TRAVAIL D’INTÉRÊT GÉNÉRAL Comprendre Coffret TESOT UUNTE HMOERMVEMILLEE + Scientifiques, philosophes, artistes, sociologues, aventuriers, historiens, chefs d’entreprise, écrivains, élus, politologues, économistes… : chacun dans son champ d’expertise ou de convictions, tous construisent là un débat fondamental, destiné à offrir au lecteur les clés d’une exploration approfondie de lui-même et du monde afin qu’il mène son existence et celle de la planète avec responsabilité, sens. Et humanité. À cette condition, qui révèle les plus beaux trésors du verbe entreprendre, qui éclaire de manière singulière la nécessité de rêver, de créer, de bâtir le progrès, qui conscientise l’obligation de penser et d’agir autrement – et même insurrectionnellement –, bref qui « possibilise » l’impossible, l’époque peut bel et bien s’avérer formidable, et le « chef-d’œuvre de l’intelligence » espéré par Pierre Rabhi devenir réalité. Denis Lafay Disponible le 1er décembre, environ 600 pages. Prix de vente : 47 € TTC Commandes individuelles ou collectives, cadeaux d’entreprise : Octobrere20n16seignements sur acteursdeleconomie.com ou au 04 72 18 09 18N°132 Acteurs de l’économie - La Tribune 101
Comprendre RUBRIQUE DE NOM ESKER N°132 Octobre 2016 LIBERTÉ, ÉGALITÉ, AGILITÉ IMMERSION, ROMAIN CHARBONNIER PHOTOGRAPHIES, LAURENT CERINO / ADE102 Acteurs de l’économie - La Tribune
RUBRIQUE DE NOM ComprendreEn modifiant la méthode de travail Acteurs de l’économie - La Tribune 103dans ses services, notammentcelui de R&D, c’est un véritable Jean-Jacques Bérard, vice-président R&D d'Esker, entouré de ses équipes.pari sur l’avenir que l’éditeurlyonnais de logiciels Eskera initié en 2011. Un virageindispensable à sa « survie »,entrepris dans un secteuren perpétuelle évolution,et qui repose sur l’organisationagile. Une méthode qui exigel’engagement de l’ensembledes collaborateurset suscite son lotd’interrogations.N°132 Octobre 2016
Comprendre ESKER104 Acteurs de l’économie - La Tribune haque matin, le même rituel. Aux 6e et 7e étages d’un immeuble du 6e arrondissement de Lyon, par équipes de sept personnes, les employés du service recherche et développement d’Esker, éditeur de logiciels de dématérialisation de documents, se réunissent pour 15 minutes de « stand-up ». Un moment au cours duquel chacun expose ce qu’il a fait la veille, ce qu’il fera dans la journée et les obstacles qu’il rencontre. Une dizaine de petits groupes se forment ainsi, répartis sur le plateau, ouvert en open space. Debout, en arc de cercle, face à un tableau blanc sur lequel sont inscrits leurs noms, ceux des clients et les tâches à réaliser, les développeurs prennent la parole. Autour d’eux, un personnage clé, le « scrum master ». Élu par l’équipe, il occupe le rôle de facilitateur et coordonne cette courte réunion, sans pour autant porter la casquette de chef. Il est associé à un « product owner » (autre fonction essentielle) qui écrit des « stories » (des histoires, soit des tâches à réaliser), et les hiérarchise selon leur valeur. Ensuite, les équipes disposent de 15 jours pour les mettre en œuvre dans un rythme « soutenable ». Débute alors la phase de « sprint ». Puis ces mêmes équipes présentent leur résultat lors d’une « review », avant que le produit ne soit disponible et livré au client. Enfin, une dernière réunion dite « rétrospec- tive », véritable « cérémonie du scrum master », est l’occasion de faire un bilan des jours écoulés, au cours duquel se dégagent des axes d’amélioration. Un cérémonial précis, très codifié avec ses anglicismes, difficilement compréhensible au demeurant mais scrupuleusement suivi, qui permet « à une entreprise du logiciel d’être plus créative, réactive et d’impliquer davantage ses équipes », soutient Jean-Jacques Bérard, vice-président recherche et déve- loppement d’Esker. Un mode de management qui porte un nom : « l’agilité ». Et une méthode que l’entreprise aux 380 salariés met en pratique depuis 2011 au service R&D, puis au support technique (en 2015), et enfin, plus récemment, au sein des res- sources humaines. « Lorsque nous avons lancé nos produits en mode Saas (logiciels installés sur des serveurs distants plutôt que sur la machine de l’utilisateur, NDLR), nous devions faire évoluer notre méthodologie interne et avions besoin de coller aux besoins du marché. N°132 Octobre 2016
Avec l’agilité, nos équipes peuvent mettre à jour les logiciels tous les 15 ESKER Comprendrejours, contrairement à l’époque où nous lancions une nouvelle versionpar an », reconnaît le frère du PDG, Jean-Michel Bérard, le plus AUTONOMIEconvaincu des bienfaits de l’agilité au sein de l’entreprise et à Chez Esker, la méthode a d’abord été testée pendant six moisl’origine de son application en interne. « J’ai enfin trouvé la solution au sein du pôle recherche et développement (employant près deque je cherchais depuis dix ans », se satisfait-il. Une « révélation » 70 personnes aujourd’hui), avant d’être définitivement adoptéenée à la lecture des travaux déclinés au secteur du logiciel de Ken dans ce service, puis déployée au sein d’une partie des autresSchwaber et Jeff Sutherland dans les années 1990, mais aussi depuis peu. « Nous avons procédé par étapes, en essayant, car ilgrâce à l’exemple du puissant éditeur américain de CRM Sales- était inconcevable de tout changer en une seule fois », rappelle Jean-force, qui a basculé en organisation agile dès 2008. Jacques Bérard. Delphine Champouillon, 47 ans, a connu l’avantCependant, le concept général de l’agilité est plus ancien. Appa- et l’après, après une pause entre 2006 et 2015 durant laquellerue au milieu des années 1980 dans les universités japonaises, elle a quitté l’entreprise pour une autre activité. « Lorsque je l’aila philosophie de l’agilité repose sur l’utilisation de l’intelligence réintégrée, j’ai découvert que les réflexes n’étaient plus les mêmes qu’au-collective de l’ensemble des collaborateurs et des clients dans le paravant. Il a fallu apprendre les codes et les rituels de l’agilité, maisdéveloppement du projet. Elle apporte davantage de pragma- l’adaptation s’est faite rapidement. Désormais, il nous revient de régler,tisme, casse les silos, dégage un surcroît d’autonomie pour les ensemble, les problèmes et de trouver les solutions, de nous autogérersalariés, favorisant la mixité, mais aussi améliore la productivité sans supérieur direct, souligne la salariée travaillant au serviceet renforce la réactivité aux demandes des clients. « L’agilité n’est support. Ce fonctionnement est encourageant et les journées sont plusautre que du bon sens, de la confiance, de la bienveillance et de la dynamiques. » « Dans les autres entreprises, quelqu’un vous dit quoicommunication non-violente », résume Camille Combier, 31 ans, faire et comment. Ici, nous devons décider du comment », expliquequi définit son rôle de scrum master comme celui visant à « faire Camille Combier.un choix lorsqu’il se présente » sans pour autant « occuper le rôle desupérieur », précise-t-il.Car avec l’agilité, finis les managers et chefs de projet : la hié-rarchie est supprimée, même si les directions restent toutefoismaintenues. « Agilité ne veut pas dire liberté totale. Le cadre rigidedemeure, à l’intérieur duquel une forme de liberté est possible »,nuance Jean-Jacques Bérard.« La clé de l’agilité, et doncde l’une des réussites del’entreprise, c’est d’offrirdavantage de plaisirà travailler ensemble »Le talent sur mesure www.algoe-executive.fr www.stantonchase.com Votre solution depuis 40 ans dans 46 pays pour le recrutement de profils rares et de haut niveau Recrutements Executive Searchet le développement de vos Équipes Assessments Top Managers Experts Coaching Lyon :Carole de Chilly - 04 72 18 13 70 - 9 bis, rte de Champagne 69130 Ecully Une entreprise, deux marques Paris :Philippe Palacin - 01 53 02 26 86 - 23, rue Louis-le-Grand 75002 Paris Acteurs de l’économie - La Tribune 105N°132 Octobre 2016
