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No 132 Acteurs de l'économie

Published by AGEFI, 2016-09-23 03:03:37

Description: Octobre 2016

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ARuhvôenreg-nAelpes acteursdeleconomie.com«B IESNWVENISUESELNICON Étienne KleinVALLEY » PASCAL PICQ Yves Bontaz, no limit BOSCH Demain, tout et tous uberisables ? TOUPARGEL, UN NAVIRE DANS LE BROUILLARD Gaspard Koenig LE « MICHELIN », TOUS AU STADE Hervé Le Bras© Alain Herzog Octobre 2016 9,50 euros

CONSEIL PATRIMONIAL :TCÀPRolaHurCAqAauiVosQsiAepaUdsI’EvLEpoaursDgJn?eEORhUPônReRAlÉpAeCsU, nIoSuSsImEOeRtNtoVnsQIceCUsaEvEo(irD-nNfaEi.rOemàVUl)aOSdiTspRRosiÉEtioAnPdLeAIplSTusROdeIN1M40S0O00IcNlienEts.*.*Source Caisse d’Epargne Rhône Alpes au 20/11/2015.Caisse d’Epargne et de Prévoyance de Rhône Alpes - Banque coopérative régie par les articles L512-85 et suivants du code monétaire et financier - Société anonyme à directoire et conseil d’orientation et de surveillanceCapital de 1 000 000 000 euros - 116 Cours Lafayette 69003 Lyon - 384 006 029 RCS Lyon - Intermédiaire d’assurance, immatriculé à l’ORIAS sous le n°07 004 760.

ENTRÉE EN MATIÈRE DialoguerENTRÉE EN MATIÈRE,ÉTIENNE KLEIN‘‘Comme le mercure de nos expériences scolaires, les idées scientifiques suivent des chemins di ciles à anticiper. Qu’elles aient ou non des visées pratiques, elles se répandent, se fragmentent, se retrouvent pour former de nouvelles confluences, ce qui rend leur destin imprévisible. En 1915, Albert Einstein n’avait pu deviner que la prise en compte des équations de sa nouvelle théorie de la gravitation, la relativité générale, serait un jour nécessaire au bon fonctionnement de nos GPS ; en 1928, Paul Dirac, l’un des pères fondateurs de la physique quantique, ne se doutait pas que les réflexions fort abstraites grâce auxquelles il put prédire l’existence de l’antimatière permettraient de concevoir les caméras à positons de nos hôpitaux ; ni ne pouvait imaginer que cette nouvelle physique engendrerait la plupart de nos produits de haute technologie (électronique, laser et optronique, nanotechno- logie, télécommunication), contribuant ainsi - et de façon notable - à l’économie des nations engagées dans la partie. Prenant acte de ce caractère imprévisible de la trajectoire des idées, on défend à bon droit que les di érents champs de la science doivent se fertiliser mutuellement. La mise en symbiose n’est-elle pas le meilleur moteur de l’innovation  ? De multiples ponts sont donc bâtis entre recherches fondamentale, appliquée et industrielle, de sorte que presque tous les chercheurs travaillent désormais dans un vaste contexte englobant des enjeux à la fois académiques, économiques et industriels. Spéculations désintéressées Reste qu’on ne voit pas toujours à quel point cette évolution modifie en profondeur l’exercice et les finalités de l’acti- vité scientifique  : il s’agit désormais soit de montrer que les recherches que l’on mène conduiront à des résultats d’em- blée utiles ou profitables, soit de promettre qu’ils pourraient le devenir un jour. L’encouragement à faire breveter les décou- vertes, à établir des passerelles avec l’industrie, à finan- cer les équipes sur projets, ressemble même à un véritable mouvement de fond. On en comprend bien la raison : il s’agit de répondre aux exigences de la compétition internationale. Mais écoutant certains argumen- taires, on en arrive parfois à se demander si l’activité scientifique a encore pour but principal de rendre le monde intelligible, de créer des concepts et d’en tester la pertinence. La valeur d’une connaissance nouvellement acquise ne se mesurerait-elle donc qu’à l’aune de ses éventuelles retombées pratiques ultérieures ? La science ne peut exister que si elle suscite des spéculations désinté- ressées, n’ayant d’autre objet que la connaissance pour elle-même. Si cette ferveur spéculative venait à s’émousser, les hautes tech- nologies aujourd’hui si prisées pourraient-elles survivre dura- blement ? Je pense que non. Elles ne perdureront que le temps que durera la force d’inertie de l’impulsion culturelle qui les a créées, tel un personnage de Tex Avery filant en ligne droite au-’’dessus du vide jusqu’à ce que la force de pesanteur reprenne ses droits. Étienne Klein, Directeur du Laboratoire de recherche sur les sciences de la matière du CEA, Auteur de Le Pays qu’habitait Albert Einstein (Actes Sud)N°132 Octobre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 3

Dialoguer RUBRIQUE DE NOM4 Acteurs de l’économie - La Tribune N°132 Octobre 2016

RUBRIQUE DE NOM Dialoguer PASCAL PICQ “ IL EST L’HEURE DE BÂTIR UN NOUVEL HUMANISME ” ENTRETIEN, DENIS LAFAY PHOTOGRAPHIES, HAMILTON / RÉAN°132 Octobre 2016 Paléoanthropologue au Collège de France et spécialiste de l’évolution de la lignée humaine et des grands singes, Pascal Picq invite l’homme, la société, l’entreprise à adopter les préceptes de Darwin qui fondent l’entrepreneuriat et l’innovation coévolutionnaires, seuls à même de provoquer le sursaut d’une civilisation tout à la fois asservie à un anthropocentrisme mortifère et sommée de s’adapter au monde qu’elle transforme. La condition pour qu’éclose une nouvelle éthique sociale et environnementale, pour que grandissent les nouvelles formes d’économie, pour qu’un nouveau récit, un nouvel imaginaire, une « synthèse créatrice » inédite, nimbent « l’avenir de tous ». Alors, pronostique l’auteur d’Un paléoanthropologue dans l’entreprise ; s’adapter et innover pour survivre (Eyrolles) dont les travaux enseignent aussi bien sur le libéralisme que la compétition, l’Europe que la formation, le transhumanisme que le management, la mort que l’uberisation, la démocratie que la religion, « les moyens de refonder l’humanité seront parvenus à désarmer ceux qui s’emploient aujourd’hui à la détruire », et bâtir aujourd’hui sans obscurcir ou condamner demain ne sera plus utopie. Ainsi, démonstration sera faite que « l’époque est formidable. Mais pour cela, nous devons en premier lieu façonner un nouvel humanisme ». Acteurs de l’économie - La Tribune 5

Dialoguer PASCAL PICQ « La société française est fondamentalement entrepreneuriale »« Quand les acteurs d’une société la conduisent dans la misère, l’exclusion ou la destruction, par le réchauffement climatique, l’effon-ils invoquent des lois naturelles et/ou divines. Le marché, rien que le marché, pour aller vers drement des biodiversités naturelles etune société meilleure, arguaient les partisans du néolibéralisme des années 1980 initiateur domestiques (le cauchemar de Darwin),des dérégulations et du cancer de la financiarisation. Mais on a vu où cela a mené. Leur credo ? l’érosion des diversités culturelles (leLibéraux et égoïstes pour s’enrichir, mais sociaux et solidaires pour ne pas sombrer » cauchemar de Lévi-Strauss), les boule- versements démographiques (le cauche- ous ne vivons pas la fin du monde, mais mar de Malthus), une économie et des l’entrée dans un nouvel âge stimulé par entreprises confrontées à des décisions les réseaux, les intelligences connectées, politiques et sociétales qui s’évertuent à et les changements d’environnement  », préserver les acquis d’une société déjà indiquez-vous dans votre préface d’Homo dépassée au risque d’étouffer les inno- numericus au travail (ouvrage collectif, vations nécessaires (le cauchemar de dirigé par Pierre Bereti et Alain Bloch, Schumpeter), et tout cela poussé par Economica 2016). Du haut de la science l’impact des NBIC (nanotechnologies, paléoanthropologue et éthologue, quel biotechnologies, informatique et sciences cognitives, cauchemars d’Ellul) et de« NmomentdelaGrandeHistoiredel’écono- l’intelligence artificielle (cauchemar de mie et de l’entreprise traverse-t-on ? Dawkins et de Musk), au risque d’en Nous sommes aujourd’hui au cœur d’une perdre notre humanité (cauchemar de immense phase évolutive, provoquée Heidegger). Nous, les hommes, sommes les acteurs de ces changements. Nous 6 Acteurs de l’économie - La Tribune n’en sommes pas toujours conscients, et encore moins de notre responsabilité envers les générations futures. Or nous avons deux leçons à retenir de Darwin : d’une part nous vivons sur des adapta- tions du passé, d’autre part ce qui a fait notre succès ne suffit pas pour s’adap- ter au monde que nous avons contribué à bouleverser, et ce que nous faisons aujourd’hui contraint les possibilités des générations futures à édifier leur propre idée du progrès. L’évolution, ce n’est pas « que » le passé, mais la « descendance avec modification  ». Nous continuons donc, comme les autres espèces, à coé- voluer avec les autres organismes vivants, notamment les plus infimes. À cette coévolution s’en ajoute une autre, propre à l’évolution humaine, depuis l’émergence du genre Homo il y a deux millions d’années en Afrique : la coévolu- tion entre nos innovations techniques et culturelles, et notre biologie, que ce soit pour la sélection de nos gènes et/ou de leurs expressions. Cette deuxième coé- volution n’a cessé de s’accélérer, pas de façon continue, mais marquée par des périodes de changements rapides  : c’est le concept d’« équilibres ponctués » des N°132 Octobre 2016

PASCAL PICQ Dialoguerthéories de l’évolution. Cela signifie que « Toute politique «  Les entreprises sont comme desl’évolution ne procède pas de façon régu- économique espèces », jugez-vous. Chaque entrepriselière et graduelle, mais par la succession qui recherche est une agglomération d’individus, dede périodes de relative stabilité, voire les équilibres technologies, de matériaux, de process.d’évolution progressive, entrecoupées des marchés sans Est-elle un « corps vivant » ?de périodes de changements rapides. J’ai comprendre Les entreprises et leurs acteurs peuvent-identifié une dizaine de telles périodes, les dynamiques ils être comparés à des espèces  ? Cettequi se rapprochent avec une accéléra- évolutionnistes interrogation, fondamentale, appelle untion impressionnante. Il s’écoule presque des entreprises triple éclairage historique, épistémolo-deux millions d’années entre la première est vouée à gique et scientifique.– Homo erectus et le feu – et la seconde l’échec » D’un point de vue historique. Les théories– l’expansion de notre espèce Homo de l’évolution et les théories économiquessapiens sur toute la planète il y a cent d’entrepreneurs de la Silicon Valley ont sortent du même creuset  : celui desmille ans. Ensuite, quatre-vingt-dix mille mis sur le marché des appareils aux Lumières, avec des foyers à Paris (poli-ans pour les inventions des agricultu- usages non limités qui, dans nos mains, tique), Édimbourg (philosophie) et Shef-res… et aujourd’hui seulement un demi- modifient notre monde. Nous en sommes field/Birmingham (économie). Les acteurssiècle entre la troisième et la quatrième les agents ! de cette Lunar Society anglaise sont lesrévolution industrielle. Nous sommes Steve Job disait : « I’m going to change the fondateurs des grands courants de pen-en plein cœur d’une telle période, qui world », mais il n’a jamais dit comment. sée et d’action sur le changement dansse cherche un nom  : second âge des Ce sont nous, les milliards d’humains qui la nature (théorie de l’évolution), dansmachines, posthumanisme, troisième ou avons pris en main ces appareils et avons l’économie (le vrai libéralisme entrepre-quatrième révolution industrielle, cin- tapé du doigt dessus, qui avons changé ce neurial) et dans la société (les whigs ouquième cycle de Kondratieff/Schumpeter, monde. Nous en sommes les acteurs plus le courant de la gauche libérale et socialeuberisation… ou moins conscients. Et ça, c’est parfaite- anglaise qui milite contre l’esclavagisme ment darwinien : un processus de varia- et pour l’égale éducation des femmes). LaCes fameuses NBIC, «  qui pénètrent nos tion/sélection qui n’est inscrit dans aucun recette du progrès associe une réflexioncorps, des gènes aux neurones en passant projet de société. Comme dans la concep- interdisciplinaire sur les sciences, lespar les organes et toutes sortes de pro- tion darwinienne la plus orthodoxe de techniques, les entreprises, la nature et lathèses  », annoncent-elles une troisième l’évolution, de petites actions – les glis- société. La désaffection actuelle pour lescoévolution ? sements de nos doigts, ces « petites pou- sciences comme la médiocrité du débatAbsolument. Elle commence seulement cettes  » de Michel Serres – donnent de intellectuel qui se revendique philoso-à se faire ressentir et porte une nou- grands changements. On comprend phique ne sont pas de bon augure.velle promesse  : le transhumanisme. le désarroi du politique et d’une partie D’un point de vue épistémologique. L’his-En comparant ces différentes périodes des acteurs sociaux sur l’avenir de nos toire des théories de l’évolution et celle– Paléolithique supérieur, Néolithique, sociétés. de l’économie avancent avec les mêmesAntiquité, Renaissance, révolutions difficultés conceptuelles et les mêmesindustrielles… –, on constate à chaque problèmes épistémologiques, avec unefois un même faisceau de facteurs  : des petite avance pour les théories de l’évo-techniques et des modes de communica- lution. C’est le cas pour les conceptstion inédits, qui entraînent des change- d’espèce et d’entreprise. Darwin avait bienments dans le commerce, les monnaies, compris que la notion d’espèce était unles moyens de production, les trans- vrai casse-tête. Il préfère le terme deports, les arts, le statut des femmes, les «  population  ». Depuis presque deuxconceptions du monde, les moyens de siècles, les évolutionnistes se coltinent unprocréation, la médecine, les attitudes concept nécessaire mais qui ne cesse deautour de la mort, les rapports entre les poser plus de difficultés qu’il n’en résout.anciens et les nouveaux acteurs sociaux, Par exemple, comment comprendre quede nouvelles formes d’expression poli- nous, les Homo sapiens, avons des gènestique et de gouvernance, l’éducation de neandertalensis alors que nous neet, bien sûr, dans la vision de ce qu’est sommes pas de la même espèce ? En éco-la nature et dans les rapports avec elle nomie néoclassique, c’est le concept de(contrat naturel). Et les manifestations l’Homo economicus, ou agent économiquedonnent une liste à la Prévert  : NBIC, rationnel : on sait que c’est faux, mais onNTIC, crowdfunding, blockchain, mariage n’a pas mieux pour modéliser, même sipour tous, contrôle sur la procréation et toutes les expériences en microéconomie,la mort, Mooc, imprimantes 3D, âges de en économie expérimentale et en anthro-la vie (cinq générations impactées par pologie invalident ce concept. Pour éviterdes environnements technologiques dif- cet écueil, les évolutionnistes se sont inté-férents vivant ensemble ; BB, X, Y, Z…), ressés à la macroévolution, et les écono-reverse mentoring (les jeunes apprennent mistes à la macroéconomie. Aujourd’hui,aux seniors), rôles économique et poli- les théories de l’évolution s’attachent auxtique croissant des femmes, et nouvelle mécanismes, aux gènes, aux populations,conscience de ce que sont la nature et les et les espèces ne sont que des épiphéno-mondes de demain. Quels sont les nou- mènes à un moment donné de la dyna-veaux acteurs de ce monde ? Une poignée mique de ces populations.N°132 Octobre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 7

Dialoguer PASCAL PICQD’un point de vue scientifique. On ne dis- « Il devient urgent crise des subprimes : « I was doing the jobpose de définition exacte ni de l’espèce ni d’enseigner la of God and Darwin  » (j’accomplissais lade l’entreprise, mais il en va des espèces primatologie et mission de Dieu et de Darwin). Outre lecomme des entreprises, il s’en trouve l’anthropologie fait de rapprocher Dieu et Darwin dansune très grande diversité. D’ailleurs, de évolutionniste le cadre du néolibéralisme reaganienpart et d’autre de l’Atlantique, des débats dans tous les porté par la révolution conservatrices’emploient à savoir à qui appartient l’en- cursus, surtout antidarwinienne, on constate une dérivetreprise – notamment celle par actions. les filières monstrueuse de la théorie de DarwinComparer une entreprise à une espèce n’a administratives comme du message évangélique. Il fautcependant rien d’évident. Se limite-t-on à et les sciences toujours se méfier des gens qui disent  :la métaphore, ou recherche-t-on des ana- politiques » « Je vais faire votre bonheur », et encorelogies formelles, voire fonctionnelles  ? plus de ceux qui prétendent se conformerMes recherches s’intéressent aux analo- exemple, Schumpeter se montre très à des lois divines ou naturelles.gies fonctionnelles, notamment autour de darwinien dans son approche de l’inno- Les années de reconstruction de l’après-l’innovation. C’est l’enjeu de l’économie vation entrepreneuriale, mais se révèle guerre ont été très lamarckiennes, repo-évolutionniste, qui a compris qu’en éco- très lamarckien dans sa compréhension sant sur l’excellence des universités etnomie, il est préférable de s’intéresser aux de la compétition et de l’innovation. En des grandes écoles, ce qui a produit unemécanismes des changements plutôt qu’à son temps, il admire de grandes entre- évolution économique, politique, socialela quête mythique des équilibres. D’un prises comme Krupp ou Ford ; il n’avait et sanitaire comme jamais dans l’histoirepoint de vue évolutionniste, comment aucune idée de ce que pouvaient être des de l’humanité. D’ailleurs, cela fonctionnecomprendre qu’une économie puisse arri- startups. Donc, faire une telle analyse indépendamment des systèmes politiquesver à l’équilibre – donc qu’elle a évolué requiert de se référer à un contexte his- jusqu’aux années 1970, qu’il s’agisse du– et y rester ? Voilà un vrai problème de torique précis. libéralisme américain, du communismelogique, voire une contradiction. Dès lors, La France de la Belle Époque a connu sa soviétique, de l’ordo-libéralisme alle-une politique économique qui recherche période la plus libérale, la plus entrepre- mand, ou de notre économie planifiée,les équilibres des marchés sans com- neuriale et la plus sociale de son histoire. avec le Commissariat au Plan. Pourquoi ?prendre les dynamiques évolutionnistes Le pays disait au monde ce qu’était le Parce qu’il n’y a pas de limites pour l’ac-des entreprises est vouée à l’échec. Une progrès. Il était très darwinien. La très cès aux ressources énergétiques et auxpure utopie, que l’on retrouve aussi dans grande majorité de nos grandes entre- matières premières. Puis arrivent l’aver-certaines politiques de conservation des prises, y compris les banques, naissent tissement du Club de Rome, « Halte à laespèces et des sanctuaires naturels qui d’ailleurs à cette époque. croissance », et le premier choc pétrolier.postulent que, si on les écarte des affaires Après la Seconde Guerre mondiale, les Là aussi, on perçoit toute la différencedes hommes, ils resteront dans un bel exigences de la reconstruction s’appuient entre une analyse darwinienne et uneéquilibre. sur les grandes entreprises et les grandes analyse plus politique.L’un des premiers à parler d’économie écoles. Ce sont les Trente Glorieuses,évolutionniste est Joseph Schumpeter, en révolues depuis le début des années « Les cultures, les philosophies, les idéolo-1912. Non seulement il définit le couple 1980. C’est au cours de cette décennie gies et les archaïsmes s’insinuent dans lesinventeur/entrepreneur et la différence que revient le mauvais darwinisme. Les pratiques managériales », jugez-vous. Cesentre le chef d’entreprise et l’entrepre- dérégulations des années 1980 et le néo- dernières, par ailleurs confrontées auxneur, mais il comprend que ce sont les libéralisme sont contraires à l’exigence injonctions d’une rentabilité, d’une per-inventions techniques qui, en se diffusant d’un projet social. D’ailleurs, est-ce un formance, d’une rapidité d’exécution etsur le marché et en devenant des innova- hasard si c’est au cours de ces années-là de résultats, d’une mondialisation inédite,tions, changent la société. Là aussi, c’est que domine la théorie du « gène égoïste » cristallisent l’enjeu clé des entreprises : laon ne peut plus darwinien. et que la pensée économique libérale faculté d’adaptation et d’évolution. Quels dominante est celle de Hayek, en par- en sont les ressorts majeurs ? Quel mana-À Jean-Baptiste de Lamarck vous oppo- tie inspirée de Darwin, mais dans sa gement (de l’innovation) doivent-ellessez, et surtout préférez, Charles Darwin, dérive spencérienne du darwinisme adopter qui stimule «  le désordre créatifdont la conception disruptive, libérée, social  ? Pour comprendre la dérive de darwinien  » (recherche fondamentale)entreprenante, responsabilisante et ces concepts, il suffit de se rappeler la et déploie «  l’excellence lamarckienne  »humaniste de l’évolution, modélise simul- réponse de Lloyd Blankfein, l’ancien CEO (recherche appliquée) ?tanément l’innovation et l’entreprise de Goldman Sachs, devant la commis- Les modes managériales autour du mana-darwiniennes. Toutes deux forment-elles sion du Sénat américain à propos de la gement humain, de l’entreprise libérée,l’idéal de l’innovation et de l’entreprise ? ou encore toutes ces quêtes de sensLes grands évolutionnistes sont natu- et de bonheur sont agaçantes. De véri-rellement déconnectés de nos sociétés tables concepts se trouvent galvaudésactuelles, mais leurs conceptions de par des effets de mode. Si ces approchesla nature et du rapport de l’homme à se conçoivent comme des posologies dela nature expriment la philosophie des l’âme consistant à mieux supporter enpuissants fondements de l’excellence de soi les stress d’une entreprise, cela iranos cultures techniques. En fait, Lamarck un temps, mais le vrai enjeu n’est-il pas(1744-1829) est plus darwinien qu’on ne de changer les modes de managementle pense, et Darwin (1809-1882) plus plutôt que de susciter les ressourceslamarckien qu’on ne le croit. On touche pour prendre sur soi ? S’agit-il de trouverlà à deux conceptions très différentes les ressources en soi pour supporter cede l’innovation et de l’adaptation. Par qu’impose le monde ou pour le changer ?8 Acteurs de l’économie - La Tribune N°132 Octobre 2016

