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No 132 Acteurs de l'économie

Published by AGEFI, 2016-09-23 03:03:37

Description: Octobre 2016

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BOSCH EntreprendreBOSCHLA FUREURDE (SUR)VIVREENQUÊTE, MARIE-ANNICK DEPAGNEUXPHOTOGRAPHIES, LAURENT CERINO / ADEEntre l’avenir incertain 2020 allemand, les effectifs du site culminaientd’une de ses usines et l’arrêt à 1  900 personnes. Aujourd’hui, il endéfinitif d’une autre, la vie et après  ? Restera-t-il une production comptabilise 700, dont environ 400 ende Bosch à Vénissieux n’est Bosch à Vénissieux ? Les syndicats ne se production. Face à la crise, deux nou-pas, et de loin, un long fleuve font guère d’illusion. Ils sont convaincus veaux plans de sauvegarde de l’emploitranquille. Pourtant, à chaque que ce site, emblématique de l’équipe- seront mis en œuvre au cours du secondcrise traversée, l’équipementier mentier allemand, sera rayé de la carte semestre  : d’une part, au sein de Boschallemand parvient à rebondir de ses installations industrielles hexa- Rexroth DSI (employant 360 personnes etet à maintenir l’outil de gonales, à la fin de la décennie comme spécialisé dans les organes de commandeproduction, poussé à chaque l’ont été, précédemment, Beauvais (Oise), pour les machines de travaux publics)  ;soubresaut par une pression Pont-de-l’Arche (Eure) et Bonneville d’autre part, au sein de Bosch diesel DSaccrue des forces syndicales (Haute-Savoie). Marc Baeumlin, arrivé en (employant 160 personnes et fabricantbien décidées à poursuivre 1992 à Vénissieux et aujourd’hui direc- de pistons et cylindres pour les moteursl’aventure. teur technique du site, se souvient qu’en diesel), avec des destinées différentes. De 2007, année faste pour l’équipementier plus, et en ce mois de septembre, l’ave-N°132 Octobre 2016 nir demeure toujours incertain pour l’ancienne entité Bosch Solar, logée sur le même site et reprise par Sillia VL en juin 2014. L’inquiétude grandit parmi Acteurs de l’économie - La Tribune 51

Entreprendre BOSCH « Quand Bosch licencie ou se désengage d’une activité ou d’un site, il alloue les moyens nécessaires. Il possède l’image d’une société responsable. Nul n’en attend moins d’un grand groupe »En 2007, année faste pour l’équipementier allemand, les e ectifs du site culminaient à 1 900 personnes. Aujourd’hui, à 700.52 Acteurs de l’économie - La Tribune N°132 Octobre 2016

BOSCH Entreprendreles quelque 130 salariés réembauchés de l’évolution des normes anti-pollution peuvent constituer une joint-venture. Maispar cette PME bretonne. Son PDG Bruno (Euro 6) restreint les débouchés de ces avec quel partenaire ? », interroge PatrickCassin parviendra-t-il à obtenir les 10 composants en Europe. Faure, délégué CFE-CGC.à 12 millions d’euros nécessaires pour Quant à l’unité Bosch Rexroth, elle est-recapitaliser l’entreprise et investir ? Rien sauvée, tout au moins jusque fin 2020. UNE GRÈVE VÉCUE COMMEn’est moins sûr et le temps presse. «  Nous avons gagné une bataille, pas la UN AFFRONT guerre  », nuance Mohand Chorfa, secré- La nouvelle organisation Rexroth devra« NOUS AVONS GAGNÉ UNE BATAILLE, taire CGT du comité d’entreprise. Le être effective fin 2017. Les avancées ontPAS LA GUERRE ». conglomérat présidé par Volkmar Denner été obtenues au prix d’un conflit deDu coup de canif dans les 35 heures voulait au départ délocaliser l’intégralité quinze jours effectifs, déclenchés le 26en 2005 à la reconversion inespérée de cette production, principalement en avril dernier. « Pour l’Allemagne, cette grèved’une partie de l’activité dans le photo- Turquie. Il a dû faire marche arrière. était un affront. En appelant à un blocagevoltaïque en janvier 2012, Bosch diesel «  Nous conserverons la plus récente des total, les deux premiers jours, nous recher-Vénissieux a fait les grands titres de l’ac- lignes de production (trois lignes de série et chions un impact fort. Nous savions quetualité. En contrepartie du passage à 36 une de rechange). Les volumes seront réduits notre démarche aurait un important retentis-heures payées 35, 25 millions d’euros de moitié, mais nous garderons en amont sement, car nous avions été reçus par le pré-avaient été investis alors dans une nou- des activités d’usinage. Que l’ensemble de fet de région en avril », poursuit Mohandvelle ligne de montage de la pompe diesel la chaîne de compétences soit maintenu est Chorfa. Les syndicats se félicitent d’avoirhaute pression CP1H, arrêtée fin 2011 au essentiel pour soutenir la mise sur le mar- trouvé auprès de Heiko Carrié, présidentprofit d’une nouvelle génération, fabri- ché des innovations développées et testées, de Bosch France SAS, « l’interlocuteur qu’ilquée ailleurs. La relève sera assurée par sur place, sur les machines de nos clients », fallait ». « Il a joué un rôle majeur de modé-le solaire moyennant un nouvel inves- démontre Marc Baeumlin. rateur pour trouver une issue constructive »,tissement de plus de 20 millions d’eu- L’équipementier germanique a même appuie Marc Baeumlin.ros. Nouveau coup de tonnerre lorsque accepté de rapatrier sur Vénissieux toute De son côté, Simon-Pierre Eury, chef dule groupe basé à Stuttgart annonce, en la production des joysticks (les manettes pôle entreprises, emploi et économie à2013, son retrait de cette industrie, au de commande), aujourd’hui fabriqués en la Direction régionale des entreprises,niveau mondial. L’histoire se répète avec Chine et pour une faible part au Japon. Et de la concurrence, de la consomma-la cessation de la production de pistons ce, «  alors que le scénario initial prévoyait tion, du travail et de l'emploi (Direccte)et cylindres pour moteurs diesel (destinés la vente des joysticks. S’ils se sont engagés à Auvergne Rhône-Alpes, reconnaît : « Ceaux poids lourds) fin 2017. La poursuite ne pas céder cette activité avant fin 2020, ils conflit a permis d’éviter un PSE trop lourd.N°132 Octobre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 53

Entreprendre BOSCHSupprimer la moitié des effectifs comme « L’entente de tous fin 2020  », prévient le représentant CFEprévu au départ était excessif. L’assemblage les syndicats fait CGC. Le PDG de Bosch France rappelledes distributeurs est essentiel pour conserver la force de l’unité que l’Allemagne a, elle aussi, payé son tri-une expertise sur le site de Vénissieux, qui voisine Bosch but à la contraction des marchés : le plandispose d’une visibilité de quatre ans et demi. Rexroth. Ici, de restructuration présenté, outre-Rhin,Ce site peut connaître un nouveau départ. nous avons échoué en 2015, a touché 1 150 postes dans sixDès maintenant, il faut renforcer sa compé- à la construire usines.titivité. » Le plan social a ainsi été limité à plusieursaux seuls départs volontaires et en prére- reprises » FIN DE PARTIE POUR LES PISTONStraite à compter de 55 ans (60 mois avant « Il était possible de donner une vision indus-la retraite légale), soit environ 65 départs trielle à l’unité Rexroth de Vénissieux, ceescomptés au total. Toutefois, l’objectif qui n’était pas le cas pour l’activité diesel,demeure d’abaisser les coûts de 19 mil- en dépit des efforts déployés pour identifier,lions d’euros, comme le confirme Heiko auprès des différentes divisions du groupe,Carrié. « Nous pensons plutôt arriver à 15,5 une production à transférer », assure Heikoou 16 millions  », souligne Patrick Faure. Carrié. Les pouvoirs publics ont alorsLa réduction des charges salariales, pris acte de la décision du groupe de sel’abandon des produits vendus à perte, tourner vers une solution externe pourla révision des prix ou encore la politique réindustrialiser cette usine de compo-d’achat doivent contribuer à équilibrer sants en faisant appel à Boston Consul-les comptes en 2018. « Dans ce cas, il n’y ting. Des négociations confidentiellesaura pas d’autres suppressions de postes, ont été engagées dès le début 2016 avecsachant qu’au titre de l’accord de fin de crise BoostHEAT, inventeur d’une gamme deofficiellement signé le 13 juin en préfecture chaudières thermodynamiques breve-(en présence de David Kimelfeld, premier tées. « Le rôle de l’Aderly (Agence pour levice-président de la métropole de Lyon développement économique de la régionet de Michèle Picard, maire de Vénis- lyonnaise) a été essentiel dans cette mise ensieux, NDLR), la direction a garanti des relation », insiste Simon-Pierre Eury. Uneeffectifs minimum de 270 personnes jusqu'à fois le processus suffisamment engagé, ce « Prolonger jusqu’à fin 2017 une partie de la production laisse du temps pour accompagner les collaborateurs. Mais qu’il existe des insatisfactions est compréhensible », concède Marc Baeumlin, directeur technique du site.54 Acteurs de l’économie - La Tribune N°132 Octobre 2016

BOSCH Entreprendredernier dit avoir « pris l’initiative, en mai, challenge industriel qui s’ouvre à nouveau recrutements supplémentaires en 2017 etde contacter les dirigeants de BoostHEAT en pour ce site. » Bien que préretraité depuis 22 de plus en 2018, année du démarrageleur proposant son aide, en jouant les facilita- fin 2014, celui-ci a conservé son mandat effectif de la production, en visant 412teurs ». Là encore, et face à un mouvement syndical et a été en première ligne une millions d’euros de ventes à l’horizonayant largement perturbé la production fois de plus. « L’entente de tous les syndicats 2021. La jeune pousse commencera parpendant plus de trois semaines, la direc- fait la force de l’unité voisine Bosch Rexroth. occuper 550 m2 et disposera de 5 000tion a accepté d’amender le projet de Ici, nous avons échoué à la construire à plu- m2 fin 2017. « Nos intérêts et ceux de BoschPSE et de ne procéder à aucun licencie- sieurs reprises », déplore Kamal Ahamada. convergent. Ils nous versent une aide (quatrement contraint parmi les 113 employés millions d’euros selon nos informations,concernés. LE SAVOIR-FAIRE DES SALARIÉS NDLR) liée à la revitalisation du site. NousPas suffisant pour la CGT : « Au sein de la «  Prolonger jusqu’à fin 2017 une partie de venons ici trouver le savoir-faire des salariéscommission de recherche industrielle, nous l’actuelle production laisse du temps pour qui développent des composants pour dieselnous sommes battus et avons montré qu’il accompagner les collaborateurs. Cela per- et développeront, demain, des composantsétait possible de trouver des alternatives en met une transition sans rupture entre une de compresseurs thermiques. Ils quitterontinterne. Nous avons travaillé avec nos cama- activité industrielle existante et une à venir. progressivement Bosch pour nous rejoindre,rades du site de Rodez (Aveyron) qui, en sur- Mais qu’il y ait des insatisfactions est com- après avoir perçu leur solde de tout compte.charge d’activité, recourt à 300 intérimaires. préhensible  », concède Marc Baeumlin. J’ai vraiment l’impression que Bosch met toutNous avons démontré qu’à Vénissieux, nous Engagé dans une course contre la montre, en œuvre pour que cela se passe le plus effi-pouvions assurer la fabrication de corps BoostHEAT, dont l’adresse du siège social cacement », observe Luc Jacquet.d’injecteurs de dernière génération dans des a été transférée de Nîmes à Vénissieux,conditions économiques aussi rentables qu’à a affiché dès la mi-juillet les profils des BOSCH MET LES MOYENSBambert, en Allemagne, ou qu’en Turquie », huit premiers postes créés et ouverts aux À ce propos, Simon-Pierre Eury recon-tonne Kamal Ahamada, délégué cégé- salariés de Bosch diesel. « L'objectif est de naît : « Quand Bosch licencie ou se désengagetiste. D’ailleurs, sa centrale n’a pas voulu procéder aux premières embauches en d’une activité ou d’un site, il alloue les moyensparticiper au référendum organisé le 29 octobre dans les métiers de la qualité, de l’in- nécessaires. Il possède l’image d’une sociétéjuin auprès du personnel, qui a plébis- génierie et de la logistique  », énonce Luc responsable. Nul n’en attend moins d’uncité le projet BoostHEAT. Au nom de la Jacquet, cofondateur (avec Jean-Marc grand groupe. » Pour récupérer le solaire,CFDT, majoritaire, Marc Soubitez s’est, Joffroy) et directeur général de la jeune Sillia VL a perçu six millions d’euros delui, réjoui des résultats  : «  C’est un beau société. Le plan de marche prévoit 20 cash initial et une subvention d’équi- libre annuelle de 3,1 millions d'eurosQUI EST REXROTH ? durant les trois premiers exercices. DeBosch a acquis l’usine diesel en 1974 et l’unité Rexroth, en 2001. Aux activités industrielles même, en matière d’information dude Rexroth et de Bosch diesel, s’ajoute, sur le site de Vénissieux, l’usine reconvertie dans le personnel, «  les syndicats sont prévenussolaire et aujourd’hui exploitée par Sillia VL. Outre la production, 50 ingénieurs et techniciens très longtemps à l’avance. Ce qui est plusse consacrent à la R&D chez Rexroth et une quinzaine sont dédiés à la vente. Au sein de atypique  », ajoute le représentant de laBosch diesel, l’équipe de développement se compose de 45 personnes. De plus, 150 per- Direccte. Le projet d’arrêt de l’activitésonnes commercialisent en France l’ensemble des gammes des produits Rexroth. diesel a été évoqué dès mars 2015, un anLors d’une conférence de presse au printemps dernier, Heiko Carrié a assuré que le marché avant son officialisation. Avis partagé parfrançais, le cinquième pour le groupe au niveau mondial, « conserve une importance straté- Isabelle Mercier, directrice associée degique pour Bosch ». Il a indiqué que 400 millions d’euros avaient été investis dans l’Hexagone Katalyse, cabinet de conseil en stratégie etentre 2010 et 2015 et près de 60 millions pour l’année 2016. développement, accompagnant la firmeLe groupe qui compte 7 700 collaborateurs en France, dont 782 chercheurs et développeurs, allemande dans la recherche de solutionsa réalisé trois milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2015, en hausse de 2,8%. internes sur le site de Mondeville, dans le Calvados. La culture d’entreprise prônée par Robert Bosch, le fondateur, et basée sur des valeurs fortes, se perpétue avec la fondation d’utilité publique qui contrôle le géant industriel. CONSEIL EN RECRUTEMENT 3 rue de la République, 69001 Lyon DIRIGEANTS & CADRES EXPERTS Tél. 04 72 00 76 76 - www.innoe.net LYON - PARIS - INTERNATIONAL Acteurs de l’économie - La Tribune 55N°132 Octobre 2016

Entreprendre RUBRIQUE DE NOM YVES BONTAZ NO LIMIT PORTRAIT, DIDIER BERT© Didier Bert 56 Acteurs de l’économie - La Tribune N°132 Octobre 2016

