperçus, que ce soit aux yeux de la communauté monastique ou à ceux du Palais royal. Il fut successivement récompensé par les titres monasti- ques suivants : 1916 – Phra Kru Samu Thananukrom 1921 – Phra Kru Samana-thamm-samathan 1949 – Phra Bhavanakosol Thera 1951 – Eventail honorifique60 du plus haut grade d’études pāli 1955 – Phra Mongkolrajamuni 1957 – Phra Mongkolthepmuni En se voyant conférer le titre royal de Phra Mongkol- thepmuni, Luang Pou Wat Paknam fut donc promu à un très haut grade de la hiérarchie monastique. La vocation de Luang Pou n’était cependant pas dé- nuée d’obstacles. L’impact de la méditation Dham- makāya était considérable, provoquant une certaine agitation parmi tous ceux qui suivaient d’autres prati- ques bouddhistes. Les références à Dhammakāya dans le canon bouddhiste Theravāda* sont rares, et Luang Pou dut faire face aux nombreuses personnes qui croyaient que la méditation Dhammakāya était étran- gère au bouddhisme et que la plus haute vérité* de l’enseignement avait en fait disparu en même temps que le Bouddha. 60 L’attribution d’un titre prend la forme de la remise d’un éventail particulier. 131 www.kalyanamitra.org
Ce n’est que bien plus tard que la méditation Dham- makāya devint l’une des techniques les plus populai- res de Thaïlande. Durant l’existence de Luang Pou, ce système de méditation fut l’objet de nombreuses controverses parmi les fidèles bouddhistes. Quelques moines estimaient que Luang Pou avait dû trop médi- ter, au point de finir par enseigner quelque chose qui n’appartenait pas au bouddhisme. Au premier abord, les enseignements de Luang Pou ne paraissaient pas correspondre à ceux qui sont consignés dans le Canon pāli. La profondeur absolue de la vérité* dans laquelle Luang Pou accédait au discernement était telle que ses enseignements bouddhistes étaient très précis ; mais, ironie de l’histoire, il recevait un flot continu de griefs de la part de ceux qui avaient coutume de se satisfaire de vagues platitudes sur le bouddhisme. Cependant, Luang Pou, comme tout « pionnier », considérait ces préjugés comme « un obstacle parmi d’autres, et de- vant être dépassé ». Luang Pou était très proche du Suprême Patriarche et eut l’occasion de discuter avec Sa Sainteté des alléga- tions que nombre de personnes émettaient à son en- contre : Nous ne sommes pas des gens stupides, inca- pables de discerner la différence entre « ce qui est vrai » et « ce qui est faux » ! Pourquoi in- venterions-nous des mensonges pour assurer notre propre promotion aux yeux des autres ? Ils nous accusent uniquement parce qu’ils ne connaissent pas Dhammakāya par eux-mêmes. Ils ne connaissent ni la place où se situe Dhammakāya, ni même la signification de ce 132 www.kalyanamitra.org
mot ! Cette ignorance doit être l’unique raison pour laquelle ils se fourvoient et se plaignent de nous, nous qui sommes francs et sincères en n’enseignant qu’à partir de notre véritable ex- périence. Lorsque des gens ignorants qui ne connaissent pas la véritable doctrine du Boudd- ha attaquent notre technique de méditation, ils ne peuvent contrarier la vérité, mais ils peuvent en revanche ébranler la foi des esprits faibles. Le véritable joyau de l’enseignement du Bouddha brille éternellement et seuls les sages peuvent le voir avec une véritable admiration. Les résultats de la vérité dérivent entièrement de l’expérience personnelle du méditant, non des études théoriques. Au Wat Paknam, les moines dont j’ai la charge, même lorsqu’ils mangent ou dorment, ne font que pratiquer la méditation. Nous parlons ensemble de ce que nous avons réalisé et nous n’avons de cesse d’encourager les autres à réussir. Nous ne fai- sons pas notre publicité dans les journaux ; no- tre renommée ne provient que de notre bonne réputation ; et pourtant, en dépit de la vertu de notre temple, les gens continuent à nous ca- lomnier, un comportement qui, ultimement, ne fait du tort qu’à eux-mêmes. Nous ne deman- dons pas aux gens de payer pour les enseigne- ments qu’ils reçoivent dans notre temple. Si nous atteignons la vérité et guidons les gens dans la voie correcte, alors le savoir faire médi- tatif triomphera de la calomnie. Je ne suis pas atteint par toute cette controverse parce que 133 www.kalyanamitra.org
