ARuhvôenreg-nAelpes acteursdeleconomie.com François Taddei I EURONEWS SE DÉCHAÎNE I Crowdfunding immobilier Religions au bureau, dieux possibles ! I GILLES CHABERT, L’OMNIPOTENT 2020 MACRON, MAIRE DE LYON I Musée des Tissus, l’incompris JEUNESSE, LÈVE-TOI ! I Internet par la lumière I CORINNE VIGREUX HORLOGERIE SUISSE LA PANNE© iStock by Getty Images
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ENTRÉE EN MATIÈRE DialoguerENTRÉE EN MATIÈRETONY MELOTO‘‘Les jeunes peuvent redéfinir l’économie, car ils détiennent le futur des marchés : ils influencent et vont influencer les entreprises qui devront s’adapter à l’évolution de leurs comportements. Seulement, aujourd’hui, nous formons les jeunes à suivre les règles d’un monde présenté comme établi. Nous manquons de leur apprendre à être courageux, innovants, visionnaires. Or l’éducation se devrait de leur montrer qu’ils ont non seulement les moyens, mais aussi l’obligation de bousculer l’ordre établi, car suivre les règles ne les mènerait qu’à se retrouver, une fois leur diplôme en poche, face à des opportunités trop rares. Lorsque tout le monde se met à suivre un courant et se laisse glisser par peur de l’inconnu, les débouchés sont bien maigres à l’arrivée pour une population qui ne cesse de croître. La France est le théâtre d’une course vers le cloud et il semble, aujourd’hui, qu’entrepreneuriat rime avec digital. Je vois le digital comme une nouvelle zone de confort. L’entrepreneuriat ne peut se contenter de fournir des services et des « smart apps » lorsque, face aux défis du monde, nous avons besoin de producteurs, de créateurs d’emploi, de créateurs de richesse partagée. C’est pourquoi, au lieu de monter vers les cieux, j’invite les jeunes à se tourner vers la terre. À explorer de nouveaux territoires, de nouvelles industries. Je les invite à se tourner vers la base de la pyramide, vers ces territoires négligés, pour y redécouvrir de la valeur. De la richesse. Du génie. Créer de nouvelles opportunités et découvrir de nouveaux horizons, c’est avant tout sortir de sa zone de confort. Les jeunes ont l’énergie et la curiosité de trouver des chemins nouveaux. Le rôle de ma génération est de les pousser à oser, car c’est ainsi qu’ils trouveront les nouvelles manières d’entreprendre, les nouveaux marchés, les innovations nécessaires pour répondre aux défis de notre époque. La clé est de pousser les jeunes à faire preuve de courage, à prendre goût à l’aventure, à oser prendre des risques et à trouver l’innovation dans la diversité. Une nation se construit par le courage, le courage d’être di érent pour changer les choses. Je vois l’innovation comme un basculement positif vers une plus grande inclusion sociale. Être jeune, c’est essayer, expéri- menter là où les vieilles formules sont ine caces. C’est faire l’expérience du monde, à une époque où l’on se contente de vivre confortablement dans la réalité virtuelle d’une tour d’ivoire, loin de l’extraordinaire beauté des relations humaines. C’est ne pas se contenter d’être un consultant ou un expert qui se pencherait sur ce que les autres ont construit, mais de poser soi-même les premières pierres. Être jeune, c’est faire preuve de discernement dans un monde corrompu, c’est avoir la sagesse de bâtir sa vie sur des valeurs solides, leçons apprises des erreurs des générations passées. Enfin, c’est avoir la foi et l’espoir que nous pouvons, dès’’aujourd’hui, commencer à bâtir un monde meilleur. Tony Meloto, Fondateur de l’ONG Gawad Kalinga, ancien cadre chez Procter et GambleN°133 Décembre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 3
Dialoguer RUBRIQUE DE NOM4 Acteurs de l’économie - La Tribune N°133 Décembre 2016
RUBRIQUE DE NOM DialoguerFORUM CNAM-LA TRIBUNETOUT CHANGER ?RIEN D’IMPOSSIBLECOMPTE-RENDU, STÉPHANIE BORG De très haut vol. Ainsi peut-onPHOTOGRAPHIES, LAURENT CERINO / ADE résumer les neuf débats du forum Tout changer !, organisé à Paris par le CNAM, Acteurs de l’économie et La Tribune… au lendemain de la victoire de Donald Trump. Un contexte singulier, de nature à colorer tout particulièrement les échanges devant une assistance nombreuse (1 200 inscrits). Qu’il s’agisse d’innovation, de spiritualité, de travail, de démocratie, de civilisation, de jeunesse ou d’éducation, les 26 prestigieux débatteurs ont confronté des regards, des expertises, des convictions d’où émana une « absolue certitude » : l’heure d’emprunter, une fois pour toutes, la voie du changement est venue. Tout changer ? Oui. Mais sans oublier personne. Et à commencer par soi.N°133 Décembre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 5
Dialoguer FORUM CNAM-LA TRIBUNEémocraties malmenées quand elles ne ARCHAÏSMES SOCIÉTAUX « La démocratiesont pas décriées, entrepreneurs bous- « Nous observons une grande résistance au n'est pas morte,culés, modèles de travail révolutionnés, changement chez l'être humain avec une ten- elle est malade »créativité étouffée, jeunesse désemparée, dance à perdurer dans le statu quo, quitte àcitoyens désenchantés et enfermés dans un se mettre dans une situation d'involution », celui de la recherche ou le système édu-système révolu, à l'origine d'une profonde souligne Cynthia Fleury, psychanalyste catif freinent aussi les idées nouvelles, etfracture sociétale… la liste des maux de la et philosophe. Une tendance poussée par la fabrique d'un citoyen éclairé. « L'éduca-société est interminable. Certes, au regard la peur, attisée par un manque de vision tion et la connaissance offrent la possibilité dede l'histoire, la mutation est ordinaire. à long terme. « Les sociétés humaines n'ai- devenir responsable. Ceux qui reçoivent cetteMais cette fois-ci, « le monde doit faire face à ment pas les innovateurs et les entrepreneurs, éducation sortent autonomes et deviennent desune accélération phénoménale du processus », car cela perturbe leur équilibre, complète le personnes capables de décider par leur vote »,lance en préambule Denis Lafay, directeur paléoanthropologue Pascal Picq. Mais on précise le philosophe Roger-Pol Droit.de publication d'Acteurs de l'économie-La ne peut pas se mettre en situation de changer AGIR POUR (SE) SURVIVRETribune. « Il ne faut pas oublier que sur les 33 le monde sans vision du progrès de demain. » Tous ont la conviction qu'il est urgentsiècles que nous sommes en mesure d'étudier, La faute à l’homme ? « On ne peut pas chan- « d'agir et d'avoir l'audace de sortir de sa zonenous en avons vécu 31 de stagnation d'espé- ger de peuple, il faut faire avec », rappelle, de confort en pratiquant le positivisme de l'in-rance et de niveau de vie, deux siècles d'évo- non sans humour, le sociologue Domi- connu », résume Jean-Louis Étienne, méde-lution restent difficiles à intégrer », rappelle nique Wolton. Mais il n'est pas encouragé cin et explorateur. Même si, par définition,Christian Saint-Etienne, économiste et à relever la tête pour imaginer son futur, la société ne sait pas vers quoi elle tend.professeur au Cnam. Peinant à enclencher incapable de se projeter avec confiance Un bien nécessaire pour soigner la démo-un nouveau cycle, la société contempo- dans l'inconnu. Pourtant, « la France est un cratie, retrouver la confiance du peuple etraine, en pleine 3e révolution industrielle pays à la capacité d'innovation extraordinaire reconstruire une société, pour le moment,– celle de l'informatique – stagne pourtant mais où il est difficile de passer à la phase sur le déclin. « Il faut tout changer pour unedans un entre-deux incertain, « générant entrepreneuriale », poursuit Pascal Picq. société plus inclusive. En portant nos expé-peurs et désillusions, source du repli sur soi, Au-delà de l'humain, qu'est-ce qui bloque ? riences, en conduisant nos actions, nous ironsclivant et intégriste », relève le député euro- « En inscrivant le principe de précaution dans vers une voie d'amélioration », affirme Olivierpéen Jean-Marie Cavada. Un résultat qui la constitution, on a empêché le risque, limité Faron, administrateur général du Cnam.a mené, entre autres, à la vague d'attentats et inventé un système rapidement bloqué par Paradoxalement, œuvrer pour le chan-ayant frappé l'Europe ces dernières années les décisions et les logiques absurdes. Quand on gement, c'est avant tout être en paix avecjusqu'à la récente élection de Donald refuse le risque, on refuse la pensée », estime soi-même. Et savoir se faire du bien.Trump à la présidence des États-Unis. Nicolas Baverez, avocat et essayiste. Autre- « Avoir l'opportunité d'assumer notre tâche ment dit, les systèmes établis paralysent les et construire son intelligence dans un acte6 Acteurs de l’économie - La Tribune acteurs du changement. « La France est un État bien plus qu'une société. Le peuple aime pouvoir lui faire confiance, mais attend beau- coup moins du système politique, qu'il trouve arrogant et à l'intérêt limité. La démocratie n'est pas morte, elle est malade », analyse Michel Wieviorka, sociologue. Le système politique n'est pas le seul en cause. Les mutations économiques, le système social, LES MATHÉMATIQUES AU CŒUR DE LA RÉVOLUTION INDUSTRIELLE Entrainées par les besoins de développement du numérique, les mathématiques, et en particulier les algorithmes, les méthodes de modélisation, les probabilités et les statistiques connaissent un essor considérable. « L'algorithme est une façon de mécaniser une procédure. Depuis quelques années, l'apprentissage machine, une technique qui permet aux algorithmes d'apprendre à partir d'exemples, s'est imposée à l'homme comme un outil d'aide à la décision, au classement, au rangement face à la grande complexité potentielle des calculs », explique Cédric Villani, mathématicien et directeur de l'Institut Henri-Poincaré. Mais la modélisation prédictive et ses besoins élevés en données ont une face sombre : la cybersécurité. « Il est difficile de garantir la sureté et la sécurité totale des systèmes, des faiblesses existeront tou- jours. Nous rentrons dans un monde d'incertitude raisonnée, fait d'attaques et de ripostes qui s'inscrivent dans un processus de protection améliorée par l'assurance », poursuit celui qui est aussi membre du conseil scientifique de la Commission européenne. Bien sûr, il faut travailler sur des méthodes de prévention et de sécurité, mais en trouvant un juste milieu. « Les envi- ronnements à bonne culture de sécurité sont en pratique plus fragiles que les autres. C'est un domaine où le mieux est parfois l'ennemi du bien », indique-t-il. SB N°133 Décembre 2016
Nicolas Baverez, Jean-Louis Etienne, Pascal Picq et Gilles Garel, Kevin Allec, Arnaud Mourot, Léna Geitner professeur au Cnam, lors de la plénière d’ouverture. et Edgar Morin lors de la plénière de clôture. Denis Lafay, directeur de la publication Dominique Wolton d’Acteurs de l’économie-La Tribune.Jean-Louis Etienne Remy Weber, Sandra Enlart, Bernard Jacquand (animateur) Olivier Faron Pascal Picq et Christian Saint Etienne, lors de l’atelier « La société change le travail. Le travail change-t-il la société ? » Nicolas BaverezSerge Guérin Léna Geitner et Edgar Morin Michel Wieviorka et Jean-Marie Cavada Bernard Devert Roger-Pol Droit Alain Touraine et Cynthia Fleury Cédric Villani Acteurs de l’économie - La Tribune 7N°133 Décembre 2016
Dialoguer FORUM CNAM-LA TRIBUNE« L'harmonie totale initiatives et nouvelles formes d’engage- Plus de 1 200 personnesn'est pas possible, ment. Mais ils ne sont pas encore assez ont assisté aux échanges.on peut imaginer légitimes, implantés, opérationnels, voire Il faut savoir se construire entre son égocen-un monde durables. « Tout ce qui se fait est intéressant, trisme vital et son besoin d'autrui. Cettemeilleur, sans important et participe au maillage de quelque complexité du monde nous permet d'éviter leguerre, mais chose. Et nous ne sommes pas à l'abri d'un somnambulisme. Et une marche forcée verspas le meilleur succès collectif », poursuit Cynthia Fleury. de nouveaux désastres. L'harmonie totaledes mondes » Autant d'actions portées par de jeunes n'est pas possible, on peut imaginer un monde personnes, comme les entrepreneurs Léna meilleur, sans guerre, mais pas le meilleur desindividuel sauve notre santé psychique. Cela Geitner (fondatrice de Ronalpia), Arnaud mondes », conclut le grand témoin de laévitera de soigner des dépressions, et d'aller Mourot (créateur d'Ashoka) et Kevin Allec soirée. Une vie moins résignée, ouverte autravailler pour des enjeux qui en valent la (président d'Aynu) ou à l'état d'esprit suf- changement.peine », lance Cynthia Fleury. « Il faut résis- fisamment jeune, capables de redonnerter à l'anonymat, reconnaître l'autre comme espoir à tous les autres.être humain, car il a besoin d'être reconnu « En 1941, j'avais 20 ans, la guerre était domi-comme tel », souligne le sociologue et phi- née par les nazis. C'est alors que l'improbablelosophe Edgar Morin. est arrivé. Depuis, je garde toujours espoirSe connecter aux autres n’est pas une parce que rien n'est absolument décidé, argu-tâche aisée, mais les outils (numériques mente Edgar Morin. Il existe une myriadepar exemple) peuvent aider au contact. d'initiatives créatrices qui ont du sens et ont« Nous sommes dans une impasse totale. La le pouvoir d'être les germes d'une autre vie,société industrielle est obsolète, nous sommes d'une autre civilisation, plus solidaire, socialeentrés dans l'ère de la société culturelle. Et et humaine. » Celui qui affiche une joienous sommes en retard : techniquement, dans de vivre et un optimisme communicatifnos institutions et dans nos consciences », appelle au réveil des consciences. Néan-confirme Alain Touraine, sociologue. moins, « comment faire pour que la jeu-L’ESPOIR nesse continue à y croire et garde confianceTout néanmoins n'est pas si négatif dans en elle ? », s'interroge Léna Geitner. « Lace monde en mouvement. Il existe des vraie question reste : comment affronter avecréseaux d'actions citoyens, quelques courage le chemin inconnu de sa propre vie ? « Tout ce qui se fait est intéressant, important et participe au maillage de quelque chose. Et nous ne sommes pas à l'abri d'un succès collectif » VERS UN AUTRE MONDE DU TRAVAIL Rémy Weber L'informatique, dont le digital n'est que la partie visible de l'iceberg, a bouleversé le monde du travail. « C'est une révolution profonde, totalement invisible au cœur des systèmes, qui change Abdénour Aïn-Seba les rapports, la structure et les fondements de la société », précise Christian Saint-Etienne, économiste. Aux traditionnelles innovations technologiques, s'ajoute, comme l'indique Rémy N°133 Décembre 2016 Weber, président du directoire de La Banque postale « un transfert de métiers. Ceux en perte de vitesse sont réorientés vers des métiers à valeur ajoutée pérenne ». Ainsi, la nature du travail et les relations au et dans le travail ont évolué, marquées par un basculement vers l'émo- tionnel. « Ce qui a de la valeur : la relation et la socialité. Nous naviguons entre l'implication et l'engagement des collaborateurs », souligne Sandra Enlart, directrice générale du groupe Entreprise et Personnel. Mais les collaborateurs ne sont pas les seuls en quête de sens et de reconnaissance. L'entrepreneur peut aussi vouloir donner corps à son projet et insuffler éthique voire spiritualité, dans son entreprise. « Tous les spirituels ne sont pas religieux. La spiritualité relève de l'anima, de ce qui nous fait vibrer », souligne le prêtre Bernard Devert, fondateur d'Habitat et Humaniste. Un chemin qui prend du temps, nécessaire à la pérennité du projet entrepreneurial. « Mon rôle reste, malgré les différences, de faire émerger une âme commune. L'entreprise doit créer de la valeur, pas seulement financière, mais en aidant ceux qui la composent à grandir », indique Abdénour Aïn-Seba, fondateur de l’entreprise IT Partner. SB8 Acteurs de l’économie - La Tribune
FORUM CNAM-LA TRIBUNE DialoguerEST-ON LIBRE DE DISPOSER DE SON CORPS ?Qu'est-ce que la liberté, ou plus précisément comment délimiterma liberté ? Selon la définition usuelle, la liberté individuelles'arrête « où commence celle d'autrui ». Mais pour le biologistePhilippe Kourilsky « elle n'est pas seulement limitée par celled'autrui. Mais elle est aussi construite par celle des autres ». Unedéfinition qui sous-entend un altruisme nécessaire, mais aussiune question de responsabilisation. Chaque individu serait donclibre de disposer de son corps à partir du moment où « cela nefait pas de mal aux autres ». Si l'obésité ou le fait de changer desexe n'ont pas d'impact sur autrui, à l'inverse le tabac entraînepar exemple du tabagisme passif.Mais qu'en est-il pour la vaccination ? Le sujet cristallise ledébat. D'un côté, certains s'inquiètent des dangers du vaccin sur Serge Guérin, Philippe Kourilsky, Laurent Alexandrela santé. Le refuser est pour eux une liberté. De l'autre, Philippe et Claude Costechareyre, lors de l’atelierKourilsky et Laurent Alexandre, chirurgien-urologue, rappellent « Sante, est-on libre de disposer de son corps ? »d'une même voix que « si trop de personnes refusent la vaccina-tion, elle perdra son efficacité », en prenant l'exemple de la rougeole en Angleterre, qui serait revenue après arrêt du vaccin.Cette liberté de disposer de son corps ouvre-t-elle la voie vers une liberté presque totale où les parents pourront décider d'avoir un enfant aux yeuxverts. Autrement dit vers l'eugénisme ? « Est-on sûr que fabriquer des gens intelligents est mieux ? Il existe des personnes intelligentes qui racontentdes inepties », s'interroge avec humour le sociologue Serge Guérin.Mais la liberté de disposer de son corps dépend également des évolutions sociales. Et il est parfois difficile d'interdire des usages car ils sont plusforts que la loi comme le rappelle le sociologue Serge Guérin. « La morale favorise l'illégalité. Les discours moralistes sont souvent inutiles », explique-t-il. « Aujourd'hui nous sommes libres de devenir obèses. Dans l'analyse du champ de contraintes, il est nécessaire de prendre en considération cellesprésentes et celles à venir », complète Philippe Kourilsky. Karen Latour 1 an 40 €Je m'abonne pour TTC / 5 numéros + suppléments 2 ans 70 €Je m’abonne pour TTC / 10 numéros + supplémentsOFFRE Société : ......................................................................................................................................................................................... Nom / Prénom : .........................................................................................................................................................................SPÉCIALE Adresse : ........................................................................................................................................................................................ .............................................................................................................................................................................................................. Code postal : ................................................................ Ville : ................................................................................................ E-mail : ............................................................................................................................................................................................ Tél. : ................................................................................................................................................................................................... Date et signature MODE DE RÉGLEMENT Chèque libellé à l'ordre de RH ÉDITIONS à retourner à Acteurs de l'économie - Immeuble le Diplomate - 51 avenue Jean Jaurès - 69007 Lyon Je souhaite recevoir une facture acquittée Je souhaite m’inscrire à la newsletter RÉSERVÉ À ACTEURS DE L'ÉCONOMIE Réf. client :......................................................... Périodicité : du n°............................. au n°.......................... Banque : ....................................................................... N° chèque : ...................................................................N°133 Décembre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 9
