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No 130 Acteurs de l'économie

Published by AGEFI, 2016-04-12 12:05:11

Description: Avril 2016

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ARuhvôenreg-nAelpes acteursdeleconomie.comCynthia FleuryCASINOÉvian-Thonon-GaillardLa descente aux enfersIMPRESSION 3DCorinne VezzoniLE PETIT MONDE DESPRUD’HOMMES DE LYONIngénieurs, l’exemple françaisDANIEL KAWKALE BOSSLe bonheur estdans Lofoten Aéroports VOL Lyon DIRECT Genève L 16956 - 130 - F: 9,50 - RD Avril 2016 9,50 euros

V A L C O M . f r - Photos : ginko-photo.com, andersonrise. Document à caractère publicitaire et non contractuel - 04/2016. UN DOUBLE ACCOMPAGNEMENT Banque Populaire des Alpes, Société Anonyme Coopérative de Banque Populaire à capital variable, régie par les articles L. 512-2 et suivants PERSONNALISÉ, TRÈS PRIVÉ du Code Monétaire et Financier et l’ensemble des textes relatifs aux Banques Populaires et aux Etablissements de Crédit - Siren 605 520 071 RCS GRENOBLE - Activité annexe : Intermédiaire d’assurance immatriculé à l’ORIAS sous le numéro 07 006 015 - Siège social : 2 avenue du Banque Populaire des Alpes Gestion Privée mobilise un ensemble Grésivaudan 38 700 CORENC. de compétences de haut niveau au service de la gestion de votre patrimoine. Au sein même de votre agence patrimoniale, vous bénéficiez d’une relation privilégiée ; un ingénieur pour l’expertise et un conseiller pour la gestion et les conseils au quotidien. Venez nous rencontrer. AGENCE PATRIMONIALE DE GRENOBLE 13 Cours Jean Jaurès, 38000 Grenoble - Téléphone : 04 76 86 96 25 [email protected] AGENCE PATRIMONIALE DE VALENCE 26 boulevard Général de Gaulle, 26000 Valence - Téléphone : 04 75 78 81 20 [email protected] AGENCE PATRIMONIALE DE CHAMBERY 15 avenue des Ducs de Savoie, 73000 Chambéry - Téléphone : 04 79 70 86 93 [email protected] AGENCE PATRIMONIALE D’ANNEMASSE 18 avenue de la Gare, 74100 Annemasse - Téléphone : 04 50 87 56 40 [email protected] AGENCE PATRIMONIALE D’ANNECY 8 bis rue du Président Favre, 74000 Annecy - Téléphone : 04 50 33 93 70 [email protected] www.alpes.banquepopulaire.fr

ENTRÉE EN MATIÈRE DialoguerENTRÉE EN MATIÈRE,SERGE TISSERON‘‘Pour entreprendre, il faut désirer transformer le monde et, pour y parvenir, utiliser des outils e caces. Aujourd’hui, un grand nombre de ces outils sont numériques. Ils o rent à ceux qui les choisissent de nouvelles opportunités, mais ils imposent aussi de nouvelles sou rances à ceux qui sont contraints de s’y plier. Des maladies professionnelles liées à la surcharge numérique se développent, conduisant à des cas de plus en plus nombreux de « burn out ». Parallèlement, des attitudes adaptatives se mettent en place, parfois génératrices de nouveaux stress, comme les mails en copie systématique pour créer l’illusion d’une responsabilité partagée, alors qu’il ne s’agit que d’ouvrir des parachutes.Entreprendre, aujourd’hui comme hier, témoigne d’un désir d’emprise et decontrôle, mais ceux que l’entrepreneur sollicite pour l’accompagner dansson projet sont, bien plus qu’hier, et du fait des technologies numériquesmêmes, mus par un désir de réciprocité.C’est pourquoi entreprendre, aujourd’hui, c’est se poser la question des valeurs à développer dans l’entreprise bien autant que celle desproduits à fabriquer. Le plus important est-il d’investir dans des technologies de plus en plus autonomes et susceptibles d’augmenter lesprofits à court terme, au risque de déliter le lien social ? Ou bien est-ce de construire des organisations humaines vivables à long terme ?Un désir de partage a toujours animé l’être humain parallèlement à son désir d’emprise. Plus que jamais, l’entreprise doit faire une place àces deux désirs et prendre en compte celui de coopérer dans un climat de réciprocité, d’être créatif et de faire entendresa voix. Et cela nécessite de mettre en place les condi- tions qui vont permettre à chacun de le faire. Enfin, denombreux entrepreneurs prennent conscience du fait que l’empathie et la créativité circulent mieuxen mode «  liens forts  » et ils encouragent leurs équipes à se rencontrer en présence réelle.Les enjeux du numérique ne sont pas seule- ment technologiques. Ils bouleversentles organisations psychiques individuelles, familiales et sociales, avec le risque demenacer des équilibres humains indispen- sables. Entreprendre, aujourd’hui,c’est se poser ces questions dès le départ, en impliquant dans la réflexion tous’’les partenaires engagés, quelles que soient leur place et leur fonction dansl’entreprise.Serge Tisseron,Psychiatre, docteuren psychologie etpsychanalyste,membre de l’Académiedes technologies.Auteur de Le jour où mon robotm’aimera. Vers l’empathie artificielle,Albin Michel, 2015N°130 Avril 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 3

Dialoguer RUBRIQUE DE NOMCYNTHIA FLEURY“ AIMER,C’EST POLITIQUE ”ENTRETIEN, DENIS LAFAYPHOTOGRAPHIES, HAMILTON / RÉA4 Acteurs de l’économie - La Tribune N°130 Avril 2016

Elle est philosophe et RUBRIQUE DE NOM Dialoguer psychanalyste, elle exerce comme professeur, chercheur Permettre à tout individu d’être ou et praticien dans un univers de redevenir sujet selon le pro- bigarré et contrasté, composé cessus d’« individuation », recon- de prestigieux établissements naître le caractère inaliénable et d’enseignement supérieur singulier de la personne humaine, (Ecole Polytechnique, Sciences et ainsi établir le principe d’« irremplaça- Po Paris, HEC, American bilité » de l’Homme grâce auquel prennent University of Paris), du Muséum forme le sens et l’utilité de l’existence. national d’histoire naturelle de Votre essai Les irremplaçables (Gallimard) Paris, de la cellule d’urgence traite de cette nécessité, qui conditionne médico-psychologique du une multitude d’enjeux  : l’éducation, la Samu, et de l’Hôtel Dieu – où considération de l’essentiel, le rapport elle vient de créer la première au pouvoir, la relation au temps, la salu- chaire de philosophie en brité de la démocratie, le modèle capi- secteur hospitalier. Des métiers, taliste... Irremplaçable  : l’individu l’est-il un terrain d’expérimentations aujourd’hui moins qu’hier ? et d’actions qui mettent ses Le phénomène de «  chosification  » de convictions à l’épreuve – et se l’individu n’est pas nouveau mais depuis nourrissent – d’un public une vingtaine d’années, nous assistons et d’une matière protéiformes, à son retour, et à son accroissement, via et qui la confrontent au des dynamiques et des procédures d’in- « Réel ». Un réel dont elle terchangeabilité, qui donnent à l’individu appelle à combattre le « poison » un sentiment de désingularisation, et donc marchand, capitaliste, de déshumanisation. Ce mouvement a matérialiste, spéculatif afin pour socle principal la révolution mana- d’épanouir « l’être individué », gériale et le renouveau de la rationalisa- c’est-à-dire l’être sujet, l’être tion scientifique. Des travaux de Jeremy a ranchi, l’être désaliéné, l’être Bentham (1748-1832) à ceux de Winslow singulier, l’être créateur, l’être Taylor (1856-1915), l’organisation scienti- altruiste, l’être libre qui fique du travail a toujours fait l’objet de conditionnent son doctrines convergeant vers cette rationa- « irremplaçabilité » lisation déshumanisante, mais le tournant aujourd’hui menacée. A l’aune des années 1960 et le besoin de s’extraire de sa multidisciplinarité, de cette chape font apparaître un souci Cynthia Fleury est particulière- inédit sinon d’irremplaçabilité au moins ment légitime pour examiner de resingularisation. Cette « respiration » l’humanité de l’Homme dans ne se révèlera toutefois que temporaire ; le le prisme des systèmes, cadre ultraconcurrentiel et ultramarchand des technologies, symptomatique du monde libéral au XXIe des performances, du pouvoir siècle asservit la civilisation à un diktat et des vassalités qu’il déploie. hégémonique : la raison économique s’im- Son auscultation est radicale, pose à tout, comme l’alpha et l’omega de la implacable. Mais aussi vie et du sens. Tout est monétarisé. espérance, si « l’amour » qui construit l’être intrinsèque La règle marchande et consumériste et l’être social parvient impose aux biens matériels celle du à s’imposer. renouvellement e réné, de la substitution presque instantanée ; le principe de rem- plaçabilité contamine-t-il donc subrepti- cement l’Homme ? Absolument. «  Je ne vaux rien, je me sens ou me sais totalement remplaçable et inter- changeable  », me confient des patients. Mais cette réalité n’est pas nouvelle, elle est seulement exacerbée. En quelle année le penseur autrichien Günther Anders rédigea-t-il L’obsolescence de l’homme  ? En 1956. Le modèle architectural «  panop- tique  » inventé par Jeremy Bentham et son frère – édifier une tour centrale per- mettant aux surveillants de contrôler sans être vus les prisonniers incarcérés dans des bâtiments disposés en arc de cercle – fut déployé à d’autres fins que les geôles, notamment dans les écoles, les hôpitauxN°130 Avril 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 5

Dialoguer CYNTHIA FLEURYet les manufactures industrielles. Partout l’autonomisation, l’émancipation, l’authen- technologie numérique, le matérialismeoù se concentraient la hiérarchie des indi- ticité, le talent, la réalité de chaque salarié, mais aussi l’obligation de performance etvidus, la présence de fortes vulnérabilités les systèmes d’organisation du travail et de de solidité qui caractérisent la civilisationet l’exercice des dominations. Michel Fou- management ont exacerbé son individua- occidentale en constituent-ils un obstaclecault, dans Surveiller et punir (Gallimard, lisme et son isolement, ils l’ont mis déli- « dépassable » ou rédhibitoire ?1975), décela d’ailleurs dans cette « visibi- bérément en danger notamment en faisant Rien n’est jamais rédhibitoire, mais tout alité organisée entièrement autour d’un regard voler en éclats les stratégies collectives de un prix. Et celui de l’affranchissement estdominateur et surveillant » l’essence même défense et en enfermant ce « sujet » dans considérable. En effet, contester le réqui-du modèle disciplinaire moderne. une perspective exclusivement utilita- sit de la performance et de la compétitionLe cercle de la rationalisation scientifique riste et subordonnée. En d’autres termes, et s’en extraire a pour conséquence d’êtres’est donc extraordinairement ouvert à un «  comment vais-je m’employer à faire de aussitôt placé en accusation. Refuser denombre inédit de strates de la société. Des cette singularité un client ou un travailleur se soumettre à une telle évaluation, c’estterritoires qui en étaient autrefois davan- encore plus assujettis  ?  », s’interrogent la prendre la décision d’être non pas soup-tage préservés sont désormais assujettis à plupart des directions d’entreprise. çonné d’avoir une valeur autre, mais caté-la logique marchande – éducation, santé, gorisé sans valeur. C’est prendre le risquerelations affectives – et succombent à l’ul- L’éducation constitue la condition peut- d’une mort sociale. La marge de manœuvretime avatar de la rationalisation : celle de être la plus déterminante à la réussite est donc en réalité extrêmement étroite, etla financiarisation spéculative, qui semble d’un parcours d’individuation. Quels sont même quasiment inexploitable. Que font,fasciner comme jamais. Or c’est un leurre, les principaux fondements d’une éduca- in fine, l’immense majorité des individus ?car la rationalisation du profit charrie son tion à l’individuation  ? Et dans un monde Soit par aveuglément soit par résignationpropre lot de perversion, d’échecs, d’iné- inédit et totalitariste de compétition mul- consciente, ils se mettent au service de cetgalités criantes, de désillusions. tiforme, est-il possible d’éduquer à ne pas ordre suprême de la performance, seul à être réduit à un simple agent de compé- même de leur permettre d’être «  recon-Famille, école, enseignement supérieur, tition, à un agent en survie plutôt qu’à un nus  ». Et la reconnaissance est ici bienassociation, entreprise : les espaces d’ac- agent bâtisseur ? plus que sociale : elle est ontologique, ellecomplissement de la dynamique d’« indi- Chaque parent est en prise à des conflits conditionne le regard que vous portez surviduation » – processus de création et de de loyauté et de légitimité forts. En effet, votre propre être, et le lien que vous fondezdistinction de l’individu – s’étagent tout nous sommes pleinement conscients des avec tout autre et donc avec l’ensemble deau long de l’existence. Quelles sont les insuffisances (morales, culturelles…) et des la société. Qui est prêt à payer ce prix deentraves communes et singulières à ces dangers (compétition mortifère, inégalités l’affranchissement, qui a pour noms isole-di érentes étapes ? aggravées, technologisation tentaculaire, ment, non reconnaissance, solitude  ? LesLa dynamique d’individuation fait s’ex- déshumanisation économique) dont nous ermites ou certains marginaux ? Ceux quiprimer « une intelligence dans un certain voulons préserver nos enfants. Mais pour ont renoncé à ce que nous faisons tous  :contexte  »  ; cela signifie que ce qui est cela, il faudrait quasiment les extraire dudit négocier, c’est-à-dire faire les arbitrages etentrave à un moment particulier peut, à milieu, compétitif et parfois sclérosant, trouver les compromis grâce auxquels onun autre, susciter un dépassement ou révé- de la société. Or c’est délicat, et lourd de conserve un peu d’intégrité dans un sys-ler une vertu. Bref, toute contrainte n’est conséquences quasi irréversibles. En fait, le tème qui s’emploie à la nier.pas entrave. Les obstacles à l’individua- système éducatif marie les antagonismes ettion peuvent toutefois être réunis sous un les oxymores comme nul autre : il fournit Quelle est votre estimation du «  bonmême vocable : la maltraitance. Une mal- des armes à la fois pour être acteur assumé risque  », mais aussi de la «  bonne ins-traitance dont les manifestations couvrent et conquérant de cette compétition (ou sa tabilité  », de la «  bonne précarité  » quiun spectre immense : manque d’attention, victime), et pour imaginer la déconstruc- déterminent notamment la faculté d’en-indifférence, refus de considérer l’inter- tion de cette compétition et la naissance treprendre  ? Principe de précaution quilocuteur comme un «  sujet  » avec lequel de nouveaux territoires d’épanouissement. a outrepassé ses prérogatives initiales,on établit une relation qualitative inter- Démultiplier les modèles d’apprentissage sécurité de l’emploi dans un secteur publicsubjective, etc… jusqu’à l’expression la scolaire, les diversifier, aiderait à désclé- ultracorporatiste et dont certains privi-plus ultime, lorsqu’elle attente à l’intégrité roser nos mécanismes éducationnels. La lèges sont devenus indicibles, garantiesmorale, psychique et bien sûr physique. La famille a aussi un enjeu-clé : offrir la capa- excessives exigées par les systèmes ban-maltraitance est un mode d’instrumenta- cité à l’enfant de résister aux injonctions de caire ou assurantiel, pressions morales delisation de l’autre, qu’elle relève du cercle ce contexte ultracompétitif hégémonique, toutes sortes : est-on encore encouragé àfamilial, institutionnel ou professionnel. ne pas être l’objet de sa disqualification, et « être en risque » ?L’école également est un lieu de maltrai- surtout l’éveiller à remettre en cause et à Jamais le monde occidental n’a dénom-tance, et notamment de récidives. Réci- dépasser cedit contexte que l’on sait intrin- bré autant de millionnaires, comptabilisédives des mécanismes d’inhibitions, dans sèquement destructeur. autant de richesses, accumulé autant de PIBle meilleur des cas sociales, et, au pire, – le fameux indice censé faire la démons-cognitives  ; à l’école en effet, on apprend Entrer dans un processus d’individuation tration de la bonne santé des nations –, faittrop souvent à ne penser que selon un exige de voyager loin, très loin au fond naître et aggloméré autant d’intelligences etcadre comprimant, réducteur, uniformisé. de soi. Et ainsi d’accepter de se mettre en de qualifications… et pourtant la plupartLa méthode, la discipline sont totalement risque voire en danger en allant creuser des disparités demeurent considérables, etnécessaires au processus d’individuation, là où sont nichées les vulnérabilités et certaines mêmes s’aggravent. La «  crise  »mais elles ne se confondent pas avec la les fragilités qui « font » trésor. Connaître a bon dos, c’est-à-dire que le vocable estdésingularisation. et se connaître impliquent, le démon- opportun pour qui veut dissimuler sesQuant à l’entreprise, elle a cultivé sans trez-vous d’ailleurs, « d’être en risque », ce réalités et ses manifestations dans leursretenue l’instrumentalisation de l’in- risque qui fonde la valeur et la densité du détails. Or justement, l’examen de cesdividu. Sous couvert d’encourager souci de soi. La hâte, la superficialité, la détails révèle qu’une partie du monde est6 Acteurs de l’économie - La Tribune N°130 Avril 2016

