YVES BONTAZ EntreprendreL’IVRAIEN°134 Février 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 51 © Fotolia
Entreprendre LIMAGRAINOù s’arrêtera de la coopérative depuis 1989. Une réac- maïs nécessaire et le fait transformer dans sesLimagrain ? tivité, souligne celui qui est entré au moulins pour livrer la matière première auAvec un chi re conseil d’administration en 2000, qui client », explique Jean-Sébastien Gascuel,d’a aires de 2,5 fait partie de l’ADN de l’entreprise éga- adhérent à Bio 63, organisation des pro-milliards d’euros, lement « leader européen » en farines ducteurs bio du Puy-de-Dôme, qui pointeune présence fonctionnelles et « premier » boulanger- néanmoins la logique de filière « poussée àdans 55 pays et pâtissier industriel français. Le limo- l’extrême, presque une logique d’intégration.10 000 salariés, geage inattendu du directeur général Les paysans perdent ce qui fait l’intérêt dele groupe Jean-Christophe Juilliard fin septembre leur métier : leur autonomie, et ne décidentcoopératif 2016 (l’entretien qu’il avait accepté à plus de la façon dont ils vont cultiver ».agricole, Acteurs de l’économie-La Tribune quelques En effet, cette filière est l’objet d’unespécialiste des semaines avant cet événement permet lourde suspicion de pression sur les pro-semences et ainsi de mieux comprendre la coopéra- ducteurs locaux. « Peu de paysans prennentdes produits tive), témoigne d’ailleurs d’une réactivité le risque de se plaindre de la coopérative,céréaliers, assez brutale et d’une méthode ronde- reconnaît Ludovic Landais, porte-paroleoccupe la place ment menée. Un an seulement après son de la Confédération paysanne du Puy-de-de 4e semencier arrivée, l’homme avait été écarté « suite Dôme. Lors des réunions syndicales, ce quiau monde. à un désaccord sur les modalités d’applica- ressort, c’est la perte d’autonomie du paysan tion de la stratégie du groupe » et sera rem- dans les choix de culture et une dépendanceEt rien ne semble pouvoir le freiner, ce qui placé par Emmanuel Rougier. Depuis les accrue vis-à-vis du groupe. Signer un contratl’oblige à revoir sa stratégie régulièrement années 1980, la coopérative d’agricul- avec Limagrain, c’est aussi s’engager à ne paspour demeurer en course. Dès lors, afin teurs à dimension internationale entend ternir l’image de la coopérative. Dès lors, per-de mieux valoriser la production de ses ainsi sécuriser son organisation dans une sonne ne discute. Dans la Limagne, ils sont2 000 agriculteurs adhérents, sécuriser logique de filière pour se mettre à l’abri nombreux à travailler pour la coopérative.et assurer leurs revenus, « Limagrain Coop des fluctuations des cours mondiaux Même les éleveurs espèrent lui vendre leurentame une transformation de ses activités et et des évolutions du marché, comme le surplus de céréales. Une chape de plomb s’estfait évoluer son offre de services », annonce rapprochement de Bayer avec Monsanto installée, par crainte que Limagrain ne stoppeJean-Yves Foucault, son président depuis en 2016. Jean-Christophe Juilliard avait la collecte. » Un reproche que Jean-Sébas-2011. Agriculteur éleveur, il est adhérent assuré que Limagrain « suivait avec atten- tien Gascuel estime non fondé : « Dans la tion ce grand jeu des acquisitions et des Limagne, les céréaliers en conventionnel tra-52 Acteurs de l’économie - La Tribune rapprochements. Une attention particulière vaillent avec Limagrain. Il leur serait difficile, qui répond à un souhait majeur : celui de ne pour des raisons pratiques, de vendre leur pas être marginalisé. Au vu du montant des production ailleurs. En revanche, dans l’Al- acquisitions, nous n’avons pas les moyens de lier ou la Haute-Loire, les paysans travaillent peser dans ces batailles-là. En revanche, nous sans la coopérative. » Et force est de recon- pouvons racheter, à la marge, des entreprises naître que les agriculteurs-coopérateurs dont ces grands groupes se séparent ». de la Limagne sont plutôt satisfaits des « Ce que je trouve intéressant chez Limagrain, revenus et de la stabilité que leur procure c’est l’idée générale de contrôler la filière. Si le semencier. D’où une certaine ambiva- Kellogg’s souhaite acheter du maïs pour faire lence dans le discours. un pop-corn, Limagrain les rencontre, dis- cute avec eux et répond à leur demande. La coopérative fait travailler ses chercheurs pour trouver le maïs adéquat, propose à ses adhé- rents de produire la semence, de produire le MOMAGRI, VERS UNE AGRICULTURE RÉGULÉE En 2005, en plein cœur de la tourmente sur la recherche OGM en France, Pierre Pagesse, alors président de la coopérative, annonce la création de Moma, qui deviendra rapidement Momagri. Le Mouvement pour une organisation mondiale de l’agriculture est un think tank avec pour but affiché de fournir « des analyses objectives et des solutions concrètes aux problèmes agricoles internationaux clés d’aujourd’hui et de demain » afin de promouvoir une gouvernance mondiale de l’agriculture qui concilie le libre-échange et la régulation. « Nous sommes tous pour le libre-échange. La question fondamentale est la suivante : comment faut-il organiser le libre-échange pour le rendre équitable et durable ? », questionne alors Pierre Pagesse, aujourd’hui encore président d’honneur de Momagri et qui multiplie les cas- quettes dans d’autres organisations en lien avec les céréales, la recherche, l’économie et l’agri- culture. Momagri rassemble des responsables agricoles et des personnalités extérieures du monde entier, qui affichent comme point commun de croire qu’une agriculture régulée doit voir le jour. N°134 Février 2017
LIMAGRAIN EntreprendreMOBILISATION « Les mauvaises langues reprochent à la production de semences. Mais malgréL’omnipotence de la coopérative s’ex- Limagrain de n’avoir jamais rien pro- le principe 1 homme 1 voix, les adhérentsplique également par son poids éco- duit, de se contenter d’acheter ce dont ils de Domagri, alors plus nombreux, vontnomique tant dans la filière que sur le ont besoin. Ils ont fusionné avec Sanders perdre le pouvoir grâce au mode d’élec-territoire auvergnat puisqu’elle est la 5e Centre Auvergne, par exemple. Leur stra- tion par sections. Les céréaliers mobi-entreprise d’Auvergne-Rhône-Alpes et tégie pour devenir majoritaire lors de ces lisent plus efficacement leurs adhérentsa injecté plus de 140 millions d’euros fusions, c’est de mobiliser largement les que les éleveurs. L’outil de productiondepuis 10 ans dans des actions régio- adhérents céréaliers pendant les assemblées tombe entre les mains de la coopérative.nales. Limagrain compte à ce jour 2 000 locales préalables aux assemblées géné- Une stratégie offensive que cette dernièreadhérents agriculteurs dont 18 siègent au rales, constate Jean-Sébastien Gascuel. applique à tous ses domaines d’activité :conseil d’administration. « La stratégie Après la fusion avec Domagri, par exemple, investir dans la recherche, internationa-appartient aux agriculteurs. Ils attendent une dont les adhérents étaient majoritaire- liser ses activités et asseoir son dévelop-profitabilité durable plutôt qu’immédiate », ment des éleveurs, ces derniers ont finale- pement local pour maintenir une activitésoulignait Jean-Christophe Juillard. ment quitté la coopérative. » Une histoire agricole en Limagne Val d’Allier. C’estC’est aussi une holding de plusieurs politico-syndicale agricole qui aura, à pourquoi la maison-mère du groupe aentreprises : des business units, entités l’époque, enflammé les débats. En 2008, donné naissance à une myriade d’enti-juridiquement autonomes, mais dont les Pierre Pagesse, alors président de Lima- tés, dont Limagrain Coop ; associé pourdécisions sont principalement dictées par grain, se met en tête de fusionner les deux certaines opérations avec Bpifrance etla maison-mère. Une stratégie qui permet- coopératives agricoles du Puy-de-Dôme, le Crédit agricole, le groupe Limagraintrait plus de fluidité dans la réponse au dont l’activité principale tourne autour Holding chapeaute Vilmorin et Cie, quimarché ou aux clients, mais entraînerait des productions végétales. Domagri propose des semences de grande cultureaussi une certaine opacité dans les orien- (qui réalise alors 88 millions d’euros de dans le monde entier, via Limagraintations et actions de l’entreprise. chiffre d’affaires) est composée de 3 800 Europe, AgReliant Genetics (détenu à adhérents, d’une sensibilité globalement 50 %), Limagrain Asia, Limagrain Cereal de gauche, quand les 600 adhérents de Seeds, Limagrain South America et Lima- Limagrain (1,1 milliard d’euros de chiffre grain Africa, mais aussi des semences d’affaires à l’époque) penchent plutôt à potagères, grâce à HM Clause, Hazera, droite. Domagri propose à ses adhérents Vilmorin et Mikado Kyowa Seed, et des – principalement des éleveurs – tous les produits de jardin, via Vilmorin jardin. services, de l’amont à l’aval de l’agricul- C’est aussi la holding qui gère l’activité ture : fourniture en approvisionnement, produits céréaliers Jacquet Brossard et collecte et stockage des récoltes, jusqu’à Limagrain céréales ingrédients. Une qua- leur commercialisation. Quant à Lima- rantaine de structures est ainsi implan- grain, déjà 4e semencier mondial, il a tée en Auvergne-Rhône-Alpes, dont six alors pour objectif principal l’obtention et sièges sociaux.« Lors des réunions syndicales, ce qui ressort, c’est la perted’autonomie du paysan dans les choix de culture et une dépendanceaccrue vis-à-vis du groupe » © Laurent Cerino / Réa © Denis Pourcher Depuis les années 2000, la recherche des caractères dans les ressources génétiques Agriculteur éleveur, Jean-Yves Foucault des plantes cristallise toujours les tensions entre militants anti-OGM et Limagrain. préside depuis 2011 le groupe Limagrain et ses 10 000 salariés.N°134 Février 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 53
Entreprendre LIMAGRAIN © Vincent Bouchet PRODUCTEUR D’OGM Néanmoins, l’autre source d’inquiétude Au-delà de cette domination – à sa chez les militants, est le dépôt de brevetsCHIFFRES mesure – sur la filière, qui provoque sur les semences. Ce que la coopérative• 2 000 adhérents agriculteurs des tensions de part et d’autre, la ques- justifie par la propriété intellectuelle• 4 000 salariés en France tion des OGM et de la recherche sur la nécessaire « vecteur du progrès génétique• 6 000 dans le monde mutagenèse cristallise, elle-aussi, de et de l’amélioration des plantes, et permet• 620 millions d’euros vives critiques, notamment de la part d’assurer un retour sur investissement des membres de la commission OGM/ sur la technologie et de l’argent » qu’elle de chiffre d’affaires en France Semences à la Confédération paysanne. engage. Ce que dénonce Guy Kastler, éga-• 2,5 milliards d’euros dans le monde « Grâce à Céréales Vallée, le pôle d’excel- lement membre de la commission OGM/• 55 implantations lence dont Limagrain est un des piliers, la Semences de la Confédération paysanne. recherche est largement financée par l’État. « Les paysans font de la sélection variétale LE LABORATOIRE VIVANT L’Inra travaille aussi sur ces projets, dont les sans financement particulier. Je pratique l’éle- Dernière opération pour ancrer son résultats profitent aux agroindustriels. C’est vage. Lorsque je vends un animal reproduc- activité R&D en Auvergne-Rhône- d’ailleurs un des principaux leviers de mobi- teur, je ne vais pas demander au paysan qui Alpes, le laboratoire vivant (« living lisation en Auvergne », soulignent Ludovic l’a acheté de me payer une rente chaque fois lab ») dédié à l’agroécologie en grandes Landais et Jean-Luc Juthier, tous deux qu’il donnera naissance à un jeune animal ! cultures en Limagne (LIT) a pour but membres de cette commission. Sur ce L’État a racheté 10 % du capital de Limagrain, d’expérimenter et d’inventer une nou- point, Limagrain revendique un inves- ce n’est pas rien. Les entreprises déposent des velle façon d’innover en agriculture tissement de 248 millions d’euros dans brevets, ce qui leur donne du pouvoir. Ce sont pour faire du territoire de Limagne Val la recherche variétale, soit 13 % de son les lois qui leur octroient des droits de pro- d’Allier une terre de grandes cultures. chiffre d’affaires. « Ce taux est au-delà des priété intellectuelle sur la reproduction du Une zone étendue sur plus de 100 000 budgets les plus élevés des secteurs industriels vivant. Si ces lois n’étaient plus reconnues, le hectares, de Brioude à Moulins, où reconnus pour leur grande capacité d’inno- pouvoir de ces entreprises s’effondrerait immé- 4 000 agriculteurs (dont 2 000 adhé- vation comme la pharmacie », expliquait diatement », constate, lucide, l’éleveur. rents de la coopérative Limagrain) Jean-Christophe Juillard. Jean-Yves Foucault défend le travail de ses cultivent blé, maïs, colza, etc. Un labo- chercheurs : « La semence issue de ces tra- ratoire à ciel ouvert, dont l’ambition « Signer un contrat vaux de recherche fait l’objet d’une protection. est de devenir un lieu de référence en avec Limagrain, En Europe, elle n’est autorisée qu’avec le Certi- Europe pour la recherche et le dévelop- c’est aussi ficat d’obtention végétale (COV), garantissant pement de solutions innovantes, ins- s’engager à ne pas l’accès à la variabilité génétique pour les autres pirées des principes de l’agroécologie. ternir l’image de la acteurs, par le biais de l’exception du sélection- Il doit aussi permettre de générer du coopérative. Dès lors, neur. Ni les variétés végétales ni les procédés développement économique et de l’em- personne ne discute » dits essentiellement biologiques ne sont bre- ploi, en renforçant la compétitivité des vetables en Europe. Nous permettons l’accès entreprises présentes sur le territoire et « La production de semences adaptées et la à la variabilité génétique la plus large pos- en favorisant l’émergence de nouveaux recherche des caractères dans les ressources sible pour favoriser la création variétale par modèles économiques et de startups. génétiques des plantes nous permet de d’autres. » Mais l’appétit de Limagrain est créer des variétés et de commercialiser des (très) grand. Le groupe investit dans des54 Acteurs de l’économie - La Tribune semences qui sont parfaitement adaptées marchés de niche, comme le bio, au risque aux demandes des agriculteurs et des maraî- de se mettre une nouvelle filière à dos. « En chers », justifie Patricia Panel-Dusséaux, Autriche, ils ont racheté une entreprise leader responsable marketing branche ingré- dans ce domaine, et les agriculteurs bio Autri- dients du groupe. Ainsi, chaque année, chiens sont très surpris que nous soyons, ici, Limagrain crée et met sur le marché 300 aussi suspicieux », constate Jean-Sébastien nouvelles variétés. Gascuel. Dès lors, la stratégie de la coopé- Si la recherche des caractères dans les rative est moins binaire qu’elle n’y paraît. ressources génétiques des plantes a mobi- Ce qui porte ses choix, c’est de permettre lisé faucheurs volontaires et militants à ses adhérents de travailler encore long- anti-OGM sur une longue période de la temps en Limagne et de (bien) gagner leur décennie 2000 en Auvergne et en France, vie. Et ce, quoi qu’il en coûte. Limagrain a depuis changé son fusil d’épaule. Finies les tentatives d’expéri- Avec 248 millions mentation en plein champ en France. La d’euros investis dans coopérative s’applique à respecter la régle- la recherche variétale mentation en vigueur dans les pays dans (13 % de son chiffre lesquels elle travaille. Limagrain produit d’affaires) Limagrain des OGM et en propose partout où la loi se donne les moyens l’autorise, et s’en tient à cela. de révolutionner la filière N°134 Février 2017