Comprendre ESKER « L’agilité n’est autre queSur le plan de la productivité, l’agilité appliquée au secteur du bon sens, de la confiance,du logiciel apporterait une meilleure réponse aux besoins desclients, mais surtout améliorerait la façon de travailler, en étant de la bienveillance et deen phase avec le marché. « Nous pouvons ajouter très régulièrement la communication non-violente »des briques supplémentaires aux produits, corriger des bugs rapide-ment et sortir de nouvelles versions facilement. Nous fonctionnonsainsi en mode startup, précise Jean-Jacques Bérard. Notre finalitéconsiste à faire mieux, en testant des fonctionnalités, en étant plusréactifs que proactifs. Les modèles du passé ne sont plus adaptés ànotre domaine. L’adaptabilité doit être permanente : c’est une notion desurvie. » Cependant, il s’avère pour lui difficile de mesurer quan-titativement la productivité de ses équipes. « Nous ne disposonspas d’outils de comparaison avec notre précédent modèle, reconnaît levice-président, mais nous le constatons grâce à la satisfaction clients,au volume des ventes, au nombre de « stories » réalisées ou encored’incidents réglés. » Des observations similaires sont faites par leservice support. « Notre organisation s’est améliorée. En outre, nousavons optimisé la performance des relations entre les équipes du sup-port technique et celles du développement », remarque Laura Millie,25 ans.La direction d’Esker, si convaincue par l’organisation agile, adécidé de dupliquer le modèle au sein de deux autres servicesqui pouvaient sans mal l’adopter, celui du support et des res-sources humaines, début 2016. Conquise par la méthode, LauraMillie s’est d’ailleurs engagée avec d’autres à l’appliquer aux RH,avides d’appliquer la démarche. De longue date, l’entreprise ren-contre en effet des difficultés à recruter des talents. « Il est plusdifficile pour Esker de trouver un collaborateur qu’un client », recon-naît Jean-Michel Bérard. La méthode agile a donc été la solution Chaque matin, N°132 Octobre 2016 les collaborateurs se réunissent pour 15 minutes de « stand-up ».106 Acteurs de l’économie - La Tribune
QUARTIER D’AFFAIRES RUBRIQUE DE NOM ComprendreSAINT ÉTIENNECHÂTEAUCREUX OU BIEN : RCS PARIS 505 351 775INVESTIR•SE DÉVELOPPER•ANTICIPER GARE TGV • MIN DE LYON • H DE PARISN°132 Octobre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 107
Comprendre ESKERDelphine Champouillon Laura Millie Camille Combier Jean-Dominique Sauzeau « Dans les autres entreprises, quelqu’un vous dit quoi faireet comment. Ici, nous devons décider du comment »108 Acteurs de l’économie - La Tribune Jean-Michel Bérard, PDG d’Esker N°132 Octobre 2016
adéquate. « Et les bénéfices sont au rendez-vous, se félicite Annick ESKER ComprendreChallancin, directrice des ressources humaines. Nous enregis- nous, la décision relève de l’ensemble de l’équipe. » Camille Combiertrons deux fois plus de candidatures de développeurs qu’en 2015. » la rejoint : « Succès ou échec, il s’agit d’un travail d’équipe. Certes, celaLa méthode ? « Retravailler l’annonce de l’offre d’emploi avec les est moins confortable que lorsque vous dépendez d’un supérieur hiérar-développeurs eux-mêmes, en évitant notamment le formalisme et le chique. Mais c’est tellement plus motivant et enrichissant. » Ceux pourcorporatisme. » Les employés peuvent aussi intervenir au cours qui l’adaptation est difficile ou à qui le modèle ne correspond pasdu processus de recrutement. Ainsi avec l’agilité appliquée aux finissent alors par quitter l’entreprise. Ce qui a déjà été le cas.ressources humaines, Esker entend embaucher une cinquantaine « La clé de l’agilité, et donc de l’une des réussites de l’entreprise, c’estde profils qui lui font défaut aujourd’hui. d’offrir davantage de plaisir à travailler ensemble », préfère mention- ner Jean-Michel Bérard, PDG de l’entreprise aux 58,5 millionsPERTURBATIONS d’euros de chiffre d’affaires réalisés en 2015. « Nous mobilisonsPasser d’un modèle de fonctionnement classique à une démarche le meilleur de nos talents. Cela constitue un levier de motivation etplus innovante implique naturellement un bouleversement des d’implication », complète son frère.habitudes, un engagement total et une adaptation des collabo- Et si l’agilité fonctionne à ce jour à certains niveaux, l’entrepriserateurs concernés, impulsée par une direction convaincue et ne l’a pourtant pas déployée à tous ses étages. La démarche seraitmotrice du changement – l’ensemble des directeurs a été formé ainsi plus fastidieuse à mettre en œuvre, tel du côté du serviceaux valeurs de l’agilité. « Elle requiert principalement une grande commercial, « ne serait-ce que sur la problématique des rémuné-ouverture aux autres. La communication est essentielle entre tous, rations variables ». Néanmoins, Jean-Jacques Bérard croit à sonmais peut provoquer quelques perturbations au départ », reconnaît déploiement plus large dans les années à venir, l’objectif étantJean-Dominique Sauzeau, développeur depuis neuf ans. Une de pouvoir généraliser et systématiser les comportements agiles.évolution qui crée son lot d’inquiétudes, d’interrogations, voire « Il s’agit alors de franchir une nouvelle étape : celle de l’entrepriseparfois de tensions – « mineures », au dire de la direction. L’agilité libérée. »demande une faculté d’adaptation et exige une conviction per-sonnelle. « On peut ainsi demander des comptes à ses collègues. Celaimpose de toujours demeurer dans la mesure, le modèle agile n’étantpas un schéma naturel », estime Delphine Champouillon, « Lorsde la prise de décision, reconnaît-elle, il est plus simple de se référerà un manager qui tranche, comme nous en avons eu l’habitude. Chez AU MICRO DE LUCIE BAVEREL DU LUNDI Crédits Photos : Éric GANNAT AU VENDREDIL’INVITÉ À 11H05CULTURE REDIFFUSION À 19H10 FAIT L’ACTUALITÉDANS LE RHÔNE, LE ROANNAIS OU LE NORD ISÈRE. LYON / 88.4 BOURGOIN-JALLIEU / 95.9 ROANNE / 88.3 Acteurs de l’économie -3L0a/03T/r2i0b1u6ne191:0019 SAINTE-FOY-L’ARGENTIÈRE / 101.7 TARARE / 95.1 VIENNE / 94.7 VILLEFRANCHE / 91.7N°1½32paOgecAtoctbErceo_2L0u1c6ie_Baverel.indd 1
Comprendre RUBRIQUE DE NOM110 Acteurs de l’économie - La Tribune N°132 Octobre 2016
RUBRIQUE DE NOM ComprendreRÉGLEMENTATIONÀ double tranchantLa réglementation n’est pas toujoursune contrainte : des entrepreneursopportunistes s’en emparent pour créerleur activité sur une niche et commuerces obligations en atouts concurrentiels.Reste qu’un tel pari peut s’avérer risqué,comme l’a démontré le secteur, hierflamboyant aujourd'hui anéanti,du photovoltaïque. Dès lors, tous lesmoyens sont bons pour anticiper un revers.DOSSIER, MARIE LYANN°132 Octobre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 111 © Fotolia
Comprendre LA RÉGLEMENTATION Le fondateur de Finoptim, Baptiste Ploquin, négativement, mais il existe des entrepreneurs s’est ainsi rendu compte que le projet du qui savent tirer leur épingle du jeu et s’adapterQu’il s’agisse dernier Plan de protection de l’atmosphère pour les saisir », observe Hugues Poisson-d’une auto-école (PPA) d’Île-de-France visant à interdire les nier, économiste et docteur en sciences decréée en zone cheminées à foyer ouvert créait, de fait, un gestion à Grenoble École de management.franche pour marché pour ses deux produits, lesquels Il cite en exemple le secteur des trans-proposer les proposent de réduire les émissions pol- ports : la norme de réduction des émis-meilleurs luantes. « C’était à la fois une opportunité sions de CO2 y a permis aux constructeursservices au prix et un risque important, reconnaît-il. Sans français de faire la différence par rapportle plus bas la réglementation, nous serions certainement à leurs homologues étrangers, à travers laou bien d’un partis créer notre entreprise à l’étranger. » production de petites cylindrées. « Pourfabricant de La start-up grenobloise Pharmanity s’est autant, baser toute la stratégie d’une entre-cheminées à elle aussi créée pour répondre à une double prise sur une évolution réglementaire peutfoyer ouvert contrainte fixée par la loi, interdisant aux s’avérer très dangereux », rappelle-t-il.qui profite d’un pharmacies de faire de la publicité. « Nouscrédit d’impôt nous sommes demandés comment donner de la DES RISQUES INHÉRENTSpour visibilité aux pharmacies de proximité. Et c’est Face à une société où la réglementa-concurrencer lorsque l’État a autorisé la vente en ligne des tion est croissante, les conséquences sontdes marchés médicaments, début 2013, que