Dhammakāya est une vérité du bouddhisme. Dhammakāya est réel. Il est perçu par tous ceux qui atteignent ce niveau de conscience. Ma conviction dans la vérité du bouddhisme est inébranlable. Luang Pou cita l’enseignement du Bouddha à son disciple Vakkali : Yo kho Vakkali, dhammaṃ pas- sati so maṃ passati (« Vakkali, celui qui voit le Dhamma me voit »)61. Il cita également un autre dis- cours du Bouddha au novice Vāseṭṭha : Tathāgatassa hetaṃ Vāseṭṭhādhi-vacanaṃ dhammakāyo iti pi (« Ô Vasseṭṭha, le nom « dhammakāya » est en vérité le nom du Tathāgata*)62. L’interpellation de Vakkali avait pour but d’éviter l’attachement du novice à la beauté du corps physique du Bouddha63. La citation de l’Agañña-sutta concerne, elle, la nature de ce qui est expérimenté dans la médi- tation et nous donne la véritable signification du mot Tathāgata. Le Dhamma, c'est-à-dire la vérité abso- lue*, nous le voyons maintenant, correspond au Dhamma intériorisé, au Dhammakāya ou « corps du Dhamma » : Celui qui voit le Dhamma voit le Tathāgata. Cela signifie que le corps du Dhamma ou Dhammakāya est le véritable Tathāgata. Celui qui voit le Dhamma, le Dhammakāya, voit ef- 61 Vakkali-sutta (S/SAṂ III/1/9/5/n°87) 62 Agañña-sutta (S/DĪG III/4/n°118) 63 Le Bouddha affirme en effet par ces mots que le plus important n’est pas sa personne mais la vérité qu’il enseigne et à laquelle il s’identifie, le Dhamma. 134 www.kalyanamitra.org
fectivement le Bouddha. Le Bouddha véritable est le Dhammakāya, non le corps physique du Bouddha historique. Pourquoi le Bouddha parlait-il en ces termes à Vakkali ? Si une personne voyait de ses pro- pres yeux le corps physique du Bouddha, ne voyait-il pas réellement le Bouddha ? Le texte ne fait pas référence à une cécité ou à des pro- blèmes de vue de Vakkali. Pourquoi donc le Bouddha parlait-il ainsi ? En vérité, cet ensei- gnement du Bouddha a pour but de prévenir la confusion. Voir le Bouddha avec les organes physique de la vue signifie voir le corps physi- que du Bouddha Gotama, celui qui renonça au monde pour devenir moine. Ce corps physique était destiné à vieillir et à mourir. Il ne doit pas être confondu avec le véritable « corps » du Bouddha, qui coïncide avec la vérité* de l’illumination. Ce corps-là du Bouddha est éternel. Il ne peut être vu qu’avec « l’œil du Dhammakāya ». Il s’agit ici de l’« œil de l’esprit », non de l’œil physique. La capacité d’utilisation de cet œil-là est un pouvoir que l’on développe en cultivant la méditation au plus haut niveau. Lorsque l’on interprète directement les textes comme je l’ai fait, il devient évident que les mots apparemment simples utilisés par le Bouddha contiennent une signification très pro- fonde et subtile. Personnel n’est capable de sai- sir ce sens profond, à l’exception de ceux qui accèdent par eux-mêmes à Dhammakāya. C’est 135 www.kalyanamitra.org
pour cela que j’enseigne à tous la voie menant à Dhammakāya, afin que chacun puisse décou- vrir par lui-même la vérité absolue qui repose au fond de nous-mêmes… Ses efforts pour développer la tradition Dhammakāya attirèrent des centaines de milliers de disciples. Parmi ceux-ci, des dizaines de milliers furent capable d’atteindre Dhammakāya et l’aidèrent à diffuser la méditation Dhammakāya dans les provinces. Les moines, novices et renonçantes qui atteignaient un très haut niveau de discernement au sein de la tradi- tion Dhammakāya restaient au Wat Paknam afin d’aider Luang Pou à mener ses recherches méditatives avancées. Il enseignait aux moines et novices : Vous devez tout d’abord essayer d’atteindre Dhammakāya ; je pourrai ensuite commencer à vous enseigner le discernement*. Même si vous mettez vingt ans à l’atteindre, il ne sera jamais trop tard pour que vous appreniez quelque chose de moi ! 136 www.kalyanamitra.org