y compris une mauvaise appréciation météorologique qui aurait pu être rédhibitoire, lorsque tinés à connaître les plus belles émotions ? Je le pense… sans en être certaine. Mon cas n’estl’on dévisse et que son corps est « sauvé » par une corde et un piton solides, on se promet guère symptomatique. Je suis d’une nature confiante, heureuse et optimiste, je crois être une ÊTRE ÊTRE « Quelque chose doit m’habiterd’être encore plus vigilant. Or en réalité, on ne fait pas plus attention. C’est étrange. La chance patiente « idéale » puisque je m’en remets sans aucune restriction au savoir des médecins, et L’action morale, c’est-à-dire « ce qu’il convient de faire », est demeurée une interrogation, qui m’a convaincu qu’il n’y avait point un enjeu que je me pose depuis ce moment. En permanence, je me convoque au tribunal de ma « d’irrécupérables » parmi nous… »protège, on se fie à elle. vraisemblablement le diagnostic initial pronostiquant il y a une trentaine d’année une espé- mémoire. Et chaque convocation est source d’inquiétude, même d’une grande anxiété. Je ne Éric de Montgolfier suis pas fier de tout ce que j’ai entrepris, je n’ai pas de satisfaction particulière à revendiquer, rance de vie de cinq ans était erroné. Enfin, et c’est essentiel, je n’ai pas peur de mourir. Ce et d’ailleurs cela constitue un formidable stimulant, car cela signifie qu’il y a encore beaucoup 23 de progrès à réaliser. Mais j’ai tout de même conscience que le bilan aurait pu être pire… ÊtreAXEL KAHN Rares sont les gens qui n’ont pas pensé à se suicider. Les psychanalystes esti- positionnement face à la mort peut être vécu comme une qualité ou une infirmité. En tout un type bien, raisonnable et humain, je ne sais pas si j’y suis parvenu, en tout cas j’ai essayé.ment qu’il est pathologique de n’avoir jamais eu l’idée de mort. Le suicide de mon père m’est cas, je me souviens de mes congénères de l’époque où il me fut annoncé une fin prochaine : la JUSTICE ET ÉTHIQUEdésormais assez clair. Il résulte de la totale discordance entre une vie rêvée et la désillusion hantise et même une peur panique manifestaient leur rapport personnel à la mort. Pour moi, ÉRIC DE MONTGOLFIER Que faire, comment arbitrer lorsque l’on fait face à une situation compatible avec la loi et contraire à sa conscience d’homme ? Cette question, fondamentale, la mort apparaît comme la seule idée véritablement secourable de l’existence. me ramène à une interrogation qui me revient sans cesse depuis que j’ai choisi ce métier : com-d’une vie observée après le grand espoir d’une refondation du monde et de la société qui ne ment me serais-je comporté, quel magistrat aurais-je été entre 1940 et 1944 ? M’y confronter averra pas le jour. Il s’est alors senti coincé, et disparaître lui est apparu comme la seule issue. constitué un rempart chaque fois que j’ai pu être tenté de succomber à une pression ou à une tentation : « Si je cède, alors peut-être aurais-je livré des juifs et des communistes aux nazis. » Dialoguer RUBRIQUE DE NOMCette disparition a profondément impacté mon regard sur la mort et le suicide. J’ai notam- Voilà ce qui m’aidait le mieux dans l’exercice de ma responsabilité de magistrat.ment acquis la conviction que ce dernier n’est pas la liberté, et même qu’il en est, en un sens, la Être magistrat n’est pas une fuite, c’est une marche en avant. C’est une quête incessante,négation. Pourquoi ? Parce que la liberté signifie que l’on est face à un choix, face à plusieurs autant pour répondre à cette question, fondamentale, du « destin personnel pendant l’Occu- pation » que pour trouver sens et utilité à son existence. Pour cette raison, on ne peut exercervoies. Or le suicide est ressenti par l’immense majorité des suicidants comme la seule possibi- une telle profession de manière ordinaire. Mais cette marche ne conduirait nulle part si elle ne trouvait pas sa source dans l’Homme et dans l’humanité, dans tout ce qui doit compter pourlité qui persiste. Je me suis toujours interrogé : si avant qu’il n’emprunte le train d’où il s’est chacun de nous. Renoncer à cela, c’est renoncer à la justice.jeté, mon père m’avait rencontré, moi ou un proche aimé, et qu’il avait confié son intention, Après tout ce que j’ai vu, après la cohorte d’égarements, de dévoiements, d’abominations à laquelle j’ai été confronté, j’aurais pu ou même dû perdre toute foi en l’Homme. Pourtant,serions-nous parvenu à lui montrer qu’il existait au moins une autre voie – notamment de non. Au contraire. J’ai su la cultiver, et même la développer dans chaque sursaut d’humanité, aussi faible soit-il, observé jusque chez les plus inacceptables de mes interlocuteurs. D’ailleurs,poursuivre l’extraordinaire relation qui nous unissait –, et donc à le dissuader ? J’en suis arrivé comment aurais-je pu exercer mon métier si je n’avais pas cru en l’Homme ? En effet, c’est pour Lui que la justice est rendue et, à travers Lui, c’est l’humanité que nous respectons. Ceà une évidence, qui s’est vérifiée à maintes reprises dans mon expérience médicale : l’immense respect de la nature humaine, non seulement j’ai eu la chance de l’avoir fortifié, mais jamais je n’aurais pu être magistrat si j’en avais été dépossédé. Quelque chose doit m’habiter qui m’amajorité des malades qui réclament ou projettent de mourir ne voient pas ce qu’ils pourraient convaincu qu’il n’y avait point « d’irrécupérables » parmi nous…vouloir et faire d’autre. Donc ils ne sont pas libres. De cette observation doit découler un de- Je n’ai jamais rencontré de situation dans laquelle il me soit apparu qu’il n’y avait pas lieu de rechercher « pourquoi ». De la plus anodine à la plus effroyable situation, cette quête duvoir : à quelqu’un qui demande la mort, la première des formes de solidarité que l’on peut lui « pourquoi » était omniprésente. Notamment dans le cas de crimes atroces, lorsqu’on a besoin de chercher à comprendre, de trouver des raisons qui ont pu conduire à un acte révoltant ; c’estexprimer est d’essayer de lui montrer que la vie peut être désirable, et même davantage que d’ailleurs grâce à cette recherche qu’on parvient à ne pas désespérer de la nature humaine. « Par respect pour la victime, vous ne devez pas chercher ainsi… », m’objectait-on parfois, avecla mort. virulence souvent. « Bien sûr que si, je le dois… » Il aurait été si simple de ne considérer que la victime. Mon travail consistait justement à recueillir ce qui allait être placé dans les deux YVES COPPENS La connaissance du crâne – et évidemment du cerveau qu’il contient – pro- « Sur le chemingresse, et nous saisissons de mieux en mieux qu’y sont concentrées la pensée, les émotions, de Compostelle, 22etc. Il demeure pour autant un organe très compliqué, et même étonnant lorsqu’on admet on prend conscienceque les yeux en sont la « sortie », la porte d’entrée à la fois vers l’intérieur du corps et vers le que l’inféodation auxmonde. Accéder, comme ce fut mon cas, à l’imagerie de son cerveau, à la vision, claire, de ce biens matériels estqui concentre chaque chose que l’on choisit, décide, aime, déteste, partage, entreprend, guide, une manifestationorganise…, impressionne. C’est la beauté du crâne. Lequel n’est plus, pour moi, le symbole de faiblesse. »effrayant de mort auquel il est communément associé. Jean-Christophe Rufin Lorsque, au Museum national d’histoire naturelle, j’ai dirigé le laboratoire d’anthropolo-gie biologique, trente-cinq mille squelettes y étaient recensés. Je vivais donc au milieu d’ungrand nombre de gens représentés par le strict minimum qu’il pouvait rester d’eux… Devantce spectacle, les réactions étaient antagoniques. Ainsi une jeune femme iranienne s’effondraet perdit connaissance, quand une enfant, avisant ces squelettes assemblés deux par deux aulong d’une travée, s’exclama en riant : « On dirait un autobus ! » Chaque réaction émane d’unesensibilité qui elle-même résulte de ce que l’on a subi, éprouvé, appris, recueilli. 116 117Claude Alphandéry Philippe Askenazy Philippe ENTREPRENDRE VIVRE ENSEMBLE Une société maladeBarbarin Alain Bauer Nicolas Baverez GillesBœuf Bernard Brunhes Robert Castel Bertrand Ce verbe est l’un des plus beaux de la langue fran- « Les souffrances qui font désormais … ET DE VIOLENCESCollomb André Comte-Sponville Yves Coppens çaise, car dans son sillage prospère l’essentiel de l’actualité ne sont pas nouvelles,Jérôme Colrat Boris Cyrulnik Jean-Paul Delevoye ce qui fonde la raison et la nécessité d’exister. En- mais prennent une importance MICHEL WIEVIORKA L’étiolement des références – érosion de la Depuis de nombreuxBernard Devert François Dubet Alain Etchegoyen treprendre, au-delà de l’acception « entrepreneu- accrue. Pour autant, n’idéalisons représentativité syndicale, crise de confiance dans les instances po- siècles et jusqu’àJean-Paul Fitoussi Marcel Gauchet Patrice Giorda riale » à laquelle il est communément réduit, c’est pas les époques antérieures. La fille- litiques et en Europe – nourrit-il la violence dans la société ? Indis- récemment, la violenceMichel Godet Jean-Claude Guillebaud Martin en effet inventer, bousculer, rebondir, c’est créer, essaimer, ré- mère frappée d’ostracisme, la vieille cutablement. Plus on évolue dans un univers incertain, plus les re- était partie intégranteHirsch Axel Kahn Bernard Kouchner Philippe unir, c’est oser, riposter, faire grandir, c’est semer, fraterniser et femme accusée de sorcellerie, le pères se dissolvent, plus la classe politique est décrédibilisée. 80 % de la société, et mêmeKourilsky Denis Lafay Henri Loyrette Karim servir, dans une dynamique de consubstantialité des intérêts de mutilé revenant de guerre, les hordes des Français ne font pas confiance à leur personnel politique. Le conditionnait laMahmoud-Vintam Dominique Méda Francis Mer soi et des autres, des accomplissements individuel et altruiste. de bandits répandant la violence, la pays doute de sa place dans le monde. Ce sentiment que la France reconnaissance desAlain Mérieux Alain Minc Robert Misrahi Olivier famine, les pandémies mortelles…, n’est plus le centre du monde, qu’il faut se fermer, se protéger, se individus : l’homme quiMongin Edgar Morin Nicole Notat Maria Nowak « Entreprendre, c’est être en chemin dans le monde. L’enseignant dressaient une France « d’hier » recroqueviller, prendre des distances par rapport à la construc- refusait de se battre étaitDenis Payre Jean Peyrelevade Franck Riboud républicain, l’infirmière, la surveillante de prison, le patron, guère moins joyeuse ! » tion européenne…, tout cela procède d’un climat de fragilisation. méprisé, dévalorisé, huéLouis Schweitzer Christian Streiff Alain Touraine en faisant don d’eux-mêmes, forgent une humanité qui constitue Françoise Héritier Chacun supporte moins bien ce qu’en d’autres temps il acceptait autant par ses congénèresManuel Valls Cédric Villani Michel Wieviorka une œuvre d’entreprise » mieux. La perception de la violence a changé. Prenons un exemple : que par les femmes.Jean-François Zygel à l’époque des blousons noirs, il y avait des bagarres. Mais aussi Le paradigme a été C’est faire œuvre personnelle et collective indistinctement, si- le plein emploi et les HLM, qui constituaient un indéniable pro- inversé. Se battre est multanément. Et cela, bien sûr, aux commandes d’une entre- grès. Résultat, on savait que cette violence n’était que passagère. devenu honteux. Cela, prise, mais aussi en tant que salarié, que bénévole, qu’acteur Aujourd’hui, dans un contexte de perte de repères, de sentiment on le doit à l’organisation généreux d’une civilisation en quête de sens, de perspectives d’abandon et de repli, les violences urbaines, à même niveau d’in- de la société, qui et d’espérances. À ce titre, les manières dont on appréhende tensité, apparaissent beaucoup plus inquiétantes et anxiogènes. a produit un le risque, dont on exerce sa responsabilité – notamment de changement radical patron –, dont on travaille à « réinventer » l’entreprise, consti- Certains actes de violence sont-ils le signe d’une « bonne san- du contexte social. tuent des leviers déterminants. Cet esprit d’entreprendre auda- té sociétale » ? Voilà un débat aussi ancien que magnifique. À la Boris Cyrulnik cieux mais raisonné, ambitieux mais respectueux, subversif mais fin du XIXe siècle, Georges Sorel, théoricien de l’anarchosyndi- utile, la France peut-elle enfin le promouvoir ? calisme, considérait en substance qu’une violence généralisée im- Rien ne doit être exclu. pliquant bourgeois, patrons, ouvriers, permettait à la civilisation Pas même l’éruption de reprendre ses droits. En clair : le conflit doit être violent pour de la violence. générer des relations sans cesse plus dynamiques. Personnelle- La France gronde. ment, je réfute cette pensée. La violence peut, dans certains cas, Les sociétés européennes être fondatrice. Mais, à terme, elle est toujours destructrice et rava- sont devenues des barils geuse. Dès lors, la justification même de l’acte de violence suscite de poudre que la moindre des questions fondamentales. Qui décide de sa légitimité ? La loi ? étincelle peut enflammer. Les responsables politiques ? Qui décide de l’utilisation du mot Jean-Claude Guillebaud violence ? Les médias, l’opinion, les patrons, les syndicats ? Tout est très relatif. Lorsque des paysans en colère saccagent les abords d’une préfecture, cette violence est rarement perçue illégitime. À l’inverse, quand des jeunes des banlieues provoquent une émeute comme le mois de novembre en a donné l’exemple, il est rare que leur violence soit considérée légitime. Un même degré de violence peut être évalué très différemment selon les acteurs qui le mènent et ceux qui le jugent. 488 489 VIVRE ENSEMBLE Une société qu’il appartient à chacun de réenchanter 598 « De New York ÊTRE ÊTRE à Sao Paulo, ENTREPRENDRE de Moscou BONHEUR Enfin, la troisième joie, qui ne peut être envisagée qu’après l’accomplissement des deux à New Delhi, premières, est la jouissance de vivre, dans laquelle on inscrit le sens de son existence. Cette Les enseignements que Christian Streiff a extraits de son expérience sont considérables la société La « leçon » de mort puis de vie de Sam Braun, jouissance est d’abord contemplative – admirer la beauté d’une montagne, d’un bâtiment,une fois projetés sur ce qui compose, fondamentalement, l’exercice de patron. Et ils sont uni- occidentale ensemencée dans l’innommable concentrationnaire, d’un tableau, d’un son, etc. – mais aussi créatrice – artistique, littéraire, industrielle, etc. Etversels. Qu’a-t-il découvert au fond de lui-même, de quoi a-t-il véritablement pris conscience est malade. éclaire lumineusement la « nécessité » de bonheur. bien sûr entrepreneuriale. La création conditionne celle de notre personnalité, et est capitaledepuis son drame, qui questionne ses responsabilités de décideur ? In fine, qu’a-t-il appris à Il est urgent Ce bonheur, certains volets économiques et sociaux, pour prendre conscience de soi, de ses facultés, et de constater le bonheur d’être là, au monde.accepter de ce qui était auparavant inacceptable ? En premier lieu, ce que chaque patron, par de riposter la lourde chape informationnelle et médiatique, Vivant. La création est comme le passage d’une fleur au fruit, elle démarre par rien et s’achèveessence tout entier dans l’anticipation, la maîtrise et la domination, juge inenvisageable : la par une politique et les blocages culturels, historiques ou politiques par un accomplissement. Le bonheur est la joie de l’autocréation, c’est le fait que tous lesvulnérabilité, la défaillance, l’incertitude, l’échec, le doute. Que le monde de la grande réussite de civilisation. » découragent de croire en sa réalité. Et pourtant, il individus puis l’humanité entière arrivent à être Dieu. L’homme créateur de lui-même : voilàprofessionnelle est « aussi » celui des faux-semblants et des faux amis, des duperies et des Edgar Morin existe. Savoir le féconder ou l’apprivoiser, le bonheur.opportunismes, ce cénacle donnant l’illusion que l’on est considéré pour ce que l’on est intrin- 599 le reconnaître ou l’épanouir, détermine l’état d’être,sèquement alors que cette reconnaissance est en premier lieu indexée sur la responsabilité, de construire et d’entreprendre. Celui de chaque Le bonheur constitue une question permanente pour l’homme moderne depuis l’Antiquitél’influence, et surtout le pouvoir que l’on détient. ENTREPRENDRE individu comme celui de toute collectivité. grecque. Spinoza interroge la dépendance du bonheur à une religion ou à un rapport à Dieu transcendants. Et y répond clairement : non, ce bonheur résulte de la nature même de l’être Christian Streiff a aussi appris à reconnaître qu’à l’omniscience et à la sacralité les carac- ROBERT MISRAHI Qu’est-ce que le bonheur ? En premier lieu, définissons ce que n’est pas humain. Et c’est parce que l’on doit sans cesse explorer cette dernière que le thème du bon-térisant, les dirigeants doivent leur trajectoire et leurs conquêtes professionnelles « aussi » le bonheur. Il n’est pas la satisfaction immédiate de tous les désirs immédiats, notamment heur est affaire « permanente ». Qu’est-ce qu’un être humain ? Il est une réalité corps-espritaux autres, chaque autre (collaborateur direct, salarié invisible, client, fournisseur) avec le- parce que le désir immédiat se heurte à celui de l’autre et que, souvent, son assouvissement unifiés, au centre de laquelle évoluent, au même niveau, d’un côté la conscience de soi, dequel ils « construisent » une décision – l’œuvre commune de l’entreprise résulte d’une chaîne est générateur de dangers – particulièrement financiers mais aussi, en cascade, familiaux, l’autre le désir, tous deux s’interpellant et se nourrissant indéfectiblement. L’être humain estde collaborations à la qualité, l’investissement, la foi desquelles l’action du big boss est as- sociaux, professionnels. Le bonheur est l’accomplissement des désirs une fois qu’ils ont été en désir permanent de satisfaction. À ce titre, il éprouve un manque – non pas définitif, commesujettie ; et, bien sûr, l’aide, capitale dans sa reconstruction, que médecins et orthophonistes passés au crible de la réflexion. Ces désirs au départ immédiats deviennent alors intelligents l’ont pensé les pessimistes Schopenhauer, Lacan, Sartre ou Hegel – mais qui est provisoire etlui ont prodiguée l’a interrogé sur le sens de l’autre, la contribution de l’autre, mais aussi la et maîtrisés. Une fois cette conversion réalisée, on peut entrer dans la construction du bon- même moteur. Ainsi, lorsque nous avons faim, nous mangeons, nous nous rassasions, et doncfragilité ou la souffrance de l’autre. Il a, enfin, saisi plus que jamais les vertus « d’affronter, de heur. Ce bonheur sera une attitude conquise à un niveau supérieur, dit de « réflexion », que contentons notre désir. Comment agir pour que le plus grand nombre de gens éprouve le pluss’opposer, de dénoncer, d’aller contre la majorité, et parfois de renoncer », dans lesquels tout manifestent trois jouissances. La première, et d’ailleurs la plus grande, est l’autonomie in- grand nombre de satisfactions ? Voilà ce qu’est l’éthique de la joie.responsable doit cultiver l’ambition, bien sûr inaccessible, d’être en cohérence : cohérence térieure, grâce à laquelle on est le créateur de sa pensée et de sa vie. La seconde est la joieentre ses discours et ses actes, entre ses convictions et ses décisions, qui détermine son ac- d’amour. Pas cet amour-combat, cet amour-compétition, cet amour-calcul, cet amour-ambigu, Ce que nous cherchons, ce sont des contenus de désir de plus en plus enrichissants. Lecomplissement d’Homme et conditionne l’élan du collectif – familial, amical, professionnel cet amour-haine, et finalement cet amour-échange qui ont contaminé la société. L’amour plus essentiel d’entre eux est la relation à autrui. Elle donne contentement et joie, elle fonde– qui s’y arrime. n’est vrai que lorsqu’il est donateur, et c’est à cette condition que peuvent se développer les tous les autres plaisirs, enfin elle sécrète le plus important : la justification de vivre, puisqu’on meilleures coopérations. Contrairement à ce qu’affirmait Sartre, on aime pour aimer, on ne accède à la satisfaction à la seule condition qu’elle soit entérinée par quelqu’un d’autre. C’est Bien sûr, aussi, sa relation au temps est bouleversée, ses conceptions d’avant et d’après du doit pas aimer pour être aimé. Cela signifie que pour accéder à la réciprocité, consubstantielle donc bien l’autre qui nous donne raison de vivre. La satisfaction riche, concrète, intelligente et,temps utile ou pauvre, sincère ou vain, trompeur ou vrai, ont radicalement évolué. Et dans le à l’amour, il n’existe pas d’autre moyen que de renoncer à la réversibilité. C’est à ce prix osons le mot : spirituelle, est inscrite au cœur de tous nos désirs. Même celle que l’on pourraitsillage de ce chamboulement, qui réinterroge les temps long et immédiat, égoïste et bienveil- qu’on apprend à ne rien réclamer, à être simplement heureux que l’autre existe et à jouir de croire bassement matérielle.Ainsi, souhaiter par exemple un logement plus spacieux ou mieuxlant, matérialiste et désintéressé, sont, là aussi, remuées, secouées, toutes ses certitudes sur ce sa joie. Une joie bien sûr redoublée lorsqu’elle est réciproque. Cette conversion de la réver- isolé participe à un désir d’humanité enrichie, car l’habitat n’est pas simplement un toit quiqui compose l’indispensable et le futile, l’essentiel et l’accessoire. Dès lors, le bonheur d’être sibilité à la réciprocité, dès le lycée l’éducation philosophique devrait d’ailleurs s’y atteler. protège de la pluie et du froid, il est un lieu « métaphysique » et de significations intense où l’on se construit une harmonie avec soi et avec le monde et où l’on éprouve une justification.10 Acteurs de l’économie - La Tribunen’est plus seulement dans l’accumulation, l’ubiquité, la frénésie, la boulimie, qui fondent la re- 70 Cette dernière – comme le plaisir – est inscrite dans tout désir apparemment matériel, car le sens auquel la nature humaine aspire commence à se construire dans une vie matérielle digne.connaissance publique et même le statut social, mais aussi dans une délicieuse soumission aux Dès que l’humanité a été capable de produire des richesses, elle a admis que lesdites richessestemps vraiment utiles, vraiment sincères, vraiment riches, ces temps vraiment vrais – auxquels constituaient un commentaire de la signification humaine.participe celui de la solitude – qui permettent de cerner ces autres temps infructueux, secon-daires, vides même, que l’on croit indispensables. Le bonheur d’être apparaît alors aussi dans le Le désir forme donc un sujet et même un enjeu non seulement sociétaux mais éminem-silence et la simplicité, dans l’attente et la servitude, dans l’observation et l’accompagnement, ment politiques. Et d’ailleurs, les professionnels politiques ont bien tort de ne pas y songerdans ce que Françoise Héritier dénomme dans son essai éponyme « le sel de la vie » (OdileJacob, 2012), c’est-à-dire le plaisir. 71 Le plaisir égotiste et généreux, le plaisir des choses modestes où sont nichées les plus MODÉLISER MODÉLISERgrandes joies, le plaisir de lire et de boire, de rire et de manger, de marcher et de regarder, pays occidentaux – en Russie sous le joug de la décrépitude sociale, aux États-Unis par « En Occident, vieillesse, maladie la faute du développement de nouvelles maladies lié aux modes de consommation, et mort sont synonymes d’échec, etc. Il est temps de désindexer les critères de progrès et de croissance du sempiternel puisqu’elles signifient que la PIB. Ce PIB a peut-être pu constituer un indice clé de bien-être dans les années cin- toute-puissance technologique ne quante ; ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’heure doit être à l’introduction officielle parvient pas à les empêcher. Alors de nouveaux indicateurs – éducation, santé, solidarité, qualité de l’environnement… on les cache, on les dénie, on tait et surtout « bien-être » avec pour dessein de vivre « qualitativement mieux » en leur réalité et leur représentation. « consommant moins. » Ainsi, on refuse de considérer que la mort participe de la vie et que SERGE GUÉRIN « Les programmes de recherche sont étudiés en fonction des perspec- la mort donne naissance à la vie. tives de profit et non pas de l’intérêt de l’homme et de son environnement. Résultat : il est Or comment bâtir son existence plus aisé de trouver les financements à la fabrication du Viagra qu’à celle de médicaments utilement et profondément, avec appelés à éradiquer la rougeole en Afrique. La solvabilité des septuagénaires américains curiosité, altruisme et plaisir, est nettement supérieure à celle des patients du Rwanda », rappelle fort justement Jean- si l’on n’admet pas préalablement Claude Guillebaud. Cette logique, qui s’applique à tous les champs de la science et de la ce postulat ? Évacuer la mort, recherche, interroge très concrètement la problématique de la vieillesse. A-t-on le droit c’est repousser le sens de la vie et de considérer qu’en certaines circonstances, qu’à partir d’un certain état de santé, la si- de l’autre, c’est donc éteindre toute tuation des aînés ne peut faire l’objet systématiquement de sacrifices médicaux donc spiritualité humaniste. » financiers collectifs ? Il n’est pas du ressort du législateur de décider et d’arbitrer en Serge Guérin matière de morale et d’éthique. Nous sommes là au cœur de la problématique qui place l’intérêt de l’humain entre celui de l’économie et celui de la technologie. Ja- N°133 Décembre 2016 mais la performance technique ou l’enjeu économique ne doivent affecter l’in- térêt de l’humain. Or cet intérêt n’est pas obligatoirement de vivre plus long- temps, il est d’être le mieux soulagé dans ses souffrances physiques et morales. Essayer de sauver une personne doit être dicté par le seul intérêt de cette dernière, certainement pas par celui de la performance technique. Pour au- tant, il faut se garder d’être trop péremptoire et catégorique à propos de l’euthanasie. Il existe un risque de dérive, abominable, qui n’épargne bien sûr pas la population âgée. Toute décision doit résulter d’un dialogue avec les proches et les médecins, et répond du cas par cas. Jusqu’où est-il utile et fondé d’investir dans la recherche pour faire reculer le vieillissement de la population, et plus simplement l’âge de la mort ? Faut-il distinguer les champs de recherche et d’investissement « utiles » et « non utiles » ? Autant de questions qui interpellent plus