performante dans la précarité – grâce à « Révolution CYNTHIA FLEURY Dialoguerses revenus, son niveau de qualification, managériale,son origine sociale, etc. –, et fait suppor- rationalisation Le travail forme un terreau fertile, maister aux autres, globalement démunis, les scientifique, l’organisation du travail et les injonctionsrépercussions néfastes de cette précarité. procédures qui l’encadrent – productivité, perfor-Tout le monde n’est pas armé de la même multiples d’inter- mance, compétitivité, rentabilité, mobi-manière pour tirer profit du risque. Et sur- changeabilité, lité, docilité, etc. – souvent assèchent letout le «  risque  » n’est pas reconnu dans contexte ultra- potentiel de réalisation et d’émancipa-sa pluralité. Ceux qui supportent le risque concurrentiel tion. Le sens d’un métier peut être e acéaujourd’hui, ce sont principalement les tra- et ultramarchand par le déficit de sens de l’organisation quivailleurs précarisés. Est-il acceptable que qui monétarise sert de support à l’exercice dudit métier.du bondissement du nombre de working tout et impose la De nouvelles formes d’organisation dupoors résulte l’enrichissement supplémen- raison économique travail voient le jour, qui tentent de confé-taire de dirigeants et actionnaires d’en- comme l’alpha et rer à la singularité toute sa richesse. Font-treprises  ? Doit-on tolérer cette précarité l’omega de la vie elles espérer la réconciliation de l’Hommestructurelle qui développe des logiques et et du sens : et de l’entreprise ?des outils « incapacitaires », enfermant ses l’individu est Absolument, même s’il faut raison gar-« détenus » dans une course pour honorer envahi du der  ; ce qu’elles représentent est encoreles injonctions du court-termisme, telle une sentiment de trop faible et ne pèse guère face auxpyramide de Ponzi ? désingularisation entreprises ligotées aux règles déshuma-La mondialisation n’est pas pour autant et donc de nisantes. Toutefois, par conviction véri-« que » dégâts, et parmi ses bienfaits il faut déshumanisation » table, pour répondre aux pressions desretenir la mobilité, c’est-à-dire l’opportu- consommateurs ou aux injonctions de lanité et la faculté d’investiguer bien au-delà singularisation permet de juguler la loi RSE (responsabilité sociale et sociétale), lesde son territoire, de sa culture, de son du déterminisme social et culturel, faut-il collectifs de travail sensibles à des orga-pays, de son économie d’origine. Mais là juger, à l’aune des inégalités sociales à la nisations managériales reconnaissant lesencore, attention : croire que nous sommes naissance toujours aussi élevées, que ce vertus de l’individu singulier semblent deégaux face à cette belle perspective est un processus s’exprime très faiblement ou plus en plus nombreux. Même des mul-leurre. La mobilité ne repose pas sur un que certains obstacles à son accomplis- tinationales commencent à admettre queaccès totalement démocratisé et équitable sement sont insurmontables ? cette reconnaissance sert l’efficacité d’en-aux outils qui permettent de la vivre. Qui- Nous continuons à assimiler l’individua- semble de l’entreprise.conque n’est pas bilingue, ne maîtrise pas lisme et l’individuation. Or le premier sertle numérique, n’a pas accès aux bons cir- très vite les idéaux pervertis des méca- «  Devenir un collaborateur, c’est devenircuits d’information, est disqualifié. Tra- nismes néolibéraux, alors que la seconde remplaçable, c’est entrer dans la chaînevailler à juguler ces écarts est un devoir les décrypte et les déconstruit. L’individua- et vivre sans avenir, c’est vivre commepour l’Etat et tous les rouages – y compris tion est une «  capacité critique  » qui ne si l’avenir disparaissait.  » Ce propos debien sûr l’entreprise – de la nation. conteste nullement le sentiment d’affilia- Günther Anders dans L’obsolescence de tion, sauf qu’elle privilégie l’appartenance l’Homme doit-il signifier que le principe deS’individuer, c’est s’extirper de sa « mino- symbolique, celle qu’elle réinvente plutôt collaboration, axe cardinal de l’organisa-rité  » – l’incapacité de se servir de son que celle dont elle «  s’origine.  » Ce qu’il tion, du management, de la culture mêmeentendement sans la direction d’autrui –, faut comprendre, c’est ce lien intrinsèque des entreprises est un non sens, ou plutôtc’est être en dynamique d’autonomisation entre les sujets et l’Etat de droit ; ce der- n’a pas de sens éthique – cette éthiquepour se réaliser, s’accomplir. Et être libre. nier se nourrit de leur individuation, sans que vous qualifiez être «  le Réel auquelCette minorité fut contestée avec bonheur elle, il ne peut se revitaliser. Les obstacles l’Homme n’a pas accès lorsqu’il renonce àau Siècle des Lumières ; trois cents ans plus à l’individuation ne sont pas insurmon- son irremplaçabilité » ?tard et au-delà des apparences, ne s’est- tables, ils sont simplement culturellement, Günther Anders comme Hannah Arendtelle pas réimposée, sous d’autres formes ? sociologiquement, très ancrés. La valeur ont exploré les ressorts de la banalité duDans le sillage des villes, des métiers, des de l’individuation est à légitimer, dans sa mal et mis en lumière le processus destructures du travail, des classes sociales, dimension psychique et politique. désubjectivation  : dans quelles circons-la société contemporaine est frappée de tances et pour quelles raisons décide-t-on« déshomogénéisation ». Il ne s’agit pas là de ne pas ou de ne plus être sujet, c’est-d’une régression, mais simplement d’un à-dire de se soustraire à l’exercice et àfait, aussi massif qu’incontestable, lié à la l’«  assumation  » de ses responsabilités  ?mondialisation. Ses effets sont accentués Les « cas » d’Eichmann et d’Eatherly sontpar l’exacerbation des identités culturelles, emblématiques : le premier, fonctionnairedes communautés et des blessures narcis- zélé, a dirigé la logistique et l’administra-siques de toutes sortes, par l’égalitarisa- tion de la « Solution finale » et le secondtion des conditions d’existence, la crise pilota l’un des avions d’assistance de celuides autorités, le sentiment croissant de qui largua la bombe atomique sur Hiro-défiance à l’égard de la science, le retour shima. Leurs arguments face à leurs res-des idéologies et des religions, etc. Tout ponsabilités de l’indicible  ? Totalementcela compose un volcan. opposés  : Eichmann, c’est le déni, le fait d’avoir exécuté les ordres, d’avoir été unJustement, si l’on considère que le « rouage » – sous-entendu : un autre auraitprocessus d’individuation et donc de fait la même chose. Earthely, c’est l’impos- sibilité à accepter l’horreur de son geste, etN°130 Avril 2016 sa folie grandissante devant une société qui Acteurs de l’économie - La Tribune 7

Dialoguer CYNTHIA FLEURY « Dans un monde Il n’y a pas de possibilité d’individuation si qui met en scène le temps que l’on donne à cheminer versne veut pas reconnaître sa propre horreur. l’ego comme soi est furtif ou trop rare. Le rapport auTous deux, face à des injonctions étatiques jamais, se retirer temps est pluriel et contrasté, l’impres-humainement inconcevables, justifièrent du jeu de sion est que nous dominons un temps quil’abdication de leur sujet en employant des l’hypervisibilité est en réalité ne nous a sans doute jamaistrajectoires très différentes. L’Américain compliqué, subir autant asservis, et le temps semble avoirvoulut faire acter la défaillance profonde l’hypervisibilité pour vocation première justement cellede l’Etat de droit – il en deviendra fou –, est invivable. Cette de nous écarter de cette rencontre avecl’Allemand quant à lui tergiversa sans cesse double contrainte nous-mêmes. Hannah Arendt n’avait delors de son procès (à Jérusalem en 1961) produit une cesse de dénoncer la quasi disparition deet en réponse aux appels des magistrats à hybridation la scholè, le « temps pour soi ». S’il existeresubjectiver les actes de son passé nazi : psychique un domaine qui semble avoir irrémédia-incapable d’assumer son «  sujet  » dans exacerbée entre blement échappé à notre souveraineté,certaines circonstances – celles qui l’in- les complexes de c’est bien celui-là…terrogent sur l’Histoire avec un H majus- toute-puissance et Le temps est capturé, et d’ailleurs cettecule –, totalement « sujet » dans d’autres ceux d’infériorité » confiscation est particulièrement préoc-– celles qui sollicitent sa petite histoire cupante et pénalisante, puisque le tempspersonnelle. Cette capacité à cliver, à être Ce monde contemporain est en effet frappé forme le premier espace vital de l’homme,sujet et non sujet au gré des contextes et de de folie narcissique immense, nourrie par il est sa véritable «  maison  ». Dépossédéson intérêt, est la preuve qu’il n’était pas un mythe de la personnalisation extrême. d’un toit ou d’un lieu physique, l’individufou et était en pleine conscience. Il est celui du spectacle – ce n’est bien sûr peut en trouver un ailleurs ; c’est loin d’être pas nouveau, comme pouvait l’illustrer aisé, mais je crois que la création d’un… et incarne la problématique de la res- toute cour des rois qui était un théâtre « temps propre » est encore plus menacéeponsabilité. «  S’individuer, c’est prendre permanent –, mais sous le joug d’un sys- et porteuse de conséquences fâcheuses. Leconscience que l’on doit au monde », rap- tème panoptique qui superpose les écrans premier responsable de cette confiscationpelez-vous d’ailleurs. Le monde, c’est la dans le prisme desquels chacun est sous est l’obligation de productivité, et la prin-planète et c’est aussi sa famille, c’est le l’œil de chacun, le phénomène s’est ampli- cipale conséquence est l’abandon du soucipaysan d’Afrique et c’est aussi son voisin, fié de manière inédite. Tout désormais de soi et de la capacité critique à contesterc’est une ethnie entière et c’est aussi son est « accélération », notamment des exis- cet outil de production. La lutte pour récu-collègue de travail… S’individuer modi- tences, tout est «  marchandisation  » de pérer ou reconquérir du temps pour soi estfie notre conception des droits et des la célébrité ou de la notoriété par la faute un acte politique majeur.devoirs dans le sens d’une plus grande desquelles chacun devient son propreresponsabilité… outil de « chimérisation » et donc cherche Dans quelles proportions le processusIndéniablement. Et c’est pourquoi l’évo- lui-même à devenir marque, à être repéré d’individuation conditionne-t-il la facultécation du double cas d’Eichmann et comme produit à forte valeur ajoutée. Les créatrice  ? Comment, notamment dansd’Eatherly n’est pas une digression  ; elle réseaux sociaux et les followers – qui non l’entreprise, peut-on donner une concré-illustre la question, fondamentale, de l’en- seulement établissent notre notoriété mais tisation collective et tirer la quintessencegagement dans le récit collectif. Et il ne faut conditionnent la reconnaissance de ce que commune aux processus personnelspas croire qu’elle n’est pas riche d’enseigne- nous faisons – forme une impressionnante d’individuation ?ment, même appliquée à un contexte en mise en scène de l’ego, et cela même mal- Etre individué ne signifie pas forcément êtreapparence plus anodin, comme l’entreprise. gré soi  : difficile de s’extraire, là encore, davantage « équipé » pour créer. Le proces-Chaque jour, dans le monde du travail, il du diktat de la visibilité et de la traçabi- sus créatif résulte de racines, de ressorts,est proposé au sujet soit d’assumer sa res- lité pour faire connaître et valider auprès de moteurs extrêmement variés. Ensuite,ponsabilité, soit de s’en défausser. Certes du plus grand nombre ce que l’on entre- il y a plusieurs façons de « créer », de fairenous ne sommes que les maillons d’une prend ou expérimente, sans en payer le œuvre : la fraternité, comme l’art, est unechaîne – sur la planète, dans sa ville ou sa prix fort. Se retirer du jeu de l’hypervisi- œuvre fondamentale. Certains seront descommunauté, sur son lieu de travail, etc. –, bilité est compliqué, subir l’hypervisibilité «  accoucheurs  » de la créativité d’autrui,mais utiliser cette réalité pour se décréter est invivable. C’est cette double contrainte des Pygmalions, d’autres encore seront desou être considéré interchangeable et ainsi qui produit une hybridation psychique, muses, etc. Quel est l’enjeu de la créationfuir ses responsabilités, est fallacieux. nullement nouvelle, mais exacerbée entre si ce n’est de s’extraire de la rivalité mimé- les complexes de toute-puissance et ceux tique et de faire émerger un désir propre ?«  Etre irremplaçable, ce n’est pas refuser d’infériorité. Cet inattendu, cette insubordination, cetted’être remplacé, c’est simplement avoir culture de l’expérimentation – économique,conscience de son caractère irrempla- managériale, mais surtout existentielle –çable  », rappelez-vous. Personne n’est qui bouscule la stratégie planifiée, l’entre-irremplaçable, chacun est indispensable. prise doit avoir pour dessein de les favoriserNotamment dans la tête des créateurs plutôt que continuer à les décourager. Pourd’entreprises, le principe d’irremplaçabi- cela, elle doit accepter que le profit ne soitlité se confond parfois avec la notion de pas la finalité de sa stratégie mais simple-toute-puissance, et surtout devient un ment un moyen au service d’une inventionobstacle au cheminement des salariés vers sociale plus déterminante.leur propre individuation. Dans un environ-nement dominé par l’image, le marketing, Le débat sur la nécessité ou l’utilité dules médias, et qui sacralise performance, travail dominical a basculé. Il y a encorenarcissisme, vanité, cette confusion desgenres prend-elle une dimension inédite ? N°130 Avril 20168 Acteurs de l’économie - La Tribune