l’opportunité doubles : « La loi peut constituer une bar-convexes, s’est présentée », explique Samuel Mottin, rière à l’entrée en favorisant les acteurs enla réglementa- son cofondateur. place, mais aussi ouvrir de nouveaux débou-tion peut parfois chés, comme la dérégulation qui s’est opé-se révéler une UNE OPPORTUNITÉ POUR rée dans le secteur de l’énergie », évoquevéritable LES NOUVELLES IDÉES Philippe Silberzahn. « Le fait que la régle-opportunité La fondatrice de MyEasyCode, Nadège mentation soit la même pour tous assure uned’a aire pour Lombardo, avait elle aussi une idée qui concurrence saine », estime pour sa partceux qui en n’attendait plus qu’un cadre légal. « Gérante Baptiste Ploquin, chez Finoptim. « Dans lesdécèlent les d’une auto-école, j’ai constaté qu’il n’existait secteurs bien encadrés comme les banques, la loiavantages. aucune réponse au besoin d’auto-formation au constitue une barrière à l’entrée pour les acteurs Code de la route. J’ai anticipé en construisant étrangers. Mais le législateur n’a pas forcément112 Acteurs de l’économie - La Tribune mon offre afin que tout soit prêt lorsque la régle- tout prévu. Il faut donc parfois être force de pro- mentation allait sortir. » Après avoir lancé un positions pour faire des retours sur ce qui fonc- premier service uniquement sur Grenoble, tionne ou pas », estime Jérémy Ruet. la loi Macron lui a permis de toucher un L’un des principaux obstacles réside dans marché national, notamment des clients l’évolution constante de la loi, face à des parisiens. « Depuis cette loi, je suis en pleine entrepreneurs qui ont besoin de stabilité croissance, j’ai triplé le nombre d’inscriptions. » pour concevoir leur modèle économique. Même chose pour Jérémy Ruet, fondateur « Certaines compagnies d’assurances ont de la plateforme de prêts entre particuliers déjà été prises au dépourvues pour indem- Studylink, dont le concept est né grâce à niser des sinistres de plusieurs centaines de cette loi qui « établit un cadre réglementaire millions d’euros qui n’étaient auparavant pas pour le financement participatif, permettant pris en charge », cite en exemple Philippe aux particuliers de prêter de l’argent, avec Silberzahn. ou sans intérêts, à d’autres particuliers ». Les Même situation dans le secteur photo- exemples sont pléthoriques. voltaïque, où le soutien de l’État est venu « Par définition, l’entrepreneur est un innova- alimenter une bulle qui a artificiellement teur qui s’engage sur des terrains nouveaux, pas gonflé le secteur. Or, « l’État s’en est retiré toujours couverts par le droit. Cette zone d’in- avant que le solaire ne soit rentable », analyse certitude est donc naturelle », résume Philippe le professeur, ancien dirigeant d’entreprise. Silberzahn, professeur à emlyon business Leader sur le marché des panneaux photo- school et chercheur à l’École polytechnique, voltaïques pour les particuliers, le lyon- dont les travaux portent sur la façon dont nais Evasol en a fait les frais. Alors qu’elle les organisations gèrent les ruptures et les dénombrait jusqu’à 400 salariés en 2010, situations d’incertitude radicale. la société avait été placée en redressement Une occasion d’aller explorer de nouvelles judiciaire en mars 2012, n'employant plus pratiques et d’imaginer des situations alors que 98 salariés. « C'est le moratoire nouvelles. « Si les choses ne sont pas anti- imposé par l'Etat qui nous a tués. Lorsqu'on cipées, la réglementation peut être envisagée provoque un coup d'arrêt sur une filière, la moindre des choses est de lui assurer des mesures de flexibilité pour adapter sa voilure », avait affirmé le PDG, Stéphane Maureau au cours d’une interview suite à la reprise de sa société par le groupe Giordano Services N°132 Octobre 2016
LA RÉGLEMENTATION ComprendreAvec nous,l’entrepreneurqui y croit,Entrepreneurs, Bpifrance Acteurs de l’économie - La Tribune 113 RCS 507 523 678finance et accompagnevotre développement.bpifrance.frN°132 Octobre2016
Comprendre LA RÉGLEMENTATION avec des juristes spécialisés pour bâtir son « Par définition, offre. l’entrepreneur(Aubagne), à la barre du tribunal de com- La société Finoptim a, quant à elle, bâti un est un innovateurmerce de Lyon. L’incertitude peut égale- réseau parmi lequel se trouve des sénateurs qui s’engagement peser sur les ventes : « Nous sommes et députés ou encore des structures telles sur des terrainsdemeurés dans le flou durant un an et demi, que l’Ademe. « Le plus difficile est d’accéder nouveaux,en raison d’une réglementation qui se faisait aux personnes décisionnaires, souvent haut pas toujoursattendre en Île-de-France. Les clients nous placées dans les ministères. Mais c’est pos- couverts par ledemandaient ce qu’il adviendrait du produit si sible : nous avons déjà rencontré des membres droit. Cette zonela norme évoluait. Cela a eu une incidence sur du cabinet de Ségolène Royal, ministre de d’incertitudele marché du chauffage à bois, qui a chuté de l’Écologie, du Développement durable et de est donc20 à 30 % », se souvient Baptiste Ploquin, l’Énergie », glisse Baptiste Ploquin, qui naturelle »chez Finoptim. précise que le démarche doit se faire dans la notion d’intérêt publique. « Ce n’est pasSAVOIR ANTICIPER parce qu’untel a rencontré un ministre que sonHugues Poissonnier rappelle qu’il est produit doit être mis en avant. Il faut être dansainsi fortement conseillé d’identifier les une action intelligente. » Et Hugues Poisson-dimensions susceptibles d’évoluer dans nier de compléter : « L’important est d’êtrel’environnement de l’entreprise, grâce reconnu comme un acteur structurant de l’éco-à des outils de gestion comme le Pes- nomie, chose pour laquelle nul n’est forcémenttel, qui permettent d’établir une liste de besoin d’être un gros joueur. » contrôle de tous les facteurs d’évolution.Nadège Lombardo avait, par exemple, © Fotoliaanticipé les évolutions attendues sur lemarché des auto-écoles pour bâtir son MyEasyCode, spécialisée dans la l’auto-formation au Code de la route, n’attendaitoffre. « J’avais déjà prévu que les limitations qu’un cadre légal pour se créer.géographiques pour l’attribution des certifi- « Comment donner de la visibilité aux pharmacies de proximité ? Lorsque l’État a autorisécats d’examen puissent être abolies. Mais si la vente en ligne des médicaments, début 2013, nous avons saisi l’opportunité de créercet agrément n’était pas passé, j’aurais étudié Pharmanity », explique Samuel Mottin. d’autres options, en demandant des agrémentspartout en France. » N°132 Octobre 2016Samuel Mottin surveille aussi les évolu- © Fotoliations pouvant intervenir dans le secteurdes pharmacies : « Si demain la publicitéétait autorisée, cela pourrait avoir un impactsur notre modèle économique. » Cette évo-lution, selon lui, ne serait cependantpas totalement négative : « Les pharma-cies auront dans ce cas besoin de faire de lapublicité, ce qui reste difficile pour une petitestructure. »INFLUENCER POUR PESERSi les entreprises ne peuvent pas écrireles lois, elles sont néanmoins capables dejouer un rôle dans le développement denouvelles règles. Bien que les startups etPME n’aient pas forcément les moyensde se payer les services d’un lobbyiste,leur capacité d’influence peut passer pard’autres moyens « via des associations pro-fessionnelles ou des actions de communication.Nous voyons bien comment le collectif desPigeons a réagi face à l’évolution de la régle-mentation », souligne Philippe Silberzahn.La première étape consiste déjà à effectuerune veille pour se tenir au courant des évo-lutions du secteur et des projets à venir.La société MyEasyCode consulte régu-lièrement les informations relayées parle syndicat des auto-écoles et a contactéun avocat pour faire valider ses contrats.Même chose pour la jeune pousse Phar-manity, dont le fondateur – lui-même issud’une formation en pharmacie – a travaillé114 Acteurs de l’économie - La Tribune
RUBRIQUE DE NOM Comprendrethéra • Photo: N. Bouchut PIONEERING DIAGNOSTICS Avec près de 10 000 collaborateurs et une présence dans plus de 150 pays, bioMérieux offre des solutions de diagnostic qui améliorent la santé des patients et assurent la sécurité des consommateurs. www.biomerieux.com Acteurs de l’économie - La Tribune 115 N°1*32TraOncsftoorbmrer2le0s16partenariats en innovation Pionnier du diagnostic