© The New York Times / Réa PASCAL PICQ Dialoguer 13 © Christian Chaize 2 © Paul Box / Report Digital-Réa 1« « I was doing the job of God and Darwin. » La défense deN°132 Octobre 2016 © Jean-Claude Moschetti / RéaLloyd Blankfein, l’ancien CEO de Goldman Sachs, devant la commission du Sénat américain à propos de la crise des subprimes, illustre la dérive du darwinisme social, promouvant le « gène égoïste » et le rapprochement de Dieu et de Darwin dans le cadre du néolibéralisme reaganien. » 2 « Le référendum accouchant du divorce anglais avec l’Union européenne illustre toutes les déshérences de nos démocraties. Quand les politiques doutent de leurs convictions jusqu’à s’en remettre à des référendums, comme pour l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, cela en dit long sur leur leadership, leur sens de la responsabilité et leur capacité à prendre des risques. » 3 « De plus en plus de grandes entreprises développent des stratégies coévolutives avec les start-up et les TPE-PME. Emergent alors des stratégies ambidextres : lamarckiennes sur leurs points forts, darwiniennes sur leur R&D et sur l’innovation. De véritables écologies entrepreneuriales voient ainsi le jour, qui associent la faculté intrinsèque à l’innovation de rupture des petites structures et les capacités de développement des grands groupes ». En photo : le purificateur Intense Pure Air de Rowenta, fruit de la dynamique collaborative initiée au sein du fonds d’investissement ad hoc SEB Alliance (doté d’un capital de 30 millions d’euros, ses prises de participations minoritaires ciblent des entreprises innovantes à fort contenu technologique dans les domaines notamment du numérique, de la robotique, du vieillissement de la population, du capital santé / beauté / bien-être). Acteurs de l’économie - La Tribune 9

Dialoguer PASCAL PICQL’innovation darwinienne procède en de l’innovation darwinienne est-il du diplôme et de l’expérience des per-trois temps : celui de la variation, celui de sonnes, et de plus en plus en fonction dela sélection et celui du développement. compliqué ? potentialités non encore mises en œuvreComment aménager le temps de l’émer- Sans aucun doute. L’évolution des RH est dans un contexte à venir que personnegence des idées ? Il ne suffit pas de « libé- particulièrement significative. Au cours ne connaît. Cela s’appelle l’adaptabilité, etrer ». Cela s’organise, et cela se fait dans de la première révolution industrielle, c’est un défi déjà au cœur des nouveauxles « Darwin-labs ». Des personnes issues les personnes sans qualification venant enjeux de l’enseignement. D’un point dede différents secteurs de l’entreprise – des campagnes étaient au service des vue anthropologique, les diplômes fonc-diversité –, se réunissent et tentent de machines. Puis, au cours du XXe siècle, tionnent comme des rites d’initiation, cefaire sortir des idées. Ensuite, il faut les pour alimenter les métiers plus diversifiés qui est plutôt archaïque et fige à la fois lessélectionner, puis les développer  ; c’est des entreprises, les enseignements se sont fonctions RH et l’enseignement.là que l’on retrouve Lamarck. Jusqu’à il y multipliés. Après la Seconde Guerre mon- Les fonctions RH doivent continuer àa peu, beaucoup de grandes entreprises diale, le niveau d’éducation s’élève consi- améliorer leurs compétences (Lamarck),souffraient d’une R&D trop centrée sur dérablement pour former des personnes mais elles doivent aussi inventer deelle-même, avec des personnes aux profils de plus en plus spécialisées. Le culte du nouveaux outils pour susciter, évaluertrès semblables (homogamie et manque diplôme et les fonctions RH se sont déve- et reconnaître des compétences qui,de diversité). À l’opposé, les startups et loppés pour apporter les compétences jusque-là, n’étaient pas bien comprises oules petites entreprises sont d’emblée les plus performantes pour les besoins mises en œuvre (Darwin). Et n’oublionsdarwiniennes, mais leur problème est de des entreprises, optimisant les missions, pas l’esprit d’ouverture. Dans les entre-franchir le seuil pour s’inscrire dans le les métiers et les outils. Cette approche prises et les sociétés en pleine mutation,développement lamarckien. Or, depuis gestionnaire finit par se heurter au mur il faut en même temps comprendre lesquelques années et avec une formidable de l’innovation  : à force d’optimiser les mutations des métiers. Comment faire ?accélération, de plus en plus de grandes compétences, il n’y a plus de possibilité S’ouvrir à la culture. Il faut être ambidex-entreprises et d’ETI développent de vraies de proposition et on arrive à un déficit tre. Dans l’évolution, ce sont les espècesstratégies coévolutives avec les startups et de créativité. Depuis quelques années, on les plus spécialisées qui disparaissent enles petites entreprises. On voit émerger, demande aux personnes d’apporter de la premier quand l’environnement change,pour les grandes entreprises et les ETI, la créativité. Formidable  ! Sauf qu’à force car elles ont perdu trop d’adaptabilité.mise en œuvre de stratégies dites ambi- «  d’avoir le nez de plus en plus dans ledextres : lamarckiennes sur leurs points guidon  », impossible de lever le regard Au «  darwinisme social  » sont souventforts, et darwiniennes sur leur R&D et pour susciter la créativité. Alors que associés les principes de sélection natu-sur l’innovation. Cela demande une vraie «  manager  » devrait s’appuyer sur son relle, « la loi du plus fort, le refus de touteréflexion stratégique, car les modes opé- étymologie qui signifie « augmenter », on solidarité, une justification pseudo-na-ratoires sont radicalement différents. a optimisé au prix de l’innovation. turelle d’éliminer les plus faibles  ». Com-C’est l’exemple des « tiers-lieux », à la fois Aujourd’hui, il faut recruter des per- ment l’entreprise darwinienne peut-elleinternes et externes aux entreprises, où sonnes aux compétences encore non imposer ses «  valeurs  » au spectre duse rencontrent des compétences internes exprimées pour des métiers en pleine darwinisme social ?et/ou externes jusque-là séparées. L’en- mutation, notamment avec l’impact du En France, on ne voit Darwin que partreprise libérée est celle qui favorise numérique et des réseaux, et apprendre à la sinistre lunette du darwinisme social,l’expression de ces différents talents ; et travailler avec des machines intelligentes importé par la traduction déformantec’est une vraie question de culture. Ce et collaboratives. de Herbert Spencer, son fondateur. Onqui pose de grandes questions managé- Les fonctions RH, devenues de plus en ne s’affranchit pas facilement des ingé-riales puisque les obligations d’objectifs plus techniques, ne sont pas vraiment rences idéologiques dans les sciences,imposent une productivité qui ne permet pertinentes pour coller aux nouvelles et tout particulièrement dans celles depas de trouver les temps du Darwin-labs. fonctions des entreprises darwiniennes. l’évolution. La tradition anglo-saxonne a On prétend « gérer les talents », alors qu’il largement influencé une partie des théo-À l’heure où l’exercice managérial et la faudrait les laisser s’exprimer pour appor- ries, notamment celle du gène égoïste,fonction RH – déliquescente – sou rent ter des idées innovantes. On ne manage en pleine poussée ultralibérale et indivi-des diktats chiffrés, normés, uniformi- pas les talents de la même façon dans les dualiste des années 1980. Un siècle serasés, rationalisés, stimuler une culture trois temps de l’innovation darwinienne. passé, après l’engouement des Russes On recrute de moins en moins en fonction« Notre système politique est arrivé à son terme. Commeà chaque grand moment de l’histoire de l’humanité,on assiste à l’émergence d’une nouvelle gouvernance : lesdémocraties représentatives pour la première révolutionindustrielle ; la démocratie universelle pour l’après-guerre.Et demain ? Soit le chaos, comme pour la Belle Époque quisombre dans l’horreur de la Première Guerre mondiale,soit une nouvelle gouvernance à l’échelle mondiale »10 Acteurs de l’économie - La Tribune N°132 Octobre 2016

LES ÉLECTIONS DANS LES CCI DU 20 OCTOBRE AU 2 NOVEMBRE 2016Entrepreneurs, votez sur jevote.cci.fr ou par courrierN°132 Octobre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 11Au 1er janvier 2017, la CCI de région Auvergne et la CCI de région Rhône-Alpes fusionnent pour devenir une unique CCI de région.

Dialoguer PASCAL PICQpour Darwin, pour que les études d’étho- décide d’établir à la nature… Création- Les sociétés transformistes se caractérisentlogie, et tout particulièrement de prima- nisme (Dieu a créé des ressources sur la par de grandes cultures techniques ettologie, fassent admettre qu’il existe de terre pour que les hommes en jouissent commerciales. Leur conviction reposel’entraide, de l’empathie et de la récon- à leur convenance), anthropocentrisme sur la créativité, dont les innovationsciliation chez de nombreuses espèces, (la nature est considérée hostile et le contribuent à l’amélioration de la société ;et même entre espèces. Donc, la loi du génie de l’homme lui permet de s’en leur credo est le progrès pour et par lesplus fort et l’élimination des faibles ne libérer)… : le principe même de croyance hommes. Elles acceptent l’évolution,peuvent justifier, en tant que « lois natu- fait-il potentiellement menace pour l’es- mais dans un récit qui vénère l’homme,relles  », la ségrégation ou les inégalités pèce humaine ? qui s’en est sorti par la connaissance etsociales – encore moins l’eugénisme. Préférons à la croyance, l’imaginaire, la l’outil. Cependant, elles considèrentL’entreprise darwinienne, en interne, capacité à s’inscrire dans un récit sur le trop souvent que la nature n’est pas leurfavorise la diversité – c’est la variation –, monde et à participer à son devenir. Notre alliée, qu’elle est parfois hostile, et quepuis fait interférer ces diversités de dif- espèce aime les histoires, elle a même un les dégâts qu’on lui inflige sont le prix àférentes façons – c’est l’organisation. En besoin viscéral d’histoires. Longtemps on payer – une externalité globale. On ren-externe, elle est sensible aux clients et a cru que c’était une caractéristique de contre l’idée du développement durableà tous les partenaires, car, comme une notre espèce Homo sapiens. raisonné ou soft  : certes, on consommeespèce, l’entreprise coévolue avec les Trois conceptions fondamentales du des matières premières non renouve-nombreux facteurs de son environne- monde cohabitent : fixiste, transformiste lables, mais les progrès des techniquesment. Enfin, elle est responsable de ses et évolutionniste. La première croit dans permettent de trouver des solutions plusexternalités, elle ne se repose pas sur la un monde créé tel qu’il est, la seconde efficaces et économes. Ce sont là les payscollectivité pour les assumer et, mieux admet les transformations du monde par d’Europe occidentale, la côte Est et leencore, en fait des sources d’innovation. l’action des hommes, la troisième com- nord des États-Unis, et le Japon (et plus« Dans l’évolution, ce sont les espèces les plus spécialiséesqui disparaissent en premier quand l’environnement change,car elles ont perdu trop d’adaptabilité. Une leçon à retenirpour les entreprises »Toutes les nouvelles formes d’économies prend que le monde change, contraint récemment la Chine). Leurs économies sedites circulaire, de fonctionnalité, de par- par son passé et par le jeu des interac- divisent en grands secteurs et possèdenttage, de solidarité, collaborative, verte ou tions complexes entre tous ses acteurs, une excellence dans la R&D d’applicationgrise, socialement responsables…, sont dont l’homme. Ces conceptions ontolo- des sciences et l’innovation incrémentale.autant de nouvelles approches entrepre- giques touchent à toutes les parties des Le formidable succès du modèle trans-neuriales inspirées par des besoins de la sociétés, comme leur économie, et même formiste depuis la Seconde Guerre mon-société. De nouveaux types d’entreprises leurs humanismes respectifs. diale, fondé sur une économie de lavoient le jour aux États-Unis avec, claire- Les sociétés fixistes, qui pensent que le demande portée par des progrès inéditsment affichées dans leur business model, monde est advenu grâce à un Créateur dans tous les aspects de la société (éduca-de véritables démarches entrepreneu- tout-puissant, postulent que les richesses tion, santé, espérance de vie…), prépareriales touchant à différents aspects de la disponibles sur terre ont été disposées mal à considérer un avenir différent. PourRSE. Et les exemples vont croissant en à dessein et que l’on peut y puiser sans les entreprises, le slogan devrait être  :France, comme en témoignent les initia- limites. On retrouve là la Bible Belt des «  Vous mourrez de vos points forts  »,tives autour du MENE (Mouvement des États-Unis, avec le pétrole et les gaz Kodak étant le cas le plus paradigma-entreprises de la nouvelle économie). La de schiste, le Canada de l’ex-Premier tique. Einstein disait : « On ne résout passociété est de plus en plus entrepreneu- ministre Stephen Harper pour les sables un problème avec le système qui l’a faitriale et responsable. bitumineux de l’Alberta, le wahhâbisme émerger. » Il faut donc bel et bien changerL’individu comme source de variation, de la péninsule Arabique, le chiisme du de paradigme.de proposition et d’action est au cœur de golfe Persique, l’orthodoxie des Russes…la pensée darwinienne et doit le devenir Ces sociétés se caractérisent par des Quant aux sociétés évolutionnistes,dans les entreprises. économies basées sur l’exploitation des celles qui sont capables de s’adapter ou matières premières. Elles récusent les auto-adaptables, elles sont très rares.S’il doit être considéré qu’il n’y a pas de théories de l’évolution, et, d’une manière Trop rares…vie sans but, d’évolution sans finalisme, générale, détestent les sciences en raison Elles comprennent que le monde évoluede progrès sans utilité, de création sans de leurs fondements matérialistes (mais dans un jeu d’interactions complexes entresens, de science sans éthique, la philo- adoptent les technologies qui en viennent l’environnement, les espèces et les activitéssophie darwinienne de l’économie, de pour l’exploitation des ressources). Elles des sociétés humaines. De telles sociétésl’entreprise, de l’innovation, et finale- contestent le réchauffement climatique, sont effectivement peu nombreuses, et cor-ment de l’humanité, interpelle d’une part refusent la liberté des femmes pour la respondent le plus souvent à des périodesl’existence même de Dieu, d’autre part, procréation, et plaident pour un pouvoir flamboyantes de l’histoire. Elles se carac-dans ce sillage, le rapport que l’homme machiste fort. térisent par une activité entrepreneuriale12 Acteurs de l’économie - La Tribune N°132 Octobre 2016

PASCAL PICQ Dialoguer« Longtemps, la majorité des étudiants des grandes écoles d’ingénieurs et de commerce ne désiraient qu’entrer dans un grand groupe et y fairecarrière. Aujourd’hui, une même majorité se lance dans l’aventure entrepreneuriale avec une volonté créatrice de participer aux changements encours. Même si personne ne sait ce que sera le monde d’ici 2020, ils le façonnent, et ça c’est totalement darwinien. Et ils sont la preuve que notreépoque est pleine de ressources. »Acil Jabou, Sylvain Lhuissier et Agathe Zebrowski, Gautier Cassagnau, Mathilde Aglietta, © Laurent Cerino / Acteurs de l’économieUniversité Lyon 3 et École Centrale Paris, emlyon business school, Grenoble école de management,emlyon business school, créateurs de Chantiers-Passerelles cofondateur de Geolid fondatrice de l’école Simploncréateur de La Fraîcherie à Lyoninnovante, un commerce actif explorant Ni véritablement fixiste, transformiste et vous jugez profondément larmackienne,de nouvelles voies géographiques ou tech- évolutionniste, la société que nous traver- c’est-à-dire sclérosée, verticalisée, figée,niques, le goût de l’aventure et du risque, sons au XXIe siècle est-elle définissable ? peureuse, rongée par l’endogamie, leune culture de l’échec et de l’erreur. Elles Les entreprises sont sensibles à l’état conformisme, l’exiguïté et la «  norma-fonctionnent sur un mode coévolution- d’esprit dominant, selon ces trois grandes lisation sociétale  » de ses élites, freinéenaire, c’est-à-dire qu’elles agissent de façon catégories. Seulement, personne ne par l’administration bureaucratique,modulaire, en associant des expériences et sait dans quelle société nouvelle nous inadaptée au monde multipolaire, rétivedes compétences par projets. Ce sont des sommes déjà. On parle d’«  espace digi- au risque, à l’essai-erreur, à l’échec, auxsociétés fondamentalement démocratiques tal darwinien  »  : une nouvelle écologie diversités et même à la «  différence  »qui jouent sur les diversités. Leur motiva- numérique édifiée par nos actions, mais qu’elle assimile à une «  anomalie  », est-tion est l’entrepreneuriat et l’innovation, dans un tissu de rétroactions qui fait que elle condamnée à produire des entre-sans s’inscrire dans un projet, et encore nous devons, selon la devise de la Reine prises et des entrepreneurs du mêmemoins dans un programme prédéfini. Elles Rouge de Lewis Carroll, courir le plus ordre ? Quelles pourraient être les fonda-produisent du changement, et les sociétés vite possible pour tenter de rester dans tions d’une « écologie entrepreneuriale » ?doivent s’adapter dans tous les domaines, la course. Mais personne n’est capable de La société française est fondamenta-notamment la gouvernance  ; c’est l’in- définir ce monde. Nous sommes en plein lement entrepreneuriale. Et pourtant,verse des précédentes, dans lesquelles les cœur d’une période darwinienne. Per- trop de signes le contestent. Il suffiraitinnovations s’inscrivent dans un projet sonne ne sait ce que donnera ce que l’on de relâcher tous les freins administra-de société prédéfini. Elles nourrissent des baptise l’algorithme darwien, qui procède tifs et fiscaux pour stimuler cette appé-préoccupations authentiques pour tout ce par variation et sélection. C’est là que sur- tence, comme en témoigne l’intensité dequi concerne les environnements sociaux gissent les utopies transhumanistes. l’artisanat, des autoentrepreneurs et deet naturels, qui ne sont plus considé- l’uberisation.rés comme des externalités mais comme La culture entrepreneuriale d’une société Depuis la fin des Trente Glorieuses,des sources d’innovation et des enjeux se mesure à la «  démarche entrepre- nous sommes entrés dans une phase deéthiques. Actuellement, c’est la Californie, neuriale que ladite société fait le choix l’évolution des sociétés, modélisée parmais ce fut aussi la Lunar Society à la fin d’inclure dans ses valeurs, ses représen- Schumpeter. Elle se caractérise par ladu XVIIIe siècle, la Renaissance italienne, tations, son enseignement, et ses enjeux redistribution des richesses et la réduc-la Belle Époque… Cette grille de lecture d’avenir  », estimez-vous. Comment qua- tion des inégalités, ce qu’aucun libéral aus’applique aussi à des niveaux plus locaux, lifiez-vous les caractéristiques entrepre- vrai sens du terme ne conteste, mais ellenotamment pour les régions françaises neuriales de la civilisation contemporaine est également dominée par des philoso-innovantes. et de la société française  ? Celle-ci, que phies et des politiques qui finissent parN°132 Octobre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 13

Dialoguer PASCAL PICQétouffer l’esprit d’entreprendre, et par un la bousculer disruptivement et de la autres organismes comme les arbres etaccroissement ubuesque des réglementa- les insectes. Il devient urgent d’enseignertions. Le Code du travail en est le plus redimensionner… la primatologie et l’anthropologie évolu-bel exemple. Cela se caractérise aussi par Absolument. Les personnes décision- tionniste dans tous les cursus, surtoutune contestation des sciences avec, de la naires dans les arcanes des adminis- les filières administratives et les sciencespart des « intellectuels médiatisés », une trations françaises et européennes ont, politiques.affirmation franche de leur mépris et de dans leur immense majorité, une cultureleur incompréhension. lamarckienne  : leurs décisions reposent Depuis le milieu du XXe siècle, les entre-Cela change, malgré tout. Notre ADN est sur le développement de marchés ou prises européennes «  excellent sur destoujours là ! Longtemps, la majorité des de filières déjà existants. Elles s’avèrent marchés déjà structurés mais arriventétudiants des grandes écoles d’ingénieurs inaptes à comprendre ce qui est émer- difficilement à inventer de nouveauxet de commerce ne désiraient qu’entrer gent. Elles sont compétentes pour incré- marchés, comme les entreprises améri-dans un grand groupe et y faire carrière. menter un monde déjà existant, pas pour caines ». Ce constat, qu’indique-t-il sur laTous les obstacles allant à l’encontre favoriser les ruptures. culture entrepreneuriale et d’innovationd’une vraie culture entrepreneuriale Heureusement, des changements consi- en Europe  ? Que permet-il d’interpréterdécoulent de cette conception transfor- dérables se manifestent dans le monde des particularismes (historiques, phi-miste, avec une dérive pour la recherche entrepreneurial depuis à peine deux ans. losophiques, politiques, culturels) d’uned’un statut plutôt que d’une fonction. De vraies écologies entrepreneuriales « Terre Europe » ?Aujourd’hui, la majorité de ces jeunes se voient le jour. Au lieu de figer dans des À partir des années 1970, l’Europe estlance dans l’aventure entrepreneuriale cases les startups, les PME/PMI, les ETI toute accaparée par le magnifique pro-avec une volonté créatrice de participer et les grands groupes selon des critères jet de la construction de la Communautéaux changements en cours. Même si per- plus ou moins arbitraires et avec des européenne. L’Europe n’est pas exemptesonne ne sait ce que sera le monde d’ici effets de seuil administratifs et fiscaux de défauts, mais elle offre une grande2020, ils le façonnent, et là, en matière de produisant leurs effets de plafond de qualité d’infrastructures à l’échelle d’unprocessus, c’est totalement darwinien. Et verre rédhibitoires, on voit apparaître un demi-continent  : routes, autoroutes,ils sont la preuve d’une absolue convic- tissu collaboratif, qui associe la faculté réseaux ferroviaires et numériques,tion démontrée au quotidien  : notre intrinsèque à l’innovation de rupture des canaux… Elle dispose des meilleursépoque est pleine de ressources. petites structures et les capacités de déve- systèmes de protection sociale, des meil-Cependant, un tiers des jeunes diplômés loppement des grands groupes. Cantines, leures politiques écologiques et environ-créent leurs entreprises à l’étranger. Une lieux de coworking, Darwin-labs, fablabs, nementales, des meilleurs hôpitaux, despartie du dynamisme économique de paillasses, tiers-lieux au sein des grandes meilleurs systèmes éducatifs. Les meil-Londres, du Québec et même de la Sili- entreprises, entre celles-ci et les plus leures grandes entreprises rayonnentcon Valley – sans oublier quelques pays petites, et entre ces dernières, constituent dans tous les domaines de l’économied’Indonésie et l’Australie – provient du une vraie révolution : la coévolution. En dite classique  : trains, automobile, avia-dynamisme d’entrepreneuses et d’entre- effet, quand, dans un écosystème, des tion, aérospatiale, bateaux, BTP, énergie,preneurs français. Les grands groupes entités se rendent un ensemble de ser- eau, chimie… et comptent parmi lesaméricains viennent faire leur marché vices mutuels, et parfois gratuits, la biodi- leaders mondiaux. Dans ces domaines,dans l’Hexagone dès qu’ils doivent mettre versité de ces acteurs décuple, le système et ramené à notre taille, nous sommesen place un projet de recherche inno- devient plus résilient et résiste mieux aux même meilleurs que les Américains. Maisvant ; ils capturent nos talents. intrus. Parmi les mammifères, le seul voilà, on a manqué le développementLe foyer d’innovation ne tarit pas, une groupe qui a toujours dominé dans le d’une industrie de l’informatique, puisformidable énergie est mise au service monde des forêts est celui des primates du numérique.d’inventions accouchant de start-up, et des singes, dont la lignée humaine.voire de PME-PMI, mais après c’est le Pourquoi  ? Parce que nous sommes Cette soudaine défaillance a-t-elle unemur : trop de contraintes administratives les mammifères les plus intelligents, et explication  ? Notamment la supréma-et fiscales altèrent cet ADN, qui peine à nous le sommes devenus de plus en plus tie de la pensée lamarckienne quand unse développer à l’intérieur de nos fron- grâce à nos aptitudes à coévoluer avec lestières, d’où le défaut criant, dans l’écolo-gie entrepreneuriale domestique, d’ETI. « Notre manie de la spécialisationAlors, les jeunes entrepreneurs préfèrent des études se traduit par la manie desvendre avant cinq années d’activité en filières. La France est l’un des rares paysmoyenne, et créent une autre entreprise ; à croire que les capacités des individusce sont des serial entrepreneurs obligés. Leproblème se situe bien dans le passage se décident avant l’âge de six ans.de l’invention à l’innovation selon l’arti- C’est d’une imbécillité prodigieuse etculation schumpetérienne. Un problème à l’opposé de tout ce que l’on connaîtde culture entrepreneuriale, mais pasd’entrepreneurs. sur le développement cognitif des individus, hommes comme chimpanzés »Les causes du délitement de cette cultureentrepreneuriale sont exogènes, et ce N°132 Octobre 2016sont les entrepreneurs eux-mêmes qui,parce qu’ils en sont les principales vic-times, détiennent le pouvoir, et ont ledevoir, de la revitaliser, c’est-à-dire de14 Acteurs de l’économie - La Tribune