« « Je ne vaux rien, je me sens ou me sais totalement remplaçable et interchangeable », CYNTHIA FLEURY Dialoguer me confient des patients. Le principe de remplaçabilité ne concerne plus seulement les biens matériels : il a contaminé l’Homme. » une dizaine d’années, les vertus du repos dominical – du temps commun à tous (ou« L’entreprise cultive sans retenue presque) pour penser à soi et avec l’autre,l’instrumentalisation de l’individu. Sous et pour prendre ses distances, un jour parcouvert d’encourager l’autonomisation, semaine, avec le rouleau-compresseurl’émancipation, l’authenticité, le talent consumériste et productiviste – l’empor-de chaque salarié, l’organisation du taient ; au nom d’injonctions économiquestravail et le management exacerbent mais aussi de la liberté pour l’individu deson individualisme et son isolement, faire le choix de travailler le dimanche,ils le mettent délibérément en danger elles se sont e acées. Est-ce symptoma-en enfermant ce « sujet » dans une tique d’un bouleversement profond de laperspective exclusivement utilitariste société en faveur du plaisir strictementet subordonnée » personnel, strictement immédiat, stricte- ment matérialiste ?N°130 Avril 2016 Ne nous leurrons pas : personne ou presque n’aspire à vouloir coûte que coûte travailler le dimanche, et ce volontariat a pour seule motivation, compréhensible, la gratification pécuniaire – pour beaucoup, soumis à des salaires ou à des temps partiels peu rému- nérateurs. Ceci étant, la généralisation et donc la banalisation du travail dominical ne sont pas sans conséquence sur la manière dont nous partageons notre temps libre. Le dimanche n’était pas trop «  monétarisé  », pas trop «  marchand  »  ; aujourd’hui, il devient un jour où l’on consomme encore plus. Le repos, ce n’est pas seulement l’ab- sence d’activité, c’est aussi un certain type de partage avec autrui. Il faut veiller à main- tenir une société dans laquelle partager, hors d’un système marchand, socialement et humainement des respirations hebdoma- daires, en famille ou entre amis, n’est pas aléatoire. L’atomisation des règles infecte nécessairement l’affectio societatis, et est donc propice à enflammer certains maux dans la société  : abandon, solitude, vio- lences, dépressions, etc. Assurer à chacun sa liberté de travailler est essentiel, mais il faut aussi admettre qu’il n’existe aucune vie sans limites, sans construction d’es- paces et préservation de temps communs. Ces espaces et ces temps évoluent bien sûr au gré de l’histoire, ils doivent être pensés indépendamment des institutions, et notre époque propice aux « co », et notamment à la co-élaboration, peut d’ailleurs se révé- ler créative en la matière. Mais la sanctua- risation de cet affectio societatis (même s’il est profondément plastique) est capitale et incontournable. Le verbe et le substantif pouvoir ne portent pas le même sens. Pouvoir utile- ment pour soi et les autres exige d’être en rapport à un pouvoir adéquat. De quel substrat éthique et moral, politique et législatif, faut-il encadrer le triple exer- cice du pouvoir, de l’autorité, de la disci- pline pour qu’ils soient utilité personnelle et collective, pour qu’ils fassent éclore ou grandir l’être sujet plutôt qu’ils ne le vas- salisent et l’instrumentalisent, pour qu’ils fassent lien social plutôt que domination ? Acteurs de l’économie - La Tribune 9

Dialoguer CYNTHIA FLEURYDésubstantialiser «  le pouvoir  » est une pour imposer une nouvelle forme de Effectivement. Google, Apple, Facebook,condition essentielle pour s’affranchir d’un totalitarisme ? Starbucks en sont l’illustration. Voilàrapport idolâtre, fallacieux, duplice audit Les outils et les méthodes de la domina- des entreprises qui, par le truchementpouvoir. Le pouvoir est une réalité com- tion ont bien sûr fortement changé. Ils sont de sociétés intermédiaires basées qui enplexe et ambivalente. Il est circulaire, il plus diffus et pernicieux, moins visibles Irlande qui aux Pays-Bas, se soustraient àn’est pas l’apanage d’un seul, mais d’un ou «  saisissables  », et prennent essentiel- leur devoir d’impôts sur les bénéfices dansréseau dans lequel les membres s’adou- lement la forme de vexations symboliques, les autres pays d’Europe, dont bien sûr labent réciproquement. Il est renforcé par d’humiliations répétitives et ordinaires, France. Or ces montages d’optimisationnos croyances dans son inéluctabilité alors de dévalorisation de soi, de paupérisation fiscale ne peuvent être élaborés sans laqu’il est un artefact, fabriqué de toutes orchestrée. C’est ce mélange incessant qui complicité, délibérée ou subie, des minis-parts par les dominations symboliques produit une grande usure, voire une éro- tères du Budget. Imagine-t-on les dégâtset socio-économiques. Ses mécanismes sion de soi. Prenons le cas, en apparence que ce tel cautionnement public d’un acterelèvent d’une religion continuée, soit d’un anodin, des avantages ou privilèges sui- immoral voire délictueux provoque dansmême type de croyances, de fascinations, vants : taille du bureau, place de parking, l’opinion ? Comment dans ces conditionset de soumissions volontaires. Á l’inverse, invitation à déjeuner ou «  qualité  » de la l’autorité – et même la légitimité – de l’Etatle verbe « pouvoir » signifie la dynamique considération publique par un supérieur, de droit peut-elle se maintenir ? N’est-onde transformation, à laquelle il est essen- manière de saluer, usage arbitraire du pas dans une configuration extrême destiel que le plus grand nombre souscrive « tu » ou du « vous », possibilité d’accéder vexations, humiliations et autres domina-et participe. Essentiel, afin qu’une action à l’enceinte dans laquelle on travaille faci- tions inacceptables en démocratie ? « L’ar-concrète en résulte, et cela nécessite au lement, bref quantité de signaux inutiles bitraire légalisé » est l’un des pires fléauxpréalable que ces producteurs du verbe qui concomitamment bonifient ceux qui en de la démocratie.pouvoir soient organisés. L’autodiscipline bénéficient et relèguent ou discréditent lesest le meilleur allié du faire, au sens où autres. Ces vexations narcissiques passent Si Dieu existe, est-il un dominant, unc’est une vertu opératoire, qui permet de par l’attitude, le langage ou le geste, elles maître qui libèrent l’individu de sa mino-rendre possible et efficace ce faire. Quant à constituent des humiliations impalpables, rité ou au contraire qui l’y enferment ? Sonl’autorité, elle forme un pilier de la démo- bien sûr impossibles à dénoncer ou à pour- pouvoir est-il immaculé ou corruption ?cratie. Elle est ce surcroît conféré à des suivre juridiquement. Or elles peuvent être Dieu est un concept – polymorphe quiindividus ou des institutions que l’on juge d’une grande douleur pour ceux qui les plus est – inventé par les hommes. Il est«  légitimes  » pour nous représenter, ou éprouvent, surtout injustement et depuis l’alibi des pires manquements humains,nous accompagner dans notre propre che- longtemps – elles peuvent démarrer dès la de leur volonté farouche à ne pas devenirminement d’apprentissage, ou encore aux- petite école, notamment lorsqu’elles sont sujets. Ensuite, s’il s’agit de faire du nomquels on se réfère pour organiser la cité, et un reflet et donc la reproduction des iné- de « Dieu » la foi dans l’humanité, pour-plus généralement nos vies. L’autorité nous galités sociales. De telles stratégies insi- quoi pas, mais un tel viatique n’est paspermet de devenir « auteurs », à notre tour. dieuses de disqualification exhortent ou obligatoire. L’expérience de Mère Teresa,C’est le contraire de l’autoritarisme. convainquent la victime, à qui « on » fait sur sa longue nuit de la foi, est exemplaire prendre conscience qu’elle est niée ou du doute qui étreint l’homme et le pro-Le processus d’individuation interroge dégradée, de s’enfermer dans l’acceptation tège de ses certitudes d’ignorant. Si la foid’ailleurs en profondeur les manifesta- de sa condition, de s’auto-censurer. Com- s’identifie à une tutelle dogmatique – quitions de la domination, il met en lumière mence alors un travail, patient et long, pour peut être idéologique ou religieuse –, ellele rapport dominant-dominé. Ce rapport, déconstruire ces vexations sans produire devient délétère et même mortifère pourquels en sont les fondements, les ressorts, d’amertume ou de colère, et trouver l’accès l’esprit humain, puisque qu’elle dispenseles langages, les manifestations en 2016 ? à sa propre individuation, et à un possible (au mieux) et interdit (au pire) de penserSont-ils fortement distincts de ceux du engagement, régénérant, dans la cité. librement et par soi-même. Si la foi équi-XXe siècle ? Et à partir de quels outils les vaut à l’«  Ouvert  » du poète Rilke, à undominants contemporains agissent-ils Parfois, ces vexations révélatrices de sentiment mystérieux face au Réel, à l’ac-pour inféoder, réussir «  l’entreprise de dominations trouvent un support, une cueil et à l’exploration de perspectivesdémolition  » qui consiste à «  cesser de caisse amplificatrice voire même une inconnues, alors à ce titre, elle est totale-croire en sa propre irremplaçabilité pour légitimité là où on ne les attend pas. Par ment conciliable avec la liberté de penserdevenir un irremplaçable chaînon  », bref exemple au sommet de l’Etat (de droit)… et de pratiquer la recherche scientifique.« Chaque parent est en prise à des Etre sujet constitue le ciment du fonction-conflits de loyauté et de légitimité forts. nement d’une démocratie, séculairementNous sommes conscients des dangers considérée comme le levier d’émancipa-(compétition, inégalités, technologisation, tion, d’accomplissement des êtres libres.déshumanisation) dont nous voulons La régénération de cette démocratie,préserver nos enfants. Mais pour cela, l’accès à une salubrité et à une vitalitéil faudrait quasiment les extraire dudit en perdition, n’exigent-ils pas désor-milieu. Or c’est lourd de conséquences » mais d’inverser les rôles, c’est-à-dire de réfléchir aux voies que l’individu doit10 Acteurs de l’économie - La Tribune emprunter pour en être acteur et non plus seulement bénéficiaire ? L’Etat de droit et la démocratie composent un système vitaliste, qui, tel un organe de notre corps, « vit » de respiration, de sang, de muscles, de régénérations exogènes et N°130 Avril 2016

CONSEIL PATRIMONIAL :TCÀPRolaHurCAqAauiVosQsiAepaUdsI’EvLEpoaursDgJn?eEORhUPônReRAlÉpAeCsU, nIoSuSsImEOeRtNtoVnsQIceCUsaEvEo(irD-nNfaEi.rOemàVUl)aOSdiTspRRosiÉEtioAnPdLeAIplSTusROdeIN1M40S0O00IcNlienEts.*.*Source Caisse d’Epargne Rhône Alpes au 20/11/2015.Caisse d’Epargne et de Prévoyance de Rhône Alpes - Banque coopérative régie par les articles L512-85 et suivants du code monétaire et financier - Société anonyme à directoire et conseil d’orientation et de surveillanceNCa°p1i3ta0l deAv1r0il020001060 000 euros - 116 Cours Lafayette 69003 Lyon - 384 006 029 RCS Lyon - Intermédiaire d’assurance, immatriculé à l’ORIAS sous le n°07 004A7c6t0e.urs de l’économie - La Tribune 11