RUBRIQUE DE NOM Dialoguer Coffret TESOT UUNTE HMOERMVEMILLEE +Parce qu’il interroge notre relation à tout ce qui fait de nous des hommes : spiritualité,économie, travail, vivre-ensemble, biodiversité, créativité, art, innovation, etc., cetouvrage est absolument essentiel. Après une telle lecture, nous pouvons progresservers davantage d’humanité.Pierre Rabhi En partenariat avecCommandez en ligne sur acteursdeleconomie.comCadeaux d’entreprise, commandes groupées : tél. 04 72 18 09 18N°133 Décembre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 11
Dialoguer RUBRIQUE DE NOM12 Acteurs de l’économie - La Tribune N°133 Décembre 2016
ÉDITORIAL DialoguerOL’ÉDIT RIAL,DENISLAFAY7 MAI 2017, MARINE LE PEN PRÉSIDENTEMai 2020. Emmanuel Macron dans le fauteuil d’édile de Lyon (p. 62). La s’accélère, les professionnels bancaires et financiers sont dans le coma, le victoire de l’insubordonné social-réformiste, fruit d’un patient proces- pouvoir d’achat décline, le démembrement du secteur public, copieuse- sus d’adoubement par Gérard Collomb et d’installation dans les réseaux ment privatisé, fragilise l’Etat de droit. Au-delà de l’Hexagone, l’abrogationlocaux, notamment patronaux, constitue une respiration bienvenue dans un des traités de libre-échange et l’instauration de barrières douanières aussipanorama domestique et planétaire apnéique. Petit retour en arrière. bien « humaines » qu’économiques ont précipité les grandes « nouvelles »Le triomphe de Donald Trump aux Etats-Unis en novembre 2016 était annon- puissances, Chine et Inde en tête, dans des di cultés sociales et, concomi-ciateur du tremblement de terre qui a frappé la France le 7 mai 2017. « Enfin » tamment, dans des logiques isolationnistes qui ont exacerbé comme jamaisune femme à l’Elysée. Mais pas n’importe laquelle : Marine Le Pen a bénéficié le sentiment nationaliste. « Il faut remonter à la fin des années trente pourd’un incroyable scénario, symptomatique de la déliquescence démocratique retrouver pareil magma », se remémorent les sociologues nonagénaires Edgaret de la folie irresponsable du cénacle politique. A l’issue de la primaire de Morin et Alain Touraine, contemporains du fléau pré-nazi. Comment s’étonnerla droite, remportée in extremis par Alain Juppé, Nicolas Sarkozy arraisonne alors de la grande proximité nucléaire entre la Chine et la Corée du nord, etles recommandations de son nouvel allié républicain alors encore candidat des manœuvres militaires qui enflamment le Pacifique et ceinturent le Japon ?à la Maison Blanche : il refuse le verdict des urnes et se lance, en solo, dans Le conseil de sécurité de l’ONU ne se réunit plus, l’ensemble des instances com-la campagne. Dans son camp, l’émiettement des voix est assuré. Emmanuel posant la gouvernance mondiale (OMS, Banque mondiale, FMI, Unesco, AIEA…)Macron a fait de même, mais l’absence de socle partisan va le confi- sont désormais exsangues. Partout dominent les logiques et les stratégies dener à un résultat seulement honorable (8%). La candidature de François la peur, du repli, de la stigmatisation, du rejet. Elles se répandent méthodique-Hollande, a priori ubuesque au regard de son bilan, de son discrédit dans ment par capillarité, elles sédimentent dans les familles, les entreprises, lesl’opinion, et d’un style inaudible d’une population en quête d’un fort lea- écoles, dans chaque espace de vie collectif. Bien sûr, des poches de résistancedership, « a suicidé » la primaire de la gauche républicaine : seuls 11% des s’emploient à juguler le fléau. Mais que pèsent-elles face à la résignation, à laélecteurs d’un scrutin présidentiel pulvérisant le record d’abstention (56%) complicité implicite ou au soutien déterminé d’une majorité de la populationlui ont fait confiance lors du premier tour. Et c’est ainsi qu’au – grand – « fière de composer une nation homogène » ? Profitant d’une o re médiatique,soir du 23 avril, c’est à une alternative populiste inconcevable avant que la syndicale, institutionnelle, intellectuelle tour à tour habilement ou brutale-campagne ne s’enflamme quelques mois plus tôt à coups de déclarations, ment vassalisée par une réglementation inspirée des méthodes d’Erdogan,de promesses, de dénonciations hystériques, que font face les Français : la les contre-pouvoirs s’étiolent. La chasse aux étrangers, aux vulnérables et auxcandidate du Front national opposée à Jean-Luc Mélenchon. Pour le résul- « profiteurs du système » rassemble de larges su rages au sein d’une opiniontat que l’on sait. La France semble abattue, mais elle paye là son arrogance publique qui d’ailleurs s’est définitivement désintéressée des génocides per-et sa fatuité, sa cécité devant les nombreux signes avant-coureurs, « si cer- pétrés sur les terrains de guerre livrés à eux-mêmes. Comment s’étonner alorstaine » que les scénarii les plus funestes ne pouvaient l’atteindre. que Bachar El-Assad dirige une large alliance avec les chiites qui, du Liban à l’Iran en passant par l’Irak est parvenue à embastiller Israël sous une clocheLa France est dans le chaos idéologique, elle l’est également aux plans institu- de terreur et de massacres ? tionnel et politique puisque au lendemain du scrutin législatif que le sursaut citoyen a commué en « barrage » de l’exécutif, le gouvernement dirigé par Enfin, que dire de l’état « environnemental » de la planète ? Le climato-scep-Florian Philippot fonctionne par ordonnance, dépossède ou radicalise les leviers ticisme rayonne et dicte les politiques. L’Accord de Paris sur le réchauf-décisionnels, et instaure un régime autoritaire « à la turque. » Pour cela, il peut fement climatique n’est qu’un souvenir. Donald Trump et Marine Le Pens’appuyer sur l’indéfectible soutien des régimes positionnés sur une longue dia- ont fait voler en éclats les contingences, et ont constitutionnalisé le « droitgonale qui relie Washington à Moscou, en passant par Bruxelles, La Haye, Var- inaliénable » de forer, de construire, de bétonner, de commercer, de consom-sovie, Budapest, Vienne. Et Berlin, car en e et outre-Rhin un séisme tout aussi mer, de transporter, de polluer – même la Chine, en réaction à ce retournementinouï s’est abattu le 19 mars 2018 avec la victoire du Parti National-démocrate et elle aussi sous la pression de sa population et des lobbies industriels, s’est(PND) au scrutin législatif anticipé. A l’instar d’une grande partie de l’Europe, le désolidarisée de ses engagements originels. De quoi, espèrent par ailleurs cesBundestag est brun. Impensable. Insensé. Invraisemblable. Stefan Zweig, auteur gouvernants, apaiser la frustration qui ne cesse d’enfler parmi ceux qui les ontdu double Appel aux Européens – La désintoxication morale de l’Europe en 1932 portés au pouvoir sur la foi de promesses démagogiques impossibles à accom-et, deux ans plus tard, L’unification de l’Europe, deux imparables diagnostics sur plir. Le contentement individuel et immédiat s’est imposé au souci altruiste etle dépérissement de la civilisation européenne –, imaginait-il que quatre-vingt long-termiste. Et sous le joug de politiques qui au mieux s’en désintéressent ouans plus tard sa lumineuse prophétie s’accomplirait une seconde fois ? la découragent au pire l’atrophient et la laminent, la « culture » – de la connais- sance, de la création artistique – est l’objet de violentes attaques. Ainsi, l’hu-Chaos idéologique, institutionnel et politique, mais aussi socio-écono- manité se déshumanise, la civilisation se décivilise. mique et géopolitique. L’Europe n’est donc plus : la partition de la Belgique est entérinée, l’espace Schengen est éradiqué – l’édification de barbelés Emmanuel Macron à la marie de Lyon ? Une simple fiction. Nettement plusentre le Mexique et les Etats-Unis a convaincu la France, l’Espagne et l’Italie amusante mais aussi moins probable que celle de Marine Le Pen à l’Elysée.d’autoriser la création de milices armées qui surveillent les frontières donnant Personne n’imaginait le Brexit le 23 juin 2016. Personne n’imaginait lesur la Méditerranée –, les Pays-Bas, la Pologne, la Grèce, l’Autriche et bien triomphe de Donald Trump le 8 novembre 2016. Quand donc cesserons-noussûr la France ont abandonné l’euro. La paupérisation du tissu entrepreneurial de croire que le 7 mai 2017 une victoire du Front national est inimaginable ?N°133 Décembre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 13
SOMMAIRE Dialoguer EntreprendreN°133 Entrée en matière 3 Euronews se déchaîne 42 Tony Meloto 4 Gilles Chabert, l'omnipotent 52 Forum Cnam-La Tribune 13 Horlogerie suisse 58 Tout changer ? Rien d’impossible 16 La mécanique s’enraye 59 Éditorial 18 Incubateur Lyon 3 L’actualité en images 20 Aux sources de l’entrepreneuriat L’initiative de Anne-Fleur Schoch 21 Chroniques Lu sur acteursdeleconomie.com 23 Tribune Anne Muxel Chroniques Tribune François TaddeiActeurs de l’économie est publié par RH Editions (capital 221 640 euros). - 51 avenue Jean Jaurès, - 69007 Lyon - Tél. 04 72 18 09 18 - Fax 04 72 18 09 21 - [email protected] - acteursdeleconomie.compremièrelettreprénom.nom @acteursdeleconomie.com - Directeur de la publication et de la rédaction : Denis Lafay - Directeur général délégué : Valérie Asti - Rédacteur en chef adjoint : Romain Charbonnier - Journalistes : DidierBert, Stéphanie Borg, Gérard Corneloup, Maïté Darnault/WeReport, Marie-Annick Depagneux, Dominique-Myriam Dornier, Samuel Maïon-Fontana, Maxime Hanssen, Laurence Jaillard, Karen Latour, MarieLyan, Nicolas Rousseau, Françoise Sigot, Jacqueline Vidal - Secrétariat de rédaction : Nicolas Rousseau - Photographes : Laurent Cerino - Dessinateurs : Kanellos Cob, Vic - Maquette : Marie-Anne Joly - Conférences-Débats : Steven Dolbeau - Responsable webmarketing & communication : Eric Fossoul - Comptabilité : Sonia Girard - Abonnements - Publicité : Razala Oulka - Impression : Courand, 82 route de Crémieu, 38230 Tignieu-JameyzieuN° de CPPAP : 0320K89381 ISSN 1620-6096 - Dépôt légal : 4ème trimestre 2016 - 5 n°/an - Photomontage en couverture Vous souhaitez optimiser votre patrimoine, préparer des projets ou développer votre activité. Retrouvez-nous dans À la Banque Rhône-Alpes, vous disposez d’un conseiller dédié et d’experts pour vous l’une de nos 80 agences accompagner. Connectez-vous sur Banque Rhône-Alpes - S.A. à Directoire et Conseil de Surveillance au capital de EUR 12 562 800 - SIREN 057 502 270 - RCS Grenoble - Siège Social : 20 et 22, bd Edouard Rey www.banque-rhone-alpes.fr BP 77 - 38041 Grenoble Cedex 9 - Siège Central : 235, Cours Lafayette - 69451 Lyon Cedex 06 - Société de courtage d’assurances immatriculée à l’ORIAS sous le N° 07 023 988. N°13132/0D8/é20c1e6m0b8:r4e1:124016 Acteurs Eco 200x45.indd 114 Acteurs de l’économie - La Tribune
Respirer ComprendreInventerLe rêve de 61Corinne Vigreux2020 62Macron, maire de Lyon 70Sainté, cité santé Coup de crayon sur…Immobilier 125Le crowdfunding La fête des Lumièresempile les briques 76 Léthicia Rancurel, l’industrieuse 99 Musée des TissusQue la lumière soit Jeunesse, lève-toi ! 101 L’incompris 126et l’internet fut 84 Entreprise et religionInnoWards, Jérôme Chabannesl’audace de créer La tentation 108 Il joue du piano debout 132Chroniques 90 Conférence 114 Audrey LatardTribune Daniel Kofman 96 Chroniques 116 le vin au féminin 136 97 Tribune Jean-Paul Willaime 118 Tribune Martine Villelongueg 138 Le talent sur mesure www.algoe-executive.fr www.stantonchase.com Votre solution depuis 40 ans dans 46 pays pour le recrutement de profils rares et de haut niveau Recrutements Executive Searchet le développement de vos Équipes Assessments Top Managers Experts Coaching Lyon :Carole de Chilly - 04 72 18 13 70 - 9 bis, rte de Champagne 69130 Ecully Une entreprise, deux marques Paris :Philippe Palacin - 01 53 02 26 86 - 23, rue Louis-le-Grand 75002 Paris Acteurs de l’économie - La Tribune 15N°133 Décembre 2016
Dialoguer L’ACTUALITÉ EN IMAGES 1© DR© DR23 © Joël Damase / Auvergne Thermale 1 AUVERGNE RHÔNE-ALPES Mais où s’arrêtera le phénomène 16 Acteurs de l’économie - La Tribune Ma vie de Courgette ? Le film d’animation déjoue toutes les prévisions et devrait dépasser, sans mal, les 700 000 spectateurs. En course pour les Oscars, le long métrage est déjà rentable remboursant les 6,5 millions d’euros de son budget. 2 SAVOIE La station de ski La Plagne va engager un plan d'investissement de plus de 200 millions d'euros avec l’objectif de redynamiser le secteur Plagne Aime 2 000. Celui-ci porte sur la création sur 53 000 m2 de nouvelles o res de logement (avec hôtel, pôle aqualudique et de loisirs, et des résidences de tourisme). 3 AUVERGNE RHÔNE-ALPES Le conseil régional Auvergne- Rhône-Alpes lance son plan thermal en débloquant un budget de plus de 20 millions d’euros pour la période 2016-2020. L’objectif est d’accompagner le développement des 24 stations thermales du territoire qui accueillent annuellement 130 000 curistes, ainsi que de soutenir l’innovation et la formation. N°133 Décembre 2016
4 L’ACTUALITÉ EN IMAGES Dialoguer 9©DR © Laurent Cerino / Acteurs de l’économie©DR 5 4 AUVERGNE RHÔNE-ALPES Le 8 décembre, à l’issue des assemblées générales 6 des trois entités composant la « nouvelle » Banque Populaire Auvergne Rhône-Alpes,© Renault Trucks Défense7 Daniel Karyotis est pressenti pour prendre les rênes d’un ensemble employant 3 800 salariés et générant un PNB de 732 millions d’euros. Directeur général des établissements N°133 Décembre 2016 Banque Populaire Massif central (depuis avril), Alpes et Loire et Lyonnais (depuis octobre), il était précédemment membre du directoire et directeur général en charge des finances du Groupe BPCE. 5 AUVERGNE Il sera resté seulement une petite année à la direction générale du 4e semencier au monde Limagrain (2,4 milliards d’euros de chi re d’a aires). Jean-Christophe Juilliard a été démis de ses fonctions sur décision du conseil d’administration suite à un « désaccord sur les modalités d’application de la stratégie » du groupe. 6 LYON Le groupe Volvo souhaite se séparer de ses activités défense, qui comportent notamment la filiale Renault Trucks défense. Mille emplois seraient menacés dont une centaine à Lyon. Une mesure surprenante puisque l’entreprise a chait en 2015 un bilan satisfaisant (500 millions d’euros de chi re d’a aires) et un carnet de commandes rempli, permettant d'envisager un doublement de ses revenus d'ici 2018-2019. 7 LYON Emlyon business school a ouvert son nouveau campus à Paris. Des locaux flambants neufs de 5 500 m2, en face de la gare de Lyon, qui accueillent pour l’année scolaire 2016-2017 près de 400 étudiants et 1 000 à horizon 2020. 8 VILLEURBANNE À la Ferme urbaine lyonnaise, installée sur le campus de la Doua à Villeurbanne, plantes, fruits et légumes poussent dans des pots à l’intérieur d’une petite serre de 50 m2, entièrement robotisée, éclairée par une lumière blanche. Pas de terre, leur seule nourriture se résume à des nutriments. Et la culture est à la carte puisque la ferme peut 8 proposer tous les climats : de - 5 °C à 40 °C. Bienvenue dans le futur de l’agriculture urbaine. © Marie Eve Brouet 9 RHÔNE Les élections consulaires aux chambres de métiers, et du commerce ont été un fiasco à Lyon. Le taux de participation atteignant des scores très bas : 13,72 % pour la première et 9,79 % pour la seconde. Un manque d’intérêt sans doute lié aux listes uniques en course ou aux guerres d’égos qui ne passionnent guère les ressortissants. (Ici, Alain Audouard, élu président de la CMA du Rhône).©DR Acteurs de l’économie - La Tribune 17
Dialoguer L’INITIATIVE Si ses professeurs de l’université Lyon 2 avaient imaginé un seul instant qu’elle délaisse les sciences humaines et sa spé- cialisation en anthropologie et sociologie pour l’entrepreneuriat dans le secteur de la cybersécurité, il est certain qu’ils auraient été surpris. Et pourtant, c’est la démarche qu’a entamée Anne-Fleur Schoch. L’en- treprise a été une « évidence», une quête « d’action et de concret », de « créativité et d’engagement », reconnaît la jeune femme de 31 ans. D’abord salariée comme chas- seuse de tête dans des cabinets parisiens et anglo-saxons, elle fait ensuite le choix de créer son agence de recrutement. Un premier pas dans l’entrepreneuriat, qui se soldera néanmoins par un échec, « la conséquence de ne pas avoir trouvé les bons partenaires ». Mais, combative et volontaire, Anne-Fleur Schoch rebondit en saisissant l’opportunité de cofonder Vaadata, start-up spécialisée dans la sécurisation des sites internet et mobiles. Un monde nouveau, qu’elle était loin d’imaginer intégrer, mais qui la révèle. « Je ne connaissais pas la sécurité informa- tique. J’en suis désormais passionnée. » Mais pas de n’importe quelle manière. Passion- née, car elle tente de lui associer son par- cours et ses connaissances en sciences humaines. La jeune femme avoue qu’elles lui sont d’une grande utilité, « même si les clients ne le voient pas directement ». « La dimension humaine est très importante, sans doute davantage que celle technologique », admet-elle. Elle va même plus loin lorsqu’elle évoque l’anthropologie. Elle voit en cette discipline un lien fort avec l’entrepreneuriat : « Une aventure quotidienne, une expérimen- tation de chaque instant ». Elle réfléchit d’ail- leurs à approfondir ce lien, en appliquant les grands principes scientifiques à la sécurité informatique. RC Retrouvez Anne-Fleur Schoch dans l’émission Start’Up Co, proposée par TLM-Télé Lyon Métropole et Acteurs de l’économie-La Tribune, chaque 2e et 4e vendredi du mois à 19H15.© Laurent Cerino / Acteurs de l’économie ANNE-FLEUR SCHOCH, N°133 Décembre 2016 LA DÉCOUVREUSE 18 Acteurs de l’économie - La Tribune
Aider ceux qui aident,c’est bon pour l’entrepriseje suis APICIL accompagne Octobre 2016 - Crédit photo : iStock - Coxinélis les salariés qui soutiennent un proche : écoute, conseils et services personnalisés…APICIL, 5ème groupe de protection socialeen France.www.apicil.com/aider-ceux-qui-aidentGroupe APICIL certifié ISO 9001 : 2015 et EN 15838 : 2009 (Relation Clients) par SQS.APICIL Prévoyance : Institution de prévoyance régie par le titre III du livre IX du code de la Sécurité sociale.MICILS : Mutuelle régie par les dispositions du Livre II du Code de la Mutualité, inscrite au répertoire SIRENEsous le numéro 302 927 553.Sièges Sociaux : 38 rue François Peissel – 69300 Caluire et Cuire.Document non contractuel à caractère publicitaire