YVES BONTAZ Entreprendre « Cet homme Ce fils d’ouvrier du décolletage, ins- possède un fond tallé à Marnaz, dans la vallée de l’Arve exceptionnel, (Haute-Savoie), étudie à l’École nationale mais il n’a pas d’horlogerie (ENH) de Cluses, dont il sort conscience major de promotion en 1957. Le décolle- du mal qu’il tage est alors en pleine expansion. Après peut faire », avoir été les sous-traitants des horlogers illustre un suisses depuis deux siècles, les paysans dirigeant de la vallée sont très sollicités par les d’entreprise, industriels, notamment de l’automobile, tenant à dont les commandes sont dopées par l’es- conserver sor économique des Trente Glorieuses. l’anonymat. À cette époque, tout le monde se met à son compte, en installant des machines chez soi. «  À Marnaz, il n’y avait plus de boucher, plus aucun commerçant  ! Tout le monde s’était mis au décolletage  », se sou- vient Yves Bontaz. Lui-même achète sa première machine en 1963, payée grâce à la vente du cheval de son père. « C’était la première fois que je le voyais pleurer  », évoque-t-il, rappelant encore cet acte de générosité dont il avait fait preuve. «  Chaque fois que j’achetais une nouvelle machine, il m’engueulait. Mais il prenait aussitôt son vélo pour l’annoncer à tout leAprès avoir consacré sa vie à la réussite de son entreprise haut-savoyarde de décolletage,Bontaz Centre, Yves Bontaz s’est trouvé un nouveau terrain de jeu en investissant tous azimuts.Comme pour assouvir un besoin d’exister viscéral, depuis 2007 il se porte même candidataux élections présidentielles. Tour à tour respecté, admiré, craint, raillé et blâmé, son pouvoird’influence est tel qu’à 78 ans et toujours sans limite dans ses outrances, il endosse le rôlede « pater » de la vallée de l’Arve. Pour le meilleur, mais pas seulement. C’est qu’Yves Bontaz est aussi fortuné village ! » Comme ses homologues entre- que puissant, direct et hyperactif sur les preneurs en décolletage, Yves Bontaz met réseaux sociaux pour adresser des mes- sa famille à la tâche et emploie son frère et sages lapidaires à ceux qui lui déplaisent. son oncle. Son épouse Marcelle le rejoint L’homme âgé de 78 ans n’est plus aux dans l’entreprise pour assurer la partie commandes quotidiennes de son entre- administrative. Plus tard, il fera entrer prise Bontaz Centre (plus de 2 000 son fils Christophe et sa fille Béatrice. employés sur cinq continents pour un « Je ne me suis pas senti obligé, mais incité », chiffre d’affaires de 250 millions d’eu- précise Christophe Bontaz. Quant à son ros) depuis plusieurs années, même s’il frère jumeau Florent, il crée sa propre intervient encore, notamment lors de la entreprise, toujours dans le décolletage, création d’usines à l’étranger. « Je suis en Léman Industrie. train de passer le relais, mais c’est difficile », assure-t-il. Celui qui préside le conseil AUDACE GAGNANTE de surveillance a laissé la présidence du Dans le décolletage, la vie de famille passe directoire à un fidèle et collaborateur de après l’entreprise. « Il a écourté son voyage longue date, Daniel Anghelone. de noces pour s’occuper d’un problème sur une Pour comprendre le fossé entre une pièce », se rappelle son fils. Dès ses débuts réussite incomparable dans l’indus- entrepreneuriaux, Yves Bontaz confirme trie du décolletage et les difficultés à se ses talents de technicien, développés à faire accepter dans d’autres milieux, il l’ENH, auxquels s’ajoutent un excellent faut revenir aux origines d’Yves Bontaz. sens du commerce et une créativité horsN°132 Octobre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 57

Entreprendre YVES BONTAZnorme. Par-dessus tout, Yves Bontaz fait Son pragmatisme fait merveille. À cette syndical en charge de l’industrie à l’Unia.preuve d’audace. Alors qu’un acheteur époque, l’homme préfère encore la dis- Devant les caméras de la Télévision suissede Peugeot lui confie ne pas trouver de crétion à la lumière, et arrive à son usine romande (TSR), Yves Bontaz expliquefabricant de sous-ensemble de pièces au de Marnaz au volant de sa Citroën AX. tout bonnement qu’il a licencié les troiscomplet, l’industriel saute sur l’occasion. En 2006, le film Ma Mondialisation, du salariés « parce qu’ils ont voulu faire valoirEt résout le problème. Bontaz Centre se réalisateur Gilles Perret, suit Yves Bon- leur côté gauchiste ».spécialise alors dans la fabrication de taz dans ses usines de Tchéquie et de La syndicalisation heurte Yves Bontaz.gicleurs, puis d’électrovannes, et devient Chine, afin de montrer le côté humain Pour lui, son entreprise est sa famille. Sonéquipementier de premier rang pour les de la mondialisation, tant du côté du chef entourage vit de son entreprise. Sa cultureconstructeurs automobiles, vendant ainsi d’entreprise que de ses employés. Yves et son parcours lui font incarner simulta-des produits à plus forte valeur ajoutée que Bontaz, lunettes blanches et tee-shirts nément la posture du père de famille etles décolleteurs traditionnels, davantage colorés, y découvre les conditions de celle du chef d’entreprise. Dans la valléeexposés à la concurrence internationale. vie de ses employés chinois – payés 80 de l’Arve, cette génération d’entrepreneurs« Il a sauvé sa marge en supprimant les inter- euros par mois –, et s’en désole. Il arrive aspirait à régir la vie de leurs employés,médiaires », analyse Christophe Bontaz, qui aussi à résoudre un problème technique y compris en dehors du lieu de travail.loue la créativité « exceptionnelle » de son en quelques minutes dans cette même « Les patrons sont aussi élus municipaux, etpère. « Je n’ai pas fait comme tous les décolle- usine, alors que des experts s’étaient réu- ils tolèrent mal que des employés se présententteurs dont les productions peuvent être photo- nis pour tenter d’apporter des solutions. aux élections », pointe Gilles Perret.copiées (sic) n’importe où dans le monde », se Mais malgré tous ses talents profession-targue Yves Bontaz. nels, le patron de Bontaz Centre possède LA VIE SANS INTERMÉDIAIRESÀ la fin des années 1980, il emploie 100 une lacune : le management. « La gestion Dans ce management singulier, l’autoritépersonnes à Marnaz. En Europe centrale, d’équipe, ce n’est pas sur ce point qu’il excelle, patronale doit s’imposer, légitimée par lale Rideau de fer tombe, et dans le monde acquiesce sans langue de bois Chris- réussite entrepreneuriale de son détenteur.entier, la sous-traitance s’internationalise à tophe Bontaz. Son management est celui des «  C’est quelque chose de très dogmatique,grande vitesse à l’heure où le terme mon- années 1970, quand le patron commandait et observe Pierre Solvas, secrétaire départe-dialisation entre dans les conversations. que ses employés exécutaient. » mental de la CGT de la Haute-Savoie. IlsLA RÉUSSITE EN AX sont propriétaires des moyens de productionLe chef d’entreprise crée sa première MANAGEMENT PATERNALISTE et à ce titre, ils considèrent leurs employésusine étrangère en République Tchèque Yves Bontaz use d’un management pater- comme étant à leur absolu service. »au début des années 1990. Cette naliste, comme la plupart de cette géné- Dans le cas d’Yves Bontaz, il a réussi enimplantation fixera sa stratégie d’inter- ration d’entrepreneurs de la vallée de supprimant les intermédiaires indus-nationalisation dans les pays suivants l’Arve. « Il faut comprendre que ces patrons triels, en l’occurrence les syndicats(Tunisie, Maroc, Chine, etc.). Il profite avaient en permanence le nez dans le guidon gêneurs. Quant aux politiques, ce n’estd’un coût du travail bien moins élevé de leur entreprise », explique Gilles Perret, guère mieux. Libéral, Yves Bontaz ne sequ’en France, qui lui permet de vendre proche de Christophe Bontaz. Pour ces dit proche d’aucun responsable politiqueses sous-ensembles à bon prix, tout en techniciens hors pair, le management se et n’hésite pas à les interpeller publique-se rapprochant des usines d’assemblage résume à l’autorité patronale  : bienveil- ment sur les réseaux sociaux. La députéede constructeurs automobiles attirés par lante quand il s’agit d’aider un employé Les Républicains Sophie Dion le décritles immenses marchés chinois et indien. en mauvaise posture dans sa vie person- comme «  un chef d’entreprise embléma-Comme pour ses pièces, il aime s’inves- nelle et ravageuse lorsque le dirigeant se tique de nos vallées, qui a obtenu une réus-tir dans la création des sites industriels. voit contester une décision de gestion. En site exceptionnelle tout seul  ». «  Mais cela témoigne l’épisode de la flambée du franc fait longtemps que nous ne croyons plus à« La gestion d’équipe, suisse. En janvier 2015, la Banque natio- Superman  », nuance Christophe Bontaz,ce n’est pas son truc. nale suisse abandonne le cours plafond rappelant que l’entreprise est désormais du franc. Les travailleurs frontaliers fran- pilotée par une équipe de direction et unSon çais de Mécalp Technology, une filiale encadrement à qui revient une grandemanagement de Bontaz Centre, implantée à Meyrin partie du mérite du développement de laest celui des (Suisse), voient les 15 % de hausse bru- dernière décennie.années 1970 tale du franc suisse se transformer en Aux yeux de l’élue de la République,quand le patron augmentation immédiate de leur pouvoir Yves Bontaz incarne les valeurs du tra-commandait d’achat. Pour l’entreprise, cette flam- vail et de la liberté d’entreprendre. « Il estet que ses bée signifie surtout une perte de com- sur les mêmes lignes que Les Républicains »,employés pétitivité à l’export. Yves Bontaz décrète assure-t-elle, tandis que l'intéressé réfuteexécutaient » alors une baisse des salaires de 5 % et la toute appartenance politique. L’entrepre- hausse du nombre d’heures travaillées. neur se dit déçu de la présidence de Nico-58 Acteurs de l’économie - La Tribune Trois employés se plaignent à l’Unia, las Sarkozy, dont il attendait beaucoup le principal syndicat suisse. Yves Bon- plus en termes de diminution de charges taz les licencie sur le champ. Convoqué sociales et d’imposition. Celui qui aime devant la Chambre des relations collec- désormais se mettre en avant se désole tives du travail (CRCT), dont le rôle est de de «  l’apparat  » dont l’ancien président maintenir la paix au travail en usant de usait selon lui. Et quand un politicien concertation, Yves Bontaz ne se présente de la vallée proclame son soutien à l’an- pas et envoie un fiduciaire à sa place. cien chef de l’État pour les prochaines « À la CRCT, ils n’avaient jamais vu cela ! » échéances électorales, Yves Bontaz ne se s’exclame Ibrahim Diallo, le secrétaire prive pas de le tancer publiquement. N°132 Octobre 2016

YVES BONTAZ Entreprendre« En 2012, il menace : si François Hollande est élu, il ne construira passon usine à Marnaz, mais dans le Maghreb. L’élection jouée,Bontaz tient sa promesse : l’usine ne sera pas bâtie en Haute-Savoie.« Du pipeau, assure une personne au fait du dossier. Tous lesplans de l’usine marocaine étaient déjà prêts ! » » Yves Bontaz est un habitué des réseaux sociaux. Direct et hyperactif, il n’hésite pas à adresser des messages lapidaires à ceux qui lui déplaisent. À l'époque sponsor du club de football de l’ETG FC, Yves Bontaz ne voulait pas se contenter d’être actionnaire minoritaire. © DRN°132 Octobre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 59

Entreprendre YVES BONTAZCANDIDAT À LA PRÉSIDENCE « Au-delà des idées « Il a un avis surDes raisons qui le conduisent, en 2007 libérales qu’il prône tout. Il voulait presqueet 2012, à présenter sa candidature aux dans ses livres,élections présidentielles et à se porter de entraîner le club d’Évian »nouveau candidat pour celles de 2017. Yves Bontaz«  Le tournage du documentaire Ma Mon- mêle les les semaines qui ont précédé la rétrogra-dialisation en 2006 a été un tournant pour citations dation administrative du club en CFAlui, analyse Christophe Bontaz. Élément de Gérard par la Direction nationale de contrôleprincipal du film, il s’est vu en acteur un peu Depardieu de gestion (DNCG) du football français.trop célèbre. Cela a aussi coïncidé avec l’ar- et des chiffres Au début du mois de juillet, Yves Bontazrivée des réseaux sociaux.  » Yves Bontaz le plus souvent était prêt à investir huit millions d’eurosne parviendra pas à réunir les 500 signa- sans sources pour sauver le club. Une initiative troptures d’élus nécessaires, mais il en pro- ni références » tardive et incertaine quant au sort defite pour faire passer ses messages. « La l'établissement, estimeront les membresFrance n’aime pas les entrepreneurs. Nous d’entreprise. C’est à cette époque qu’il de la DNCG. «  À l’ETG, j’aurais appliquésommes trop imposés et nous sommes consi- devient sponsor principal du club pro- ma méthodologie », précise-t-il.dérés comme des voleurs », résume-t-il. « Il fessionnel d’Évian-Thonon-Gaillard FC, Avec 8 Mont Blanc, Yves Bontaz a étéa toujours été frustré du manque de recon- à la demande de son ami d’enfance Jo encore plus radical. Se voyant refuser lenaissance des instances politiques envers les Dupraz, le père de l’entraîneur Pascal contrôle de la chaîne, l’homme d’affairespatrons et les artisans, explique son fils. Dupraz. Il émet la volonté de prendre a racheté Radio Mont Blanc au printempsDès qu’il s’est mis à gagner de l’argent, et à la majorité des actions du club, comme et a entrepris de lancer sa propre télévi-subir un contrôle fiscal chaque année, il a il souhaitera, plus tard, devenir action- sion – dans un premier temps sur le web.vu la création de valeur ajoutée à l’étranger naire majoritaire de la chaîne de télévi- Quand certains l’accusent de vouloir fairecomme une revanche prise sur ce manque de sion locale 8 Mont Blanc. Néanmoins, de ce futur groupe de médias son porte-considération. » « Il veut être utile, observe à chaque fois, il se heurte au refus des voix, lui assure qu’il souhaite promouvoirGuy Métral, le président de la chambre de actionnaires. l’information locale en Haute-Savoie, secommerce et d’industrie de la Haute-Sa- Yves Bontaz a toujours détenu la majorité, réjouissant d’avance d’une prochaine col-voie, lui-même ancien de l’ENH de sinon la totalité des actions, quoi qu’il laboration avec le présentateur JacquesCluses. Son credo économique se base sur le fasse. Julian Dupraz, ancien directeur des Legros, «  le meilleur présentateur de jour-fonctionnement d’une entreprise qu’il aime- services de l’ETG, témoigne du carac- nal télévisé de la télévision française  ».rait pouvoir dupliquer au niveau de l’État. » tère entier et pragmatique du Savoyard. «  Il aime être dans la lumière, brasser desIl fait donc passer aussi ses idées dans des « Quand il dit oui à du sponsoring, le lende- affaires, et ne veut surtout pas s’ennuyer danslivres aux titres explicites qu’il écrit et main, il paie. » Mais le sponsoring du club sa retraite  », explique, cash, Christopheauto-édite  : Adieu François, l’entrepreneur n’aura duré qu’un temps. Yves Bontaz ne Bontaz.s’en va ou La fuite discrète des employeurs veut pas se contenter d’être actionnaire Et lorsqu’il est dans la lumière, lesde France. Au-delà des idées libérales qu’il minoritaire. « Il a un avis sur tout, poursuit lunettes blanches du père entrepreneurprône, Yves Bontaz y mêle les citations de Julian Dupraz. Il voulait presque entraî- ressortent comme pour masquer sonGérard Depardieu et des chiffres le plus ner ! Je n’en ai pas croisé deux comme lui. » regard d’enfant derrière ses monturessouvent sans sources ni références. «  Il Demeurer en minorité, ce serait transi- voyantes. Un regard qui peut aussi rap-ne pourra jamais être un homme politique, ger, et pour lui, transiger c’est « affreux », peler ses actions bienfaitrices en faveurcroit son fils. En politique, il ne suffit pas s’exclame son fils. « Avec l’ETG, cela a été d’une école à Madagascar, d’un centrede décider pour que les gens vous suivent. » un pugilat abominable durant deux ans ! Il pour enfants autistes, ou du centre de for-En 2012, il menace : si François Hollande fallait faire comme il pensait  », relate-t-il, mation de football à Marnaz. Un regardest élu, il ne construira pas son usine à soulignant néanmoins que ce que son d’enfant qui, conjugué à ses talents deMarnaz, mais dans le Maghreb. L’élection père préconisait en 2013 était précurseur technicien, à l’audace de l’entrepreneurjouée, Bontaz tient sa promesse : l’usine de la tentative désespérée du président et à la bienveillance du père, aura conduitne sera pas bâtie en Haute-Savoie. « Du de l’ETG, Esfandiar Bakhtiar, en propo- ce fils d’ouvrier à être autant respectépipeau, assure une personne au fait du sant les clés du club à Yves Bontaz dans et craint de la vallée de l’Arve jusqu’endossier. Tous les plans de l’usine marocaine Chine.étaient déjà prêts ! » N°132 Octobre 2016DIVERSIFICATION SOUS CONTRÔLEÀ l’orée du nouveau siècle, et dans uneenvie continue d’exister, Yves Bontazcommence à s’intéresser à de nouveauxdomaines d’activité. Celui qui apprécieles bons repas entre amis ouvre des res-taurants – «  pour me faire plaisir et faireplaisir aux gens du coin  ». Suivent unbowling et un centre nautique dans sonvillage d’origine. Ces activités annexes necessent de se diversifier, avec une pré-férence marquée pour les activités liéesaux divertissements et aux sorties. «  Ilse paie des danseuses  », illustre un chef60 Acteurs de l’économie - La Tribune