Dialoguer CYNTHIA FLEURY « Le rire et l’humour sont un antidote au politiquement correct, un rempart à l’aliénation. Mais seulement en théorie. En réalité, ils n’échappent pas à la marchandisation, ils sont devenus un exercice du pouvoir et un enjeu de pouvoir. » (ici Gad Elmaleh dans un spot publicitaire pour LCL) © DR« Dieu est l’alibi des pires manquements des hommes,de leur volonté farouche de ne pas devenir sujets »endogènes. Et cela depuis 1789 – même de notre survie. Le retrait, le renoncement, cette même inanité. Parce qu’il entretientsi ses fondements sont plus anciens. ne sont pas uniquement des notions arbi- l’individualisme, la cupidité, l’égoïsme,Cette démocratie ne vit qu’à la condi- traires, subies. Le renoncement fait partie l’utilitarisme, la marchandisation, le capi-tion d’être sans cesse remise en question, intégrante de l’individuation. En revanche, talisme est-il bien davantage obstaclemesurée à son passé éloigné ou récent, il existe des « renoncements » qui ne sont que ressort aux principes d’individuationréévaluée, et donc revivifiée à partir de que des rémanences de domination sociale. et d’irremplaçabilité  ? Un autre modèleleviers nouveaux, adaptés aux spécifici- Il ne s’agit donc pas d’évacuer la probléma- doit-il être inventé ?tés (technologiques, spatiales, culturelles, tique du deuil ou du renoncement – gran- Le capitalisme contemporain, à ce pointéconomiques, etc.) de chaque époque. La dir, s’individuer, c’est faire différents deuils financiarisé et dérégulé, «  réifie  » lesdémocratie du suffrage censitaire et celle –, mais de veiller à ce qu’elle ne soit pas humains. Il est donc totalement incompa-du suffrage universel, celle de la France instrumentée par la domination, socio-éco- tible avec le processus d’accomplissementisolée et celle de la France combinant avec nomique et politique. Ensuite, il y a un et de singularisation de la personne. Enles systèmes de 27 autres états membres deuxième âge de l’Etat-Providence à fonder, revanche, un capitalisme « encadré » parde l’Union européenne, connaissent de illustré notamment par l’avènement d’un des règles et donc assurant une concur-profondes différences. Et c’est justement revenu universel affranchissant l’homme de rence relativement non faussée, ne seraitparce que la complexité de l’Etat de droit l’obligation d’un travail pour survivre. pas ennemi de l’individuation. Mais est-ceest grandissante que la singularité des possible ? Aujourd’hui, nous avons érigé decitoyens est encore plus essentielle pour Le double enjeu de l’irremplaçabilité et tels principes de compétition et de rivalitéy faire face et assurer un fonctionnement de l’individuation inspire une lecture, qu’ils portent en eux leurs propres débor-démocratique à la hauteur des circons- une interprétation politiques, sociolo- dements, dans la mesure où ce qui importetances et des enjeux. giques, idéologiques et même partisanes. plus que tout, c’est la rentabilité à outrance, N’est-ce pas de l’antagonisme, insoluble, le profit sans limites. Nous sommes entrésMais alors ne prend-on pas le risque du « être sujet – faire collectif » dont sou re dans un monde de capitalisme entropique,chaos ? En e et, s’individuer exhorte à (se) le plus et dont est prisonnière la Gauche ? sans cesse excédant les limites de la bien-révéler toutes les poches de singularité, Une partie des partisans de Gauche se sont faisance, toujours prompt à l’exploitationmais aussi les aspirations ou exigences faits rattraper par le cénacle des «  domi- inégalitaire des ressources et des hommes.propres à l’émancipation et à la réalisa- nants », ceux qui au nom de la défense des Résultat, nous avons là un système qui pro-tion de soi qui lui sont consubstantielles. plus vulnérables en réalité ne représen- meut le vice, structurellement, qui donneOr «  faire société  » impose des renonce- taient que leurs propres intérêts. La Gauche de la valeur aux actes les plus amoraux.ments, des retraits. A force de célébrer les française est victime de la trahison de ses N’est-il pas hallucinant et profondémentsingularités de chacun, ne rend-on pas de élites, qu’elles soient corrompues ou trop symptomatique que les normes comptablesplus en plus improbable le être ensemble rentières. Ces dernières se sont engagées européennes intègrent désormais dans laet le faire ensemble ? Si chacun est auto- dans une libéralisation effrénée de l’éco- comptabilité publique les revenus de larisé à revendiquer son irremplaçabilité nomie, elles souscrivent depuis plusieurs prostitution et de la drogue ?et la sanctuarisation de ses singularités, décennies à une dérégulation incontrôléecomment peut-on faire société ? qui affecte en premier lieu ceux qui lui Un passage de votre essai décortique lesDe nouveau, l’individuation est la accordaient leur confiance. Et la gauche, ressorts psychanalytiques de l’humour.conscience d’être « manquant ». Autrement plus radicale au sens premier du terme, «  L’humour est révolution  », il échappe audit, plus on s’individue, plus on fait société. peine à rendre lisible sa capacité de gou- pouvoir dont « il refuse la normalisation » etCette équation est inéluctable, puisque pour verner, et donc de réformer durablement. qu’il « décrédibilise », le rire préfigure uneconstruire sa subjectivité, l’individu a fon- pensée, une échappée, une liberté, il estdamentalement besoin d’intersubjectivité. Se mettre en chemin vers l’individuation à la fois solitude et solidarité, autonomieLe fameux affectio societatis nous rappelle à la fois constitue un rempart à la vacuité et communion. Et donc participe au che-que créer avec les et grâce aux autres est la de la civilisation matérialiste et indivi- minement vers l’individuation. Ce qui estcondition même de notre existence et donc dualiste, et est durement malmené par rire et fait rire permet de lire l’état de santé12 Acteurs de l’économie - La Tribune N°130 Avril 2016

CYNTHIA FLEURY Dialoguerpsychique d’une société. Cet examen est-il Le rire et l’humour sont notamment un c’est d’un usage politiquement correct desource d’espérance ou d’inquiétude ? antidote au politiquement correct, ils la polémique : chaque « contributeur d’hu-Le rire et l’humour n’échappent pas à la proposent une distanciation et une décon- mour » fait très attention à faire rire de cer-marchandisation. Aujourd’hui, c’est le struction face aux spectres moralisateurs tains sujets et à ignorer les plus sensibles,bouche-trou cathodique ou radiopho- et uniformisateurs, ils sont un rempart à chaque sketch ou intervention répond ànique par excellence. Ce rire, qui relève l’aliénation. Mais tout cela, c’est essentiel- un calibrage millimétré. Même ce qui peutthéoriquement de l’inattendu, de la sub- lement théorique. Car en pratique, ce dont sembler outrancier est en vérité soumis àversion, nous avons fini par le planifier. la télévision et la radio nous abreuvent, un conformisme extrême. Le spectacle deIl est devenu omniprésent, grossière- l’outrancier est très cadré.ment imposé partout où il peut combler « La création ala vacuité ou, pire, obstruer délibérément pour enjeu de La télévision est devenue la « table fami-le « fond », le « vrai », « l’utile ». Le rire s’extraire de la liale  », elle est une «  caverne reconsti-devrait participer à faire émerger et à rivalité mimétique tuée » qui montre non pas le monde maisnourrir le débat, finalement on l’emploie et de faire émerger les images du monde, elle fait de l’individupour le museler. Il n’y a plus de plateau un désir propre. un « tout-puissant servile ». Que manque-télévisé sans «  bouffon  » pour détourner Cet inattendu, cette t-il pour que le progrès – technologique,l’attention, court-circuiter les discussions insubordination, médical, social, etc. – soit systématique-et y mettre fin. Or le rire n’a pas vocation cette culture de ment amélioration de l’humanité – indivi-à « débrancher » nos esprits, mais bien au l’expérimentation, duelle et collective ?contraire à les «  brancher  ». Enfin, l’ins- l’entreprise doit «  Tout-puissant servile  »  : c’est incontes-trumentation du rire célèbre le « rire majo- les favoriser plu- table. La «  table familiale  » ainsi décriteritaire », alors que l’essence même du rire tôt que continuer par Anders, dans les années cinquante,est minoritaire. Le rire est devenu un exer- à les décourager » n’est plus, avec l’éclatement de la famille,cice du pouvoir, tout autant qu’un enjeu de des temporalités communes, et des modespouvoir. La manière dont nous rions dit de vie traditionnels. Les écrans se sontbien sûr beaucoup des civilisations et des démultipliés, mettant en place des jeuxsociétés qui sont les nôtres. d’acteurs nouveaux. Grâce aux chaînes d’information en continu, il y a commeLa di culté des humoristes d’être autori- un sentiment d’ubiquité, mais le fluxsés ou de s’autoriser à faire rire de tout, et continu des images, et des événements,notamment de ce qui caractérise l’iden- nous « évince » de la réalité tant celle-ci,tité ethnique ou religieuse, indique-t-elle écrivait Anders, devient fantomatique,une moralisation aigüe et une dégrada- car toujours derrière un écran, prise partion des libertés ? le flux des images, des commentaires,L’espace qu’occupent le rire et l’humour des nouveaux événements chassant lesparticipe à étendre celui des libertés. anciens, etc. Le sentiment d’impuissance « Contester le réquisit de la performance et de la compétition et s’en extraire, c’est prendre la décision d’être non pas soupçonné d’avoir une valeur autre, mais catégorisé sans valeur. C’est prendre le risque d’une mort sociale. »N°130 Avril 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 13

1 Dialoguer CYNTHIA FLEURY © Denis Allard / Réa23 4© Nicolas Tavernier / Réa © Jean-Luc Luyssen / Réa © Bruno Delessard / Challenges - Réa1 « La Gauche française est victime de la trahison de ses élites, 5 qu’elles soient corrompues ou trop rentières. » © Uzi Keren / Réa2 « L’école est un lieu de maltraitance, mais aussi de récidives des mécanismes d’inhibitions, au mieux sociales au pire cognitives » N°130 Avril 20163 Travail le dimanche « L’atomisation des règles infecte l’a ectio societatis, et donc enflamme les maux de la société : abandon, solitude, violences, dépressions, etc. Assurer la liberté de travailler est essentiel, mais admettre qu’il n’existe aucune vie sans limites, sans construction d’espaces et préservation de temps communs, l’est tout autant. »4 « Google (ici son siège social France), Apple, Facebook, Starbucks n’auraient pas pu élaborer leurs montages d’optimisation fiscale sans la complicité du ministère du Budget. Un tel cautionnement public d’un acte immoral voire délictueux provoque dans l’opinion publique des dégâts considérables. « L’arbitraire légalisé » est l’un des pires fléaux de la démocratie. »5 « Dans quelles circonstances décide-t-on de ne pas ou de ne plus être sujet, de se soustraire à l’« assumation » de ses responsabilités ? Eichmann, maître d’œuvre de la Solution finale, est un cas d’école (ici dans l’attente de son procès). » 14 Acteurs de l’économie - La Tribune

CYNTHIA FLEURY Dialoguer« Les réseaux sociaux réinscrivent le « spectateur » dans un agir.Le digital n’est pas un « sous-monde » ou un « hors-monde ».Il sert les objectifs du divertissement massifié, mais est aussiun nouvel outil au service de notre immersion dans le monde »et de servilité n’est pas antinomique de contemporain qui donc non seule- manière plus juste intellectuellement etce flot d’informations. Heureusement, les ment «  empêche l’individuation  » mais éthiquement de penser.nouveaux outils de régulation, notam- «  est une individuation pervertie  » – au L’essentiel est de faire lien. D’être déter-ment l’usage des réseaux sociaux, réins- sens où l’individu est persuadé que la miné et disposé à aimer. Aimer est unecrivent le « spectateur » dans un agir. Le recherche de son autonomisation peut décision, un libre-arbitre, mais aussi undigital n’est pas un «  sous-monde  », ou se passer de la production qualitative travail. Aimer, c’est politique, car l’amour,un «  hors-monde  ». Il sert souvent les de liens sociaux ou qu’il est possible de l’attraction de l’autre et vers l’autre, le sensobjectifs du divertissement massifié, mais l’instrumenter pour son seul profit ? de l’autre, construisent l’être.pas seulement. Il est également un nouvel Cela relève d’une révolution cultu-outil au service de notre immersion dans relle majeure. Ces dernières décennies, Vous êtes philosophe et psychanalyste,le monde. l’idéologie néolibérale n’a eu de cesse de vous intervenez dans des lieux de vie très dévaloriser les comportements sociaux, variés  : dans de grands établissementsFinalement, à quelles conditions peut-on coopératifs, non exclusivement tournés d’enseignement supérieur (Ecole Poly-espérer être sujet empathique et vers le profit. Soit ils étaient jugés défail- technique, Sciences Po Paris, HEC, Ame-altruiste, être individu non individualiste, lants en terme de performance écono- rican University of Paris) et au Muséumc’est-à-dire échapper à cet individua- mique, soit ils relevaient de l’utopie niaise national d’histoire naturelle de Paris, aulisme contemporain «  qui se vit comme altruiste. Nous nous réveillons enfin de sein de la cellule d’urgence médico-psy-le seul génie des lieux, convaincu d’être ce lavage de cerveaux, et redécouvrons chologique du Samu ou à l’Hôtel-Dieu oùl’alpha et l’omega d’un monde qui n’a ni le caractère proprement rationnel de vous venez de créer la première chairemystique (le sens de Dieu) ni République l’éthique. Celle-ci n’est pas un supplé- de philosophie à l’hôpital. Vos « métiers »(le sens des autres) », cet individualisme ment d’âme mais une épistémologie, une et les lieux où vous les exercez vous RÉVÉLEZ LES TALENTS Programmes sur mesure DE VOTRE ENTREPRISE Formations courtes CHOISISSEZ L’UNIVERSITÉ E-learning JEAN MOULIN , LA RÉFÉRENCE EN FORMATION CONTINUEN°130 Avril 2016 Contactez nos équipes et bénéficiez d’une expertise de haut niveau au service de vos projets innovants. + D’INFOS 04 26 31 87 47 | [email protected] Acteurs de l’économie - La Tribune 15