Dialoguer LU SUR ACTEURSDELECONOMIE.COM« LA MISE EN PLACE DE POLITIQUES CLIMATIQUES EST ASSEZ LENTE. SI CERTAINS PAYS NE SONT PASCONVAINCUS QUE LES AUTRES PAYS RÉDUIRONT FORTEMENT LEURS ÉMISSIONS, ALORS ILS NE FERONTEUX-MÊMES PAS D'EFFORTS »La COP 21, un an après « LES PERSONNELS DE DIRECTION, TÉMOINSLucas Bretschger, professeur d’économie à ETH Zurich, 9 novembre DE LA FAÇON DONT NAJAT VALLAUD-BELKACEM ÉRIGE EN DOGME SA PROPRE INFAILLIBILITÉ, « Le génie est sorti de la bouteille SAVENT QU'ILS N'ONT AUCUN SOUTIEN À populiste, il sera di cile de lui ATTENDRE D'UNE MINISTRE QUI SACRIFIERA TOUT demander d'y rentrer » À L'HEUREUX DÉROULEMENT DE SA CARRIÈRE » Donald Trump : En attendant un (e) vrai (e) ministre de l'Éducation nationale la colère entre à la Maison-Blanche Alain Morvan, ancien recteur des académies de Clermont-Ferrand, Vincent Michelot, professeur des universités Amiens et Lyon, 29 septembre à Sciences-Po Lyon, 9 novembre« Innover c'est facile car on le fait tous les jours, mais ce n'est pas une fin en soi,ce n'est même qu'un début car après il faut « améliorer » »Innover, c’est apprendre à se tromper « La théorie du lotissementNicolas Huchet, cofondateur de My Human Kit, 13 octobre ne gomme pas la compétition. Elle ambitionne de la placer« LA VILLE DURABLE LU SUR au bon endroit. D'abord etNE DEVRAIT PAS ÊTRE ACTEURSDELECONOMIE.COM avant tout, sur les parvis deCELLE QUI PÉRENNISE chacune des entreprises. OnLES MODÈLES CLASSIQUES grandit sa propre entreprise,DE DÉVELOPPEMENT, on crée de la valeur, parceMAIS CELLE QUI MET que l'on travaille, parce queTOUT EN ŒUVRE l'on polit les pierres brutes.POUR FAIRE SOCIÉTÉ » Jamais par destruction des pierres taillées de laBâtir des villes durables concurrence »ou l'exercice de la citoyennetéDavid-Marie Vailhé, La théorie du lotissement :urbaniste, 2 novembre ouverture à la paix économique Loïck Roche, directeur général de Grenoble école de management, président du Chapitre des écoles de management, 30 septembre« LE PROGRÈS TECHNIQUE N'INDUIT PAS TANT LA DESTRUCTION DES EMPLOIS QUE LE CREUSEMENTD'UN FOSSÉ ENTRE NIVEAUX DE QUALIFICATIONS : ON PARLE DE POLARISATION DES EMPLOIS »Non, le numérique ne menace pas l'industrieLouisa Toubal, chef de projet au sein de la Fabrique de l'industrie, 7 novembre« Il ne s'agit pas de nier les excès d'une « OSONS AFFIRMER QUE LES CRISES SONTproduction académique, formalisée PARADOXALEMENT DE BONNES NOUVELLES :et très spécialisée qui peut a aiblir POUR QU'UN MONDE NOUVEAU ÉMERGE,les échanges avec les autres sciences IL FAUT QUE L'ANCIEN S'ÉCROULE POUR LAISSERsociales. Mais la question cruciale PLACE À UNE SOCIÉTÉ QUI RÉPONDE À NOS BESOINS »concerne la légitimité des économistesdans le débat public : quelle est leur Faire émerger des citoyens de l'entreprisecapacité à éclairer les choix qui Patricia Ardillier,s'o rent à nous ? » présidente et fondatrice de la fondation Humaninnov, 20 octobreQuel rôle ont les économistes dans la société ? N°133 Décembre 2016Pascal Le Merrer, économiste à l’ENS Lyon, et fondateurdes Journées de l'économie, 7 novembre20 Acteurs de l’économie - La Tribune
CHRONIQUES DialoguerLES ENTREPRENEURS vivent une aventure épique Jean-François Noubel, qu’autour de lui, les choses n’ont pas fondamentalement souhaité prendre le pouvoir dans l'entreprise de son père. Expert APM, chercheur et formateur en changé. Mais c’est à partir de cette expérience qu’il peut, Après plusieurs fugues pour partir aux États-Unis, il affirme intelligence collective globale à son tour, inspirer d’autres personnes et transformer le qu'il ne reviendra que si c'est lui qui la dirige. Il fait céder monde par sa propre exemplarité. Par exemple, l’entreprise son père et se révèle un industriel astucieux, inventif, ouvertLes mythes nous racontent notre propre histoire à Bohin, menée par cinq générations successives, est le der- au monde qui propulse l’entreprise dans la modernité de travers l’aventure de personnages qui ont existé nier fabricant en France d'aiguilles et d’épingles. Reprise l’époque. Lors de l’Exposition universelle de 1889, l’entre- ou qui sont imaginaires. Les histoires d’Ulysse, de et relancée par Didier Vrac en 1997, après sa liquidation prise reçoit une médaille d'or pour la qualité de ses produits. Thésée, celles de patrons d’entreprises célèbres, judiciaire, elle est devenue à la fois un symbole de modernité En 1900, elle devient la plus grande fabrique d’épingles nous racontent une histoire de nous-mêmes. Le et de savoir-faire traditionnel. Une transformation portée par en France. Les premières machines automatiques voient séquencement de cette histoire est souvent identique, mal- la vision de Didier Vrac, salarié depuis 1990, qui s’appuie le jour. Deux siècles plus tard, elles fonctionnent toujours, gré la diversité des situations. En effet, le héros part pour sur l’histoire et le mythe fondateur de l’entreprise. La marque intactes sous nos yeux. Cette connaissance a porté la vision une aventure incroyable, il fait son initiation à travers des est ancienne, forte, mais vieillissante et la concurrence se de Didier Vrac au moment où il a décidé d’ouvrir l’entreprise épreuves et des dangers qu’il surmonte. Ensuite, il revient fait sentir. Didier Vrac pressent que le tournant arrive. En au public. Pour l’accueillir et l’intéresser, les équipes se sont dans le monde différent, il a vécu une transmutation alors deux décennies, Bohin a non seulement maintenu sa clien- plongées dans l’histoire et se sont appuyées sur le person- tèle française mais elle a aussi réussi à en conquérir une nage fondateur, un homme complet, à la fois très créa- nouvelle à l’export, notamment aux États-Unis. Cerise sur tif, curieux, voyageur. Les entreprises qui ont le feu le gâteau, on vient désormais du monde entier visiter son sacré sont celles dont les dirigeants, au départ, tout nouveau musée et regarder aussi les ouvriers de l’usine portent ce mythe. Ce sont celles dont les diri- fabriquer les aiguilles en direct. Didier Vrac a réussi son geants proposent une aventure épique et disent : pari en faisant découvrir un savoir-faire traditionnel tout en « Ensemble nous avons décidé d’aller sur la lune, projetant son entreprise dans la modernité. ensemble nous allons aller sur Mars, ensemble nous allons transformer la société ». Toutes les per- Mythe sonnes à l’intérieur de l’entreprise (comptable, standardiste, Didier Vrac, un visionnaire ? Il explique s’être surtout impré- manager...) peuvent alors se relier à ce mythe. Mais c’est gné du mythe fondateur de l’entreprise et de son personnage aussi tout l’écosystème humain à l’extérieur de l’entreprise emblématique. La légende raconte en effet que Benjamin qui se retrouve dans cette force-là. Cette force traverse, Bohin, âgé de onze ans au début du 19e siècle, aurait transcende et donc, unifie.N°1P3J3_SDOéLcOeCmAbL_reTO2U0R16_LYON_190x119.indd 1 Acteurs de l’économie0-9/L1a1/2T0r1ib6un1e6:326 1
Dialoguer CHRONIQUESSORTIR DE LA TRÉSORERIE À MOINDRE COÛT :le dilemme du chef d’entrepriseGuillaume Sereaud, Pour rappel, ce régime permet de bénéficier d’un abattement de sans craindre les foudres de l’administration fiscale sur le terrain deDirecteur business et ingénierie 40% alors que la plus-value générée par les titres cédés par une l’abus de droit. La faisabilité de chaque opération doit être étudiée aupatrimonial, Expert & Finance personne physique et détenus depuis un ou deux ans sera réduite cas par cas. Il convient en outre de s’assurer que les titres rachetés d’un abattement pouvant aller de 50% à 85%, selon que le cédant par la société ne font pas l’objet d’une surévaluation. En tout étatUne décision du Conseil constitutionnel du 20 juin 2014 a remplit les conditions pour obtenir l’abattement normal ou renforcé. de cause, il est nécessaire de s’assurer que la réduction de capi- offert au contribuable un « cadeau » fiscal appréciable. Or, au-delà d’un ou deux ans de détention de titres, la réduction de tal ne met pas en péril la situation financière et économique de la Celle-ci rend applicable le régime des plus-values mobi- capital sera systématiquement plus intéressante fiscalement que la société. Quant au risque fiscal inhérent à une telle opération, il doit lières aux rachats, par les sociétés, de leurs propres titres distribution de dividendes. Cela dit, avancer que la distribu- être nuancé selon la répartition du capital social et la situation du en vue de les annuler. Ce régime, entré en application tion de dividendes n’a plus de raison d’être est un pas contribuable concerné.depuis le 1er janvier 2015, a redonné un attrait à ce type de réduction que nous ne franchirons pas. Ce raccourci manquerait de La dilution de sa participation au sein de la société, conséquencede capital, en substituant le régime des plus-values mobilières au recul, d’habileté et de prudence. directe de l’opération de réduction de capital, est de nature à écarterrégime des revenus distribués (dividendes) jusqu’alors applicable. Tout d’abord, il convient de rappeler que seule la réduction de capital le risque fiscal. Opter pour une réduction de capital place de toute issue d’un rachat par la société de ses propres titres en vue de les évidence le contribuable dans une situation substantiellement diffé- annuler a été modifiée. Ensuite, il sera plus intéressant fiscalement rente. À l’inverse, une réduction de capital dans une société uniper- pour l’actionnaire personne physique de percevoir des capitaux par sonnelle doit être envisagée avec une extrême précaution puisqu’elle une distribution de dividendes s’il détient les titres depuis moins n’entraîne aucune dilution du capital. À tout le moins, il convient de d’un ou deux ans selon les cas de figure. S’agissant de l’actionnaire s’assurer de justifications économiques certaines. personne morale soumise à l’IS, sous réserve du bénéfice du régime Ces quelques précautions ne sauraient être exhaustives. Bien mère-fille, les remontées de dividendes sont exonérées, exceptée d’autres points sont à analyser. Il faut aussi respecter le formalisme une quote-part de frais et charges de 5% contre 12% en cas de associé à ces réductions de capital, notamment le fait qu’elles cession d’une participation - la fameuse niche Copé. doivent être proposées à tous les associés. Au total, si l’objectif est simple et le choix binaire, encore faut-il se poser les bonnes ques- Précaution tions pour prendre la meilleure décision. Enfin, et c’est un principe de précaution essentiel, il convient d’analy- (1) Cons. const., déc. 20 juin 2014, n° 2014-404 QPC, ser dans quelle mesure l’on peut opter pour une réduction de capital M. et Mme Machillot.L’ESSOR DES COOPÉRATIONS À L’ACHAT :retour d’expériencesLe mouvement de concentration au sein du secteur Olivier Leroy, respect de cette stricte confidentialité. Structure © DR de la distribution, alimentaire et spécialisée, et du Avocat associé CMS et comportements devront répondre aux contraintes du négoce professionnel est un fait établi. Au-delà des Bureau Francis Lefebvre Lyon droit de la concurrence (art. 420-1 code de commerce, opérations d’acquisition, ce sont surtout les projets 101 TFUE). Une information ou une demande d’autorisa- de coopération à l’achat qui jalonnent aujourd’hui modalités. Le périmètre de la coopération sera ainsi défini tion de l’Autorité de la concurrence est susceptible d’être l’actualité et modifient le paysage de l’économie. La coo- afin d’assurer le respect le plus strict de l’autonomie des nécessaire. pération à l’achat est un projet complexe que le droit est partenaires et l’absence de collusion entre eux. Aucune susceptible d’appréhender et de structurer, notamment dans information confidentielle et sensible relative à la stratégie Attentif la mesure où les partenaires sont concurrents, sinon sur leurs ou au comportement futur de l’un ne devra être appré- - Dans ses rapports avec les fournisseurs ou les prestataires, marchés avals, au moins sur le marché de l’approvisionne- hendée par l’autre, sauf à réduire l’intensité de la concur- la coopération à l’achat devra aussi être mise en œuvre en ment. Dans ce contexte, quelques grands principes devront rence, ce que le droit de la concurrence réprouve. Quant évitant toute dérive vers une massification artificielle des être respectés par les parties afin de définir les conditions aux modalités de fonctionnement, elles devront achats, c’est-à-dire une optimisation des conditions d’achat d’une construction simple et orthodoxe, à savoir : garantir, par une charte de bonne conduite et non justifiée par des contreparties objectives, utiles et pro- - Le principe de la simplicité du schéma mis en œuvre par les la souscription d’engagements individuels, le portionnées. La circonstance qu’une coopération à l’achat renforcera probablement la suspicion de l’administration et parties au titre de leur coopération. Simple mandat donné du juge à l’encontre de l’acheteur et les fondements tirés de par l’un à l’autre, création d’une société commune man- l’article L.442-6 du code de commerce ne manqueront pas datée à l’effet de négocier un référencement commun ou pour justifier une sanction, notamment au titre du déséqui- d’acheter les produits : le choix entre ces schémas alter- libre significatif. natifs découle du fonctionnement des partenaires avant - Enfin, la coopération à l’achat est souvent un projet limité l’opération et de leurs stratégies individuelles. Ce choix aura dans le temps. Les partenaires auront donc avantage à nécessairement un impact sur le degré d’intégration dessiné prévoir une durée minimale et les modalités de sortie de par le partenariat. ce projet. La coopération à l’achat est une tendance lourde - Le respect strict des règles issues du droit de la concur- dans de nombreux secteurs d’activité. Le projet est souvent rence, notamment au regard des échanges d’informations pertinent, il mérite cependant une attention particulière pour sensibles entre concurrents, sera central dans la définition éviter les dérives opérationnelles et juridiques. du projet de coopération. Il en déterminera le champ et les22 Acteurs de l’économie - La Tribune N°133 Décembre 2016
L’ÉTUDIANT A TRIBUNE DialoguerLE DROIT DES’INTERROGER La voix de l’étudiant est rarement entendue si ce n’est lorsque certainesSUR SA MANIÈRE mesures l’impactent directement et le font descendre dans la rue. LesD’APPRENDRE, réformes de l’enseignement supérieur menées par les gouvernements suc-SUR LA FAÇON cessifs font fi de prendre en considération sa vision, conception, et per-DONT LE ception de son rôle d’apprenant. Pourtant, à la lecture d’un sondage paruMESSAGE LUI en mars 2015 d’Opinion Way, « 95 % des 15-30 ans souhaitent un changement duEST TRANSMIS, système éducatif », il serait donc pertinent de les écouter davantage, de lesET SUR SES consulter plus régulièrement, et de ne pas attendre les cas extrêmes pourATTENTES envisager de le faire. Inlassablement, et malheureusement, les enseignementsEN TERME DE ne sont toujours pas codesignés avec eux. Tandis que le milieu de l’entre-FORMATION prise s’inquiète et s’empare des attentes des consommateurs afin d’adresser au mieux leurs produits et services, l’enseignement en est encore très loin... L’étudiant étant constamment relégué au fond de la salle. L’écouter davan- tage, pourtant, ce ne serait pas faire de lui un consommateur ou lui donner les clés de la maison mais plutôt prendre en considération sa motivation afin d’en retirer le meilleur pour tous : l’enseignant, l’apprenant et l’éducation en général. Encore faut-il que le monde académique l’envisage et soit moteur, lui qui a parfois des difficultés à faire évoluer ses pédagogies et contenus et à aider les jeunes à relever les défis de notre temps.INVITONS LES APPRENANTS ÀCOCONSTRUIRE LEURS APPRENTISSAGESFrançois Taddei, ÉVOLUTION © DRDirecteurdu Centre de recherches Il est donc temps de créer des écosystèmes adaptés et évolutifs. Évidem-interdisciplinaires, Paris ment, rien ne se modifie, ne se transforme, et n’évolue aisément. Néanmoins, loin de tout discours défaitiste, l’optimisme doit être l’arme idéale. D’uneN°133 Décembre 2016 part, par certaines initiatives de professeurs, impliquant leurs étudiants dans l’élaboration de programmes mieux adaptés à leur demande. D’autre part, par le gouvernement actuel qui marque sa volonté de réfléchir à la société apprenante de demain afin d’inverser cette logique de penser pour l’étudiant. Car ce dernier a le droit de s’interroger sur sa manière d’apprendre, sur la façon dont le message lui est transmis, et sur ses attentes en terme de for- mation. Face à ce constat, de quelle manière peut-il se faire entendre ? Par les associations d’étudiants qui formulent de l’innovation et demandent une présence dans les comités d’évaluation pédagogique afin de faire évoluer les méthodes à la racine. Des propositions peuvent alors être élaborées avec eux - comme celles reposant par exemple sur l’usage des technologies - afin que l’apprenant puisse bénéficier d’un parcours personnalisé et adapté au projet de vie et au projet professionnel de l'étudiant. Pour y parvenir, innovons intelligemment ensemble étudiants, professeurs, chercheurs. Donnons les moyens d’un vrai service de recherche et développe- ment pour la société apprenante, l'éducation comme la santé se doit d'inves- tir dans sa capacité à innover. Imaginons une entreprise qui n’aurait pas un service de R&D performant, comment ferait-elle pour rebondir, se développer, grandir ? L’enseignement supérieur, et l’éducation en général, est dans la même situation, mais le comprend encore mal. Dès lors, les conséquences sont regrettables pour l’apprenant, et le sachant… et se ressentent sur le long terme. Pourtant, on pourrait élaborer ensemble des projets de recherche par- ticipative sur l'avenir de l'université et son rôle dans la société apprenante afin de mobiliser l'intelligence collective au service des grands défis pla- nétaires recensés par les Nations unies qui ont tous une déclinaison locale impactant notre quotidien. Acteurs de l’économie - La Tribune 23
Entreprendre RUBRIQUE DE NOMEURONEWS SE DÉCHAÎNE - EUAu pied du mur, Euronews cherche une porte de sortie. En di culté financière, lancée dansune course contre la montre, la chaîne de télévision européenne d’information internationaleen continu doit impérativement transformer son modèle sous peine, sinon, d’extinction. La prisede participation majoritaire au capital par l’homme d’a aires égyptien Naguib Sawiris, en 2015– à l’issue d’un opaque montage dans les paradis fiscaux que révèle Acteurs de l’économie -La Tribune –, le plan stratégique, baptisé Next, qui dès 2017 doit bouleverser en profondeur cultureet emploi, enfin l’alliance éditoriale et capitalistique annoncée avec NBC News, peuvent-ils augurerdes jours meilleurs ?ENQUÊTE, ROMAIN CHARBONNIER, DENIS LAFAYPHOTOGRAPHIES, LAURENT CERINO / ADE24 Acteurs de l’économie - La Tribune N°133 Décembre 2016
RUBRIQUE DE NOM EntreprendreURONEWS SE DÉCHAÎNE - EURO« C’est le coup siège de la télévision, installé depuis un grand retour de la chaîne parmi les poidsde ma vie ! » an à la Confluence, à Lyon. Entrée au sein lourds des médias d’information interna-Michael Peters du groupe audiovisuel britannique en tionale et surtout d’être « la référence enl’a rme 1998, elle s’occupait depuis trois ans des Europe sur l’information européenne ». Etfièrement. revenus publicitaires et des partenariats pour convaincre cette anglaise de quit- de la chaîne internationale et d’internet, ter Londres pour Lyon, il a créé le posteAprès plus d’« un an et demi » de négo- filiale internationale de la BBC. Un poste de directrice commerciale, responsableciations et « deux refus », le PDG d’Eu- clé et stratégique pour le développement de l’ensemble des plateformes du grouperonews aura réussi à convaincre Carolyn du média. Elle était à la tête d’une équipe Euronews. « Notre objectif est de vendreGibson, responsable de la publicité de de « 200 personnes et d’un portefeuille de cher notre audience digitale, ce que jusqu’àBBC World Wide, de rejoindre la chaîne 150 millions de livres (170 millions d’euros, présent, nous n’avions pu faire par manqueeuropéenne d’information en continu. NDLR). Ici, ce sera 30 personnes », détaille d’expertise. Puis de développer les recettesArrivée le 7 novembre, elle a pris ses Michael Peters, heureux d’avoir réussi à télévisuelles grâce à l’image de marque quefonctions dans son nouveau bureau du débaucher celle qu’il surnomme la « Leo nous voulons obtenir. » La mission de Messi » de la publicité, une pointure dans Carolyn Gibson sera donc de « réorgani-N°133 Décembre 2016 le domaine des médias. ser l’ensemble de notre approche commer- Cette signature prouve les ambitions ciale avec la rédaction notamment ». Dans du dirigeant lyonnais de permettre le un contexte concurrentiel fort, tant sur Acteurs de l’économie - La Tribune 25