PASCAL PICQ Dialoguertel bouleversement convoque la logique se construit essentiellement en collabo- nature à consolider ou à lézarder la civili- ration avec les plus grandes entreprises,darwinienne ? qui, par ailleurs ont aussi des enjeux sation européenne ?Le continent européen a poussé au maxi- internationaux. Résultat  : une chute L’Europe occidentale est le creuset de lamum son excellence lamarckienne issue impressionnante de la part industrielle révolution industrielle, de la démocratie,d’une économie de la demande après- du PIB, la plus vertigineuse étant pour de l’humanisme… Sa culture est fonda-guerre. Après la chute du mur de Berlin et la France. Certains gourous égarés ont mentalement libérale et sociale, avec dessurtout l’effondrement de l’Union sovié- même affirmé que le temps des usines nuances selon les nations, les culturestique, le même modèle s’est appliqué à était terminé. On n’a jamais détruit et les traditions politiques, comme pourl’Allemagne de l’Est, puis aux pays d’Eu- autant d’emplois dans les industries en si la laïcité. Nous nous sommes égarés enrope de l’Est. Mais l’essence même d’une peu de temps, allant en cela à rebours en croyant être arrivés à la fin de l’histoire,économie de l’offre de type darwinien a regard de l’histoire moderne de l’Europe selon l’expression de Francis Fukuyamaété oubliée : l’introduction de nouveaux et de sa place dominante dans le monde (La fin de l’histoire et le dernier homme,objets techniques et de leurs usages. Les jusqu’au milieu du XXe siècle. Comment, Flammarion) avec la chute de l’Empiretensions actuelles entre les Europe occi- dans les années 1980, a-t-on pu apporter soviétique et l’expansion du modèledentale et centrale se trouvent là  : un autant de crédit aux dérives d’un Serge libéral et démocratique voguant avec larenouvellement darwinien vital à l’Ouest Tchuruk, d’un Jean-Marie Messier, d’un mondialisation. L’Europe (occidentale)face à une nécessité lamarckienne à l’Est. Bernard Tapie… et à la financiarisation humaniste a pensé que ce qu’elle avaitPuis, dans le cadre de la mondialisa- de l’économie casino ? réalisé dans le cadre de son union allaittion des années 1990, les «  pays émer- s’étendre à l’échelle du monde. Internetgents  » ont rattrapé leur retard selon le L’époque contemporaine et notamment promettait le meilleur des mondes et lemême modèle. D’un point de vue euro- ses attributs entrepreneuriaux est-elle de village mondial, et, excepté quelquespéen, c’est une politique industrielle qui régions du monde encore en retard, le« Nous avons manqué la double révolution informatique etdes réseaux, toutefois le dynamisme entrepreneurial des jeunesgénérations doit permettre d’avancer vers la « Terre Patrie » » VOUS AUSSI, TBWA\CORPORATE - Félix Ledru© VOUS ALLEZ NOUS Christian Grégoire Jérôme Levet Responsable régional, Directeur pédagogique AIMER. de l’enseignement supérieur, Proxival Groupe Tezenas du Montcel Si vous déléguez la gestion de votre informatique à un partenaire extérieur, c’est bien souvent pour faire face à des problèmes dont vousN°132 Octobre 2016 n’avez pas pu trouver la solution en interne. La moindre des choses, c’est de vous les résoudre vite et bien, avec fluidité et au meilleur coût. C’est justement notre spécialité. Et ce que vous apprécierez surtout, c’est tout ce qui fait notre nom Proxival : notre proximité, nos valeurs humaines, notre sens du service et notre capacité à vous comprendre. Tout simplement vous, votre métier, votre culture, pour avancer avec vous. www.proxival.com PROXIMITÉ I FLEXIBILITÉ I ENGAGEMENT DE RÉSULTATS Acteurs de l’économie - La Tribune 15

Dialoguer PASCAL PICQ rêve de Teilhard de Chardin d’une noos-« Que pourrait être une société d’immortels ? D’un ennui prodigieux et sans projet. L’humanité ne phère reliant toutes les intelligences allaits’est-elle pas construite dans ses multiples rapports à la mort ? D’un point de vue anthropologique, être exaucé. En plus, les Américains four-comment imaginer une posthumanité sans des règles drastiques sur la procréation, l’inceste, nissaient les réseaux et, en tant qu’hy-la limitation des naissances ? Ce serait une société hyperautoritaire, voire fasciste et eugéniste. »  perpuissance mondiale, assuraient notre sécurité. Ainsi, nous Européens nous16 Acteurs de l’économie - La Tribune inscrivions dans l’héritage et la concré- tisation du projet universel des Lumières. C’est là une particularité de la «  Terre Europe  », une civilisation qui, intrin- sèquement, se pense universelle et agit en tant que telle. Si les grands empires de l’histoire du monde se sont étendus selon leurs logiques expansionnistes, ce ne fut jamais en prétendant imposer leurs valeurs. C’est même la caractéristique des empires  : leur aptitude à maintenir la pluralité des peuples, des cultures et des croyances – celles-ci étant soumises à une autorité centrale dominante, et rendant un culte de soumission à cette autorité impériale déifiée –, mais sans éliminer les communautarismes. Notre «  Terre Europe » se fonde sur l’héritage chrétien et missionnaire, ce que Rudyard Kipling appelait le « fardeau de l’Occident ». Le dernier avatar de cette dynamique euro- péenne a été la mondialisation et ses pro- messes de démocratisation du monde, qui, on le sait, se sont effondrées avec les Twin Towers, 2001 étant le vrai an 1 du XXIe siècle. Actuellement, nous commençons seule- ment à payer l’inconséquence de notre volonté d’ingérence pour imposer la démocratie, notamment au Moyen- Orient. Pourquoi cela  ? Simplement parce que nos philosophies de la moder- nité et de la liberté ont cru que l’homme moderne pouvait s’affranchir facilement de sa dimension anthropologique ; il suf- fit pour en prendre conscience de se réfé- rer aux travaux d’Emmanuel Todd sur la France. Plus qu’un choc de civilisations selon la thèse de Samuel Huntington (Le choc des civilisations, Odile Jacob), nous sommes confrontés à des conflits aux racines anthropologiques profondes. Il a fallu plus d’un siècle pour que la démo- cratie s’instaure de façon pérenne en France, elle a toujours été menacée, et elle l’est encore. La transition de la «  Terre Europe » à la « Terre Patrie » passera par d’autres chemins de l’histoire, esquissés par Edgar Morin et par d’autres. Notre «  Terre Europe  » est un modèle exemplaire de coopération et de paix alors que nos conflits de jadis ont embrasé le reste du monde au XXe siècle. Aujourd’hui encore, si la France, l’Angle- terre et l’Allemagne se disputent, le reste du monde s’inquiète. L’Europe est le seul continent qui a réussi son union sans passer par la force. Même les Américains regardent avec intérêt notre aptitude N°132 Octobre 2016

PASCAL PICQ Dialoguer« Le système éducatif français est d’une crétinerie abyssale etd’un darwinisme sélectif caricatural. Les meilleurs modèles,ceux d’Europe du Nord, font en sorte que le groupe progresseet que les meilleurs à un moment donné aident les autres, etsans contraindre les talents. Cela, c’est vraiment darwinien :que les plus avantagés à un moment donné – et quelles quesoient les raisons – contribuent à l’évolution du groupe »politique à maintenir un système de pro- dit-il sur la salubrité de la démocratie faut-il engager qui favorisent l’épanouis-tection sociale. Aux États-Unis, la Cali- européenne, sur l’articulation des démo- sement de «  toute cette nouvelle géné-fornie se montre au niveau de nos valeurs craties représentative et participative, ration d’entrepreneurs innovants qui neeuropéennes : salaire horaire minimum, surtout sur l’avenir même de LA démocra- s’inscrit dans aucun schéma existant » etlois sur la pollution, actions sur les pres- tie et celui de l’Europe ? Ce continent n’a- (se) construit (dans) la dynamique de latations sociales dans le cadre de l’ube- t-il jamais aussi bien justifié son adjectif « coévolution » ?risation, mariage pour tous… Mais ce « vieux » ? Il faut bien distinguer les concepts d’in-n’est qu’en Californie. Au Canada et au Ce référendum illustre toutes les dés- vention, d’innovation et de synthèseQuébec aussi, dans certaines régions. hérences de nos démocraties. Un coup créatrice. Quels sont les traits anthro-Mais ce n’est pas à l’échelle du continent politique manœuvrier de James Came- pologiques et culturels qui font que desnord-américain. Ce peut être là une des ron qui se termine par un revers cinglant. sociétés innovent ou pas ?faiblesses du fédéralisme. Si nous avons Toute la campagne et ses protagonistes Selon Lévi-Strauss, les sociétés froidesmanqué la révolution informatique – se sont vautrés dans les fausses déclara- disposent de représentations du monde etson développement, pas son invention tions, les fausses promesses, les fausses de règles qui visent à maintenir l’équilibre– et celle des réseaux, le dynamisme conséquences... Quand les politiques en au sein de la société et avec l’environne-entrepreneurial qui anime nos jeunes arrivent à douter de leurs convictions ment naturel. Elles sont réticentes augénérations nous permettra, je l’espère, jusqu’à s’en remettre à des référendums, déséquilibre, au désordre, à l’entropie…d’avancer vers cette « Terre Patrie ». Mais comme pour l’aéroport de Notre-Dame- Elles décident de maintenir une périodeon ne peut pas le faire sans moyens, et des-Landes, cela en dit long sur leur de stase, et toute activité individuellela naïveté, si ce n’est l’« erreur humanis- leadership, leur sens de la responsabilité qui tend à altérer cet équilibre est atté-tique », a été de croire que l’on pouvait se et leur capacité à prendre des risques. nuée, sinon réprimée, par la société et sapasser du renouveau de notre puissance Emmanuel Todd a anticipé cette fin de la « sagesse ». Dans notre culture, c’est toutindustrielle et même militaire. Autrement démocratie et décrit, avec Hervé Le Bras, l’héritage postrousseauiste, représentédit, si la réalisation de la Communauté le retour aux réflexes anthropologiques par l’écologie politique naïve, une par-européenne s’appuie sur une véritable des communautarismes et des nationa- tie de la gauche de la gauche qui détesteapproche humaniste de la part de ses lismes. Quand nos politiciens nationaux les inégalités de fait provoquées par lespères fondateurs, on a oublié que si les délèguent les décisions importantes à activités entrepreneuriales et le conser-idées prévalent, cela ne peut se faire ni Bruxelles ou à des référendums locaux, vatisme chrétien de droite qui abhorre lese perpétuer sans les moyens plus pro- ils tuent leur légitimité. Quant aux déci- désordre libéral-entrepreneurial.saïques nécessaires – rappelons les fon- sions de Bruxelles, aussi pertinentes Les sociétés chaudes, quant à elles, s’ins-dements chrétiens humanistes des pères qu’elles puissent être, elles sont exercées crivent dans une dynamique entraînéede l’Europe et le fait que le bleu du dra- par des personnes non élues. Et que dire par les conséquences innovatrices despeau européen est celui de la robe de la de tous ces lobbyings peu démocratiques, activités individuelles, et produisent iné-Vierge Marie. Les événements récents aussi justifiés qu’ils puissent être. vitablement des inégalités et des destruc-dans les pays arabes montrent, une fois Les politiques, avec leur manie des son- tions écologiques.de plus et depuis les aventures de Napo- dages et des référendums n’agissent ou, Alors, faut-il espérer des sociétés tièdes ?léon Bonaparte jusqu’à celle des pré- plus pertinemment, ne réagissent que Elles n’ont jamais existé. Les cycles éco-sidents américains récents, que l’on ne de façon immédiate. Certes, il en est de nomiques et civilisationnels de Schum-peut pas instaurer la démocratie par les même pour toutes les espèces. Mais ne peter sont en fait de longues périodes dearmes. Peut-on espérer faire l’histoire par serait-ce pas le propre de l’homme, cet sociétés froides entrecoupées de courtesles idées si l’on est vulnérable aux yeux animal politique au sens d’Aristote, que périodes de sociétés chaudes…des autres ? d’agir avant tout selon des causes fon- damentales, en accord avec un vrai pro- … Par quelle température entrepreneu-Le Brexit – décision, le 23 juin 2016, des jet politique, même si cela déplaît dans riale et créatrice notre contemporanéitécitoyens anglais de divorcer de l’Union l’immédiat ? est-elle caractérisée ?européenne – traduit-il un rejet de la Nous sommes dans une phase chaude,«  Terre Europe  » ou plutôt celui du sys- Au-delà, la Grande Histoire aide-t- avec une fièvre entrepreneuriale à l’échelletème et de l’organisation politiques cen- elle à dessiner la géographie mondiale mondiale, mais répartie très inégalement.sés donner à cette Europe sa justification, contemporaine de l’innovation et de Et l’on ne peut affirmer qu’une partie dusa raison d’être, son sens ? Ce séisme, que l’entrepreneuriat  ? Et quelles mesures monde se montre intrinsèquement plusN°132 Octobre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 17

Dialoguer PASCAL PICQinnovante qu’une autre. L’Europe n’assure et même la volonté, à se projeter dans « Managementsa domination sur le reste du monde grâce le long terme, c’est-à-dire aussi de humain, entrepriseaux sciences, aux techniques, aux armes et prendre en considération ce qui dépasse libérée, quêtesau capitalisme qu’au cours du XIXe siècle, son espérance de vie. Ce joug, comment de sens et detandis qu’auparavant elle faisait jeu égal modifie-t-il la dynamique d’innovation et bonheur : plutôtavec les grands empires asiatiques. D’un caractérise-t-il le principe de modernité ? que recourir à despoint de vue anthropologique, toutes les L’évolution des sociétés occidentalisées effets de modepopulations humaines se montrent aptes depuis plus de deux siècles montre une galvaudés censésà inventer, qu’il s’agisse de techniques, indéniable accélération à l’échelle mon- susciter lesde connaissances, de croyances, de faits diale. Au cours de ce que l’on appelle la ressources poursociaux… Quand elles transforment ces modernité, le nombre de générations se prendre sur soi, neinventions en innovations qui changent la réduit entre les «  périodes chaudes  »  : faut-il pas plutôtsociété, c’est la phase chaude. La condition un siècle entre la révolution industrielle changer les modesnécessaire d’une phase chaude ne repose de la vapeur et celle de l’électricité  ; un de management ? »pas que sur les inventions, mais dans les demi-siècle entre cette dernière et celleaptitudes à en faire des innovations dans des télécommunications  ; un quart de mes enfants et de mes petits-enfants. Etune nouvelle conception du monde, ce siècle entre cette dernière et celle du donc, je m’inscris dans cette magnifiqueque l’on appelle une synthèse créatrice. numérique. Et aujourd’hui  ? Plusieurs expression de Darwin, qui ne parle pasDe telles périodes restent assez rares dans seuils technologiques se sont succédés d’évolution, mais de « descendance avecl’histoire de l’humanité. Et les grands en une génération ou, plus exactement, modification  ». C’est certainement l’ex-foyers d’innovation de l’époque moderne en une classe d’âge. Actuellement, vivent pression la plus importante, d’un pointne se trouvent pas dans des régions ensemble cinq générations impactées par de vue anthropologique et philosophique,disposant de matières premières  ; c’est autant d’évolutions technologiques  : les de toute l’histoire de l’Occident.même tout le contraire. Quelles étaient télécommunications pour celle de mes Personne ne peut dire ce que sera leles ressources premières de l’Athènes de parents  ; les ordinateurs ou hardware monde, même d’ici 2020. Pour preuve,Périclès  ? De Rome  ? Des Midlands de pour les baby-boomers ; les logiciels et les l’incapacité chronique des économistes àla Lunar Society ? De la Silicon Valley ? jeux pour la génération X  ; les réseaux envisager les crises et leurs conséquences.En réalité, tout est question d’hommes, pour la génération Y et les smartphones Le regretté Bernard Maris ne disait-il pasd’intelligence et de collaboration. Cela et les applications pour la génération Z ou qu’un économiste explique de façon trèsvaut aussi pour la France, où les foyers « digital natives » ou encore « millenials ». pertinente les raisons qui font qu’il s’estactuels d’innovation les plus dyna- Ce n’est tout simplement jamais arrivé trompé dans sa prédiction de la veille ?miques se trouvent en Vendée, en Bre- dans toute l’histoire de l’humanité. Com- Quoi que nous fassions, nous modifionstagne, en Anjou, en Franche-Comté, ment concevoir l’avenir alors que l’idée l’environnement. Et nous sommes – ouet pas seulement dans des grandes de progrès s’inscrivait dans une dimen-régions traditionnellement entrepre- sion multigénérationnelle ?neuriales comme Lille, Lyon, Grenoble, Quelques philosophes et essayistesToulouse, etc. apportent des réponses. Hans Jonas évoque le droit des générations futures.«  Nous vivons sur les adaptations Jacques Attali affirme que la vraiedu passé. Or la vraie difficulté est de modernité consiste à faire en sorte queconstruire les adaptations de demain  », nos enfants puissent avoir la liberté dea rmez-vous. La réduction drastique des décider de ce que sera leur société. Mestemps – de vivre, d’attendre, de commu- parents ne pouvaient pas imaginer maniquer… in fine de recueillir les résultats société d’aujourd’hui, et je m’interdis ded’un investissement – obère la capacité, prétendre dire ce que devra être celle de« Nous commençons seulement à payer l’inconséquence « Ni la gauche ni la droite n’aiment le libéralisme. Manuel Valls et Emmanuelde notre volonté d’ingérence pour imposer la démocratie. Macron plaident pour un développement des entreprises et sont accusésNotre philosophie de la liberté a cru que l’homme moderne de mener une politique de droite alors que la droite traditionnelle n’adhère paspouvait s’a ranchir facilement de sa dimension davantage aux vrais fondements du libéralisme. C’est ubuesque. »anthropologique. » (ici, manifestation à Tripoli) © Christopher Occhicone / Redux-Réa © Hamilton / Réa