Un temple en temps de guerre Lorsque vous recherchez le bonheur, vous devez immobiliser votre esprit. La cessation est la manifestation de la réussite, c’est le véritable bonheur, un bonheur semblable à nul autre. Phramongkolthepmuni Lorsqu’éclata la seconde guerre mondiale, Luang Pou s’intéressa de très près aux nouvelles. La guerre changeait la vie des habitants de Bangkok et le temple n’y échappait pas. Le danger était considérable pour toute personne vivant dans la capitale. Ce fut la seule période de l’histoire du Wat Paknam durant laquelle Luang Pou cessa d’enseigner la méditation à un large public au sein du vihāra* principal du tem- ple. Durant toute la guerre, compte tenu des risques le qu’auraient pu encourir les participants aux sessions de méditation du jeudi, Luang Pou les déplaça dans la demeure de Nah Saiyud Peankerdsuk qui n’était pas trop loin du temple. De même, durant la guerre, Luang Pou considéra qu’il n’était pas sûr pour les moines de sortir pour leurs 137 www.kalyanamitra.org
tournées d’aumônes. Les moines eurent cependant toujours suffisamment à manger grâce à la cuisine dont ils s’étaient dotés. Luang Pou demanda égale- ment à Kuhn Yay Chandra que les méditants présents dans le temple invoquent le soutien des perfections* acquises grâce à Dhammakāya pour obtenir chaque jour de quoi nourrir toute la communauté du temple. Il était de ce fait certain que chaque jour il y aurait au moins un fidèle pour soutenir le temple et il ordonna aux méditants d’offrir aux fidèles l’opportunité de réaliser leur vœu de donner du riz au temple. Luang Pou fit également le commentaire suivant : Quel que soit le lieu dans lequel vivent ceux qui entraînent leur esprit à sa cessation, jamais la nourriture n’y fera défaut. Même si vous êtes un moine pratiquant dans les profondeurs de la forêt, vous ne pourrez pas échapper à la géné- rosité de ceux qui vous cherchent pour vous of- frir des moyens de subsistance. Un jour, la réserve de riz du temple fut proche de l’épuisement ; et il n’y avait aucune perspective de rentrée de vivres le jour suivant. Il existait une com- plication supplémentaire en temps de guerre : la loi martiale interdisait le transport de toute matière stra- tégique, dont le riz. Même si l’on parvenait à acheter une cargaison de riz, rien ne garantissait que l’on puisse l’acheminer. La renonçante en charge de la réserve ne savait plus quoi faire et vint en informer Luang Pou. Elle lui dit : « nous n’avons plus de riz ». Luang Pou lui répondit : « mais si, nous en avons. Le riz est en route ». La renonçante était troublée par la confiance dont faisait preuve Luang Pou, mais elle fut 138 www.kalyanamitra.org
en même temps réconfortée par l’assurance qu’il y aurait du riz. De fait, même la loi martiale ne parvenait pas à dis- suader les généreux soutiens du temple déterminés à apporter leurs aumônes aux moines. Ils utilisaient un canot à moteur pour remorquer une barge depuis une lointaine province ; ils passaient d’un côté à l’autre du canal, collectant les dons des fidèles jusqu’à ce que la barge soit pleine. Le chargement d’aumônes était en- suite caché sous une épaisse couche de feuilles de bananes et de tiges de canne à sucre, avant de prendre, au nez et à la barbe des autorités, le chemin du Wat Paknam. Amarré en face du temple, les sacs étaient déchargés et transportés dans la réserve, au grand étonnement de ceux qui étaient témoins de cette li- vraison ! Luang Pou était depuis longtemps renommé pour la compassion dont il faisait preuve envers les étrangers. Si un quelconque étranger atteignait Dhammakāya par la méditation, il exprimait sa satis- faction durant des jours entiers. Luang Pou étendait sa compassion aux nations engagées dans la guerre. Sans aucune hostilité ou tentation nationaliste, Luang Pou et ses méditants observaient avec neutralité le monde en guerre. Ni leur nationalité, ni l’occupation de la Thaïlande ne les conduisaient à considérer un camp ou l’autre comme leur ennemi. Ils voyaient tous les êtres humains comme égaux ; ils priaient pour l’harmonie et la fin des hostilités sans bain de sang. C’est d’ailleurs cette égale bénédiction accordée à tous ceux qui fréquentaient le temple qui faisait que 139 www.kalyanamitra.org