Entreprendre EURONEWSinternet qu’en diffusion satellitaire, dans d’euros, et les effectifs plusieurs milliers. Un modèle « low cost » disposant d’unun marché publicitaire paneuropéen « en Ces groupes, cependant, connaissent eux budget annuel de 60 millions d’euros,recul de 15 % » et avec de nouveaux modes aussi des difficultés, obligés de procéder composé (avant l’arrivée du milliardairede consommation de l’information, le à leur tour à des coupes drastiques dans égyptien au capital en juin 2015) à 60 %challenge s’annonce donc « ambitieux », les emplois afin de compenser des pertes par la publicité, 25 % par la Commissionmais crucial pour Euronews qui doit abyssales, devant réfléchir à des modèles européenne et 15 % par les 21 télévisionssortir du rouge et à nouveau être bénéfi- innovants, en quête de ressources finan- publiques nationales qui composent sonciaire (son revenu d’exploitation s’élevait cières supplémentaires. actionnariat.à 73,5 millions d’euros en 2015, contre Si elle ne joue pas dans la même cour, ne De plus, elle souffre surtout d’un défi-75,6 un an plus tôt). En 2014, ses pertes dispose ni du même soutien ni de la même cit de notoriété face à ses grandes sœurs,s’élevaient à 10 millions d’euros, un an puissance de marque, Euronews n’a pas à l’objectif étant désormais clairementplus tard à 7,7 millions – conséquence, rougir de son statut. Elle est reçue dans affiché : « Nous voulons redevenir les pre-entre autres, du désengagement pour 426 millions de foyers répartis dans 158 miers et faire de la chaîne le média référentplus de 11 millions d’euros de la télévi- pays. Et se trouve être la première chaîne en matière d’information européenne »,sion publique ukrainienne NTU – alors dans la zone EMEA (Europe-Moyen annonce Michael Peters, conscient dequ’elle avait toujours dégagé un résultat Orient-Afrique), avec 299 millions de cette problématique depuis sa prise denet positif auparavant. foyers la recevant, devant France 24 (251 fonction à la présidence du directoireCarolyn Gibson s’est donc mise au tra- millions), CNN International (189) et en 2011. Il entend donc travailler sur unvail dès son arrivée, mais bénéficiera d’un BBC World News (151), selon les mesures point fondamental : développer l’imagebudget beaucoup plus réduit que celui d’audience de comScore. Son président du média. Pour y parvenir, celui quialloué par BBC World Wide. « Elle croit revendique être la « première chaîne d’in- est entré à Euronews comme directeurau projet et est consciente des enjeux », pré- formation en Europe » avec 3,9 millions de financier en 1998 s’emploie, depuis cinqfère souligner le président comme pour se téléspectateurs quotidiens, néanmoins en ans, à revoir la stratégie, quitte à remettrerassurer que sa recrue sera celle qui fera baisse depuis 2012. Mais au-delà de ces en cause la culture de l’entreprise « afinredécoller le groupe. L’enjeu est tel qu’une données flatteuses, Euronews doit réin- d’éviter la fermeture ou la réduction degrande partie de l’avenir d’Euronews venter son modèle qui ne fait plus recette. 30 % des effectifs, ce que les actionnairesrepose sur ses épaules. « Nous n’avons pasde plan B », prévient Michael Peters. La « Pour mettre en place N°133 Décembre 2016chaîne d’information européenne est en Next, je suis obligé deeffet parvenue à un moment critique de faire des économies,son existence. En coulisse, observateurs, c’est mathématique.salariés et proches du dossier s’inter- À mes actionnaires,rogent sur son avenir, sur sa place et son je dois montrer lesparticularisme. « Que veut-on en faire ? » ; efforts consentis,« Est-ce encore une chaîne de télévision euro- sinon ils perdraientpéenne ? » ; « Quid de sa mission d’intérêt confiance en moi. »général d’information européenne ? » ; « Que Michael Peters,veut-on dire aux téléspectateurs ? » Un tech- président du directoirenicien avance : « Peu à peu, notre identité d’Euronews.s’est délitée et nous la cherchons désormais. »MODÈLE « LOW COST »Créée en 1992 et lancée le 1er janvier1993, Euronews se trouve dans uneimpasse. Conséquence de la crise queconnaît le secteur depuis 2011 et qui lafragilise, changer de cap est impératif sielle veut demeurer dans le top trois deschaînes d’information internationale.Loin devant, BBC World News (dont lebudget annuel serait de l’ordre de 400millions d’euros) et CNN International(impossible de connaître son budget quiserait encore plus élevé) trustent tou-jours le haut du classement, bénéficiantd’une image (très) puissante, internatio-nalement reconnue, résultat d’une stra-tégie gagnante reposant sur des formatsd’émissions et des contenus éditoriauxidentifiés, mais surtout de l’aura de leurschaînes mères, la BBC au Royaume-Uniet CNN aux États-Unis. Des « titans »audiovisuels confortablement installésdepuis des décennies, dont les chiffresd’affaires respectifs dépassent le milliard26 Acteurs de l’économie - La Tribune
EURONEWS Entreprendrepublics pensent encore », avance-t-il. Il de « Euronews-NBC » ou « NBC-Eu- INTROSPECTIONprend l’option de recourir à des fonds ronews ». Une vitrine à l’international. Derrière l’ambition de redresser la barreprivés puisque les chaînes publiques Pour cela, Euronews devrait s’associer du groupe et de transformer radicalementn’investiront plus, pire, réduiront leur avec un poids lourd de l’information : l’entreprise, le plan Next doit répondreparticipation. Il élabore plusieurs plans NBC News, intéressée de son côté par à des problématiques qui étouffent lastratégiques, validés en interne et ouvre le le marché européen. La chaîne euro- chaîne depuis sa création. Euronewscapital de la chaîne à Naguib Sawiris en péenne bénéficiera ainsi de la force de sa est en quête d’une identité, d’une image2015 – qui en prendra la majorité à 53 % consœur américaine et de ses moyens. de marque qui lui fait défaut pour seen injectant 35 millions d’euros (30 mil- Si l’opération est conclue, NBC devien- considérer comme un grand média,lions nets au final) – afin de lui donner dra alors le second actionnaire privé de comme ces deux rivaux CNN Interna-les moyens de ses ambitions et de finan- la chaîne, avec une prise de participa- tional et BBC World News et ce dontcer le dernier plan stratégique baptisé tion comprise entre « 15 et 30 % ». Les 21 Michael Peters ainsi que les salariés sontNext. Celui-ci implique de restructurer groupes audiovisuels publics européens conscients. « Euronews a la force de sesEuronews et de préparer son avenir, dans et du bassin méditerranéen actionnaires faiblesses, analyse Laurent Colombani,des conditions budgétaires contraintes et ainsi que les trois collectivités territo- associé en charge du pôle compétencesun climat social tendu. riales – pour l’heure, à 47 % de la chaîne médias et divertissement chez Bain & –, verront quant à eux leur participation Company. Elle est multilingue et multicul-PSE diminuer drastiquement. Et leur rôle se turelle, ce qui en fait sa particularité, maisEuronews au pied du mur, son pré- résumerait à « veiller à contrôler la mission l’empêche de profiter de ses attributs desident a donc élaboré le plan de la der- d’intérêt général d’Euronews », justifie une marque. » Euronews est un média qui senière chance, qu’il présente comme étant source interne. questionne sur son rôle et sur son avenirla meilleure solution pour permettre la Ce nouveau média révolutionnera la dans le paysage des chaînes d’informa-pérennité du groupe, mais une stratégie marque de fabrique d’Euronews avec tion internationale en continu. Un médiaqui implique tout de même un plan de plateaux, présentateurs, talk et rendez- qui tente de retrouver une nouvelle jeu-sauvegarde de l’emploi, impactant 34 vous réguliers, tout en conservant son nesse, après 23 ans d’antenne et peu deemplois (dont la moitié d’Ukrainiens qui multiculturalisme. De plus, la chaîne changements dans la forme. Un médian’entrent pas dans le plan Next, précise la compte s’adresser plus précisément à ses qui recherche désormais la notoriété pardirection) sur les 395 en contrat à durée audiences en proposant une offre « glo- plus d’incarnation de son antenne et parindéterminée que compte la chaîne (800 cale », autrement dit, la diffusion d’infor- des exclusivités. « La notoriété de la chaîneau total avec les CDD, intermittents et mation internationale « à travers ce prisme est liée à son positionnement. Aujourd’hui,pigistes). « Pour mettre en place Next, je suis européen », mais personnalisée pour une Euronews constitue une chaîne d’informa-obligé de faire des économies, c’est mathé- audience linguistique donnée. « C’est tion à flux qui relaie avant tout de l’infor-matique. À mes actionnaires, je dois mon- un progrès que tout le monde reconnaît », mation, mais sans positionnement marquétrer les efforts consentis, sinon ils perdraient déclare un journaliste. Un vrai boule- ni incarné », décrypte Sarah Perez, seniorconfiance en moi. » Le plan Next doit versement pour la chaîne qui a toujours manager, spécialisée télécoms et médiaspermettre une économie de six millions eu cette particularité de ne diffuser que au sein du cabinet Wavestone.d’euros sur cinq ans, dont 1,5 est dû à la des images vidéo provenant d’agencesréduction de la masse salariale. « Malheu- de presse, montées par les techniciens, FÊTE FASTUEUSEreusement, nous sommes la variable d’ajuste- puis commentées par les 12 équipes de La crise que traverse Euronews est sansment », critique un syndicaliste préférant journalistes étrangers dans l’une des 12 doute la plus grande depuis sa créa-garder l’anonymat (comme toutes les per- langues qu’elle propose (arabe, anglais, tion. Elle prend même racine bien avantsonnes interrogées). De quoi cristalliser français, allemand, grec, hongrois, ita- 2011, lorsque les groupes d’audiovisuelles tensions en interne depuis quelques lien, perse, portugais, russe, espagnol et publics, contraints à des baisses budgé-mois au point que plusieurs assemblées turque). Une caractéristique qui a fait sa taires, ont souhaité réduire leur parti-générales de personnel ont été tenues renommée, mais s’est révélée un défaut cipation, voire ne plus injecter d’argentrégulièrement dans le réfectoire de avec les années. L’idée est « de faire du frais pour soutenir les développementsla chaîne et qu’une menace de vote de contenu qui aura plus de sens par rapport de l’entreprise dans un contexte écono-défiance envers la direction a un temps à nos différentes audiences ». Six millions mique contrasté. La situation s’est doncété évoquée, mais finalement abandon- d’euros par an seront donc alloués pour avérée très rapidement compliquée pournée. « Si, comme à iTélé, nous la votions, mener à bien le projet. la chaîne. Pourtant cette crise est loin demais que la direction ne bougeait pas, qu’au- Le volet digital sera aussi fortement déve- l’image qu’elle a pu renvoyer ces deuxrions-nous fait ? », lance un salarié. loppé, avec la production de contenu dernières années avec le déménagement spécifique afin qu’Euronews puisse être de son site d’origine à Écully, à quelquesGRANDS BOULEVERSEMENTS plus réactive et toucher une plus large kilomètres de Lyon, pour un bâtimentBénéficiant du soutien des groupes audio- audience. Elle souhaite ainsi la doubler flambant neuf, dans le quartier de lavisuels publics actionnaires de la chaîne d’ici cinq ans et atteindre le niveau du Confluence à Lyon. Un immense cubeet de Naguib Sawiris, Michael Peters ira site de CNN International, qui affiche 30 vert, pensé par le cabinet d’architectesjusqu’au bout et devrait donc appliquer le millions de visiteurs uniques par mois. Jakob & MacFarlane, dont le coût avoi-plan avec les conséquences qu’il induit. De cet ensemble découlera ensuite la stra- sine les 30 millions d’euros. Bien que ceDans le détail, Next vise à faire évoluer tégie commerciale, entièrement revue, projet ait été pensé avant le plan Nexttrois volets fondamentaux : l’éditorial, le avec cette volonté de développer active- et le PSE, mais également avant l’arri-commercial et le digital. ment les revenus publicitaires (dont le vée du milliardaire égyptien, un syndi-L’éditorial d’abord, avec la création montant actuel n’est pas communiqué) caliste fait le rapprochement : « On end’une chaîne tout en anglais, dont le en les multipliant par deux, tant sur les paye le prix aujourd’hui. » À cela s’ajoutenom pourrait prendre la dénomination plateformes numériques qu’à l’antenne. une « fête fastueuse » d’inauguration, enN°133 Décembre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 27
Entreprendre EURONEWSoctobre dernier, qui aurait coûté jusqu’à et membre du conseil de surveillance, extraordinaire relative au changement700 000 euros, selon certaines sources. est de son côté catégorique : « L’intention de capital. Parmi eux, un comité édito-Une soirée qui, un an après, laisse un est de développer Euronews en une chaîne rial indépendant a été installé, afin degoût amer. d’information européenne, la première avec permettre à la chaîne de conserver sonReconnaissant les difficultés de mettre ce focus, dans le respect complet des valeurs indépendance éditoriale et sa mission deen place un tel plan stratégique et l’im- de service public. Soit l’équilibre des infor- service d’intérêt général européen.pact qu’il peut avoir sur les salariés et la mations et des points de vue, le souci d’ex- Avec cette transformation de culture d’en-vie de l’entreprise, Michael Peters assure plication et de décodage et l’exhaustivité treprise, une nouvelle page s’écrit pourrencontrer l’ensemble des équipes afin thématique. La présence d’actionnaires pri- la chaîne, un « pari » ambitieux, maisd’apporter des réponses à leurs inquié- vés dans le capital ne pose aucun problème nécessaire, comme le soutient Chris Van-tudes. Un véritable coup de poker pour de principe dans la mesure où ils s’engagent dervinne, directeur financier de la RTBFl’enfant d’Euronews, qui pourrait jouer à respecter ces valeurs et que les processus (groupe audiovisuel belge, actionnaire delà son avenir à la tête de la chaîne. et chartes de la chaîne le garantissent. » la chaîne avec moins de 1 %) : « Avant l’ar- Du côté de la Commission européenne, rivée de l’actionnaire privé, Euronews avaitGARDE-FOUS qui commande chaque année pour plus une vision très « service public ». DésormaisEuronews entend donc convaincre télés- de 20 millions d’euros de programmes, elle la combine, dans une grande complé-pectateurs, annonceurs et décideurs poli- mais assure ne pas s’immiscer dans le mentarité, avec l’aspect commercial. Et ce quitiques que son rôle de média européen, contenu éditorial, les évolutions ont fait fera son succès sera aussi de conserver cetinformant sur l’actualité européenne, débat. Et pour apaiser les tensions, des aspect différenciant. Cet équilibre est main-reste bien sa singularité. Une singula- « garde-fous » ont été mis en place le 19 tenu depuis un an. Restons vigilants pourrité qu’il s’agit dorénavant de porter dif- juin 2015, lors de l’assemblée générale l’avenir. » RCféremment. « Les pionniers d’Euronewsétaient des passionnés, défenseurs ardents Le nouveau siège :du projet européen », évoque, nostalgique, un coût deune source interne. D’aucuns prient pour 30 millions d’eurosqu’Euronews, créée par des groupes et une inaugurationaudiovisuels publics avec une mission estimée àd’intérêt général, conserve cette dimen- 700 000 euros,sion et qu’elle ne soit pas bafouée par le les dents grincent.plan Next et les évolutions au capital.Avec l’arrivée probable de NBC News etla dilution de l’actionnariat public, l’am-bition originelle de la chaîne sera-t-ellesauvegardée ?À l’image du « No comment », son pro-gramme phare qui décrypte l’actualitéen image et sans commentaire, chez lamajorité des salariés, le silence est d’or.Très peu osent commenter les déci-sions prises et celles à venir par peur deperdre une place plutôt confortable pourl’ensemble. Les rares interrogés recon-naissent qu’un changement doit êtreopéré par la chaîne, mais reprochent ous’inquiètent que la mission de serviced’intérêt général ne soit pas conservée.« Cette télévision a été abandonnée à elle-même, s’exprime, défaitiste, l’un d’eux.On en oublie notre mission de service publiccar les partenaires publics nous ont quittés.La chaîne est peu à peu démembrée. » Enécho à Michael Peters, Gilles Marchand,directeur de la Radio Télévision Suisse28 Acteurs de l’économie - La Tribune ROUTAGE COURRIER IMPRESSION NUMERIQUE 250, rue du Général de Gaulle - 69530 Brignais Tél. 04 78 61 07 94 - E-mail : y.esco [email protected] N°133 Décembre 2016
EURONEWS EntreprendreEURONEWS FAIT VOYAGER AU LUXEMBOURG,AUX ILES CAÏMAN, À JERSEY…Selon nos informations, la société Media Globe Networks SA de l’Égyptien Naguib Sawiris propriétaired’Euronews constitue le bras armé « visible » d’un montage capitalistique opaque, qui a pour abris les IlesCaïman et Jersey. Dans un contexte de chasse aux paradis fiscaux, une chaine de télévision européenneréunissant 24 actionnaires « publics » peut-elle se le permettre ?Quelle est cette société Media Globe Mais, nettement plus étrange, d’après nos directement ou indirectement, la part du capi- Networks SA propriétaire depuis documents, MGN est propriété à 100 % de la tal détenue par des étrangers à plus de 20 % l’été 2015 de 53 % du capital d’Eu- société Marchmont LTD, elle-même propriété du capital social ou des droits de vote dans les ronews à l’issue d’une augmen- à 100 % de la société February Private Trust assemblées générales d'une société titulaire tation de capital réservée de 35 Company Limited. Un montage qui a priori d'une autorisation relative à un service de millions d’euros (émission de 303 178 actions ne présente pas d’incongruité, sauf à investi- radio ou de télévision (…) assuré en langue d’une valeur nominale de 15 euros assortie guer l’identité des sociétés. Or la première est française. Est considérée comme personne de d’une prime de 100,44 euros) ? « Détenue et immatriculée aux Iles Caïman, et la seconde nationalité étrangère, pour l'application du pré- contrôlée par la famille Sawiris », annonce à Jersey… Aucune information sur la com- sent article, toute personne physique de natio- le communiqué de presse du 9 juillet 2015 position capitalistique, l’activité, les résultats nalité étrangère, toute société dont la majorité et confirme Michael Peters. Mais en sait-on de ces deux entités n’est bien sûr disponible. du capital social n'est pas détenue, directement davantage ? « Non », indique le président Dans le contexte de chasse aux paradis fis- ou indirectement, par des personnes physiques du directoire qui, poussé dans ses retran- caux, d’assainissement et de « moralisation » ou morales de nationalité française et toute chements, évoque pour tutelle une certaine de l’économie financière, une telle opacité association dont les dirigeants sont de nationa- fondation World media group hébergée aux concernant une société de production d’in- lité étrangère. » Une loi « opportunément » Pays-Bas. Immatriculée au Luxembourg, formations au capital de laquelle participent restreinte « aux seules sociétés de radio et Media Globe Networks (MGN) « créée spé- des médias publics, est-elle tolérable ? « Les de télévision émettant par voie hertzienne cifiquement pour reprendre Euronews » selon 24 chaînes publiques et collectivités territoriales terrestre », selon Michael Peters « à l’issue Michael Peters et le Conseil Supérieur de ont forcément été vigilantes, se défend Michael d’un amendement que j’ai fait déposer par l’Audiovisuel (CSA), est exonérée de toute Peters affirmant ne rien connaître dudit mon- l’ancien député lyonnais et rapporteur Emma- communication sur la composition exacte tage, mais « « s’étonnant que l’on s’étonne » qu’un nuel Hamelin au dessein de protéger l’intérêt de son capital, grâce à son statut, explicite milliardaire pratique l’optimisation fiscale ». d’Euronews. » Une distorsion de traitement un interlocuteur du Registre domestique du Quant au CSA, l’embarras et la fébrilité y sont qui peut étonner une fois rapportée à la commerce et des sociétés. « Nous ne nous perceptibles. motivation officielle, compréhensible, de sommes pas interrogés au-delà de l’étage supé- Au sein de l’instance de régulation, qu’il soit protéger ce secteur stratégique et sensible rieur, c’est-à-dire de la holding de la holding », se chargé de mission ou dirigeant, l’interlocu- d’investisseurs douteux. Est-il « normal » défend Michael Peters. Personne, d’ailleurs, teur n’accepte de répondre aux questions que les sociétés de télévision émettant via ne s’en est préoccupé, si l’on en juge les men- qu’en « off » – et après moult tentatives. le câble et le satellite soient affranchies tions, erronées, recueillies au CSA, affirmant Pêle-mêle, « on » assure « découvrir » l’in- des contraintes capitalistiques imposées à que, sur la base des éléments dont il dispose, formation et n’être pas tenu de l’avoir inves- leurs consoeurs « hertziennes » ? « Oui, à « la totalité dudit capital est détenue par Mon- tiguée préalablement. « On » reconnaît par l’aune des contraintes techniques propres aux sieur Naguib Sawiris. » Et pourtant… ailleurs la pleine légitimité du questionne- premières. Mais non, sur un plan éthique », Selon nos informations, le board de MGN ment, mais « on » élude toute responsabilité tranche Emmanuel Hamelin lui-même. Et réunit outre Naguib Sawiris : François Bour- – quand bien même le régulateur n’est pas surtout, comme c’est le cas d’Euronews, gon, Wafaa Sayed Latif Mobarak, KPMG exempt d’être « aussi » une autorité morale. lorsqu’elles bénéficient d’accords leur per- Luxembourg, et Fabio Ceccarelli – égale- Et « on » invite à interroger alors les chaînes mettant de diffuser sur le canal hertzien ment président de Compagnie minière Or publiques, France Télévisions en tête – qui des chaînes publiques participant à leur Cominor, basée à Paris et qui a pour parti- détient 10,73 % du capital, et qui esquive les capital ? Ce cas de figure peut-il sommer cularisme d’avoir produit en 2015 un résul- sollicitations d’entretiens. Les balbutiements de réinterpréter la situation capitalistique tat net de 75,5 millions d’euros, treize fois succèdent aux dérobades, et le malaise est d’Euronews détenue à 53 % par une famille supérieur… au chiffre d’affaires (5,8 millions palpable. égyptienne – et qui a conduit le 6 janvier d’euros, lui-même inférieur au résultat d’ex- 2016 à abroger l’autorisation d’Euronews ploitation, négatif de 8,1 millions d’euros). EMBARRASSANT ARTICLE 40 radio d’émettre sur la RNT ? Là encore, Aucune donnée comptable sur MGN n’est Autre sujet d’interrogation : la compatibi- l’embarras est explicite au sein du CSA, où publiée, et le capital social de 2 millions d’eu- lité du nouvel actionnaire avec la loi dite l’un des interlocuteurs invités à commenter ros est associé à un objet sibyllin – « prise Léotard du 30 septembre 1986 relative à cette singularité répond par un silence puis de participation et détention directe ou indi- la liberté de communication, modifiée le quelques observations et allusions lourds recte sous n’importe quelle forme dans toutes 5 mars 2007 dans le cadre de loi sur l’au- de significations. DL entreprises luxembourgeoises et/ou étran- diovisuel du futur. « (…) Aucune personne M. Sawiris n’a pas répondu à nos questions gères, ainsi que l’administration, la gestion de nationalité étrangère ne peut procéder sur ces points. et la mise en valeur de ces participations. » à une acquisition ayant pour effet de porter,N°133 Décembre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 29