Comprendre CHRONIQUESACTE ANORMAL DE GESTION ET RISQUEEXCESSIF : quand le Conseil d’État sécuriseles entreprisesFrédéric Subra, exception : l’acte anormal de gestion, qui met une dépense RisqueAvocat associé, Delsol Avocats ou une perte à la charge de l’entreprise ou qui prive cette dernière d’une recette, sans que l’acte soit justifié par les Le salut est venu comme un soleil d’été : « indépen-On critique souvent notre fiscalité au nom de intérêts de l’exploitation commerciale. damment du cas de détournements rendus possibles l’insécurité qu’elle crée pour l’environnement En présence d’un acte anormal de gestion, l’administration par le comportement délibéré ou la carence manifeste économique des entreprises. Tel est le cas fiscale peut redresser les résultats de l’entreprise à concur- des dirigeants, il n’appartient pas à l’administration, lorsque l’administration fiscale s’essaye à rence du profit dont elle s’est privée. Si on pouvait penser dans le cadre d’une gestion commerciale normale, de critiquer les décisions de gestion des chefs que l’intérêt de l’exploitation serait le critère unique de l’acte se prononcer sur l’opportunité des choix de gestion d’entreprise. Certes, l’administration n’a pas anormal de gestion, la Haute Assemblée a élargi son champ opérés par l’entreprise et notamment pas sur l’ampleur à porter de jugement sur la qualité ou les résultats de la d’application, une prise de risque excessive pouvant carac- des risques pris par elle pour améliorer ses résul- gestion d’une entreprise, le contribuable n’étant pas tenu tériser une gestion anormale. Ainsi, les juges du Palais Royal tats » (CE 13 juillet 2016, Section, Sté Monte Paschi de tirer des affaires qu’il traite le maximum de profits que ont pu se fonder sur le caractère excessif du risque pris par Banque). Cet arrêt marque l’abandon de la théorie les circonstances lui auraient permis de réaliser (CE 7 juillet un gestionnaire de portefeuille pour rejeter la déductibilité 1958, n°35977, Dupont p. 575 ; CE 20 décembre 1963, d’une charge (CE 17 octobre 1990, n°83310, Loiseau). du risque manifestement excessif, dans le cadre de n°52308, Dupont 1964). Ce principe connaît cependant une Cette notion a été reprise à propos de détournements de fonds commis par des salariés, la déduction de la perte en relations entre une société mère et sa filiale, mais résultant pouvant être refusée si, par leur comportement aussi entre sociétés indépendantes. Hors les cas délibéré ou leur carence manifeste dans l’organisation du de détournement pour lesquels la jurispru- département et la mise en œuvre des dispositifs de contrôle, dence Alcatel reste applicable, l’administra- contraires à l’intérêt de l’entreprise, les dirigeants avaient été tion fiscale ne pourra plus réécrire l’histoire à l’origine, directe ou indirecte, des détournements en cause a posteriori en mettant en exergue le risque (CE 20 octobre 2007, n° 291049, Sté Alcatel CIT). Un pas que les décisions du dirigeant auraient fait de plus vers l’insécurité et une immixtion des services fiscaux courir à son entreprise. Qui connaît la vie des a été franchi lorsque le Conseil d’État a cru devoir appliquer la théorie du risque manifestement excessif aux avances d’une entreprises sait que toute décision de gestion com- société mère à sa fille (CE 16 novembre 2011, n° 326913, Sté Fraisen Holding). porte un risque ! Et c’est en prenant des risques qu’une entreprise avance. Il est heureux que la Haute Assem- blée, repoussant les tentatives des services fiscaux de restreindre la liberté de gestion des entrepreneurs, leur ait rendu la sécurité leur permettant de développer leurs entreprises.BAROQUE Finalement, plus l’accès audiovisuel à toutes les frontières du monde devient facile, © DR plus grande est la tentation du repli, abri protecteur de cette déferlante.Cet été, ballotté entre drames terribles et euphories collectives, d’un continent à l’autre, de Nice et de Saint-Etienne-du-Rouvray à Rio, de Prise de conscience la révolution manquée en Turquie aux Jeux olympiques accomplis. Septembre reprend, réamorce la course élyséenne, rallume les oppositions politico-so- Symbolique d’une époque où le temps, pourtant immuable, paraît ciales, encaisse les hausses annoncées dans un été assoupi, inonde d’une nouvelle accélérer sans cesse son mouvement pour raccourcir la mémoire, production littéraire, prépare les vendanges, reprend la saison de football pendant que où le fait divers, sanglant ou croustillant, claque à la Une d’un jour les États-Unis jouent du Trump, qu’Erdogan poursuit ses purges tous azimuts, que les pendant qu’Alep ne cesse de mourir sous les bombes Européens « causent ». Mais aussi que les entrepreneurs poursuivent leur route non russo-syriennes, n’oubliant pas d’offrir ce visage sans interrogations voire inquiétudes malgré trop de discours lénifiants. sanglant, plein de poussière et hébété d’Omran Pour sortir la tête hors de l’eau et aérer le cerveau, une presse existe, Daqneesh, cinq ans, rescapé temporaire et écrite, qui appelle à l’accalmie de l’esprit, qui propose cette inestimable dis- jusqu’à quand ? Qui se souvient encore d’Ay- tanciation qui rend plus lucide, qui ouvre sur des univers insoupçonnés pour enrichir un lan noyé sur la plage de Bodrum il y a un an esprit trop malmené par le tohu-bohu de l’environnement agité, qui propose de parta- ? À tout le moins n’oublient-ils pas, celles et ger les analyses, réflexions et propos de celles et ceux dont leur temps est consacré à ceux, humanitaires de tous bords qui risquent nous les offrir, dans toutes ces diversités qui construisent la tolérance, pour tenter de quotidiennement leur vie pour tenter l’im- s’approcher un peu de l’essentiel. La prise de conscience n’est-il pas le premier temps possible sur ces terrains d’enfer. Mais qui de la résistance, la vraie, celle qui veut sortir d’une démocratie frelatée pour l’imaginer pense à eux ? dans une autre dimension et une autre vérité ? « Trop d’images tue l’image » pour faire d’un tourbillon un horizon qui n’en finit pas. N°132 Octobre 2016Jean Lafay 116 Acteurs de l’économie - La Tribune
TRIBUNE Comprendre Cet été, la France a atteint un nouveau triste record de surpopulation carcérale, avec 69 345 personnes détenues. Pour parer à cette situa- tion, on entasse deux à trois personnes dans 9 m² et l’on installe des matelas au sol. Avec des conséquences dramatiques : un manque d’intimité propice aux violences et une prise en charge de détenus défaillantes à tous les niveaux. De la santé à la préparation à la sortie, toutes les struc- tures sont saturées. Si bien que, pour la plupart des détenus, les peines de prison se soldent par des sorties non préparées. Entre 2005 et 2014, près 7 000 places de prison ont été créées. Le nombre de prisonniers, lui, a aug- menté quasiment dans la même mesure, passant de 58 000 à 67 000 personnesPRIVILÉGIONS détenues. Ces chi res prouvent l’ine icacité de la construction de nouvellesDES PEINES places de prison, principale réponse à la surpopulation apportée par lesQUI ONT gouvernements successifs. Pourtant, cet été encore, en visite à la maisonUN SENS d’arrêt de Nîmes, Manuel Valls promettait un nouveau plan d'extension du parc pénitentiaire. En fait, la prison produit ce qu’elle entend combattre. Vide de sens, l’incarcération renforce les parcours déviants par la rupture des liens sociaux, des possibilités de travail, et socialise au contraire le détenu dans des cercles criminogènes. Le taux de récidive chez les per- sonnes sorties de prison sans accompagnements est de 63 %. Mise en regard, une sanction alternative, supervisée par un professionnel bien formé, per- met de réduire le taux de récidive de 20 à 25 %. Au-delà, la construction de prisons est extrêmement couteuse financièrement. ntre et , l’ tat a consacré , milliards d’euros l’augmentation du parc carcéral. our l’e et que l’on connaît. La réponse est donc ailleurs : il faut allouer ces moyens financiers aux peines alternatives l’incarcération prévoir des budgets pour des personnels d’insertion, des structures d’accompagnement, une