CIC Lyonnaise de Banque - RCS Lyon - SIREN 954 507 976. YVES BONTAZ Entreprendre 70 000 entreprises nous font confiance depuis plus de 20 ans. Acteurs de l’économie - La Tribune 61 cic.fr

Entreprendre RUBRIQUE DE NOM Si d’autres villes en France vibrent pour le ballon rond, à Clermont-Ferrand, les passions se déchaînent autour du rugby. Le stade Marcel-Michelin est devenu en quelques années non seulement le lieu de distraction favori des Clermontois, mais aussi un incontournable terrain d’enjeux économiques. Avec un budget de 30 millions d’euros, le deuxième du Top 14, le club propose un spectacle digne des meilleures productions. Toutefois son image d’éternel second lui colle à la peau. Au point que supporters, partenaires et sponsors commencent à grincer des dents. ENQUÊTE, GENEVIÈVE COLONNA D’ISTRIALE « MICHELIN »,62 Acteurs de l’économie - La Tribune N°128 Décembre 2015

RUBRIQUE DE NOM EntreprendreTOUS AU STADE © Laurent Cerino / Acteurs de l’économieN°132 Octobre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 63

Entreprendre ASM CLERMONT-AUVERGNE heure est venue de repartir au combat, des arènes les plus réputées pour son de retrouver la force et le courage de se ambiance survoltée. En réalité, le volcan hisser de nouveau au sommet. Après une de l’avenue de la République est devenu, sixième saison d’affilée sans titre, l’ASM en moins de dix ans, un endroit incon- Clermont-Auvergne doit remotiver ses tournable, au grand dam des amateurs du troupes. Malheureux en Coupe d’Europe, «  rugby cassoulet.  » Avec un budget de battu d’un point en demi-finale du Top 30 millions d’euros, le deuxième du Top 14 par le futur champion de France, le 14 derrière le Stade Toulousain, Clermont Racing 92, le club a soif de revanche, his- offre un spectacle digne des meilleures toire de faire taire les mauvaises langues productions. La moitié provient des par- qui parlent des « jaunes et bleus » comme tenariats, auxquels s’ajoutent six millions des «  Poulidor du rugby français  ». d’euros de billetterie et une somme équi- Depuis 1995 et l’instauration de l’ère valente versée par la Ligue nationale de professionnelle, l’ASM, créée en 1911 par rugby (LNR), parts variables selon les les frères Michelin, a joué sept finales de résultats sportifs. En quelques années, le championnat mais n’en a remporté qu’une business a rejoint sur le terrain le plaisir seule, en 2010, auxquelles s’ajoutent deux du beau jeu, et qui veut briller dans la finales de Coupe d’Europe. Perdues, elles société auvergnate doit impérativement aussi, parfois dans des conditions rocam- s’afficher « au Michelin. » bolesques. Au cours de la dernière décen- nie, le club auvergnat s’est qualifié neuf CLUB DE VALEURS fois sur dix en demi-finale du champion- Derrière les baies vitrées des 26 salons nat de France. Mais, au final, la moisson et 16 loges privatisés à prix d’or auprès de titres est maigre. La régularité oui, la des partenaires (lire encadré), tout ce que récompense non. compte le «  Who’s Who  » local est pré- Malgré ces contreperformances spor- sent. Des grands patrons, parfois même le tives, partenaires économiques et sup- gérant de la Manufacture, Jean-Dominique porters demeurent fidèles à leur club de Senard, aux politiques – le maire PS de cœur. Chaque match à domicile affiche Clermont-Ferrand Olivier Bianchi est complet. L’antre de l’ASM est même l’une un habitué – en passant par des chefs d’entreprise, des banquiers ou des com-64 Acteurs de l’économie - La Tribune municants. «  Avocats ou politiques, il faut reconnaître que le stade est le lieu de ren- contres intéressantes ! Cela peut faire avancer certains dossiers importants », jubile le pré- sident de l’ASM, Éric de Cromières. Petits fours, champagne et échanges de cartes de visite sont devenus la règle. «  Ce qui intéresse nos partenaires, ce sont les valeurs de l’ASM et plus largement celles que véhicule le rugby. Selon un sondage, nous sommes le club n°1 du Top 14 en termes d’image et troisième pour la notoriété. Cela est très vendeur. Pour autant, je dois recon- naître que nous avons eu des difficultés à engager de nouveaux partenaires cette saison. Non en raison de nos résultats, assure Éric de Cromières. Les difficultés sont clairement liées au contexte économique actuel. Sept ou huit d'entre eux ont ainsi réduit la voilure. » Conséquence directe, la valse des spon- sors a lieu chaque année sur les maillots très prisés des joueurs, hommes-sand- wichs les plus recherchés d’Auvergne. Ainsi, si Axa s’est retiré de la course et Volvic est devenu beaucoup plus discret, Clermont vient de signer pour deux sai- sons avec le groupe Paprec Recyclage, pour un montant tenu secret. «  L’ASM Clermont Auvergne partage et véhicule des valeurs qui correspondent à celles de mon entreprise  : l’humilité, le respect de l’ad- versaire et l’équipe avant l’individu  », sou- ligne Bernard Échalier, PDG d’Échalier, filiale de Paprec Recyclage. Et l’entreprise N°132 Octobre 2016

© Laurent Cerino / Acteurs de l’économie ASM CLERMONT-AUVERGNE Entreprendre © Vincent Duvivier / ASM Clermont Auvergne Éric de Cromières, président du club, formée à l’école Michelin. Victoire de l’ASM Clermont-Auvergne en finale du Top 14 le 29 mai 2010.  © Vincent Duvivier / ASM Clermont AuvergneN°132 Octobre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 65

Entreprendre ASM CLERMONT-AUVERGNEd’entrer dans ce que la direction du club « Ici nous devonsappelle «  le groupe à 1,5 million  », aux constater la main-côtés de Limagrain et Omerin, deux mise de Michelin »importants industriels du territoire.Toutefois, ils restent bien loin derrière le nouveaux marchés sur d’autres territoires et Aujourd’hui, Clermont se trouve à unmécène historique, Michelin, qui verse de s’entendre régulièrement dire : « Certes, carrefour. Le club est réputé pour sa for-au pot, cette année encore, 2,5 millions vous jouez bien, mais côté résultats, il mation, la meilleure du pays. Mais il luid’euros, alors même que sa part est en faudra repasser  ». On aimerait faire taire a toujours manqué un ou deux « matchconstante diminution. Autres revenus les critiques. » Car Clermont, avant même winners », recrutés parmi les stars mon-pour le club, hors compétitions offi- son statut professionnel, portait déjà diales. Jusqu’ici, l’ASM s’était toujourscielles  : les événements organisés dans cette étiquette dans le dos. Onze finales refusé à entrer dans cette course à l’arme-les salons feutrés du stade, véritable de championnat disputées pour une ment. Toulon et le Racing l’ont fait. Avec« machine à cash » (réunions, cocktails, seule gagnée en 2010, le bilan est pesant. succès. Désormais, l’entraîneur clermon-séminaires). Le First, d’une surface de Un sponsor du club se souvient  : «  Un tois Franck Azéma est clair : « Clermont900 m², est le plus prisé. Autre lieu lucra- client de Toulouse m’avait interpellé lorsque ne s’interdit plus rien. »tif de rencontres, l’En-But, restaurant nous avions remporté le Brennus  : «  Votre À l’horizon 2020, l’ASM espère enrichirpanoramique avec vue imprenable sur titre, c’est un peu comme les pizzas : la son palmarès d’au moins « trois nouveauxl’arène, qui propose une cuisine gastro- onzième est offerte ! ». » titres nationaux ou européens » et augmen-nomique où se presse le gotha, notam- ter son budget de 12 à 15 %. Pour par-ment les jours de matchs. UNE PELOUSE STAR venir à ses fins, la direction du club ne À cela est venue s’ajouter une période de se refuse rien. L’an dernier, elle a offert àFRUSTRATION, AGACEMENT flottement côté public. La cassure date ses joueurs le plus beau centre d’entraî-Preuve de la toute-puissance du « Miche- de 2013 avec cette défaite en finale de nement du championnat, un bijou d’unelin  », sa récente évolution. Le stade est Coupe d’Europe à Dublin contre Tou- valeur de six millions d’euros. Pour beau-devenu une enceinte ultra-moderne. lon. «  Imperdable  » avait même titré La coup, il n’a pas d’équivalent au monde. LaDésuet en 1999, il comptait 14 000 places Montagne, le quotidien local. Depuis, les nouvelle saison démarre sur une pelouseet 150 partenaires en 2004. Aujourd’hui, deux autres défaites en finale ont engen- rutilante, la même que celle de Wemb-il accueille 19 000 supporters et sur- dré des frustrations ressenties dans les ley et Twickenham ! Idem pour le « bil-tout 463 partenaires. Une association a travées du stade. Une grande première. lard » du terrain d’entraînement, le mêmemême vu le jour. Baptisée « Entreprises Et le président de Cromières a irrité les qu’au Real Madrid... Montant de la fac-en mêlée  », elle réunit 250 adhérents. purs et durs avec quelques phrases mal- ture : 1,5 million d’euros. Enfin, à partirPour en faire partie, ses membres doivent heureuses  : «  Nos supporters ne peuvent de la saison 2017-2018, l’arène de l’ASMd’abord aimer le rugby et les valeurs qui pas se plaindre, ils pourraient être suppor- pourrait dépasser les 20 000 places. Des’y attachent, mais point de philanthro- ters de Brive ou Castres. » L’ancienne gloire la billetterie supplémentaire pour le clubpie : « L’intérêt réside dans la capacité d’ap- du club devenu directeur général, Jean- et une visibilité élargie pour les sponsors.porter des contacts, des adresses. Le stade Marc Lhermet, a fini par concentrer sur Le rugby clermontois est bien entré dansest notre plus bel outil de travail  », assure sa seule personne cette accumulation de une nouvelle ère. Mais un corolaire s’im-Philippe Martin, directeur de Vinci revers. Sifflets et quolibets ont fleuri au pose plus que jamais : gagner ! Construction Auvergne, président du Michelin pour la première fois. Il vient declub des partenaires. quitter son poste.Certains sponsors aimeraient mêmealler plus loin. Alain Soreau, patron de TRÈS CHÈRES LOGES12 restaurants McDonald’s dans le Puy- Seuls deux clubs du Top 14 sont propriétaires de leur stade : le Stade Toulousain et l’ASM.de-Dôme, possède déjà un restaurant au Un avantage exceptionnel. À Clermont, la direction a trouvé une solution très rentable pourpied du Michelin et habille les tickets l’amortir : la privatisation de ses 16 loges et des 26 salons. Les premières se négocient entredes matchs. Néanmoins, il nourrit une 40 000 et 50 000 euros à l’année et les autres entre 50 000 et 100 000 euros pour le pluscertaine frustration. «  J’ai de nombreuses grand, l’espace Édouard, ainsi baptisé à la mémoire de l’héritier Michelin, mort accidentel-idées pour nouer d’autres partenariats avec lement en 2006. « Nous n'avons pas augmenté les tarifs depuis cinq ans, relativise Éric del’ASM. Encore faut-il que je trouve les bons Cromières, président de l’ASM. Nous avons atteint des niveaux raisonnables. Ce ne seraitinterlocuteurs. Je ne parviens pas à dévelop- pas judicieux d’aller au-delà. » À en croire la direction du club, la liste d’attente est longueper de réseau similaire à celui d’autres villes, pour intégrer les fameuses loges du Michelin. Quatre à cinq sociétés sont en attente « depuiscomme Toulon, Toulouse, Brive ou Grenoble. plusieurs saisons » que l’une d’elles se libère, assure Éric de Cromières. Et ce n’est a prioriIci, nous devons constater la mainmise de pas à l’ordre du jour.Michelin. Mais le Poulidor du rugby est-ilvraiment en mesure de négocier avec le géant N°132 Octobre 2016mondial de la restauration rapide ? », ironiseun tant soit peu l’entrepreneur.D’autres, moins diserts sur le sujet, necachent pas néanmoins une certaine las-situde, pour ne pas parler d’agacement,face au manque de résultats et à l’imagede splendide second qui colle à la peaude l’ASM. Tel ce patron clermontois trèsmédiatique qui, malgré tout, ne lâcherapas l’ASM : « Il est parfois usant de viser de66 Acteurs de l’économie - La Tribune

ASM CLERMONT AUVERGNE EntreprendreN°132 Octobre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 67

Entreprendre ASM CLERMONT-AUVERGNE« Les Français adorentles perdants magnifiques »Pour Christophe Lepetit, économiste au Centre de droit et de l’économie du sport de Limoges, l’auradu club de rugby auvergnat dépasse largement les enjeux sportifs, à l'aune de son puissant impactsocial et sociétal. Et malgré les échecs successifs à grimper sur la plus haute marche des podiumsnationaux et européens, son capital sympathie ne s’est pas érodé. © DR Clermont-Ferrand et l’ASM « Poulidor du rugby », celui qui se hisse ont tissé des liens qua- au plus haut et qui trébuche au pied du« Clermont si-indéfectibles au fil des podium. Cela peut-il influencer la noto-est associé générations. Aujourd’hui, riété du club et surtout décourager desà Poulidor la ville et son club sont partenaires économiques ?à juste raison, indissociables. Comment Le côté perdant magnifique peut avoir unpas seulement expliquez-vous cette impact positif d’un point de vue marke-parce qu'il finit interdépendance ? ting, même si les supporters et les spon-souvent second Le sport, plus que tout autre secteur d’ac- sors aimeraient sans doute remporter plusmais parce tivité, dispose d’une exposition média- souvent les trophées ! Mais il faut relativi-qu'il joue avec tique très élevée. À partir du moment où ser. L’ASM est une très belle équipe, trèspanache » un club comme l’ASM domine sa disci- régulièrement dans le carré final, au plus pline, le club devient le porte-étendard de haut niveau dans les compétitions natio-68 Acteurs de l’économie - La Tribune Clermont-Ferrand partout où il va jouer. nales et européennes. Donc médiatique- L’ASM est devenue une des marques ment, le club existe déjà beaucoup. D’un de fabrique du territoire clermontois, point de vue économique, cela n’a pas de non seulement en France, mais aussi véritable impact pour le territoire, car les en Europe, dans les pays anglo-saxons finales de Top14 ou de Coupe d’Europe notamment et en Italie. ne sont pas organisées à Clermont, faute d’infrastructures suffisantes. Donc, ce Cette notoriété, au sommet un jour, au qui compte, c’est la vie du club tout au plus bas le lendemain, peut-elle aussi long de la saison, les matchs à Clermont desservir l’image d’un territoire ? qui font venir des spectateurs extérieurs. La notoriété peut être tout autant posi- Par ailleurs, au-delà de l’aspect écono- tive que négative. Que Clermont gagne mique, le club possède une importance ou perde en finale, on parle de Cler- très grande sur le plan social et sociétal. mont-Ferrand. Si le club devait descendre C’est un acteur dominant du territoire en deuxième division, une forme de qui dépasse le simple cadre sportif. notoriété négative subsisterait, qui ferait parler de la ville. Si l’ASM disparaissait La France n’a-t-elle pas finalement une un jour, Clermont ferait encore parler certaine sympathie pour les perdants ? d’elle pour Michelin, pour les volcans ou Il est vrai que les Français adorent Pou- pour Renaud Lavillenie, mais nous tom- lidor qui n’a jamais réussi à gagner le berions alors dans une forme de nostal- Tour de France, même s’il a remporté de gie pour l’ASM, comme c’est le cas avec nombreuses autres courses. Clermont est l’équipe féminine de basket à l’époque associé à ce sportif à juste raison, car le des Demoiselles de Clermont qui domi- club joue souvent avec panache. Cette naient le championnat européen. Cette équipe a la réputation de bien jouer. En équipe n’existe plus médiatiquement, outre, elle est bien gérée par ses diri- mais tout le monde en parle encore à geants. C’est un exemple pour le rugby Clermont-Ferrand. français. Mais il manque la traduction par les titres. Clermont possède cette image Le club de l’ASM possède une par- de perdant magnifique, que les gens ticularité bien à lui. Il est devenu le aiment dans le fond. GCD N°132 Octobre 2016