Dialoguer CYNTHIA FLEURY « Une partie Ces personnalités résilientes honorent du monde, la préoccupation, à laquelle vous êtesconfèrent finalement une légitimité toute performante dans très attachée, de « générativité » – pré-particulière pour comprendre l’Homme, la précarité, fait occupation consciente d’avoir un impactl’Homme dans ses vulnérabilités et ses supporter aux positif et durable sur les générationstrésors, dans ses travers et ses aspi- autres les ultérieures, contribution au bien-être derations, dans ses manques et ses res- répercussions la communauté, responsabilité enverssources. Est-il à la hauteur des enjeux néfastes de cette autrui et développement d’activités– humanité, progrès, environnement – de précarité. Tout le créatrices qui peuvent être remémoréessa propre civilisation ? monde n’est pas par les autres dans le futur. Cette géné-Chaque jour est le théâtre d’un festival équitablement rativité fait écho au questionnement ded’antinomies  : impossible d’échapper à armé pour tirer Goethe  : «  Naissons-nous en dette d’êtrel’horreur de ce qui se passe internationa- profit du risque » nés  ?  », c’est-à-dire n’avons-nous paslement, une simple lecture des rapports pour devoir de faire et de donner pourde la Cour pénale internationale pour- assurer à l’héritage que nous laissons desrait nous faire perdre toute espérance en propriétés au moins aussi vertueuses quel’homme. Et puis, il y a ceux qui résistent, celles de l’héritage que nous avons reçu ?ils ne sont pas aussi nombreux, mais ils Le niveau de générativité observé dansont une telle force d’âme qu’elle nous vos fonctions consolide-t-il votre espé-régénère malgré les douleurs du monde. rance en l’humanité ? Que les campagnes,Ensuite, nous ne traversons pas tous les toutes deux perdues, aux primaires fran-mêmes traumatismes. Certains ont la çaises de 2012 pour Martine Aubry etchance absolue d’être épargnés. Quand américaines de 2008 pour Hilary Clintonje dis « épargnés », je ne parle pas d’une aient eu pour socle le «  soin d’autrui  » –vie douce économiquement parlant, je Care –, doit-il être interprété comme laparle de traumatismes bien plus fonda- grande di culté, voire l’impossibilité dementaux, qui relèvent de l’irrécupérable transformer politiquement et de fairetant ils sont déshumanisants  : torture, reconnaître populairement l’exigenceviol, exode, maltraitance infantile. Chez d’humanité ?la plupart de ces êtres frappés par la bar- Le « soin », de soi et de l’autre, constitue lebarie des hommes, restaurer un sens, un fondement premier de cette générativité.espoir, une finalité dans leur existence Or la formidable puissance destructricerelève de l’improbable, voire de l’impos- de la machine capitaliste et libérale estsible. Pour ceux qui n’ont pas traversé ces parvenue à la reléguer loin, très loin dansexpériences-limites, dépasser le décou- l’ordre des priorités. Pire, elle est parve-ragement est plus simple. Il y a toujours nue à imposer une fallacieuse croyance :quelqu’un avec lequel échanger, ou un le chiffre s’est substitué au sujet pour fairelivre que l’on peut saisir, ou une associa-tion à laquelle on peut se rattacher, ou un protection du sujet.réseau social, en somme toujours des tiers Dans ces conditions, faire valoirrésilients susceptibles d’accompagner la politiquement une approchereconquête de nous-mêmes, et le désir de holistique du soin, ou encoreréinvestir le champ socio-politique. Pour convaincre que la justice estma part, l’expérience humaine et pro- le modèle de croissance, plu-fessionnelle m’a enseigné les trésors de tôt que l’inverse, est difficile.la philia, cette amitié politique, au sens L’irremplaçabilité tente cettearistotélicien du terme, qui nous per- aventure-là. Pour ma part, simet de fraterniser et de bâtir la cité. je parviens à mettre en placeJe n’ai pas eu de maître à penser, je une ou deux poignées d’ou-n’appartiens pas à cette génération tils concrets, de mon vivantqui s’est construite dans le sillage – création d’un revenu uni-d’un grand autre. En revanche, j’ai versel et de temps citoyensrencontré des collègues précieux, dans les entreprises, généra-dont l’intelligence et la générosité lisation du bi ou trilinguismeont été capitaux dans mon par- national qui conditionne lacours, grâce auxquels je pense citoyenneté européenne...  –,mieux, et qui chaque jour me alors je pourrai être satis-redonnent courage simplement faite de ma «  contributionpar le fait de réfléchir et de générative. » rire avec eux.16 Acteurs de l’économie - La Tribune N°130 Avril 2016

SCHOOL OF MANAGEMENT RUBRIQUE DE NOM Dialoguer CELEBRATING th SINCE 1956* Aller au-delà. MBA, Masters, S’ouvrir, s’enrichir, Licences Pro, s’épanouir ... Diplômes d’Université et Formations courtes Julie - Master 2 Contrôle de Gestion - Audit Formation Continue à temps partiel pour les professionnels think large* Management • innovation • gestion de projets iae.univ-lyon3.fr • ressources humaines Acteurs de l’économie - La Tribune 17 • direction commerciale • communication • contrôle de gestion • coaching en entreprise • vente • gestion de patrimoine N°130 Avril 2016

LYON 2016Dialoguer RUCBCREIOQNUNTE RDGEERNODEMES Dével0o0p0p1e1ment 16 JUIN&15Cr0é0a0t0i5on Fina0n0c0e0m3ent Re0p0r0i0s2e LLYYOONN -- AAUUVVEERRGGNNEE RRHHÔÔNNEE--AALLPPEESS LL’’ÉÉVVÉÉNNEEMMEENNTT NN##11 DDEESS CCRRÉÉAATTEEUURRSS,,SSTTAARRTT UUPP && DDIIRRIIGGEEAANNTTSS DD’’EENNTTRREEPPRRIISSEESSI N V I TAT I O N S code SPÉCIAL invitation NUMÉRIQUEsalondesentrepreneurs.com 1act N°130 Avril 2016 @SDEntrepreneurs #SalonEntrepreneurs Un événement 18 Acteurs de l’économie - La Tribune

ÉDITORIAL DialoguerOL’ÉDIT RIAL,DENISLAFAYQUAND ON N’A QUE L’AMOUR« L’essentiel est de faire lien, d’être déterminé et disposé à aimer, Vialatoux (p.76) cherche à placer les 55 salariés de cette fabrication de car aimer est une décision, un libre-arbitre, mais aussi un tra- menuiserie dans les conditions culturelles, managériales, sociales, orga- vail. L’amour, l’attraction de l’autre et vers l’autre, le sens de nisationnelles de s’accomplir sujet, d’être pour faire. Là encore, aucunel’autre construisent l’être. C’est pourquoi aimer est politique », détaille la recette miracle, aucun slogan spectaculaire, simplement des méthodesphilosophe et psychanalyste Cynthia Fleury (p.4). Cet amour est devoir, d’implication, des mécanismes de récompense, un climat d’ensemble quinécessité, parce qu’il puise dans les entrailles de « l’être individué », cet convergent vers la considération. Laquelle constitue l’un des fermentsêtre émancipé, libre et accompli, finalement cet être-sujet qui simulta- premiers de l’amour, mais aussi de la construction de soi qui mène à lirenément se réalise et réalise avec et pour les autres. L’amour est bel et bien son monde puis le monde.concomitamment révélateur de soi et lien avec l’autre, démontre l’auteurdes Irremplaçables (Gallimard), enseignante-chercheuse-praticienne Tous des activistes de « l'amour politique »aussi bien à HEC et Polytechnique qu’au Muséum d’histoire naturelle, auservice médico-psychologique du Samu ou à l’Hôtel-Dieu. L’amour, ici Cynthia Fleury, Daniel Kawka, Eric Vialatoux, David Décamp  : cesappelé à résister aux « poisons » matérialiste, capitaliste, technologiste « témoins » ou « producteurs » d’amour ont beaucoup en commun,qui créent une vassalité atrophiante, est interrogation et lecture non seu- bien sûr à di érents niveaux. Une démarche authentique et dépol-lement du monde mais aussi de chaque monde intérieur. luée des scories, la volonté d’être contributeur de la réalisation d’autrui, un examen implacable de la société mercantiliste, égoïste, recroquevillée,Aimer pourrait constituer le verbe-support de chaque révélation, vaine, artificielle, mais aussi la conscience d’une absolue nécessité : se chaque introspection, chaque exhortation confiées par le chef désaliéner des futilités et des inutilités, des asservissements multiples d’orchestre Daniel Kawka (p.118), qui embarque le lecteur à ses auxquels asservit le rouleau-compresseur marchand, celui qui hiérarchisecôtés dans un extraordinaire voyage vers puis dans, au cœur de l’œuvre. l’Homme et l’assujettit à la compétition et à la performance, au pouvoirL’œuvre de Wagner et de Malher, de Schubert et de Ravel est ici aimée et à l’immédiateté, à l’accumulation et à la vacuité. Chacun d’eux aide àd’un amour qui semble recouvrir chaque paroi de sa conscience, chaque circonscrire « l’essentiel », c’est-à-dire invite respectivement les élèvesnervure de son corps, chaque strate de son âme. Les musiciens qui com- de ses cours ou les lecteurs de ses livres, les musiciens de ses orchestresposent ses deux formations – Ensemble Orchestral contemporain et Ose ! ou les spectateurs de ses concerts, ses salariés, clients et fournisseurs,– et toutes celles qu’il dirige de Florence à Saint-Petersbourg, il les aime, enfin ses collectionneurs à être sujet de leur monde pour devenir sujetil leur enseigne de s’aimer eux-mêmes et ensemble afin que l’interpré- du monde. Finalement, à être être. Sur cette page, ils sont quatre à incar-tation, extatique, de l’œuvre célèbre le compositeur et di use chez le ner ce statut d’être-sujet, d’être individué qui conditionne la possibi-spectateur l’émotion qu’en sa qualité de « passeur » il a la responsabilité lité d’aimer et de faire aimer ; mais en réalité combien sont-ils à ainside créer et de répandre. Sans amour, indique ce chef d’orchestre doublé faire rempart, tête haute, au spectre de « remplaçabilité » qui contamined’un chef d’entreprise hors du commun, impossible de faire surgir de désormais l’espèce humaine après s’être imposée aux biens matériels ?l’œuvre et du corps – social, professionnel, artistique – orchestral les tré-sors, c’est-à-dire aussi les leçons de spiritualité, de management, d’édu- Nombreux, immensément nombreux, heureusement. Mais disséminés,cation, d’entrepreneuriat, de société, et donc d’humanité qui forment une souvent inconnus les uns des autres. Et surtout en rupture d’avec uninterrogation, une lecture du monde et de chaque monde intérieur. système politique et une organisation démocratique incapables de les rassembler et de servir de porte-voix aux trésors – d’humanité, d’en-Aimer, faire aimer, mais aussi être aimé : c’est dans ce sillon que le trepreneuriat, de créativité, d’innovation – qu’ils recèlent. La responsa- sculpteur David Décamp (p.114) imagine, modèle, polit la matière qui bilité des êtres-sujets est donc considérable dans le contexte de débâcle met en perspective nature et mort, arbre et mort, animaux et mort. politico-politicienne, d’épuisement démocratique, de délitement citoyen.L’obsession ici trouve son origine dans la mutilation, et son sens dans Ils portent en eux l’espérance de riposter à cette déliquescence, et d’o rirune quête sinon de beauté et de réconciliation, plutôt d’interrogation et une alternative pleinement politique, au sens bien sûr de la res publica.de lecture du monde – et de chaque monde intérieur pour qui le décide. « Quand on n’a que l’amour… », chantait Brel. Et bien quand on n’a plus queL’intranquille est ainsi qualifié l’artiste, non par analogie avec le titre de l’amour, il faut lui donner un sens, un dessein, une envergure politiques.l’autoportrait âpre, radical, bouleversant du « fils, du peintre, du fou » L’amour tel que Cynthia Fleury le décrit et le conditionne à l’accomplisse-Gérard Garouste, mais parce que de cette intranquillité jaillit ce qui forme ment de l’être individué, est bel et bien « politique ». les ressorts de l’individuation, de «  l’accomplissement utile  » chers àCynthia Fleury : la faculté de subversion, d’insubordination, de désobéis-sance mais aussi de questionnement (chez l’artiste et chez l’amateur) quiparticipe à façonner l’être-sujet.C’est, lui aussi, sans esbroufe ni déclaration tonitruante, sans arro- gance ni fatuité, qu’il s’emploie à déployer dans sa PME, Lofoten, les possibilités de travailler «  avec bonheur  ». Modestement, EricN°130 Avril 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 19

SOMMAIRE Entreprendre Dialoguer Entrée en matière 3 Aéroports Lyon et Genève, 32 Serge Tisseron 4 oseront-ils ? Cynthia Fleury 19 “ Aimer, c’est politique ” 24 Le petit monde 40 Éditorial 26 L’actualité en images 28 des prud'hommes de Lyon L’initiative de Soizic Ozbolt 30 Évian-Thonon-Gaillard Football Club, Lu sur acteursdeleconomie.com 31 48 Chroniques la descente aux enfers Tribune Hélène CourtoisN°130 Casino, 54 à Saint-Etienne pour la vie ? 62 Chroniques 63 Tribune Bertrand MartinotActeurs de l’économie est publié par RH Editions (capital 221 640 euros). - 51 avenue Jean Jaurès, - 69007 Lyon - Tél. 04 72 18 09 18 - Fax 04 72 18 09 21 - [email protected] - acteursdeleconomie.compremièrelettreprénom.nom @acteursdeleconomie.com - Directeur de la publication et de la rédaction : Denis Lafay - Directeur général délégué : Valérie Asti - Rédacteur en chef adjoint : Romain Charbonnier - Rédacteur en chefweb : Jean-Baptiste Labeur - Journalistes : Didier Bert, Arnaud Cogne (Agefi), Geneviève Colonna d’Istria, Marie-Annick Depagneux, Dominique-Myriam Dornier, Nelly Gabriel, Maxime Hanssen, Karen Latour,Marie Lyan, Yann Petiteaux, Nicolas Rousseau, Françoise Sigot - Secrétariat de rédaction : Nicolas Rousseau - Photographes : Laurent Cerino, Hamilton - Dessinateurs : Kanellos Cob, Vic - Maquette : Marie-AnneJoly - Conférences-Débats : Nicolas Rousseau - Responsable webmarketing & communication : Emilie Degueret-Cornern, Eric Fossoul - Comptabilité : Sonia Girard - Abonnements - Publicité : Anaïs Jeantet, Razala Oulka -Impression : Courand, 82 route de Crémieu, 38230 Tignieu-Jameyzieu - N° de CPPAP : 0320K89381 ISSN 1620-6096 - Dépôt légal : 2ème trimestre 2016 - 5 n°/an - Couverture : BraunS, iStock by Getty Images, FotoliaERRATUM : Dans notre numéro 129, nous avons indiqué dans notre dossier Instances patronales, le choc des générations que Jean-Paul Mauduy, président de la CCI Rhône-Alpes pourrait se présenter pour un troisième mandat. Ce dernier tient à préciser qu’atteint par la limite d’âge, il ne peut se représenter à nouveau. PROXIMITÉ VOUS NOUS AVEZ NOUS NOUS ENGAGEONS MOBILITÉ TRANSPARENCE ÉLU N°1 DE LA À CULTIVER CETTE SIMPLICITÉ SATISFACTION CLIENT, DIFFÉRENCE. RÉACTIVITÉ 23N/10°/1230105 A08v:3ri6l:220016 www.banque-rhone-alpes.fr acteurs eco 200x45.indd 120 Acteurs de l’économie - La Tribune