Entreprendre EURONEWS © Stéphane Audras / RéaNAGUIB SAWIRIS,le miracle égyptien ?Le milliardaire égyptien Naguib Sawiris est le nouvel homme fort d’Euronews depuis sa prise« Qde participation majoritaire au capital de la chaîne. Mais que cache l’incursion de cet actionnaire « idéal et rêvé » dans le média européen ? Le mystère reste entier.ue souhaite faire Naguib Sawiris d’Eu-connaître ses motivations, il faut remon- ronews ? » C’est en substance l’une ter à l’origine de son arrivée. Jusqu’en des questions que se posent nombre 2011, dans un contexte économique qui de personnes qui gravitent autour ou s’annoncera compliqué et déjà concur- évoluent à l’intérieur de la chaîne d’in- rentiel, Euronews est encore profitable formation internationale en continu. mais connaîtra un essoufflement. Elle se Pouvoir ? Image ? Puissance ? Pour- doit alors de faire évoluer son modèle. quoi ce richissime homme d’affaires « Nous avions trouvé le bon filon en ven- (classé troisième fortune d’Égypte avec dant des langues. Nous avions des résultats un patrimoine estimé à trois milliards financiers intéressants, mais pendant ce de dollars) ayant développé la branche temps-là, nous n’avons pas investi dans notre télécommunication du groupe familial cœur de métier. Et donc tous ces contrats, en Orascom, s’est-il intéressé à la chaîne raison de leur nature étatique, étaient sou- européenne ? Pour tenter d’y répondre et mis à des aléas autres que de performances30 Acteurs de l’économie - La Tribune N°133 Décembre 2016
EURONEWS Entreprendreéconomiques. Quand tout allait bien, c'était le privé et non plus par le public », défend européenne, inquiète de ce choix. L’unparfait, mais dès qu’il y avait des problèmes, le quadragénaire qui a fait toute sa car- des plus gros financeurs de la chaîne,ils pouvaient être remis en cause pour des rière au sein de la chaîne. Néanmoins, puisqu’elle lui commande pour plus deraisons politiques », souligne Michael l’incursion d’un investisseur privé dans 20 millions d’euros en moyenne de pro-Peters, devenu président du directoire une chaîne d’information créée à l’ini- grammes chaque année (24,4 millionscette même année, avec l’ambition qui tiative de l’Union européenne de radio- d’euros en 2015, 25,5 en 2014). « La pre-l’anime depuis le départ : « développer la télévision (UER), dans le but à l’époque mière réunion a été très tendue. J’ai dû leschaîne vers un modèle privé ». Anticipant de contrer l’hégémonie de CCN Inter- convaincre que je ramenais un actionnairealors l’avenir, il élabore un premier plan national sur le continent, passe difficile- privé, majoritaire, non européen et arabe,stratégique en avril 2012. ment chez certains membres fondateurs se souvient-il. De toute façon, je n’avais pasMais malgré le soutien, depuis la créa- et salariés estimant que « d’autres solu- le choix. »tion d’Euronews, de l’actionnariat tions, notamment étatiques, auraient pu êtrepublic, composé de 21 chaînes de télévi- privilégiées » afin de « conserver notre mis- UNE BONNE AFFAIREsion européennes et du bassin méditerra- sion d’intérêt général », et regrettant que Le 19 juin 2015, Naguib Sawiris, via sanéen à l’époque, ces dernières n’ont plus « les chaînes européennes ne jouent plus le holding familiale Media Globe Networks,les moyens de suivre, contraintes, elles jeu ». Pour Laurent Colombani, associé entre donc au capital de la chaîne, enaussi, à des réductions budgétaires dans en charge du pôle compétences médias prenant une participation de 53 %, soitleur pays. Des chaînes qui lui demandent et divertissement chez Bain & Company, 35 millions d’euros (qui s’affiche en netde tenir compte du contexte économique ce rapprochement avec le privé fait pour- à 30 millions). Le reste, 47 %, se répar-et d’analyser un plan de restructuration. tant « sens » : « L’information quotidienne, tit entre les groupes audiovisuels publicsMichael Peters arrive ainsi, au début de et surtout internationale, coûte cher. La historiques – dont les majoritaires :l’année 2013 avec une nouvelle feuille collaboration entre privé et public se révèle France Télévisions, la Rai (Italie), la TRTde route baptisée « Euronews demain », donc intéressante. » (Turquie), la SNRT (Maroc), RTR (Russie)de 150 pages, avec deux alternatives : Gilles Marchand, directeur de la Radio et la SSR (Suisse) –, qui font partie dule statu quo ou le changement. Et de Télévision Suisse et membre du conseil comité de surveillance, et des trois col-cette dernière option, il émet trois hypo- de surveillance d’Euronews, y voit un lectivités locales : la Métropole de Lyon,thèses : « La fermeture de la chaîne – qui intérêt : « Je ne pense pas que les action- le Département du Rhône et la Régions’est posée à l’époque et se pose toujours, naires publiques soient à eux seuls en mesure Auvergne Rhône-Alpes (mais avec seu-mais reste difficilement faisable, Euronews d’apporter les investissements nécessaires au lement 3 % du capital). Contrôlée désor-étant un dossier politique –, la réduction des développement de la chaîne. Tous les diffu- mais par un acteur privé – et d’ici à lacoûts de manière drastique – soutenue par seurs sont aujourd’hui sous pression et peu fin de l’année par un second, NBC Newsles actionnaires –, ou le développement. » adoptent une logique de diversification. C’est devant entrer au capital à hauteur deDans ces conditions et sachant que les pourquoi le recours à des actionnaires privés « 15 à 30 % » –, Euronews dispose doncactionnaires ne suivront pas, Michael est utile, étant entendu qu’ils comprennent des moyens pour combler les dettes etPeters veut émanciper financièrement et accompagnent Euronews, en conservant développer le nouveau plan stratégiqueEuronews pour assurer son dévelop- son ADN. » en phase avec le contexte, baptisé Next.pement et prévenir de la crise qui Avec Naguib Sawiris, « nous nous sommess’annonce. Il établit un nouveau plan « JE L’AI SU TOUT DE SUITE » dotés de l’actionnaire idéal et rêvé », sou-stratégique « All views », qu’il présente Présenté par la banque Lazard, man- tient Michael Peters assurant que ce der-aux actionnaires – et valident – ainsi datée pour l’occasion, Naguib Sawiris nier « n’intervient pas du tout dans la lignequ’à l’ensemble de l’entreprise en 2014. rencontre Michael Peters en 2014. Et de éditoriale et respecte ma volonté de dévelop-Avec une ligne de conduite claire : « Quoi ce premier rendez-vous, ce dernier res- pement. Je sais ce que je fais. Cela fait 19qu’il arrive et quel que soit l’actionnaire, sort persuadé d’avoir trouvé le sauveur ans que je suis ici, et je ne vendrai jamaisEuronews doit respecter sa mission d’infor- d’Euronews. « Je l’ai tout de suite su, se l’âme d’Euronews », assure-t-il.mer, d’éduquer les téléspectateurs, de les souvient-il, élogieux lorsqu’il évoque Mais quel est l’intérêt du milliardaire ?enrichir avec une information qui doit rele- la personnalité de l’Égyptien. C’est un Une question qui alimente toutes lesver de l’intérêt général avec la diversité des homme qui mène un combat politique. C’est spéculations. « Il considère Euronewspoints de vue européens », précise Michael un homme du monde, engagé, qui a un pro- d’abord comme un bon média, qui a du cré-Peters. fond attachement à l’Europe. » En coulisse, dit », répond son fidèle défenseur. Mais il un autre nom circule, celui de Patrick pourrait aussi s’agir d’une affaire rentableINDÉPENDANCE COMMERCIALE Drahi, patron du groupe SFR, qui rachète pour l’homme d’affaires. Le patron deA présent, le pugnace président du direc- à l’époque plusieurs médias (Libération, la chaîne prenant l’exemple d’Eurosport,toire de la chaîne se met en recherche BFM TV, L’Express). Le magnat aurait été revendue l’an passé par TF1 pour 491d’un actionnaire qui devra respecter cet intéressé par ce rapprochement, mais millions d’euros à Discovery. « Il croitADN. Il annonce avoir eu trois possibili- son projet aurait pu menacer davan- potentiellement à la valeur qu’Euronewstés : « Faire appel à des fonds privés, à des tage les emplois et la singularité de la pourrait représenter. » Dans l’interviewpartenaires industriels, mais qui auraient chaîne. Une information non commen- qu’il a accordée à Acteurs de l’économie-Lapris Euronews pour servir leur propre inté- tée par l’intéressé, ni par Michael Peters Tribune (lire plus loin), Naguib Sawirisrêt et non pour la sauver. Et aux autres. » Et qui lâche néanmoins : « Naguib n’a pas le reconnaît : « L’intérêt dans cet investis-ce sont ces derniers qui composent une la même vision industrielle que Drahi. » Il sement, c’est le potentiel de la chaîne. Laliste d’une cinquantaine de noms, dont n’en dira pas plus. proposition m’intéressait à la seule conditioncelui de Naguib Sawiris, qui intéressent Michael Peters a fait son choix et pré- que j’obtienne une participation majoritairele patron. « Il fallait qu’Euronews soit plus sente le plan stratégique à l’Égyptien qui me permettant d'avoir un mot à dire surindépendante commercialement. Je crois accepte. Mais une étape essentielle doit l'aspect commercial et financier de l'entre-d’ailleurs que sa liberté éditoriale passe par encore être franchie : convaincre l’Union prise afin que je puisse utiliser mes capacitésN°133 Décembre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 31
Entreprendre EURONEWSArrivé en juin 2015 au capital d’Euronews, l’homme d’a aires © Zuma / RéaNaguib Sawiris donne sa vision sur la chaîne et parle de sonavenir.NAGUIB SAWIRIS« TRANSFORMER EURONEWSEN CHAÎNE RENTABLE »En juin 2015, vous deveniez et de proposer une nouvelle offre éditoriale nous ne parlons que de très peu de postes. actionnaire majoritaire d’Eu- qui révolutionnera la chaîne dès l’année Ce plan est notre dernière chance d’essayer ronews. Pour quelles raisons prochaine. de répondre aux besoins du marché. Si cela avez-vous accepté d’inves- ne fonctionne pas, nous devrons étudier un tir cette chaîne ? La démarche A sa création en 1992, les fondateurs véritable plan de licenciement, comme le interroge… d’Euronews avaient cette volonté de font pratiquement tous nos concurrents. Je Je ne cherchais pas à investir dans faire de la chaîne une télévision d’infor- suis un actionnaire cohérent et raisonnable, Euronews. Ce sont eux qui sont venus me mation européenne. Est-ce toujours le qui a accepté de prendre le risque de soute- solliciter. La proposition m’intéressait à la cas aujourd’hui ? Et demain ? nir ce plan difficile qui m’a été proposé. seule condition que j’obtienne une partici- Sa mission européenne représente clairement pation majoritaire me permettant d’avoir un son argument de vente unique et un ADN Allez-vous investir davantage dans la mot à dire sur l’aspect commercial et finan- auquel j’adhère entièrement. Euronews est le chaîne au-delà des 35 millions d’euros cier de l’entreprise afin que je puisse uti- reflet de l’Europe, un continent riche par sa injectés à votre arrivée ? Pourriez-vous liser mes capacités entrepreneuriales pour diversité, notamment culturelle et d’opinions. prendre la totalité de son contrôle ? développer la performance financière d’Eu- Grâce à son expertise développée depuis Ce n’est pas mon intention pour le moment. ronews. Ce qu’ils me proposaient. L’intérêt plus de 20 ans, je pense que la chaîne est Puis, il est trop tôt pour dire si j’investirai dans cet investissement, c’était le potentiel une bonne réponse dans un monde de plus davantage. Je dois d’abord voir les résultats de la chaîne. Je dois dire que je ne regar- en plus difficile à comprendre. Euronews est de l’investissement réalisé. dais pas régulièrement Euronews dans le donc plus que jamais un média européen, passé, aujourd’hui c’est l’inverse. Euronews veut devenir le plus influent et une référence Pourquoi avoir choisi d’installer Afri- est une chaîne d’information crédible, une sur les affaires européennes. canews au Congo-Brazzaville, pays qui marque forte, qui possède une audience éle- n’est pas réputé pour sa démocratie ? vée et une très bonne gestion, ce qui m’a Par vos di érentes sociétés, vous êtes Est-ce parce que l’État congolais a investi d’ailleurs impressionné. très présent en Afrique. Avec Euronews 30 millions d’euros dans ce projet ? est-ce un moyen de peser en Europe et Le lancement d’Africanews a été planifié Quel est votre projet avec cette chaîne auprès de l’Union européenne ? et signé avant mon arrivée. Je n’ai donc d’information européenne ? Ce n’est pas le cas. Je vois dans Euronews rien choisi. Les gens critiquent, mais Afri- Transformer Euronews en une chaîne ren- une bonne occasion de créer de la valeur, et canews propose une véritable information table d’ici quelques années. En créant de la ayant déjà des intérêts dans le secteur des indépendante sur l’Afrique, avec cette pers- valeur dans cet actif, comme je m’emploie à médias, cet investissement était cohérent. pective panafricaine. La rédaction travaille le faire, partout où j’investis. de manière totalement indépendante, sans Le projet Next se déploie dans un aucune ingérence de quiconque. Quelle mission avez-vous donnée à contexte compliqué puisque des emplois Michael Peters ? vont être supprimés alors qu’il n’en était Souhaitez-vous transposer le modèle Lorsque j’ai rencontré Michael Peters pour pas question il y a un an. Pourquoi cette d’Africanews à la future chaîne tout en la première fois, il m’a expliqué sa vision décision ? anglais d’Euronews, prévue dans le plan de l’avenir d’Euronews. Dans un contexte Nous sommes dans une industrie qui Next ? concurrentiel, il a fait le choix d’un plan connaît l’une des révolutions les plus impor- L’année prochaine, Euronews disposera de développement qui m’a convaincu. C’est tantes de son histoire. Euronews, comme d’une offre complètement différente de pourquoi j’ai investi dans le financement tous ses pairs, a besoin de se réinventer celle d’aujourd’hui. Bien sûr l’expérience d’Euronews Next approuvé par le conseil pour survivre. Dans ce contexte difficile, acquise avec Africanews, et dont les résul- de surveillance, soutenu à l’unanimité par Michael Peters a fait un choix ambitieux tats sont bons moins de six mois après tous les actionnaires, y compris moi-même, et clair : développer la chaîne plutôt que son lancement, peut être une source et par la Commission européenne. La mis- faire un plan de restructuration. Une déci- d’inspiration. RC sion principale de Michael Peters est donc sion que je soutiens. Mais si nous voulons d’implémenter Next avec une nouvelle nous réinventer, nous devons faire des ajus- M. Sawiris n’a pas répondu à nos questions vision de l’information mondiale et locale tements. Sauf pour l’équipe ukrainienne, portant sur NBC. 32 Acteurs de l’économie - La Tribune N°133 Décembre 2016
EURONEWS Entreprendreentrepreneuriales pour développer la per- public, pour l’installation de la chaîne « Je sais ce queformance financière d'Euronews. Je souhaite sur son territoire, avance une source. je fais. Cela faittransformer Euronews en une chaîne ren- 19 ans que je suistable d’ici quelques années. En créant de la NEUTRALITÉ ici, et je ne vendraivaleur dans cet actif, comme je m’emploie à Nombreux reconnaissent tout de même jamais l’âmele faire, partout où j’investis. » que l’arrivée de Naguib Sawiris a per- d’Euronews » mis de « sauver » Euronews, ses emploisAFRICANEWS et son cœur de métier, soit la diffusionD’autres avancent l’hypothèse que ce d’informations européennes. L’incur-média permettrait aussi au magnat égyp- sion d’un investisseur privé dans unetien, impliqué en politique, fondateur chaîne d’information, créée à l’initia-du Parti des égyptiens libres, de faire tive européenne, suscite néanmoinsprospérer ses affaires en Europe, comme des interrogations quant au respect delui permettent déjà de le faire ses deux l’indépendance éditoriale. « C'est un défichaînes de télévisions ONTV et ONTV d'amener Euronews à un plus haut niveau,Live en Égypte. « S’il adopte la même sans empiéter sur sa mentalité, ce qui estdémarche avec Euronews, il pourra bénéfi- très important pour moi. C'est ce qui confèrecier d’un moyen de pression sur les gouver- sa crédibilité à la chaîne. Elle est perçue trèsnements, comme il peut le faire en Afrique fortement comme une chaîne neutre, et rienavec Africanews (chaîne dont le dévelop- ne changera. Nous allons préserver une trèspement a été décidé avant son arrivée, bonne protection des contenus et il n'y auraNDLR) », remarque un ancien membre pas d'interférences avec les actionnaires »,fondateur d’Euronews, « inquiet » du avait assuré l’homme d’affaires danssort réservé à la chaîne européenne. une interview datant de 2015. DepuisAfricanews, filiale d’Euronews, basée un an, un comité éditorial a été mis enau Congo-Brazzaville et qui émet depuis place veillant au respect de la missionavril 2016 sur l’ensemble du continent d’intérêt général. Personne pour l’heureafricain, est une chaîne qui, « moralement n’a constaté l’immersion du milliardairepose problème » en interne à Lyon, mais dans l’éditorial. Mais « pour combienqui « donne du travail et une identité aux de temps encore ? », s’inquiète-t-on enAfricains ». L’État congolais aurait déblo- interne.qué la somme de « 30 millions d’euros », Alors Naguib Sawiris, miracle attendu oupar le biais de son groupe audiovisuel mirage égyptien ? RC Avec le plan Next, Euronews va créer une chaîne tout en anglais, Acteurs de l’économie - La Tribune 33 vitrine à l’international, avec présentateurs en plateaux, scoops et talk.N°133 Décembre 2016
Entreprendre GILLES CHABERT© Stéphane Lagoutte / Réa34 Acteurs de l’économie - La Tribune N°133 Décembre 2016
GILLES CHABERT EntreprendreGILLES CHABERTL'OMNIPOTENTIl a rme défendre « la » montagne au-delà de tout esprit partisan. Gilles Chabert, rocailleux patrondes Écoles de ski français (ESF) et tout puissant président du Syndicat national des moniteurs du skifrançais (SNMSF), a tissé un impressionnant réseau au sein des di érents organismes composantle secteur de la montagne en France, et auprès de nombreux élus de tous bords politiques. Sa toiles’est encore densifiée après sa prise de fonction de « Monsieur Montagne » à la région Auvergne« JRhône-Alpes. Un enchevêtrement d'intérêts qui pose question. ENQUÊTE, DIDIER BERT ouvre, dès cet hiver, un financement de e vous incite à titre personnel, en tant que dix millions d’euros aux stations sou- président du syndicat des moniteurs du haitant renforcer leur parc de canons à ski, à voter massivement, et sans hési- neige, et donc développer l’utilisation de ter, ce plan, si vous voulez vous régaler la neige artificielle. La façon de présenter cet hiver dans nos vallées en pensant son plan résume la place que Gilles Cha- que vous avez contribué à donner du bert occupe sur l’échiquier de la mon- bonheur aux pratiquants. » C’est par tagne : l’homme est au centre du jeu tant ces mots que le conseiller régional (Les dans ce milieu que celui de la politique. Il Républicains) Gilles Chabert a présenté sait le rappeler en soulignant ses respon- le 23 juin dernier, l’acte 1 du plan Mon- sabilités hors de l’assemblée régionale. tagne devant l’assemblée plénière de la région Auvergne Rhône-Alpes. L’élu PAS SI NOVICE inaugurait ses fonctions de président de Gilles Chabert a toujours été un homme la commission Montagne, en lien direct de la montagne. Natif de Villard-de-Lans, avec le président Laurent Wauquiez. Le dans le Vercors isérois, ce fils d’agricul- nouvel élu mettait ainsi en avant sa fonc- tion de président du Syndicat national teur a commencé une carrière de bûche- des moniteurs du ski français (SNMSF) ron avant de gravir tous les échelons à pour convaincre les élus régionaux de l’École de ski français (ESF) locale. En tous bords de soutenir sa délibération. 1994, il est élu à la présidence du SNMSF Voté par l’assemblée régionale, ce pre- qui, depuis son siège de Meylan (Isère), mier volet du plan Montagne de l’exécutif fédère les ESF et les moniteurs de ski quiN°133 Décembre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 35