PASCAL PICQ Dialoguerdevrions être – la seule espèce capable mais de la préservation des variations que certains individus laissent une plusde le faire tout en le préservant pour les favorables, ce qui est fondamentalement grande descendance que d’autres, ce quigénérations futures. Et comme nous ne très différent. modifie le profil génétique de la popu-savons pas ce que seront ces besoins Avec une récurrence infaillible, quand les lation de génération en génération. Unedu futur, la réponse est une fois de plus acteurs d’une société la conduisent dans pluralité de facteurs préside à cela. Lachez Darwin  : léguons le maximum des dérives délétères, la misère, l’exclu- compétition éliminatoire reste la moinsde diversités naturelles (dont les res- sion ou la destruction, ils invoquent des observée, et même dans le cas d’unsources), domestiques et culturelles aux lois naturelles et/ou divines. Le néolibé- mâle capable d’écarter, voire de tuer, lesgénérations futures pour qu’elles aient le ralisme des années 1980 avec son cor- autres mâles, il existe des stratégies deplus possible de chances de décider de tège de dérégulations et le cancer de la contournement de la part des femellesleur modernité pour elles, et qu’elles en financiarisation a lourdement affecté le et des autres mâles. La nature n’est nifassent de même pour leurs enfants. tissu social des sociétés. Ils se prévalaient un paradis ni un enfer. Des périodes de de la loi naturelle de Darwin de l’élimi- relative stabilité coexistent avec d’autresLe principe de «  concurrence vitale  » est nation des plus faibles en en appelant à drastiquement sélectives  : des «  goulotsassocié au darwinisme. Le cadre contem- la théorie «  du gène égoïste  ». Donc, le d’étranglement  ». Tout cela se joue desporain de compétition économique, qui a marché, rien que le marché, pour aller gènes aux écosystèmes en passant par lespour terrain la planète et pour socle l’hy- vers une société meilleure. Mais on a vu individus et les populations. Par ailleurs,perfinanciarisation, des écarts de règles où cela a mené, car ces gens qui théo- et contrairement au credo ultralibéral, ilabyssaux, une régulation défectueuse, risent leurs actions en se référant à leur existe tout un tissu d’entraide et de colla-est-il comparable à celui qui oppose, interprétation de Darwin n’admettent pas boration entre les individus, les groupes,hiérarchise, contingente les hommes, et que la sélection s’applique à eux, et en et même entre populations de différentescela dès l’enfance et l’éducation scolaire ? appellent aux gouvernements, à la société espèces.Instaurer une « compétition coopétitive », et aux contribuables pour les renflouer. Le problème de notre système éduca-c’est-à-dire qui n’élimine pas, est-il bien Libéraux et égoïstes pour s’enrichir, mais tif réside non pas dans une conceptionpossible ? sociaux et solidaires pour ne pas som- darwinienne, mais dans un credo indi-La sélection naturelle a été comprise brer. C’est inique, et infondé d’un point vidualiste de la réussite et de la meilleurecomme un processus éliminatoire impi- de vue évolutionniste. note par rapport aux autres pour gravirtoyable, avec cette métaphore du poète l’échelle sociale. Quand, dans notre sys-Tennyson : un spectre aux ongles et aux La justification à outrance de l’individua- tème de classes préparatoires, une car-dents rouges de sang. À cela s’ajoute lisme et de la compétition contre tous rière se joue au demi-point pour intégrerl’idée d’une guerre de tous contre tous. n’est peut-être pas le fondement des telle ou telle école, cela n’incite pas à laCette vision de la sélection naturelle a théories de l’évolution… collaboration. D’ailleurs, les meilleuresconduit à des paradoxes : si l’environne- Absolument. Peut-on parler de loi du plus classes préparatoires favorisent le collec-ment sélectionne de façon drastique, il fort quand un virus frappe ? Il n’a cure de tif. Donc, dans un premier temps, êtredoit s’ensuivre une perte de diversité et, votre statut social, de votre intelligence les meilleurs ensemble, puis, dans unsi cet environnement change, l’extinction ou de votre force physique. Ce qui, face à deuxième temps, que les meilleurs s’af-est garantie. Comment expliquer le main- la contingence, nous place dans une sorte firment. Il y a deux façons d’être le meil-tien de la variation  ? Cette question est d’égalité probabiliste par nos différences. leur : soit on fait en sorte de dépasser lesau cœur des théories darwiniennes, qui Si le choix des partenaires sexuels peut autres sans jamais rechercher à ce qu’ilssont, en fait, des théories sur les varia- prendre diverses formes de compétition, progressent, soit on a conscience de sestions, leurs origines, leurs combinaisons cela ne se fait pas en éliminant physi- qualités et on en fait bénéficier les autres,(sexualité), leurs dérives, leurs sélections, quement les autres prétendants… Et une ce qui, en fait, renforce ses propres qua-leurs évolutions… Or on n’a pas compris catastrophe naturelle ne frappe pas en lités. On comprend que cela ne fait pasDarwin, qui ne parle pas de loi du plus fonction de la qualité des personnes. La le même type de manager. Notre sys-fort ou de l’élimination des plus faibles, sélection naturelle dit tout simplement tème éducatif bute sur ses hiérarchies« Peut-on espérer faire l’histoire par les idées « Personne ne peut dire ce que sera le monde.si l’on est vulnérable aux yeux des autres ? Les scientifiques et les entrepreneurs ne tiennent pas Pour preuve, l’incapacité des économistesVoilà à quoi est confrontée l’Europe. » longtemps dans la fonction deministre. Pourquoi ? à envisager les crises. Bernard Maris ne disait-il Parce qu’ils sont confrontés à ce qu’est le monde, et pas qu’un économiste explique de façon très n’agissent pas selon ce que devrait être le monde pertinente les raisons qui font qu’il s’est trompé (Francis Mer, ex-ministre de l’Economie et des finances). dans sa prédiction de la veille ? » © London News Pictures / Zuma-Réa © Laurent Cerino / Acteurs de l’économie © Lydie Lecarpentier / Réa

Dialoguer PASCAL PICQde classement des lycées, et, au sein de des sciences. De fait, et contrairement aux entreprises – c’est d’ailleurs d’autantchaque établissement, sur l’incitation à autres pays, c’est la culture d’ingénieurs plus incompréhensible quand on connaîtdépasser les autres. Nos systèmes d’éva- qui a dominé, marquée par un désin- l’excellence des industries du luxe. Celuation erronés procèdent de manière éli- térêt pour les chercheurs ou docteurs constat s’applique aussi à l’Allemagne,minatoire, expliquant que nous ayons la en sciences de l’université. Voilà deux mais de façon moins caricaturale. Et c’estplus grande proportion de redoublants et conceptions fondamentales du savoir : en pour cela que le smartphone ne pouvaitde surdoués. C’est d’une crétinerie abys- faire des applications pour les ingénieurs, pas se concevoir en Europe  : un télé-sale et d’un darwinisme sélectif carica- ou faire avancer, voire questionner, ces phone guidé par la recherche de designtural. Les meilleurs systèmes éducatifs savoirs pour les chercheurs. Dans un cas, et de nouvelles gestuelles, rassemblanteuropéens, ceux d’Europe du Nord, font l’innovation incrémentale améliore ce qui des technologies de divers secteurs indus-en sorte que le groupe progresse et que existe  ; dans l’autre, c’est la possibilité triels et avec des services et des applica-les meilleurs à un moment donné aident d’une innovation de rupture vers ce qui, tions aux potentiels non connus.les autres, et sans contraindre les talents. par définition, n’existait pas. Cerveau Il faut revoir l’intégralité du système sco-Cela, c’est vraiment darwinien  : que les gauche ou cerveau droit. Or nous avons laire, qui a si bien répondu aux enjeuxplus avantagés à un moment donné – et besoin de ces deux parties du cerveau, des Trente Glorieuses mais n’est plusquelles que soient les raisons – contri- alors que le système éducatif s’est foca- adapté à ceux des sociétés postindus-buent à l’évolution du groupe. lisé sur le cerveau gauche. Conséquence : trielles – ce qui se traduit par un tauxQuant à la question de la compétition une R&D très en retard dans les entre- d’échec scolaire conséquent et un nombreet de l’innovation, il n’existe pas un seul prises, et notamment les plus grandes, ubuesque de diplômés sans emploi. Lemodèle : Schumpeter, Harlow, Aghion..., qui commencent à peine à s’apercevoir succès de l’école 42 et d’autres systèmescar en matière d’adaptation, dans la de l’excellence de notre recherche fonda- alternatifs donne des indications sur lesnature, il n’y a jamais une solution mentale. Il y a, certes, de plus en plus nouvelles modalités de l’enseignementunique. Une double certitude est que, de collaborations entre entreprises, uni- dans un contexte où les connaissancessans compétition, il n’y a pas d’innova- versités et organismes de recherche, mais sont accessibles à tous. L’enseignementtion, et qu’il n’y a pas d’innovation sans les grandes entreprises recrutent peu de demain ne consiste plus à former lesqu’elle soit ouverte et collective. Le meil- de chercheurs. Entreprises qui ne sont meilleurs ingénieurs et gestionnairesleur exemple étant la recherche scienti- pas seules responsables, tant une partie pour s’adapter aux besoins de la société,fique avec les relations avec les pairs et dominante de l’université cultive son mais d’apprendre à apprendre ; passer deles évaluations par les pairs  ; ce qui ne ignorance du monde entrepreneurial. l’adaptation à l’adaptabilité, ce qui passeveut pas dire qu’il n’y a pas de compéti- Notre manie de la spécialisation des par l’interdisciplinarité. Les théories detion, bien au contraire. Nous retrouvons études se traduit par la manie des filières. l’évolution, et tout particulièrement l’an-là les vertus de la coévolution et de la La France est l’un des rares pays à croire thropologie évolutionniste, sont le meil-coopétition. que les capacités des individus se décident leur socle d’un tel projet.L’innovation darwinienne stimule un « La recette du progrès associe unedécloisonnement des logiques et des réflexion interdisciplinaire sur lesconsciences, une transdisciplinarité sciences, les techniques, les entreprises,aujourd’hui frappée de plein fouet par la la nature et la société »dictature de l’hyperspécialité, des siloset des normes. Pour exemple, la séren- avant l’âge de six ans. C’est d’une imbé- L’innovation et l’entreprise darwiniennesdipidité est assimilée par les darwiniens cillité prodigieuse et à l’opposé de tout réclament initiatives, prises de risque,à une «  innovation possible  », par les ce que l’on connaît sur le développement logique de rupture, exploration infinie,lamarckiens à «  du bruit  ». «  Notre sur- cognitif des individus, hommes comme désindexation des visions linéaires etvie passera par davantage de culture, chimpanzés. Chaque discipline établit progressistes du changement propres aud’esthétique et de design, ce qui oblige son programme scolaire sans se préoccu- dogme lamarckien…, bref, un cadre deà s’a ranchir d’une culture d’ingénieur per des autres. En recherche aussi, nous grande liberté. Est-ce cette dernière quipour des approches innovantes avec des sommes évalués par discipline et non pas fait défaut en premier lieu ?artistes, des créateurs, et les sciences sur l’interdisciplinarité. Pour les secteurs Le concept de «  synthèse créatrice  »humaines », observez-vous. Cet aggiorna- économiques, on constate une multipli- recouvre toutes vos remarques. Innover,mento, comment peut-il faire irruption  ? cation des filières et de leurs représenta- ce n’est pas tout inventer, mais construireComment la pratique de l’enseignement, tions… La difficulté à collaborer, au sein des innovations. Le principe d’émergencedes classes primaires aux établissements des filières ou, encore plus, entre filières, indique que le tout est bien plus que lasupérieurs les plus prestigieux, doit-elle est une spécificité française. Alors, quand somme de ses parties. Le train, loco-s’en emparer ? les spécialistes de l’orientation scolaire motive de la première révolution indus-Notre système scolaire a superbement affirment du haut de leur incompétence trielle, résulte d’un «  bricolage  »  : onfonctionné jusqu’aux années 1980. Il que vous, collégien ou collégienne, vous prend la marmite de Papin, sur laquellerépondait aux besoins de la politique êtes un littéraire ou un scientifique, c’est James Watt et Matthew Bolton ont misde reconstruction et de développement, d’une effroyable stupidité, qui explique un régulateur ; on la pose sur une char-notamment en s’appuyant sur les grandes le déficit de talents créatifs dans les rette dont les roues sont modifiées pourécoles et les corps d’État. Au cours decette même période se sont créées les N°132 Octobre 2016grandes écoles d’application des sciencescomme les INSA et autres IAE. Toutes lesR&D et les recherches dans les grandesentreprises se fondaient sur l’application20 Acteurs de l’économie - La Tribune

PASCAL PICQ Dialogueraller sur des rails sortis des mines, et, classes moyennes. Donc une évolution « Managementderrière, on empile des diligences. À globale positive mais un accroissement humain, entreprisepart le régulateur, il n’y a aucune inno- vertigineux des inégalités, intenable libérée, quêtesvation de rupture. Même processus pour à court terme. Le besoin de règles est de sens et dele smartphone, dont peu de brevets sont évident, pour établir une vision com- bonheur : plutôtdéfendables par Apple. Pour accomplir ce mune de l’avenir de tous, qui fait tant que recourir à destype de découvertes, il faut s’extraire des défaut d’un point de vue politique pour effets de modefilières, même si elles sont d’excellence, l’Europe, et, pire, dont rien ne transpa- galvaudés censéset s’ouvrir à toutes les collaborations, et, raît dans ce que l’on connaît du traité susciter lesévidemment, s’instruire de ce qui se fait d’échange commercial (Tafta) en discus- ressources pourailleurs. Question de culture, de concep- sion entre l’Europe et les États-Unis. Il prendre sur soi, netion du monde dans lequel on est et on en va de même pour le grand traité entre faut-il pas plutôtveut être. Et de méthode. Il n’y a pas mille les pays circumpacifiques. Croire que le changer les modesfaçons de faire. Un maître-mot pour tout marché et le libre-échange vont apporter de management ? »cela : la liberté d’échanger, de s’instruire, le bonheur à tous est une ineptie. Il fautd’essayer, de gérer son temps… stopper cette dérive. sommes en pleine dissonance cognitive. Des économistes et des intellectuels Ni la gauche ni la droite n’aiment le libé-D’un côté les architectes ou contemp- comme Larry Summers – ancien ministre ralisme, et encore moins les professionsteurs  : Darwin, Smith, Malthus, Marx, de l’Économie de Bill Clinton et conseil- libérales, qui cultivent leur statut. NotreSchumpeter, de l’autre les rouages  : ler de Barack Obama – voient dans médecine libérale n’est guère connectée«  exaptation  », «  coaptation  », «  tran- l’attrition des classes moyennes la prin- au libéralisme, pas plus que l’enseigne-saptation  »… Vos travaux constituent un cipale cause de l’émergence des partis ment libre. Ajoutez à cela les dérives néo-examen minutieux du mécanisme libéral. réactionnaires, nationalistes et hostiles libérales de la fin du XXe siècle, et cela faitQuels types de libéralisme – économique à l’immigration. Le néolibéralisme et la autant de raisons de ne plus rien com-mais aussi politique –, de capitalisme, financiarisation de l’économie sont les prendre à ce terme, et même de le rejeter.de société de marché, favorisent-ils ou causes des problèmes actuels, ils sont Les ruptures internes du Parti socialisteau contraire entravent-ils l’innovation d’ailleurs une négation du libéralisme en sont symptomatiques. Sa «  gauche  »et l’entreprise darwiniennes  ? Éthique social et progressiste. Pourquoi parle-t-on défend une conception anti-entrepriseet libéralisme, humanité et libéra- si peu en France du Manifeste de Seattle postmarxiste de la société, et sa « droite »lisme, altruisme et libéralisme, consti- signé par six cents économistes libéraux une tradition humaniste chrétienne avectuent-ils intrinsèquement des oxymores ? pour un salaire horaire minimum et d’ail- des protagonistes issus des grands corpsEst-il vain d’espérer rendre ces termes leurs récemment adopté par la Califor- administratifs ou universitaires. Entreconciliables ? nie ? Comme Henry Ford en son temps, les deux, Manuel Valls et EmmanuelLes acteurs de la Lunar Society s’ins- chacun sait que sans classe moyenne, Macron plaident pour un développementcrivaient dans le projet humaniste des pas de progrès pour la société. De nos des entreprises et sont accusés de menerLumières, et c’est bien ce qui les amena jours, les anathèmes les plus courants une politique de droite alors que la droiteà faire abolir l’esclavagisme et à mili- dans le cadre de la médiocrité des débats traditionnelle n’adhère pas davantageter pour l’éducation, notamment des se limitent à «  darwinisme, libéralisme, aux vrais fondements du libéralisme.femmes. Le XIXe siècle a oublié cette pro- malthusianisme ». C’est du même niveau C’est ubuesque. La bipolarisation poli-messe en provoquant un exode rural sans que de lancer « c’est de droite » quand on tique entre la droite conservatrice et laprécédent et en créant des conditions de favorise les activités des entreprises ou gauche de la gauche laisse un immensetravail et de vie abominables pour des « c’est de gauche » dès que l’on améliore espace social, économique et politiquedizaines de millions d’individus passés les conditions sociales ou du travail. en complète déshérence, avec en toile dede la misère des campagnes à celle des fond les inquiétudes légitimes des classesvilles. La société industrielle a profondé- Quelle pensée « politique » du libéralisme moyennes. Notre système politique estment changé entre les espoirs du temps – qui, à quelques encablures du scrutin tout simplement arrivé à son terme.d’Erasmus Darwin et l’indigence du présidentiel en France, fracture à gauche Comme pour chaque grand momenttemps de Charles Darwin. C’est dans ce mais aussi à droite – appelez-vous à de l’histoire de l’humanité, on assistecontexte de luttes sociales et politiques cultiver pour qu’innover et entreprendre à l’émergence d’une nouvelle gouver-que Karl Marx et d’autres critiquèrent les forment les deux jambes de la France ? nance  : les démocraties représentativesfondements de cette société capitaliste Les débats politiques sont devenus trop pour la première révolution industrielle ;en forgeant les acceptions actuelles et idéologiques, si ce n’est moralistes, par la démocratie universelle pour l’après-péjoratives de darwinisme et de malthu- manque de connaissance de la réalité guerre. Et pour demain  ? Soit le chaos,sianisme. Le néolibéralisme des années des entreprises. Les grandes théories1980 se revendique aussi de certaines économiques, notamment l’économie Acteurs de l’économie - La Tribune 21théories darwiniennes dans leur accep- politique, ignorent ces dernières, et lestion idéologique individualiste et égoïste. personnalités politiques issues du mondeAlors, il n’est pas très facile pour les entrepreneurial sont très rares. Or qu’in-darwiniens et les libéraux au sens le plus diquent les enquêtes d’opinion ? Les plusfondamental de refonder cette pensée. forts indices de confiance pour l’avenirSi la mondialisation a permis de faire s’adressent aux chercheurs et aux entre-sortir de la misère des centaines de mil- preneurs. Idem pour la diversité  : leslions d’humains dans le monde depuis Français n’ont aucun problème avec lesle début du XXIe siècle, elle a enrichi les diversités alors que les politiques laissentplus riches, provoquant l’érosion des entendre qu’ils ne sont pas prêts. NousN°132 Octobre 2016

Dialoguer PASCAL PICQcomme pour la Belle Époque qui sombre lointains exhorte à s’interroger tout par- évolution et qu’ils prennent en main ladans l’horreur de la Première Guerre suite grâce aux avancées prodigieusesmondiale, soit une nouvelle gouvernance ticulièrement sur ce sujet… des NBIC. S’il ne fait aucun douteà l’échelle mondiale – et maintenant ! Les plus anciens vestiges de préoccupa- qu’elles contribueront à l’amélioration tion autour de la mort remontent à plus de la santé, et donc de l’espérance deDans les sociétés humaines dominantes de cinq cent mille ans, donc avant l’ap- vie en bonne santé, ce sera autre chose– c’est-à-dire occidentales –, l’évolution parition de l’Homo sapiens. Cela concerne que de vaincre la mort. Et, sans ironie, ilde la vie est conçue comme un proces- les Néandertaliens, certainement notre va falloir qu’ils fassent vite, car ils n’ontsus dominé par l’homme qui maîtrise la ancêtre commun, Homo heidelbergensis, pas l’éternité devant eux en regard de lanature et promet « la fin de l’Histoire dans peut-être même d’autres. La mort et la dégradation de la qualité de la vie surle bonheur de tous.  » À quelles illusions, question de la finitude ont participé de terre, les pollutions étant devenues lesà quels dégâts intellectuels, sociaux, la vie des sociétés humaines et de leurs premières causes de mortalité. L’espé-environnementaux ou humains, une telle représentations du monde jusqu’au milieu rance de vie baisse à nouveau ! C’est trèsidéologie du progrès, une telle arrogance du XXe siècle. Puis deux événements sensible chez nous, mais dramatique entechnologique préparent-elles ? majeurs sont survenus : les hommes ont Russie et dans trop de pays. Car, in fine,L’homme, surtout occidental, souffre inventé les moyens de leur propre des- quid d’une chance d’éternité dans desd’une maladie terrible  : l’anthropocen- truction depuis Hiroshima et Nagasaki  ; environnements de plus en plus invi-trisme. C’est même devenu une pathologie ils ont fait reculer l’âge de la mort de plus vables  ? Nous pouvons faire confianceauto-immune qui détruit son humanité et d’une vingtaine d’années dans les pays à la vie, et en particulier aux micro-or-l’humanité de l’intérieur. Il semble qu’au- développés qui font tout pour cacher ganismes, pour voir émerger des agentscun remède n’existe. Quelques rares phi- la mort. La mort a été de plus en plus indésirables – à moins d’aseptiser toutelosophes grecs ou latins – comme Lucrèce repoussée, et même occultée, de nos vies. la terre, ce qui serait la mort de toute la–, saint François d’Assise et aujourd’hui Que pourrait être une société d’immor- vie. Donc, ces projets transhumanistesle pape François, Rousseau ou encore tels ? Sans doute d’un ennui prodigieux comportent une part utopique et uneNietzsche, ou tous ces écrivains et pen- et sans projet. L’humanité s’est construite part élitiste, ou humanisme évolution-seurs marcheurs que j’ai évoqués dans La dans ses multiples rapports à la mort. S’il niste. C’est ce que les anthropologuesMarche ; sauver le nomade qui est en nous, n’y a plus la mort, il n’y a plus d’huma- nomment un fardeau de l’évolution  : lebutent sur cette ontologie dualiste fonda- nité telle qu’elle a été pendant plus d’un sacrifice nécessaire d’une partie de lamentale qui oppose l’homme à la nature. million d’années. Alors, quelle serait population pour que l’espèce continue àD’une manière générale, les civilisations cette posthumanité  ? D’un point de vue évoluer. Mais ce n’est pas de l’évolution,se considèrent d’autant plus avancées anthropologique, comment imaginer une et encore moins de l’humanisme.qu’elles se situent loin, sinon hors, de la société sans des règles drastiques sur lanature comme dans les utopies  : «  Les procréation, l’inceste, la limitation des Dans son essai La Révolution transhuma-forêts reculent devant les civilisations  », naissances  ?… Ce ne peut être qu’une niste (Plon), Luc Ferry met en perspec-estimait Chateaubriand. Pourquoi ? société hyperautoritaire, voire fasciste et tive les desseins « de la technomédecineLes travaux récents en anthropologie eugéniste. L’éternité pour quoi ? « L’éter- et l’uberisation du monde ». Vous-même,culturelle montrent que les ontologies nité, c’est long, surtout vers la fin », juge qui participez à l’Observatoire de l’uberi-fondamentales, comme le dualisme qui Woody Allen. Jean Renoir interrogeant sation, anticipez-vous les e ets de cettepercole dans tous les domaines de la son père à propos des dieux de l’Olympe dernière sur les transformations de nospensée occidentale, même en science, lui demande pourquoi les divinités se sociétés ? Jamais, peut-être, la probléma-remontent à plus de dix mille ans. C’est mêlent aux affaires des mortels. «  Cer- tique éthique ne s’est trouvée à ce pointnotre fardeau ontologique. Et contraire- tainement parce qu’elles s’ennuient  », questionnée…ment à ce que prétendent les culturalistes lui répond Auguste. Le seul avantage La technomédecine est déjà là. Il suffit dedualistes, nos gènes ont évolué plus vite de l’immortalité serait de permettre des penser aux robots pour assister les opéra-que nos ontologies. Les idéologies de voyages interstellaires et de conquérir tions – comme celles, si spectaculaires, auprogrès œuvrant pour nous écarter de l’espace. Vertigineux. centre du cerveau pour pallier les effetsla nature se précipitent dans les illusions Les progrès inouïs de la médecine et des de la maladie de Parkinson –, mais aussitechnicistes bien incapables de transfor- modes de vie ont porté un maximum à l’imagerie, aux télé-opérations, au cœurmer nos croyances fondamentales. On a de personnes vers la limite supérieure artificiel, aux prothèses externes activéesbesoin de la philosophie, et surtout de connue de l’espérance de vie, qui est de par captation des ondes cérébrales, auxl’anthropologie, pour espérer nous sortir 120 ans. Notre évolution n’a pas déplacé exosquelettes… Des objets connectés per-de ces pièges ontologiques qui mettent la limite supérieure de la vie humaine, mettent de donner des informations suren danger l’avenir de l’humanité. On doit mais amené une plus grande propor- notre santé, nos activités physiques, deédifier un anthropocentrisme responsable tion vers cette limite. C’est pourquoi les suivre nos traitements – c’est la télémé-et éthique, car le transhumanisme sans la extrapolations linéaires qui prétendent decine. Ces données permettent de déve-nature ruinera l’avenir de l’humanité. gagner dix ans, puis vingt, n’ont aucun lopper les méthodes de l’épidémiologie, sens. Soit on continue à buter, mais tou- et de faire des prédictions et des alertesLa quête d’éternité, propre au transhuma- jours en meilleure santé, sur cette limite sanitaires – c’est le big data, ou donnéesnisme dans ses versions les plus extrêmes, léguée par notre évolution, soit on fran- massives, avec ses 3 V : variété, volume,charrie nombre de sujets fondamentaux : chit ce seuil, et alors on pénètre dans un vitesse.pourquoi et jusqu’où repousser la mort  ? monde postdarwinien que personne n’a Les avancées technologiques en arrivent,Comment délimiter bons et mauvais pro- jamais imaginé. C’est tout simplement comme aux États-Unis, à la Precision Mede-grès ? Comment organiser une planète de un saut quantique ou une singularité. cine : prédictive, personnalisée, participa-centenaires  ? Consacrer sa vie à exami- Pour les transhumanistes, la mort est tive, préventive. Cette médecine reposener l’humanité dans ses recoins les plus une anomalie. Alors ils postulent que sur l’accès au séquençage du génome l’homme est arrivé au terme de son22 Acteurs de l’économie - La Tribune N°132 Octobre 2016