RUBRIQUE DE NOM EntreprendreN°132 Octobre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 69

Entreprendre RUBRIQUE DE NOM BIENVENUE DANS LA REPORTAGE, SAMUEL MAÏON-FONTANA70 Acteurs de l’économie - La Tribune N°132 Octobre 2016

RUBRIQUE DE NOM Entreprendre« SWISSLICON VALLEY » Dépourvue de matières premières, la Suisse doit sa prospérité à la créativité de ses entrepreneurs, au point d'être reconnu « pays le plus innovant au monde ». Cependant, l'insu sante protection des investisseurs et le manque cruel de capital-risque entrave le renouvellement du tissu économique. Pour sortir de la crise du franc fort, le marché domestique est contraint de se montrer toujours plus innovant et compétitif. La Suisse pourra-t-elle encore longtemps faire figure d'eldorado des startupers et autres innovateurs ?N°132 Octobre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 71 © Alain Herzog

Entreprendre LA « SWISSLICON VALLEY » eux par mois. C’est en moyenne le nombre de jeunes entreprises inno- vantes dans le secteur des nouvelles technologies créées dans les cou- loirs des prestigieuses École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et de Zurich (EPFZ). Difficile pour autant d’obtenir des données exactes sur le nombre de jeunes pousses qui éclosent sur le territoire, tant les critères d’évaluation sont ambigus et particuliers. Des startups qui ont neuf chances sur dix de péricliter dans leur marché encore méconnu et très spécifique, et pourtant qui construisent l’avenir. Google ou Apple en sont des exemples, débutant leur aventure dans un garage avant de dominer aujourd’hui les capitalisations boursières. En Suisse, entre 150 et 250 sociétés high-tech innovantes se lanceraient chaque année d’après un professeur d’innovation à l’EPFL. Dans la seule ville de Genève, elles sont aujourd’hui 150 à être recensées comme telles, et 450 à l’échelle de l’arc lémanique. Les success-stories « made in Swiss » ne manquent pas : de Logitech, aujourd’hui numéro un mondial des périphériques informatiques, à Nespresso qui étend son réseau de machines et capsules à café haut de gamme dans le monde entier, en passant par Nestlé, Novartis ou Roche. Pays dépourvu de matières premières, la Suisse a donc tout intérêt à encourager les nouvelles sociétés qui doperont l’écono- mie de demain, en développant son savoir R&D.72 Acteurs de l’économie - La Tribune N°132 Octobre 2016

LA « SWISSLICON VALLEY » EntreprendreSur ce point, les cantons ont bien compris que promouvoir « Le succès de la Silicon Valleyl’innovation technologique est décisif pour bâtir la Suisse des repose sur l’université de Stanford.générations futures. Le canton de Vaud, par exemple, met à dis-position un réseau de financement privé-public, des infrastruc- Nous possédons,tures, des services de transfert de technologie, des programmes de notre côté,de soutien et des dispositifs de coaching et d’accompagnements un système de formationgratuits. Une plateforme dédiée à l’innovation, Innovaud, est encore plus performant,également dédiée aux porteurs de projets. Au total, 200 entre- notamment des écolesprises high-tech innovantes sont hébergées dans les deux parcs polytechniquestechnologiques d’Ecublens et d’Yverdon. Une telle vitalité s’ex- qui figurent parmiplique notamment par la proximité de l’EPFL, où 157 inven- les meilleures au monde »tions ont été annoncées en 2015, avec le dépôt de 88 brevetsprioritaires. Plus de 150 entreprises innovantes se côtoient d’ail- « Oui, la Suisse peut être une nation propice aux startups, mais toutleurs sur ce prestigieux campus, au sein d’un « EPFL Innovation dépend encore du domaine ciblé, car il faut disposer d’un débouchéPark » à la pointe. Le canton de Genève n’est pas en reste, avec la avec des clients, tempère Élisabeth Tripod-Fatio. Genève possèdeprésence du Centre européen pour la recherche nucléaire (Cern). une forte communauté dans la finance ainsi qu’une faculté des sciences«  Nous constatons une forte activité dans le domaine de la fintech réputée et de grands hôpitaux universitaires, sans oublier les fleurons(technologie financière, NDLR) avec une scène émergente issue de l’industrie pharmaceutique et chimique qui sont impliqués dansdes entreprises locales, notamment en sécurité informatique, grâce l’innovation. » Les années passent et l’Helvétie reste le pays le plusau dynamisme du Cern en matière de cryptographie  », explique innovant au monde, d’après l’Organisation internationale de laÉlisabeth Tripod-Fatio, du service de la promotion économique propriété intellectuelle, la Cornell University et l’Insead.du canton de Genève. Pour capitaliser sur ce savoir-faire, la Suisse a également suAucune subvention n’est versée directement, mais un certain mettre en relation de grands patrons expérimentés avec de jeunesstatut permet à Genève de bénéficier d’une exonération d’impôt entrepreneurs pour les accompagner, comme l’applique le Réseaugrâce à la loi Jedi (Jeunes entreprises développant des innova- Entreprendre Suisse Romande (RESR). Les événements, sémi-tions). La cité de Calvin propose également de nombreux incuba- naires et ateliers dédiés au lancement d’une start-up sont nom-teurs et accélérateurs. Au niveau national, la Commission pour la breux et il est même possible de créer sa société en un week-end !technologie et l’innovation (CTI, l’agence fédérale chargée d’en- Les soutiens aux entrepreneurs qui se lancent sont donc nom-courager l’innovation et la recherche appliquée) œuvre en cofi- breux : business angels, investisseurs, organismes de promotionnançant certains projets, en développant l’esprit entrepreneurial, économique, fondations, etc. Sans oublier la cinquantaine deen favorisant le transfert de connaissances et de technologies et prix décernés chaque année pour encourager l’innovation : Prixen s’engageant dans des programmes internationaux. Venture, Trophée PERL ((Prix Entreprendre Région Lausanne) ou Swiss Technology Award, pour ne citer qu’eux.CONDITIONS PROPICES Des récompenses ayant aidé Epithelix, qui développe, produit« La Suisse a tout pour être le pays rêvé de l’innovation, lance Fathi et vend des tissus humains reconstitués in vitro avec une duréeDerder, conseiller national et coprésident du groupe parlemen- de vie d’une année en se basant sur le modèle cellulaire uniquetaire Start-up. Le succès de la Silicon Valley repose sur l’université de l’épithélium respiratoire. Le Français Song Huang, directeurde Stanford. Nous possédons, de notre côté, un système de formation scientifique et cofondateur de la start-up genevoise, reconnaîtplus performant que celui américain, avec des écoles polytechniques que les concours remportés ont apporté une crédibilité et unequi figurent parmi les meilleures au monde.  » Autres atouts  : une reconnaissance certaines, en plus des formations gratuites et derecherche pointue, un tissu d’entreprises très dense et une forma- l’aide d’Eclosion, l’incubateur dédié aux sciences de la vie : « Letion professionnelle de qualité. Les idées peuvent donc fourmiller canton de Genève et la Confédération ont toujours soutenu la recherchejusqu’à l’entrepreneuriat. et l’innovation, et l’administration suisse si elle est simple, reste efficace.« L’avenir passe par l’innovation, nous n’avons pas le choix, poursuitl’ancien journaliste reconverti dans la politique fédérale. Nous Acteurs de l’économie - La Tribune 73avons vécu une véritable rupture avec le numérique, menant à ladisparition de certaines professions, le changement des modèles defabrication et l’ouverture de nouveaux marchés. »Le digital n’est en effet plus une économie parallèle, absolumenttout passant aujourd’hui par un logiciel. Une économie dominéeà près de 90 % par les États-Unis, alors qu’Amazon enchaînait lespertes il y a moins de 20 ans. Et à l’heure où Uber réinvente lesdéplacements en ville, le conseiller national propose de « réfléchiraux modèles pour les réinventer au lieu de cryogéniser notre mondeactuel ». En Suisse, les cartes à jouer sont nombreuses, dans lascience et la santé, entre autres, mais aussi dans cette économienumérique où tout semble encore à inventer. C’est d’ailleurs surle territoire helvète qu’un fabricant de matelas s’est retrouvé àcombattre l’apnée du sommeil par l’installation de puces électro-niques dans ses produits. Et c’est aussi en Suisse qu’a été déve-loppé Scala, le langage de programmation utilisé par Twitter etLinkedIn.N°132 Octobre 2016

Entreprendre LA « SWISSLICON VALLEY »Tandis que l'environnement est très favorable à l'innovation et à la à Genève, formant un écosystème complet avec investisseurs,création d’entreprises, avec un accès à toutes sortes de financement. » écoles, professionnels et banques. « L’objectif est de développer unAvec son produit et sa technique à vendre, préalablement déve- microcosme fintech dynamique, tout en travaillant de concert avec lesloppée au sein de l’Université de Genève, la société a donc pu banques établies et les entreprises de services financiers, afin de conso-privilégier l’auto-financement et la croissance organique, sans lider le rôle de pôle financier de la Suisse », expliquent les deux par-investissements conséquents. Pour l’entrepreneur, ce n’est pas tenaires à l’origine du projet, Temenos (entreprise informatique)pour rien que « la Suisse est souvent classée parmi les trois premiers et Polytech Ventures (société de capital-risque basée à l’EPFL).pays les plus innovants au monde ». Chaque année, dix startups bénéficient ainsi d’un programmeCes arguments permettront-ils alors de faire émerger une d’accélération pour passer du prototype à la commercialisation,« Swisslicon Valley » ? Les plus grands ne s’y trompent pas. Goo- avec formations, experts, mentors et réseaux de partenaires. Unegle a ainsi installé son hub européen à Zurich, le transformant en initiative à laquelle s’est jointe BNP Paribas Suisse cette annéecentre de recherche sur l’intelligence artificielle. « La Suisse est l’un avec l’objectif de « concevoir la banque de demain », en s’assurantdes pays les plus fructueux au niveau économique, avec une histoire d’en être un acteur de premier plan. « Ce partenariat est un cata-de performance remarquable dans le domaine de l’entrepreneuriat », lyseur dans notre modernisation  », annonce Kim-Andrée Potvin,souligne John Harthorne, directeur général de MassChallenge, le directeur des opérations et sponsor de la stratégie digitale de laplus important incubateur de startups au monde sis à Boston et banque. Selon lui, associer l’expertise de BNP Paribas avec cellequi a choisi de s’installer en Suisse pour placer une tête de pont d’entrepreneurs permettra d’aller « plus rapidement et efficacementen Europe. au coeur du changement » que traverse l’industrie financière.L’AVENIR PAR LA FINTECH MANQUE DE CAPITAL-RISQUEDans cette avancée, la tradition bancaire locale reste également Mais ce n’est pas si simple, car à l’inverse de la France, la Suisseune valeur « sûre » pour les quelque 200 startups fintech du sol a un fonctionnement plus bottom-up que top-down. « Presque trop,helvétique (qui représentent 1/10ème du secteur mondial) puisque avoue Fathi Derder. Nous devrions peut-être nous inspirer de ce quila Suisse est une place de référence mondiale pour la finance. a été initié par Emmanuel Macron lorsqu’il cherche à simplifier la vieAinsi, après Londres et New York, le premier incubateur suisse des entrepreneurs. » Mais paradoxalement pour un pays si riche,dédié aux startups de la fintech, baptisé Fusion, a vu le jour le principal problème reste le financement : « Notre pays déborde Les géants du numérique connaissent le potentiel de la Suisse. Google a installé son Hub © Google européen à Zurich, le transformant en centre de recherche sur l’intelligence artificielle. N°132 Octobre 201674 Acteurs de l’économie - La Tribune

“ L’INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE EN DIRECT ”1 mois*29 .-d’essai à CHF Papier (uniquement en Suisse) L'Agefi agefi.com Indices Acteurs de l’économie - La Tribune 75 Nos autres titres (selon périodicité) Numérique Code d'accès Tous les contenus agefi.com Archives en ligne, + de 420’000 articles Tous nos titres sur notre App iPad NewsletterAbonnement sur www.agefi.com/abo*Cette offre est valable toute l’année et non renouvelable. TVA et frais de port inclus. N°132 Octobre 2016

Entreprendre LA « SWISSLICON VALLEY »d’argent mais en épargne. Il ne se retrouve pas à financer des projets connaissance de la culture numérique révélateur. Le lobbyiste ainnovants.  » En tout, 850 milliards de francs suisses (780 mil- donc co-créé un groupe parlementaire pour défendre les startupsliards d’euros) sont accumulés dans les caisses de pension, mais et la nouvelle économie auprès des plus hautes sphères de lan’alimentent pas de capital-risque. Injecter un seul pour cent de Confédération, jusqu’à sensibiliser le président Johann Schneider-ces milliards dans le tissu économique local produirait un puis- Ammann. Avec succès, puisque des projets sont débattus poursant effet levier. une « vraie » définition du statut et des besoins spécifiques desDans son livre Le prochain Google sera Suisse, Fathi Derder cite startups, alors qu’une politique d’innovation a été inscrite au pro-l’exemple d’un entrepreneur suisse installé à Pékin qui a levé gramme de la législature. Le Palais Fédéral accepte donc l’idée de12 millions de dollars pour poursuivre son développement. Une programmes dédiés aux startups, et des rencontres entre acteurssomme jugée importante en Suisse, alors qu’en Chine, le fait de l’innovation et de l’administration ont déjà eu lieu. Mieux :n’est pas rare. Le petit pays banquier n’est donc pas sur un pied un projet de loi pourrait prendre forme l’an prochain, créant led’égalité face à des concurrents asiatiques ou américains qui Fonds suisse pour l’avenir, incitant les investissements dans lesréussissent à trouver plus facilement des dizaines de millions PME innovantes en vue d’un véritable écosystème. Le présidentde dollars pour se développer. « Ici, l’argent levé permet de vivre de la Confédération a d’ailleurs annoncé envisager des exoné-plutôt que de s’agrandir  », résume un entrepreneur. Alors que le rations d’impôts généralisées pour les startups et des cadeauxbesoin de financement d’une start-up est très élevé, surtout dans fiscaux aux investisseurs…le domaine de la santé. Le risque est donc également de voir Car s’il est certes devenu assez simple de lancer sa start-up enles idées et les talents quitter le sol helvète vers des terres plus Suisse, la tâche à venir serait davantage de retenir ces sociétésfertiles. sur le territoire en évitant un « brain drain » (fuite des cerveaux).Selon le lobby des startups à Berne, la Suisse devrait autant sacra- Entrepreneurs et activistes sont unanimes : « La Suisse peut et doitliser son budget dédié à la R&D qu’un pays en guerre privilégie faire mieux ! », si elle veut garder sa longueur d’avance et devenirson budget militaire. « Mais les milieux politiques ne prennent pas une véritable « start-up nation ».conscience de l’évolution de la société. Certains pensent toujours queGoogle est un simple moteur de recherche alors qu’il est devenu unvéritable assistant de vie », constate Fathi Derder. Un manque de« La Suisse devrait autant sacraliser son budget dédiéà la R&D qu’un pays en guerre privilégie son budget militaire »76 Acteurs de l’économie - La Tribune N°132 Octobre 2016