executive.em-lyon.com YVES BONTAZ Entreprendreentrepreneursare makerswe makeentrepreneursPROGRAMMES DE FORMATION CONTINUEPOUR MANAGERS & DIRIGEANTSProgrammes courts - Certificats - MBA - DiplômesProgrammes intra-entreprises et sur-mesureLYON . SHANGHAI . SAINT-ETIENNE . CASABLANCA . PARIS Acteurs de l’économie - La Tribune 55*Les entrepreneurs sont des créateurs. Nous créons des entrepreneurs. **Entrepreneurs visionnaires. Centre pour le Développement du Management Entrepreneurial - C.D.M.E. Sociétépar actions simplifiée au capital de 4.352.710 euros - Siège social : 23 avenue Guy de Collongue - 69130 ECULLY - 505 388 017 RCS LYON. Copyright : Jasper James - Création : - Mise en page : K-zen
Entreprendre EMMAÜS Pierre-Yves Tesse, président de l’association.56 Acteurs de l’économie - La Tribune EMMAÜS COMMUNAUTÉ N°134 Février 2017
EMMAÜS EntreprendreLorsque l’abbé Pierre crée les communautés d’Emmaüs en 1954, il est sans doute loin d’imaginerqu’elles deviendront des associations très structurées réalisant, pour certaines, plusieurs millionsd’euros de chi re d’a aires. Si elles présentent des caractéristiques proches de celles du mondede l’entreprise, les valeurs de solidarité et la faculté de maintenir et de développer l’esprit decommunauté en font les dissemblances - au prix parfois de tensions. Reportage à Lyon,où les compagnons, souvent durement marqués par la vie, tentent de se reconstruire par le travail.D’INTÉRÊTS IMMERSION, ROMAIN CHARBONNIER PHOTOGRAPHIES, LAURENT CERINO / ADEN°134 Février 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 57
Entreprendre EMMAÜSNe dites pas qu’Emmaüs fonctionne comme ACCOMPAGNEMENT CONTRE TRAVAIL une entreprise, au risque de vous faire À Lyon, ils sont 90 compagnons et compagnonnes à bénéficier reprendre par un compagnon. Pourtant, d’un accompagnement. Des hommes et des femmes, jeunes et l’association de solidarité en utilise large- moins jeunes, cassés par la vie, certains sans-papiers, paumés, ment les codes : chiffre d’affaires, manage- exclus ou en grande précarité, ayant trouvé ouvertes les portes ment, communication, 35 heures, chaîne de l’association à un moment particulier de leur vie. Des per- logistique, client, diversification, investisse- sonnes qui sont de passage et envisagent déjà un autre futur, afin ment, formation, e-commerce. Un vocable de « vivre comme tout le monde, avec une maison et une famille », qui correspond à celui d’une PME et dont rêve Olga, arrivée de Saint-Etienne après un différend avec ses usent ceux qui font vivre et grandir la com- parents, et pour « laisser aussi la place à ceux qui en ont plus besoin munauté. Néanmoins, comme dans les 117 antennes réparties que moi », souhaite-t-elle. D’autres ont trouvé en Emmaüs une en France, ici, au sein de la plus importante du département du famille. Comme Ahmed, arrivé en 2014. Ébéniste, il a quitté ses Rhône, installée depuis dix ans dans la banlieue de Vénissieux, deux ateliers installés à Turin, en Italie, à cause de la crise, et s’est ce sont moins les résultats qui comptent que le vivre-ensemble retrouvé à Lyon. Ici, « c’est comme chez moi », dit-il en souriant. Il et « la reconstruction de la personne par le travail ». « Chaque jeudi peut s’adonner à sa passion et créer ou rénover des meubles, qui matin, nous fermons les trois magasins de Lyon, pour pouvoir prendre seront ensuite exposés à la boutique. Combien de temps reste- le déjeuner tous ensemble. Perdre quelques heures de chiffres d’affaires, ra-t-il ? Il l’ignore. Sophie, elle non plus, ne sait pas quand, ou si, ce n’est pas grave », souligne Pierre-Yves Tesse, président d’Em- elle partira. « À 55 ans, il est difficile de trouver un travail », déplore- maüs Lyon. Les relations humaines constituent la substantifique t-elle dans un accent polonais qui ne trompe pas sur son origine. moelle du mouvement et la solidarité, la quintessence du projet, Enfin, certains compagnons ont fait le choix – par défaut, parfois initié en 1954 par l’abbé Pierre. L’activité, elle, se trouve être le – de rester ici une grande partie de leur vie. Comme ces huit moyen d’entretenir cet ensemble. Une singularité qui constitue retraitées, dont une personne présente à la communauté depuis la principale différence avec le monde de l’entreprise, mais qui 33 ans. Au sein d’Emmaüs, un compagnon reste le temps qu’il exige un engagement profond de la part de ceux qui la font vivre. souhaite. Logé, nourri, aidé, il bénéficie d’un pécule mensuel « Le vivre-ensemble est notre préoccupation permanente. Comment de 341 euros. Il est rétribué par l’association, en échange de 35 parvient-on à faire « communauté » ? », soulève son président. Une heures de travail au profit de celle-ci. Cette condition sine qua non question qui oblige au respect des règles et à une implication est inscrite dans les statuts – Emmaüs est reconnu comme Orga- de tous dans la vie de l’association. « C’est comme à la maison, nisme d’accueil communautaire et d’activités solidaire (Oacas), explique Raul Almeida, l’un des trois responsables de l’antenne qui peut édicter ses propres règles de fonctionnement, et ne lyonnaise. Pour cela, nous donnons du temps à chaque individu lors relève donc pas du droit commun ni du code du travail (absence de son arrivée afin qu’il comprenne le fonctionnement et qu’il puisse de lien de subordination et de prestation contre rémunération) et s’adapter. » échappe au champ des établissements sociaux et médico-sociaux –, et chaque compagnon doit s’y plier. Ramassage des objets, tri, rangement, entretien, réparation, conseil aux clients… les rôles sont variés. Emmaüs collecte et récupère meubles, linge, vaisselle, jouets, livres, électroménager, etc. Tout ce dont les donneurs ne veulent plus chez eux et les met (ou recycle) en vente dans l’un de ses trois magasins de l’agglomération (Vénissieux, Lyon et Villeurbanne). Ainsi, elle prend en charge plus d’une tonne de linge par jour (dont 20 % sont mis en vente, le reste étant envoyé58 Acteurs de l’économie - La Tribune N°134 Février 2017
EMMAÜS Entreprendre Le dialogue est la clé de voûte du bon fonctionnement. Y compris pour permettre au cosmopolitisme de « faire commun »« Comment parvient-on à faire PRIX DU MARCHÉ« communauté » ? Emmaüs Lyon en tant qu’entreprise de l’économie sociale et soli-Le vivre-ensemble est notre daire réalise 2,5 millions de chiffre d’affaires. Un montant qui luipréoccupation permanente. Ceux donne les moyens de pouvoir aider le compagnon (dont la prisequi le contestent sont exclus » en charge avoisine 10 000 euros par personne et par an), de faire vivre la structure (un million d’euros de budget de fonctionne-chez des partenaires ou donné à d’autres associations) ou encore ment environ), d’investir et de disposer d’un fonds de solidaritéquatre tonnes de meubles. Les journées démarrent à 7h15 pour pour soutenir des actions. Sans aide extérieure ni subvention, lecertains et finissent à 18h30 pour d’autres. Rares sont les temps modèle économique d’Emmaüs repose donc entièrement sur lamorts. C’est pourquoi, dans le but d’optimiser et d’organiser vente dans ses magasins. Des personnes à faible revenu aux col-au mieux le fonctionnement des magasins, de la réception des lectionneurs, en passant par les bouquinistes et les antiquaires,objets à leur mise à la vente, les responsables d’Emmaüs Lyon les points de vente sont ouverts à tous. Aux compagnons deont initié des procédés afin de disposer d’une chaîne logistique savoir composer avec la clientèle. « Cela peut être parfois compli-adaptée. À cela s’ajoute, depuis deux mois, la vente en ligne de qué », concède Armand, arrivé de l’Oise il y a deux ans, travail-quelques objets sous le nom de Label Emmaüs, qui requiert une lant au secteur vêtements après un passage au déchargementéquipe dédiée afin de les référencer, les photographier, les prépa- des camions. L’association propose des milliers de produits àrer et les envoyer. Une organisation caractéristique de l’entreprise des prix (très) bas. Elle peut aussi en proposer certains, plusclassique. tendance, « au prix du marché », pour des meubles de décoration notamment. « Il nous arrive d’aller au Salon du vintage à Lyon pour nous rendre compte des prix pratiqués, indique Raul Almeida. Alors que nous vendions des tables formica à 10 euros, nous avons dû en réévaluer le prix de vente. » Si la politique tarifaire peut être parfois critiquée, elle est pleinement assumée par Pierre-Yves Tesse : « À nous de bien expliquer pourquoi nous faisons cela et que nous redistri- buons tout à la communauté. Emmaüs doit rester Emmaüs. » Ainsi, plus elle vend, mieux elle est en mesure de financer des actions de solidarité. Et donne « beaucoup à d’autres structures et à certains clients dans le besoin ». Si l’argent n’est pas une fin en soi, et que la solidarité demeure son objectif premier, il permet néanmoins d’accueillir les bénéficiaires dans de bonnes conditions.N°134 Février 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 59
Entreprendre EMMAÜS SophieRaul Almeida, Pierrel’un des trois responsables de la structure OlgaAhmed « Avec toutArmand l’argent du monde, on ne fait pas des hommes, mais avec des hommes qui aiment, on fait tout » : Emmaüs donne corps aux mots de l’abbé Pierre. Véritable « école de la vie », elle donne les moyens de (ré)apprendre les fondements de l’éducation, du respect des autres et de soi-même par la valeur travail et de solidarité. De reprendre pied. De reprendre vie. 60 Acteurs de l’économie - La Tribune N°134 Février 2017
EMMAÜS Entreprendre« La personne doit DIALOGUEprendre conscience L’implication des compagnons dans la vie d’Emmaüs est doncque des gens ont travaillé ici essentielle pour que la structure poursuive sa mission. « Laavant elle, permettant de lui offrir personne doit prendre conscience que des gens ont travaillé ici avantl’accompagnement dont elle, permettant de lui offrir l’accompagnement dont elle disposeelle dispose aujourd’hui. aujourd’hui. C’est pourquoi elle doit savoir s’impliquer dans son travailC’est pourquoi elle doit savoir pour de futurs compagnons. C’est une forme de gratitude », soulignes’impliquer dans son travail Raul Almeida, qui fut compagnon durant sept années à Tours,pour de futurs compagnons. avant de prendre des responsabilités dans différentes antennesC’est une forme de gratitude » Emmaüs en France. « Ceux qui ne veulent pas s’en sortir en travail- lant ne restent pas », ajoute-t-il. Un aspect parfois difficile à faireN°134 Février 2017 comprendre et qu’il s’emploie à expliquer avec les deux autres responsables de la structure lyonnaise. « 40 % de notre temps est consacré au dialogue », calcule-t-il. Le dialogue est la clé de voûte du bon fonctionnement d’Emmaüs. S’il n’est pas toujours évident à entretenir, chacun s’y emploie. « Nous sommes présents pour ras- surer, réconforter, encourager, gérer les conflits. » De plus, le trio est le garant de l’organisation générale entre les bénévoles, les huit salarié et les compagnons, ainsi que de l’accueil des personnes extérieures. Un rôle de manager, avec « cette dose de folie et de militantisme en plus », avoue Raul Almeida. COMPLEXITÉ Grande maison, centre social, entreprise, lieu de rebond : Emmaüs est un peu tout à la fois. Un lieu hybride accueillant des personnes de tous horizons et de toutes nationalités (25 actuelle- ment à Lyon), engagées autour d’un projet commun. Une dimen- sion que Pierre-Yves Tesse aimerait pouvoir développer davantage afin d’approfondir l’esprit de communauté. « Nous aimerions que les gens parlent de leur pays ou, par exemple, cuisinent une spécialité pour que chacun puisse apprendre de l’autre », souligne celui qui quittera la présidence en mai, après trois années de service. Mais cet esprit collectif comporte aussi son lot de difficultés et requiert d’accepter quelques concessions. « C’est parfois compliqué, car nous venons pour beaucoup de pays différents, avec une culture et une langue propres, ainsi qu’une manière de concevoir les choses », juge Olga, qui travaille au rayon jouets depuis deux ans. Les profils des compagnons ont évolué avec le temps, les mentali- tés, aussi. Pierre, bénévole et militant depuis 1990, le constate : « Auparavant, nous avions beaucoup de déracinés. Aujourd’hui, ce sont davantage des sans-papiers et des jeunes en rupture. Leurs attentes ne sont pas celles des générations plus anciennes. Les rapports sont par- fois plus complexes, y compris entre compagnons et bénévoles. » Pour cet ancien éducateur, le manque d’éducation et l’individualisme constituent en grande partie les maux qui aujourd’hui éloignent et séparent les individus. « Nous sommes un peu le reflet de la société », souligne-t-il. Signe de cette évolution, chaque logement dispose de sa télévision, quand autrefois, une seule trônait dans la salle de vie, favorisant alors les échanges. Dans ce contexte de changement, responsables et président de l’association veillent à entretenir le vivre-ensemble. Et le compagnon qui viendrait s’y opposer est susceptible d’être renvoyé, voire exclu par les membres de la communauté eux-mêmes. « Avec tout l’argent du monde, on ne fait pas des hommes, mais avec des hommes qui aiment, on fait tout » : Emmaüs donne corps aux mots de l’abbé Pierre. Véritable « école de la vie », elle donne les moyens de (ré)apprendre les fondements de l’éducation, du respect des autres et de soi-même par la valeur travail et de soli- darité. De reprendre pied. De reprendre vie. Acteurs de l’économie - La Tribune 61