tout pouvait prospérer, que le riz pouvait foisonner dans les champs, que les pluies étaient toujours en accord avec les saisons et que partout les hommes pouvaient cesser de se combattre. Durant la seconde guerre mondiale, Bangkok était occupée par les soldats de l’Axe, plus d’un mil- lion au total. Les Alliés bombardaient sans cesse la ville. Malgré les bombardements, Luang Pou n’évacua pas le temple. Bien au contraire, il intensifia ses activités en accueillant un nombre croissant de fidèles. Le Wat Paknam était situé à un jet de pierre de l’écluse des embouchures du canal de Bhasicharoen et du Grand Canal de Bangkok. Il s’agissait d’un lieu stratégique et d’une cible pour l’aviation alliée. Luang Pou avait une confiance inébranlable dans le fait que la puissance de Dhammakāya protégerait des bombes le temple et sa communauté. La confiance de Luang Pou n’était pas infondée puisque ni le Wat Paknam ni les écluses voisines n’eurent à souffrir des bombes. L’affluence augmenta dans le temple en raison de sa réputation de sécurité lors des raids aériens. Les gens pensaient que Luang Pou avait une sorte de pouvoir magique et rapidement, quand les sirènes retentis- saient, les habitants de Bhasicharoen prirent l’habitude de se ruer vers l’enceinte du temple plutôt que vers les abris anti-aériens. Luang Pou entendait les explosions lointaines qui frappaient Bangkok mais il restait imperturbable. Il demanda à Kuhn Yay Chandra : « tentez d’intercepter ces bombes lorsqu’elles menacent des vies. Faites 140 www.kalyanamitra.org
qu’elles tombent dans l’océan et non dans des zones habitées ». Effectivement, en 1941, plusieurs journaux de Bangkok consacrèrent leur une à des miracles sur- venus aux alentours du Wat Paknam. Un incident par- ticulier qui attira l’attention de la presse fut un raid aérien sur Bangkok, dont la cible était le grand pont Rama Ier. Le Wat Paknam était situé à une très courte distance du pont. Ce jour-là, les habitants qui fixaient le ciel furent surpris de voir une multitude de renon- çantes du Wat Paknam flottant dans l’air, interceptant les bombes qui venaient d’être larguées et les contrai- gnant de leurs mains nues à tomber dans le fleuve ou dans les zones inhabitées. Tant de gens virent de leurs propres yeux les efforts héroïques des renonçantes que la renommée des miracles de Luang Pou Wat Paknam se répandit partout. Tout le monde put voir les efforts de Luang Pou pour réduire le bain de sang et encourager l’harmonie entre les êtres humains. Mises à part le cas des bombes qui, correctement diri- gées, manquaient leur cible parce qu’interceptées ain- si, une autre raison fit que les bombes tombaient dans des zones inhabitées : les largueurs ne parvenaient pas à trouver les cibles situées en ville. Interviewé plus tard dans un documentaire, un pilote de bombardier raconta son étonnement d’avoir été embrouillé à cha- que fois qu’il s’approchait de la zone ciblée : Bang- kok, d’en haut, lui apparaissait miraculeusement sous l’aspect de forêts ou de rizières et le mirage se pro- longeait jusqu’à ce qu’il renonce à sa mission et re- tourne à sa base. En 1945, Luang Pou méditait en utilisant la sagesse de Dhammakāya lorsqu’il eut la vision d’une nouvelle 141 www.kalyanamitra.org