Inventer Comprendre Respirer Anthony Bleton-Martin, 75 startupper quadragénaire 76 Le bonheur est dans LofotenLe rêve de Ingénieurs, 82Corinne Vezzoni l’exemple françaisImpression 3D, Auvergne-Savoies,la révolution 65 tout un fromage 90 David Décamp,Chroniques Architecture urbaine, l’intranquille 114Tribune Éric Boillat 66 la patte des grands 96 Daniel Kawka, le boss 118 72 Conférence 102 Le clan des ceps 136 73 Chroniques 104 Tribune Bruno Messina 138risques & assurances due diligence - appel d’offres d’assurancesmanagement de la continuité de la chaine d’approvisionnementsmanagement de la continuité d’activitésKonseï78 rue de l’Ancienne Caserne 69250 Montanay - 04 78 32 33 28 [email protected] rue de la Butte 25000 Besançon - 03 81 51 02 01sarl au capital de 100 000 € - 510 347 073 RCS LYON - 12 065 484 ORiAS - 82 69 13185 69 DiRECCTE - NAF 7022Z - www.konsei.frN°130 Avril 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 21

Dialoguer RUBRIQUE DE NOM 10 ansPartenaires * Signature provisoire : le nom de la Région sera fixé par décret en Conseil d'Etat avant le 1er octobre 2016, après avis du Conseil Régional.Partenaires médias N°130 Avril 2016acteursdeleconomie.comInscr2iv2eAzct-euvrsodeul’sécsonuomr ie - La Tribune

RUBRIQUE DE NOM Dialoguer S'épanouir TransmettreÉcrire le futur Mobiliser Inventer TransmettleÉrcfuritrueer MRoebbiloisnerdirMobiliserS'enrichir Mobiliser S’épanouir Créer Créer RévolutionnerRebondirRévolutionnerÉduquer Rebondir Transmettre CréerS'épanouir S'enrichirS’enrichirInventerMobiliser Créer Transmettre S'enrichirInventer Être utile InventerRebondirS'épanouir RévolutionnerS’épanouir Transmettre Être utile Écrire le futurInventerRebondir CréerCréer CréerS'enrichir Être S'enrichirCréer utile InventerInventerS'enrichir ÉcrireÊtre Créer Créerutile Être utile Révolutionner TransmettreRebondirÉduquer le futur RebondirÊtre Rebondir S'épanouir utile S'enrichir Créer MobiliserCréer S'épanouirInventerÊtre utileRévolutionner Inventer Rebondir ÊtreCréer ÊtreÉduquer utile RévolutionnerS’épanouir Être utileInventer Transmettre Transmettre Inventer Mobiliser Écrire Écrire le futur le futur S’enrichir Inventer CréerMERCREDI 15 JUIN 2016Salon des EntrepreneursLyon, Cité Internationale Les Prix Acteurs de l’économie - La Tribune 23 Pour les 10 ans de l’événement, 10 Prix célébreront l’entreprenariat à travers 10 déclinaisons du verbe entreprendre Président de cérémonie Jean-Louis Etienne médecin, scientifique et explorateurN°130 Avril 2016

© Laurent Cerino / Acteurs de l’économieDialoguer L’ACTUALITÉ EN IMAGES1Perquisition à l’évêché, polémique, 1 le cardinal Philippe Barbarin est dans la tourmente après 2 que des actes de pédophilie ont été révélés dans son diocèse. S’il n’est pas lui-même impliqué dans les a aires, l’évêque est accusé de n’avoir pas immédiatement sanctionné deux prêtres accusés. Ces événements mettront-ils un terme à son ministère ? 2La loi travail n’en finit pas de cristalliser les tensions. Quatre actions en quatre semaines. Malgré les ajustements opérés sur le texte, plusieurs milliers de personnes (jeunes, étudiants, salariés, retraités) sont descendues dans les rues (ici, à Lyon) afin de demander le retrait pur et simple du projet de la ministre du Travail, Myriam El Khomri. 3À 94 ans, le sociologue et philosophe Edgar Morin mobilise toujours autant. Son entretien « Le temps est venu de changer de civilisation », publié sur le site acteursdeleconomie.com, a cumulé plus de 1,3 million de pages vues. 3© Laurent Cerino / Acteurs de l’économie N°130 Avril 2016 © Hamilton24 Acteurs de l’économie - La Tribune

L’ACTUALITÉ EN IMAGES DialoguerLe futur de l’agro-écologie se dessine dans la Limagne © Bouchet Coup de tonnerre dans le monde des écoles(Puy-de-Dôme). D’ici à quelques mois, un laboratoire de commerce : emlyon business school etsera lancé à ciel ouvert sur plus de 100 000 hectares Grenoble École de Management scellentde plaine. L’objectif étant de produire autant mais mieux, leur alliance. Ce nouveau tandem, dont la misedans un contexte de transition agro-écologique. Ce projet est en œuvre prendra e et à la rentrée de septembre,porté par l’Inra, l’Irstea, Céréales Vallées et le groupe Limagrain. sera propulsé sur le devant de la scène française. Il pèsera davantage dans la compétitionJean-Philippe Demaël internationale, les deux budgets cumulésa quitté la direction atteignant 100 millions d’euros.de Somfy, entreprisesavoyarde spécialisée Le modèle financier de l’A45 se précise. Et les travaux aussi.dans les équipements Le dénouement de la nouvelle autoroute reliant Lyonautomatisés pour à Saint-Étienne et budgetée à 1,2 milliard d’eurosle bâtiment, dont pourrait survenir dès le 22 avril.le chi re d’a airesa atteint un milliard © Laurent Cerinod’euros. Il est remplacépar Jean-GuillaumeDespature (photo),38 ans, membrede la famillepropriétaire. © DR Confronté à une fronde de son équipe © Laurent Cerino / Acteurs de l’économie dirigeante, Vincent Michelot, 54 ans, professeur des universités, spécialiste des États-Unis, a démissionné de ses fonctions de directeur de Sciences Po Lyon. Les membres du comité de direction ont déploré un « défaut de suivi des dossiers essentiels » par le directeur ayant conduit « à une rupture du lien de confiance » qui les « unissait tous ».N°130 Avril 2016 Lyon devient la capitale de la musique électro pour la 14ème année consécutive avec le festival des Nuits sonores du 4 au 8 mai. Acteurs de l’économie - La Tribune 25

© Laurent Cerino / Acteurs de l’économie Dialoguer L’INITIATIVE N°130 Avril 2016 L’idée de départ est simple  : récu- pérer le surplus de fruits chez les producteurs, les invendus ou les invendables afin de les transformer en friandises baptisées Fwee. Par le procédé de déshydratation, le cuir de fruit en est alors extrait. Une façon pour Soizic Ozbolt, sa fondatrice, de faire la chasse au gaspillage ali- mentaire, mais aussi de soutenir les agriculteurs en valorisant au mieux leur travail. Une démarche fruit d’une expérience et d’engagements menés depuis une dizaine d’années auprès notamment du mouvement solidaire Disco Soupe, visant à sensibiliser au gaspillage alimentaire dans une ambiance festive. Cette probléma- tique, Soizic Ozbolt en a donc fait son cheval de bataille. «  Nous voulons montrer les alternatives raisonnable et viable, souligne-t-elle. Et ce sont eux qui pourront le faire, pas la grande distribution. » Un combat que la jeune entrepreneuse mène avec passion et énergie : « Créer de la valeur grâce à ces produits, c’est une vraie victoire », annonce celle devenue chef d’en- treprise à 22 ans suite au décès de son père. À l’époque, elle reprend au pied levé l’a aire familiale de 15 per- sonnes, et relève le défi de la stabili- ser avant de la revendre deux ans plus tard, et de s’engager dans un tour du monde. Mais en quête de sens, et par ces valeurs qui l’animent, elle préfèrera créer son entreprise anti gaspi, loin des expériences vécues en grandes entreprises. «  Je me soup- çonne ainsi d’avoir créé le travail que j’aurais rêvé que l’on me propose.  » Agronome de formation, Soizic Ozbolt se bat désormais chaque jour pour faire évoluer les mentalités des consommateurs, à sa petite échelle, espérant ainsi, à l’avenir, une prise de conscience générale. RC Retrouvez Soizic Ozbolt, dans l’émission Start’Up Co, proposée par TLM –Télé Lyon Métropole et Acteurs de l’économie-La Tribune, chaque 2e et 4e vendredi du mois. SOIZIC OZBOLT, L’ANTI-GASPI 26 Acteurs de l’économie - La Tribune



Dialoguer LU SUR ACTEURSDELECONOMIE.COM « NOUS DEVONS REGARDER LES ÉVÉNEMENTS QUI NOUS ARRIVENT PERSONNELLEMENT ET COLLECTIVEMENT AINSI« Les conditions de travail se sont QUE LES ÉVÉNEMENTS DU MONDE À TRAVERS L’IDÉE QU’UNEaméliorées grâce aux nouveaux outils PART MAJEURE DE NOS ORGANISATIONS ACTUELLES,et je compte bien sur ces avancées ET PARTICULIÈREMENT DE NOS INSTITUTIONSpour m’aider dans le futur. Il y a de PUBLIQUES, SONT EN TRAIN DE MOURIR »vraies opportunités d’épanouissementprofessionnel à la clé. Il faut juste Cueillir ce nouveau mondeavoir une volonté d’acier et faire Olivier Frérot, vice-recteur de l’Université catholique de Lyon,ses preuves afin de convaincre en charge du développement, 15 févriernotre entourage… masculin »La moitié des agriculteurs sont des agricultricesAline Cabaussel, agricultrice, 29 février« PRÉVOIR AUJOURD’HUI L’ÉTAT D’ENNEIGEMENT DES MASSIFS MONTAGNEUX POUR L’HIVER 2029-2030EST DONC TOUT AUSSI ILLUSOIRE QUE DE LE FAIRE POUR L’HIVER 2016-2017 »Y aura-t-il de la neige sur les massifs montagneux en 2030 ? « Une nouvelle loi doit-elleSamuel Morin, directeur du centre d'étude de la neige, 11 février se substituer aux règles générales qui régissent« SALUONS LA VOLONTÉ LU SUR notre société (Constitution,DE SERGE KAMPF ACTEURSDELECONOMIE.COM lois déjà en application,DE DÉVELOPPER AU NIVEAU accords internationaux)MONDIAL UNE ENTREPRISE et au bon sens qui doitDONT LES RACINES ET présider au vivre ensembleLES CENTRES DE DÉCISIONS dans une société plurielle ? »SONT RESTÉS FRANÇAIS,SANS CÉDER À LA TENTATION La loi travail et religions :DE «SE VENDRE» À un risque de confusionL’ÉTRANGER » Jean-Dominique Durand, professeur des universités, 23 marsSerge Kampf continuerad’inspirer des générations « JUSQU’À PRÉSENT,d’entrepreneurs L’ORGANISATIONDominique Nouvellet, CONTRAIGNAIT LESfondateur du groupe Siparex, 17 mars INDIVIDUS, IL CONVIENT QUE CE SOIT LES INDIVIDUS QUI FAÇONNENT L’ORGANISATION »« L’alpinisme nous enseigne qu’une ascension n’est pas finie au som- Quand l’individualisme nousmet, mais tout en bas, une fois la descente menée à son terme » échappe, le collectif doit renaître Dominique Schmauch, ingénieurLa montagne est le théâtre d’une relation singulière entre l’individuel et le collectif agronome, mathématicien etErik Decamp, guide haute montagne, 8 février psychanalyste, 7 mars« POUR QUE LES CITOYENS PUISSENT RÉELLEMENT « La jeunesse est l’avenir du monde.SE RÉAPPROPRIER L’ESPACE POLITIQUE, NOUS DEVONS J’exhorte tout le monde à ne fixer aucuneCASSER LE MONOPOLE DONT JOUISSENT LES PARTIS limite, car je crois qu’il n’y a pas unePOLITIQUES SUR LA DÉSIGNATION DES CANDIDATS » jeunesse, mais des jeunesses »Les «civic techs», dernière chance de décloisonner la politique ? La jeunesse est d’utilité publiqueDavid Guez, avocat au Barreau de Paris, 16 mars Laurent Dumonteil, président de la Jeune chambre économique de France, 12 février« LA SMART CITY OU TERRITOIRE INTELLIGENT, PEUT DEVENIR UN CATALYSEUR PERMETTANT DE FAIRECONVERGER LES ACTEURS, UN LEVIER POUR AGIR SUR NOS CONDITIONS DE VIE ET ACCOMPAGNER LESCHANGEMENTS EN REPLAÇANT LES TECHNIQUES AU SERVICE DE L’HOMME ET DE SOCIÉTÉS PLUS RÉSILIENTES »Quelle place pour la smart city ?Marie-Françoise Guyonnaud, présidente de Smart Use, 25 mars28 Acteurs de l’économie - La Tribune N°130 Avril 2016