Cap Ingelec et CM-CIC Investissement Une rencontre très ingénieuse. Jean-Paul Calès, David Dickel, PDG de Cap Ingelec, Directeur de Participations CM-CIC Investissement, référence française spécialiste des métiers en matière d’ingénierie de haut de bilan pour répondre des projets complexes. aux besoins de financement en fonds propres des entreprises. La rencontre La relation Les ambitions Jean-Paul Calès Jean-Paul Calès Jean-Paul Calès Cap Ingelec a toujours eu des partenaires La philosophie de CM-CIC Investissement Après nous être diversifiés sur 4 secteurs financiers à son capital. Mais en 2007 dans qui s’inscrit dans une logique de long d’activité, nous évoluons aujourd’hui le contexte de forte croissance du groupe, terme, sans clause de liquidité, nous vers une activité de contractant général, j’ai fait le choix de réorienter le profil de permet d’envisager plus sereinement la intégrant la maîtrise d’œuvre à la ces investisseurs. Les acteurs en place pérennité et donc l’avenir de l’entreprise. conception. Une évolution qui nous permet avaient un impératif de liquidité coercitif Cette approche correspond réellement de nous positionner sur des projets de ce qui pouvait à terme nous coûter trop aux besoins et à l’esprit d’une Entreprise grande envergure, comme l’agrandissement cher. Je me suis alors tourné vers CM-CIC de Taille Intermédiaire (ETI). de l’usine d’Evian pour Danone (6 millions Investissement qui présentait l’atout David Dickel de bouteilles d’eau par jour), que nous fondamental de ne pas avoir de clause de Aujourd’hui, nous accompagnons Cap venons de mener à bien. durée. Ingelec dans sa stratégie de croissance David Dickel David Dickel externe. Nous travaillons également avec L’objectif de l’entreprise est d’atteindre Cap Ingelec est l’une des plus belles l’équipe dirigeante dans l’élaboration des 100 M de chiffre d’affaires d’ici 10 ans. entreprises de la région, avec des clients montages permettant de financer les Nous sommes décidés à accompagner aussi prestigieux que Danone, IBM, le projets de biomasse et de green economy. cette ambition de façon durable. Nous CEA ou l’aviation civile. La société porte avons notamment un rôle clé à jouerTheLINKS.fr - 160105 - 09/2016 - Crédit photos : Didier Cocatrix. également des projets emblématiques dans le projet de transmission, qui doit comme celui de l’Ile d’El Hierro aux permettre à terme au fils de Jean-Paul Canaries qu’elle a rendu autonome en Calès de poursuivre la saga familiale. production d’énergie. Nous avons donc été très heureux d’être sollicités pour Acteurs de l’économie - La Tribune 77 participer au reclassement. L’excellence de l’équipe dirigeante, menée par Jean-Paul Calès ne laissait aucune place à l’hésitation. En savoir plus sur cette rencontre ? Retrouvez l’interview complète de Jean-Paul Calès dans la rubrique « Carnets de rencontres » sur Nw°13w2 Owcto.bcrem201c6ic-investissement.com

Entreprendre CHRONIQUESLOIS SOCIALES Patrick Martin, Président du MedefDU QUINQUENNAT Auvergne Rhône-AlpesHOLLANDE : Halte aule jour d’après CONCOURS LÉPINEJuste avant adoption de la loi travail le 20 juillet, que n’a-t-on entendu  : «  Tout ça pour ça  !  », en référence à la disproportion FISCAL entre le mouvement de contestation sociale s’étirant en longueur et au contenu final de la loi réformant le Code du travail. Cette Le concours Lépine des largesses électorales semble rouvert, en loi qui, après celles de 2004 et de 2008, n’est pas la première à infraction aux indispensables engagements de maîtrise budgétaire modifier la hiérarchie des normes en droit du travail, avec son article pris par notre gouvernement. Ce concours prend notamment la 2 consacrant la primauté des accords d’entreprise - au centre de forme tortueuse d’une taxe spéciale d’équipement régional, à hau- la contestation -, comporte aussi de nombreuses dispositions qui teur de 600 millions d’euros, qui sera incluse dans le projet de loi doivent être mieux connues. Ce puzzle est composé de quatre de finances 2017. Cette taxe sera essentiellement supportée par les pièces d’inégale importance : la loi de sécurisation de l’emploi de entreprises, mais aussi par les particuliers. Elle a été brutalement juin 2013, la loi Rebsamen sur le dialogue social, la loi Macron et enfin la loi travail. décidée, d’un commun accord entre le Premier ministre et le pré- La première clé de lecture, de façon paradoxale au regard de l’apparente agitation sident de l’Association des régions françaises, dont les sensibilités sociale du printemps 2016, réside dans la volonté de renforcer le dialogue social et la politiques s’opposent. C’est une mauvaise réponse apportée à une négociation au sein des entreprises. bonne question  : comment doter nos régions de moyens adaptés aux nouvelles Tout d’abord sur l’emploi, la loi de sécurisation a refondé le cadre juridique des compétences qui leur ont été conférées ? Au niveau insupportable de prélèvements procédures de plan de sauvegarde de l’emploi, avec la création d’une fenêtre de obligatoires que subit notre pays, sans résultats probants, quelques sources d’écono- négociation et le repositionnement de l’administration. Cette loi a connu un succès mies ou de réaffectations budgétaires doivent bien exister. indéniable avec près de 60% d’accords signés dans le cadre de PSE, une plus grande prévisibilité pour les entreprises et une baisse très significative des contentieux. Conscience Ceci est grave, de par les sommes en cause, mais aussi en raison du message « Touche à tout » qui nous est ainsi adressé, en complète contradiction avec d’autres discours plus Dans un second temps, la loi Rebsamen a introduit des dispositions permettant, par positifs, émanant d’un bord politique ou d’un autre. Les entreprises, qui financent la négociation ou la voie unilatérale, de rationnaliser et simplifier l’architecture des ins- déjà les collectivités territoriales à hauteur de 37 milliards d’euros par an, sont tances représentatives du personnel, mais aussi de mieux les articuler et de rythmer donc en droit de s’émouvoir à double titre. Elles demandent à nos gouvernants les consultations et obligations annuelles. des approches stratégiques lisibles, courageuses et déclinées avec constance. Dans la continuité, la loi Macron a donné la main aux partenaires sociaux sur le sujet Cette affaire de nouvelle taxe augure mal de la qualité et de la sincérité du débat sensible des ouvertures le dimanche et en nocturne dans le secteur du commerce qui nous conduira aux élections du printemps prochain. en conditionnant l’ouverture à la signature d’accord sur les contreparties avec, à ce Notre pays ne peut se permettre d’escamoter une nouvelle fois les stade, un parcours assez chaotique plus d’un an après la promulgation de la loi. vrais enjeux qui engagent son avenir, comme ce fût déjà le cas en La loi travail marque l’an I de l’exercice de réécriture du Code du travail, selon la 2012, avec les résultats que l’on sait. méthode préconisée par le rapport Combrexelle, en renvoyant, selon un principe Les chefs d’entreprise sont parfaitement conscients de leurs responsabilités de supplétivité, à la négociation d’entreprise. À commencer par les dispositions sur économiques, sociales et sociétales. Ils les assument essentiellement. C’est l’organisation et l’aménagement du temps de travail. Cette loi un peu « touche à tout » la raison pour laquelle ils entendent faire valoir leur point de vue dans le débat comporte bien d’autres dispositions intéressantes, passées plus inaperçues. démocratique qui s’ouvre : la voix du bon sens, du long terme et du parler vrai. Nombre de sujets pourront être traités par la négociation, comme la possibilité pour Puissent-ils, pas plus mais autant que d’autres, être entendus ! les entreprises de ramener la majoration pour heures supplémentaires à 10% au lieu de 25%, celle de souscrire des accords « offensifs » et de proposer aux salariés de © Christian Chamourat - DR travailler 39 heures payées 35 pour développer leur activité. La loi a enfin sécurisé pour la première fois le licenciement des salariés qui s’opposeraient à ce type d’accord. Il restera à trouver des acteurs qui s’emparent intelligemment des nou- veaux outils. De ce point de vue, la responsabilisation de l’ensemble des acteurs de l’entreprise (direction, managers, collaborateurs, syndica- listes) dans une relation de confiance sont des points de passage obligé. Il faudra abandonner les postures convenues. Enfin, l’association de la ligne managériale à ce type de démarche sera un facteur clé du succès qui dépen- dra de leur engagement. De nombreuses occa- sions se présenteront, encore faut-il les saisir ! Bruno Dupuis, N°132 Octobre 2016 Senior advisor Associé, Alixio78 Acteurs de l’économie - La Tribune

TRIBUNE EntreprendreÀ L'EPFL, LE Selon le classement annuel de l’IMD World Competitiveness Yearbook1, auxPOURCENTAGE côtés d’Israël et des États-Unis, la Suisse se range parmi les troisDE PROFESSEURS écosystèmes mondiaux les plus innovants. La performance helvétique tientÉTRANGERS à plusieurs facteurs. D’abord, le pragmatisme est ici une valeur forte : lesATTEINT 60%. Suisses valorisent ce qui fonctionne. S’appuyant sur une tradition d’innova-IL EST DE tions, la Suisse fait bon accueil à tous ceux et celles qui, par leur ouvrage,4% DANS œuvrent à l’accroissement de la prospérité de tous : 24 % de la populationL'ENSEIGNEMENT installée en Suisse est étrangère. Bien intégrée, cette population parvientSUPÉRIEUR aux postes les plus élevés. Ainsi, à la tête de Nestlé, se sont succédés unFRANCAIS… Autrichien, un Belge et maintenant un Germano-Américain. Dans les deux pépi- nières d’ingénieurs que sont les Écoles polytechniques fédérales de Zurich (21 prix Nobel) et de Lausanne, le pourcentage de professeurs étrangers atteint 60 %. À titre de comparaison, dans l’enseignement supérieur français, le pour- centage est inférieur à 4 %.LA SUISSE, SILICON VALLEYEUROPÉENNE ? PAS SI VITE !François Garçon, BOTTOM-UPEnseignant-chercheur utre facteur favorisant l’innovation, la formation scientifique en uisse,à l’université Paris 1 l’ingénieur se vit d’abord en bricoleur, en inventeur. L’enseignement suissePanthéon-Sorbonne, valorise les applications pratiques. Les élites sont issues de parcours quiauteur de La Suisse, Pays valorisent la recherche. n apprentissage dès ans ou dans la filière géné-le plus heureux du monde, rale, les Suisses étudient non pour accéder à un statut social mais pourTallandier, 2015 l’intérêt qu’ils y trouvent. La valeur marchande du diplôme de formation ini- tiale se dissipe rapidement au profit des résultats opérationnels obtenus dans1 http://www.imd.org/wcc/ les di érents postes occupés. e fait de n’être pas assigné vie tel niveau news-wcy-ranking/ de responsabilité fluidifie les parcours. e marché du travail est fluide et la culture bottom-up domine.2 Bilan, 2 février 2016 Tel est le cadre qui fait de la Suisse le pays le plus innovant du monde en epfl-stud -s it erland- 2015. Quid des innovations proprement dites ? Sont principalement concernés digital-future les secteurs matures, pharmacie, chimie, médecine, mécanique de précision ou encore alimentaire. Disponible et bien formée, la main d’œuvre technicienne4 Startup Monitor, 2016 dispose depuis la fin des années d’une cinquantaine d’universités de métier, les Hautes écoles spécialisées qui tapissent le territoire.Lire le dossier sur la L’écosystème helvétique est-il pour autant favorable aux startups ? Les« Swisslicon Valley », perles sont-elles si nombreuses ? En réalité, même si les fonds levés sont enpage 70. hausse régulière (670 millions de francs en 2015, 120 startups concernées)2, la uisse n’est pas la ilicon alle alpine. es milieux financiers, réfrac-N°132 Octobre 2016 taires à toute entreprise ouvrant sur l’inconnu, restent frileux. La Suisse a finalement peu de capital-risque3. Les investissements visent les cleantechs, les sciences de la vie et les technologies informatiques. Si l’environnement fiscal est globalement favorable, les startups doivent rester vigilantes. Si leur espérance de vie excède la moyenne internationale (80 % survivent à la première année, 50 % vont au-delà des cinq ans4), les clusters restent fra- giles. En outre, les investisseurs se concentrent sur les secteurs matures, potentiellement générateurs de marges et fournissent du travail à forte valeur ajoutée pour des centaines de milliers de salariés, dont les rémuné- rations font pâlir la planète (salaire médian, 6 118 francs en 2015). Le gouvernement fédéral est rétif à apporter son soutien aux startups. Ici, pas de politique industrielle, pas d’« État stratège ». Les jeunes pousses ? Qu’elles se débrouillent ! Au mieux, les licornes peuvent espérer un cadre fiscal moins pénalisant. ’il existe donc un équivalent de la ilicon alle en Europe, il ne se trouve probablement pas en Suisse. Au moins pas encore, si l’on se fie la prophétie du conseiller national athi Derder pour qui « le prochain Google sera suisse ». © DR Acteurs de l’économie - La Tribune 79

CRÉATION : EKNO- CRÉDITS PHOTO : BERTRAND GAUDILLERE - *ACCRO À LYONPascal LE MERRER, Directeur des JECO, professeur d’économie (ENS)Je suis arrivé à Lyon il y a 15 ans pour des raisons professionnelles et, très vite, j’ai été séduit. J’ai découvert une ville où il fait bon vivre,façonnée par une très belle architecture, en perpétuel mouvement, où les quartiers se re-dessinent pour renaître en petits villages.J’ai créé les JECO (Les Journées de l’Economie) à Lyon en 2008 avec l’ambition de provoquer des rencontres entre les citoyenset l’économie tout en faisant découvrir, par la même occasion, des lieux a priori décalés pour le sujet : Théâtre des Célestins, Muséedes Beaux-Arts… La ville s’est très vite mise à l’échelle de l’événement et lui a donné toutes les clés pour réussir. Lyon, c’est la villede l’économie, ici plus qu’ailleurs cela a été facile de se lancer ! Rendez-vous www.journeeseconomie.orgles 8, 9 et 10 novembre 2016 à Lyon

LE RÊVE InventerLE RÊVE,HERVÉ LE BRAS‘‘Pour cerner la place de l’Homme dans la ville du futur, deux approches sont possibles. L’une, utopiste dessine les contours de la ville idéale, la cité platonicienne, celle des abeilles, la cité du soleil, voire, plus près de nous, le plan de Paris proposé par Voisin et Le Corbusier. L’autre approche est empirique. Elle s’e orce de combiner et de prolonger les dynamiques actuelles. Le pre- mier cas prédispose à l’optimisme car il o re un objectif positif. Le second cas incite au pessimisme actif car il invite à corriger des évolutions déplaisantes. Notre métier de démographe, d’historien et de statisticien, nous pousse dans la seconde voie. En l’adoptant, quatre tendances urbaines persistantes se dégagent au cours des dernières décennies dans le monde entier. • L’urbanisation définitive du monde. La condition humaine devient la condition urbaine. Autour de l’année 2000, la population urbaine de la terre est devenue majoritaire. Le mouvement s’est poursuivi au point que plus de 90% des habitants des pays développés et de certains pays émergents comme le Brésil résident en ville ou du moins en agglomération. La croissance des mégacités est la plus rapide : Lagos, Mexico, Shanghaï, Sao Paulo, Kinshasa, dépassent déjà 15 millions d’habitants.• La ségrégation sociale. Dans les villes anciennes, toutes les couches sociales coexistaient. Dans la ville classique, la ségrégation était verti-cale : en bas et à l’étage noble, les riches, plus haut, les pauvres. Puis à partir du XXe siècle, les pauvres etmaintenant les classes moyennes ont été repoussés vers la périphérie. Le mouvement s’amplifieencore. Paris intramuros compte 24% de cadres et de professions libérales. Elles nesont que 3% dans les zones rurales lointaines.Chevauchement et contradiction• La ségrégation des âges. Les grandes villes concentrent les jeunes, en général célibataires. 12% des habitants de Rennes, de Grenoble, de Montpellier sont âgés de 20 à 24 ans. 2,5% seulement de ceux de la Creuse ou du Lot. Corrélativement, les zones rurales vieillissent. Dans les zones péri-urbaines, habitent les personnes d’âge intermédiaire avec leurs enfants, souvent dans des pavillons.• La ségrégation familiale  : à la ségrégation des âges s’ajoute la localisation des familles monoparentales au voisinage des centres villes.Ces tendances de long terme se chevauchent et se contre-disent souvent. Ainsi dans les grandes villes, les riches desprofessions supérieures voisinent avec les jeunes, la classed’âge la plus pauvre, et les familles monoparentales dont 40%vivent au-dessous du seuil de pauvreté.Elles sont renforcées par lamontée des inégalités et le reculdes États providence sous lescoups de boutoir du libéralisme.Allons-nous vers les débris urbains dispersés sur d’immenses terri-toires, que prophétisait Lewis Mumford, vers des cités duales aux ter-ritoires séparés pour riches et pour pauvres qu’annonce Manuel Castells,vers les global cities dynamiques de Sasskia Sassen, entourées de villesmoyennes déprimées ? Espérons seulement que la condition urbaine ne’’soit pas à l’image de la condition humaine de Malraux.Hervé Le Bras,Démographe,Chercheur émérite à l’Institut nationald’études démographiques,et Professeur à l’École des hautes étudesen sciences socialesN°132 Octobre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 81