Entreprendre CHRONIQUESLOIS DE FINANCES 2017 : ces mesuresqui modifient le paysage fiscal françaisAnne Madon Brault et Jean-Luc Dury marquant de l’environnement fiscal du actuel de 33,33 %. En 2020, ce taux de 28 % devraitAvocats associés Colbert Fiscal contribuable. Si les modalités de calcul de s’appliquer à l’ensemble des entreprises. Il est à noter l’impôt sur le revenu ne sont pas modifiées, celles que le taux réduit de 15 % n’est pas supprimé. CetteSi les lois de finances adoptées lors d’une relatives au recouvrement de l’impôt le seront pro- mesure, certes favorable d’un point de vue financier, année électorale sont, en général, dépour- fondément à compter de 2018. Précédemment, les ne contribue pas à la simplification du paysage fiscal vues d’intérêt sur le plan fiscal, celles de 2017 revenus étaient taxés au cours de l’année suivant français par la diversité des taux d’impôt sur les sociétés font exception, avec quelques mesures signi- celle de leur perception. Désormais, l’impôt sur le applicables. Après notamment la mise en place depuis ficatives, telles que la mise en place du pré- revenu sera directement prélevé chaque mois sur 2013 du fichier des écritures comptables (« FEC ») etlèvement à la source de l’impôt sur le revenu, la baisse le revenu effectivement perçu. Afin d’éviter qu’en de la piste d’audit fiable TVA, les lois de finances 2017annoncée de l’impôt sur les sociétés ou le renforcement 2018, les contribuables n’aient à supporter à la confirment la tendance au renforcement des moyens dedu pouvoir de l’administration en matière de contrôle fois l’impôt sur les revenus de 2018, par le biais contrôle de l’administration. En ce sens, une nouvelledes entreprises. du prélèvement à la source, et l’impôt sur les reve- méthode de contrôle à distance des entreprises, « l’exa-La mise en place du prélèvement à la source de nus 2017, la loi de finances 2017 prévoit la mise men de comptabilité », est désormais à la dispositionl’impôt sur le revenu constitue un changement en place d’un crédit d’impôt pour la modernisation de l’administration fiscale. Ce nouveau droit de contrôle du recouvrement. Ce crédit d’impôt vise à effacer lui permet de demander aux contribuables qui tiennent l’impôt sur les revenus « ordinaires » perçus en 2017. leur comptabilité au moyen de systèmes informatisés Seuls les revenus « exceptionnels » seront taxés. Cette la transmission d’une copie des « FEC ». À partir de réforme du recouvrement de l’impôt sur les revenus ces fichiers, l’administration fiscale pourra effectuer des n’engendrera donc pas de surcoût en 2018. tris, classements ou calculs, vérifier la concordance des fichiers avec les déclarations déposées. L’administration Contrôle pourra alors adresser au contribuable une proposition La loi de finances pour 2017 amorce également une de vérification ou l’informer de l’absence de rectifica- réduction progressive du taux de l’impôt sur les socié- tion. Même si le Conseil constitutionnel n’a pas censuré tés. Pour les exercices sociaux ouverts à compter du cette mesure de contrôle à distance, il conviendra d’être 1er janvier 2017, les résultats des PME seront soumis à attentif à sa mise en œuvre pour s’assurer du respect du l’impôt sur les sociétés au taux de 28 % au lieu du taux principe du débat oral et contradictoire.L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE,une urgence pour sortir du mal-logementSi le logement social est la première condition pour « faire société », il se révèle trop souvent Bernard Devert Inaccessibilité © DR, © Laurent Cerino / Acteurs de l’économie un marqueur stigmatisant quand il n’est pas dis- Fondateur d’Habitat et Humanisme S’impose une urgente réflexion pour trouver un traitement. criminant. Au plus haut niveau de l’État, Manuel Cette déshumanisation inacceptable met la société en Valls, alors Premier ministre, dénonçait des région de l’Ile de France nécessitant de bâtir tous les 12 risque de rupture à un moment où les populismes l’ins-traces de ghettoïsation ; l’expression, contestée bruyam- mois l’équivalent d’une petite ville ; quand 600 000 can- trumentalisent. La réponse n’est pas seulement dement, n’est cependant pas sans pertinence. Des mesures, didats demandent un toit décent sur ce même territoire et construire plus, mais de s’interroger sur l’amé-désormais, sont retenues pour que les quartiers fracturés que 24 000 sans-domiciles sont assignés à la rue à Paris nagement du territoire qui, insuffisant, met enn’accueillent plus – ou moins – les foyers désocialisés, (144 000 sur la France entière), quand le 115 ne parvient état de choc le logement social absorbant leobservant combien cette absence de politique assassine plus à faire face même s’il s’agit d’un SOS de personnes manque de régulation. Les grandes villes sont dela cohésion sociale. L’heure est d’ouvrir un grand chantier malades, au soir de leur vie, ou encore des mamans et magnifiques vitrines, mais leurs propositions sont inacces-invitant la Nation à se réconcilier avec ses cités. Le corps leurs enfants. sibles aux personnes fragilisées, logées très souvent ausocial est confronté à un cancer métastasé qui le ronge bout du bout des agglomérations qui, s’étalant, éloignentinexorablement. Le diagnostic, établi chaque année, fait des centres les plus pauvres. Dans le même temps, despart d’une aggravation du mal-logement, pour se dévelop- petites et moyennes villes offrent des milliers de logementsper plus vite que la capacité de tous les acteurs à l’enrayer. affichant à louer, à vendre, confirmant un désert déjà bienChristian Noyer, en qualité de Gouverneur de la Banque avancé. Comment ne pas partir puisqu’il n’y a pas dede France, adressa en mai 2013 une lettre au Président travail ! Seulement, les demandeurs d’emploi – plus dede la République mettant en exergue la distorsion entre cinq millions – le trouvent-ils davantage dans les grandesles crédits affectés au logement (47 milliards d’euros) et agglomérations. Le travail se modifie et la prégnance dul’impossibilité d’en découdre avec ce mal. Aussi, s’interro- numérique va accélérer encore le changement, d’où desgeait-il sur l’absence de doutes et le manque de débats ouvertures inouïes que l’aménagement du territoire devraitsur les causes de ce qu’il nommait l’inefficacité. Que faire accompagner. La question ne mérite-t-elle pas d’être étu-quand 60 000 personnes rejoignent chaque année la diée dans la perspective d’une économie s’attachant au réel. Notre société gagnerait en humanité.62 Acteurs de l’économie - La Tribune N°134 Février 2017
RUBRIQUE DE NOM EntreprendreN°134 Février 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 63
Entreprendre CHRONIQUES Adrien Duvillard © DR Expert APM,DÉMOCRATIESOCIALE et monopole coach en intelligence émotionnelle et ancien champion de skiDémocratie sociale et monopole, voilà deux mots bien dissonants. La sup- pression d’une telle aberration semble aller de soi. Ce serait l’un des mar- La gloire de queurs, et même des leviers, utiles pour la modernisation sociale de notre L’ÉCHEC pays. C’est ainsi que les candidats à la primaire de la droite ont, à l’excep- tion d’Alain Juppé, annoncé la remise en cause du monopole de présen- Un enfant tombe plus de 2 000 fois avant de savoir marcher. Imaginez tation de candidatures réservé, lors du premier tour des élections professionnelles les conséquences si, à chaque tentative infructueuse, son corps n’en- dans les entreprises, aux listes parrainées par les grandes confédérations syndicales registrait pas les raisons de ses échecs. Il lui serait alors impossible reconnues et représentatives au plan national. Il est a priori aisé d’admettre que, pour d’apprendre à marcher. Adulte, nous vivons des expériences d’échecs la vitalité de la démocratie sociale, tous les salariés puissent avoir la possibilité de se à chaque pas que nous faisons, car chaque pas est un déséquilibre présenter directement aux élections professionnelles, qu’ils soient syndiqués ou non. en soi. On ne s’en rend plus compte, mais notre corps a magnifié l’art d’utiliser Mais n’est-ce pas déjà très largement le cas avec les listes sans étiquette syndicale les déséquilibres pour avancer. Il valorise ces ruptures pour les utiliser comme élues au second tour qui, de facto, concernent une majorité d’entreprises en parti- sources d’évolution. En 1997, lors d’une compétition de ski, et alors que je suis culier dans les PME ? au sommet de ma carrière de sportif, je tape un mur à plus de 100 km/h pen- Supprimer une situation improprement qualifiée de « monopolistique » pourrait sem- dant une descente. Un mur physique, mais aussi et surtout, un mur symbolique. bler une idée saine. Qui peut être contre ce principe général que, pour moderniser Mes premières pensées après m’être réveillé du coma ont été : « Je ne l’ai pas vu notre pays, il est nécessaire de s’attaquer à des rentes situation qui, en apparence, venir, je n’ai pas eu de chance ». Pourtant des signes avant-coureurs existaient, ont un petit air désuet d’après-guerre et/ou de survivance d’économie administrée ? subtils ou flagrants, mais je ne les voyais pas. Ou ne voulais-je pas les voir ? Pour en juger sérieusement, il faut anticiper les étapes suivantes et aller plus loin que cette perception première simpliste. Comprendre et apprendre La raison ? L’ego. Quand les lumières illusoires de l’ego brillent, elles Prendre du recul éclairent un chemin trompeur qui ne mène nulle part, sauf dans En effet, dans la volonté de transformation des relations sociales, il faut mesurer le les brumes de l’illusion engendrées par ce même ego. Ces lumières, chemin parcouru - certes trop lentement pour les impatients. Il faut aussi intégrer la puissantes, empêchent de voir la grande image de la vie. Elles fascinent comme nécessité pour moderniser notre pays de disposer de corps intermédiaires solides, les phares d’une voiture hypnotisent un animal au bord de la route… avant de parmi lesquels les syndicats, acteurs essentiels de la démocratie sociale. Admettre l’écraser. Trois mois plus tard. À la vue des images de mon accident, je prends par ailleurs que la transformation des relations sociales nécessite du conscience que le choc aurait dû me tuer. Mais je suis encore en vie. On m’a temps pour qu’émergent et se renouvellent des acteurs responsables, laissé une deuxième chance. Pourquoi ? Que dois-je comprendre ? Nous avons constructifs dans l’exercice de négociation. Prendre du recul me semble tous vécu, au moins une fois dans la vie, ce genre d’expérience. Nous avons sage afin d’éviter des choix de gribouille où l’on défait ce que l’on a construit la veille. tous été confrontés, un jour ou l’autre, à des situations qui interpellent notre Je fais référence notamment à la construction constante des dix dernières années qui conscience. Un instant, comme un spectateur qui observerait sa propre vie a cherché à renforcer la légitimité et la représentativité des acteurs syndicaux alors sur un écran de cinéma et qui serait en mesure de prendre toute la dimension qu’on leur confie un rôle de plus en plus important, en ouvrant largement les champs de ce qui arrive et non pas uniquement la conséquence visible. Comprendre et ouverts à la négociation d’entreprise. apprendre. Chaque expérience, vécue de prime abord comme un échec, une Pour que ce choix porte ses fruits, il faut aussi que les personnes investies de man- malchance ou je ne sais quel mauvais coup du sort, est en fait une opportunité dats de représentation soient formées, aient des parcours professionnels fluides. Les pour apprendre de la vie et avancer en pleine conscience. « Mesure la richesse organisations syndicales ont un rôle essentiel à jouer à ce titre. de ta vie non pas à la quiétude vécue, mais aux difficultés rencontrées. » Vouloir revenir sur ce choix et brûler les étapes ou passer par-dessus bord ce qui Je devais être sacrément « bouché » pour que l’ouvre-boîte de ma conscience peut apparaître comme une rente de situation pourrait s’avérer très rapidement soit un mur ! Bien sûr, cette solution extrême n’est pas obligatoire, mais com- contre-productif ! Le risque est de voir apparaître des groupes de personnes peu bien d’entre nous attendent que leur corps dise stop pour changer ? La prise formées, des coordinations ou d’autres formes d’agrégations plus ou moins erratiques de conscience ne suffit pas, ce n’est que la première marche. La suite vous qui ne sont pas sans poser d’autres problèmes, en particulier de représentativité et incombe. Pensez que cette expérience d’échec est juste un accident pour repar- de capacité à négocier. N’est-ce pas ce que nous pouvons percevoir actuellement tir comme avant. Une bataille perdue certes, mais pas la guerre ! Ou bien avec les premiers mouvements sociaux qui touchent des entreprises de la nouvelle dites-vous que si vous avez vécu cette expérience, c’est pour évoluer. Car dans économie, avec celui des chauffeurs de VTC, par exemple, où émergent des coordi- toutes les guerres, il n’y a jamais de vainqueur. C’est à vous de décider. J’ai fait nations qui s’autoproclament, se font ou se défont sans que l’on dispose d’éléments mon choix. sur leur représentativité et la légitimité des intérêts qu’ils représentent réellement ? N°134 Février 2017 Bruno Dupuis Senior advisor associé, Alixio 64 Acteurs de l’économie - La Tribune