prise en charge centrée sur les problématiques des personnes (addictions, vio- lences, troubles mentaux), seuls à même de prévenir la récidive.PENSONS UN VRAI PLAN POUREN FINIR AVEC LE CERCLE VICIEUXD’UNE PRISON « ÉCOLE DU CRIME »Delphine Boesel, DU SENS © DRAvocate au Barreau de Paris,Présidente de la section Alors que la grande majorité des détenus sont condamnés à des peinesfrançaise de l’Observatoire courtes, connues pour être particulièrement désocialisantes, il faut privi-international des prisons légier des peines qui ont un sens. Le travail d’intérêt général permet un travail gratuit au profit d’une collectivité ou d’une association et place leLire le dossier sur condamné au cœur de la société plutôt que de l’en exclure. Le placement àle travail d'intérêt général, l’extérieur permet une personne d’e ectuer tout ou partie de sa peine aupage 94. sein d’un établissement ouvert, et de mettre en œuvre un projet de réinser- tion. Il ne s’agit pas de mesures laxistes, comme on l’entend trop, où lesN°132 Octobre 2016 gens sont « libres et tranquilles ». Il s’agit de maintenir un contrôle tout en proposant un accompagnement vers la formation, le travail, etc. et fina- lement des possibilités bien meilleures de sortir de la délinquance. C’est un coût moindre pour la société aussi. Alors qu’une journée en détention coûte en moyenne 100 euros par détenu, une mesure de placement à l’extérieur coûte 35 euros à la collectivité. Alors pourquoi ne pas faire ce choix ? A quelques mois de l’échéance électorale, la raison et l’intelligence risquent de nous faire défaut. a raison, ce sont ces chi res et les études scien- tifiques qui démontrent qu’une personne qui l’on propose une alternative au monde violent de l’enfermement a moins de chances de récidiver. L’intel- ligence, ce serait de penser un vrai plan pour en finir durablement avec le cercle vicieux d’une prison « école du crime ». Pour cela, il faut des choix audacieux, qui peuvent sembler impopulaires mais qui ont fait la preuve, ailleurs, de leur e icacité. Acteurs de l’économie - La Tribune 117
TOUT CHANGER ! FORUM CNAM LA TRIBUNE© Musée des arts et métiers-Cnam / photo François Delastre SE TRANSFORMER POUR TRANSFORMER LE MONDE DÉBATS, DIALOGUES, MASTERCLASS MERCREDI 9 NOVEMBRE 2016 AU CNAM À PARIS AVEC EDGAR MORIN, CYNTHIA FLEURY, PASCAL PICQ, JEAN-LOUIS ÉTIENNE, LAURENT ALEXANDRE, SERGE GUÉRIN, CÉDRIC VILLANI, MICHEL WIEVIORKA, JEAN-MARIE CAVADA,DOMINIQUEWOLTON,ROGER-POLDROIT,NICOLASBAVEREZ,OLIVIER FARON, CHRISTIAN SAINT-ÉTIENNE, GUILLAUME GOUBERT, BERNARD DEVERT, ABDÉNOUR AÏN-SEBA, PHILIPPE KOURILSKY, RÉMY WEBER, SANDRA ENLART, OLIVIER MONGIN, JEAN VIARD, ALAIN TOURAINE… Partenaires Partenaires médias Entrée libre sur inscription latribune.fr I #ForumCnam
COUP DE CRAYON DE KANELLOS COB SUR... Respirer Vingt millions de repas servis depuis 1927. Le chi re a de quoi faire tourner la tête. LA BRASSERIE GEORGES FÊTE CETTE ANNÉE SES 180 ANS.N°132 Octobre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 119
Respirer DAVID DÉCAMP 120 Acteurs de l’économie - La Tribune N°132 Octobre 2016La poésie dans toutes ses formes constitue le domaine de prédilection de la maison d’édition.
DAVID DÉCAMP Respirer Alors que les publications de livres n’ont jamais été aussi nombreuses, dominées par des sociétés d’édition de plus en plus puissantes, certains éditeurs, confidentiels, prennent le parti de publier des textes plus pointus, notamment des poésies. C’est le choix de La Rumeur libre, une petite maison d’édition nichée dans la Loire, qui défend les écritures de création et s’inscrit dans le développement de son village, Sainte-Colombe-sur-Gand. REPORTAGE, NELLY GABRIEL PHOTOGRAPHIES, LAURENT CERINO / ADELA RUMEUR LIBREL’EXIGENCE DES MOTSN°132 Octobre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 121
Respirer LA RUMEUR LIBRE122 Acteurs de l’économie - La Tribune ainte-Colombe-sur-Gand, terre de tisseurs. Des panneaux l’in- diquent, dès l’entrée du village. Souvenirs de l’activité textile qui, de la fin du XIXe siècle au milieu du siècle dernier, anime avec dynamisme ce territoire des Montagnes du Matin, dans le Roan- nais. À l’image de l’entreprise Romagny, maison de tissage fami- liale, créée en 1917 à Sainte-Colombe par Claude Guerpillon, reprise par Marcel Romagny, son gendre, en 1940, puis par le fils de celui-ci, Claude, en 1970. Dans la grande usine construite par son grand-père en 1924, en haut du bourg, il développe une activité, mais qui, avec la crise, va inexorablement péricliter au point que l’usine-mère ferme en 2000. Depuis, le bâtiment au toit à redents n’abrite plus de métiers à tisser, d’ateliers de confection ou de magasins de présentation des collections. Celles visibles appartiennent à La Rumeur libre, maison d’édition fondée en 2007 par Andrea et Dominique Iacovella. À Sainte-Colombe-sur- Gand, la trame des mots a remplacé celle des fils. Au cours de l’année 2000, Andrea et Dominique Iacovella, expa- triés à Athènes puisque ce dernier est en poste à l’École française, choisissent ce village de la Loire, accroché au bord de la vallée du Gand et de celle du Bernand, entre Balbigny et Tarare, pour point de chute lors de leurs séjours en France. Rentrés en 2004, les Iacovella s’installent donc naturellement à Sainte-Colombe. Bien que pièce rapportée dans un tissu social et économique particu- lièrement malmené par la fermeture de l’usine et la construction de l’A89 (amputant grandement les surfaces agricoles et les zones naturelles sensibles), les habitants de la « maison grecque », ainsi désignée pour ses volets bleus, ne restent pas indifférents à cette situation qu’ils qualifient d’humainement dramatique. Bien inté- gré dans la vie de la cité, et par la volonté de certains habitants, Andrea Iacovella ira même jusqu’à occuper la fonction de maire, de 2008 à 2012. « Quinze jours après mon élection, se souvient-il, un repreneur s’est présenté pour l’usine Romagny. Mais le projet n’était pas intéressant pour la localité. Il s’agissait seulement de transformer les locaux en entrepôt, ce qui ne rapportait rien à la commune. Que faire ? Racheter les locaux au prix du domaine et installer une zone artisanale ? » Il lance l’idée, qui n’aboutit pas, en raison de l’iner- tie des collectivités territoriales sollicitées. L’usine reste en friche. N°132 Octobre 2016
LA RUMEUR LIBRE RespirerJusqu’à ce jour de 2011 quand, envahi par les livres qu’il stocke VERA VU DU PONTen quantité chez lui, le couple Iacovella propose à la commune derécupérer une partie des locaux demeurés vides. Petr Zelenka / Élise Vigier Arthur Miller / Ivo van Hove« Les gens n’avaient aucune idée de ce que nous pouvions en faire. Marcial Di Fonzo BoNous en avions tout à fait conscience. De plus, cette usine était la leur, ROCCO ET SES FRÈRESà tous peu ou prou. Plusieurs générations y avaient travaillé. Aussi, ANDORRArégulièrement, nous les avons invités à venir visiter les installations, ROCCO UND SEINE BRÜDERprésenter les éditions. D’autant que nous avons fait cela à notre rythme, Max Frisch / Sarkis Tcheumlekdjianpar étapes. Il n’y a pas eu d’appropriation brutale des lieux. De voir les Luchino Visconti / Simon Stonelieux rénovés, retrouver vie, les a réjouis, si l’on en croit les réactions et LA GRENOUILLE AVAIT RAISONles réflexions », reconnaissent-ils. James Thierrée LE CAS SNEIJDERUN COUPLE ENGAGÉ ACCESO Jean-Paul Dubois / Didier BezaceL’histoire de La Rumeur libre est (aussi) celle d’un apprivoise-ment réciproque. D’un décalage culturel dépassé dans le respect Pablo Larraín / Roberto Farías LES ÉVÉNEMENTSmutuel. Celle d’une intégration qui, à l’aune de ces 16 années,s’est semble-t-il réalisée du mieux qu’elle pouvait. Une intégration TABLEAU D’UNE EXÉCUTION David Greig / Ramin Grayqui tient pour une large part à la personnalité de nos protago-nistes. Ex-enseignante, un temps tentée par le métier de libraire, Howard Barker / Claudia Stavisky RÉPARER LES VIVANTSférue de transmission et de pédagogie, Dominique Iacovella estune femme de terrain, de contact, de présence. C’est elle qui, LE BRUIT COURT QUE NOUS Maylis de Kerangal / Sylvain Mauricepour La Rumeur libre dont elle est la gérante, assure la présence NE SOMMES