arme terriblement dévastatrice. Elle avait été conçue par les Alliés pour mettre fin à la guerre en Asie. Ils avaient programmé de tester cette arme en la lançant sur Bangkok ! Bangkok était en effet une cible de choix en raison du grand nombre de soldats de l’Axe qui occupaient la ville. « Qu’adviendrait-il si nous étions victimes de cette arme ? » demanda Luang Pou à ses méditants. Kuhn Yay Chandra put percevoir que la ville entière serait rayée de la carte, réduite à néant. Elle dit que la surface de la terre serait aplanie comme celle d’un tambour et que toute la population serait anéantie. Entendant cela, Luang Pou ordonna à l’oncle Prayoon de prendre tout l’argent liquide du temple et de partir aussi loin qu’il pourrait aller en sept jours. Luang Pou lui dit que si ses propres efforts étaient couronnés de succès, Prayoon le saurait dans sept jours et pourrait revenir au temple en toute sécu- rité. Luang Pou ne parla ainsi à personne d’autre. Il ferma de l’intérieur les portes de l’atelier de médita- tion, interdisant à quiconque d’entrer ou de sortir. La nourriture et les boissons seraient introduites dans la salle à travers la fente destinée au courrier. L’atelier s’assit en méditation avec ferveur, dans le but de ten- ter de sauver le pays. Pour une raison connue seule- ment de Luang Pou et de ses méditants, ni le bombar- dier ni la bombe n’arrivèrent à Bangkok. Les Alliés avaient, pour une raison quelconque, changé d’avis. Cela avait pris sept jours de méditation ininterrompue derrière des portes closes pour que la décision soit influencée pour le salut des fidèles… 142 www.kalyanamitra.org
Ordinations et premières expériences internationales Le Dhamma est sans détour. Il ne peut être vu et connu que par ceux qui sont eux-mêmes sans détour. Phramongkolthepmuni Luang Pou ne rejetait jamais quelqu’un qui venait à lui pour une ordination. Il considérait que l’ordination ne signifiait pas seulement devenir membre du Saṅgha* bouddhiste, mais consistait également en une ordination de l’esprit lui-même. Pour connaître ce qu’était le déroulement d’une ordination au Wat Paknam, suivons celle d’un cer- tain Khantiko Bhikkhu. Luang Pou annonce à haute et claire voix : Vous me présentez les robes teintes de jaune, ces robes qui sont le drapeau victorieux des arahā*, comme l’a prescrit le Bouddha, au sein de cette assemblée de moines, comme le signe de votre intention d’être ordonné, de vo- tre intention de devenir un bhikkhu du buddha sāsana*. 143 www.kalyanamitra.org
Luang Pou fait une pause et lève les yeux pour les plonger un instant dans ceux du postulant : Votre premier devoir, à travers cette ordination, est d’éveiller votre foi, c'est-à-dire votre ferme croyance dans la valeur des Trois joyaux – le Bouddha, le Dhamma* et le Saṅgha – parce que votre ordination a été prononcée dans la tradition du Bhagavā, de celui qui a établi le bouddhisme. Telle est votre première étape dans l’étude des vertus du Bhagavā. Il fait une pause et fixe le postulant avec ses yeux pénétrants afin de s’assurer qu’il est bien concentré sur ce qu’il enseigne. Satisfait, il continue son prêche sur les qualités de sagesse, de pureté et de compas- sion* du Bouddha, impressionnant le postulant par la profondeur de son analyse. Il examine le postulant encore et encore, comme pour imprimer son image dans sa mémoire. Cependant, chaque fois que les yeux du postulant rencontrent ceux de Luang Pou, ils fuient invariablement devant son regard intense. Luang Pou continue en rappelant au postulant le grand mérite d’un tel engagement et du fait de deve- nir, à travers l’ordination, un héritier du noble Saṅgha du Bouddha. Le postulant change de position pour soulager son engourdissement : il est agenouillé, les mains jointes, depuis un long moment. Le postulant supporte l’inconfort, craignant de perdre une parcelle du mérite apporté par l’ordination. Luang Pou semble comprendre la difficulté du postulant et le regarde avec compassion tandis qu’il continue : 144 www.kalyanamitra.org