PASCAL PICQ Dialoguerindividuel et aux connaissances sur les tout le débat entre l’intelligence artificielle toutes nos actions les plus habituelles  ;origines ethniques et culturelles des per- et l’intelligence augmentée. Ces machines c’est de l’uberisation active, si ce n’estsonnes. C’est la médecine évolutionniste, peuvent faire agir de façon plus efficace, consentie.qui prend en considération notre passé et précise et rapide. Mais elles resteront des Une partie des applications améliore lesnotre coévolution avec les maladies et les auxiliaires, même si elles sont capables prestations et les services classiques  :agents pathogènes. Cela pose évidemment de détecter une partie de nos inten- trouver des places de parking, se fairedes questions d’éthique et de préservation tions avant même que nous n’en ayons livrer des repas, partager des heures dedes données personnelles. Il existe des conscience. Dès lors, cela devient plus garde des enfants, trouver un rendez-voussites sur lesquels des individus peuvent délicat. Une personne peut susciter des rapide chez un médecin… L’application ladonner – anonymement – leurs données réactions de la machine sans avoir agi, ou, plus représentative de ces nouvelles faci-personnelles et médicales, comme à une comme dans l’excellent film Her, celle-ci lités est BlaBlaCar. Ou l’«  économie desépoque on donnait son corps à la science. peut être capable d’anticiper les désirs. Si interstices  », qui fluidifie les demandes.Nous n’en sommes qu’au début et cela va l’uberisation au sens strict concerne les Des prestations peu chères, qui rendentévoluer très vite. changements dans les existences consé- de grands services, dont l’économie pro-L’uberisation dans ce domaine peut cutifs aux usages de smartphones et d’ap- fite aux détenteurs des plateformes et quiprendre plusieurs aspects. Côté positif, la plications, cela touche plus largement à créent assez peu d’emplois. Il y a aussicapacité des patients et des associations tout ce qui vient d’être évoqué. Uber, perçu comme le « grand méchant« Les errements du capitalisme financiarisé ont fait oublierque les racines de l’économie se trouvent dans le champ de laphilosophie morale, ce qui convoque tous les aspects culturels,psychologiques et cognitifs de l’agent économique (rationnel) »de patients à participer aux avancées La paléoanthropologie et l’éthologie loup.  » Sa réussite dans le domaine desthérapeutiques et aux connaissances sur enseignent une maîtrise particulièrement transports en voiture avec chauffeurleurs maladies. Mais ces données peuvent pointue de l’item « crise ». « Économique », se comprend par ce qu’étaient l’étatfaire l’objet de détournements et de com- «  sociale  », «  civilisationnelle  », «  spiri- archaïque et les mauvais services desmercialisations non éthiques, si ce n’est tuelle  », «  de valeurs  », «  environnemen- taxis. Du point de vue du système ancien,illégales. Quelle serait la préservation tale  »…, «  la  » crise semble être le point il est perçu comme une concurrencede la vie privée avec la possibilité pour cardinal de notre époque. Cet emploi déloyale et une menace de destruction.les assurances de moduler les primes en est-il justifié  ? Ignore-t-on trop que la En réalité, grâce à lui, les services desfonction des comportements  ? Récem- crise peut concentrer un formidable gise- taxis se sont considérablement améliorésment, l’agence de la recherche médi- ment de progrès ? et plusieurs milliers d’emplois de chauf-cale américaine – le National Institutes Beaucoup de personnes perçoivent l’ac- feurs, en majorité tenus par de jeunesof Health, NIH – a donné accès à des tualité comme une crise, un désordre hommes de banlieue issus de la diversitécentaines de milliers de dossiers médi- anormal par rapport à un état antérieur. et restés longtemps sans travail, ont vu lecaux à Google. Sans difficulté, ils ont Par définition, une crise se traduit par jour. Le marché s’est étendu, captant deété capables d’identifier dix personnes. un dysfonctionnement. Il suffit de la nouveaux clients qui avaient renoncé auIl suffit aux algorithmes de connaître traiter, et cela repartira comme aupara- taxi. « Le gâteau s’est agrandi. »quatre à cinq de ses déplacements habi- vant. Or il ne s’agit nullement de cela  : Actuellement, des gouvernements, entuels pour identifier toute personne avec nous changeons de monde, et une grande Californie, en France et en Allemagneune fiabilité de 95 %. Nous faisons donc partie de nos repères, de nos habitudes, notamment, agissent pour que le sta-face à une urgence éthique, dont nous de nos activités, de nos vies sociales, et tut de ces nouveaux travailleurs et lesdiscutons au sein de l’Institut de la Sou- même de nos valeurs, change. Progrès cotisations sociales soient définis et res-veraineté numérique. ou non  ? Cela dépendra des nouvelles pectés. Ce n’est là que la partie visibleLes robots plus ou moins humanoïdes valeurs éthiques à venir, par exemple de l’uberisation. Les changements sontinterviennent couramment dans les autour des formes de procréation et des considérables dans les entreprises ethôpitaux japonais et coréens pour l’assis- techniques accompagnant la fin de la vie. dans les nouvelles façons de travailler.tance médicale. Les Asiatiques n’ont pas Vous souvenez-vous d’un monde avant La société, fondée sur un pacte et desde difficulté dans ce genre de relation, le smartphone  ? Cela fait à peine cinq cotisations sociales liés au salariat, secar ils sont animistes. Cela pourrait être ans. Or les usages et leurs conséquences trouve fortement affectée. Des robots,plus compliqué en France par la faute de ne répondent pas à des impératifs impo- des algorithmes, des applications, ébran-l’archaïsme cartésien. À cela s’ajoute l’in- sés par les entreprises ou les réseaux. lent le travail tel que nous l’avons connutelligence artificielle. Alors, les blouses Sans nier toutes les formes de pressions jusque-là. Va-t-on passer d’une sociétéblanches seront-elles de plus en plus por- sociales et d’incitations commerciales, qui s’épuise à retrouver le plein emploitées par des robots toujours plus colla- c’est bien par nos actions répétées et quo- à une société dans laquelle les gains deboratifs ? Ce sera le cas. Vont-ils prendre tidiennes que nous élargissons l’espace productivité et les richesses permettrontla place des personnels médicaux ? C’est digital darwinien et que nous modifions de distribuer une allocation universelle ?N°132 Octobre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 23

Dialoguer PASCAL PICQOn l’évoque dans un nombre de plus en paradigme – pas encore le paradis –, des débats et des enjeux politiques. Et laplus élevé de pays. qu’il faut étendre à l’ensemble de la pla- majorité des partis de gouvernement, deL’anthropologie indique que toute société nète puisque les deux tiers de l’huma- droite comme de gauche, ne voit que leshumaine tient sa cohérence d’un récit nité seront urbanisés d’ici au milieu de grandes entreprises (quand ils s’y inté-ou d’un imaginaire partagé. Quel sera ce siècle. ressent). Et on constate de fortes diver-celui de demain  ? Quant à l’éthologie, gences entre les différentes organisationselle enseigne que les sociétés d’hommes « Cessons de croire que l’État et les poli- patronales et entrepreneuriales. Leset de singes les plus aptes à innover s’ap- tiques détiennent à titre principal les clés gouvernements de gauche ont souventpuient sur des hiérarchies tolérantes et de l’avenir. Nous devons nous engager été plus favorables aux entreprises queune liberté de tester et de contester les dans la transformation et accompagner ceux de droite. Toute l’écologie des TPEidées. Nous allons en avoir besoin. les forces du renouveau », estimez-vous. aux ETI en passant par le tissu des PME/ Comment, dans le contexte de « crise », PMI se retrouve bornée, d’un côté par les« Ces » crises sont-elles en premier celles de déficit de « culture entrepreneuriale », superbes grandes entreprises, de l’autrede « l’homme » ? de suprématie lamarckienne, et donc par la plus grande des entreprises : l’arti-La plupart des crises sont le fait des de transformation radicale, la « chose » sanat. Le secteur entrepreneurial le plushommes ; mais on ne nous a pas ensei- politique et la démocratie prennent- dynamique, le plus innovant, le plusgné l’histoire de cette façon. La philo- elles place  ? Quelle responsabilité créateur d’emplois et le plus actif à l’ex-sophie dominante consiste à rechercher doivent-elles poursuivre ? portation est le moins représenté dansdes causes externes aux chutes des civi- Sur le plan politique, un constat pétri- les débats alors qu’il préside aux change-lisations. Ce catastrophisme externaliste fie : aucun ministre issu de « la société ments actuels.s’attache à mettre en évidence des causes civile  » depuis un quart de siècle (lenaturelles ou des envahisseurs consi- dernier significatif ayant été Hubert Là encore, Manuel Valls et Emmanueldérés comme des barbares. Les causes Curien)  ! Les scientifiques et les entre- Macron, ex-ministre de l'Économie,naturelles ne font que précipiter un état preneurs ne tiennent pas longtemps dans cherchent à paver une voie à la fois libé-de déliquescence interne  : disparition cette fonction (Francis Mer, Thierry Bre- rale et sociale, que leurs contempteursdes grandes cités du Gange au Néo- ton). Pourquoi ? Parce qu’un scientifique «  de  » gauche et «  d’une grande partielithique par la faute d’une grande séche- ou un entrepreneur sont confrontés à ce de  » la droite s’emploient idéologique-resse, issue identique pour les Mayas, fin qu’est le monde – la nature ou le marché ment à discréditer. Une vision entrepre-de la civilisation minéenne et éruption –, et n’agissent pas selon ce que devrait neurialement libérale et socialementdu Santorin, éruptions des volcans islan- être le monde. Quelle est l’essence d’une responsable ainsi fustigée par «  leur  »dais dans les années 1770 et chute de démocratie qui ne peut plus admettre opposition est-elle infondée, utopique,l’Ancien Régime  ; éruption du Tambori des personnes de la société civile  ? Les voire antagoniste ?et fin de l’Empire à Waterloo… Aussi gouvernements et les instances repré- Absolument pas. Bien au contraire, d’ail-dramatique qu’ait été l’anéantissement sentatives sont devenus des systèmes de leurs. Si l’on veut une société figée, ilde Pompéi, cela n’a pas ébranlé l’Empire plus en plus byzantins qui n’arrivent pas suffit de tuer l’invention en réduisant lesromain au faîte de sa puissance. à produire un « choc de simplification ». politiques de recherche (les inventeurs)Jared Diamond et d’autres ont montré Leur survie réside dans la complexifi- et en contraignant les entrepreneurs (lesque les crises qui anéantissent les civi- cation, qui ne peut bénéficier qu’à une innovateurs). À de rares exceptions près,lisations proviennent de leur incapacité caste de plus en plus coupée des réalités les gouvernements successifs depuis troisà repenser ce qui a fait leur succès, et, du monde. Hier, la noblesse de robe sous décennies s’y sont employés  ; et encoresurtout, à comprendre les premiers indi- l’Ancien Régime ; aujourd’hui, l’énarchie récemment à propos du mouvement descateurs de leur effondrement annoncé. et ses métastases. « pigeons » pour défendre les entreprisesTout commence par la détérioration des Les errements du capitalisme financia- ou encore la réaction des chercheurs pourfacteurs de l’environnement : sécheresse, risé ont fait oublier que les racines de éviter une coupe suicidaire des crédits desalinisation des sols, espèces invasives, l’économie se trouvent dans le champ de recherche. Les exemples les plus drama-déforestation, perte de biodiversité… la philosophie morale, ce qui convoque tiques étant les sociétés antientrepreneu-Alors, ces civilisations recherchent des tous les aspects culturels, psycholo- riales, telles celles qui sont fondées surressources de plus en plus loin sans giques et cognitifs de l’agent économique les idéologies communistes, fascistes outenter de résoudre les problèmes. La (rationnel). Voilà une autre grande ques- fondamentalistes religieuses. C’est cela, ledeuxième phase conduit à des tensions tion de philosophie  : existe-t-il de la cauchemar de Schumpeter. Chaque nou-sociales de plus en plus vives et à une morale dans l’évolution ou dans l’éco- velle période de l’histoire commence parsclérose du système politique avec des nomie ? Une tradition « humaniste » très une nouvelle société portée par un dyna-castes de plus en plus endogamiques et large – aussi bien religieuse que poli- misme scientifique, culturel, entrepre-coupées du reste de la société et de l’en- tique – considère que seules les sociétés neurial et social ; puis arrive le temps desvironnement. Là aussi, c’est un constat humaines peuvent et doivent instaurer politiques de redistribution et de réduc-anthropologique universel, qui touche des règles morales. Pour d’autres, il y a tion des inégalités, mais avec un tauxles populations les plus traditionnelles des fondements moraux dans la nature de redistribution qui finit par réduire lacomme les civilisations, quand les élites comme dans l’économie. Le néolibé- croissance et, à terme, par favoriser lese distancient de la nature à un tel point ralisme n’a rien de moral, même s’il retour des vieux démons. On n’en est pasqu’elles refusent même de se reproduire. affiche clairement que ce n’est pas sa loin. Réduire les inégalités, oui  ; mais àAujourd’hui, les urbanistes ont com- préoccupation. condition de distinguer celle des rentes etpris que la cité moderne ne s’isole plus Ces remarques permettent d’éclairer celles de l’innovation.de la nature et acceptent d’y faire entrer la situation politique actuelle. Commela nature, les biodiversités végétales et dans les théories macroéconomiques, L’homme est devenu un loup pouranimales. C’est un changement total de les entreprises sont les grandes absentes l’homme, il est prédateur et fossoyeur24 Acteurs de l’économie - La Tribune N°132 Octobre 2016

dans des dimensions et avec des armes que les humains avaient cessé PASCAL PICQ Dialoguerqui le menacent d’une «  sixième exter- d’êtreactifs physiquement etmination  ». «  La véritable entreprise intellectuellement ; ils avaient Acteurs de l’économie - La Tribune 25de l’homme est de se réinventer lui- cessé d’être de grands singesmême  », estime Fernando Savater en entrepreneuriaux. Notre époque seriposte à ce spectre. Elle est en e et, cherche un rêve et elle est formidable.complétez-vous, de «  réimaginer l’in- Formidable parce qu’elle est celle deconnu, ce qui signifie réinventer ses rap- tous les possibles. En fait, cette exigenceports à l’autre, aux autres. Et, devrait-on ontologique n’est pas nouvelle, de la Citéconclure, en premier lieu « à soi »… de Dieu de saint Augustin à la noosphèreNotre époque est sans rêve. L’arrivée sur de Teilhard de Chardin. Mais ni l’un nila Lune de quelques cosmonautes, en l’autre n’avaient imaginé une humanité1969, évoquait l’espoir d’un avenir meil- connectée par-delà Dieu. Les conditionsleur pour nos sociétés  ; or, même si les matérialistes sont réunies et il nous resteexploits des missions spatiales, comme tout simplement à bâtir un nouvelcelui de la sonde Rosetta en 2014, ont humanisme.soulevé un magnifique enthousiasme, lajoie est vite retombée sur terre. Les tech-nologies ne sont pas seules porteuses del’avenir, que ce soit pour l’espace ou letranshumanisme. Le monde va connaîtredes bouleversements économiques,politiques et démographiques considé-rables, bien avant la conquête de Mars.Il faut donc revenir «  à soi  », reprendreconfiance dans nos capacités à inventeret à nous adapter. Nous n’avons jamaiseu autant de moyens de nous détruirecomme de refonder l’humanité pourdemain. Une condition nécessaire à cela :écarter le fléau de l’anthropocentrismeet se fonder sur la paléoanthropolo-gie, qui affirme notre unité d’origine etnotre communauté de destin. Là aussi,tout n’est pas à inventer, mais reste àfaire, comme pour l’après COP21. Unevraie réflexion écologique et politiqueà l’échelle de l’humanité est «  la voie  »pour une nouvelle « politique de civilisa-tion » si chère à Edgar Morin.L’entreprise, l’entrepreneuriat, l’innova-tion : un triptyque au service de l’huma-nisation de l’humanité. Y croire est doncpossible ?C’est même un impératif catégoriel pourl’homme. Il n’existe pas de grande entre-prise humaine sans imaginaire collec-tif ; un « grand récit » au sens de MichelSerres. C’est ce supplément d’imaginairequi a fait que seul l’Homo sapiens est par-venu à coloniser tous les écosystèmesde la terre. Chaque grande période del’histoire de l’humanité est portée parun nouvel imaginaire mêlant les savoirs,les innovations, les techniques et leursreprésentations idéelles, à la fois dansleurs rapports à l’autre et au cosmos  ;autrement dit, à l’évolution. Il faut doncnon seulement y croire mais le mettreen œuvre, au risque d’être frappé par le«  syndrome de la Planète des singes  ».Car la vraie raison qui fait que les grandssinges viennent à supplanter les hommesdans la nouvelle de Pierre Boulle, c’estN°132 Octobre 2016

Dialoguer RUBRIQUE DE NOM ENSEMBLE ECLAIRONS LA NUIT CONTRE LE CANCER26 1100DEJANOV. PERSONNES ONT RELEVÉ2016 LE DEFILYON26 Acteurs de l’économie - La Tribune Inscrivez-vous dès maintenant www.marchedeslumieres.cOm N°132 Octobre 2016