L’ÉTHIQUE TRIBUNE EntreprendreEST BIENCETTE CAPACITÉ Chaque entreprise est une communauté de personnes, une institution politiqueDE RÉSISTANCE et pas seulement une organisation destinée à faire du profit à ce titre,INTÉRIEURE, elle est marquée par un ethos, un ensemble de comportements, de normes et deAU SERVICE DE valeurs qu’elle affiche ou vit, qui sont le fruit du passé aussi bien que l’objetLA NOBLESSE DE de décisions de la part d’un certain nombre d’acteurs (notamment ses dirigeants),L’ÊTRE HUMAIN et qui sont aussi subis par d’autres. Cet ethos est-il éthique ? Je définis l’éthique comme un processus de discernement, comme « la recherche déterminée, personnelle et collective, de la vie bonne, aujourd’hui et demain, dans des institutions justes, au service du lien social et écologique » . L’entreprise a une triple tâche éthique, liée à son cœur de métier et non à des pratiques marginales de RSE. Premièrement, mettre à jour l’ethos de l’entreprise et la façon dont il correspond ou pas à des valeurs et normes morales internationalement reconnues discerner les écarts entre les discours, les intentions et les réalisations. Beaucoup d’en- treprises occidentales définissent leur mission, en référence à l’utilité sociale de leur activité. Il s’agit d’analyser les tensions entre une telle finalité et les diverses pratiques de l’entreprise, depuis les critères de création et de partage de la valeur, jusqu’à la coopération avec les pouvoirs publics vis-à-vis du cli- mat, en passant par les conditions de travail dans la chaine de sous-traitance et le souci des effets de l’activité sur les écosystèmes naturels et humains. Deuxièmement, l’éthique consiste à s’interroger sur les différentes formes de res- ponsabilité portées par les parties prenantes, selon leur place dans les chaines de connexion entre les personnes, les entités. Les acteurs économiques ont des « responsabilités communes et différenciées », par omission, par collaboration ou par instigation, relatives à la fonction qu’ils exercent. Comment favoriser les espaces de délibération internes en vue d’un exercice plus effectif par chacun de sa capacité de délibération et d’action, avec d’autres ? Troisièmement, le discernement éthique conduit à envisager les transformations structurelles et juridiques à la hauteur des enjeux discernés, pour favoriser desL’ENTREPRISE A-T-ELLEUNE ÉTHIQUE ?Cécile Renouard vies moins aliénées pour les salariés et moins mortifères pour la planète. Si © DRProfesseur de philosophie le choix ultime peut être de quitter son organisation quand sa conscience per-au Centre Sèvres - sonnelle l’exige, la question est de savoir comment contribuer à une intégrationFacultés jésuites de Paris déterminée dans les stratégies des critères du lien social et écologique, sanset directrice du programme lesquels aucune activité n’a de sens. C’est ainsi qu’il faut reconnaitre le rôlede recherche politique de l’entreprise, destiné à être orienté au service du bien commun, à«CODEV - Entreprises rebours du lobbying pour des intérêts privés financiers à court terme.et développement »à l’Essec de l’Institut Irené ÉLITEN°134 Février 2017 Beaucoup reste à faire parce que la concentration du capital et de son contrôle donne un primat aberrant à des logiques financières autistes, parce que beau- coup de dirigeants sont enfermés dans des stratégies de carrière, de pouvoir et d’argent et que s’est constituée une « élite » déconnectée des réalités vécues par le plus grand nombre. Pourtant, la vraie créativité n’est pas dans ces pro- cessus stériles et aliénants l’éthique est bien cette capacité de résistance intérieure, au service de la noblesse de l’être humain, comme le souligne le Pape François : « Un chemin de développement productif plus créatif et mieux orienté pourrait corriger le fait qu’il y a un investissement technologique excessif pour la consommation et faible pour résoudre les problèmes en suspens de l’humanité ; il pourrait générer des formes intelligentes et rentables de réutilisation, d’uti- lisation multifonctionnelle et de recyclage ; il pourrait encore améliorer l’effi- cacité énergétique des villes. (…) Ce serait une créativité capable de faire fleurir de nouveau la noblesse de l’être humain, parce qu’il est plus digne d’utiliser l’intelligence, avec audace et responsabilité, pour trouver des formes de déve- loppement durable et équitable, dans le cadre d’une conception plus large de ce qu’est la qualité de vie. » (Laudato si’ 192). Acteurs de l’économie - La Tribune 65
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LE RÊVE Inventer LE RÊVE RÉMI LOUF‘‘Les villes du futur ont déjà existé, et ont même déjà échoué. L’histoire est en e et jonchée d’utopies mort-nées : la Cité radieuse chère à Le Corbusier, la ville intelligente (et vide) de Songdo en Corée du Sud, la ville zéro-émissions (vide elle aussi) de Masdar aux Émirats Arabes Unis. Néanmoins l’utopie est tentante. En imaginant la ville de demain, une vision s’est immédiatement dessinée : des villes hyperoptimi- sées, où tout est ordonné et fluide, mesuré et adapté en temps réel. Une ville technologique et confortable… l’utopie de mon époque. Le rêve passé, il me faut bien l’avouer : je ne sais pas grand-chose de la ville de demain, sinon qu’elle sera très peuplée. L’Organisation des Nations Unies estime qu’en 2030, 75 % de la population mondiale vivra dans les villes, soit six milliards de personnes. Cette révolution (urbaine) ne pourra bien se passer que si nous trouvons des solutions aux problèmes que les villes rencontrent aujourd’hui : trafic, impact environnemental, ségrégation sociale et raciale, manque de résilience menacent la soutenabilité de l’urbanisation dans le monde. Pour les résoudre, il faut stopper nos rêveries afin d’écouter la ville, l’étudier et la comprendre. Imaginez envoyer des fusées dans l’espace sans une connaissance du phénomène de gravité. Imaginez opérer un patient sans connaissance du corps humain. Impossible. C’est pourtant ce que l’on fait lorsque l’on construit des villes en s’appuyant sur des intuitions. En collectant des données, essayant d’en tirer des faits généraux, les expliquer avec des modèles mathématiques simples, ce travail est long et laborieux, mais nécessaire. La réalité, malheureusement, ne se nourrit pas d’images séduisantes, mais de comportements, d’interactions, d’équilibres. De faits. Mon plus grand rêve serait ainsi l’avène- ment d’une nouvelle science des villes. Une science qui naitrait au croisement des nombreuses disciplines qui s’y intéressent. Car l’enjeu est grand : après seulement quelques siècles d’existence, la méthode scientifique nous a apporté les avions, l’ordi- nateur, les téléphones, les vaccins, etc. Imaginez à quoi ressemble- ’’raient nos villes si nous les comprenions mieux. Si nous pouvions transformer les bonnes intentions en politiques e caces. Rémi Louf Chercheur au Centre d’analyse spatiale avancée (Casa), Collège universitaire de Londres, prix « Le Monde » de la recherche universitaireN°134 Février 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 67
Inventer TRIBUNE© StockSnap 68 Acteurs de l’économie - La Tribune N°134 Février 2017
2050, DU TRAVAIL ET DES HOMMES Inventer2050DU TRAVAILET DES HOMMESActeurs de l’économie-La Tribune se projette en 2050 à travers une série de reportages,afin de comprendre l’évolution des relations humaines dans des environnements changeants.Premier volet, au cœur de l’entreprise où l’organisation a déjà été pleinement bouleversée parles technologies et par l’essor de méthodes managériales qui dépoussièrent les pratiques,mais aussi impactent irrémédiablement les hommes. Entreprise, qui demain devra releverde nouveaux défis encore plus di ciles.SÉRIE, MARIE LYAN Acteurs de l’économie - La Tribune 69N°134 Février 2017
Inventer 2050, DU TRAVAIL ET DES HOMMES70 Acteurs de l’économie - La Tribune ouveaux modes de management (mou- vement des entreprises libérées, mana- gement horizontal, lean management), essor des nouvelles technologies (inter- net, robotisation, intelligence artificielle) : au cours des prochaines années, le fonc- tionnement des entreprises pourrait bien être profondément bousculé, transfor- mant la relation qui se construit au sein de l’entreprise entre les hommes, à la fois au niveau des équipes, des relations avec la hiérarchie, mais aussi à l’échelle indivi- duelle, dans le rôle qu’occupe chacun au sein d’une organisation. Pour Christian Defélix, directeur de Grenoble IAE et res- ponsable de la chaire en capital humain et innovation, ce processus ne s’inscrira toutefois pas en rupture totale avec ce qui est fait actuellement. « L’entreprise de demain est déjà un processus en germe, mais cela ne se déroulera pas forcément de manière linéaire », prédit-il. Une évolution, mais pas une révolution ? Face à l’automatisation de plus en plus poussée des chaînes de production et l’ar- rivée de capteurs ou de robots, demain sera nécessairement plus technologique. C’est un fait sur lequel tous les experts s’accordent jusqu’ici. Mais la perspective que dans les entreprises les machines remplacent, à terme, les hommes, dans le secteur des services ou de l’industrie, est-elle plausible ? Sur ce point, rien n’est joué. « Le concept de l’industrie du futur est encore très vague. C’est un couteau suisse où se marieront l’industrie, le numérique avec des outils comme l’Iot, la réalité augmentée, les capteurs et les imprimantes 3D », cite en exemple Tommaso Pardi, chercheur au laboratoire Institutions et dynamiques historiques de l’économie et de la société du CNRS. S’il réfute toute notion de N°134 Février 2017
2050, DU TRAVAIL ET DES HOMMES Inventertranshumanisme, Thierry Ménissier, phi- LE PIÈGE DES CHIFFRES ? problèmes se cumuleraient et finiraientlosophe de l’innovation à Grenoble IAE Les algorithmes organisent déjà une même par exploser, « comme cela peut êtreet spécialiste de Machiavel, pense toute- grande partie de notre quotidien, à com- le cas après des phases successives de R&D ».fois que le remplacement de l’homme par mencer par les secteurs de la santé (Sécu-des robots est possible à la fois au sein rité sociale, mutuelles), des banques et L’ACCEPTATIONdes tâches productives et expertes, en des assurances. « Seul le processus de déci- Thierry Ménissier pousse néanmoins lavertu de l’augmentation de la puissance sion n’est pas encore mécanisé. Mais jusqu’à thèse jusqu’à son paroxysme et invitede calcul. « Cela va nous pousser à devoir quand ? », s’interroge Thierry Ménissier. à réfléchir sur les conséquences d’uneinventer de nouveaux paradigmes, en définis- Comme plusieurs experts, il remarque société automatisée à l’extrême. « Quelsant ce que recouvre véritablement la notion que les indicateurs chiffrés, ensuite type de relations restera-t-il quand le travaild’expertise. » manipulés par des algorithmes, tendent n’existera plus ? » Le philosophe évoque à prendre une place toujours plus grande plusieurs modes de socialisation ayant au cours des processus de décision. déjà existé, comme le jeu, l’amour, la Tommaso Pardi met cependant en garde guerre ou la religion, et se questionne sur quant aux stratégies qui se basent uni- le modèle de société à bâtir, qui utiliserait quement sur l’intelligence des chiffres, davantage l’intelligence artificielle. « Cer- en évoquant le cas des « indicateurs pas- tains parlent de mettre en place un revenu tèques » « verts à l’extérieur, mais rouges universel, d’autres de taxer l’utilisation de à l’intérieur ». « Il est quasiment impossible robots en vue de générer des revenus pour de produire de bons indicateurs, car ils sont les humains. Mais n’oublions pas que gagner souvent trop exigeants et décalés au regard son propre argent conserve toute son impor- de la réalité des faits. Des efforts sont éga- tance », estime-t-il. lement consentis par les hiérarchies pour transformer les indicateurs rouges en indica- teurs verts. » Conséquence, selon lui : les« L’avenir des startups est souvent d’être rachetées par de plus grossesentreprises. Nous ignorons donc si elles constituent un accélérateurou un ralentisseur d’innovation »N°134 Février 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 71
Inventer 2050, DU TRAVAIL ET DES HOMMESDès lors, l’acceptation des salariés face « Avec l’avènement PRATIQUES RH RENOUVELÉESà l’arrivée de ces nouvelles technologies de l’entreprise du Dans le domaine de la gestion des compé-représentera un enjeu majeur. « Tout futur, nous faisons tences, Christian Defélix voit égalementdépendra de la manière dont la question est face, d’un côté, une évolution majeure : « Au lieu de cher-introduite, si les robots visent à détruire ou à l’obsolescence cher à conserver les talents dans une ville oùà augmenter les compétences. Le rôle des des compétences les offres sont compétitives, le DRH d’Ubi-managers et dirigeants sera bien entendu initiales, et de l’autre, soft m’a confié que son défi serait plutôt declé dans la phase d’introduction et d’explica- à des exigences sans développer l’apprentissage organisationnel,tion », croit Michel Dubois, professeur de cesse renouvelées. en essayant de capter ce que les employés ontpsychologie à l’université Grenoble Alpes Le défi est de réduire à lui apprendre, durant le temps où ils sontet directeur du laboratoire interuniver- l’écart, en développant là. » Une philosophie dont pourraientsitaire de psychologie. Pour illustrer ces de nouvelles pratiques s’inspirer les entreprises du monde entier,défis, Christian Defélix évoque le « syn- comme l’apprentissage qui doivent elles aussi gérer des phéno-drome du crocodile » : « Avec l’avènement de organisationnel ou mènes de mobilité du personnel. « Nousl’entreprise du futur, nous faisons face, d’un l’élargissement pourrons ainsi organiser des conférencescôté, à l’obsolescence des compétences ini- vers des modes de informelles, des captures vidéos, mettre entiales, et de l’autre, à des exigences sans cesse travail collaboratifs » place des communautés de pratiques ou desrenouvelées. Le défi est de réduire l’écart, en jumelages entre salariés pour développerdéveloppant de nouvelles pratiques, comme cet apprentissage en interne », suggère-t-il.l’apprentissage organisationnel ou l’élargisse- L’entreprise du futur pourrait aussi êtrement vers des modes de travail collaboratifs ». l’opportunité d’introduire des pratiques de management plus horizontales, croitL’ÈRE DU COLLABORATIF Claude Didry. « Jusqu’ici, la seule voieAprès l’essor de l’ère du « co », qui met d’évolution possible pour un ingénieur étaitle fonctionnement collaboratif au centre celle de l’évolution hiérarchique, au coursdes pratiques managériales, « l’entreprise de laquelle il tend à perdre une part de sade demain ressemblera encore davantage propre créativité. Or, on pourrait s’intéres-à un réseau lié à d’autres réseaux », pense ser aux qualifications d’expert, pour ouvrirChristian Defélix. Une occasion d’expé- d’autres perspectives d’évolution comme celarimenter des pratiques plus ouvertes et existe déjà dans les pays anglo-saxons. »davantage collaboratives ? « Quoi qu’il en Michel Dubois estime cependant qu’ilsoit, cela permettra d’ouvrir la gestion des serait irréaliste de vouloir généraliser leRH à l’échelle du bassin d’emploi, comme c’est management horizontal à tous les sala-déjà le cas dans les pôles de mobilité régio- riés. « Cela dépend de la taille de la société,naux, tel que celui impulsé par ST Microelec- de son métier, de sa culture. Cela demandetronics et un ensemble de partenaires autour aussi un fort investissement personnel de lade Grenoble », estime-t-il. part des salariés, qui n’en ont pas toujoursPour Claude Didry, sociologue, direc- l’envie. »teur de recherche au CNRS et directeurde l’IDHES-Cachan, l’un des principaux N°134 Février 2017enjeux demeurera cependant celui de lacohérence. « À l’heure actuelle, les entre-prises isolent des business units, développentdes centres de profits pour la gouvernanceactionnariale. Les logiques de concurrenceinternes peuvent nuire aux complémen-tarités ». Les vendeurs de téléphoniequi, à l’intérieur de leurs boutiques, seretrouvent en concurrence frontale avecleur propre service de vente en lignepour attirer la clientèle en sont le parfaitexemple. L’entreprise de demain devraau contraire s’atteler à recréer des rela-tions entre les différents corps de métiers.« Dans les usines, des ponts pourraient êtrecréés entre ingénieurs et opérateurs afin dedévelopper un apprentissage collectif sur lesprocessus de production, qui permettent demieux cerner l’origine des défaillances »,ajoute Claude Didry.72 Acteurs de l’économie - La Tribune