Un bhikkhu doit d’abord comprendre ce qu’est la méditation*, parce que la méditation est le moyen par lequel l’esprit peut être dompté, préservé de la divagation. C’est le moyen à tra- vers lequel apparaît le calme de l’esprit ; c’est le fondement de la sagesse. Il explique ensuite ce qu’il faut savoir des quatre élé- ments* – terre, eau, vent et feu – qui forment les trente-deux caractéristiques du corps humain, ces ca- ractéristiques que le postulant doit analyser et bien percevoir comme non désirables ; Luang Pou les ré- duit à cinq, donnant leur nom pāli, kesā (les cheveux), lomā (les poils), nakhā (les ongles), dantā (les dents), taca (la peau), demandant ensuite au postulant de les répéter après lui dans l’ordre, puis dans l’ordre inverse. Tous demeurent silencieux. Le postulant attend que Luang Pou place la sous-robe jaune autour de son cou et lui ordonne de se retirer pour se vêtir lui-même, comme le veut la coutume. Dans les autres temples, il n’y a aucune pause à ce stade ; l’enseignement de la méditation n’y est que de pure forme et le postulant rejoint très rapidement la pièce où l’on revêt les robes. Pour Luang Pou, en revanche, ce moment précis est celui où le postulant doit préparer son esprit à intégrer son nouveau statut monacal en élevant la qualité de l’esprit par un premier contact direct avec le Dhamma du Bouddha. Luang Pou adapte son enseignement de la méditation de manière à faire faire au postulant le plus grand progrès possible. Parfois, cela peut rendre la cérémonie extrêmement longue. 145 www.kalyanamitra.org
Luang Pou continue en demandant : « avez-vous jeté un regard sur les cheveux que l’on a rasé avant votre ordination ? » Le postulant répond qu’il peut se rappe- ler la touffe de cheveux qu’il avait prise dans sa main pendant qu’on lui rasait la tête, mais en même temps il se demande pourquoi Luang Pou lui demande cela en pleine ordination. Ce n’était pas prévu. Complète- ment perdu, le postulant tente en hâte de deviner la signification de la question de Luang Pou. Mais, avant qu’il n’ait trouvé une réponse satisfaisante, Luang Pou continue : C’est bien. Maintenant, fermez les yeux et vi- sualisez l’image de cette touffe de cheveux au centre de votre corps, à deux largeurs de doigt au dessus du niveau de votre nombril. Plongez- vous directement dans ce centre, à la croisée des lignes imaginaires joignant le côté droit au côté gauche et l’avant à l’arrière, à ce point d’intersection précis. Suivez attentivement mes instructions. Le postulant ferme les yeux et fait ce qui lui est de- mandé, mais ses doutes continuent de croître. Luang Pou poursuit : Ramenez toutes vos pensées, votre imagination et votre mémoire vers ce centre ; et observez avec attention. Mais, aussi loin que le postulant puisse aller, tout est sombre. Qu’attend donc de lui Luang Pou ? Attendant de voir où Luang Pou veut en venir, le postulant continue de méditer, toujours fermement agenouillé devant Luang Pou. Luang Pou lui demandea s’il peut 146 www.kalyanamitra.org
maintenant voir quelque chose dans sa méditation. Le postulant répond précipitamment qu’il ne peut rien voir. Luang Pou lui dit alors : Immobilisez vos pensées. Visualisez cette touffe de cheveux. Faites apparaître cette image au cœur de l’intersection. Regardez cette image et maintenez-là dans votre esprit. Suivez mes indications et vous obtiendrez cette vision. Le postulant ne sait pas depuis combien de temps il médite ainsi devant Luang Pou et depuis combien de temps il combat ainsi, comme Luang Pou lui a de- mandé, ses pensées errantes. Tandis qu’il lutte pour les contrôler, il se console en pensant que Luang Pou doit avoir ses raisons pour susciter tant de troubles et d’efforts ; en tout état de cause, il ne doit pas gaspiller le temps du postulant. A la grande surprise du postulant, après un long mo- ment il commence à discerner quelque chose. Ce quelque chose apparaît lentement au milieu de l’obscurité. Une masse indistincte se détache et de- vient plus claire. Elle devient si claire qu’à la fin il a l’impression de la voir avez ses yeux grands ouverts, alors qu’ils sont parfaitement clos. Que voit-il ? Les cheveux qui ont été rasés sur sa tête. Voyant cela, le postulant devient de plus en plus intéressé, incapable de freiner sa curiosité. « Je peux voir quelque chose ! » dit le postulant d’une voix tremblante. « Vous pouvez-voir votre touffe de cheveux, n’est-ce pas ? » Il pense qu’il a enfin produit ce que Luang Pou attend de lui, mais Luang Pou n’en a pas encore fini : 147 www.kalyanamitra.org