Inventer TRIBUNE82 Acteurs de l’économie - La Tribune N°132 Octobre 2016

MARRUQBUREIQDEUFEADBERNIQOUME Inventer Demain, TOUT ET TOUS UBERISABLES ? La société du salariat, fondée pour répondre au besoin de protection et de mutualisation du risque au sein de l’entreprise, vit une mutation fondamentale, qui a pour nom uberisation. Sa généralisation est-elle plausible ? Est-elle seulement souhaitable ? Comment normaliser le phénomène ? Cette nouvelle donne, tour à tour vantée et vilipendée, fait figure de nirvana ou d’épouvantail. Éclairage. FEUILLETON, MAÏTÉ DARNAULT/WEREPORTN°132 Octobre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 83 © Merlin Meuris / Reporters-Réa

Inventer DEMAIN, TOUT ET TOUS UBERISABLES ?Aux États-Unis, Outre-Atlantique, les travailleurs indé- Car l’uberisation ne signifie pas unique-alors que pendants représentaient déjà jusqu’à ment la transformation des modes dedémocrates et 44 % de la population active en 2014, consommation, mais également celle desrépublicains selon l’OCDE – un tiers d’après d’autres modalités du travail. Et le changementse lancent dans observateurs. En France, ils seraient 7 %. s’annonce brutal. L’économie des plate-la dernière ligne Un chiffre qui devrait doubler d’ici à formes, régie par des algorithmes, dopedroite de la 2020, projette l’OCDE, et concerner ainsi l’automatisation et induit une destructioncampagne près d’un actif sur sept dans l’Hexagone. massive d’emplois. « D’ici à 2025, 3,5 mil-présidentielle, À plus long terme, le phénomène pourrait lions d’emplois seront supprimés en Franceun enjeu, même devenir majoritaire. à cause de la numérisation totale de l’écono-attendu, pèsera L’uberisation, un néologisme que l’on doit mie  », pointe Bruno Teboul. À cet hori-sur les débats : à Maurice Lévy, PDG de Publicis, carac- zon, plusieurs études prédisent mêmecelui de térise, « à l’image de startups comme Uber, jusqu’à 47 % d’emplois en moins dans lesl’uberisation le bouleversement des schémas de l’écono- pays les plus industrialisés.du marché mie traditionnelle et l’irruption violentede l’emploi et, de nouveaux acteurs qui se posent comme TRAVAILLEURS INDÉPENDANTSplus avant, des intermédiaires entre les consommateurs et Dès lors, certains considèrentmodes de vie. les prestataires de services grâce à l’écosys- aujourd’hui obsolètes les théories de tème numérique », explique Bruno Teboul, l’économiste autrichien Joseph Schum-84 Acteurs de l’économie - La Tribune vice-président du cabinet de conseil en peter, qui avait prédit une croissance nouvelles technologies Keyrus, ensei- cyclique et de grandes vagues de « des- gnant-chercheur à Paris-Dauphine et truction créatrice  » lorsque l’innovation auteur de l’ouvrage Ubérisation = économie prend le pas sur l’ancien modèle, ren- déchirée ? (éditions Kawa, 2015). Ce mou- dant caduques des métiers et en inven- vement, amplifié par le boom des appli- tant une foule d’autres dans le même cations mobiles et des réseaux sociaux, temps. Désormais, «  nous assistons à propose « une approche servicielle d’excel- une disruption destructrice, estime Bruno lence, efficace, ergonomique », souligne-t-il. Teboul. L’uberisation est en fait la dernière À première vue donc, il s’agit d’un pro- évolution du capitalisme contemporain, l’in- grès pour le consommateur, qui trouvera carnation d’un capitalisme de prédation. à portée de clic des prestations meilleures Les uberisateurs sont des entreprises rela- et moins chères. Selon Grégoire Leclercq, tivement jeunes, qui bénéficient de levées de fondateur de l’Observatoire de l’ubérisa- fonds astronomiques. Elles détruisent plus tion, également président de la Fédération de valeur qu’elles n’en créent, car elles sont des auto-entrepreneurs, cette «  transfor- survalorisées (cotées ou non en Bourse) alors mation de la chaîne de valeur  » permise qu’elles perdent de l’argent et possèdent une par l’existence de ces plateformes numé- masse salariale très faible grâce à l’automa- riques représente « un levier commercial et tisation et la robotisation ». un axe de développement très intéressants ». Si l’usage extensif de logiciels permet À condition que les modèles législatifs, bien la réduction des frais structurels, fiscaux et sociaux parviennent à évoluer c’est d’abord le recours aux travailleurs de concert. indépendants, garants de leur propre outil de travail, qui fonde ce mode de fonctionnement. Il correspond ainsi à «  de nouvelles formes de management, de captation du travail, donc d’exploitation  », pointe le sociologue Patrick Cingolani, directeur du Laboratoire de change- ment social et politique à l’université Paris-Diderot, auteur de Révolutions pré- caires – essai sur l’avenir de l’émancipation (La Découverte, 2014). «  Il faut prendre en compte cette marchandisation de la vie privée et sa puissance corrosive, en termes d’espace et de temps de travail, estime le chercheur. Non seulement l’uberisation, en tant qu’intermédiation, engendre une dérégulation du social et une déresponsa- bilisation de l’entreprise, avec l’absence de protection sociale garantie aux travailleurs, mais elle encourage par ailleurs l’exacer- bation de la convocabilité du travailleur.  » C’est tout l’enjeu de la question de la « notoriété » : en se basant sur les notes attribuées par les clients aux prestataires, N°132 Octobre 2016

DEMAIN, TOUT ET TOUS UBERISABLES ? Inventerles plateformes proposent une évaluation – experts comptables, avocats, médecins « Il n’y aurait pasimmédiate du service et prétendent jouer (lire encadré). de Blablacarla carte de la transparence. Par ailleurs, l’économie des plateformes sans routesOr « posséder un algorithme pour un patron numériques ne peut pas être réduite à construitesest bien différent d’une relation avec un supé- l’uberisation. L’autre facette de la désin-rieur hiérarchique » avec qui il reste admis termédiation est celle de l’émergence de par la collectivité »de négocier, estime Patrick Cingolani. En l’économie collaborative, dont découleeffet, Uber ne licencie pas « ses » chauf- une activité moins onéreuse sans pour pas de Blablacar sans routes construites parfeurs, mais les « désactive » sans recours autant être low-cost, plus qualitative et la collectivité ! »possible lorsqu’ils ne satisfont plus les plus souple sans pour autant s’exempter Et c’est l’encadrement de l’économieparamètres du système informatique. de tout cadre. « La révolution digitale cor- collaborative qui permettrait l’épanouis-«  La place du GPS a également rendu le respond au passage d’une économie du bien sement de l’économie du partage, unecontrôle du travailleur extrêmement puis- à celle de la donnée, d’une économie de la organisation de pair à pair, de groupessant. Cette machine disciplinaire offre une possession à celle de l’usage, explique Pascal d’individus à groupes d’individus, ame-vue surplombante à l’employeur derrière Terrasse, député PS, auteur en février nés à créer un bien commun et trans-une apparente horizontalité. Cela renforce la 2016 du Rapport sur le développement cender la notion de marchandisation,concurrence entre les travailleurs et l’idéolo- de l’économie collaborative. Elle ne crée à l’image de l’encyclopédie libre Wiki-gie sous-jacente de performance », souligne rien de nouveau, mais massifie et industria- pédia. Or pour que cette «  société desPatrick Cingolani. lise des pratiques qui existaient déjà. » communs » basée sur les « proconsom- Le Bon Coin ou les sites de services à la mateurs » (la contraction de producteursÉCONOMIE COLLABORATIVE personne qui pullulent sur le web rem- et consommateurs) soit fiable, elle doitAu-delà de ses indéniables effets per- placeraient ainsi les petites annonces avant tout normaliser son recours auxvers, la systématisation du modèle Uber scotchées sur le comptoir de la boulan- travailleurs indépendants, qui jouissentest-elle réaliste  ? Selon Olivier Ezratty, gerie de quartier, et Blablacar serait l’ava- aujourd’hui de droits sociaux bien enconsultant spécialiste du numérique, tar contemporain de l’auto-stop. « Il s’agit deçà de ceux des salariés. « Nous appelonsauteur du blog Opinions libres et du Guide d’une évolution irréversible, estime l’élu. à une convergence des droits, au-delà de lades start-ups, Uber constitue un «  cas Mais l’économie numérisée ne doit pas se couverture maladie universelle et des alloca-extrême de ce genre de disruption  », car il développer hors-sol. Elle doit s’adapter à la tions familiales, pour garantir par exemples’appuie simultanément sur plusieurs légalité et à la fiscalité de chaque pays, et l’accès au crédit et au logement », souhaitefacteurs : une « insatisfaction généralisée » contribuer à la charge publique. Il n’y aurait Pascal Terrasse. Autres préconisationsdes consommateurs vis-à-vis du système de ses travaux : la standardisation de laclassique de services, une «  récurrence rupture de la relation de travail et l’ins-de l’usage  », un apport en capital-risque titution du droit à la déconnexion, afinexceptionnel dans l’histoire des startups d’établir « un rapport de confiance dans leaméricaines et un « effet globalisé » décou- lien de subordination », explique le député.lant d’une offre homogène et uniforme àtravers le monde. Or cette « combinaison AU TOUR DES COLS BLANCSparfaite » est loin d’être applicable à tous La comptabilité est par excellence un « métier facilement intermédiable et automatisable »,les métiers, notamment ceux qui seraient estime Olivier Ezratty, spécialiste des technologies numériques. En effet, la saisie et la véri-aujourd’hui sur la sellette : les cols blancs fication des comptes peuvent facilement être réalisées par des logiciels. Conséquence : les métiers du chiffre vont devoir « créer plus de valeur ajoutée, c’est-à-dire évoluer vers plus de conseil », en creusant la veine de l’expertise financière. Les médecins, comme les avocats, devraient eux aussi voir leur métier évoluer sous la pression de l’uberisation, car « la roboti- sation peut être très puissante lorsque le corpus intellectuel d’un métier est très vaste », relève Olivier Ezratty. Un logiciel sera capable de compulser la jurisprudence ou un ensemble de traités médicaux plus rapidement et plus efficacement qu’un œil humain. À l’aide de fonctions avancées, cela pourra aller jusqu’à l’automatisation de la recommandation d’un acte juridique ou d’une prescription. Un pas que les clients des plateformes telles CMA-Justice ont déjà franchi, mais qui semble encore inenvisageable pour nombre de patients au sujet de leur santé.N°132 Octobre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 85

Inventer DEMAIN, TOUT ET TOUS UBERISABLES ? Pascal Terrasse Bruno Teboul « Nous appelons à « Nous assistons à une disruptionune convergence des droits. » destructrice. » © DR © DR © Klaus Binder © DR Bernard Benattar Grégoire Leclercq « Il ne faut plus avoir de pratiques « Cette transformation de la chaîne standardisées, mais promouvoir le savoir collectif, conçu pour et transmis par de valeur représente un levier commercial et un axe de des plateformes numériques. » développement très intéressants. »« L’uberisation est la dernièreévolution du capitalisme DÉPASSER LES LOGIQUEScontemporain, l’incarnation d’un SECTORIELLES Pour encadrer cette inéluctable flexibi-capitalisme de prédation » lisation, et parvenir à susciter dans le même temps la création de richesses et LES FEMMES, PREMIÈRES VICTIMES ? l’émancipation des travailleurs, l’éco- L’impact de l’uberisation serait particulièrement néfaste pour les femmes, selon Marie-Agnès nomiste Hélène Timoshkin, du cabinet Barrère-Maurisson, sociologue spécialiste de la famille et de l’emploi, auteure de Travail, Astérès, prône quant à elle une réforme famille : le nouveau contrat (Gallimard, 2003). « Historiquement, les femmes ont souvent été de la formation professionnelle, plus aux marges du salariat, avec des carrières discontinues. Elles n’ont souvent disposé que des poussée encore que celle engagée par le miettes du travail masculin qualifié. » Conséquence : elles seront en première ligne face aux compte personnel de formation (CPF). nouvelles formes d’atomisation de l’emploi. Si la flexibilisation n’est pas mauvaise en soi, « Aujourd’hui, le mouvement d’obsolescence estime la chercheuse, le développement intensif du télétravail constitue un leurre : « Il soulève des connaissances est très fort. Il abolit les le problème de la conciliation avec les impératifs familiaux dans un même espace. Et cet distances et les accès, considère-t-elle. Le enchevêtrement peut être une source de stress considérable. » travail n’est plus linéaire, il tend à davantage d’autonomie. Il faut privilégier la notion86 Acteurs de l’économie - La Tribune d’actif à celle de salarié ou de travailleur indépendant. » Un employé qui, quel que soit son statut, verrait son accès facilité à une formation continue améliorée, par et pour les nouvelles technologies. Et cette homogénéisation devra dépasser les logiques sectorielles, juge le socio- logue Michel Wieviorka, co-auteur de N°132 Octobre 2016