2050, DU TRAVAIL ET DES HOMMES InventerTOUS ENTREPRENEURS ? que ces entreprises disposent d’impor- devenus très mobiles. Mais, à la lecture desSouvent cité comme un frein à toute tantes ressources financières face à des statistiques, on s’aperçoit là encore que laévolution, le droit du travail ne serait modèles économiques fragiles, Tommaso mobilité géographique est moins importanteen réalité pas le principal obstacle à ces Pardi pense lui aussi qu’«’il faut rester pru- qu’annoncée, car ces cadres ont tendancemutations. Car parler de l’entreprise de dent à l’idée que les startups représentent à se fixer en un lieu », évoque Christiandemain suscite plusieurs préjugés à com- l’avenir ». Defélix. Un argument qui contrecarre lemencer par la disparition annoncée des discours « tous mobiles », voulant queprincipales formes de salariat… Claude LES PROMESSES DE MOBILITÉ les salariés deviennent tous, à terme,Didry rappelle que 90 % de la popula- L’autre préjugé régulièrement véhiculé des électrons libres multipliant les expé-tion active française reste encore sala- par les analyses prospectivistes concerne riences à l’échelle d’une vie. « Il existeriée, avec 70 % des contrats sous forme la mobilité : « Les cadres seraient ainsi encore des carrières de 30 ans au sein dede CDI. « Rien ne permet de dire que nous grands groupes, dans certains secteurs quiverrons réellement un essor du travail indé- misent sur le long terme, comme l’éner-pendant, comme on nous le prédit pourtant gie, par exemple, mais on en parle peu »,depuis 20 ans », ajoute-t-il. Selon lui, les estime-t-il.startuppeurs témoignent avant tout d’un Demain, les modèles du travail et de l’en-isolement de la fonction R&D, dont les treprise seront dès lors un mix à réinven-grands groupes industriels ont choisi de ter, à partir d’ingrédients divers, autantse délester, souvent pour des raisons de individuels que structurels, et sur les-coûts. « L’avenir des startups est souvent quels les chefs d’entreprises doivent déjàd’être rachetées par de plus grosses entre- travailler afin de ne pas se retrouver éga-prises. Nous ignorons donc si elles constituent rés dans un monde qui évolue à grandeun accélérateur ou un ralentisseur d’innova- vitesse.2050, c’est déjà demain pour bâtirtion », objecte Claude Didry. Rappelant une planification stratégique. © iStock by Getty ImagesN°134 Février 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 73
Inventer CONSTRUCTION DURABLE Tour Incity alors en construction.© Laurent Cerino / Acteurs de l’économie « La construction durable, seule, ne saurait suffire à modeler une nouvelle forme d’urbanisme » 74 Acteurs de l’économie - La Tribune N°134 Février 2017
CONSTRUCTION DURABLE InventerCONSTRUCTIONDURABLELE CIMENT URBAINDOSSIER, STÉPHANIE BORGLa ville de demain se construit sous nos yeux, se dessinant au rythme de grands projetsarchitecturaux innovants, mais aussi de réorganisations urbaines massives, de nouveaux modesde production de la richesse et de nouvelles façons de consommer la ville. Demain, celle-cisera intelligente, connectée, inclusive, et globalement plus écologique, grâce, entre autres,à un secteur en pleine mutation : celui de la construction, dont l’impact constitue un nouvelenjeu pour le monde du travail. u centre technique de recherche et de développe- naturel issu du massif de la Chartreuse, ou très tech- ment du groupe Vicat, implanté à L’Isle-d’Abeau niques pour des projets souvent hors norme. Ainsi, (Isère), 90 chercheurs et techniciens planchent sur un béton autoplaçant a permis de réduire l’exposition des salariés aux vibrations lors de la construction du le ciment, le béton et les granulats du futur. Sou- Parc OL. Et un béton fibré ultra-performant coule vent décrié, accusé de défigurer les villes et les dans les veines du viaduc de Millau (Aveyron) et des ouvrages, le béton, même s’il domine encore lar- tours Oxygène et Incity, à Lyon. Symbole de l’innovation, préfiguration des bâtiments gement le marché, subit la concurrence directe du futur, cette dernière, opérationnelle depuis l’hi- d’autres matériaux, plus écologiques. « Face à ver 2015, est la première tour HQE de centre-ville en cette montée, il est indispensable d’innover pour France. Ce projet présente la particularité de ne pas répondre qu’aux seules exigences environnementales. proposer une matière plus en phase avec les « Il ne s’agit pas uniquement d’afficher de bonnes perfor- goûts actuels, capable de répondre aux nouvelles mances énergétiques. Ce n’est qu’un pilier du triptyque méthodes constructives tout en restant résistant qui comprend aussi un volet social et économique. Incity répond à ces trois dimensions de manière équilibrée », à la compression », remarque Didier Pete- justifie Marc Balay, directeur délégué de Sogelym tin, directeur général délégué de Vicat en Dixence. Pour l’imaginer, le maître d’œuvre a fait le France. Depuis quelques années, les inno- tour du monde pour s’inspirer des bonnes pratiques afin de garantir cet équilibre, introduisant dans le vations issues du centre de recherche répondent aux exigences de nombreux Acteurs de l’économie - La Tribune 75 projets. Plus écologiques, tel ce béton de chanvre destiné à la construction de maisons individuelles ou ce cimentN°134 Février 2017
Inventer CONSTRUCTION DURABLEprocessus un verre Saint-Gobain spécifique, une seconde peau l’espace avec un retour sur soi. Il est l’heure de reconsidérer le vivre-en-grâce à laquelle 100 % des postes de travail sont éclairés par la semble et de recréer du sens pour la vie en commun », poursuit lelumière jour. « Il ne sert à rien de construire une tour très perfor- géographe. Certes, ces transformations engendrent de multiplesmante si elle est invivable au quotidien pour les salariés, faisant ainsi problèmes, mais font aussi émerger des solutions. « Et ceci grâce àperdre des milliers d’euros à l’entreprise qui l’utilise », poursuit-il. l’intelligence des hommes, la véritable ressource inépuisable », termineUn élément primordial pour la Caisse d’Épargne Rhône-Alpes, Michel Lussault. propriétaire de la tour. « Nous avons choisi un bâtiment aux normesefficaces, économique en matière de consommation des ressources. Il TROPHÉES INCITYnous a aussi permis de repenser nos modes de travail, la répartition de DE LA VILLEnos espaces, confirme Stéphanie Paix, présidente du directoire de INTELLIGENTEla banque régionale. Ce qui est intéressant, c’est que l’économie reposeaussi sur la façon dont on y vit, et les choix réalisés sur les réglages Mardi 6 décembre 2016, Acteurs de l’économie-La Tribune organi-divers et variés. Le bâtiment est conçu de façon intelligente mais cela sait, en partenariat avec la Caisse d’Épargne Rhône-Alpes, la pre-fonctionne avec l’intelligence de ceux qui l’utilisent. » mière édition des Trophées Incity de la ville intelligente & durable. Visant à récompenser des initiatives publiques et privées, le prixMUTATIONS Objets connectés (remis à Sylvain Denoncin, président d’Okeenea)Ainsi, la construction durable, seule, ne saurait suffire à modeler met en avant une entreprise qui travaille au développement et auune nouvelle forme d’urbanisme. Pendant des décennies, « des déploiement de l’internet des objets ; le prix Urbanisme durablepolitiques de la ville ont été menées à coup de réglementation ther- (remis à François Grosse, dirigeant et cofondateur de Forcity)mique et de performance énergétique sans aller assez loin dans la récompense une entreprise qui participe à l’aménagement urbainprise en compte des besoins des habitants ou des usagers. Cette réponse avec une approche innovante. Enfin, le prix de l’Économie circu-spatiale à des enjeux sociaux n’est pas satisfaisante », juge Nadine laire (remis à Thomas Watrin, directeur général de Suez RecyclageRoudil, sociologue, professeure associée à l’École nationale supé- et valorisation Centre-Est pour le projet River’Tri) souligne unerieure d’architecture de Lyon (Ensal). Or, « dans un monde contem- action qui participe à la création de valeur positive sur le planporain marqué par l’urbanisation massive, ce ne sont pas seulement social, économique et environnemental.les paysages qui changent, mais aussi les organisations. Là s’invententde nouvelles manières de produire de la valeur et des richesses », sou-ligne le géographe Michel Lussault, lors d’une master class enmarge de la remise des Trophées Incity de la ville intelligente(lire encadré). L’ensemble concentre un maximum de mutations :sociales, environnementales, culturelles mais aussi citoyenneset politiques. Dans les bureaux, la tendance est à l’open spacesilencieux, ponctué de points de rencontres destinés à favoriser lacréativité. « Actuellement, nous assistons à une crise de la relation à Au centre technique © 2013 Nicolas RobinN°134 Février 2017 de recherche et de développement du groupe Vicat, implanté à L’Isle-d’Abeau (Isère), 90 chercheurs et techniciens planchent sur le ciment, le béton76 Acteurs de l’économiee-t lLeasTgrribaunnuelats du futur.
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Inventer CHRONIQUES Michel Tavernier © DR - Alain Rico Directeur de l’Aract Auvergne-Rhône-AlpesLa rageDE L’ÉVALUATION DES ROBOTS et des HommesQue ce soit au niveau d’un État, d’une région, d’une entreprise, d’une équipe ou d’un individu, l’évaluation est omniprésente. Elle Robotisation, cobotisation, réalité augmentée… arrivent en force dans les entreprises. Des est devenue une composante indispensable de régulation et de robots mobiles apportent déjà les commandes aux préparateurs dans la logistique ; des gestion de nos sociétés. Les différentes méthodes et modalités cobots assistent les opérateurs de l’industrie agroalimentaire ; des logiciels auto-apprenants d’évaluation ont été théorisées, enseignées et pratiquées depuis sont capables de rédiger des réponses aux questions des clients des compagnies d’assu-des décennies et se sont depuis largement diffusées. Dans sa conception rance… Admiratifs de ces prouesses techniques et attirés par leurs bénéfices possiblespremière, l’évaluation sert à remonter une information éclairée sur un sujet en matière de réactivité et compétitivité des entreprises, ne risquons-nous pas de sous-estimer leursparticulier : elle constitue un outil d’aide à la décision. Les dispositifs d’éva- dimensions sociales et humaines ? La question de l’impact de ces changements sur l’emploi estluation se retrouvent ainsi à tous les niveaux de la société et des entreprises certes largement débattue et la nécessité d’organiser la formation des salariés est partout rappelée.et sont adaptés en fonction de la nature et du type de décision à prendre. Mais dans les faits, comment s’y prend-on pour que la montée en compétence prenne place dèsQuand ces dispositifs sont bien construits et mis en œuvre, ils maintenant et bénéficie aux salariés actuels des entreprises concernées ? Et comment, en complé-se révèlent utiles et indispensables. Par exemple, l’évaluation des ment, mieux prendre en compte leurs impacts sur la façon de travailler ? Quelques points de vigilanceprojets est couramment pratiquée et contribue au pilotage et au mana- peuvent aider les entreprises à tirer le meilleur parti des révolutions en cours. S’assurer d’abord qu’ongement. Au niveau des individus, en revanche, la réalité est perçue diffé- emploie bien les nouvelles technologies là où elles créent un avantage compétitif réel. S’assurerremment : les pratiques d’évaluation des personnes sont très variables et aussi qu’elles ne risquent pas de faire disparaître des savoir-faire humains mal repérés mais pourtantleur efficacité souvent remise en cause. Elles ont été amenées à beaucoup source de valeur ajoutée, comme la capacité à traiter des situations inhabituelles non prévues par lesévoluer au cours des dix dernières années. algorithmes ou bien la capacité à entretenir la relation client dans certains services personnalisés. Là où l’intelligence artificielle représente un réel avantage, évaluer ensuite avec les personnes concernéesDégâts les opportunités et contraintes liées à son déploiement : que peut-elle amener de confort et de soutienL’irruption de nouvelles pratiques, souvent liées à de nouveaux outils du au travail (disparition des activités répétitives, pénibles, etc.) ? Que peut-elle produire de contraintesnumérique, est en train de bouleverser en profondeur les modalités de nouvelles qu’il est préférable d’anticiper pour les limiter ? Outre les risques d’accidents d’un nouveaul’évaluation et l’on peut s’inquiéter que cela soit au détriment des relations genre (les heurts entre robots mobiles et humains ne sont plus de la science-fiction !), les risqueshumaines et de la vie en société. Qu’est-ce qui change ? En premier lieu, d’appauvrissement des tâches ne peuvent être balayés d’un revers de la main par les entreprises quila notion du temps. Nous sommes passés d’une évaluation finale (ex-post), décident de se moderniser. Les machines et objets étant désormais capables de se synchroniser,à une évaluation chemin faisant (in itinere), puis à une évaluation quasi il devient possible d’exploiter en temps réel les données de production ou de distribution. Cettepermanente voire instantanée. Par exemple, avec le développement des possibilité de piloter l’entreprise de façon réactive peut conduire, si l’on n’y prendachats et services en ligne, les évaluations et avis des clients sont tracés pas garde, à une intensification du travail et à une augmentation du travail « dirigé »et répercutés en temps réel par le biais de notations. Le consommateur avec des effets sur la santé et la motivation des salariés qui côtoient les machines.ou l’usager devient l’évaluateur et à son insu partie intégrante de la chaînede management, alors que l’absence de référentiel et de qualification lui Impliquer le salariéempêche toute prise de recul. Les sollicitations et demandes d’avis réi- Les conditions de l’acceptation des nouvelles technologies par les salariés sont, plus globalement, àtérées conduisent à une vraie « rage » de l’évaluation instantanée. Les prendre en compte. Le changement est toujours difficile à supporter quand il s’accompagne de restric-dégâts provoqués par ces nouvelles pratiques sont importants. Tout en tions des marges de manœuvre, d’une dégradation des conditions de travail, du sentiment de ne plusdonnant l’impression de se rapprocher des clients, ces méthodes d’évalua- comprendre ce que l’on fait ou d’y « perdre au change ». Pour éviter les échecs, il faut donc cherchertion empêchent le dialogue mais surtout faussent la relation humaine en lui les façons de concilier le projet d’automatisation et le maintien ou le renforcement de l’autonomie desenlevant toute forme de sincérité. On n’agit pas avec son client comme avec salariés, l’amélioration de la qualité de vie au travail, le développement des coopérations dans lesson manager / évaluateur. On n’évalue pas son employé comme on évalue équipes, etc.un prestataire. Les finalités réelles de ce type d’évaluation correspondent La réussite d’un projet d’automatisation dépasse ainsi la seule prise en compte de la dimension tech-plutôt à un mode de contrôle des salariés par les clients. Faire faire au nique, aussi spectaculaire soit-elle. Même à l’ère des robots, l’implication des salariés « en chair et enclient ce que l’entreprise ou l’organisation faisait avant elle-même : un grand os » reste la meilleure façon d’en appréhender l’ensemble des enjeux.classique de la nouvelle économie numérique. En supprimant les strates dumanagement intermédiaire, et en contournant les modes de régulation, les Lire le dossier Génération 2050 page 68.organisations creusent l’écart avec leurs salariés. La perte ou l’amoindris-sement du lien hiérarchique génère de nouveaux modes de régulation qui N°134 Février 2017ne sont pas forcément gage de progrès : comment juger d’une trajectoireindividuelle à l’aune d’un avis sur internet ? L’évaluation qui est un superbeoutil de dialogue et de co-construction peut rapidement devenir un vecteurd’isolement et de perte de sens. Pascal Gustin Président d’Algoé 78 Acteurs de l’économie - La Tribune