Continuez à observer cela sans vous arrêter. Observez chaque détail. Observez dans quelle direction pointent les mèches de cheveux. Dans quelle direction pointent les cheveux ? Com- ment est recourbée leur partie centrale ? Le postulant se concentre sur l’image afin de pouvoir répondre aux questions de Luang Pou. Dés qu’il peut voir clairement, il répond. De nouveau, le postulant pense qu’il en a enfin fini avec cet exercice. Mais il se trompe de nouveau. Luang Pou demande au postulant de continuer à examiner sa vision. Le postulant obéit à cet ordre, mais pas de son plein gré. Après tout, les cheveux sont des cheveux et le postulant les a vus clairement. Que reste-il encore à observer ? Le postulant continue à méditer, tentant de faire ce qui lui est demandé. Il se console en pensant que Luang Pou doit certainement avoir quelque chose d’autre pour lui en magasin ! Après un long moment, le postulant commence à res- sentir progressivement une étrange sensation de béati- tude, comme si son corps devenait de plus en plus léger. En dépit de sa sensation corporelle de flotte- ment, son esprit semble calme, immobile et parfaite- ment à l’aise, tellement à l’aise qu’il lui est difficile de trouver des mots pour exprimer cette sensation. Les cheveux qu’il a vus au début s’estompent pro- gressivement, un cercle de lumière apparaît à sa place, créant une sensation de bien être. Graduellement, le cercle de lumière se condense. Ensuite, il commence à grossir. Cela continue un moment, le cercle atteignant la taille d’une pièce. Un rayonnement émane du cercle et son attention est attirée vers son centre. Ce qu’il y 148 www.kalyanamitra.org
voit a l’apparence d’une sphère de cristal translucide, aussi large que la lune lorsqu’elle monte dans le ciel désert. Craignant de voir disparaître cette vision, il y plonge son regard. Toute sensation de fatigue a quitté ses jambes, sans qu’il puisse dire quand ou comment son inconfort a disparu. « Vous voyez autre chose ? » demande doucement Luang Pou. « Je vois une lumière, une sphère de la taille d’un citron », répond-il. Luang Pou continue : Très bien. C’est suffisant pour aujourd’hui. Souvenez-vous de cette sphère. Dorénavant, lorsque vous fermerez les yeux, vous la verrez ; lorsque vous aurez les yeux ouverts, vous la verrez. Vous la verrez tout au long de la jour- née. Vous la verrez en permanence. Prenez bien garde de ne jamais la perdre. Lorsque le postulant rouvre les yeux, Luang Pou lui montre qu’il est satisfait. Il explique : Cette claire sphère est le commencement du chemin (paṭhama magga*). C’est la voie qu’emprunta le Bhagava pour atteindre le nibbāna*. C’est l’unique chemin, le droit che- min ; il n’y a pas d’autre chemin. Souvenez- vous de ça ; ne le perdez jamais de vue. Avec ces mots, il prend la sous robe jaune de la pile placée à ses côtés et la plaçe autour du cou du postu- lant. Allez maintenant, revêtez la robe et revenez prendre les Trois refuges*. 149 www.kalyanamitra.org