PLUS EN DIRECTlors de salons, le contact avec les libraires. Une femme enga- LE VENT SE LÈVEgée socialement, comme son mari. Fils d’émigré italien, né en Collectif L’Avantage du douteFrance, Andrea Iacovella vit ses 14 premières années en Italie, (LES IDIOTS/IRRÉCUPÉRABLES ?)avec sa mère, avant de revenir à Vénissieux, auprès de son prolé- SEA GIRLS - LA REVUEtaire de père et de ses frères, alors qu’il ne parle pas le français. Pasolini, Sade, Debord, Muray,Suit un parcours d’intégration quasi-exemplaire qui le conduit Agnès Pat’ / Judith Rémy Bond... / David Ayalaau doctorat de langues, civilisations des Mondes anciens et au Prunella Rivière / Delphine Simondiplôme d’ingénieur en informatique. Depuis huit ans, il occupe NOBODYla fonction de directeur adjoint de l’École nationale supérieure Philippe Nicolled’informatique pour l’industrie et l’entreprise à Evry (ENSIIE). Falk Richter / Cyril TesteEt c’est ne rien dire du poète et du plasticien qu’il est par ailleurs. Collectif MxMBÉNÉFICIER AU TERRITOIRE CIRCUS INCOGNITUSAprès neuf années de fonctionnement, la maison d’édition a Jamie Adkinsatteint « une certaine maturité économique qui pourrait faire vivre sonéditeur » (150 000 euros de chiffre d’affaires, trois salariés). Mais LA FAMILLE ROYALEelle affiche d’autres ambitions et pointe vers un autre horizon.Est-ce parce que lui-même a été en partie façonné par l’action William T. Vollmann / Thierry Jolivetsociale et culturelle qu’Andrea Iacovella s’y consacre en créant La Meute - ThéâtreLa Fabrique des Colombes ? « Comment concrétiser notre présencedans le territoire ? Comment notre maison d’édition peut-elle lui béné- AMPHITRYONficier ? À travers des lectures, des accueils d’auteurs en résidence,des événements ponctuels. Tout ceci est une suite logique de notre Molière / Guy Pierre Couleautravail d’éditeurs. Mais nous avons eu envie d’aller plus loin, souligneAndrea Iacovella, développant le projet de Centre d’art et du TAILLEUR POUR DAMESlivre, qui prend vie cette rentrée même. Nous avons constaté qu’iln’y avait pas, ou très peu, en milieu rural, de structures publiques pre- Georges Feydeau / Louise Vignaudnant en charge les arts plastiques. Aussi ouvrons-nous, dès ce mois deseptembre, des ateliers d’arts plastiques, placés sous la responsabilité TERRE NOIREdu peintre Alain Pouillet. » Certains artistes exposants pourrontégalement être accueillis en résidence sur la commune, la mairie Stefano Massini / Irina Brookmettant un appartement à disposition. Une démarche entreprisepour un public « local, bien sûr, mais aussi régional et internatio- JE CROIS EN UN SEUL DIEUnal, pourquoi pas ! » s’enthousiasme Andrea Iacovella, convaincuque si la proposition est intéressante, elle séduira des amateurs. Stefano Massini / Arnaud MeunierInitiative privée, La Fabrique des Colombes est administrée parune association loi 1901 et ne bénéficie, pour l’heure, d’aucune COLD BLOODsubvention pour son fonctionnement. « Cela n’est pas notre phi-losophie. Nous préférons mettre sur pied un projet, faire en sorte qu’il Michèle Anne De Meysoit viable par nos propres moyens. Après, nous verrons », soutient Jaco Van Dormael / Kiss & Cryle maître des lieux. À l’image de leur maison d’édition, pour LES GRAVATSN°132 Octobre 2016 Jean-Pierre Bodin / Alexandrine Brisson Bonaventure Gacon / Jean-Louis Hourdin UND CORRIDA - Illustration : François Roca - Licences : 127841 / 127842 / 127843 Howard Barker / Jacques Vincey MAYDAY (BIG BLUE EYES) Dorothée Zumstein Julie Duclos / L'In-quarto KARAMAZOV Fiodor Dostoïevski / Jean Bellorini HONNEUR À NOTRE ÉLUE Marie NDiaye / Frédéric Bélier-Garcia 04 72 77 40 00 | www.celestins-lyon.org Acteurs de l’économie - La Tribune 123
Respirer LA RUMEUR LIBRE dernière qui sera choisie. « En créant La Rumeur libre, en tant que consultant économique, je savais parfaitement dans quoi je m’engageais.laquelle ils ont attendu quatre ans avant de solliciter la Région Je connaissais les rouages. » Et ce spécialiste des nouveaux modesRhône-Alpes, dont la subvention ne représente actuellement que de management et des nouvelles formes d’économie, d’exposer40 % du chiffre d’affaires. les tenants et les aboutissants, les grandeurs et misères de l’éco- nomie du livre, de sa fabrication à sa diffusion. Son bagage lui estDES DIFFICULTÉS d’autant plus utile que la petite maison d’édition – aujourd’huiEt bien qu’ils existent d’autres exemples sur le territoire d’édi- une trentaine d’ouvrages par an tirés à 1 500 exemplaires et 50teurs installés dans de modestes bourgades – comme Cheyne auteurs au catalogue pour 110 ouvrages – possède des exigencesÉditeur (plus de 35 ans d’impression poétique) d’abord au Cham- aussi bien dans le contenant que pour le contenu.bon-sur-Lignon, en Haute-Loire, et depuis 2014, à Devesset, enArdèche – développer au quotidien son entreprise en territoire « Notrerural est parfois semé d’embuches. Alors que la qualité de vie lectorat, celuiest l’avantage mis en avant par Andrea Iacovella, lequel souligne des grandsqu’en soi, le territoire rural n’est pas un obstacle – « L’usage de lecteurs,toutes les formes de communication digitale permettent d’assurer le est outillé pourlien permanent avec l’activité réelle et le succès de chacun des pro- s’aventurerjets, autant dire d’assurer son développement » –, les difficultés ne dans lesmanquent pas : accès à internet et accès routier ensuite, pour les écritures delivraisons, et services de proximité, postaux par exemple, qui, création. »souligne l’éditeur, « se font de plus en plus rares. » Travailler en ter- Le coupleritoire rural engendre également un coût supérieur à celui du tra- Dominique etvail en ville. La voiture est un outil indispensable. « La rencontre, Andrea Iacovellaimpérative, avec le client est cruciale et stratégique. Il faut se rendre au a rénové l’usineplus proche de lui. Soit vous lui rendez visite, soit il vient à vous. Encore Romagny defaut-il avoir un point de chute. C’est pourquoi La Rumeur libre dispose Sainte-Colombe-d’un lieu situé en plein cœur de Lyon et en plein centre de Paris. En fait, sur-Gand pour ennotre entreprise est symptomatique des structures économiques qui se faire un lieu de viedéveloppent aujourd’hui. » et d’expression littéraire. LES ÉCRITURES DE CRÉATIONC’est donc sur ce schéma qu’est née, en mai 2007, La Rumeurlibre, après une hésitation entre la création d’une fondation, d’unelibrairie ou d’une maison d’édition. Ce sera finalement cette124 Acteurs de l’économie - La Tribune N°132 Octobre 2016
Une démarche qui l’a conduit à se concentrer sur le travail d’édi- LA RUMEUR LIBRE Respirertion, sans s’encombrer de l’impression, en optant pour des pro- formes hybrides de circulation et des échanges des œuvres, entre vir-duits industriels de qualité (pas d’impression numérique, par tuel et traditionnel, l’évolution de l’offre en termes d’objet, de service,exemple). « Nous avons commencé par travailler avec des imprimeries d’événements, de création individuelle et collaborative. Rien dans toutfrançaises mais, rapidement, il est apparu que le service attendu dépen- cela n’induisant une quelconque décadence du travail du texte. » Maisdait d’imprimeries assurant ce travail pour les grands éditeurs. Ce qui c’est avant tout la poésie sous toutes ses formes actuelles qui resten’était pas adapté à nos productions. » Aussi, les conditions finan- son domaine de prédilection. Dans cette défense des écriturescières, économiquement impossibles à supporter, conduisent-elles de création, dans son désir de « construire des outils pour regarderrapidement La Rumeur libre à travailler avec une société de droit une époque », il y a la volonté, déclinée en plusieurs collections,français disposant d’ateliers de production en Europe. de constituer un corpus significatif d’auteurs des 50 dernièresL’exigence éditoriale est telle que la maison s’adresse à un public années (Roger Dextre, Patrick Laupin, Annie Salager, Françoisde niche – celui des grands lecteurs – plutôt qu’au plus grand Montmaneix, Sylvestre Clancier et Jean Pérol sont quelques-unsnombre. Andrea Iacovella les définit comme des gens qui se de ceux-là). Corpus qui d’ailleurs s’élargit à de nouveaux auteursrisquent à