Entreprendre GILLES CHABERT y travaillent. Sur la forme, cet homme aux allures de roc dénote au milieu des L’ESF, autres élus régionaux, souvent bien plus la puissance d’une multinationale habitués à manier le politiquement cor- rect, observe un élu régional. Pourtant, « L’ESF est un business, observe Jean-Yves Lapeyrère, directeur général de ce chasseur connaît bien la politique, lui France plein air, syndicat national de petites entreprises du secteur. Les ESF qui se targue de participer aux chasses sont des syndicats locaux qui fonctionnent comme des entreprises. Et le SNMSF présidentielles à Chambord ou encore est comparable à une multinationale. » Le chi re d’a aires des 250 écoles d’inviter à sa table nombre de parle- frôle les 300 millions d’euros annuellement, dont 1% est reversé au SNMSF. Les mentaires de tous bords. C’est ainsi qu’il moniteurs de ces écoles sont des travailleurs indépendants, inscrits comme défend d’ailleurs l’augmentation des frais tels auprès de l’Urssaf, qui n’encaisse donc pas de charges patronales, ni de la de représentation du SNMSF, lors d’un part de ces derniers ni de la part des ESF. Pourtant, les horaires des moniteurs congrès du syndicat, quand il souligne sont déterminés par chaque ESF qui récupère directement les paiements des avoir pris 40 kilos depuis sa nomina- clients. Un lien de subordination existe vraisemblablement puisqu’un moniteur tion à la présidence, il y a 22 ans. « Gilles peut être pénalisé en cas d’absence. « C’est un système hiérarchique qui ne dit Chabert est un type remarquable qui a une pas son nom », constate Jean-Yves Lapeyrère, comparant cette facilité à un connaissance des dossiers très importante, « système dérogatoire ». Une preuve de la puissance dont le SNMSF bénéficie témoigne Fabrice Pannekoucke, maire pour préserver sa position de leader, assure-t-il. de Moûtiers (Savoie) et vice-président Dans chaque ESF, un directeur, élu par les moniteurs, est chargé de gérer de la commission Montagne à la Région. l’école. Sa rémunération est déterminée par la moyenne de celles des moni- Il ne découvre pas le milieu politique, mais teurs les plus performants. Cette équation est dénoncée par les moniteurs d’habitude il est le chef. À la Région, ce n’est les plus âgés qui se sont vus imposer une réduction d’activité par le Pacte pas le cas, bien qu’il dispose d’une grande intergénérationnel du SNMSF. En 2012, le syndicat imposait aux moniteurs autonomie dans son action, et qu’il décide des ayant atteint l’âge légal de la retraite de diminuer leur activité. Dans les sta- orientations. » Gilles Chabert partage avec tions, cette mesure a soulevé un tollé auprès des sexagénaires. Ces derniers fierté sa principale œuvre qu’il a menée se retrouvaient derrière les moniteurs stagiaires dans le tour de rôle, explique avec le syndicat : être parvenu à préserver un moniteur en fin de carrière. L’intérêt de la réduction d’activité ? Augmenter les moniteurs d’ESF de la règlementation. les bénéfices des ESF, qui sont redistribués en fin d’année entre les di érents « Si nous voulons passer sous la corde pour moniteurs, accuse-t-il. faire du hors-piste, nous le pouvons », se Les faveurs de l’Assemblée nationale félicite-t-il, en rappelant qu’il intervient Lorsque des moniteurs ont protesté contre le Pacte intergénérationnel, le ton jusqu’à Bruxelles pour sauvegarder la est monté au sein de certaines écoles de ski. Finalement, le Pacte intergénéra- neige de toute interférence règlementaire. tionnel est rejeté par les tribunaux, qui le considèrent discriminatoire. L’a aire Il se félicite d’avoir obtenu une dérogation va jusqu’en Cour de cassation, sans succès pour le SNMSF. C’est alors l’As- au Traité de Rome pour empêcher des semblée nationale qui vient à son secours. Une loi est votée pour permettre la Européens non-français de venir ensei- réduction d’activité, telle que le souhaitait le syndicat professionnel. Baptiste gner librement en France. Sa capacité à Bellavia, président de l’Association de défense des droits des moniteurs et convaincre le monde politique l’a même entraîneurs de ski (ADDMES), opposée à cette évolution législative, se sou- amené à présenter ses talents de lobbyiste vient avec amertume de la rencontre qu’il avait sollicitée auprès de la rappor- devant les élèves de l’ENA. teure de la loi, Marie-Noëlle Battistel, députée PS de l’Isère, qui connaît, elle aussi, les enjeux liés aux ESF, puisque son fils est alors directeur technique de UNE PUISSANCE DE FEU l’ESF de Serre-Chevalier… « Les cartes étaient jouées d’avance, a rme-t-il. Avant tout, ce que Gilles Chabert vend Le texte de loi était tout simplement un copier-coller de la motion du SNMSF, aux politiques, c’est sa position de pré- avec quelques aménagements pour le rendre un peu moins brutal. » sident du SNMSF, auquel adhèrent 17 000 moniteurs de ski en France. Ces36 Acteurs de l’économie - La Tribune professionnels sont non seulement des électeurs, mais surtout des centaines à occuper des postes de conseillers muni- cipaux. Plusieurs dizaines seraient maires ou adjoints dans les communes des val- lées. Autant de voix qui comptent auprès des parlementaires quand vient le temps des élections, que ce soit pour le Sénat, où les grands électeurs ont toutes les cartes en main, ou lors de l’élection pré- sidentielle, quand les candidats doivent recueillir des parrainages. Ces mêmes moniteurs enseignent le ski aux enfants des notables de toute la France. « Vous n’imaginez pas tous les liens que cela per- met de tisser », glisse l’un d’eux. Et par- fois, les liens sont directs. Laura Estrosi, monitrice à l’ESF d’Auron (Alpes-Mari- times), est la fille de Christian Estrosi, le N°133 Décembre 2016
président LR du conseil régional de Pro- « Le SNMSF GILLES CHABERT Entreprendrevence-Alpes-Côte d’Azur… et de la de s’interdit toutela Métropole Nice Côte d’Azur. Cela fait activité ou prise hivernale de la montagne. De quoi sus-deux années de suite qu’elle voit son père de position citer l’intérêt de ses interlocuteurs enaccueillir le congrès national du SNMSF politique politique. Quand Gilles Chabert rappelledans sa ville de Nice. ou religieuse. » ces données, c’est aussi en affirmant qu’ilAuprès des politiques, le bagou et la Pourtant, c’est en défend « la » politique de la montagne.posture montagnarde de Gilles Chabert tant que président Comme si les divergences de vue s’arrê-offrent un aspect authentique, propre à du syndicat que taient au bas des pistes de ski, comme s’ilassocier son image à celle de la montagne Gilles Chabert n’existait qu’une vision de la montagne.française. « Il est l’archétype du Villardien, a été présenté C’est ainsi qu’il explique ne pas se sentiravec son accent dauphinois et rocailleux », sur la liste LR tenu par l’article 5 des statuts du syndi-décrit Chantal Carlioz, maire de Villard- des Régionales cat qu’il préside : « Le SNMSF s’interditde-Lans (Isère), village-station du massif toute activité ou prise de position politiquedu Vercors. L’homme sait aussi faire rire ou religieuse. » Pour lui, la montagne n’estpour détendre l’atmosphère, comme lors pas un sujet de débat. Pourtant, c’estde la présentation du plan Montagne, bien en tant que président du syndicatquand il utilise des expressions imagées. des moniteurs que Gilles Chabert a étéEt lorsqu’il s’agit de convaincre, Gilles présenté sur le bulletin de campagneChabert n’hésite pas à forcer son accent des Régionales du candidat de droite,pour renforcer son côté authentique. « Sa Laurent Wauquiez, assorti d’une photopersonnalité colle à la montagne, observe un sur laquelle il revêt le fameux équipementacteur du secteur. Il sait faire rêver. Cela rouge des moniteurs des ESF ou lorsqu’ila fait son succès, malgré son côté directif. » a appelé les élus régionaux à voter enPuis, il sait, si besoin, rappeler la force de faveur du plan Montagne.l’économie de la montagne et avance les UNE VISION MONO-ACTIVITÉchiffres : 300 millions d’euros de chiffre Or, l’homme a une idée bien arrêtée surd’affaires des ESF, 1,2 milliard d’euros le sujet, malgré les nombreux postespour les remontées mécaniques et sept qu’il occupe et qui pourraient lui offrirmilliards d’euros générés par l’économie une vision différente. Quand il présente son plan aux élus régionaux, il ne prend18 19LERÉGIONAL DU LUNDI Crédit Photo : Éric Gannat. AU VENDREDI AU MICRO D’ELISE MOREAU, À 18H15 UN TOUR D’HORIZON COMPLET DE L’ACTUALITÉ RÉGIONALE AVEC NOS 11 RÉDACTIONS EN AUVERGNE RHÔNE ALPES LYON / 88.4 BOURGOIN-JALLIEU / 95.9 ROANNE / 88.3 Acteurs de l’économie - La Tribune 37 SAINTE-FOY-L’ARGENTIÈRE / 101.7 TARARE / 95.1 VIENNE / 94.7 VILLEFRANCHE / 91.7N°133 Décembre 2016
Entreprendre GILLES CHABERTpas de gants. « Il faut être conscient qu’en changements climatiques n’inquiètent qui ont vu s’affronter les deux écoleshiver, sans neige, il n’y a pas de client. Et pas l’élu régional, qui préfère se référer au concurrentes ces dernières années. Parsans client, pas d’argent, lance-t-il, avant passé. « Le dérèglement climatique n’est pas exemple, en 2009, le SIMS accusait lesd’ajouter : Tout le reste, c’est du vent. Nous synonyme d’absence totale de neige, assure- Écoles de ski français d'utiliser abusive-pouvons nous diversifier pour faire complé- t-il. Nous avons déjà connu cela. En 1989- ment le terme « français » et le logo tri-ment avec la neige, mais nous ne pouvons pas 1990, nous avions eu un hiver sans neige. » colore risquant d'induire la clientèle enla remplacer. » « Les clients viennent de plus Et ne semble pas se préoccuper des hivers erreur en assimilant le SNMSF à une ins-en plus passer des vacances d’hiver, et non que ses successeurs affronteront. « Je suis titution publique. Le SIMS a seulementplus des vacances de ski », déclarait pour- assez pragmatique, lance-t-il. Ce n’est pas obtenu que les ESF délaissent le termetant Pascal de Thiersant dans une inter- 2040 qui m’intéresse. » « officiel » pour qualifier certaines acti-view accordée à Acteurs de l’économie-La vités. Gilles Chabert pointe plutôt le faitTribune en février dernier. Le président MOQUEUR que les moniteurs de l’ESI sortent tousde la Société des Trois-Vallées – en charge Le sexagénaire préside le Syndicat natio- de l’École nationale des sports de mon-du plus grand domaine skiable au monde nal des moniteurs du ski français, qui tagne (ENSM), dont il est un adminis-– expliquait alors l’importance de propo- regroupe plus de 85% des moniteurs au trateur actif, alors que le SIMS n’y estser de nouvelles activités et de rehausser sein de ses Écoles du ski français (ESF), pas représenté. La présidente du conseilla qualité du service à la clientèle dans bien connues pour la tenue rouge de leurs d’administration de l’ENSM, l’ex-cham-les stations françaises. Autre exemple, les membres. D’autres syndicats et écoles pionne de ski alpin Perrine Pelen, décrit cohabitent mais difficile pour eux d’exis- l’homme comme « un garant de la bonne ter face à l’hégémonie du SNMSF. Le Syn- qualité de la filière » avec un « franc-parler dicat interprofessionnel de la montagne qui permet de faire avancer les choses ». (SIM) ?« Ils sont quatre membres », moque Mais au sein du SNMSF, Gilles Chabert Gilles Chabert (le SIM revendique une veille à ne pas alimenter la concurrence, centaine de membres, NDLR). L’École en usant de la puissance du syndicat qui de ski internationale (ESI), autrement peut dissuader les opposants de se mani- appelée les Verts, sous l’égide du Syn- fester. Les statuts du SNMSF permettent dicat international des moniteurs de ski au comité directeur de sanctionner « tout (SIMS), qui revendique 2 000 membres comportement, écrit ou propos public de et 103 écoles de ski ? « Ils font leur train », nature à nuire au bon fonctionnement du observe-t-il, semblant oublier les procès SNMSF et/ou à son image ; tout agissement et/ou propos qui porterait atteinte matériel- QUID de la charte éthique ? lement ou moralement au SNMSF et/ou à son bon renom », indique l’article 42, la En septembre dernier, l’exécutif régional a adopté la charte éthique promise sanction pouvant aller jusqu’à l’exclusion par Laurent Wauquiez durant la campagne électorale. L’engagement numéro définitive. « Si vous êtes exclu, vous n’avez 7, intitulé « Prévention des conflits d’intérêts », mentionne que « pour toute plus accès aux jardins d’enfants, souvent délibération concernant une entreprise, une association ou un organisme réservés de fait à l’ESF dans les stations », public ou privé dans lequel ils seraient susceptibles d’avoir un intérêt quel- affirme un moniteur. conque, les conseillers régionaux s’engagent à ne pas prendre part au vote En 2012, Baptiste Bellavia, moniteur de ni à l’instruction des dossiers concernés ». Le 23 juin dernier, Gilles Chabert l'ESF à La Toussuire (Savoie), (qui a créé avait annoncé que « pour des raisons (sic), je ne prendrais pas part au vote ». une association de défense des moni- Seulement, cela ne l’a pas empêché auparavant de présider la commission teurs en fin de carrière) avait été exclu Montagne et de présenter lui-même l’acte 1 du plan Montagne devant l’as- une semaine pour avoir qualifié son école semblée plénière, en mettant en avant son poste de président du Syndicat des locale de « république bananière » dans la moniteurs du ski français. presse, dénonçant « le manque de transpa- Pour l’opposition socialiste, ce retrait ne su t pas. « Laurent Wauquiez a fait rence des comptes » de l'école. Lorsqu’ils des attaques virulentes contre l’ancienne majorité, assorties de leçons de sont interrogés par Acteurs de l’économie- morale, parlant de collusions et de conflits d’intérêts, critique Jean-François La Tribune, d’autres moniteurs de ces Debat, président du groupe Socialiste et apparentés au conseil régional. Il écoles parlent de « mainmise totale » de nous a fait voter une charte pour interdire à tout conseiller régional de partici- Gilles Chabert sur l’organisation syndi- per activement à des dossiers auxquels il pourrait être intéressé à titre person- cale et sur les écoles de ski. Et pour ajou- nel. Or, Gilles Chabert est directement intéressé par la délibération autorisant le ter une casquette supplémentaire à son financement de canons à neige dans les stations. Et il nous a appelé à la voter CV, celui-ci est par ailleurs à la tête des en tant que professionnel. Si ce n’est pas un mélange des genres ! » principales sociétés commerciales déte- Le bras droit de Gilles Chabert à la commission Montagne n’est pas de cet avis. nues par le syndicat professionnel. « Nous ne voyons pas de conflit d’intérêts, rétorque Fabrice Pannekoucke. Gilles Chabert ne défend pas une station plus qu’une autre. Quand il défend la UN RÉSEAU DE SOCIÉTÉS neige, il la défend partout. » Sur son fonctionnement, le syndicat de Gilles Chabert ne vit pas seulement des38 Acteurs de l’économie - La Tribune trois millions d’euros prélevés sur le chiffre d’affaires des ESF (300 millions d’euros annuels). Les moniteurs versent N°133 Décembre 2016
GILLES CHABERT Entreprendreaussi des cotisations annuelles (environ comptes déposés au registre du com- remontées mécaniques de la Compagnie280 euros pour un moniteur diplômé, merce de Grenoble. Et c’est dans cette des Alpes. Présidée par Gilles Chabert,soit 2,7 millions d’euros en 2015), en société qu’une enveloppe est provision- ESF+ se rémunère avec une commissionplus de débourser plusieurs centaines née pour le départ à la retraite de Gilles de 3,5% sur chaque forfait de la CDA,d’euros périodiquement – 500 euros tous Chabert. Le montant s'élèverait entre un tarif équivalent au « prix coûtant »les deux ans, calcule un moniteur – pour 150 000 et 200 000 euros, selon des précise-t-il. Interrogé sur la faiblesse depayer leur tenue, dont le fameux pull sources concordantes au sein du SNMSF. ce taux, le président syndical « ne veutrouge. Des sommes qui partent directe- Parmi les autres sociétés du puissant syn- pas gagner d’argent sur le dos de ses presta-ment au Groupement d’achat du SNMSF, dicat, la dernière-née, ESF+ (créée cet taires associés », expliquait-il au congrèssociété commerciale filiale du syndicat été), vise à vendre sur internet les cours 2016 du SNMSF à Nice. Au sommet deprofessionnel, dont Gilles Chabert est le de ski des ESF contre une commission de ces filiales et de quelques autres socié-directeur général. Cette entreprise cen- 1% versée par les écoles de ski. Une vente tés commerciales trône donc le SNMSF.tralise également la gestion de la paie des qui représentait déjà 67 millions d’euros Et par un curieux hasard, le commis-salariés des ESF. Le Groupement d’achat l’hiver passé. Mais l’offre de ESF+ prévoit saire aux comptes du SNMSF, Jean-du SNMSF dépense le quart de son bud- d’assortir la vente de cours avec celles de Noël Hours, est lui-même moniteur. « Jeget annuel en salaires, selon les derniers produits associés, comme les forfaits de possède le diplôme, mais je n’exerce pas »,Le chiffre d’affaires des 250 Écoles de ski français frôle les 300 millions d’euros. © DR CONSEIL EN RECRUTEMENT 3 rue de la République, 69001 Lyon DIRIGEANTS & CADRES EXPERTS Tél. 04 72 00 76 76 - www.innoe.net LYON - PARIS - INTERNATIONAL Acteurs de l’économie - La Tribune 39N°133 Décembre 2016
Entreprendre GILLES CHABERTprécise-t-il, au contraire de son fils, qui a© DRavril dernier, les intervenants furent Dia- Laura Estrosi,obtenu en 2015 son parchemin dans une neige. Présentée auprès des élus comme monitriceESF de l’Isère. une association, il s’agit en fait d’un cabi- à l’ESF d’Auron,CANONS À NEIGE net de consultants, constitué en société est la filleC’est donc fort de cette puissance syndi- anonyme et basée à Meylan, spécialisé du président LRcale, commerciale et représentative que dans l’aménagement de pistes, dont l’ins- de la MétropoleGilles Chabert a fait son entrée comme tallation de réseaux de neige de culture. Nice Côte d’Azur.élu au conseil régional Auvergne-Rhône- Devant la commission, ses deux repré- Depuis deux ans,Alpes en novembre 2015. Et qu’il a ainsi sentants ont exposé les enjeux de la neige son père accueillemené les débats de la commission Mon- de culture pour les stations françaises et le congrès nationaltagne, dont la première mesure a consisté ont fait constater l’écart manifeste entre le du SNMSF dansà financer l’installation de canons à neige taux d’équipement des stations françaises sa ville de Niceà hauteur de dix millions d’euros. Pour et celui de leurs homologues italiennesdéfendre l’acte 1 du plan Montagne, ce et autrichiennes. Surprise, l’un des deux Après 22 ans de présidence, son mandatdernier a rappelé que « l’École du ski fran- intervenants, Carlo Maria Carmagnola, actuel de président du SNMSF est le der-çais a augmenté cette année son chiffre d’af- docteur en physique de la neige, a été nier, indique-t-il en minimisant la duréefaires de 2,5% mais que certaines écoles, en nommé, trois mois plus tôt, moniteur à de la période où il occupera simultané-revanche, ont vu le leur chuter de 50 voire l’ESF. Membre de fait du SNMSF, il est ment ses fonctions d'administrateur de la70%, car les stations ne sont pas équipées tenu à ce titre à la préservation de l’image CDA et d'élu régional, car il ne solliciterade canons à neige, notamment en bas des de son syndicat dont le président n’est pas son renouvellement en 2018. Il finitpistes. » Gilles Chabert a ainsi formel- autre que… Gilles Chabert. donc par lâcher : « Si l’on remarque unelement avancé l’intérêt du financement incompatibilité avec la Compagnie des Alpes,public des canons à neige pour stimuler CONFLIT D’INTÉRÊTS ? j’en démissionnerai. Cela leur fera peut-êtrel’activité des ESF. Lors du vote du plan Montagne, Gilles plaisir car je ne suis pas totalement d’accordAvant de valider la mesure, plusieurs réu- Chabert se gardera bien de citer ses dif- avec eux. » Rappelant ainsi le différendnions préparatoires ont été organisées. férents mandats d’administrateur dans qui l’oppose à Dominique Marcel, le PDGL’une d’elles interpelle plus particulière- des entreprises qui, pourtant, pour- du groupe, quant à l’entrée du chinoisment. Lors d’un premier rendez-vous le 8 raient tirer profit de ce financement. L’un Fosun au capital, qui pourrait prendre d’eux questionne plus particulièrement. 10% de ses actions afin de se développerGilles Chabert, conseiller régional, L’homme est en effet administrateur de la sur le marché chinois. Ni Gilles Chaberta présenté le 23 juin dernier, l’acte 1 Compagnie des Alpes, un poids lourd de ni la Compagnie des Alpes n’ont souhaitédu plan Montagne devant l’assemblée l’exploitation des remontées mécaniques s’exprimer sur ce sujet cristallisant tou-plénière de la région Auvergne Rhône-Alpes. françaises (695,9 millions d’euros de jours les tensions. chiffre d'affaires en 2015). « Ils sont venus Par-delà ces enchevêtrements d’intérêts40 Acteurs de l’économie - La Tribune me chercher, affirme-t-il. Je garantis une s’en ajoute un autre à saveur plus locale. certaine moralité. Certains en avaient besoin Gilles Chabert se délecte déjà d’inaugu- à un moment donné. » À ce titre, il a perçu rer les premiers canons à neige financés des jetons de présence d’un montant de par la Région et a déjà prévu celle de Vil- 10 500 euros pour l’exercice 2013-2014 lard-Corrençon (station réunissant les et de 16 500 euros pour l’exercice 2014- deux communes Corrençon-en-Vercors et 2015. L’entreprise, filiale de la Caisse des Villard-de-Lans). Fait surprenant, à Vil- Dépôts, exploite les remontées méca- lard-de-Lans, il est cogérant d’une société niques de 12 stations françaises, parmi civile immobilière, qui siège en bas des les plus fréquentées. Son activité pourrait pistes de ski. C’est aussi dans cette station donc bénéficier de l’aide financière du qu’il est inscrit comme moniteur, avec conseil régional. L’administrateur – qui l’adresse postale de l’ESF locale comme fut également au conseil d’administration siège de cette activité libérale. Une ESF de la Banque populaire des Alpes (BPA), dont l’activité devrait bénéficier des banque du SNMSF – et élu régional se futurs canons à neige financés, en partie, sent-il en conflit d’intérêts ? « Quand sur fonds publics. on parle de la Compagnie des Alpes (à la Région, NDLR), je prends du recul, il n’y N°133 Décembre 2016 a donc pas de conflit d’intérêts », rétorque Gilles Chabert. Pourtant, en travaux de commission, il n’hésitait pas à affirmer qu’ « une station comme les Deux-Alpes, qui appartient à la Compagnie des Alpes, a besoin d’un retour skieur et pourra être éligible ».