Le postulant regarde l’horloge et voit qu’il est resté assis devant l’assemblée monastique durant une heure et demie. Pour lui seul, Luang Pou a changé ses habi- tudes, afin de lui montrer comment méditer, de lui montrer le chemin qui mène à la cessation des fer- mentations mentales*, de le faire entrer dans la dou- ceur, dans l’ombre, dans la sagesse qui caractérisent la religion du Bouddha. Pour lui seul, Luang Pou a fait attendre toute la congrégation… Au Wat Paknam, les méditants pratiquaient en suivant strictement les directives de Luang Pou. Ses disciples étaient inspirés à un tel degré que cela per- mit à la technique Dhammakāya de se répandre dans presque toutes les provinces de Thaïlande. Des disci- ples soigneusement choisis, comme Kuhn Yay Thongsuk Samdaengphan et Kuhn Yay Thean Thee- rawat, se virent confier une petite somme d’argent et envoyées par Luang Pou prêcher dans plus de dix-huit provinces, certaines très éloignées, comme celle de Chiang Mai. En 1954, Luang Pou convoqua une réunion d’urgence de tous ses disciples. Il leur annonça qu’il ne lui restait plus que cinq années à vivre. Il leur de- manda de poursuivre avec persévérance les activités qu’il avait initiées. Il déclara que dans peu de temps le temple allait s’agrandir, même si lui ne serait plus présent. Ses disciples le supplièrent de rester plus longtemps, mais il répondit qu’il devait, à coup sûr, mourir. Toutes les personnes présentes surent immé- diatement à quel point Luang Pou était préoccupé par 150 www.kalyanamitra.org
le devenir de la tradition en le voyant ainsi demander publiquement à tous ses disciples de prendre leur part de responsabilité dans son œuvre, et en particulier de perpétuer et répandre la tradition Dhammakāya. A cette époque, aux environs de 1954, la première émission de télévision fut diffusée en Thaïlande. L’événement eut un retentissement national ; un dis- ciple du Wat Paknam mit une télévision sur ses épau- les et apporta la nouvelle invention au temple afin que Luang Pou puisse la voir et que les moines puissent rester en accord avec leur temps. Le programme du soir comprenait des informations et des distractions. Luang Pou avait le don de sentir le danger, même dans les plus petits phénomènes. Aussitôt qu’il vit le show de variétés, Luang Pou frappa sur ses genoux et s’exclama : « mauvais génie ! » A cet instant, la congrégation pensait seulement qu’on lui faisait une grande faveur et les moines comme les novices s’extasiaient à propos du nouvel appareil. Ils se tournèrent vers Luang Pou et lui demandèrent ce qu’il y avait de mal dans la télévision, alors que le gouvernement lui-même soutenait cette invention. Luang Pou répéta : « Mauvais génie ». Les méfaits de la télévision dépassent ses bienfaits. Nous, Thaïs, sommes déjà trop laxistes dans le respect des Précep- tes*. Tout ceci ne fera que rendre notre prati- que encore plus faible. Ne le voyez-vous pas ? Avec cette technologie, nous facilitons la tâche de Māra*. Vous pouvez même appeler la télé- vision « Māra ». Elle apporte les vices jusque dans nos chambres à coucher, là-même où les 151 www.kalyanamitra.org
Search
Read the Text Version
- 1
- 2
- 3
- 4
- 5
- 6
- 7
- 8
- 9
- 10
- 11
- 12
- 13
- 14
- 15
- 16
- 17
- 18
- 19
- 20
- 21
- 22
- 23
- 24
- 25
- 26
- 27
- 28
- 29
- 30
- 31
- 32
- 33
- 34
- 35
- 36
- 37
- 38
- 39
- 40
- 41
- 42
- 43
- 44
- 45
- 46
- 47
- 48
- 49
- 50
- 51
- 52
- 53
- 54
- 55
- 56
- 57
- 58
- 59
- 60
- 61
- 62
- 63
- 64
- 65
- 66
- 67
- 68
- 69
- 70
- 71
- 72
- 73
- 74
- 75
- 76
- 77
- 78
- 79
- 80
- 81
- 82
- 83
- 84
- 85
- 86
- 87
- 88
- 89
- 90
- 91
- 92
- 93
- 94
- 95
- 96
- 97
- 98
- 99
- 100
- 101
- 102
- 103
- 104
- 105
- 106
- 107
- 108
- 109
- 110
- 111
- 112
- 113
- 114
- 115
- 116
- 117
- 118
- 119
- 120
- 121
- 122
- 123
- 124
- 125
- 126
- 127
- 128
- 129
- 130
- 131
- 132
- 133
- 134
- 135
- 136
- 137
- 138
- 139
- 140
- 141
- 142
- 143
- 144
- 145
- 146
- 147
- 148
- 149
- 150
- 151
- 152
- 153
- 154
- 155
- 156
- 157
- 158
- 159
- 160
- 161
- 162
- 163
- 164
- 165
- 166
- 167
- 168
- 169
- 170
- 171
- 172
- 173
- 174
- 175
- 176
- 177
- 178
- 179
- 180
- 181
- 182
- 183
- 184
- 185
- 186
- 187
- 188
- 189
- 190
- 191
- 192
- 193
- 194
- 195
- 196
- 197
- 198
- 199
- 200
- 201
- 202
- 203
- 204
- 205
- 206