ÉDITORIAL DialoguerOL’ÉDIT RIAL,DENISLAFAYDIEU OU BÊTE SAUVAGE ? Rejet des médiations et désir d’autonomie sont intimement corrélés. Or, comme le démontre Gaspard Koenig (p.130),Tout est-il et tous sommes-nous amené(s) à devenir «  uberi- ce désir atteint une envergure paroxystique. «  La nouvelle sable(s) » ? Uber est une lame de fond qui transperce et bou- génération aborde une autonomie radicale : existentielle. Celle-ci leverse au-delà de la charpente de l’économie ; le phénomène est vertigineuse, et donne raison d’avoir peur. » Et de citer Aristote,imprègne les systèmes de pensée, et ainsi met à l’épreuve l’orga- assénant «  qu’aucun des membres de la Cité ne peut se su renisation de toute la société – société du travail, société politique… à lui-même. A moins d’être un Dieu ou une bête sauvage. » Lajusqu’à la société « humaine ». Quelles peuvent et surtout doivent révolution digitale, support majeur de la logique d’uberisation,en être les limites, celles qui circonscrivent lesdites manifestations brise la « fatalité » qui a longtemps prévalu : « On « appartenait »disruptives à l’acceptable et au soluble socialement, au compatible à : une famille, un parti, une religion, une nation, une entreprise. Onavec les fondamentaux de toute société ? La réponse réside, pour avait la division du travail pour se nourrir, l’armée pour se proté-partie, dans l’issue du combat auquel tout individu est confronté : ger, une divinité pour donner une raison d’être. La génération descelui qui met aux prises ses aspirations et ses besoins d’un côté de digital natives veut faire de l’homme ce Dieu qui n’a besoin queconsommateur individuel, de l’autre de contributeur à la collectivité. de lui-même, qui est à lui-même son propre créateur », poursuit leCar oui, comme l’illustre l’emploi de l’application à l’origine du néo- philosophe, président du think tank Génération libre. Dieu ou bêtelogisme, les intérêts du premier – réactivité, coût réduit, service de sauvage : une alternative qui, particulièrement en cette année dequalité, véhicules confortables – ne croisent guère ceux du second – primaires et à huit mois du scrutin présidentiel, convoque l’avenirdes conditions d’exercice du travail en de nombreux points condam- même de la démocratie. L’aspiration à une autonomie totale pro-nables (lire p.82). Sauf à considérer que le statut d’entrepreneur ou met-elle la disparition de la démocratie représentative ou toutde travailleur indépendant doit devenir l’axe cardinal de la société du au moins sa subordination aux démocraties locale, citoyenne,travail – oubliant ainsi que l’entreprise, le corps social, la collectivité participative ? Les partisans de l’uberisation de la société sont-ilsde travail demeurent un terreau fertile de sociabilisation, d’appren- des visionnaires ou des fossoyeurs ?tissage des compétences, comme le rappelle Pascal Gustin (p.90).Alors, l’uberisation est-elle le champ de tous les possibles ? La « clé » Al’aune de ce seul thème, « formidable » est bien « l’époquede l’accomplissement professionnel et personnel  ? Le «  nirvana  », contemporaine  » ainsi décrite par Pascal Picq (p.4) et quisusceptible de libérer l’esprit d’entreprendre et de déverrouiller une d’ailleurs servira, en substance, de trame commune auxsociété – notamment française – fossilisée ? Ou, plutôt « l’incarnation chantiers, passionnants, qu’Acteurs de l’économie - La Tribune,d’un capitalisme de prédation » – à l’aune des 3,5 millions d’emplois produit cet automne : publication des ouvrages Une époqueappelés à disparaître, d’une chaîne de valeurs davantage anéan- formidable et Révolution[s] réunis sous la bannière Tout Hommetie que créée, d’une survalorisation et d’une spéculation boursières est une merveille – une somme exceptionnelle de 600 pages,irrationnelles, d’une masse salariale étranglée par l’automatisation, préfacée par Edgar Morin et Pierre Rabhi, pour penser, créer,comme le juge l’universitaire Bruno Teboul ? décider, entreprendre autrement, p.100 – ; colloques les 9 et 21 novembre au CNAM à Paris (p.118) puis au Théâtre des Céles-Parmi les innombrables enjeux soulevés par le phénomène, deux tins à Lyon (p.30), première édition des Innowards à Annecy (27 notamment méritent d’être explorés  : le rejet des médiations octobre, p.88)… Oui, l’époque est formidable, car elle est celle de et le désir d’autonomie. La volonté de «  désintermédier  » – tous les possibles – y compris les plus mortifères – et ainsi sommequi dans l’entreprise questionne, outre le management, le modèle chaque individu de se positionner parmi eux, c’est-à-dire d’en-d’ensemble, comme en témoigne la mutation que Toupargel a l’obli- gager un processus intérieur de transformation pour être acteurgation d’engager (p.42) – résulte sans doute, d’une perception en de la transformation – de la société, du travail, de la politique,partie fondée que l’essou lement voire l’incompétence des intermé- du monde, etc… L’uberisation incarne bel et bien un phénomènediations entravent l’accomplissement de soi. Pour seul exemple, sont- appelé à métamorphoser la société  : la transition de l’individuils nombreux les salariés qui font encore davantage confiance aux vers l’autonomie. Pour le pire – l’aveugle réalisation de soi-parsyndicats qu’à eux-mêmes pour défendre un intérêt « responsable », soi-pour soi – mais aussi pour le meilleur, si « l’individu individué »c’est-à-dire équilibré entre le leur et celui de l’entreprise ? Certes. cher à la philosophe Cynthia Fleury inscrit son cheminement versMais sait-on bien l’influence, capitale, que les strates d’intermédia- ladite autonomie et l’émancipation – condition indispensable àtions exercent au sein de la société pour fluidifier, éclairer, (re)vitaliser l’épanouissement de soi – dans l’accomplissement d’autrui, selonle « lien », pour sanctuariser le bien commun et stimuler le faire-en- le vertueux principe de réciprocité. Mais pour cela, tout autre,semble  ? Réformer le fonctionnement desdites intermédiations, chaque autre doit être considéré. Sans doute est-ce l’applicationnotamment institutionnelles : oui, surtout lorsque leur est consubs- de cette règle qui concentre le plus d’obstacles. Et sa négligencetantielle une somme de contingences et de normes qui sclérosent la voire son mépris par la classe politique qui découragent les élec-liberté de créer et la faculté d’entreprendre. Les éradiquer, non. Peut- teurs de s’approprier la démocratie représentative et s’apprêtentêtre est-ce d’ailleurs dans son travail de sape pour les discréditer au à les précipiter dans les bras du Front national.sein de l’opinion publique qu’hier président et aujourd’hui candidat,Nicolas Sarkozy a aiblit le plus le socle même de la société. Acteurs de l’économie - La Tribune 27 N°132 Octobre 2016

SOMMAIRE Dialoguer EntreprendreN°132 Entrée en matière 3 Toupargel 56 Étienne Klein 4 Un navire dans le brouillard 62 Pascal Picq 27 Bosch 70 “ Il est l’heure de bâtir 32 La fureur de (sur)vivre 78 un nouvel humanisme ” 36 Yves Bontaz 79 Éditorial 38 No limit L’actualité en images 40 Le « Michelin » L’initiative de Maxime Montastier 41 Tous au stade Lu sur acteursdeleconomie.com Bienvenue dans Chroniques la « Swisslicon Valley » Tribune Patrice Maniglier Chroniques Tribune François GarçonActeurs de l’économie est publié par RH Editions (capital 221 640 euros). - 51 avenue Jean Jaurès, - 69007 Lyon - Tél. 04 72 18 09 18 - Fax 04 72 18 09 21 - [email protected] - acteursdeleconomie.compremièrelettreprénom.nom @acteursdeleconomie.com - Directeur de la publication et de la rédaction : Denis Lafay - Directeur général délégué : Valérie Asti - Rédacteur en chef adjoint : Romain Charbonnier - Journalistes : DidierBert, Stéphanie Borg, Geneviève Colonna d’Istria, Maïté Darnault/We Report, Marie-Annick Depagneux, Dominique-Myriam Dornier, Nelly Gabriel, Maxime Hanssen, Karen Latour, Marie Lyan, SamuelMaïon-Fontana - Secrétariat de rédaction : Nicolas Rousseau - Photographes : Laurent Cerino, Hamilton - Dessinateurs : Kanellos Cob, Poppyatwork, Vic - Maquette : Marie-Anne Joly - Conférences-Débats : StevenDolbeau - Responsable webmarketing & communication : Eric Fossoul - Comptabilité : Sonia Girard - Abonnements - Publicité : Anaïs Jeantet, Razala Oulka - Impression : Courand, 82 route de Crémieu, 38230 Tignieu-Jameyzieu- N° de CPPAP : 0320K89381 ISSN 1620-6096 - Dépôt légal : 3ème trimestre 2016 - 5 n°/an Vous souhaitez optimiser votre patrimoine, préparer des projets ou développer votre activité. Retrouvez-nous dans À la Banque Rhône-Alpes, vous disposez d’un conseiller dédié et d’experts pour vous l’une de nos 80 agences accompagner. Connectez-vous sur Banque Rhône-Alpes - S.A. à Directoire et Conseil de Surveillance au capital de EUR 12 562 800 - SIREN 057 502 270 - RCS Grenoble - Siège Social : 20 et 22, bd Edouard Rey www.banque-rhone-alpes.fr BP 77 - 38041 Grenoble Cedex 9 - Siège Central : 235, Cours Lafayette - 69451 Lyon Cedex 06 - Société de courtage d’assurances immatriculée à l’ORIAS sous le N° 07 023 988. N°1123/028/2O01c6to0b8:r4e1:124016 Acteurs Eco 200x45.indd 128 Acteurs de l’économie - La Tribune

Respirer ComprendreInventerLe rêve de Jerry Nieuviarts, l’artiste 93 119Hervé Le Bras Travail d’intérêt général 120Demain, Peine de sens 94 126tout et tous uberisables ? Esker Coup de crayon sur… 130Chroniques 81 Liberté, égalité, agilitéTribune Valérie Peugeot Réglementation 102 La brasserie Georges 82 À double tranchant La Rumeur libre 90 Chroniques 91 Tribune Delphine Boesel 110 L’exigence des mots 116 Le grand Viking du Barroux 117 Tribune Gaspard Koeniggrisques & assurances due diligence - appel d’offres d’assurancesmanagement de la continuité de la chaine d’approvisionnementsmanagement de la continuité d’activitésKonseï78 rue de l’Ancienne Caserne 69250 Montanay - 04 78 32 33 28 [email protected] rue de la Butte 25000 Besançon - 03 81 51 02 01sarl au capital de 100 000 € - 510 347 073 RCS LYON - 12 065 484 ORiAS - 82 69 13185 69 DiRECCTE - NAF 7022Z - www.konsei.frN°132 Octobre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 29

Dialoguer RUBRIQUE DE NOM FORUM « UNEPartenaires Partenaires médias N°132 Octobre 2016* Signature provisoire : le nom de la Région sera3fi0xé pAacrtdeéucrrest deneCl’oéncseoinl do'Emtaitea-vaLnat Tribune le 1er octobre 2016, après avis du Conseil Régional.

RUBRIQUE DE NOM DialoguerÉPOQUE FORMIDABLE » DÉBATS, DIALOGUES, MASTERCLASSES… THÉÂTRE DES CÉLESTINS LUNDI 21 NOVEMBRE À Lyon de 9 à 19 heures ©poppyatwork AVEC PIERRE RABHI CÉDRIC VILLANI MICHEL TROISGROS ÉRIC DUPOND-MORETTI MARIE TRELLU-KANE AZOUZ BEGAG PASCAL PICQ JEAN VIARD JEAN-PAUL DELEVOYE LÉNA GEITNER KARIM MAHMOUD-VINTAM DANIEL KAWKA AXEL KAHN… Entrée libre sur inscription : acteursdeleconomie.comN°132 Octobre 2016 #acteurslive Acteurs de l’économie - La Tribune 31

Dialoguer L’ACTUALITÉ EN IMAGES12 © David Duchon-Doris 1LYON Attentats et morosité © Laurent Cerino économique oblige, 32 Acteurs de l’économie - La Tribune la fréquentation de nombre d’établissements culturels est en berne. Celle de l’Orchestre national de Lyon connait, elle, une progression significative : au 15 septembre, le nombre d’abonnements avait crû de 14 % (13 500 contre 11 800 en septembre 2015). Quant à la fréquentation d’ensemble, à la même date 45,6 % des 250 000 places « à vendre » avaient trouvé preneur, contre 41,2 % un an plus tôt. 2LYON La capitale des Gaules désignée meilleure destination européenne de week-end lors des World Travel Awards 2016 (les oscars du tourisme). Avec ses 5,5 millions de visiteurs annuels, Lyon a ainsi raflé le trophée devant Paris, Londres ou encore Berlin. Le jury composé d’internautes et d’agents de voyages et professionnels du tourisme du monde entier avait consacré l’an passé Genève. N°132 Octobre 2016

[ COMMUNIQUÉ ] GROUPAMA RHÔNE-ALPERUSBRAIQUUE DEVNOEM RDiaGlogNuerE Vous êtes ici, on assure ici. Assureur majeur de la région, des particuliers et des entreprises, 1er assureur des collectivités et 1er assureur agricole, Groupama Rhône-Alpes Auvergne participe signi cativement au développement économique de sa région en acteur engagé sur ses 12 départements, incontournable sur son territoire.Vous êtes ici, 1 milliard € Vous êtes ici,on s’engage ici de chiffre d’affaires on investit iciGroupama Rhône-Alpes Auvergne réinjecte, chaque 2 000 Avec 3% de croissance par an, Groupama Rhône-Alpesannée, près de 700 millions d’euros dans l’économie Auvergne investit pour être toujours plus présent auxlocale au titre des sinistres, dans les secteurs écono- collaborateurs côtés de ses clients-sociétaires, et leur proposer desmiques de la réparation automobile, du bâtiment, et services toujours plus compétitifs.de la santé. Sa politique d’acteur impliqué dans larégion se traduit aussi par le soutien aux initiatives Avec Groupama Car, l’agence mobile de Groupamaéconomiques, sportives, culturelles et socio-éduca- Rhône-Alpes Auvergne (photo), l’ambition est detives, faisant de Groupama Rhône-Alpes Auvergne, rompre l’isolement et d’aller au-devant des clients etune entreprise ouverte et responsable vis-à-vis de du public.son environnement. 6 500 Groupama Car sillonneVous êtes ici, les routes de Haute élus sur le terrain Savoie et de Haute Loireon vous protège ici et apporte quotidien- 565 000 nement un service deGroupama Rhône-Alpes Auvergne accorde une im- sociétaires proximité.portance majeure à son rôle de préventeur. Précur-seur dans ce domaine, l’entreprise mène chaque Groupama Rhône-Alpes Auvergne a engagé en 2015année de nombreuses actions sur l’ensemble de une vaste ré exion pour accueillir mieux encore sesson territoire et investit 2,2 millions d’euros pour clients sociétaires dans ses 320 agences.des visites de prévention dans les entreprises, lesexploitations agricoles, les commerces et les col-lectivités mais également pour des actions auprèsdes particuliers. 50 000 Avec le concept novateur « Bienvenue chez vous », le client se sent vraiment chez lui en trouvant un conseil entreprises clientes de proximité, ainsi qu’une vraie qualité d’accueil. Ces agences sont équipées pour accueillir les personnes 120 aveugles et malentendantes. Totalement connectées, elles offrent tout le confort pour favoriser l’échange et courtiers optimiser le service. d’assurance partenaires Francis Thomine, Directeur Général Groupama Rhône-Alpes AuvergneGroupama Rhône-Alpes Auvergne - Caisse régionale d’Assurances Mutuelles Agricoles de Rhône-Alpes Auvergne : 50 rue Acteurs de l’économie - La Tribune 33dNe S°a13in2t-COyrc-t6o9b2r5e12L0yo1n6cedex 09 - 779 838 366 RCS Lyon - Emetteur des Certi cats Mutualistes - Entreprise régie parle Code des Assurances et soumise à l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution - 61 rue Taitbout - 75009 Paris.Crédit photo : Bertrand GAUDILLERE - Groupama

Dialoguer L’ACTUALITÉ EN IMAGES 7 3GRENOBLE Dans le secret le plus total, © Le Pal une vingtaine de chercheurs d’Apple travaille à Grenoble depuis une année 8 dans les locaux de Minatec. Désormais, la marque à la pomme vise plus grand puisqu’elle va occuper un espace de 800 m2 en plein cœur de la ville. Elle devrait travailler conjointement avec STMicroelectronics, l’un de ses principaux fournisseurs. 4CLERMONT-FERRAND Un de plus. Clermont-Ferrand a été désignée territoire French Tech dans la catégorie du numérique au service de la mobilité. Elle rejoint la vingtaine d’autres territoires et les 13 métropoles labellisées.34© DR © Pierre Salom+® Aishuu5 © Thierry Vallier 5CHAMBÉRY Maurice Opinel est décédé le 17 août à l’âge de 89 ans. Ancien PDG du fabricant de couteaux, c’est lui qui développa commercialement6 © Laurent Cerino / Acteurs de l’économie la marque à travers le monde en la protégeant juridiquement. Depuis ses débuts, Opinel a vendu 210 millions couteaux et a réalisé un chi re d’a aires 34 Acteurs de l’économie - La Tribune de 20 millions d’euros en 2015. 6LYON Gérard Collomb devrait laisser son fauteuil de maire à son premier vice-président de la Métropole en charge du développement économique, David Kimelfeld, lors des élections municipales de 2020. S’il est à nouveau élu à la présidence de la métropole de Lyon, le sénateur socialiste ne pourra en e et cumuler les deux fonctions. 7ALLIER À la fin du mois de septembre, Le Pal devrait dépasser les 600 000 visiteurs soit deux fois plus que le nombre d’habitants de son département de l’Allier. Avec une fréquentation croissante continue, le parc d’attractions est le premier de la région et le troisième site touristique derrière la Mer de Glace et l’Aiguille du midi. 8LYON Les navettes sans chau eur Navly investissent le quartier de la Confluence. Électriques, et d’une longueur de quatre mètres, elles peuvent transporter jusqu’à 15 personnes sur un parcours long de 1,3 kilomètre. Derrière ce projet expérimental d’un an, deux acteurs du transport : Keolis et Navya. N°132 Octobre 2016

L’ACTUALITÉ EN IMAGES DialoguerSILEX1& SILEX2CRÉATEURSDE BIEN ÊTREPOUR UNE VIEACTIVE - www.saentys.com Crédit photo : Asylum / Conception-création : DÉCOUVREZ DÈS MAINTENANT Acteurs de l’économie - La Tribune 35 NOS NOUVEAUX PROGRAMMES PREMIUM SILEX1 & SILEX2 AU CŒUR DE LYON PART DIEU SUR FONCIEREDESREGIONS.FR Imaginer et concevoir des immeubles tertiaires multi-services, générateurs d’activité, de connectivité et d’innovation… Chez Foncière des Régions c’est, depuis toujours, notre raison d’être.N°132 Octobre 2016

Dialoguer L’INITIATIVE Né dans une famille de militaires, c’est donc assez naturellement que Maxime Montastier fait ses premières armes en uniforme. Six années passées entre Metz, Paris, Mont- de-Marsan et Lyon, dans le rensei- gnement de l’armée de l’air, après un double cursus en sciences politiques et en musicologie. Au demeurant, un parcours loin du monde de l’entre- prise, qui lui apportera néanmoins « rigueur » et « méthodologie ». En parallèle, le jeune homme se pas- sionne pour l’informatique, du moins, pour l’assemblage d’ordinateurs. Au point, d’avoir le (dé)clic et d’en faire son métier, en lançant son entreprise. Mais, parce qu’il est engagé au sein de la grande muette, l’idée restera longtemps dans un carton. «  Je l’ai rouvert en 2014, lorsque j’en suis parti, après une expérience dans le privé », raconte-t-il. Son idée prend corps  : lutter contre l’obsolescence pro- grammée des ordinateurs. Maxime Montastier en a donc fait une acti- vité, plus, un combat. Il l’a découverte en étudiant l’ensemble des compo- sants informatiques. Mis bout à bout, ceux-ci ralentissent la machine, obli- geant souvent l’utilisateur à en ache- ter une autre, et donc à consommer toujours plus. Avec ses associés, ils créent la société MCarré et assurent doubler la vie des ordinateurs. « Nous sécurisons un maximum les PC, sup- primons les fonctions inutiles et orientons les performances vers ce qui est important pour l’utilisateur.  » Et l’entrepreneur de reconnaître : « Il faut sans cesse se poser des ques- tions. C’est exaltant ! » Une leçon, une nouvelle fois apprise à l’école du ren- seignement. RC Retrouvez Maxime Montastier dans l’émission Start’Up Co, proposée par TLM-Télé Lyon Métropole et Acteurs de l’économie-La Tribune, chaque 2e et 4e vendredi du mois.© Laurent Cerino / Acteurs de l’économie MAXIME MONTASTIER, L´ÉCLAIREUR 36 Acteurs de l’économie - La Tribune N°132 Octobre 2016

En harmonie avec votre vie

Dialoguer LU SUR ACTEURSDELECONOMIE.COM« Nous avons un projet commun : celui de faire de la France,la vitrine du dynamisme économique et de l'innovation »Pourquoi il faut rapprocher grands groupes et startupsYann Guiomar, fondateur de Sensing-Labs, 31 août « POUR LES PAYS D'AFRIQUE, LE PRINCIPE EST « D'INNOVER MIEUX AVEC MOINS », C'EST-À-DIRE DE MISER SUR UNE INNOVATION FRUGALE. UNE DÉMARCHE QUI RÉPOND À UN BESOIN TOUT EN UTILISANT LE MOINS DE MOYENS POSSIBLE »« LA MOBILITÉ DES TALENTS Afrique : des opportunités pour la technologie IT françaiseEST UNE OPPORTUNITÉ Pierre Schaller, directeur général délégué de Cloud Temple, 2 septembrePOUR LA FRANCE »Interview « Ma conviction profonde est d'a rmer que l'industrieEric Matarasso, constitue la locomotive de l'activité économiquedirecteur associé de l'agence en termes d'innovation et d'exportation »4ventsgroup, 5 juillet Interview Patrick Martin, président du Medef Auvergne Rhône-Alpes, 13 juillet« CONFRONTÉS À LU SUR « La résignation n'a pas deDES DIFFICULTÉS ACTEURSDELECONOMIE.COM place. Il s'agit d'entrer enSTRICTEMENT SIMILAIRES, résistance au sens de créerLES ARTISANS ET de nouvelles alternativesENTREPRISES DU BÂTIMENT pour ne point sombrer dansNE COMPRENDRAIENT PAS un fatalisme mortifère ouQU'IL Y AIT AINSI « DEUX dans une peur destructricePOIDS, DEUX MESURES » de sens ; la bête immondeS'AGISSANT DE LA MISE EN doit être vaincue pour queŒUVRE DU COMPTE, les valeurs d'humanité neEXONÉRANT LE SECTEUR soient pas humiliées »PUBLIC, MAIS OBLIGEANTLE SECTEUR PRIVÉ » Pour gagner la paix Bernard Devert,Compte pénibilité : fondateur d’Habitat et Humanisme,un « conte » si pénible 2 aoûtSylvain Fornès, présidentde la Capeb Rhône,5 juillet« NOUS FERONS D'AUTRES ACQUISITIONS EN FRANCE ET EN EUROPE. C'EST UN AXE STRATÉGIQUEPOUR EBRO FOODS. NOUS SOMMES PERSUADÉS QUE NOTRE MANIÈRE DE NOUS ALIMENTERVA CHANGER RADICALEMENT VERS DES PRODUITS PLUS SAINS ET PLUS NATURELS »InterviewXavier Riescher, directeur général de Panzani, 1er septembre« L'arrivée des GAFA sur le marché français est une nouvelle exceptionnelle pourles recruteurs du digital : ils les poussent, par le challenge, à aller vers l'océan bleuet leur ouvrent les plus belles perspectives »PME françaises : comment recruter face aux GAFA ?Jean-Marie Caillaud, talent acquisition manager chez IPPON Technologies, 20 juillet« NOUS SOMMES TRANSPARENTS ET LIMPIDES. MAIS, BIEN SÛR, NOUS NE SOMMES PAS ADOUBÉS PAR L'ÉCOLEDE LA MAGISTRATURE. IL Y A TOUJOURS CE SOUPÇON DE CONFUSION DES INTÉRÊTS À NOTRE ENDROIT. OR ÀLYON, NOUS SOMMES TRÈS VIGILANTS SUR CE POINT LORS DES RECRUTEMENTS DES JUGES DU COMMERCE »InterviewMichel Thomas, président du tribunal de commerce de Lyon, 6 septembre38 Acteurs de l’économie - La Tribune N°132 Octobre 2016