RUBRIQUE DE NOM Entreprendre Un événement 19 DÉCEMBRE 2016N°133 Décembre 2016 de 9h à 13h Hôtel de ville de Lyon 1, Place de la Comédie - Lyon 1 Inscriptions sur www.lyoncitylife.latribune.fr Acteurs de l’économie - La Tribune 41
Entreprendre RUBRIQUE DE NOM HORLOGERIE SUISSE LA MÉCANIQUE S’ENRAYE© iStock by Getty Images ENQUÊTE, SAMUEL MAÏON-FONTANA N°133 Décembre 2016 42 Acteurs de l’économie - La Tribune
N°133 Décembre 2016 YVES BONTAZ Entreprendre Exportations en berne, licenciements, productions prudentes, recul chez les fournisseurs, chute du cours de l’action de certaines marques… Des fabricants horlogers suisses commencent à parler, du bout des lèvres, d’une nouvelle crise. Les baisses enregistrées, les premières après des niveaux records depuis plus de cinq ans, revêtent des raisons multiples et d’aucuns craignent que la situation ne parvienne à s’améliorer. Pourtant, alors que la morosité gagne le secteur, certains en profitent pour renforcer leur stratégie, pour (sur)investir, voire pour doper leur croissance. Acteurs de l’économie - La Tribune 43
Entreprendre HORLOGERIE SUISSE © iStock by Getty Images paque. Telle est l’impression que donne le milieu de l’horlogerie suisse lorsqu’on Audemars Piguet se place au 7e rang cherche à l'appréhender. Certes, de nom- des horlogers suisses, entre Tissot et IWC, breux chiffres circulent. Et ils ne sont avec des ventes estimées à 805 millions pas bons. Mais le verrouillage qui s’opère de francs (750 millions d’euros), faisant quand il s’agit de parler de l’économie d’elle une des marques à la croissance actuelle du secteur est édifiant. « Nous la plus rapide. n’avons pas le droit de répondre sur ces thé- matiques », s’excusent certains. D’autres44 Acteurs de l’économie - La Tribune laissent lettres mortes les demandes d’en- tretien ou éconduisent les sollicitations. Les témoignages, pesés et abattus, se feront sous couvert d’anonymat. « Dans ce petit monde, tout se sait et peut vite devenir préjudiciable. » Une forme d’omerta pour une industrie qui affichait un chiffre d’af- faires de près de 50 milliards d’euros par an, et pour laquelle la Suisse fait office de principal moteur, avec environ 50% de la production mondiale. Il faut dire que le marché, après des envolées spectacu- laires et des taux de croissance atteignant jusqu’à 10% par an, essuie désormais un sérieux ralentissement qui se chiffre en milliards de francs suisses de perte et en millions de montres invendues. Alors que la Fédération de l’industrie horlogère suisse (FH) publie des rapports qui tra- hissent une chute des exportations plus importante encore qu’anticipée, les géants confirment à leurs actionnaires l’am- pleur d’une crise désormais solidement installée. MAUVAIS CHIFFRES Les indicateurs sont loin d'être au vert : certains leaders perdent plus de 30% de leur valeur boursière depuis un an et le groupe Swatch (la plus importante société d’horlogerie du monde, regroupant Omega, Tissot, Longines, etc.) annonce des ventes inférieures de plus de 10% à celles enregistrées un an plus tôt, ainsi qu’un bénéfice net en chute de 50 à 60%. « Les ventes sont en berne », résume un acteur du marché. Et tous les segments sont touchés, même si la gamme 500 - 3 000 CHF (460 - 2 700 euros) reste la moins affectée par la tendance générale. N°133 Décembre 2016
HORLOGERIE SUISSE EntreprendreLes livraisons à l’étranger de montres Lepeu, qui s’apprête à prendre sa retraite, s’est amorcé à - 0,5%). Mais, de l’avis de lasuisses sont au plus bas depuis 2009 et ne sera pas remplacé, au profit d’une direc- Fédération de l’industrie horlogère suisse, ilcertaines marques ont subi une baisse de tion transversale. Le président du groupe, est difficile de faire des prévisions.30% selon les marchés où elles sont le plus Johann Rupert, explique cette stratégie Celle-ci tempère et voit là un effet normalprésentes. L’Europe, qui représentait la longuement mûrie par le fait qu’il « veut de consolidation après une augmentationdernière poche de croissance, s’est détério- voir moins d’hommes grisonnants et moins record des exportations de 60% entre 2010rée et l’Italie a connu la plus forte baisse de Français » au conseil (composé pour et 2015. Mais la Fédération insiste : il restele semestre dernier avec - 20,9% (104,3 l’heure presque exclusivement d’hommes compliqué de prévoir l'évolution de la situa-millions de francs suisses ou 95 millions de plus de 50 ans) et qu’un « individu ne tion conjoncturelle. Les « complications »d’euros). Conséquences : les différents pro- peut être responsable » seul d’un tel empire. horlogères prennent alors tout leur sens.tagonistes retiennent leur souffle en consta- Une situation alarmante pour l’état-major.tant une chute de la production de 20 à Un ancien chef de projet chez Rolex avance LES ROUAGES SE GRIPPENT25% dans toutes les entreprises, y compris même que cette nouvelle crise s’annonce « Nous sommes dans l’expectative, résumeles plus grandes. Plan social, diminution du plus difficile que celle connue entre 2007 Jean-Daniel Pasche, président de la FH.temps de travail sont alors évoqués. « On et 2009, « car nous n’avons pas de vision claire Le vote britannique sur le Brexit accentueattend Noël pour savoir si le chômage est en sur les marchés futurs ». Ils sont aujourd’hui l’incertitude et la pression à la hausse sur levue pour 2017 », s’inquiète un employé de environ 60 000 acteurs dans ce domaine en franc. » Alors que l’évolution négative duVacheron Constantin. Le groupe Riche- Suisse. En 2000, ils étaient 45 000. Certains marché américain constitue une « mau-mont, à qui appartient cette marque, n’a pas prédisent, avec beaucoup de mesure, que vaise nouvelle » supplémentaire. Mais à ensouhaité répondre à nos questions mais a d’ici à fin 2018, ils seront entre 7 et 10 000 croire les différents acteurs de l’industrie,annoncé début novembre, immédiatement de moins (l’an dernier, le recul des emplois les raisons de cette nouvelle crise horlogèreaprès de nouveaux mauvais résultats semes-triels (un chiffre d’affaires de cinq milliards « Le dirigeant horloger n’est pasd’euros (- 13 %) pour un bénéfice net qui adulte, responsable, tonne un sous-dévisse de 51 % pour atteindre 540 millionsd’euros), une vaste refonte de son organisa- traitant implanté à Genève. Il est vénal, gourmand,tion. Certaines décisions sont radicales : un friand de réussites et de bénéfices outranciers »tiers du conseil d’administration sera rem-placé lors de la prochaine assemblée géné-rale et l’actuel directeur général RichardN°133 Décembre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 45
Entreprendre HORLOGERIE SUISSE © Fotoliasont multiples. Les plus avisés citent L’APPRENTISSAGE TOUJOURS À L’APOGÉEla non-adaptation au franc fort, les lois Après des années fastes aux nombreuses embauches, le nombre de personnes sans emploianti-corruption à Hong-Kong (première a augmenté de 12,8 points en un an dans le secteur horloger suisse. À La Chaux-de-Fonds,place consommatrice de montres suisses) Ulysse Nardin a licencié 26 de ses 320 collaborateurs, tandis qu’à La Côte-aux-Fées, Piagetou encore la surtaxe de la Chine sur les envisageait 24 licenciements sur une centaine d’emplois. Mais alors que l’avenir professionnelproduits importés (passée de 30 à 60 %). semble incertain, les derniers chiffres de la formation horlogère et microtechnique restentSans oublier « une croissance très relative et étonnamment bons. L’an dernier, 490 nouveaux apprentis ont entamé leur cursus (contre 472quasi nulle au niveau mondial et la valeur du en 2014) et 401 sont arrivés au terme de leur formation. Un chiffre qui a plus que doublé enpétrole en baisse ». À cela s’ajoutent diffé- 10 ans. La part des apprentis ayant signé un contrat en entreprise progresse elle aussi pourrents conflits géopolitiques, voire les atten- franchir la barre des 45%, contre 43% en 2014 et 25% en 2005. « L’offre est excellente,tats en Europe, qui fragilisent l’économie. en Suisse comme dans le bassin jurassien français, pour les formations qui y sont encore« Les raisons peuvent être nombreuses. » offertes », relate Raphaël, ancien étudiant de l’École technique de la Vallée de Joux. « On yCertains spécialistes pointent également forme les meilleurs horlogers au monde et c’est bien là-dessus qu’il faut miser. Le savoir-faireune mutation des modes de consomma- inégalé et la grande richesse de notre patrimoine pour pouvoir, demain, proposer des produitstion avec un business model qui n’avait modernes mais de qualité, en puisant dans les traditions horlogères les plus pures. »auparavant jamais été constaté dans les Les nouveaux contrats de formation sont ainsi en augmentation dans presque tous les métiersétudes : un nouveau « jeune riche » préfé- et, en septembre, le salon des métiers de La Chaux-de-Fonds cherchait encore à séduire lesrera désormais acheter plusieurs montres jeunes pour leur faire rejoindre le monde de l’industrie. Objectif : trouver de futures recruesdurant un voyage, tout en s’offrant un gad- locales en insistant sur le fait que l’horlogerie suisse est actuellement obligée d’aller recruterget coûteux et en fréquentant de grands de l’autre côté de la frontière.restaurants plutôt que de consacrer lamême somme pour une seule montre de N°133 Décembre 2016luxe. L’adaptation aux habitudes des ache-teurs finaux pourrait donc constituer unelacune supplémentaire.MANQUE DE CLAIRVOYANCEUne autre erreur n’est qu’à demi-avouée :la surproduction. Pour croître à tout prixet avoir du potentiel de vente immédiat,la production s’est emballée ces dernièresannées, en se reposant sur ses lauriers,imposant des obligations d’achat aux dis-tributeurs et accumulant jusqu’à 24 moisde stocks. Des invendus qui se chiffrent àquelque cinq milliards de francs suisses (4,5milliards d’euros) pour le groupe Swatch,et encore à l’heure actuelle, beaucoup dor-ment aux Ports Francs genevois où les car-gaisons ont passé la douane et attendent unacquéreur… jusqu’à ce que l’huile ne com-mence à sécher et que ces montres mises decôté ne deviennent invendables.Dans la même folie présomptueuse, lesurinvestissement est également évoqué.L’étude Deloitte 2016 relève en effet « l’aug-mentation considérable du nombre de sites deproduction ». Pour beaucoup, la mauvaisepasse que traverse l’horlogerie serait ainsidue à un manque de clairvoyance. « Le diri-geant horloger n’est pas adulte, responsable,tonne un sous-traitant largement implantéà Genève. Il est vénal, gourmand, friand deréussites et de bénéfices outranciers. » L’en-trepreneur explique qu’il a dû licencier untiers de ses effectifs en septembre à causedes « défauts de pilotage de [ses] clients ».Une autre société sous-traitante voisine aété frappée de plein fouet, passant de 15employés à trois en quelques mois. Undrame dont a conscience la FH, surtoutpour les sous-traitants dépendants d’unemarque dont les ventes baissent. Pour unechute de 9,5% enregistrée par une marque,c’est un recul pouvant avoisiner 50% chez46 Acteurs de l’économie - La Tribune
YVES BONTAZ Entreprendre La Région n’augmente pas les impôts on fait des économies on réinvestit dans vos projetsRégion Auvergne-Rhône-Alpes — crédit photographie : ©Sturti Économie La Région voit grand ! www.auvergnerhonealpes.fr La Région Auvergne-Rhône-AlpesActeurs de l’économie - La Tribune 47
Entreprendre HORLOGERIE SUISSEUn ancien chef de Cook, patron d’Apple, en septembre, avant 805 millions de francs (750 millions d’eu-projet de chez Rolex d’ajouter : Nous ne faisons que commencer. » ros), faisant d’elle une des marques à laavance même que Mais au-delà de la prétention de leurs croissance la plus rapide. Comment ce dirigeants, de nouveaux joueurs issus du fleuron pilote-t-il son business pour êtrecette nouvelle numérique n’effraient pas outre mesure. épargné ? En un mot : « La maturité », souf-crise s’annonce « La montre connectée, même si elle grignote flent les fournisseurs. Une stratégie com-plus difficile que des parts de marché dans la gamme moyenne, merciale équilibrée géographiquement, descelle connue ne mange pas le gâteau des horlogers, car nous rachats de stocks, un réseau de distribu-entre 2007 et sommes bien loin des incroyables et fulgurants tion resserré et des productions réduites2009, « car nous progrès constatés sur le secteur des mobiles (de l’ordre de 40 000 montres par an). cette dernière décennie », tempère un fabri- L’orgueil serait ainsi le péché des horlo-n’avons pas de vision cant. Virage manqué ou épiphénomène ? gers ? Peut-être. La gourmandise ? Sansclaire sur les Impossible de le savoir, d’après la FH, qui doute. Certains misant trop sur des mar-marchés futurs » rappelle que 87% du chiffre d’affaires de chés qui se referment et ne déployant l’horlogerie suisse est réalisé dans le haut pas assez d’efforts sur les émergents aveccertains sous-traitants. « Le principal fac- de gamme. une vision à long terme. François-Henryteur est à mon sens un véritable manque d’an- Bennahmias, patron de la manufac-ticipation et d’adaptation », ajoute le chef « LA MATURITÉ » ture vaudoise Audemars Piguet, avan-d’entreprise. Pour autant, la smartwatch de luxe est çait récemment une comparaison avec leLA COURSE À L’INNOVATION une vraie niche, à en croire Frédérique milieu gastronomique : si les restaurantsL’équation est simple : quand la seule Constant, première marque helvète à avoir étoilés se multipliaient par milliers commehorlogerie suisse produit, chaque année, sorti un garde-temps connecté et précur- le font les points de vente horlogers, laenviron 600 000 montres vendues plus de seur dans sa gamme, avec distances, calo- situation deviendrait là aussi intenable.7 000 francs (6 500 euros), il n’y a que ries et analyse du sommeil dissimulé dans Or, chaque année, le nombre de personnesquelques dizaines de millions de clients un boîtier – à aiguilles ! – respectueux de qui peuvent accéder à des produits hautpotentiels dans le monde. Tôt ou tard, la tradition suisse. Avec 16 000 unités de de gamme augmente à travers la planète.l’offre et la demande ne sont plus en phase cette Horological Smartwatch vendues Le potentiel d’achat ou l’économie neet séduire les très riches acheteurs devient l’année dernière (soit 10% de la production sont donc pas à blâmer. Il s’agirait doncplus délicat. D’autant que de nouveaux de la marque), le modèle a su compenser de redonner le désir d’acheter, séduire parcompétiteurs arrivent sur le marché, reflet le ralentissement de la demande russe et le luxe émotionnel, pour relancer le sec-cette fois d'une innovation technologique. chinoise en montres mécaniques, permet- teur, sans embardée ou arrogance. Et siPour preuve : le top 10 des plus impor- tant à l’entreprise genevoise de terminer un milliard de garde-temps sont vendustantes marques de montres en termes de l’année positivement. Ainsi, nombreux annuellement dans le monde, l’industrierevenus de ventes était jusqu’alors dominé sont ceux qui misent sur la nouveauté helvétique se doit de remettre ses pendulespar des entreprises suisses avant qu’un pour se remettre en selle. « Nous procédons à l’heure, faute de quoi elle pourrait bien« petit » nouveau ne se hisse directement à de nombreux développements », confie un ne pas réussir à rattraper le temps perdu.à la seconde place : Apple. La célèbre firme fabricant de composants. Le groupe Swatch (qui regroupe Omega,de Cupertino, qui conçoit des appareils Pourtant, dans la tourmente générale, une Tissot, Longines, etc.) annonce des ventesélectroniques, a en effet lancé en avril marque continue d’afficher sereinement inférieures de plus de 10% à celles2015 sa montre connectée avec la ferme une croissance et pourrait se dresser en enregistrées un an plus tôt, ainsi qu’unintention de se placer dans le haut de exemple : Audemars Piguet. Vontobel la bénéfice net en baisse de 50 à 60%. gamme, avec un produit vendu entre 400 place au 7e rang des horlogers suisses, entreet 18 000 euros (en or jaune 18 carats). Tissot et IWC, avec des ventes estimées à N°133 Décembre 2016Désormais, l’Américain talonne le géantgenevois Rolex (premier du classement), © iStock by Getty Imagesdépassant les suisses Omega (4e), PatekPhilippe (8e), Tissot (10e) ou encore le fran-çais Cartier (5e), d’après le rapport annuelsur l’horlogerie publié par la banque suisseVontobel en avril dernier. Quatre-vingtspages à destination des investisseurs pouraiguiller les meilleurs choix de placementde capitaux et qui incluent, pour la pre-mière fois, les montres connectées dans sesstatistiques. « Apple Watch a placé la barretrès haute en définissant ce que peut et doitêtre une montre moderne, se félicitait Tim48 Acteurs de l’économie - La Tribune
RUBRIQUE DE NOM EntreprendrePour assurerla protectionsocialedu mondeagricoleAGRICA est plusque complémentaireSUIVEZ L’ACTUALITÉ DU GROUPE AGRICA Image : © Thinkstock www.groupagrica.com Abonnez-vous à la e-newsletter mensuelle www.facebook.com/GroupeAgrica twitter.com/groupe_agrica youtube.com/user/GroupeAGRICAN°133 Décembre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 49 RETRAITE - PRÉVOYANCE - SANTÉ - ÉPARGNE www.groupagrica.com
Entreprendre HORLOGERIE SUISSELes raisons de cette nouvelle crise horlogère © iStock by Getty Imagessont multiples : non-adaptation au franc fort,lois anti-corruption à Hong-Kong (première placeconsommatrice de montres suisses) ou encore la surtaxede la Chine sur les produits importés.« Dans 10 ans, les montrestraditionnelles seront finies »Xavier Comtesse est cofondateur du Swiss Creative Center et du laboratoire d’idées Manufacture4.0. Pour « passer du bling-bling au think-think », ce docteur en informatique multiplie les cercles deréflexions autour d’un avenir horloger qu’il ne voit pas rose. Adepte du « watch thinking », il cherche àréveiller les consciences.« Les exportations ont objectif qui se chiffrera en milliards de « uberisation » où le modèle des concur- baissé mais ils conti- francs dès qu’il sera devenu une com- rents est incompris. « On parle d’une nuent tous à gagner de pétence : « Dans moins de 10 ans, lors- industrie gourmande et assez stupide dont l’argent ! » En préam- qu’Apple et les autres sauront enfin maîtriser les dirigeants actuels ne comprennent pas bule, Xavier Comtesse le big data et pourront jusqu’à analyser le la digitalisation et restent dans le déni,rappelle que l’industrie horlogère réa- sang et prévoir une maladie de Parkinson ou poursuit l’informaticien. Dans le luxe,liserait un chiffre d’affaires identique réveiller un conducteur somnolant, c’en sera les marges sont importantes, pourquoi alorsà celui… d’Hollywood ! Cependant, le fini des montres traditionnelles », assure réfléchir autrement… » Pourtant, selonspécialiste explique la situation actuelle le « watch thinker ». Le fait de donner lui, si les horlogers se réveillaient et com-que traverse l’industrie par une triple l’heure, même avec l’émotionnel dont se prenaient que l’avenir réside dans lescrise. Conjoncturelle et structurelle, mais targue le luxe, ne ferait pas le poids face données collectées et la santé, ils pour-également celle qu’il nomme la « guerre à l’argument final de sauver des vies. « Je raient revenir dans la course. « Tout estdu poignet », là où s’affrontent méca- pense que Patek Philippe restera et que tous à disposition, nous avons parmi les meil-nique traditionnelle et « smartwatch ». les autres disparaîtront, comme le jeu vidéo leurs data scientists français et le plus grand« Ce sont en fait des ordinateurs qui ne a supprimé le train électrique. » centre d’intelligence artificielle à Zurich. »servent pas à donner l’heure mais à capter Les jeux ne sont donc pas faits, et troisdes données… Sauf que nous les portons « POURQUOI RÉFLÉCHIR AUTREMENT » ou quatre marques peuvent suffire àau poignet, à la place d’une montre. » Pour Autre erreur relevée : la méconnaissance insuffler une nouvelle tendance danspreuve : Rolex s’affiche lors des tournois de la cible. « Si les horlogers n’ont rien vu cette guerre qui est sur le point de com-de golf… mais au poignet des golfeurs. venir, c’est aussi parce qu’ils n’ont pas assez mencer. Comme dans les années 1970,« Garmin propose de nombreuses mesures étudié la manière donc leurs clients consom- où le quartz, plus précis et moins cher,physiques pour restituer une information ment et passent de « avoir » à « être ». » avait remis en question tout un modèle.personnalisée et c’est sur ce type de data, La fin de l’horlogerie que prédit Xavier Aux horlogers de se réveiller pour rajus-collecté au poignet, que tout se jouera. » Un Comtesse serait ainsi semblable à une ter leur stratégie. SMF50 Acteurs de l’économie - La Tribune N°133 Décembre 2016
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