TRIBUNE InventerL’OCÉAN Si notre Terre s’appelle aussi « la planète bleue », c’est parce qu’elle estAPPARAÎT À en grande partie recouverte par l’océan. Cette fine pellicule une goutteLA CROISÉE d’eau en volume si, en proportion, la Terre avait la taille d’une orange)DE NOMBREUX fait toute l’originalité de la Terre. Mais combien de terriens connaissentENJEUX ENVI- l’océan, ses richesses, ses services, ses vulnérabilités ? Mars est mieux car-RONNEMENTAUX, tographiée que 90 % des grands fonds océaniques. Depuis peu, on sait que l’océanTERRITORIAUX, joue un r le essentiel dans la régulation du climat, qu’il contient la premièreÉCONOMIQUES, biomasse du monde et probablement la plus grande biodiversité, qu’il constitueSOCIAUX ET la plus importante source d’oxygène et le plus efficace des puits de carbone.GÉOPOLITIQUES L’océan fait l’objet de multiples interrogations et recherches en matière de changement climatique, car il est le « radiateur » du globe, et ses grands écosystèmes, qu’ils soient productifs (pêche) ou non (coraux) commencent à être aussi étudiés. Cet espace à trois dimensions, en mouvement permanent, est en effet difficile à « saisir » pour l’esprit humain. On sait aussi que le « système océan » évolue sous de multiples pressions d’usage, directes celle de la pol- lution, par exemple et indirectes acidification, etc. mais on ne dispose pas à ce jour d’une vision globale et intégrée de son fonctionnement.L’OCÉAN CONSTITUE L’AVENIRDE L’HOMMEDenis Lacroix ACTIVITÉS © Ifremer / Thomas IsaakResponsable de la veilleet de la prospective L’océan commence cependant à être per u comme un enjeu mondial par les poli-à la direction scientifique tiques comme par le grand public. Les formes de cette perception, qu’ellesde l’Institut français soient intuitives ou raisonnées, sont multiples : mer-menace (montée du niveaude recherche pour de la mer, tsunamis, piraterie…), mer-poubelle (déchets plastiques…), gisementl’exploitation de la mer de ressources vivantes et minérales (33 % du pétrole et du gaz, par exemple), voie de transport (90 % du transit mondial), espace de loisir, de santé, deEn juin 2017, l’Onu organisera détente... De fait, de nombreuses activités maritimes à forte valeur écono-une conférence mondiale sur les océans. mique ou patrimoniale sont liées à l’océan même si son poids économique resteN°134 Février 2017 modeste : environ 1 500 milliards de dollars de valeur ajoutée, soit 2,5 de la valeur ajoutée du monde, mais il devrait doubler d’ici 15 ans. l’exception de la pêche, tous les secteurs maritimes connaissent une forte croissance. C’est le cas des énergies renouvelables marines qui présentent un fort potentiel. Ainsi, l’océan apparaît de plus en plus à la croisée de nombreux enjeux environnemen- taux, territoriaux, économiques, sociaux et géopolitiques, notamment en matière de droit de la haute mer. Cet espace de controverses, voire de conflits multiples, offre aussi des oppor- tunités de gestion collective, par exemple celle d’écosystèmes tels que les aires marines protégées. La mutualisation des données océanographiques permet de comprendre comment évolue ce milieu dont les services sont vitaux pour tous les hommes. L’océan représente donc un des enjeux essentiels de l’humanité, source de béné- fices d’autant plus grands qu’ils seront partagés de manière durable. Mais la valorisation de ce grand enjeu sans frontières exige que les acteurs renoncent à transposer tels quels les jeux diplomatiques, économiques ou militaires de la terre à la mer. La recherche scientifique est déjà pionnière dans cette approche collective. Si l’urgence face au changement climatique est « d’éviter l’ingé- rable et de gérer l’inévitable » iec, 2014 , une politique globale et durable à l’échelle océanique est devenue une nécessité. Quel que soit le scénario du futur, si l’océan n’est pas à lui seul l’avenir de l’Homme, ce dernier n’a pas d’avenir sans le respect de l’océan dans toutes ses fonctions. Et il en reste beaucoup à comprendre et à valoriser. Acteurs de l’économie - La Tribune 79
Membre de Prime Global © Fotolia 4ème groupement international d’experts-comptables indépendants Membre de France Défi 1er groupement français d’experts-comptables indépendants NOUS SOMMES DES ENTREPRENEURS ET NOUS ACCOMPAGNONS DES FEMMES ET DES HOMMES QUI NOUS RESSEMBLENTAHA EXPERTISES & CONSEILS est une société pluridisciplinaire dans les métiers de l’expertisecomptable et de l’audit.Depuis plus de 30 ans notre groupe a su devenir un interlocuteur référant tant pour ses clientsque pour leurs propres écosystèmes (banques, investisseurs, avocats, administrations,…) dans lesdépartements du Rhône, de l’Isère et de la Loire.Grâce à une croissance soutenue depuis l’origine, et à la participation active aux groupementsPrime Global (4ème groupement international d’experts-comptables indépendants) et France Défi(1er groupement national d’experts-comptables et de commissaires aux comptes indépendants)nous sommes en mesure de mettre à disposition une large palette de compétences dans lesdomaines liés à la finance, la comptabilité, la fiscalité, le social, le juridique et la gestion [email protected] 7744 02 90
publi-reportageINTERVIEW CROISÉE ARTHAUDDAMIEN DREUX ET OLIVIERInterview croisée © Godet - DR de Damien Dreux, Président de l’Ordre des Experts-ComptablesRhône-Alpes et d’OlivierArthaud, Président de laCompagnie Régionale desCommissaires aux Comptesde Lyon. A l’air du big dataet de la révolutionnumérique, les experts-comptables et lesCommissaires aux Comptesadaptent leurs pratiques.Vos professions sont-elles déjà concernées Le numérique dans les prochaines années, type d’analyse et de contrôle comme parpar le numérique ? menace ou opportunité ? exemple faire ressortir des factures man-DD : Les cabinets d’expertise comptable DD : Il faudra toujours des professionnels quantes ou en doublon, … Ce mouve-communiquent depuis longtemps et de experts-comptables pour intervenir sur ment a été consacré par l’apparition duplus en plus avec leurs clients (solutions les points les plus techniques et non auto- Fichier des Ecritures Comptables imposéweb de partage de données) et les admi- matisables concernant l’établissement par l’administration fiscale aux entre-nistrations en utilisant les outils numé- des comptes annuels (provisions, options prises qui a eu le mérite d’imposer unriques. Notre profession a été en avance comptables, tests sur les procédures…). format de données commun à toutes lesdans les procédures de télédéclarations Nos gains de productivité nous permet- comptabilités donc d’en faciliter le traite-et automatise déjà une partie de la tenue tront de développer et de proposer encore ment ultérieur.comptable en récupérant les relevés ban- plus de missions de conseils en gestioncaires, les ventes et les achats. De nom- (budget, tableaux de bord…), sociales Le numérique change-t-il la relationbreux cabinets dématérialisent déjà tout et RH, fiscales et juridiques chez nos client et humaine ?ou partie de leurs dossiers de travail. clients. Nous pourrons pérenniser notre DD : Les nouvelles générations sontGrâce à cette expérience, nous accompa- position de premiers conseils des TPE habituées à avoir des informations et desgnons aussi les services comptables des PME. Les missions auront globalement échanges rapides. Notre profession doitPME dans leur évolution numérique et plus de valeur ajoutée. Ces nouvelles s’approprier ces nouvelles techniques etleur gain de productivité administrative. solutions numériques permettent égale- les utiliser. Mais le numérique présente ment aux clients de récupérer en temps aussi des dangers. Certaines décisionsOA : Les auditeurs interviennent désor- réel leurs tableaux de bord et indicateurs de gestion demandent de la réflexion etmais de plus en plus en milieux ERP et pertinents. Certaines PME décident aussi de l’analyse et ne doivent pas être tropont adapté leur démarche de contrôle. En d’externaliser complétement la produc- rapides ou noyées par trop d’informa-effet, la plupart des groupes, des ETI et tion comptable dans nos cabinets. tions. Les experts-comptables et leursmême des PME sont désormais équipés collaborateurs doivent se garder du tempsde logiciels intégrés qui gèrent à la fois OA : C’est une opportunité pour la déconnecté.la gestion commerciale (commande, fac- détection des erreurs ou fraudes dansturation), la production (CAO, GPAO), la comptabilité. Le traitement et l’ana- OA : Les commissaires aux comptesmais également la comptabilité ; tous ces lyse des données en masse permettent doivent garder de la hauteur par rapport« modules » étant bien évidement reliés une approche exhaustive des contrôles. à ces nouveaux outils qui doivent leurles uns aux autres et les flux de données Certains logiciels sont apparus sur le permettre d’augmenter la pertinence dese déversant automatiquement. marché pour permettre de réaliser ce leur analyse et appréciation.
INVENTING HEALTHComprendre RUBRIQUE DE NOMBEYOND BORDERS*théra • Photo: N. Bouchut PIONEERING DIAGNOSTICS Avec près de 10 000 collaborateurs et une présence dans plus de 150 pays, bioMérieux offre des solutions de diagnostic qui améliorent la santé des patients et assurent la sécurité des consommateurs. www.biomerieux.com N°134 Février 2017 88* AFcatiereurpsrodgerle’éssceornlaomsaient-éLaauT-drieblàundees frontières Pionnier du diagnostic
IMMOBILIERDAMIEN BEAUFILS, le défricheur PORTRAIT Comprendre Plus jeune, il se rêvait architecte. Mais à cause de résultats scolaires plutôt moyens, Damien Beaufils © Laurent Cerino / Acteurs de l’économieActeurs de l’économie - La Tribune 89 fera le choix, par défaut, d’intégrer une école de com- merce, à Toulouse. À sa sortie, il travaille quelques années pour un fonds d’investissement immobilier anglo-saxon, sans grande conviction. Investit mais sans s’y épanouir, il acquiert les connaissances néces- saires. À plusieurs reprises, il quitte ce milieu qui « ne lui correspond plus », pour d’autres aventures entre- preneuriales et lointaines. Puis, en 2014, il découvre qu’il existe une autre manière de concevoir l’immobi- lier, loin des « tableaux Excel et des logiques de renta- bilité » qu’il a longtemps connues, en créant des lieux innovants pour tous, d’un genre nouveau. VOYAGES S’il devait choisir un pays parmi la cinquantaine de ceux qu’il a visités, Damien Beaufils choisirait sans hésitation le Vanuatu « véritable terre d’aventure pleine d’ imprévus ». Trois ans plus tard, avec sa femme Céline, rencontrée sur les bancs universitaires à Barcelone, lassés de leur vie professionnelle pari- sienne, ils quitteront tout pour parcourir le monde durant un an, avec l’ambition secrète de voir naître une idée ingénieuse. Qui ne viendra pas. Néanmoins, à chaque visite, Damien Beaufils observe, imagine, note des idées et découvre des initiatives nouvelles en matière d’immobilier et de rapport au travail. Des voyages et des rencontres qui l’inspireront pour son choix de vie et son projet professionnel. COMMUNITY MANAGER Nourri de ses expériences, et curieux de ce qui se fait ailleurs, Damien Beaufils s’est lancé le défi de mon- ter des projets de tiers lieux à Lyon, mixant à la fois les logiques privées d’investissement et les valeurs de l’économie sociale et solidaire. « Je prends ainsi les armes de l’un et l’âme de l’autre », précise celui qui se définit comme un community manager, faisant le « lien entre les acteurs » intervenant sur les dossiers. Il fait alors pari de trouver des lieux qui lui « plaisent », souvent en friche, afin de les transformer en espaces de vie, de bureaux, de restauration, en logements ou en scène artistique. Des espaces de rencontres, d’ou- verture et de décloisonnement des milieux. Quatre verront le jour prochainement à Lyon comme La Com- mune qui se veut « un tremplin gastronomique pour de jeunes chefs », ou encore une église transformée en espace de coworking dédié aux TPE de l’industrie créative. Preuve que Damien Beaufils a réussi à devenir l’architecte qu’il rêvait d’être.N°134 Février 2017
Comprendre RUBRIQUE DE NOM STATIONS DE MOYENNE MONTAGNE L’ASPHYXIE 90 Acteurs de l’économie - La Tribune N°134 Février 2017Le massif de la Chartreuse
RUBRIQUE DE NOM ComprendreLes stations de moyenne montagne cherchent activement les moyens d’assurer leur pérennitéafin de pallier des hivers avares en neige. Malgré des moyens financiers bien moindres que ceuxdes grandes stations, certaines font le choix d’engager de lourdes dépenses, pariant sur unrapide retour sur investissement. Mais avec une météo capricieuse, sur un marché peu extensible desurcroît, les prévisions financières ne sont généralement pas au rendez-vous et les conséquencespeuvent être fatales pour les stations qui s’endettent, au pire, sont contraintes à la fermeture.DOSSIER, DIDIER BERTN°134 Février 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 91 © Romain Charbonnier Elsa, 27 ans.