Mutuelle soumise aux dispositions du livre II du Code de la mutualité, n°Siren 538 518 473. Numéro LEI 969500JLU5ZH89G4TD57. RUBRIQUE DE NOM Dialoguer La santé de mes salariés, c’est la santé de mon entreprise. SANTÉ PRÉVOYANCE ÉPARGNE - RETRAITEDES SERVICES DE PRÉVENTION PERSONNALISÉE POUR VOS SALARIÉS.• Profitez de services d’experts pour répondre aux questions santé, pour accompagnerceux qui souhaitent arrêter de fumer, mieux équilibrer leur alimentation ou mieux gérerles situations de stress au travail.• Bénéficiez du service d’accompagnement personnalisé de notre partenaire BetteriseTechnologies, une plateforme digitale simple et ludique pour vous aider, vous et vossalariés, à prendre soin de votre santé au quotidien.1rNe°m130utAuvreil l2l0e16santé de France, au service des entreprises et des salariés. Acteurs de l’économie - La Tribune 29 En harmonie avec votre vieDécouvrez nos solutions sur lasantegagnelentreprise.fr

Dialoguer CHRONIQUESBouillon de cultureENTREPRENEURIALE« Evoquer le concept d’entrepreneuriat culturel pouvait Par Alexis Chabert, confiner il y a peu encore à l’oxymore. Comment imagi- Avocat associé, Delsol Avocats ner que les porteurs de projets artistiques ou culturels puissent se revendiquer comme entrepreneurs alors LA FIN DE L’ÂGE D’OR que leur mission première n’est pas la création de DES ORDONNANCES valeurs économiques et que souvent les subventions SUR REQUÊTE publiques sont indispensables pour rendre ces «  pro- pour lutter contre la concurrence déloyale ? duits » culturels accessibles ? Nos cabinets spécialisés en contentieux des affaires sont très souvent solli-C’est que les représentations du fait entrepreneurial ont beaucoup évolué  : l’entre- cités sur des problématiques de concurrence déloyale, notamment liées au départ d’anciens salariés qui décident de créer une structure concurrente.preneur n’est plus réduit à cet individu démiurge, seul visionnaire créateur, capable La jurisprudence de la Cour de cassation rappelle pourtant, depuis des décennies maintenant, que la concurrence faite par d’anciens employés estde supporter un risque dans la perspective d’une valorisation économique. On élargi autorisée, sauf s’il est démontré des agissements déloyaux ayant pour objet de capter illicitement la clientèle d’autrui (dumping systématique des prix, utilisation d’un ancienl’entrepreneuriat aux formes d’engagement, individuel ou collectif, qui visent à rendre carnet d’adresses, dénigrement). Les tribunaux exigent donc aujourd’hui des éléments de preuve directs des agissements déloyaux. C’est à ce stade que les plaideurs mettentpossible une nouvelle proposition de valeur sans préjuger du fait qu’elle soit « monéti- en œuvre des procédures dites d’ordonnance sur requête, au visa de l’article 145 du Code de procédure civile. Cette disposition permet, avant tout procès au fond, desée » ou non, rentable ou non. Cette nouvelle proposition de valeur est entrepreneuriale solliciter l’autorisation du président du tribunal de faire diligenter des mesures de saisies documentaires à l’aide d’un huissier de justice accompagné d’un expert informaticienlorsque sa concrétisation nécessite de bousculer un cadre établi et d’inventer pour et de la force publique. Ces mesures non contradictoires, ne nécessitant pas que l’ad- versaire soit prévenu, se sont avérées très efficaces mais ont conduit à certains abus.cela de nouveaux schémas organisationnels. L’industrie culturelle est particulièrement La Cour de cassation a réagi en restreignant de manière stricte sa jurisprudence, en jugeant notamment aux termes d’un arrêt du 19 mars 2015 qu’une ordonnance ayantengagée dans l’innovation entrepreneuriale, comme en témoignent chaque année à permis des saisies documentaires devait être rétractée si la requête était muette sur les circonstances justifiant qu’il soit procédé non contradictoirement.Lyon les dirigeants de festivals européens lors du European Lab (4 au 6 mai). Ainsi, Non-disparition des piècesquitte à agacer, on peut affirmer qu’il y a des créations d’entreprises qui sont moins Cet arrêt semble donc interdire des clauses de style pour imposer, au contraire, une argumentation étayée. Cette exigence formaliste est cri-entrepreneuriales que des projets culturels. tiquable, car il est bien souvent évident que prévenir son adversaire que l’on souhaite venir saisir des éléments de preuve, c’est risquer deEst-ce à dire que les organisations culturelles et créatives sont simplement en train les voir disparaître. Cette position a cependant été confirmée par la Cour d’appel de Lyon, dans deux arrêts du 28 mai 2015 et du 21 janvier 2016, qui a jugé qu’uned’importer des schémas entrepreneuriaux issus des activités économiques tradition- requête lapidaire sur la nécessité de procéder par voie non contradictoire ne suffisait pas à justifier la mise en œuvre de ces procédures d’exception. Si le risque est d’éviternelles ? Ce serait oublier tout ce que ces entrepreneurs culturels ont inventé depuis des des procédures abusives, il semblerait pourtant que la pratique de certains tribunaux qui autorisent la saisie, mais ordonnent le séquestre des documents, soit plus efficace,années et ce qu’ils ont à nous apprendre. puisqu’il permet non seulement de garantir la non-disparition des pièces, sans pour autant permettre l’appréhension de celles-ci sans débat. Si les plaideurs vont bien évi-Ils ont notamment été pionniers dans l’affirmation d’un entrepreneuriat collectif. Si des demment adapter leur pratique, ces jurisprudences récentes conduisent à une certaine insécurité juridique en permettant l’annulation de saisies documentaires sur la base« figures » peuvent se dégager pour prendre la parole ou négocier, de nombreuses de ces nouveaux critères. Ces mesures non contradictoires demeureront cependant toujours un moyen efficace pour défendre un marché attaqué de manière illicite, nestructures sont organisées autour d’un collectif entrepreneurial, souvent plus lié par serait-ce qu’en raison de leur caractère invasif et déstabilisant.l’exigence du partage d’une vision que par l’attachement à des parts au capital. N°130 Avril 2016Cohérence © David Venier - DAVM Universite Jean Moulin Lyon3 - Christelle ViviantCes entrepreneurs nous montrent qu’on peut entreprendre de manière efficace sansnécessairement posséder toutes les ressources indispensables. On peut les obtenirle temps d’un projet. Une compétence forte de l’entrepreneur, individuel ou collectifest sa capacité fédérer des parties prenantes par le sens et l’ambition. La taillepar la possession des ressources n’est pas l’objectif, on privilégie la dimension etdonc l’impact. Les logiques collaboratives sont au cœur des projets. Les structuresorganisationnelles sont alors particulièrement « respirantes » : les frontières entre le« dedans » et le « dehors » sont atténuées. Ce qui compte c’est de réussir de rapidesphases d’inclusion/déclusion selon l’avancement d’un projet culturel. Enfin, depuislongtemps ces organisations accentuent le pouvoir de ceux qui savent (adhocratieet non-hiérarchie) et mettent en avant la question de la légitimité. Les collaborateurssont des acteurs concernés, qui ont fait le choix de rejoindre ces structures pour dessalaires et des avantages sociaux souvent en deçà de ce qu’ils pourraient trouverdans des secteurs plus traditionnels. Cela les amène à s’autoriser, plus qu’ailleurs, àquestionner ouvertement la cohérence entre ce qui est professé par la structure etce qui est effectivement réalisé. Pour toutes ces raisons, l’entrepreneur culturel a dûconcevoir un schéma de management innovant… bien en avance sur la mode de« l’entreprise libérée ». Par Alain Asquin, Vice-président de l’université Jean-Moulin Lyon 3, directeur de l’innovation et du développement30 Acteurs de l’économie - La Tribune

TRIBUNE Dialoguer Le métier d’astrophysicienne, exploratrice du cosmos, passeur de savoir, peut être mis en parallèle avec l’aventure d’entrepreneure. Car dans cette carrière il faut prendre des décisions ou l’échec est probable à plus de 99 %, et alors la réussite est d’autant plus savoureuse. La première prise de risque c’est de choisir ce métier atypique, qui a une infime possibilité de déboucher sur une embauche. ans je décide que je veux passer trois ans à réaliser une thèse de doctorat sur un sujet épineux. Une grande masse mystérieuse, tapie derrière la Voie lactée, semble attirer à elle par la gravitation toutes les galaxies de notre voisinage spatial. Son nom, « le Grand Attracteur », comment résister ? Comme dans une entre- prise, il m’a fallu convaincre : chercher des fonds pour les expéditions aux télescopes, argumenter scientifiquement du bien-fondé des raisonnements, rassembler une équipe dans laquelle toutes les compétences nécessaires sont représentées, tout en faisant fi des localisations terrestres des personnes. On m’a prédit le suicide de carrière à de multiples reprises. Dans une entre- prise il faut distribuer le produit fini. La destinée de ces connaissancesCOMBIEN DE que nous créons par la recherche est qu’elles soient transmises à touteFOIS M'A-T-ON l’humanité. Avec une équipe d’amis, nous faisons le choix de passer aussi dePRÉDIT notre temps pour transmettre en priorité aux plus défavorisés, à ceux qui seLE SUICIDE sentent peut-être éloignés du monde des chercheurs. C’est à nouveau une aven-DE CARRIÈRE ! ture humaine, technique - construire deux b timents -, financière - convaincre des équipes municipales -, intellectuelle - comment transmettre didactique- ment les connaissances émergentes ?« L'ASTROPHYSIQUE,UNE ÉCOLE DE L'ENTREPRENARIATHORS DU COMMUN »Hélène Courtois, ENTREPRENDRE SA VIE © DRAstrophysicienne u final, l’aventure ou l’entreprise scientifique qui a duré plus de ans estN°130 Avril 2016 un succès et nous avons découvert l’origine des mouvements des galaxies : un continent céleste qui abrite notre galaxie, c’est Laniakea. Ce travail est transposé au Planétarium de Vaulx-en-Velin, service intégré à la direction des affaires culturelles de la ille. Sa qualité exceptionnelle est enviée jusqu’en Suisse et à e or . Et j’ai le plaisir d’y jouer le r le de mar- raine, garant scientifique bénévole. OLO disent mes étudiants : You Only Live Once. Échouer n’est pas une option dans l’espace, dit-on à la asa. l faut être concentré sur son objec- tif et résoudre chaque défi qui se présente. inalement la recette du bonheur c’est de développer son talent, quel qu’il soit, en entreprenant sa vie. Acteurs de l’économie - La Tribune 31

Entreprendre RUBRIQUE DE NOMAÉROPORTSLYON ET GENÈVEOSERONT-ILS ?Leur proximité géographique et la complémentarité de leurs infrastructures en fontdeux partenaires naturels : les aéroports de Genève et de Lyon « semblent » faitspour s’entendre, et le premier s’a rme comme un candidat évident à la privatisationdu second. Encore faut-il qu’au sein des cercles politiques, économiques et décisionnelsrespectifs, la volonté « d’oser construire » s’impose aux réflexes, toujours vifs,d’adversité qui entravent la logique de développement territorial transfrontalier.ENQUÊTE, ARNAUD COGNE (AGEFI SUISSE) ET MARIE-ANNICK DEPAGNEUX32 Acteurs de l’économie - La Tribune N°130 Avril 2016

Genève est-il (ATB) au consortium chinois Symbiose lui RUBRIQUE DE NOM Entreprendrele meilleur a rapporté 308 millions d’euros.candidat pour Dans la même logique de quête de fonds, prétendants dont les chances sont les pluss’o rir l’aéroport le gouvernement a confirmé en juil- importantes. L’aéroport de Singapour,de Lyon ? Et let dernier sa volonté de se défaire de la devenu l’une des principales plateformesen a-t-il les totalité des 60 % des parts qu’il détient au Moyen-Orient, peut également croiremoyens ? dans Aéroports de Lyon, la société en en ses chances, lui qui cherche une pre- charge de l’exploitation des plateformes mière acquisition en Europe. Et donc bienLes questions méritent d’être posées de Saint-Exupéry et de Bron. Et, comme sûr aussi l’aéroport de Genève, qui colla-après l’officialisation, le 24 mars dernier, chaque fois que les infrastructures sont bore déjà régulièrement avec la plateformede la volonté de Genève Aéroport de se concernées, le débat peut rapidement lyonnaise.porter acquéreur d’Aéroports de Lyon devenir passionnel car il touche au sujet UN PARTENAIRE NATUREL ?dans le cadre d’un consortium avec Cube sensible du développement territorial. Le Comment la candidature genevoise est-Infrastructure, le fonds d’investissement gouvernement s’est donc lancé dans cette elle perçue par les décideurs rhônalpins ?de Natixis. L’État français recherche de procédure avec la ferme intention d’éviter Par sa position géographique, le départe-nouvelles sources de revenus. Le plus effi- la répétition de la polémique entourant la ment de l’Ain, tourné vers l’aéroport de cession de Toulouse-Blagnac. Un cahier Lyon à l’ouest et vers celui de Genève à cace dans ce genre de circonstances  : des charges très strict a été élaboré pour l’est, est charnière. vendre, entièrement ou partielle- s’assurer de la capacité du futur repre- «  Genève est un aéroport pratique, branché ment, des infrastructures aéro- neur à gérer la plateforme lyonnaise. Et sur le monde entier, et le développement des portuaires. Par exemple, l’an les actionnaires minoritaires locaux (CCI low-cost n’a pas été freiné. Mais il présente des dernier, la cession par Lyon Métropole, Métropole de Lyon, inconvénients : un parking misérable et exigu. l'Agence des participa- Région Auvergne Rhône-Alpes et Conseil Les transferts entre terminaux sont incommo- tions de l’État, de départemental du Rhône) ont été consul- des, témoigne Alain Palisse, président du 49,99 % d’Aéro- tés à plusieurs reprises sur ce document. Medef de l’Ain, fondateur du Forum Eco- port de Tou- Un processus de concertation que ces der- nomique Rhodanien et PDG de AdduXi louse-Bla- niers ont jugé constructif. installé à Oyonnax. A Saint-Exupéry, le gnac La plateforme de Saint-Exupéry, mise en confort pour les passagers est bien meilleur. » vente avec celle de Bron, spécialisée dans Dans l’hypothèse d’un rapprochement, les vols d’affaires, a accueilli 8,7 millions ce chef d’entreprise exige que « Lyon ne de passagers en 2015 (en hausse de 2,5 % soit ni un erzatz ni un simple complément de par rapport à 2014). Elle représente le Genève. Il faut établir au préalable un inven- quatrième plus grand aéroport de France, taire très précis des vols de chacune des deux derrière Charles-de-Gaulle, Orly et Nice, plateformes. » ce dernier étant lui aussi privatisé simul- Jean-Marc Bailly, président de la CCI de tanément. Aucune liste officielle n’a été Bourg-en-Bresse abonde-t-il le projet  ? Pour l’heure, il s’interroge  : «  Est-ce une divulguée à ce stade, mais les nom- stratégie offensive pour développer les aéro- breux candidats auto-déclarés ont ports de Lyon ? Ou Genève se positionne-t-il chacun des arguments de poids. pour éviter qu’ils ne passent dans les mains Vinci Aéroports, par exemple, d’un autre ? » Et devoir, dans ce cas, affron- qui gère 34 plateformes ter un concurrent puissant ? De son côté, dans le monde (11 en Patrick Mignola, vice-président délégué France), dont celles aux transports à la Région Auvergne Rhô- de Grenoble et ne-Alpes (actionnaire à 5 % de l’aéroport de Cham- de Lyon Saint-Exupéry), et par ailleurs béry, est maire de La Ravoire, en Savoie, refuse de l’un prendre parti. A l'instar d’Étienne Blanc, des maire de Divonne-les-Bains et premier vice-président à la Région Rhône-Alpes, il souligne que le projet genevois «  a du © Andrey Danilovich - iStock by Getty Images sens  », car «  sa proximité géographique en fait un partenaire naturel. Mais il existe un risque : que l'infrastructure suisse se déleste sur Saint-Exupéry de ce qu’elle ne veut pas. Quel que soit le futur exploitant de l’aéroport lyonnais, il devra travailler avec celui de Genève », convient-il.N°130 Avril 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 33