Hélène Timoshkin DEMAIN, TOUT ET TOUS UBERISABLES ? Inventer « Il faut privilégier la notion Patrick Cingolani « La place du GPS a rendu le contrôle d’actif à celle de salarié du travailleur extrêmement puissant. »ou de travailleur indépendant. » © DR © Laurent Cerino / Acteurs de l’économie © DR © DR Michel Wieviorka Bernard Stiegler « Comment circuler entre le virtuel « Réinstituons du pouvoir d’agir, et la connaissance interpersonnelle ? » réinventons la notion de tiers et retrouvons une valeur d’hospitalité globale. »Travailler au XXIe siècle, des salariés en et la solidarité entre des populations de Ce qui permettrait d’échapper à laquête de reconnaissance (Robert Laffont, tous horizons sociaux et professionnels. «  société hyper spécialisée, hyper pro-2015)  : «  Les réflexions sont nombreuses Leur point de rencontre  : une géogra- fessionalisée  » que dénonce Bernardpar domaine d’activité. Or, elles doivent phie commune ; leur credo : le partage Benattar, psychosociologue du travaild’abord s’ancrer au niveau territorial. Le du savoir. et fondateur de l’Institut européen degrand enjeu réside dans la capacité des ter- « Nous pensons que le numérique est porteur philosophie pratique. «  Il faut redéve-ritoires à gérer l’entrée massive du numé- d’une économie de contribution. L’industrie lopper de la confiance et de la respon-rique dans la vie quotidienne. Comment a suscité une prolétarisation généralisée, sabilité. Mais ce n’est pas seulement unecirculer entre le virtuel et la connaissance c’est-à-dire une perte de savoir. Aujourd’hui, histoire morale, c’est aussi une histoireinterpersonnelle ? L’échelle de l’intercommu- la société du logiciel libre permet de nou- d’occasions  », pointe ce dernier. Ilnalité me semble pertinente. » veaux types de relations, une redistribution s’agirait ainsi, pas à pas, de «  réinsti-C’est exactement ce périmètre qui a été naturelle des rapports sociaux », explique tuer du pouvoir d’agir, de réinventer lachoisi pour porter le projet de Plaine Bernard Stiegler. Ce modèle précurseur notion de tiers et de retrouver une valeurCommune, en région parisienne, dont pourrait in fine se baser sur un revenu d’hospitalité globale ». En somme, tisserl’un des instigateurs est le philosophe contributif généralisé, à l’image du sys- une «  solidarité de proximité  » capableBernard Stiegler, directeur de l’Ins- tème imaginé pour les intermittents du de dépasser la fin de l’État-Providencetitut de recherche et d’innovation, spectacle : « Il nous faut à terme inventer et les effets néfastes de la mondiali-auteur de L’Emploi est mort, vive le tra- une macro-économie fiable, solvable, mais sation. Pour Bernard Stiegler, cettevail ! (avec Ariel Kyrou, Fayard/Mille et avant tout rendre possible le développement révolution de l’esprit est aujourd’huiune nuits, 2015). Ce laboratoire à ciel de la «  capacitation  »  : ne plus avoir de « vitale pour l’Europe ». Et pourrait pré-ouvert regroupant neuf communes du pratiques standardisées, mais promouvoir figurer une nouvelle ère des Lumières,nord-est de l’Île-de-France œuvre à la le savoir collectif, conçu pour et transmis dont les États-Unis ne manqueraientcréation d’un espace expérimental de par des plateformes numériques », prévient sans doute pas, à quelques siècles d’in-développement basé sur la coopération le philosophe. tervalle, de s’inspirer.N°132 Octobre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 87

Inventer DEMAIN, TOUS UBERISABLES ?88 Acteurs de l’économie - La Tribune N°132 Octobre 2016 SOCIÉTÉ DE L'AGENCE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE À GENÈVE

RUBRIQUE DE NOM InventerN°132 Octobre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 89

Inventer CHRONIQUESGagnants et perdants DE L’UBÉRISATION Michel Tavernier, Directeur Aravis-Aract Auvergne Rhône-AlpesLes définitions de l’uberisation sont multiples, mais toutes convergent vers un grand « sentiment » : cette révolution, QUAND LE NUMÉRIQUE cette lame de fond, cette mutation majeure impacte tout. boulverse le management Le numérique provoque disruption et désintermédiation, bouleverse les chaînes de valeurs et les modèles écono- Le constat est désormais connu. Dans les organisations classiques, les mana- miques, et peut remettre en cause le modèle social dans gers – théoriquement, force de régulation entre le « haut » et le « bas » de son ensemble. Ce phénomène s’inscrit dans un contexte l’entreprise – sont hélas contraints de passer une grande partie de leur où le rapport au travail, à l’entreprise et à l’employeur temps en reporting plutôt qu’en soutien au travail des salariés. Qu’en est-il change : l’autonomie individuelle au travail se développe, à l’ère du tout numérique ? Le manager d’aujourd’hui a-t-il, davantage que alors que la solidarité envers l’employeur et la fidélité à ses prédécesseurs, les moyens de soutenir l’activité des équipes ? Les l’entreprise régressent. Beaucoup de travailleurs aspirent à prendre en main outils numériques l’aident-ils à gérer le travail ou font-ils écran ? Comme leur devenir professionnel, en devenant auto-entrepreneurs. Cette aspiration tout changement, l’introduction des nouveaux outils numériques présente à être indépendant de toute structure et organisation est particulièrement des opportunités et des risques : d’un côté, la possibilité pour chacun de se forte chez les jeunes générations : à la mode du consultant succède celle dégager des tâches pénibles ou inintéressantes, de développer l’autonomie, du startupper. de s’organiser ; de l’autre, le travail sous pression, l’individualisation, les débordements sur la L’impact de l’uberisation sur la sécurité de l’emploi est généralement perçu vie professionnelle, l’excès d’information, etc. par les individus comme un prix à payer pour gagner en autonomie et en Le management se retrouve en première ligne pour aider les équipes à tirer le meilleur profit flexibilité. En revanche, son impact sur l’évolution des compétences et l’ac- de ces innovations tout en limitant leurs effets néfastes. Mais pour cela, il doit pouvoir être en quisition des savoir-faire est souvent absent du débat public. contact avec le terrain, avoir le temps d’écouter les points de vue et de les faire remonter pour que des décisions adaptées soient prises. Pas si évident ! Car si l’on n’y prend garde, la quête Marginalisation d’optimisation rendue possible par le numérique risque, dans le même temps, d’augmenter la Nous avons tendance à oublier que le premier lieu d’appren- charge gestionnaire des managers – avec des demandes de reporting plus fréquentes, des tissage est l’entreprise. C’est dans le collectif que se forgent outils plus aisés à manier pour les réaliser, des indicateurs que l’on peut dorénavant croiser en et se transmettent les pratiques et les savoirs. Que ce soit par provenance de différents sites, des possibilités de contrôle accrues, etc. Les outils numériques l’apprentissage, par le compagnonnage ou plus simplement par l’échange, peuvent ainsi renforcer la logique d’atteinte de résultats à court terme aux dépens du travail à le transfert et l’acquisition de compétences s’opèrent au quotidien. Les mener sur le sens et les finalités. Ils peuvent accroître la capacité à diffuser des informations au entreprises les plus performantes sont celles d’ailleurs qui sont perçues détriment de la communication de proximité. comme étant les plus « apprenantes ». Sans formation continue, ayant du mal à progresser, les perdants de l’uberisation resteront cantonnés à des tâches à faible valeur ajoutée. Les économistes évaluent ainsi qu’un quart de la population active pourrait se retrouver marginalisée, incapable d’évoluer de façon autonome et ne bénéficiant pas de la structure d’un collectif. Toute mutation produit des exclusions : nous connaissons déjà celle de la révo- lution numérique. Rappelons que les travailleurs indépendants, avant d’être armés pour conquérir leur indépendance, sont souvent d’abord passés par un collectif. Lire le dossier sur l’ubérisation, page 82. Pascal Gustin, Urgence © DRPrésident d’Algoé Les innovations générées par le digital et l’intelligence artificielle ne transforment pas seule- ment les modèles économiques. Elles modifient les métiers, rendent moins utiles certaines compétences et en génèrent de nouvelles. Les enjeux d’adaptation et de formation pour tous sont énormes. Manager à l’ère du numérique suppose d’instaurer un dialogue de qualité sur le travail pour mieux anticiper de tels changements. Cela implique éga- lement de fixer le cadre dans lequel peut s’exercer un potentiel d’autonomie inédit pour chaque salarié, de réguler, de garder la cohésion – tout cela dans un monde plus ouvert en interne et en externe, souvent éclaté géographiquement (management à distance, télétravail, etc.), avec des écarts générationnels forts en matière d’usage du numérique. De nouvelles injonctions contradictoires pour les managers ? Un défi trop ambitieux ? Les recettes pour le relever ne sont pas nouvelles : cohérence sur l’ensemble de la ligne managériale, réflexion collective sur l’organisation et les savoirs impactés par le numérique, temps d’échange et de dialogue. Par Skype, vidéoconférence ou devant la ligne de production. À l’ère du numérique, il devient urgent de reparler de la façon de travailler.90 Acteurs de l’économie - La Tribune N°132 Octobre 2016

LA CONFUSION TRIBUNE InventerQUI ENTOURELE TERME La confusion qui entoure le terme « uberisation » explique son succès.« UBERISATION » Chi on rouge pour certains, il évoque la capacité d’une toute jeuneEXPLIQUE SON entreprise bousculer, voire désintermédier, les acteurs tradition-SUCCÈS nels d’un secteur, en mobilisant des innovations numériques et des formes grises d’organisation du travail, et une capacité externaliser vers des particuliers l’investissement capitalistique, méthodes dénoncées comme rele- vant d’une concurrence délo ale. odèle suivre pour d’autres, il renvoie la créativité des startups qui convoquent les technologies pour réinventer des services dans des secteurs assoupis. Ceci pour le plus grand bonheur des utilisateurs. ’une et l’autre version échouent décrire la complexité de la rencontre entre innovations techno-économiques, pratiques sociales et action publique. bservons le phénomène du point de vue de l’innovation il n’existe pas de fatalité qui voudrait que cette dernière ne vienne que de l’extérieur d’un secteur. a consommation collaborative est née hors des grands acteurs qu’elle concurrence hôtellerie, mobilité, transactions de seconde main. Cela s’explique certes par une di iculté de ces secteurs intégrer le numé- rique dans leur métier et par des pratiques de prix rigides, mais aussi par une incompréhension de l’inadéquation de leurs services avec les attentes d’un nombre croissant d’individus ne plus être propriétaire d’une voiture mais pouvoir la louer vo ager hors des o res conformistes, en réservant en ligne au jour le jour acheter et revendre entre particuliers pour don- ner une seconde vie aux objets tout en générant un revenu Déj les acteurs traditionnels s’organisent pour adopter ces innovations. ême si des pure pla ers du numérique sont aux avant-postes, le secteur automobile travaille la voiture électrique et la voiture sans chau eur les banques tradi- tionnelles proposent des versions dématérialisées de leurs services et les taxis, soutenus par l’acteur public, vont pouvoir pratiquer la maraude élec- tronique en étant géolocalisés, l’image des C.UBERISATION, UNE NOUVELLEASPIRATION DU CONSOMMATEURValérie Peugeot, COMPORTEMENTS © Olivier Ezratty pour http://www.qfdn.netProspectiviste au seindu laboratoire de sciences entons maintenant de répondre la question de l’uberisation généraliséesociales et humaines du point de vue de l’emploi, sujet qui cristallise le plus de tensions. ousd’Orange Labs et devons d’abord nous prémunir des discours prédictifs qui mobilisent l’ube-Présidente de risation comme signe avant-coureur d’une sortie du s stème salarial pourl’association Vecam aller vers une généralisation du travail indépendant. Certes la massification des services collaboratifs peut se lire comme le miroir des d sfonction-Lire le dossier sur nements des marchés de l’emploi. ais la consommation collaborative révèlel’ubérisation, page 82. aussi l’appétit des individus pour des changements de leurs comportements de consommateurs. Ces comportements brouillent les frontières la vie privéeN°132 Octobre 2016 baisse ses barrières je fais rentrer des inconnus dans ma maison, dans ma voiture je suis tour tour consommateur et producteur du service j’alterne transactions marchandes ( e on Coin, lablacar) et non marchandes ( arm ho ers, reeters). Ces activités interstitielles participent renouve- ler les pratiques sociales nouvelles sociabilités improbables et éphémères, consommations de proximité et de refus de l’obsolescence, occupation dans des périodes de sous-emploi ou d’isolement. n tend aujourd’hui réduire le dilemme des acteurs publics confrontés l’uberisation une équation simple encadrer ces acteurs disruptifs pour qu’ils n’impactent pas trop les secteurs qu’ils viennent concurrencer, sans tuer l’innovation. ais il est un dilemme plus subtil éviter que ces inno- vations ne soient le prétexte détricoter notre modèle social construit autour du salariat, quitte limiter le volume d’activité médiée par ces plateformes ou requalifier des liens de subordination qui s’exercent hors du cadre salarial et laisser s’épanouir des formes de consommation plus com- plexes et plus riches en valeur sociale que celles héritées du e siècle. Acteurs de l’économie - La Tribune 91

Comprendre RUBRIQUE DE NOM siparex.com UNE DYNAMIQUE POUR LA CROISSANCE• Un groupe indépendant avec plus de 35 ans • Des implantations en France et en Europe d’expérience dans le nancement en fonds propres servant une stratégie plurirégionale et internationale• 1,5 milliard d’euros de capitaux sous gestion • Un investisseur en fonds propres socialement responsable• Un accompagnement des entreprises dans leurs projets de développement en France • La force du réseau Club Siparex (actionnaires, et à l’international investisseurs et entrepreneurs) qui offre appuis et conseilsACTIVITÉSMIDMARKET SMALL CAPS INNOVATION— — Cryogen.fr - Photo : © Shutterstock139 rue Vendôme - 69477 Lyon cedex 06 27 rue Marbeuf - 75008 ParisT. + 33 (0)4 72 83 23 23 T. + 33 (0)1 53 93 02 2092 Acteurs de l’économie - La Tribune N°132 Octobre 2016LYON • PARIS • LILLE • NANTES • BESANÇON • STRASBOURG • LIMOGES • DIJON • MADRID • MILAN • MUNICH

JERRY NIEUVIARTS, l’artiste PORTRAIT Comprendre © Laurent Cerino / Acteurs de l’économieENTREPRENEURN°132 Octobre 2016 Il aurait pu occuper une place confortable au sein du groupe M6, après avoir revendu sa société Cyréalis en 2008 (co-créée en 1997 avec Nicolas Rosset, qui développait les sites Clubic.com, Achetezfacile.com ou encore Jeuxvideo.fr, et réalisait plus de six millions d’euros de chi re d’a aires) au géant des médias. Mais l’énergie dépensée depuis les premiers jours l’aura conduit à faire une pause d’un an. Ou plutôt de quelques mois car «  je tournais en rond finale- ment », reconnaît-il. Entreprendre, avec ces moments intenses, étant plus fort, il se lance dans divers projets. Il devient investisseur, cofonde l’association La Cui- sine du Web (qui regroupe les acteurs du numérique lyonnais) puis se lance, rapidement, dans une nou- velle aventure en fondant Mapado, une plateforme en ligne regroupant les activités de sorties et loisirs. Une société autofinancée, composée de 15 salariés et qui le passionne à « 200 %, comme, au début, il y a 20 ans ». INVESTISSEUR Depuis la vente de sa première entreprise, Jerry Nieu- viarts revêt la casquette d’investisseur. Avec le fonds Alive Ideas, il accompagne, avec son associé, des startups développant une technologie « pointue » en amorçage (avec un ticket moyen de 100 000 euros). Une dizaine l’est à ce jour. De cette activité, qu’il juge «  formidable  », l’ingénieur de formation ne tire ni gloire ni richesse. Il entend seulement soutenir ceux qui entreprennent. «  Nous sommes prêts à attendre 10 ans s’il le faut pour obtenir un retour sur investis- sement. L’argent n’est pas notre moteur. » Parce que Jerry Nieuviarts en est convaincu  : «  La solution au retour à l’emploi passe par la création d’entreprises. » COMÉDIEN Longtemps «  hyper-introverti  », ce grand timide l’est beaucoup moins depuis qu’il s’est passionné pour le théâtre. « Je me suis découvert un peu plus et enrichi des rencontres qui me servent au quotidien.  » Le théâtre, Jerry Nieuviarts l’a découvert lorsqu’il prit son année de césure. Une révélation qui le conduira même à se poser la question d’en faire une activité à plein temps, s’imaginant rejoindre une troupe et suivre une formation d’acteur. Finalement, l’envie d’entreprendre et son goût pour l’informatique auront été plus forts. Aujourd’hui, il s’essaye au chant, continue le théâtre en amateur et s’amuse à ouvrir par un sketch les éditions du Blend Web Mix (le rendez-vous des pro- fessionnels du web francophone à Lyon) depuis sa création en 2012. Acteurs de l’économie - La Tribune 93

Comprendre TRAVAIL D’INTÉRÊT GÉNÉRALTRAVAIL D’INTÉRÊTGÉNÉRALPEINE DE SENSDOSSIER, STÉPHANIE BORGILLUSTRATIONS, POPPYATWORKSanction alternative à la prison, le travail d’intérêt général (TIG) fonctionne grâce à l’équilibre,parfois fragile, entre le nombre de peines prononcées et une o re de postes ouverts au TIGsu samment importante – et intéressante – pour les absorber. Dispositif soutenu par les pouvoirspublics et les militants d’une politique judiciaire davantage réparatrice que répressive, il sembleenfin convaincre les entreprises de pleinement s’y engager. Trente ans après sa création.94 Acteurs de l’économie - La Tribune N°132 Octobre 2016

TRAVAIL D’INTÉRÊT GÉNÉRAL Comprendre epuis quatre ans, Keolis Lyon intègre Institué par la loi du 10 juin 1983 et mis des «  tigistes  », ces hommes et femmes en œuvre l'année suivante, le TIG est condamnés à effectuer un travail d’inté- une peine généralement prononcée pour rêt général (TIG). Anecdotique au départ, atteintes aux biens, petits vols, recels ou l’autorité organisatrice du Sytral a pro- escroqueries, délits routiers, violences gressivement étendu ses capacités d’ac- volontaires ou outrages à agent. « Aucun cueil pour les porter à une quarantaine, critère n’est imposé. En ce qui me concerne, en moyenne, à fin 2015. Le procédé est c'est souvent pour des primo-délinquants, désormais bien réglé. « Chaque cas soumis plutôt jeunes et éloignés du travail, com- est étudié. Si le profil répond aux caracté- mente Dominique Binet, juge d'appli- ristiques des postes que nous proposons, ou cation des peines et juge correctionnel pourrait convenir selon sa personnalité ou son au tribunal de grande instance d'Al- potentiel, nous l’intégrons dans nos équipes », bertville. Néanmoins, quand l'occasion se explique Patrick Aujogue, directeur de la présente, j'essaie aussi de le proposer à des sécurité à Lyon pour le groupe de trans- personnes qui travaillent car je pense que ports, qui dispose de deux collaborateurs s'impliquer dans un TIG n'a pas la même dédiés à cette question. valeur que payer une amende. »N°132 Octobre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 95 Elsa, 27 ans.