RUBRIQUE DE NOM Dialoguer LIKE TON PROJET : PREMIÈRE ÉDITION RÉUSSIE !En mai 2016, le Crédit agricole Centre-est lançait la première édition de Like tonprojet, un concours pour les porteurs de projet de création d’entreprise.A la clé pour le gagnant, un prêt d’honneur de 15 000 € à 0 %, des parts sociales, etun accompagnement personnalisé de la Banque pour développer son projet.Après sélection par un jury des 3 meilleurs dossiers, sur des critères de viabilité, dematurité et d’originalité, les internautes ont désigné les vainqueurs :Alexandre Boulmé et Lorraine Alamartine, créateurs de l’application SameSame.Ce traducteur visuel pour voyageur, permet en montrant des images, de se fairecomprendre partout dans le monde. Une aide précieuse pour communiquer avec leslocaux. « Aujourd’hui nous sommes sur une application simple, explique Alexandre. Or nous avons une attente des utilisateurs pour évoluer vers des conversations plus complexes. Ces 15 000 € sont plus qu’un coup de pouce, ils vont nous permettre de solliciter des acteurs qui pourront nous faire bénéficier de leur technologie et rendre l’appli encore plus intelligente ! »Début juillet, Pascal Desamais, administrateur au Crédit agricole Avec 47 dossiers en lice, cette premièreCentre-est a récompensé Lorraine Alamartine et Alexandre Boulmé, les lauréats. édition de Like ton projet a tenu toutes ses promesses. Nul doute qu’elle sera renouvelée !Découvrez l’appli SameSame en flashant ce tagN°132 Octobre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 39

Dialoguer CHRONIQUESREVENUS FONCIERS : DÉDUIRE LES INTÉRÊTSD’EMPRUNT après une renégociation de prêt ? Olivier Morin, le contexte actuel de baisse des taux, de nombreux d’emprunt. Elle considère donc que, « globalement », les Responsable emprunteurs renégocient le taux et la durée de leur crédit intérêts admis en déduction ne devront pas excéder ceux du service gestion privée, immobilier. Un nouvel emprunt se substitue donc à l’an- qui figuraient sur l’échéancier du premier emprunt. Banque Populaire des Alpes cien. La question s’est posée de savoir si les intérêts de Cette position n’est pas conforme à la jurisprudence du ce nouvel emprunt étaient déductibles. En effet, son objet Conseil d’État qui ne pose pas de limite de déductibi-Le Code général des impôts prévoit expressé- n’est pas d’acquérir un bien immobilier, mais de rembour- lité. Cependant, dans le contexte financier actuel, cette ment que lorsqu’un contribuable a contracté un ser un autre emprunt. Le Conseil d’État a adopté condition sera presque toujours respectée, l’objectif des emprunt pour acheter un bien immobilier donné une position très favorable aux contribuables. Il emprunteurs étant de réduire le montant des intérêts en location non meublée, il pourra déduire les a autorisé la déduction des intérêts à condition d’emprunt ! En complément, la question de la déductibilité intérêts d’emprunt de ses revenus fonciers. Dans que le nouvel emprunt se situe dans la conti- des frais générés par la souscription d’un nouvel emprunt nuité de l’emprunt précédent et qu’il ait le même a généré d’importantes discussions. objet. Par ailleurs, le nouvel emprunt doit être intégrale- L’administration a donc détaillé avec précision la liste des ment et immédiatement consacré au remboursement de frais déductibles. Les frais liés à la souscription du nouvel l’emprunt initial. Pour l’administration fiscale(1), la condition emprunt seront généralement déductibles. Ainsi, seront liée à la continuité est remplie lorsque le nouvel emprunt déductibles les frais de dossier de la banque ou les frais mentionne expressément le remboursement de l’ancien. liés aux prises de garantie (inscriptions hypothécaires, par des versements définitivement acquis à une société Déductibilité de caution mutuelle). Autre exemple, seront déductibles L’administration demande également aux contribuables les dépenses liées à la résiliation anticipée de l’emprunt de préciser, dans leur déclaration de revenus fonciers, à (notamment les intérêts de remboursement anticipé), sous quel prêt le nouveau se substitue. Enfin, l’administration réserve pour l’administration que la renégociation ait per- fiscale considère que la renégociation d’un crédit immobi- mis de diminuer le montant global des frais et intérêts. lier ne doit pas permettre de déduire davantage d’intérêts (1) BOI-RFPI-BASE-20-80 12-09-2012RÉFORME DU CODE CIVIL : le piègedu renouvellement par tacite reconductionLa réforme du Code civil (ordonnance du 10 février 2016), Sophie Déchelette-Roy donc être écartées si les parties le souhaitent. Mais pour le © DR qui modifie notamment le droit des contrats, sera appli- et Stéphane Vital-Durand, contrat renouvelé tacitement, aucun document ne viendra écar- cable à compter du 1er octobre 2016. Par conséquent, à Avocats associés Colbert Avocats ter l’application de ces nouvelles dispositions. compter de cette date, leur rédaction devra prendre en compte ces nouvelles règles, soit pour les appliquer, soit dénoncé le contrat pour empêcher la reconduction. Rien ne vient Renégociation pour écarter celles qui ne sont pas impératives. alors alerter les parties au contrat sur le fait que l’équilibre initial Dans le cas d’un contrat de fourniture, visant à assurer un appro- Mais que se passe-t-il pour les contrats conclus avant cette de leurs relations peut être modifié, à leur insu, par l’entrée en visionnement de longue durée, un changement de circonstances date et qui sont encore en application au 1er octobre ? Rien ou application de la réforme à leur contrat tacitement renouvelé. pourrait être constitué par une augmentation forte et imprévisible presque rien : ces contrats restent régis par la loi « ancienne », L’une des parties peut d’ailleurs avoir intérêt à ce qu’il en soit du coût d’une matière première. En l’absence de clause par- telle qu’elle était avant la réforme et ce, jusqu’à leur échéance. ainsi, au détriment de l’autre partie. À titre d’exemple, la réforme ticulière, sous la loi ancienne, ce risque était supporté par le Ils se poursuivent donc jusqu’à leur terme sans être impactés par a introduit la prise en compte, dans les contrats, de l’imprévision fournisseur qui devait assumer la charge de l’augmentation du la réforme, ce qui peut durer plusieurs années. De même, les (art. 1196) qui est possibilité de remettre en cause le contrat du coût des matières premières et continuer à livrer le client au prix contrats à durée indéterminée conclus avant le 1er octobre se seul fait d’une évolution de l’environnement, notamment écono- initialement convenu. Le client, pour sa part, avait la garantie de poursuivent, sous le régime du droit des contrats avant réforme, mique. Les dispositions de cet article sont supplétives et peuvent pouvoir s’approvisionner au prix indiqué au contrat, quelle que jusqu’à leur résiliation qui peut être très lointaine. Ces contrats soit l’évolution du coût des matières premières. vont ainsi constituer une survivance de la loi ancienne En cas de reconduction d’un tel contrat après le 1er octobre, qui va coexister avec la loi nouvelle. cet équilibre sera renversé au détriment du client et au profit du Et en cas de renouvellement (ou reconduction) ? La loi nou- fournisseur, ce dernier pouvant demander une renégociation velle est immédiatement applicable au contrat renouvelé. Si le du contrat pour tenir compte de l’augmentation du cours de renouvellement fait l’objet d’un avenant, les parties seront avi- matières premières. Le client perd ainsi, à compter de la recon- sées de prévoir, dans cet avenant, les incidences de l’application duction, la sécurité de pourvoir s’approvisionner à un prix défini. de la loi nouvelle. A défaut, les parties se retrouveraient liées Pour que le fournisseur supporte de nouveau le risque d’évolution par un contrat rédigé selon la loi ancienne mais régi, depuis sa du prix des matières premières, il est nécessaire, à compter du reconduction, par la loi nouvelle. Ce risque est particulièrement 1er octobre prochain, de mentionner explicitement dans le contrat fort si son renouvellement s’opère par tacite reconduction, sans que ce risque est supporté par le fournisseur et que les parties aucune action des parties. En effet, la tacite reconduction est conviennent d’écarter les dispositions du nouvel article 1196 du automatique, elle résulte de l’inaction des parties qui n’ont pas Code civil.40 Acteurs de l’économie - La Tribune N°132 Octobre 2016

L’ENTREPRISE TRIBUNE DialoguerEST LA FORMEPAR LAQUELLE Philosopher sur l’entreprise est suspect, et ce pour une raison trèsPASSENT LES simple. L’entreprise est la forme contemporaine de la contrainte, sousIMPÉRATIFS laquelle nous nous trouvons tous. Pour vivre et survivre dans le mondeLES PLUS d’aujourd’hui, vous n’avez pas le choix : vous devez en passer, d’une manièreINTRAITABLES ou d’une autre, par elle. Pour beaucoup, le problème est clair : soit le tra-DE NOTRE vail que vous pouvez fournir intéresse « une entreprise » (fût-elle celle queCONDITION : vous créez), soit vous êtes condamné à la misère et à la marginalité. Et mêmeLA FAIM, ceux qui, comme moi, ne sont pas rémunérés directement par une entreprise,LE BESOIN DE vivent dans un monde où leur vie matérielle dépend du fonctionnement desRECONNAIS- « entreprises ». L’entreprise est donc la loi du monde, la forme par laquelleSANCE, passent les impératifs les plus intraitables de notre condition : la faim, leLA DIGNITÉ besoin de reconnaissance, la dignité minimale.MINIMALE Ce fait crée, pour la pensée, une situation singulière, qu’il ne faut pas traiter à la légère. Nul ne peut parler de l’entreprise librement, comme d’un sujet intéressant parmi d’autres, puisqu’elle est la condition même de notre vie. Nous sommes forcément juges et parties. Ce genre d’objet est pénible à la philosophie, qui aimerait bien imaginer qu’elle est libre de ses objets et même de sa vocation. Un philosophe qui dis- serte avec hauteur et d’un air dégagé de ce sujet, en oubliant de mentionner cette dureté à laquelle la notion même d’entreprise renvoie, est déjà infidèle à sa vocation, l’exigence critique, la vigilance intellectuelle. Il risque de mettre cette liberté qu’est la pensée au service de cette contrainte sous laquelle nous sommes, en faisant comme si l’entreprise était quelque chose au sujet de quoi on peut réfléchir librement, alors qu’elle est d’abord quelque chose qui, de toutes manières, ne se discute pas.L’ENTREPRISE EST LA LOI DU MONDEPatrice Maniglier, EUPHÉMISATION © DRMaître de conférencesen philosophie On y entend l’idée de projet, de projection vers le futur, d’audace, d’aven-et arts du spectacle ture, d’imagination, quelque chose d’épique et de libre. La dimension de sujé-à l’université tion des corps et des esprits y disparaît. Cela est d’autant plus intéressantParis Ouest-Nanterre que l’étymologie ne laisse pourtant aucun doute : « entreprendre » est un terme militaire qui signifie conquérir, contrôler. De fait, « entreprendre »,N°132 Octobre 2016 c’est pour le meilleur et pour le pire : coordonner l’action collective, sou- mettre les volontés (en les achetant) afin de les mettre au service d’un but commun. De même, on ne saurait faire que « l’esprit d’entreprendre », quelle que soit sa réalité, quelle que soit sa vertu, ne fonctionne comme le principal opérateur de justification de l’extraordinaire inégalité du monde contempo- rain. Selon que vous en ayez ou pas, vous serez riche ou misérable, félicité de l’être ou condamné une deuxième fois pour n’avoir pas été capable de le devenir. Mais ceux qui critiquent l’entreprise ne sont pas plus libres que ceux qui y voient la plus haute figure de la liberté humaine. Ce qu’ils en diront sera aussi conditionné par ce fait très simple : quoi que nous en pensions, nous n’avons pas la liberté de la choisir ou de la refuser. Aussi leur discours est-il d’ailleurs souvent animé par le seul sentiment ajusté à une situation de violence, contraint de s’occuper de quelque chose que nous voudrions éli- miner : la haine. Haine ou servilité – il semble que penser l’entreprise soit condamné à une dure alternative. Faut-il donc s’en désintéresser ? Certes non. Il faut juste commencer par définir l’entreprise comme cette contrainte qui limite la liberté même de penser. Cela ne la condamne pas ; cela la situe. Alors nous pouvons entreprendre de penser sérieusement l’entreprise. Car la pensée, aussi, est entreprise. Acteurs de l’économie - La Tribune 41

Entreprendre RUBRIQUE DE NOM TOUPARGEL LE PLAN DE LA DERNIÈRE42 Acteurs de l’économie - La Tribune N°132 Octobre 2016

CHANCE ? RUBRIQUE DE NOM Entreprendre Toupargel réussira-t-il sa mue ? Face à l’érosion de ses ventes et du nombre de ses clients, le fleuron de l’industrie lyonnaise, spécialisé dans la vente de produits surgelés à domicile, tente, par tous les moyens, de renouer avec la croissance. L’ancien numéro 1 du marché refuse d’abdiquer et multiplie les plans d’actions pour recouvrer des résultats positifs. À commencer par son arrivée sur la plateforme Amazon.fr. Le projet stratégique « Engagés Client 2013-2016 », qui vise à reconquérir le marché su ra-t-il à redresser la barre d’un navire qui tangue ? ENQUÊTE, ROMAIN CHARBONNIERN°132 Octobre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 43 © Benoit Decout / Réa

Entreprendre TOUPARGEL« Toupargel de la plateforme. S’il s’avère concluant, © Laurent Cerino / Acteurs de l’économie millions d’euros par an, et annonceraitdevient ce choix pourrait marquer le retour de Toupargel.frd’autres projets. Payant ou non, il est trople premier l’ex-numéro 1 parmi les principaux poids tôt pour s’avancer. Mais, « ils ont au moinsdistributeur lourds du marché. Depuis quelques le mérite de limiter la casse en essayant desde surgelés années, en effet, l’entreprise multiplie choses », poursuit Olivier Dauvers.en France les actions afin de retrouver les marges Un retour à la croissance est donc attenduà proposer qu’elle a connues à son apogée, entre et scruté de près. Les premiers effets sontson o re via 2003 et 2007, notamment. Englué dans déjà perceptibles, puisqu’au 1er semestreune place les difficultés à endiguer la baisse du 2016, le résultat opérationnel courantde marché. » nombre de ses clients et du volume des consolidé ressort à 1,7 million d’eurosEt pas n’importe ventes, Toupargel a multiplié les plans contre -0,4 millions au 30 juin 2015.laquelle d’actions pour sortir la tête du congéla- Alors même que son chiffre d’affairespuisqu’il s’agit teur et donner un élan d’optimisme aux poursuit sa baisse (-4,5 %). Une nouvelled’Amazon.fr. 3 530 salariés. «  Si l’entreprise réussit sa direction a été mise en place à l’été 2013 mue, ce sera véritablement un cas d’école », pour impulser un vent nouveau à l’en-Dans un communiqué de presse en date remarque Olivier Dauvers, expert de la treprise familiale. Son patron Rolanddu 22 juin, l’entreprise lyonnaise de grande distribution et du commerce. Tchénio – s’il reste néanmoins présidentlivraison à domicile de produits surge- L’arrivée sur Amazon.fr figure donc une du conseil d’administration – a laissé lalés a annoncé son arrivée sur la boutique nouvelle tentative, saluée par les spécia- place au tandem formé par Romain Tché-épicerie du géant américain, avec son listes, qui pourrait rapporter plus de deux nio, son neveu, au poste de directeurcatalogue de 1 200 références. Une actua- général, et Jacques-Édouard Charret, à lalité qui, d’emblée, peut surprendre mais ROLAND TCHÉNIO, direction générale déléguée. Leur feuillequi, pourrait finalement constituer un LE BOSS de route  : redresser la barre du navire.choix stratégique et judicieux pour l’ETI «  Un navire qui navigue dans le brouillardfrançaise. Elle va ainsi pouvoir béné- C’est lui qui porte le groupe Toupar- depuis des années », estime Jacky La Sou-ficier d’une visibilité accrue en France gel depuis sa reprise en 1982 et qu'il a dière, délégué syndical Force ouvrière.et à l’international grâce à la puissance développé activement. Et si l’homme Une évolution du modèle a bien été enga- agit en chef d’entreprise aguerri gée et des ajustements déjà réalisés, mais44 Acteurs de l’économie - La Tribune capable de tout pour développer l’en- treprise familiale dont il détient 50,26 % TANIA TCHÉNIO, des parts, il cultive aussi la discrétion. Il LA FILLE n’est présent dans aucune organisation patronale ni institutionnelle. «  Il est un La fille de Roland Tchénio sera-t-elle un peu décalé par rapport au milieu clas- jour la tête de Toupargel ? Son père doit sique », souligne un entrepreneur lyon- sûrement le souhaiter, secrètement. nais. «  Il préfère s’engager autrement Les syndicalistes émettent d’ailleurs pour le territoire  », prévient un autre. cette hypothèse. Depuis seulement un Roland Tchénio, l’une des plus impor- an, elle est entrée dans le cénacle du tantes fortunes de Lyon, apprécie l’art conseil d’administration du spécialiste et le sport. Par le biais d’un fonds de des surgelés en tant qu’administratrice. dotation, Toupargel devient mécène À 30 ans, Tania Tchénio évolue pour- pour la Biennale de Lyon, et participe tant loin des affaires, dans le milieu à l’achat et à la restauration du tableau artistique. Formée à l’art dramatique de Poussin, La Fuite en Égypte. Le à l’école du studio théâtre d’Asnières patron s’engage aussi sur le plan sportif (Hauts-de-Seine), elle poursuit en puisque son entreprise a sponsorisé le parallèle une licence d’arts du spec- Lou Rugby, le Lyon Basket féminin ou tacle à la Sorbonne Nouvelle ainsi encore l’Asvel pour lequel l’intéressé qu’un master à Sciences Po Paris. En s’était investi dans le projet de création 2006, elle a créé la compagnie Du Pain d’une nouvelle salle. sur les planches. Prémonitoire ? N°132 Octobre 2016

TOUPARGEL Entreprendreils n’ont pas réussi, pour le moment, à TOUPARGEL NUMÉRO 1 aujourd’hui dans 35 000 communes.inverser (significativement) la tendance. Avec ses 3 530 salariés, sa base d’un Ce modèle gagnant fait le succès et« La cible et le modèle économique de Tou- million de clients et un chiffre d’affaires la richesse de l’entreprise – et de sonpargel étant particuliers, il est difficile de se de 308,7 millions d’euros pour l’année patron – durant des années. Une réus-diversifier et de se digitaliser  », commente 2015, le groupe Toupargel est un fleuron site reposant aussi sur une stratégie deYves Marin, consultant en consomma- de l’industrie lyonnaise, souvent cité en développement par croissance externetion et directeur du cabinet Wavestone. exemple, mais un fleuron aujourd’hui et organique. Le PDG multiplie ainsi lesPourtant, malgré un chiffre d’affaires vacillant. L’aventure entrepreneuriale acquisitions, jusqu’à une cinquantaine àen baisse (- 20 % entre 2006 et 2015), du spécialiste de la vente de produits ce jour – la dernière en 2014, avec Eis-l’entreprise arrive toujours à dégager un surgelés à domicile a pris son envol en mann et ses 120 000 clients, implantéerésultat net excédentaire, cependant lui 1982, année au cours de laquelle Roland dans le quart nord-est de la France –, afinaussi en recul, passant de 13 millions Tchénio qui, après avoir occupé plu- d’augmenter son fichier clients et asseoird’euros en 2010 à trois millions cinq ans sieurs postes de directeur dans l’indus- son emprise nationale sur le marché desplus tard. Néanmoins, Toupargel réussit trie, reprend l’affaire régionale, créée en surgelés. De l’ambition pour son entre-à maintenir sa part de marché à 35 % et à 1947 et qui « réalisait huit millions d’euros prise, Roland Tchénio en a revendre. Ilaugmenter le panier moyen et ses ventes de chiffre d’affaires avec 70 personnes  », se souvient d’ailleurs de ses mots pro-par internet (+ 17 % au 1er semestre 2016). précise-t-il. Visionnaire et homme de noncés et retranscrits dans le journalSon avenir interroge alors, inquiète chiffres, il fait rapidement le choix, un interne daté de 1989 : « Devenir le numéromême. Comment le groupe lyonnais an plus tard, de transformer le modèle 1 français. » Il y parviendra 14 ans pluspeut-il retrouver des résultats positifs et historique – reposant sur la vente de tard lorsqu’il fera le plus gros «  coup  »stopper son recul  ? Sur quel(s) levier(s) produits surgelés par camion-magasin de l’histoire de Toupargel (114 millionspeut-il s’appuyer ? Comment peut-il cap- – par la prise de commande par télé- d’euros de chiffre d’affaires à l’époque)ter une clientèle nouvelle ? Le projet stra- phone suivie de la livraison à domicile, en s’offrant Frigédoc, propriétaire de latégique «  Engagés Client 2013-2016  », marque Agrigel, alors numéro 1 du mar-qui vise à reconquérir le marché, porte- ché des surgelés, dont le chiffre d’affairesra-t-il ses fruits ? s’élevait à 240 millions d’euros. Une opé- ration rendue possible grâce à la levée deToupargel.fr Toupargel.fr Toupargel.fr ROMAIN TCHÉNIO,MAURICE TCHÉNIO, LE NEVEU JACQUES-ÉDOUARDLE FRÈRE CHARRET, L’EXPERT Di cile pour Romain Tchénio, fils deHomme discret qui agit dans l’ombre, Maurice Tchénio, frère du PDG de L’ancien numéro 2 du groupe Casino,Maurice Tchénio fait partie de l’aven- Toupargel et co-fondateur du fonds après un passage chez Quick, enture Toupargel depuis l’origine, en 1982. d’investissement Apax partners, de se connaît un rayon en matière de grandeL’aîné de la famille Tchénio, 73 ans, a faire accepter d’une partie des sala- distribution. Arrivé chez Toupargel avecsuivi un parcours à HEC puis un MBA à riés. Depuis sa nomination en 2013 son réseau, Jacques-Édouard CharretHarvard avant que son frère ne l’imite, au poste de co-directeur auprès de occupe les directions fonctionnelles,quelques années plus tard. Homme Jacques-Édouard Charret, l’homme est autrement dit les directions financière,d’a aires, il évolue dans le milieu de en charge des activités commerciales, marketing, RH ou encore logistique. « Illa finance en cofondant en 1972, aux du développement et du e-commerce. a les moyens de faire grandir l’entre-côtés d’un Américain et d’un Britan- Malmené par les représentants syndi- prise », lui reconnaît un acteur écono-nique, Apax Partners, une société de caux qui le critiquent ouvertement sur mique lyonnais. Un poste stratégiqueprivate equity dont il a laissé les com- «  son manque de dialogue contrai- pour le groupe si bien que l’homme,mandes en 2011. Il s’est engagé, depuis rement à Roland Tchénio et Jacques- aussi bien respecté pour son pro-2010, dans la fondation reconnue Édouard Charret  », ce quadragénaire, fessionnalisme que pour ses qualitésd’utilité publique, AlphaOmega, dont formé à l’ESCP et passé par la société humaines, est actionnaire du groupe àla vocation est «  d’aider les enfants et d’audit PWC, connaît bien l’entreprise hauteur de 1,94 %. «  Il se bat vraimentles jeunes défavorisés à accéder dura- de son oncle puisqu’il y est entré en pour que l’entreprise renoue avec lablement à l’autonomie financière, par 2004 et a gravi les échelons. «  Nous croissance », vente Jacky La Sourdière,l’éducation et l’emploi ». pensions d’ailleurs qu’il allait reprendre de FO. l’entreprise, mais cela n’a pas été leN°132 Octobre 2016 cas  », remarque Thierry Cupif, délégué Acteurs de l’économie - La Tribune 45 CGT.