une lecture du littéraire, dans le sens le plus ouvert, d’année en année (400 manuscrits lui parviennent chaque année).allant de la philosophie au roman, en passant par des essais. Les primo-publiants sont désormais accueillis dans la revue« C’est un lectorat outillé pour s’aventurer dans ce que j’appelle les écri- semestrielle, consacrée à l’actualité des écritures, dont La Rumeurtures de création. Si nous ajoutons à ces lecteurs ceux de la poésie, entre libre vient de se doter. Confiée à Thierry Renard et à un comité deautres, le chiffre de 200 000 est un ordre sociologique de grandeur sur rédaction, rumeurs, par son format, sa mise en page, sa prodigalitélequel nous bâtissons l’économie de La Rumeur libre. Cela représente éditoriale n’est pas sans évoquer La Polygraphe ou La Main de singe,une nouvelle forme de culture, issue des formes expérimentées dans revues d’Henri Poncet (décédé en 2015), fondateur des éditionsles années 1970 et qui ont fait leur chemin, au carrefour du texte, de la Comp’Act qui, après plus de 20 ans de combat pour la littéra-représentation en public, des arts visuels et acoustiques. Aujourd’hui, ture et l’édition, ferma boutique en 2007. « Toutes ces pratiques,elle est encore en gestation, mais a atteint une certaine maturité. ces expériences, tous ces auteurs, confie Andrea Iacovella à proposCependant, il lui manque un ancrage économique pour que l’inscrip- des éditions Comp’Act et de leur créateur, si on ne les relayait pas,tion sociale puisse s’accomplir. Le pas décisif dépendra de l’avenir des allaient disparaître, se disperser. Nous avons pensé qu’il nous fallait les rassembler à nouveau. »« Nous préférons mettre sur pied un projet, faire en sortequ’il soit viable par nos propres moyens. Après, nous verrons »LDAU VDAELSEIGUNRCEi1t0éx5p.8d0o.u09s.1id2t.i2e0o0sn1i61g7nLes produits français etinternationaux primés parRed Dot design awardN°132 Octobre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 125
Respirer RUBRIQUE DE NOMLE GRAND VIKINGDU BARROUXREPORTAGE, DOMINIQUE MYRIAM DORNIERPHOTOGRAPHIES, LAURENT CERINO / ADEAprès une dizaine d’années de Un regard outremer où se voilà conseillant les domaines de Napaviticulture dans les plus grands devinent les paysages Valley et de Sonoma Valley, au nord dedomaines de Californie et déchiquetés de la Bal- San Francisco, puis chef de cave pourd’Australie, Even Bakke a choisi tique, une allure de Viking Landmark Vineyards et Matanzas Creek.l’aventure provençale, certes, mais débonnaire, et Un territoire californien, 3e producteuren s’installant au Barroux dans le caveau où il reçoit, mondial de vin, pourvu d’immenses(Vaucluse) sur 25 hectares peu de clients, un décor aires géographiques, détenues par desde vignes. Norvégien d’origine, suranné avec ces fauteuils de velours groupes financiers puissants pour les-né dans le Colorado, rompu élimé. Une pièce qui semble habitée par quels le vin est un investissement « exo-à la technologie parfaite des des mémoires multiples : sur la table, des tique ». « Leur petit jeu », moque Evenwinemakers, il a découvert, ammonites, dénichées dans les vignes, Bakke avec son accent yankee. Mais sesentre Carpentras et Malaucène, témoignent d’un terroir en partie issu racines européennes et son mariage avecau sommet de ce petit village du Paléolithique. Et lorsque le regard une Française, fille d’un grand produc-de moins de 800 habitants, s’attarde sur les murs, on pressent l’im- teur de champagne, lui intiment le désirun terroir rare ou il développe portance de la terre pour Even Bakke, et puissant de s’installer au cœur historiqueune approche de la viticulture l’on devine que celles qu’il a foulées ne le de la viticulture de terroir : la France. Ilbiodynamique acquise dans comblaient pas. Son esprit est celui d’un quitte un confort matériel certain pourle Nouveau Monde. voyageur, davantage pionnier qu’exilé, une aventure un peu plus poétique et qui a synthétisé toutes ses expériences aléatoire. L’homme se montre curieux,Even Bakke humaines et viticoles : aux États-Unis, en inventif, sceptique, et critique vis-à-visClos de T Australie et en Europe, où il est finale- des œnologues du Nouveau Monde qui,Le Barroux (Vaucluse) ment revenu. tout-puissants, travaillent sur des vins deVins : Il livre ici, dans ce nord de la Provence, cépage, comme si le sol n’entrait pas enventoux blanc une réflexion intelligente, ouverte, non ligne de compte.grenache blanc, clairette dogmatique, et remet la technique à sa « En Amérique, le concept de vigneronventoux rouge juste place, la délogeant de son aspect n’existe pas, résume-t-il. La plupart desgrenache noir, carignan, cinsault, syrah dictatorial. Even Bakke exprime son domaines achètent le raisin. L’œnologue désir d’être en phase avec ce qu’il appelle décide de la date des vendanges et de la « la recherche de la vérité d’un terroir », vinification, et s’occupe des vignes, sans se vivant comme adepte d’une écologie lien entre eux. Le winemaker passe une « spirituelle ». Un vrai chemin de fois par an dans les vignes. En Australie, conscience pour cet homme qui vient c’est pire, on dit que le raisin pousse dans d’un pays, dont les ancêtres en Norvège les camions ! », déplore-t-il. Le travail est ont été marqués par une extrême pau- « taylorisé », les vignes peu enracinées, vreté, et ce Nouveau Monde, où il a expé- comme si elles étaient une réplique de rimenté la réussite possible pour tous, l’histoire humaine toute récente. Après mais exclusivement matérielle. avoir visité une soixantaine de domaines Né d’une mère cuisinière et d’un père en France, il acquiert en 2007 et pour ingénieur, Even Bakke a découvert le une somme raisonnable, une vingtaine vin en Norvège. Pour payer ses études d’hectares de vieilles vignes au Barroux d’économie, il travaille d’abord comme - terroir qu’il juge « exceptionnel » -, dont sommelier. Et après de nouvelles études à certaines presque centenaires. De plus, Davis, en Californie, d’œnologie cette fois une forme de mystère imprègne le lieu, - qu’il finance en travaillant comme cui- une connexion espace-temps qui échappe sinier dans des restaurants français - le au rationnel.126 Acteurs de l’économie - La Tribune N°132 Octobre 2016
VIN RespirerN°132 Octobre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 127
Respirer LE GRAND VIKING DU BARROUXOBSERVATION sachant s’inscrire dans une dynamique mais pour les sols, ce sont les vigneronsAu pied du Ventoux, hivers neigeux et globale, car la nature silencieuse possède français et leurs terroirs rustiques et sécu-étés ardents, les lignes épurées du relief son langage complexe, qu’il s’agit de com- laires qui sont les experts : « Il manque lasculpté par la lumière, offrent un pay- prendre avant d’intervenir. Là réside la même expertise dans les caves, regrette-t-il.sage à la beauté éthérée. L’espace semble méthode du « grand Viking » ! Ici, les terroirs sont excellents, mais lorsqueordonné sous le ciel comme une estampe, l’on goûte le vin en cave, on se demande par-qui incite au silence, presque à la grati- DOUCE FRANCE fois ce qu’ils ont fait. »tude. Dans cette région qui a appartenu Even Bakke a aussi expérimenté l’aspect Le vigneron qui a exercé comme wine-longtemps à la papauté, le Ventoux dresse du terroir comme appartenance chevil- maker chez Walt Disney, « multimillion-un sommet étrange et majestueux, garan- lée au génome « gaulois », qui plus est naire », ne regrette pas la Californie,tissant aux vignes une fraîcheur nocturne dans ce Midi farouche. Il évoque la Cali- région qui tente de cerner ce fameuxqui fait rempart au vent remontant du Sud fornie où, malgré le plus grand nombre terroir, cette « soul », comme il dit, d’au-par la vallée du Rhône. L’AOC Ventoux, d’avocats au monde, il n’a jamais eu de tant plus absente qu’elle est difficile àtrès étendue géographiquement (6 000 problème. Au Barroux, en dix ans, il a comprendre. Mais la Californie, terrehectares de vignes, dont près de 80 % subi quatre procédures coûteuses, toutes forgée depuis 13 000 ans par des tribusvinifié en cave coopérative), voit, depuis perdues sans négociation possible. Dont indiennes, était possédée par ce génie duune quinzaine d’années, l’émergence