Comprendre STATIONS DE MOYENNE MONTAGNEEn trois ans, passées de 92 000 durant l’hiver 2010- le début des années 1990. Et la station deSaint-Pierre- 2011 à 163 000 deux ans plus tard, la la Chartreuse, basée à 900 mètres d’alti-de-Chartreuse municipalité dirigée par Yves Guerpillon tude, et culminant à 1 600 mètres, a étéa tout perdu : lançait un plan d’investissement de plus bien trop épargnée par la neige depuisbeaucoup de trois millions d’euros sur cinq ans, en trois ans. « Les stations de moyenne mon-d’argent, la ajoutant un télésiège, un téléski et pro- tagne sont plus vulnérables, à tous les égards,gestion de ses grammant divers aménagements des observe Laurent Vanat, consultant suisseremontées pistes. La commune avait ainsi la volonté et auteur de l’International report on snowmécaniques. de faire passer le chiffre d’affaires de la and mountain tourism. Les gens, souventEt son maire. station de 1,8 à 2,3 millions d’euros de des habitants de grandes agglomérations 2013 à 2017, soit une croissance de 28 % proches, viennent seulement s’il y a du beauLa commune surendettée de l’Isère a dû des recettes du syndicat intercommunal temps et de la neige. »se résoudre à confier l’exploitation de ses en l’espace de quatre années. Un défi de La liste pourrait être longue des stationsremontées mécaniques à la communauté taille pour une station de moyenne mon- de basse ou de moyenne altitudes quide communes Cœur de Chartreuse. Mais tagne qui accueille une clientèle essen- n’ont pas eu la chance de connaître unle village-station d’un millier d’habitants tiellement locale et régionale, et pour enneigement tout au long de ces der-devra rembourser lui-même plus d’un laquelle la seule issue est donc de prendre niers hivers. Et pour celles qui croyaientmillion d’euros en deux ans, qu’il faut des parts de marché à ses concurrentes, pouvoir bénéficier de la manne de l’orapurer des exercices passés. La chambre et ce, sur un marché peu extensible. blanc comme leurs grandes sœurs hautrégionale des comptes a prévenu : il Mais en 2016, la chambre régionale perchées, la désillusion est à la hauteurdevra augmenter la fiscalité locale de des comptes constate que les recettes des investissements réalisés, qui s’avèrentplus de 50 % pour payer les dettes. Aux réelles d’exploitation du syndicat inter- plus difficiles à rentabiliser que prévu.problèmes financiers se sont ajoutés les communal, en charge de l’exploitationtiraillements politiques : les électeurs des remontées mécaniques, s’élèvent à FERMETUREde Saint-Pierre-de-Chartreuse devront 1,2 million d’euros. C’est donc presque Chaque station vit une situation parti-retourner aux urnes en mars pour élire la moitié du chiffre d’affaires qui manque culière, compte tenu de sa gouvernanceune nouvelle équipe municipale et dési- à l’appel. Au bord de la faillite, le syn- (communale, société d’économie mixtegner leur nouveau maire, après que l’an- dicat intercommunal chargé de la ges- ou privée), de ses moyens financiers etcienne s’est déchirée sur les questions tion des pistes de ski alpin a été dissous de son emplacement géographique. Cer-financière et de gouvernance. Pourtant, à la demande du préfet de l’Isère. À la taines ont même brutalement mis la cléen 2012, le plan de développement de fin de l’année 2016, l’exploitation des sous la porte. C’est le cas de la communela station était ambitieux, au moins sur remontées mécaniques est passée entre de Borée, en Ardèche. Le conseil muni-le papier. Forte d’une croissance specta- les mains de la communauté de com- cipal a ainsi décidé le démantèlement deculaire du nombre de journées skieurs, munes, mais la dette devra être épongée son téléski après avoir constaté le manque à 80 % par Saint-Pierre-de-Chartreuse et récurrent de neige sur les pentes du mont à 20 % par Saint-Pierre-d’Entremont, sa Mézenc. Ou encore à Valdrôme, dans la petite voisine associée dans le syndicat Drôme où, après avoir déjà démantelé intercommunal. son téléski en 2014, la station du Diois a fermé ses portes à la fin de l’année 2015. MALCHANCE Cette fois, c’est le conseil départemental Or, à Saint-Pierre-de-Chartreuse, « la de la Drôme qui en a pris la décision pour capacité de désendettement de la commune, des raisons budgétaires. Et pour celles sans la prise en compte de la trésorerie, a qui continuent à accueillir des touristes, presque quintuplé de 6,7 à 30,6 millions la question revient irrémédiablement. d’euros entre 2009 et 2015 », souligne le Quelle voie trouver entre le risque du dernier rapport de la chambre, publié en surinvestissement et la nécessité de main- octobre 2016. D’où la nécessité de hausser tenir et développer une offre touristique ? de moitié la facture fiscale locale. Dans Cet avenir ne peut s’inscrire qu’autour du une interview à la presse locale (il n’a pas ski, affirme Laurent Reynaud, directeur souhaité répondre à la demande d’inter- général de Domaines skiables de France. view d’Acteurs de l’économie-La Tribune), « Le ski ne fait pas tout, mais sans le ski, une le maire Yves Guerpillon avançait la station n’est rien », souligne-t-il. malchance constatée depuis l’investisse- ment de 2013, avec trois hivers successifs N°134 Février 2017 entamés avec un manque d’enneigement, plombant l’objectif initial. « Nous souf- frons d’absence de neige à Noël, déclarait-il en juillet dernier. Sans le ski, nous ne pou- vons rien faire. » Les maux de la com- mune iséroise sont liés, effectivement, au manque de neige. Une malchance. Les stations alpines n’avaient pas connu trois hivers consécutifs aussi difficiles depuis92 Acteurs de l’économie - La Tribune
STATIONS DE MOYENNE MONTAGNE ComprendreINVESTIR Auvergne-Rhône-Alpes. Le porteur de pro- INTERCOMMUNALITÉAlors, puisque la neige fait des siennes jet ne doit pas s’emballer sur un investisse- Selon les banques, l’un des meilleurset ne tombe plus abondamment, et que ment disproportionné, et doit intégrer le fait moyens d’éviter un emballement résideles stations doivent tenir la promesse que la neige n’est pas automatiquement au dans la mutualisation de la gestion defaite aux touristes qu’ils pourront skier, rendez-vous. » Pour Nathalie Saint-Marcel, l’activité neige. Le transfert de compé-investir semble être la solution. Ce qui directrice adjointe du Cluster Montagne, tences des remontées mécaniques auxse traduit par un renforcement du parc qui regroupe des entreprises spécialisées intercommunalités est dès lors perçud’enneigeurs, pour lequel les stations dans l’aménagement de la montagne, les comme un bon signe. « La mutualisationfrançaises comptent un retard certain stations de moyenne montagne peuvent des infrastructures rassure les communes… etsur des pays tels que l’Autriche, précise s’en sortir autrement : « Elles ont une iden- les banquiers », affirme Cyril Gouttenoire,Laurent Reynaud. « Avec des débuts d’hi- tité souvent plus forte, avec un patrimoine, un directeur du centre d’affaires Montagne etver moins neigeux et moins froids, l’enjeu est village historique, un lieu de vie plus pérenne. territoire au Crédit Agricole des Savoie.désormais de produire rapidement de grands « À une commune isolée, nous préféronsvolumes de neige en peu de temps, pour pro- « Le ski ne fait pas tout, clairement des communes qui ont engagéfiter des fenêtres de froid entre deux périodes mais sans le ski, une des synergies pour développer ensemble leurde redoux », poursuit Laurent Vanat. station n’est rien » infrastructure et rendre leur offre plus visible,Du côté des remontées mécaniques, renchérit Jean-Christophe Maratra. Nousdes projets peuvent aussi être dévelop- Ces stations peuvent créer des activités en sai- parvenons ainsi à faire survivre des stationspés. Mais l’intensité capitalistique de ce sons, mais aussi en intersaisons parce qu’elles qui n’auraient pas pu se développer si ellestype d’équipements incite les banques à ont une population résidente à l’année. Cela étaient restées seules. »redoubler de prudence. « Notre rôle ne se ne nécessite pas forcément des aménagements Dans le cas de Saint-Pierre-de-Chartreuse,limite pas à financer. Il consiste d’abord à coûteux. Aujourd’hui, proposer une scéna- le récent transfert des remontées méca-veiller à l’équilibre entre le projet et le poten- risation du séjour peut être plus adapté que niques à la communauté de communestiel réel de la station, assure Jean-Chris- d’investir lourdement dans des infrastructures Cœur de Chartreuse pourrait bien per-tophe Maratra, directeur général adjoint comme des remontées mécaniques. Cela ne mettre de lancer une nouvelle dynamique.en charge de l’entreprise et des mar- sert à rien de dépenser beaucoup d’argent si Un objectif recherché dès le départ.chés spécialisés à la Banque Populaire l’offre n’est pas réalisée de façon proactive. » Chaque station vit une situation particulière, et certaines ont mis la clé sous la porte comme celle de la commune de Borée, en Ardèche. Le conseil municipal a ainsi décidé le démantèlement de son téléski après avoir constaté le manque récurrent de neige sur les pentes du mont Mézenc. © Damien CocatreN°134 Février 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 93
Comprendre STATIONS DE MOYENNE MONTAGNE MEGÈVE DANS LE COLLIMATEUR Quelques semaines après Saint-Pierre-de-Chartreuse, c’est une seconde station alpine – et pas des moindres – dont la chambre régionale des comptes Auvergne-Rhône-Alpes critique la gestion financière, en l’occurrence Megève. Ciblant la période 2008-2015, l’institution de contrôle a relevé le manque de maîtrise des investissements de la part de la municipalité dirigée par la maire (DVD) Sylviane Grosset-Janin sur la majeure partie de son mandat (2008-2014). Pour financer l’extension de son Palais des sports et des congrès, la commune a ainsi investi pas moins de 62 millions d’euros, soit deux années de budget de fonctionnement, sans avoir établi de Plan pluriannuel d’investissements. La municipalité a également manqué de maîtrise quant à la gestion de sa société de remontées mécaniques, avec « une masse salariale supérieure de quatre points à la moyenne du secteur ». La CRC vise en particulier la rémunération des dirigeants de la société, vendue depuis à une filiale de la Compagnie du Mont-Blanc. Cette cession, effective en décembre 2015, a été motivée par « l’inefficience de la gestion du domaine skiable par la société d’économie mixte communale et sur la surface financière et l’exper- tise technique de la Compagnie du Mont-Blanc ». Or, la CRC pointe que « les difficultés rencontrées par la Sem relevaient davantage d’erreurs de gestion commises par sa direction assurée par la commune de Megève, que d’une impossibilité à rendre l’exploitation rentable ». Résultat, la commune se trouve désormais dans « une situation financière durablement fragilisée », poursuit la CRC. Megève a dû élaborer un plan d’économies sur les trois prochaines années, visant un objectif de réduction de 5 % par an des charges de fonctionnement... dans un contexte où seuls, 30 % des lits touristiques de la station sont occupés toute l’année. © MegèveGOUVERNANCE désormais totalement bouleversée. Là où intercommunale a permis de passer un cap« Le préfet voulait dissoudre le syndicat à deux communes géraient entre elles l’en- dans le fonctionnement. » Ainsi, les quatrela fois pour ses difficultés financières, mais semble, elles sont à présent… 17 pour offices de tourisme du territoire ontaussi en raison de la gouvernance, sou- un domaine skiable qui comprend non laissé la place à un seul centre d’informa-ligne Céline Burlet, première adjointe seulement la station de Saint-Pierre- tion, situé à Saint-Pierre-de-Chartreuse,démissionnaire de Saint-Pierre-de-Char- de-Chartreuse, mais aussi ses voisines confortant le positionnement central detreuse, également conseillère départe- (Désert d’Entremont, Granier, Saint-Hu- la station dans la vie touristique du terri-mentale (DVD) de l’Isère. Certains étaient gues-Les-Égaux). « Nous misons sur une toire. Et forte de ses activités complémen-inquiets de ne plus voir la commune être nouvelle façon de travailler, davantage par- taires au ski (Bike Park, piscine, circuitun acteur direct de sa station. Il y a eu un tenariale entre les différents acteurs, pointe VTT, station de trail, etc.), la communeprofond malaise. » De ce point de vue, Céline Burlet. La dynamique était bloquée du monastère de la Grande Chartreusela gouvernance de la station iséroise est dans l’ancien syndicat. Le passage à l’échelle pourra compter sur l’intercommunalité94 Acteurs de l’économie - La Tribune N°134 Février 2017
STATIONS DE MOYENNE MONTAGNE Comprendre« Les stations dire : « venez à la montagne, c’est beau et il y « Proposer unede moyenne a de la neige », pointe Nathalie Saint-Mar- scénarisation dumontagne sont cel. Aujourd’hui, des activités doivent être séjour peut êtreplus vulnérables, proposées. » C’est l’idée de scénarisation plus adapté queà tous les égards » des stations. Pour Laurent Reynaud, cela d’investir lourdement ne correspond pas à « l’artificialisation dans despour mettre en valeur son offre sportive de la montagne, mais à donner du sens à infrastructureset culturelle... mais, en parallèle, devra chaque kilomètre de piste ». Les stations de comme despayer les dettes du passé. moyenne montagne disposent de vrais remontées atouts pour jouer cette carte, à travers la mécaniques.SCÉNARISATION valorisation de leur patrimoine naturel et Il ne sert à rienFace au risque de surinvestir, les déci- culturel. Cela passe par la mise en avant de dépenserdeurs locaux doivent aussi se méfier de d’une spécificité locale, comme le fait la beaucoup d’argentsous-investir, ou de mal-investir. Ceux-ci station de Val Cenis (Savoie) en mettant si l’offre n’est pasconnaissent bien le risque de laisser ces en avant sur un monolithe de 93 mètres réalisée de façonéquipements à vau-l’eau : la clientèle de haut, ses chemins de l’histoire et son proactive »pourrait alors se désintéresser de la desti- patrimoine baroque. « Chaque station peutnation. Néanmoins, la présence de déni- investir différemment dans la scénarisationvelé ou de remontées mécaniques ne suffit du séjour, mais celle-ci doit se baser sur lesplus. La station doit aussi avoir d’autres acteurs ancrés dans leur territoire », pour-alternatives à proposer et à raconter à ses suit Nathalie Saint-Marcel.visiteurs. « Il ne faut pas se contenter de Car avec ou sans neige, les touristes tiennent à pouvoir raconter leurs souve- nirs. Et puisque ce récit se fait désormais en direct sur les réseaux sociaux, le retour sur investissement peut être immédiat pour les stations… pour le meilleur ou pour le pire.LES CHRONIQUES SUR RCF LYON Les meilleurs chroniqueurs lyonnais au micro de Lucie BaverelHISTOIRE DE CHŒURS DE L’AIR ! MOTS D’AUTEUR Les grandes œuvres vocales Coaching et entreprise Les textes inoubliables UN AIR DE FAMILLE DIS POURQUOI ? Psychologie Science et espace COUP DE CŒUR DES LIBRAIRES THÉÂTRE S’IL VOUS PLAÎT ! Littérature Les coulisses du théâtreSOYONS SPORT ! DES SOURIS ET DES HOMMES À DÉCOUVRIR Crédits Photos : Éric GANNAT DE 11H À 12H30 Les 4 experts du sport Web et nouvelles technologies ET DE 19H À 20HHISTOIRE DE MOTS REDIFFUSION SUR RCF.FR Étymologie LYON / 88.4 BOURGOIN-JALLIEU / 95.9 ROANNE / 88.3 Acteurs de l’économie 0-2L/0a2/T2r0i1b7un1e0:1925 SAINTE-FOY-L’ARGENTIÈRE / 101.7 TARARE / 95.1 VIENNE / 94.7 VILLEFRANCHE / 91.7N°1½34paFgeévArcietErc2o0_C17HRONIQUES.indd 1