Entreprendre TOUPARGELfonds réussie lors de son introduction en des clients communs. De facto, dès la mise à acteursdeleconomie.latribune.fr, PierreBourse au second marché en 1997 et à en place d'un catalogue unique Toupargel- Novarina, directeur financier du groupe,la trésorerie accumulée depuis le début Agrigel nous avons perdu une partie de précisait faire de «  la digitalisation lade l’aventure. « Tout le monde était sur les ces clients  », justifie Roland Tchénio. La priorité et l’objectif principal à terme ». Unrangs pour ce rachat, souligne le dirigeant. crise économique et la concurrence ont objectif intégré au plan « Engagés ClientEn appliquant notre modèle, je mesurais le aussi joué leur rôle. «  La digestion de la 2013-2016 », plan d’action à trois ans quipotentiel de ce que nous pouvions réaliser. » fusion a pris du temps, observe Éric Toule- doit permettre à Toupargel de redresserAvec cette opération, Toupargel parvient monde, conseiller financier et fondateur la tendance et « de stabiliser le chiffre d’af-à mailler l’ensemble du territoire (hors du cabinet EkaPartners. Toupargel est, faires en 2016  ». Il repose sur six piliersParis intra-muros). «  Nous avons fait depuis cette fusion, condamné à une muta- dont l’amélioration de la performanceprogresser le chiffre d’affaires, amélioré la tion permanente, dans le secteur difficile et commerciale, le renforcement de l’offremarge brute, réduit les coûts et remboursé concurrentiel de la grande consommation. » produits, l’optimisation de l’organisationdes prêts. Nous avons réalisé jusqu’à plus de Envolée des pureplayers, développement et l’évolution vers le digital. L’objectif379 millions d’euros de chiffre d’affaires, avec des drives, percée de la grande distribu- vise à capter de nouveaux clients, appar-un résultat net de 24 millions. Nous étions tion, mais aussi ouverture de boutiques tenant à la tranche des 40-50 ans, vivantalors numéro 1  », poursuit-il, non sans en ligne, évolution du comportement en milieu urbain. Car Toupargel échoueune certaine fierté. Pendant des années, des consommateurs  : ces dix dernières encore à recruter de nouveaux consom-le groupe conforte sa position et engrange années, le marché du surgelé a fortement mateurs, alors même que le panier moyenune substantielle rentabilité. Sa valorisa- évolué. Et ce n’est pas son savoir-faire «  augmente  » à nouveau – il s’affiche àtion est un temps estimée à 450 millions dans la livraison et le service client pro- 50 euros environ. Pire, il en perd chaqued’euros – contre 50 actuellement. Mais posé qui pourront stopper la baisse des année (165 000 sur la seule année 2013,dans le même temps, la concurrence s’or- ventes de Toupargel, qui reste néanmoins par exemple). «  Malheureusement, pourganise et s’avèrera impitoyable. leader sur son créneau de la livraison dix nouveaux, douze nous quittent », avance à domicile, devant Thiriet et Maximo. Laurent Toledo, délégué CFDT. Avec une2007, LE DÉBUT DE LA FIN « La stratégie de rachat était quelque chose incidence sur le volume des ventes. IlPicard, dont le modèle repose sur des d’énorme à l’époque. Imaginez  : le numéro y a encore six ans, 30 000 commandespoints de vente en milieu urbain et bien- 2 qui rachète le numéro 1 !, se souvient un étaient enregistrées quotidiennement,tôt en franchises, accélère son dévelop- ancien cadre du groupe. Cette transaction pour tomber à 24 000 aujourd’hui. Unepement et fait le choix de développer a pu faire grandir rapidement la société, avec présence sur Amazon.fr et la stratégieactivement les produits et le marketing. un portefeuille global de 800 000 clients digitale vont dans le sens de la recon-En l’espace de quelques années, l’en- répartis sur le territoire. Seulement, ensuite, quête, mais le groupe entend égalementseigne grappille des parts de marché nous n’avons pas mûri de réflexion sur la ne pas oublier sa clientèle historique,jusqu’à devenir la référence des surgelés. façon de vendre davantage. Certes, Agrigel composée de personnes âgées, résidant« Picard a réussi son pari, en misant sur une s’est adapté à un modèle rentable. Néan- en milieu rural. «  Notre cœur de cible  »,stratégie redoutable, portant à la fois sur le moins, nous aurions sans doute dû changer soutient Pierre Novarina. «  Longtemps,marketing et le produit. Ils sont parvenus à de stratégie et mieux évaluer la concurrence, nous avons entendu que Toupargel allaitpersuader les consommateurs qu’une quiche à commencer par celle de Picard. » mourir avec ses clients âgés. Pourtant, deslorraine Picard diffère de celle vendue par seniors, il y en aura toujours et leur pouvoirCarrefour », souligne Olivier Dauvers. De CAPTER DE NOUVEAUX CLIENTS d’achat est globalement élevé. Seulement,son côté, Toupargel poursuit son activité, Dans ces conditions, la direction de les nouveaux seniors n’ont pas les mêmescroit en la diversification, avec la mise en Toupargel a-t-elle négligé la concur- habitudes. Ils ne commandent plus, ou alorsplace d’un rayon frais et épicerie, « Place rence  ? A-t-elle réagi trop tardivement moins, sur catalogue papier, mais davantagedu marché » – qui ne sera pourtant jamais aux évolutions du marché  ? Certains sur internet  », analyse Olivier Dauvers.rentable au grand dam de son PDG – et le pensent. «  Nous ne nous sommes pas Une clientèle plus exigeante, en demandeune marque en propre. L’ETI continue de assez rapidement adaptés à internet. Nous d’une évolution du service et de produitsfaire la course en tête. Jusqu’à cette fin aurions dû lancer une vraie stratégie de de qualité. Un autre créneau sur lequeld'année 2006, date à laquelle Toupargel vente en ligne », commente l’ancien cadre Toupargel a renforcé son positionnement.et Agrigel deviennent une seule et même du groupe, rejoint par les syndicalistes. Avec sa marque, l’entreprise s’est lancée àenseigne, et à partir de laquelle les pre- Lancé en 2010, le site marchand de l’assaut des produits innovants, gastrono-miers signes d’érosion du chiffre d’af- l’entreprise représente 6 % des ventes, miques, de plaisir, de bien-être, qui ontfaires se ressentent. « Cette fusion a eu des mais la mise en place de sa stratégie ne fait le succès et la renommée de Picard.conséquences sur l’activité qui s’est naturel- débute réellement que cette année. En En 2015, elle en a sorti 227 nouveaux.lement contractée. Nous avions par exemple mars dernier, dans un entretien accordé Insuffisant encore, semble-t-il.46 Acteurs de l’économie - La Tribune ROUTAGE COURRIER IMPRESSION NUMERIQUE 250, rue du Général de Gaulle - 69530 Brignais Tél. 04 78 61 07 94 - E-mail : y.esco [email protected] N°132 Octobre 2016

TOUPARGEL EntreprendreA QUI LA FAUTE ? le télévendeur et ses clients  », soulignent réduire sa dette et à lui faire bénéficierDes mesures ont bien été entreprises les syndicats. Pour ces derniers, cette d’une trésorerie lui permettant d’affron-pour inverser la courbe. D’abord, dès réorganisation est l’une des causes de la ter les coups durs mais aussi d’investir.2009, avec la mise en place d’un numéro situation de Toupargel. «  Ils ont coupé le «  Il possède une très bonne vision lorsqu’ilde téléphone permettant aux clients de lien entre le client et le vendeur », souligne s’agit de finances et de tableaux Excel. Enpasser commande directement. « Aupara- Thierry Cupif, délégué CGT. «  Aupara- revanche, dès qu’il s’agit du commercial etvant, il fallait avoir été démarché pour com- vant, nous connaissions nos clients, ce n’est du marketing, ce n’est plus pareil  », sou-mander […] Toupargel devient moins rigide plus le cas, critique Jacky La Soudière, 37 tient l’ancien cadre. Durant les annéespour répondre aux désirs de ses clients et en ans de maison. Il ne fallait pas changer d’or- d’érosion, l’homme, autant craint querecruter de nouveaux », soulignait Roland ganisation. Celle-ci fonctionnait bien. » Pour respecté pour sa gestion « en bon père deTchénio dans un entretien en juin 2009, Roland Tchénio, les raisons sont ailleurs. famille », s’emploie à augmenter la margeau site pointsdevente.fr. « Le pouvoir d’achat a baissé, les commandes des produits tout en baissant légèrementLe dernier plan stratégique a donné nais- se sont espacées, les clients ont aujourd'hui le prix de vente, à réduire le nombre desance à des magasins virtuels pour les- beaucoup plus d'offres de la part de multiples fournisseurs, et dans le même temps à nequels les clients sont répartis entre les concurrents et sont moins exclusifs vis à vis pas délocaliser ses centres d’appel danséquipes de télévendeurs et de livreurs de l'enseigne Toupargel. De plus, le recrute- des zones à bas coûts. Il préfère aussi lesqui, ensemble, assurent une couverture ment de nouveaux clients est devenu beau- plans de départs volontaires et les rup-géographique dédiée. Deux évolutions coup plus cher. Entre 2003 et 2007, il nous en tures conventionnelles, n’ayant jamaismajeures puisque ce qui a fait la réussite coûtait 35 euros. Aujourd’hui, il faut investir eu recours aux plans de sauvegarde dede l’entreprise reposait sur son modèle le double. Il a donc fallu réduire nos investis- l’emploi. «  Nous sommes toujours restésde gestion par les télévendeurs d’un sements et faire le choix d’un meilleur ciblage en France malgré les difficultés, quandportefeuille clients – constitué depuis par téléphone. » d’autres auraient sûrement fait le choix dedes années pour certains. Ces consom- délocaliser », reconnaît Jacky La Soudière.mateurs sont contactés à intervalles PAS DE PSE Néanmoins, cette figure du syndicalismeréguliers, après avoir reçu à domicile le Qualifié de bon gestionnaire par les syn- Toupargel se dit inquiet par «  un poten-catalogue des produits. « Par ce canal, une dicalistes, Roland Tchénio a toujours tiel futur PSE  ». «  Cela finira par arriver,relation de fidélité était ainsi privilégiée entre réussi à faire prospérer son entreprise, à craint-il. Notre masse salariale est beaucoup« Si l’entreprise réussit sa mue, ce sera véritablement un cas d’école » 1 an 40 €Je m'abonne pour TTC / 5 numéros + suppléments 2 ans 70 €Je m’abonne pour TTC / 10 numéros + supplémentsOFFRE Société : ......................................................................................................................................................................................... Nom / Prénom : .........................................................................................................................................................................SPÉCIALE Adresse : ........................................................................................................................................................................................ .............................................................................................................................................................................................................. Code postal  : ................................................................ Ville : ................................................................................................ E-mail : ............................................................................................................................................................................................ Tél. : ................................................................................................................................................................................................... Date et signature MODE DE RÉGLEMENT Chèque libellé à l'ordre de RH ÉDITIONS à retourner à Acteurs de l'économie - Immeuble le Diplomate - 51 avenue Jean Jaurès - 69007 Lyon Je souhaite recevoir une facture acquittée Je souhaite m’inscrire à la newsletter RÉSERVÉ À ACTEURS DE L'ÉCONOMIE Réf. client :......................................................... Périodicité : du n°............................. au n°.......................... Banque : ....................................................................... N° chèque : ...................................................................N°132 Octobre 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 47

Entreprendre TOUPARGELtrop importante par rapport au chiffre d’af- © Laurent Cerino / Acteurs de l’économie PRESTATAIRE DE SERVICE Nous pouvons donc utiliser notre réseaufaires réalisé. » La CFDT craint « un plan POUR AMAZON ? de livraison dense et repenser le métier dede restructuration sur les coûts de fonction- Les résultats de 2006 seront difficiles ne livreur. » Une activité pourrait alors êtrenement ». « Nous allons continuer d’étudier serait-ce qu’à égaler. Néanmoins, Toupar- créée en parallèle, ce qui ne semble pasles remplacements à chaque départ pour gel veut encore y croire, persuadé que le gêner certains syndicalistes  : «  Nousadapter notre masse salariale à notre acti- combat n’est pas terminé. Les derniers sommes capables de livrer autre chose que duvité. Mais si nous voulons enrayer la baisse résultats du groupe au 1er semestre 2016 frais. À la condition, pose Thierry Cupif, dedu chiffre d’affaires, nous ne pouvons pas sont encourageants. «  La différence entre conserver les emplois. »réduire les effectifs à l’infini  », soulignait tous les acteurs se fera sur le dynamisme de laRomain Tchénio en mars 2014, dans une marque et l’innovation, précise Yves Marin, LES PREMIERS EFFETSinterview à l’hebdomadaire Tribune de du cabinet Wavestone. De plus, la question Le plan stratégique « Engagés ClientLyon. de la livraison de repas à domicile est en train 2013-2016 » connaît-il ses premiersEn confiant les rênes de son groupe à d’exploser. Dès lors, dans quelle mesure les effets positifs ? À la lecture des résul-Romain Tchénio et Jacques-Édouard poids lourds des surgelés pourront-ils tirer tats du 1er semestre 2016 du groupeCharret, le fondateur du groupe a marqué leur épingle du jeu ? » Son savoir-faire dans (1er janvier-30 juin), le signe d’un légerl’entreprise familiale du signe du renou- la livraison au dernier kilomètre, partout redressement est perceptible. Bienveau. Au tandem de redresser la barre en France, permettra-t-il au groupe lyon- que son chiffre d’affaires consolidédu navire en déployant le plan « Engagés nais de s’y engouffrer ? Elle en a les capa- connaisse un ralentissement de l’ordreClient 2013-2016  ». Impossible cepen- cités, à n’en point douter. Il s’agira alors de -4,5 % (soit 145 millions d’euros)dant de les interviewer sur leur straté- d’une nouvelle évolution de son cœur de par rapport à la même période en 2015gie et leur vision, seule la voix de Roland métier. Comme elle peut l’envisager, plus (151,8 millions d’euros), l’entrepriseTchénio fait foi. «  On n’inverse pas une sérieusement dans un premier temps, voit son bénéfice net part du groupecourbe du jour au lendemain, mais le travail avec Amazon. En effet, Roland Tchénio repartir à la hausse en s’établissant àaccompli finira par payer. Nous avons toutes mène des réflexions pour devenir pres- 1,3 million d’euros contre -0,2 millionsles cartes en main pour réussir […] Et de tataire de services pour l’Américain (qui d’euros au 1er semestre 2015. Mêmemon point de vue, Toupargel est à la pointe », n’a pas souhaité commenter ces informa- constat pour le résultat opérationneldéclarait Romain Tchénio. tions). De là à ce qu’un camion Toupargel courant s’affichant à 1,7 million d’euros livre un produit surgelé et une télévision contre moins 0,4 millions d’euros l’an48 Acteurs de l’économie - La Tribune commandée sur Amazon ? « Nous n’allons passé. Si les ventes par le canal tradi- pas échapper au phénomène d’uberisation. tionnel déclinent, celles depuis son site augmentent en revanche de 17 %, et « Le pouvoir représentent 3,3 % des ventes de l’en- d’achat a baissé, seigne contre 2,7 % en 2015. Preuve les commandes qu’internet est devenu un axe straté- se sont espacées, gique sur lequel Toupargel entend se les clients vont voir renforcer dans les mois à venir. « Le les concurrents recrutement de nouveaux clients se car ils ont le choix. présente comme le défi principal pour De plus, compenser l’érosion naturelle du fichier le recrutement clients », souligne le groupe dans un de nouveaux communiqué. Par ailleurs, Toupargel clients est devenu poursuit son désendettement (27,3 beaucoup plus millions d’euros contre 32,3 au 30 juin cher. Il a donc fallu 2015) ainsi que son plan d’investisse- réduire nos ment d’une enveloppe de six millions investissements d’euros sur l’année 2016. Il doit servir, et faire le choix entre autres, au renouvellement de la d’un meilleur ciblage flotte de véhicules de livraison, et du par téléphone », matériel informatique, comme le souli- justifie Roland gnait Pierre Novarina, directeur financier Tchénio. du groupe à acteursdeleconomie.com. N°132 Octobre 2016

SCHOOL OF MANAGEMENT Formation des managers :PATRONAT, LE CHOC DES GÉNÉRATIONS Entreprendre iaelyon School of Management ouvre trois Diplômes d’Université en janvier 2017 iaelyon School of Management - Université Jean Moulin bénéficie d’une expertise reconnue dans la formation des managers et propose des formations de haut niveau répondant aux exigences académiques et aux attentes des entreprises. Trois formations diplômantes débuteront en janvier 2017, dont une création : le Diplôme d’Université (D.U.) Nouvelles Pratiques Managériales. D.U. Nouvelles pratiques D.U. Management D.U. Négociation et pilotage managériales opérationnel et pilotage du de l’action commerciale changement DÉPLOYER UN MANAGEMENT APPORTER AUX COMMERCIAUX UNE HUMANISTE MOBILISANT UNE FORMATION POUR LES PRISE DE RECUL PAR RAPPORT À LA RÉELLEMENT LES PRATIQUE PROFESSIONNELLE NOUVEAUX OU FUTURS MANAGERS COLLABORATEURS Le programme a pour objectif de faire Le programme apporte des repères sur le monter en compétences opérationnelles Le programme est conçu pour rôle de manager ainsi que des méthodes et stratégiques les commerciaux- apporter la posture, les connaissances et outils pour manager une équipe au terrain. Il leur permet d’identifier les fondamentales ainsi que les quotidien et lors des changements. Elle enjeux stratégiques de la relation client/ démarches et méthodes nécessaires permet au manager de questionner ses fournisseur et d’adapter leur pratique à la pratique de nouvelles formes de pratiques et postures pour les améliorer. professionnelle à ces enjeux, pour management, plus humanistes et plus Ce travail de questionnement est ancré l’inscrire dans une relation d’équité. fédératrices. sur une réflexion sur la place qu’il occupe La formation est destinée à apporter un Il permet de mobiliser plus avant et le sens qu’il donne à sa fonction. Le gain de créativité, de réflexivité et de l’investissement, l’intelligence programme aborde quatre dimensions : développer les capacités d’adaptation collective et le bien-être du capital à des interlocuteurs de fonctions et de humain de leurs organisations : Mieux se connaître pour mieux gérer sa secteurs professionnels différents. mobilisation des équipes, relation à autrui, concertation, réelle coopération avec • Public : commerciaux dotés d’une et entre les membres de l’équipe, La fonction de manager, les rôles à tenir expérience de 3 ans minimum responsabilisation et montée en et les principales situations à gérer, compétences, humanisation des • Volume total : 25 jours (175 heures) relations, orientation solution, conduite Les postures et pratiques de • Rythme : 2 à 4 jours par mois du changement, prévention des management, difficultés et conflits, etc. Les outils et méthodes du management.• Public : managers expérimentés• Durée : 8 mois • Public : managers venant d’accéder à une• Volume total : 18 jours (126 heures) fonction managériale ou en passe de le• Rythme : 3-4 jours par mois devenir • Durée : 8 mois • Volume total : 24 jours (168 heures) • Rythme : 2 à 3 jours par moisDes formations déclinées en formule intra-entreprise L’ouverture de Diplômes format inter-entreprises à partir de CONTACTd’Université est liée à la demande janvier mais peuvent également êtredes entreprises qui souhaitent déclinées en formule intra-entreprise iaelyon School of Managementproposer à leurs collaborateurs des avec dans ce cas les adaptations Service Formation Continueformations proches du terrain, très indispensables au contexte de Université Jean Moulinopérationnelles et certifiantes. l’organisation. Tél. : 04 78 78 71 88Ces formations sont proposées en [email protected]°132 Octobre 2016 Corinne Forgues, Acteurs de l’économie - LiaaTeri.buunneiv4-9lyon3.fr Directrice du développement de la Formation Continue

Entreprendre RUBRIQUE DE NOM50 Acteurs de l’économie - La Tribune N°132 Octobre 2016


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