Comprendre TRAVAIL D’INTÉRÊT GÉNÉRALEn France, au 1er octobre 2015, près de Aujourd’hui, la Maison du livre, de l’image analyse Hélène Leseigneur. Autant de40 000 peines de TIG ont été prises en et du son, la médiathèque, la cuisine cen- facteurs favorables à l'émergence de cettecharge par les Services pénitentiaires trale, nos crèches, la menuiserie municipale, peine alternative, qui s'inscrivent dansd’insertion et de probation (SPIP). Elles se notre service d’animation ou notre centre un contexte général d'ouverture d'unetraduisent en nombre d’heures de travail culturel, peuvent en accueillir  », détaille justice restaurative. «  La circulation desnon rémunéré (de 20 à 280 heures maxi- Bernard Thomasson, chargé de mission idées restauratives ne dépend pas seulementmum dans un délai de 18 mois), au profit prévention sécurité à la municipalité. de la nature du message transmis mais dud’une personne morale de droit public Au total, 34 postes ouverts permettent contexte culturel, politique et institutionnel– et de droit privé exerçant une mission à la collectivité de recevoir, en moyenne, dans lequel il se diffuse, de la position socialede service public – ou d’une association une quarantaine de personnes par an, des émetteurs qui en assurent la promotion,habilitée, pour cinq ans, par son SPIP de représentant un, voire deux équivalents des moyens linguistiques, humains (commu-rattachement. À titre d’exemple, 13 000 temps plein selon les années. « Sur 1 400 nautés épistémiques), matériels (ouvrages,heures de TIG ont été effectuées en Savoie collaborateurs, cela ne pèse pas. Mais cela revues, cours, formation professionnelle) eten 2013 dans les collectivités locales, les peut donner un bon coup de main aux petites institutionnels (justice, travail social, école,associations et les entreprises remplissant structures », poursuit-il. communes) qu'ils utilisent  », écrit Jacquesalors une mission de service public du «  La tendance est clairement à la diversifi- Faget, directeur de recherche émérite auterritoire. cation, se réjouit Hélène Leseigneur. En CNRS (Centre Emile Durkheim de Bor-Largement encouragé par l’actuel gou- Savoie, la SNCF propose de nouvelles mis- deaux) – l'un des rares à s'être intéressévernement, le TIG ne représente pour- sions dans la saisie informatique ou le por- au TIG (évaluation nationale de 1993) -,tant que 4 % des peines prononcées en tage de bagage tandis que le Lions Club a dans Les dynamiques de transfert des idéesFrance. Un chiffre qui stagne depuis ouvert un poste pour le ramassage des tulipes restauratives (Raisons politiques).quelques années. Car, contrairement à au profit de la lutte contre le cancer.  » Àune peine de prison classique, pour être Lyon, Keolis élargit aussi son éventail FORMATION OBLIGATOIREen accord avec la réglementation interna- d’offres. «  Nous orientons traditionnelle- DES TUTEURStionale sur l’interdiction du travail forcé, ment les tigistes vers les ateliers et la main- Trouver la bonne attitude à adopter pourle prévenu doit donner son accord pour tenance du matériel. Nous avons récemment accueillir ces travailleurs au statut diffé-se voir notifier un TIG. «  Lorsque nous mené une opération dans nos agences com- rent reste le principal frein au développe-parlons d’alternative à la prison, il ne faut merciales qui ont accueilli deux personnes ment des TIG dans les organisations. « Cepas imaginer que l’on échappe à la peine. Le en contact direct avec la clientèle », souligne n’est pas toujours évident de se positionnerTIG est une véritable sanction, qui, si elle Patrick Aujogue. «  Il n'est pas nécessaire face à des personnes dont le rapport au travailn’est pas exécutée, donne lieu à une nou- de devoir souffrir ou d’être humilié par une diffère du sien », admet Bernard Thomas-velle condamnation de deux ans de prison tâche pour se racheter, l'ouverture fait partie son. Après un long travail de pédagogieet 30 000 euros d’amende, rappelle Hélène de la réponse », résume Dominique Binet. et de sensibilisation interne, ceux qui seLeseigneur, directrice adjointe du SPIP de Avec ces missions plus qualifiées, qui sont inscrits dans la démarche ont tousSavoie. Elle est prononcée par les juges dans amènent de véritables compétences sur formé leurs salariés. Même après desune démarche éducatrice et réparatrice. » le marché du travail, le TIG connaît un années de pratiques, Keolis ou la mai- regain d’intérêt. « C’est un nouveau moyen rie de Villeurbanne se renouvellent sansVERS LA DIVERSIFICATION DU TIG d’inciter les entreprises à ouvrir des postes », cesse pour accueillir les tigistes dans lesEn plus de l’implication du prévenu, le confirme Sylvain Lhuissier, délégué géné- meilleures conditions, via leurs tuteurssuccès du TIG dépend aussi de l’impor- ral de Chantiers-Passerelles, une asso- – des salariés volontaires qui épaulenttance et de la variété de l’offre de postes ciation qui vise à utiliser le TIG comme ces collaborateurs temporaires. À l’imageproposées par les organismes d’accueil. véritable levier d’insertion après leur pas- également de JCDecaux, qui, à traversLongtemps cantonnés aux espaces verts sage dans l’entreprise. En janvier 2016, sa filiale Cyclocity, se prépare, depuis leou à la propreté dans les collectivités le ministère de la Justice signait une début de l’année 2016, à recevoir ses pre-locales, les TIG avaient perdu de leur convention au niveau national avec une miers travailleurs. Pour l’opérateur, entreattractivité. « Evidemment, la multiplication dizaine de grandes organisations dont le autres, des Vélo’V lyonnais, il s'agit dudes offre permettrait d'en exécuter davantage, groupe La Poste, la Fondation de l’Armée prolongement de son engagement dansy compris sur des postes en week-end ou le du salut, la SNCF, JCDecaux ou Enedis. les mesures de réparations pénales. Sym-soir pour les salariés », souligne Dominique À cela s’ajoutent les entités locales, au cas bolisé par son programme « Tu casses, tuBinet. par cas – les collectivités locales étant répares  », ce dispositif est appliqué auxDepuis quelques années, la tendance est à automatiquement habilitées, sans procé- dégradations de ses équipements com-l’ouverture chez les pionniers du TIG. Un dure particulière. « Cet engagement est un mises par des mineurs primo-délinquantsvirage emprunté par la mairie de Villeur- signal fort des acteurs qui ont la volonté de à Paris, Lyon et Toulouse. « Pendant deuxbanne, qui compte des tigistes depuis 30 s’engager aux côtés de la justice. De plus en jours, nous faisons venir le jeune dans nosans, et qui se renforce. « Nous multiplions plus de structures me sollicitent spontané- ateliers, pour lui faire réparer les vélos et lesles secteurs d’activités et les compétences. ment, ce qui n’était pas le cas auparavant », pièces dégradées sous la supervision d’un« Lorsque nous parlons d’alternative à la prison, N°132 Octobre 2016il ne faut pas imaginer que l’on échappe à la peine.Le TIG est une véritable sanction »96 Acteurs de l’économie - La Tribune

TRAVAIL D’INTÉRÊT GÉNÉRAL Comprendre« Le travail d’intérêt général est un nouveau moyend’inciter les entreprises à ouvrir des postes » © FotoliaAlternative à la prison, en France, au 1er octobre 2015, près de 40 000 peines de TIG ont été prises en chargepar les Services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP).N°132 Octobre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 97

Comprendre TRAVAIL D’INTÉRÊT GÉNÉRALde nos salariés-tuteurs. Depuis trois ans, Chantiers-Passerelles, dont une étudenous avons reçu 60 mineurs et enregistré fiable sur le sujet, le comptage reste empi-des retours très positifs sur le vandalisme. rique. Le ministère de la Justice indiqueLes taux de récidive sont variables selon les que 73 % des peines sont réalisées avecannées, 20 % l’an passé, mais pour des délits succès (soit une mission terminée dans lesqui ne concernent pas nos vélos », explique temps et sans encombre). « Mais une foisPierre Foulon, médiateur des systèmes la peine exécutée, nous ne les suivons plus.de vélos en libre-service, consommation Je sais seulement que quelques-uns arriventet justice restauratrice chez JCDecaux. à obtenir des stages ou des CDD », indiqueLe prestataire entend capitaliser sur son Hélène Leseigneur. À Villeurbanne,expérience avec les mineurs pour l’appli- il arrive que des tigistes restent aprèsquer aux majeurs. « Nous formons actuelle- leur passage, comme un récent CDDment nos tuteurs. Tous volontaires, ils savent à la médiathèque de la ville. Chezintégrer de nouvelles personnes sans poser de JCDecaux, l’entreprise est ouverte auxquestions, comme s’il s’agissait de collègues », stages de longue durée. Pour l’heure,indique-t-il. Keolis n’a pas procédé à des embauchesDe fait, le manque de tuteurs est sou- directes mais a permis une intégrationvent le premier argument mis en avant dans son réseau de sous-traitants, danspour ne pas s’impliquer dans le disposi- la médiation ou l’entretien.tif. « Pourtant, nous sommes aux côtés des Ouvrir le TIG au secteur privé pourraittigistes, des organismes et des entreprises augmenter ses chances de succès. Maisà chaque grande étape, personne ne reste pas dans son état actuel, où le travailseul », veut rassurer Hélène Leseigneur. sans rémunération ferait concurrence déloyale aux salariés. Avant d’entamerPOSTURE SOCIÉTALE des réformes, et à la lueur des récentes«  Les entreprises ont tout intérêt à s’empa- conventions, les viviers existent. Et àrer du TIG et à largement communiquer sur elles seules, grandes entreprises et col-leurs actions et leurs liens avec la justice. lectivités disposent de réelles potentiali-Même s’il faut du temps, un peu de moyen tés pour que le TIG serve les intérêts depour former les encadrants ou pour se faire chacun.accompagner si l’on se sent démunis, cesera bénéfique pour leur image citoyenne », « Nous accueillons tout le monde,concède Sylvain Lhuissier. sans regard ni jugement sur la peine.L’adhésion des collaborateurs et la trans- Nous estimons qu’il faut s’inscrireformation du TIG en vraie posture dans une démarche positive,sociétale expliquent ce regain d’intérêt. sur le principe de«  L’implication et l’investissement personnel la nouvelle chance »et citoyen de nos tuteurs sont très forts. Noussommes tous fiers de ces valeurs, égalementportées par notre entreprise  », poursuitPierre Foulon. Tous les interrogés sou-lignent leur propre engagement, et celuide l’entité qu’ils représentent, « une vraiedémarche généralement opérée par des gensconvaincus par ce type de peine », confirmeDominique Binet. « Nous accueillons toutle monde, sans regard ni jugement sur lapeine. Nous estimons qu’il faut s’inscrire dansune démarche positive, sur le principe de lanouvelle chance », résume Patrick Aujogue,également ancien commissaire, sensibleà la question. Jordan, 25 ans, termineses 105 heures de TIG. « J'ai été accueillicomme un employé normal, cela me faitplaisir  », indique ce plâtrier-peintre deformation qui n'avait plus travaillé depuisdeux ans. «  Le TIG donne envie de s'yremettre », concède-t-il.Néanmoins, l’absence de statistique pré-cise rend difficile l’analyse approfondiede l’impact positif du TIG. En atten-dant la mise en route d’une plateformeréunissant tous les acteurs, initiée par98 Acteurs de l’économie - La Tribune N°132 Octobre 2016

LE PATRIMOINE DES HCL Comprendre EDF 552 081 317 RCS PARIS, 75008 Paris.5ème édition RHÔNE-ALPES AUVERGNE L’ÉNERGIE INTELLIGENTE Avec les prix EDF Pulse, EDF accompagne les start-up et jeunes entreprises spécialisées dans les domaines du numérique et de l’énergie. concours-energie-intelligente.edf.com L’énergie est notre avenir, économisons-la ! Acteurs de l’économie - La Tribune 99N°132 Octobre 2016 Booster de startups

ComprendreSaTmRABVAraILuDn’INTGÉRiÊlleT sGÉKNeÉpReAlL Parce qu’il interroge notre André Comte-Sponville Olivier Mongin relation à tout ce qui fait de nous des hommes : Alain Etchegoyen Pascal Perrineau spiritualité, économie, travail, Alain Finkielkraut Pierre-André Taguieff vivre-ensemble, biodiversité,Jean-Claude Guilllebaud Dominique Méda créativité, art, innovation, etc., Albert Jacquard Roger-Pol Droit cet ouvrage est absolument essentiel. Après une telle Robert Misrahi Abdenour Aïn Seba lecture, nous pouvons Pierre Rabhi Gilles Lipovetsky progresser vers davantage d’humanité. Michel Serres René Ricol Blandine Kriegel Eric Dupond-Moretti Pierre Rabhi Bernard Brunhes Isabelle Autissier RH Editions En partenariat avec Robert Castel Daniel Kawka N°132 Octobre 2016 François Dubet Cynthia Fleury Serge Guérin Pascal Picq Eric Maurin Michel Troisgros Edgar Morin Emmanuel Todd Époux Pinçon-Charlot Claude Allègre Alain Touraine Jean-Marie Cavada Jean Viard Hubert Védrine Michel Wieviorka Jean-Paul Delevoye Dominique Wolton Jean Clair Philippe Askenazy Henri Loyrette Nicolas Baverez Jean-Robert Pitte François Bourguignon Olivier Faron Michel Camdessus Gilles Bœuf Olivier Ferrand Yves Coppens Jean-Paul Fitoussi Boris Cyrulnik Michel Godet Françoise Héritier Alain Minc Axel Kahn Bertrand Collomb Philippe Kourilsky Henri Lachmann Cédric Villani Bernard Devert Claude Alphandéry Francis Mer Jérôme Colrat Alain Mérieux Martin Hirsch Nicole Notat Karim Mahmoud-Vintam Serge Papin Maria Nowak Jean Peyrelevade Jean Ferrat Franck Riboud Patrice Giorda Louis Schweitzer Jean-François Zygel Luiz Seabra Jacques Truphémus Christian Streiff Alain Bauer Alexandre Adler Pierre Mazeaud Pascal Boniface Eric de Montgolfier 100 ActeMuras drecle’élcoGnoamuiec-hLaeTtribunJeean-Christophe Rufin


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