Comprendre BANQUE SUISSE © iStock by Getty ImagesBANQUE SUISSEUN COLOSSE AUX PIEDS D’ARGILEMoins compétitif à l’échelle internationale, concurrencé par d’autres places mondiales, et corsetédepuis la levée du secret ad hoc, le secteur bancaire suisse, est en proie à une profondetransformation. Au cœur de l’enjeu, mis en lumière par l’examen de la crise : l’absolue nécessitéde reconfigurer la formation des professionnels et de la placer aux standards des grandes placesinternationales. Mais aussi « d’embrasser » la révolution numérique, qu’elle peine, pour l’heure,à s’approprier pleinement. La restauration de sa réputation est à ces prix.REPORTAGE, SAMUEL MAÏON-FONTANA96 Acteurs de l’économie - La Tribune N°134 Février 2017
BANQUE SUISSE Comprendree dernier classement des centres financiers globaux établi par ENCORE ATTRACTIVE MAIS…Z/Yen Group réservait bien des surprises : Zurich n’est plus qu’à « Le secteur bancaire helvétique a connu de profondes mutations cesla 9e place et Genève chute au 23e rang, perdant respectivement dernières années, provoquées par une vague réglementaire sans précé-trois et huit places, sur les 87 listées par le rapport. En tête cara- dent et une concurrence féroce entre places financières, dans un mondecolent Londres, New York et Singapour, d’après ce classement globalisé », expose Edouard Cuendet, directeur de la Fondationbasé sur des critères comme l’environnement économique, le Genève Place Financière. Selon lui, si Genève a ainsi dégringolédéveloppement du secteur financier, les infrastructures, le capital dans la hiérarchie mondiale, c’est en raison d’un manque dehumain et le risque de réputation. Même si l’Association suisse prévisibilité. Même si certains établissements solides et mieuxdes banquiers (SwissBanking) continue de défendre une place capitalisés qu’avant la crise permettent de rester parmi les lea-financière suisse solide – parmi les premières au monde – et ders, une étude de KPMG relevait, récemment, que 10 % desl’une des plus compétitives à l’international, elle émet toutefois banques privées suisses n’ont pas survécu à 2015. Elles sontquelques signaux d’alerte. Force est de constater une certaine même 1,6 fois moins qu’il y a 20 ans et, en 10 ans, plus de 20 %perte de compétitivité : plus de 90 % des 120 établissements d’entre elles ont disparu et 640 succursales ont fermé. 95 % desinterrogés cette année dans le cadre du Baromètre des banques instituts financiers interrogés dans un récent sondage prévoientcontinuent de prévoir une baisse de rentabilité dans un contexte d’ailleurs une diminution significative du nombre d’agences d’iciéconomique mitigé et incertain, notamment à cause des taux à 2020. Moins de banques et moins d’effectifs, bénéfices bruts ennégatifs, des pressions sur les marges et les coûts ou encore le baisse, recul des actifs sous gestion (- 1,3 % entre 2015 et 2016, sedéveloppement du numérique, qui recèle autant d’opportunités situant à 6 567 milliards de francs, soit 6 031 milliards d’euros)…que de risques. la mutation structurelle est réelle. En 2015, pour la première fois depuis la crise financière de 2008, les banques suisses déga-N°134 Février 2017 geaient un résultat consolidé en hausse – de 5 % à 64 milliards de francs (59 milliards d’euros). Un record, même si l’abandon du taux plancher a laissé des traces, avec la dépréciation des porte- feuilles en euros. « Pourtant, bien que la rentabilité se soit effondrée, la Suisse reste attractive, surtout pour l’Europe. Et nous sommes tou- jours numéro un mondial, et de loin, de la gestion de fortune transfron- talière », assure Frédéric Kohler, directeur de l’Institut supérieur de formation bancaire (ISFB) de Genève. Hong Kong et Singa- pour totalisent, ensemble, 18 % de parts de marché en la matière, alors que la Suisse en détient à elle seule 25 % (3 238 milliards de francs, soit 2 973 milliards d’euros). Mais avec un taux de crois- sance estimé à 10 % d’ici à 2020 pour les concurrents asiatiques contre 2,6 % pour la Suisse, l’avenir n’est pas assuré. D’autant que la fin du secret bancaire a métamorphosé le contexte. « Nous ne sommes plus les maîtres du monde », avoue Frédéric Kohler. Acteurs de l’économie - La Tribune 97
Comprendre BANQUE SUISSEREBATTRE LES CARTES ajoutant qu’il n’y a cependant pas eu de fuite massive des avoirs,Qualifié jusque-là de « non négociable » par la présidence de ni de « credit crunch ». Ainsi, les métiers ont évolué. D’emploisla Confédération helvétique, le secret bancaire n’aura en effet « faciles », ils sont devenus très techniques : « D’employés deeu besoin que de quelques mois à partir de 2008 pour devenir commerce dans les années 1980 et 1990, les métiers de la banque sontun objet de discorde diplomatique. Sous les pressions succes- devenus de plus en plus spécialisés », constate David Ardia, directeursives des États-Unis (dont des dizaines de milliers de citoyens du master en finance à l’université de Neuchâtel, qui constateétaient aidés par l’UBS, l’Union de banques suisses, dans leur depuis quelques années toujours plus d’intérêt chez les étudiantsfraude fiscale) et de l’OCDE (qui menaçait d’inscrire la Suisse pour les métiers de la finance. « Malgré la crise, nous voyons mêmesur la liste des paradis fiscaux), Berne cède aux amendes et des des hôteliers se reconvertir ! »listes de noms commencent à être livrées. Le secret bancaire Avec une approche pragmatique, la formation a dû devenir trèsest définitivement enterré le 16 octobre 2013, lorsque la Suisse appliquée, avec des certifications internationales et la valorisationdevient le 58e État à signer la convention sur l’échange spontané des stages pratiques, en phase avec l’industrie. Plus terre à terred’informations. En un mot, la possibilité de lever ce secret pro- et moins théorique.fessionnel est un cataclysme qui remet en cause une véritableinstitution. « Cela a constitué un choc pour la gestion de fortune, ainsi FORMATION ÉVOLUTIVEjetée dans la mondialisation. La banque suisse de l’après 2008 a subi Pour le très réputé master en finance de l’université de Lau-une profonde mutation. Et les revenus des banques ont été divisés par sanne (UniL), la veille est même quasi-permanente : « Nous nousdeux, explique Frédéric Kohler. Sans doute que la place financière concertons continuellement avec l’industrie pour évaluer au plus justeen a sous-estimé l’impact. Le business model a dû être totalement les besoins », expose Michael Rockinger, directeur de master à laréinventé. » faculté des Hautes études commerciales de l’UniL. Pour adapter cours et intervenants, celui-ci échange régulièrement avec desLA FIN DU SECRET BANCAIRE acteurs, tels que le Cern. « Nous procédons à une remise à platA BIEN CHANGÉ LES CHOSES. chaque année, et un comité s’interroge sur la matrice même des cours,« NOUS NE SOMMES PLUS pour les modifier en fonction de diverses évaluations. »LES MAÎTRES DU MONDE » La croissance des inscrits est constante depuis quatre ans, avec une affluence de toute l’Europe. Fort de ce succès, la rentréeÀ titre d’exemple, un patron rhônalpin qui aurait mis de côté 2017 annonce une restructuration en trois troncs : gestion dequelques millions en Suisse pouvait ainsi réaliser jusqu’à portefeuilles et des risques, finance d’entreprise et, nouveauté,500 000 euros d’économies en rendement fiscal grâce à l’opti- technologie financière (fintech), pour apprendre à traiter le bigmisation et au secret bancaire suisse. Aujourd’hui, tout est auto- data. Les cours se doivent d’être variés dans leurs domaines dematiquement déclaré à Bercy et ce même client n’a plus le même compétences, du marketing au légal, en passant par la stratégie.intérêt à placer son épargne dans une banque helvétique. Tout Et, preuve de l’engouement, la demande de la part de l’industrieétait alors à reconstruire. « Outre une grande capacité de résilience est remarquable : les étudiants trouvent facilement des postesdans le domaine de l’emploi, la crise financière de 2008 a entraîné un (95 % sont employés dans les trois mois après leur diplôme) etchangement de paradigme », relève également Edouard Cuendet, la célèbre banque Vontobel a envoyé, à elle seule, 13 offres de stages. Du jamais vu. « Nous nous portons bien ! », assure Michael Rockinger. « C’est un signe de renouveau : nous tournons la page de la crise. Les banques changent de business model. La Suisse se réveille ! Avec la fin du secret bancaire, nous avons été obligés de nous restructu- rer et cela a été très sain. Aujourd’hui, tout est propre : nous bâtissons98 Acteurs de l’économie - La Tribune N°134 Février 2017
ESKER Comprendre“ L’INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE EN DIRECT ”1 mois *29 .-d’essai à CHFPapier (uniquement en Suisse) L'Agefi Indices Nos autres titres (selon périodicité)Numérique Code d'accès Tous les contenus agefi.com Archives en ligne, + de 420’000 articles Tous nos titres sur notre App iPad NewsletterAbonnement sur www.agefi.com/aboN°134 Février2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 99*Cette offre est valable toute l’année et non renouvelable. TVA et frais de port inclus. agefi.com
Comprendre BANQUE SUISSE © DR © iStock by Getty Images « Le secteur bancaire helvétique a connu de profondes mutations ces dernières années, provoquées par une vague réglementaire sans précédent et uneconcurrence féroce entre places financières, dans un monde globalisé », expose Edouard Cuendet, directeur de la Fondation Genève Place Financière.sur de nouvelles bases », constate le professeur lausannois, ajoutant qui payait la formation (environ 6 000 francs (5 600 euros) paravoir été même mal à l’aise avec l’ancien modèle, construit sur semestre) a volé en éclats : « Avant l’effondrement des acteurs de lal’évasion et le blanchiment d’argent. formation, l’ISFB travaillait à 100 % en BtoB, se souvient FrédéricAinsi, la formation bancaire se renouvelle et réinvente même ses Kohler. Aujourd’hui, la moitié de nos étudiants doit se débrouiller seulemodes d’enseignement, à l’image de l’université de Genève, qui pour se former. Et comme la formation professionnelle est autoréguléelançait en 2016 une formation web en ligne (Mooc) en gestion par un marché libéral, sans loi stricte, les banques sont tentées de nede fortune avec une audience mondiale. Une initiative gagnante, pas proposer de formation ou d’en faire le minimum. »avec plus de 6 000 inscrits en seulement deux semaines, coor- Conscient du problème, l’État tente d’ailleurs des incitationsdonnée par l’UBS. fiscales pour relancer ce type de formation, et des structures, telles que la fondation Genève Place financière, dialoguent enRECONSTRUCTION permanence avec le département de l’Instruction publique etMais si, à cause de la crise, les qualifications ont tant évolué, les banques formatrices, à l’heure où c’est désormais l’éruditionquid des « anciens » employés ? « Les compétences ne sont plus en qui vaut de l’or. « Par le passé, une maturité ou un bachelor suffisaitadéquation avec les besoins et ce décalage provoque une difficile réem- à entrer dans une banque. Désormais, il faut au moins disposer d’unployabilité », assure Frédéric Kohler. Une employabilité à laquelle master, voire d’un doctorat, gage d’un plus grand bagage de connais-va s’atteler l’association Employeurs banque, qui affirme pour sa sances », reconnaît Michael Rockinger.part que le secteur compte plus de places à pourvoir que de chô-meurs. Cette pénurie serait due à un manque de main-d’œuvre L’AVENIR DANS L’INNOVATIONqualifiée, d’après 94 % des recruteurs interrogés par Swiss- « C’est indéniable : nous sommes parvenus à un tournant, insiste DavidBanking. « Il faut différencier expérience et expertise, car aujourd’hui, Ardia, pointant la fintech en guise de renouveau. Si les banquesje préfère une expérience post-2008 à toutes celles auparavant, qui commencent à acquérir des startups, ce n’est pas par hasard. Le modèlen’ont même plus d’intérêt. La tentation est alors d’aller chercher cette doit se réinventer avec la technologie. »qualification à l’étranger plutôt que de former en interne », assène Pour cela, la tradition bancaire suisse doit rencontrer les com-l’ancien délégué à la formation du Geneva Financial Center. pétences internationales des pôles d’innovation zurichois ouCar tous les cursus n’ont pas su ou pu prendre le virage vers de genevois, à l’instar de conseillers-robots ou de plates-formes quinouvelles connaissances toujours plus pointues et techniques, devraient investir le segment du grand public, le Retail Banking.dont performance et spécialité sont les maîtres mots. Des besoins Citées en exemple, certaines startups commencent à utiliser le bigqui ont miné certaines filières généralistes, comme l’École supé- data, croisant des données numériques, telles que réseaux sociauxrieure de banque et finance. Cette formation qui était encore et comportement sur internet (sites visités, recherches, temps deplébiscitée en 2006 est passée de 400 étudiants par an à 150, connexion, géolocalisation, etc.) pour calculer le profil de risqueavec la fermeture de nombreux centres. Idem pour l’apprentis- et les taux de capacités de remboursement d’une personne poursage, autre victime collatérale, pourtant voie « royale » et clef du définir les conditions personnalisées d’un prêt bancaire. Une sortesystème suisse, dont la filière financière a fondu de moitié. La de « crédit 2.0 » dont l’hybridation entre technologie et finance sefilière professionnelle, qui consistait à entrer dans une banque porte avec succès au service de la modernisation.100 Acteurs de l’économie - La Tribune N°134 Février 2017
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