de un procès intenté par une cave coopéra- lieu. Cette âme, spoliée par un matéria-vignerons indépendants qui tirent en tive proche, qui avait déposé avant lui le lisme offensif et ravageur. C’est donc, auavant l’appellation. En bouche, les blancs terme « Trias », du nom de ce passé géo- final, un pays jeune, érigé sur le massacredu Clos de T révèlent une belle minéralité. logique auquel appartiennent ces terres. « corps et âme » de 50 millions d’Amé-Quant aux rouges, le vigneron a réussi à Un autre avec l’une de ses parcelles en rindiens, qui possède un potentiel trèscalmer les ardeurs du soleil, en dévelop- fermage, qui commençait à être détruite riche – notamment des terres volcaniquespant finesse, fraîcheur, équilibre et une à la tronçonneuse, « car on n’appréciait pas merveilleuses pour la vigne –, mais quilarge palette aromatique. Les vins sont mis ma façon de travailler ». « J’aurais dû écrire doit encore cicatriser cette blessure, cetteen bouteille lorsqu’il les considère prêts, sur mon tee-shirt : « Je ne suis pas un riche offense aux « Native ». Et construire saparfois deux ans plus tard : « Mon comp- Américain, laissez-moi tranquille ! » », mémoire, faire croître d’autres racines, untable regarde ces cuves datées 2007, et me résume-t-il, en riant. nouveau Grand-Esprit, celui-là même quidit : « Mais que faites-vous avec cela ? » Mon Mais la qualité de ses vins finit par a poussé Even Bakke à s’installer ici dansidée, c’est de faire une cuvée multi-millésimée convaincre. En cave, il goûte cinq fois le plus grand bonheur, celui de l’aven-(mélangeant plusieurs cuvées, NDLR) pour par jour, et prend alors ses décisions, turier qu’il semble toujours être, avec levoir si l’on peut neutraliser l’effet climat », proscrivant toute autosatisfaction, d’où fil sympathique d’une forme de bienveil-explique-t-il, pragmatique. des dégustations nombreuses avec « des lance tranquille : « Je n’ai pas beaucoupL’herbe pousse entre les rangs du amis qui doutent tout le temps » ! Pour Even confiance dans l’être humain, conclut-il.domaine dont les couches profondes sont Bakke, le Nouveau Monde apporte une Il nous manque l’humilité, spécialement enanciennes : l’ère géologique du trias est expertise de haut niveau dans la cave, agriculture. »âgée de moins 251 millions d’années :Even Bakke travaille son domaine en « La nature, silencieuse, possèdebiodynamie, n’a pas de recette affichée, son langage, complexe, qu’il s’agitmais prend des notes depuis des années. de comprendre avant d’intervenir.Il essaie d’oublier à chaque millésime, cequ’il a fait l’année précédente, et favorise Là réside la méthode du « grand Viking » »l’enherbement pour renforcer la biodiver-sité. Sa taille (plus de deux mètres), sonaccent américain, et la mythologie tenacequi court encore en Provence sur le richeAméricain cigare au bec jetant ses dol-lars sur la table ont eu raison de lui. Ilest devenu pour ses voisins : « Le grandViking qui ne fout rien dans ses vignes (sic). »Car Even Bakke observe avec attentionet constate que la nature, s’organisantseule, trouve son équilibre. Il a longue-ment étudié Masanobu Fukuoka, un des« pères » japonais de la permaculture.Le vigneron qui prend le temps de mettreen bouteille ses vins est fasciné par cesmaîtres qui forment, au Japon, un sushiya(maître sushi)en pas moins de 10 ans.Les Occidentaux ont parfois du mal àappréhender la notion orientale de « non-agir ». Bien évidemment le contraire de lapassivité et de l’inaction, l’opposé de laparesse. Le bon geste au bon moment, en128 Acteurs de l’économie - La Tribune
Respirer TRIBUNE Aristote nous prévient dès le début de sa Politique : « Aucun des membres de la Cité ne peut se suffire à lui-même. A moins d’être un Dieu. »ALLONS-NOUS Et depuis deux millénaires et des poussières, nous vivons sur cette idée.DEVENIR Nous avons organisé tous nos systèmes politiques, juridiques, économiques,DES DIEUX philosophiques, théologiques autour de cette vulnérabilité fondamentale. « TuOU DES BÊTES es homme, tu es toi, mais tu ne te suffis pas. Tu appartiens à ta famille, àSAUVAGES ? ton clan, à ton parti, à ta religion, à ta nation. Il te faut la division duDES MAÎTRES travail pour te nourrir, l’armée pour te protéger, la culture pour t’éduquer,STOÏCIENS, une divinité pour te donner une raison d’être. » Or, voilà que la révolutionOU DES CLONES digitale est en passe de briser cette fatalité. Elle veut faire de l’homme ceSURVITAMINÉS Dieu qui n’a besoin que de lui-même. Qui est à lui-même son propre créateur.PASSANT C’est en ce sens que la nouvelle génération, celle des digital natives, chercheNOS JOURNÉES à faire advenir une forme d’autonomie radicale. Autonomie professionnelle bienÀ ATTRAPER sûr. Certaines analyses prédisent 400 % de freelancers parmi les travailleursLES POKÉMON ? américains d’ici 2020. Sondage après sondage, les moins de 25 ans se déclarent tentés par l’entrepreneuriat. La tendance est à la disparition progressive du salariat, chacun définissant pour lui-même sa propre identité professionnelle, la confluence de plusieurs activités. utonomie économique et monétaire. e succès des cr ptomonnaies nous permettra-t-il un jour d’e ectuer nos échanges sans nous soumettre à l’arbitraire des banques centrales ? L’espoir est là. Le bitcoin compte déjà entre trois et cinq millions d’utilisateurs. Plus large- ment, la technique de la blockchain est expérimentée pour créer des contrats fondamentaux, comme le cadastre (au Honduras ou au Ghana). On pourra créer sa monnaie et, en un sens, son système de lois. Autonomie politique. Les discus- sions fiévreuses sur la démocratie liquide, d’ ccup all treet au arti irate en passant par les expérimentations menées par Google à son siège de Moutain View, présagent d’un renouvellement total des formes politiques, abolissant la fonction de représentant comme la nécessité des partis, pour constituer un système de délégations multiples où chacun puisse transférer (et retirer) sa voix de manière immédiate.LA NOUVELLE GÉNÉRATIONLORGNE UNE AUTONOMIE ENCOREPLUS RADICALE : EXISTENTIELLEGaspard Koenig, VERTIGINEUSEPhilosopheet Président du think tank Au-delà de la sphère sociale, la nouvelle génération aborde avec enthousiasmeGénération libre une autonomie encore plus radicale : existentielle. C’est vrai pour la sexua- lité un tiers de la génération ne considère plus que le genre définisse un être humain, et réclame un choix sexuel personnalisé, parmi une infinité © DR de nuances possibles (neutre, pansexuel, cisgenré, transgenre, demisexuel, grissexuel, aromantique ou gynesexuel…). Mais c’est aussi vrai pour le corps lui-même. Les jeunes ne supportent plus de subir leur corps, ils veulent le modeler, que ce soit aujourd’hui par le tatouage, demain par l’augmentation de soi et les modifications génétiques, ou après-demain par l’immortalité biolo- gique que promet la théorie de la singularité. Cette autonomie totale, même si elle reste un horizon lointain, est vertigineuse. Et nous avons raison d’avoir peur. Car voici la fin de la citation d’ ristote « Aucun des membres de la Cité ne peut se suffire à lui-même. A moins d’être un Dieu ou une bête sauvage. » Allons-nous devenir des Dieux ou des bêtes sauvages ? Des maîtres stoïciens, ou des clones survitaminés passant nos journées à attraper les Pokémon ? Tel est le grand enjeu des politiques publiques du XXIe siècle. Auxquelles les vieilles générations mortelles pourront avantageusement prêter main-forte, pour assurer dans de bonnes conditions cette transition de l’individu vers l’autonomie.130 Acteurs de l’économie - La Tribune N°132 Octobre 2016
Paris Le temps respecte ce qui est construitSaint-Denis avec passionLyon La Part-Dieu Sadena - Villeurbanne 11 000 m²Villeurbanne 21 Ecully Parc - EcullyEcully 5 800 m² Tour Incity - Lyon Part-DieuLyon Gerland 40 000 m² Le 107 - Lyon Part-DieuPlaine Commune 5 600 m² Urban Garden - Lyon GerlandLyon Est 28 000 m²Paris Rive Gauche FINANCEMENT - MANAGEMENT DE PROJETS - FACILITY MANAGEMENTLyon Ouest 139 rue Vendôme – 69006 LYONAubervilliers Tél. : 04 72 74 69 49 sogelym-dixence.frLyon Saint-ExupéryParis La DéfenseBoulogneGrenobleLyon Brotteaux
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