Entreprendre AÉROPORTS LYON ET GENÈVE« Est-ce une Pour Pierre Maudet, conseiller d’État du © Métropole de Lyonstratégie offensive canton de Genève, en charge du Départe-pour développer les ment de la Sécurité et de l’Économie, auto- Selon Jacques de Chilly, une répartitionaéroports de Lyon ? rité de tutelle de l’aéroport de Genève, il équilibrée des plateformes lyonnaise etOu Genève n’est nullement prévu de remettre en ques- genevoise est illusoire.se positionne-t-il tion l’autonomie de chacune des plate-pour éviter qu’ils ne formes. L’élu voit cette opération comme internationaux à Saint-Exupéry. «  L’inté-passent dans une mutualisation des compétences, dans rêt pour le tourisme lyonnais est d’avoir unles mains d’un autre ? » le but de renforcer la complémentarité des partenaire pour l’aéroport qui nous connec- deux aéroports. « Nous serons vigilants sur tera sur des destinations lointaines. L’arrivée CESSION le projet d’ensemble, avertit Patrick Mignola. d’Emirates nous amène des Australiens.  » A AÉROPORTS DE LYON Le futur actionnaire majoritaire devra mon- l’argument vantant l’atout que constitue la CALENDRIER trer sa volonté de travailler en réseau avec proximité des deux plateformes pour faireJuillet 2015 l’ensemble des aéroports d’Auvergne Rhône- cause commune, il rétorque  que laditeEmmanuel Macron confirme Alpes et donner une place aux différents proximité « alimente aussi la concurrence ».la cession de 60 % aérodromes spécialisés dans l’aviation d’af- Et de faire référence aux campagnes ded’Aéroports de Lyon faires.  » Sur ce point, Genève Aéroport, promotions de Cointrin en Rhône-Alpes10 mars 2016 qui manque cruellement de place et dont offrant la gratuité du parking, horsAppel d’offres publié au Journal Officiel l’extension est impossible, voit le nombre vacances scolaires. Ce que Saint-Exupéry24 mars 2016 de vols d’affaires reculer d’années en ne peut pas initier car l’opérateur de l’aé-Dépôt des propositions de candidature années. « Le futur propriétaire devra conti- roport n’est pas celui des parkings. «  LaPremiers déclarés : Changi Airport nuer de faire monter en puissance l’aéroport synergie entre les deux aéroports ne peut exis-(Singapour) en coopération avec de Lyon-Saint Exupéry en ouvrant des lignes ter que s’il y a une liaison rapide les reliantArdian (Vinci, Caisse des dépôts sur le Moyen-Orient et les États-Unis. Il doit en une heure et quart, par bus ou par train »,et Predica), les consortium Cube avoir une vraie vision sur le devenir du fon- affirme Jean-Michel Daclin.et AviAlliance, les groupes cier autour de l’aéroport  », énonce Patrick Une analyse partagée par Alain Palisse quiMacquarie et Ferrovial Mignola. Au niveau européen, Saint-Exu- juge nécessaire d’envisager une navette, à12 mai 2016 péry n’émarge qu’à la 47e place  ; ce qui l’image de Rhônexpress entre l’aéroportDépôt des offres indicatives ne correspond pas, et de loin, au poids Saint-Exupéry et le quartier de la Part-4 juillet 2016 d’Auvergne Rhône-Alpes qui figure dans Dieu, à Lyon, pour relier directementDépôt des offres fermes le top des 20 régions les plus puissantes les deux aéroports via une conventionJuillet-août 2016 (espéré) en Europe. Il dispose donc d’une marge de franco-suisse. Un projet à 10 ou 15 ansDécision finale du gouvernement progression évidente. dont le pilotage reviendrait à la Région, A ce titre, Alain Palisse applaudit l’ouver- autorité compétente dans le domaine des34 Acteurs de l’économie - La Tribune ture de la ligne Lyon-Dubaï, en décembre transports. En matière d’infrastructure, le 2012, mais déplore l’absence de liaison patron du Medef de l’Ain déplore, comme avec les États-Unis : «  Elle aurait tout son beaucoup, la faible fréquence des TGV des- sens avec la reprise de l’économie améri- servant la gare ferroviaire Saint-Exupéry. caine. Il faut cibler des destinations comme Ce chef d’entreprise y voit un levier pour Chicago et Atlanta et recréer une clientèle accroître la fréquentation de l’aéroport industrielle.  » Et d'estimer pénalisante la lyonnais : « Si vous ratez votre vol à Roissy, restriction des vols après 21 heures pour des liaisons régulières vous permettraient de un aéroport qui nourrit une ambition venir en attraper un à Saint-Exupéry. » internationale. CLIMAT DE TENSIONS « LA PROXIMITÉ, SOURCE AUSSI L’état des relations entre la France et la DE CONCURRENCE » Suisse peut-il peser au moment du choix L’intérêt porté par Genève Aéroport fait-il final ? « Les relations se dégradent au profit l’unanimité ? Non, comme l'atteste Jacques des mouvements souverainistes  », constate de Chilly, directeur général adjoint au Étienne Blanc. L’élu évoque ainsi le vote développement économique et interna- des Genevois refusant de cofinancer, sur tional de la Métropole de Lyon. «  Nous ne sommes pas convaincus que la prise de N°130 Avril 2016 contrôle de l’aéroport de Lyon par Genève Aéroport se ferait au bénéfice du premier. Une répartition équilibrée entre ces deux plateformes me paraît illusoire. Genève ne transfèrera jamais sur Lyon des vols interna- tionaux répondant aux besoins de l’OMS, de la Croix-Rouge ou d’autres organismes inter- nationaux », argumente-t-il. Jean-Michel Daclin, président de l’Office du tourisme de Lyon, n’est pas du tout cer- tain, lui non plus, que l’éventuel mariage soutienne le développement de vols

AÉROPORTS LYON ET GENÈVE Entreprendrele territoire transfrontalier français, cinq « Cette prise de participation nous permettrait © Genève Aéroportparkings relais (mai 2014). Ou encore la de donner un cadre à une collaborationplainte pénale déposée contre X par le déjà effective »Canton de Genève concernant la centraledu Bugey. Jacques de Chilly, par ailleurs CHANTAGE SURex-directeur de l’Aderly (Agence de déve- LE SECTEUR FRANCE ?loppement économique de la région lyon-naise), évoque, quant à lui, des relations L’aéroport de Genève brandit la possibilité de fermer son secteur France (pourhistoriquement compliquées entre Lyon et les vols français), créé dans le cadre de la convention conclue en 1956. Cetteles cantons de Vaud, Lausanne et Genève. éventuelle décision a conduit la CCI de l’Ain à mener une enquête auprèsCes territoires suisses sont taxés de faire des entreprises pour évaluer l'impact d'une telle mesure sur leurs activités.du dumping fiscal pour attirer des entre- 136 établissements ont été contactés, 84 dans l’Ain et 52 en Haute-Savoie.prises convoitées par Lyon. « Nous sommes Il ressort que parmi les 59 ayant répondu au questionnaire, 75 % utilisenten compétition notamment dans le domaine ce secteur France en mettant en avant la facilité d’accès et des démarchesdes sciences de la vie », observe Jacques de administratives. Pour 25 % d’entre elles, l’impact de cette fermeture seraitChilly. élevé, pour 33 %, il le serait faiblement, et pour 40 %, nul. « Pour les chefs d’en-Au niveau national, on se souvient éga- treprise, remettre en cause le secteur France porterait un coup fatal aux poli-lement des tensions autour de la fiscalité tiques transfrontalières », conclut l’enquête dont les résultats ont été publiésappliquée à l’aéroport de Bâle-Mulhouse. en février dernier. Ces facilités sont perçues comme une des compensationsUn conflit qui n’a trouvé son épilogue eu égard aux contraintes que fait peser l’aéroport genevois sur le territoirequ’en début d’année. Les entreprises français. Le projet de ZAC Ferney-Genève a dû prendre en compte cet aspect.actives dans le secteur douanier suissede l’aéroport seront soumises au régimefiscal de l’Hexagone, mais elles ne paye-ront plus de taxe locale française, avaitexpliqué en janvier dernier le présidentde la Confédération, Johann Schneider-Ammann. Toutes ces tensions sont-ellesinsurmontables  ? Patrick Mignola lesmodère, et en veut pour preuve le chan-tier du CEVA, RER transfrontalier. Maiscombien d’années seront nécessaires à unapaisement en profondeur et durable  ?«  Chacun joue personnel de part et d’autrede la frontière en matière économique. Or,comment ferait la Suisse sans les salariésfrontaliers ? », interroge Alain Palisse, dansun contexte moins favorable en Suisseromande où le chômage augmente et larésiliation d’un contrat de travail est facile.« Je ne maîtrise pas l’équation économique nila complexité du jeu politique. Mais si l’aé-roport était le sujet qui permette de ramenertout le monde autour de la table, ce serait tantmieux, avise Boris Lechevalier, associéchez Altios International, spécialisé dansl’accompagnement des entreprises à l’in-ternational. Je suis de ceux qui sont convain-cus qu’avant de regarder la Chine ou le Brésil,il faut s’intéresser à ce qui est près de nous. LaSuisse est de ces voisins avec lesquels il existe-des synergies industrielles avérées, effectives etpotentielles. »N°130 Avril 2016 ROUTAGE COURRIER IMPRESSION NUMERIQUE 250, rue du Général de Gaulle - 69530 Brignais Tél. 04 78 61 07 94 - E-mail : y.esco [email protected] Acteurs de l’économie - La Tribune 35

Entreprendre AÉROPORTS LYON ET GENÈVE 1 © Genève Aéroport1Aéroport de Genève, neige sur le tarmac au petit matin. 22Avec 15,8 millions de passagers (dans leur grande majorité professionnels), un réseau de 142 destinations directes dont 23 intercontinentales, Genève Aéroport tient une place particulière dans le ciel aérien européen.3Au cœur d’une puissante région économique, l’aéroport Lyon-Saint Exupéry est un pôle multimodal, de plus en plus international et qui donne accès à plus de 115 destinations.4Aéroport Lyon-Saint Exupéry. Le futur Terminal 1 représentera une surface neuve de 70 000 m2, équivalente à celle de tous les terminaux actuels réunis. 3 © O. Chassignole © Christophe Blatt4 © RHS + P36 Acteurs de l’économie - La Tribune N°130 Avril 2016

AÉROPORTS LYON ET GENÈVE EntreprendreGAGNANT-GAGNANT une fois que celui-ci aura atteint 25 millions ce qui peut dynamiser l’offre touristique deMais pourquoi Genève fait-il figure de passagers, que se passera-t-il  ? Soit on la région et renforcer l’attractivité du Grandde candidat idéal  ? «  Notre approche ne arrête l’expansion et l’aéroport ne conserve Genève. »s’inscrit pas dans une démarche purement que les vols «  lucratifs  » et donc on met à Prochaine étape  : la remise d’ici au 12spéculative contrairement à d’autres », argu- l'écart toute une série de compagnies. Soit on mai des offres indicatives, qui devrontmente Bertrand Stämpfli, le porte-parole prévoit une solution de débordement : c’est-à- comprendre le prix proposé par action.de Genève Aéroport. Du côté de Lyon, dire qu’une partie des passagers sera trans- Pour les 60 % que détient l’État, maiscomme de celui de Genève, tout le monde férée sur Lyon.  » Lesquels  ? «  Cela devra également pour les autres participationss’accorde sur l'évidence de ce rapproche- encore être déterminé. Par ailleurs, une telle des acteurs locaux qui pourront, s’ils lement naturel. « Nous sommes déjà réguliè- solution ne peut fonctionner que s’il existe désirent, céder leur participation. La CCIrement amenés à nous exprimer d’une seule une liaison terrestre efficace entre les deux Lyon Métropole l’envisage sérieusement,voix sur de nombreux dossiers. Cette prise de aéroports. Pour la CCIG, celle-ci ne peut pas tout en préservant la minorité de blocageparticipation nous permettrait donc de don- être routière – cela nécessiterait un nombre (soit 33,01 % contre 40 % aujourd’hui) dener un cadre à une collaboration déjà effec- trop important de navettes. Il faudrait mettre ce pool local déterminé à signer un pactetive  », plaide le représentant de Genève en place un train direct Cornavin-Aéroport – d’actionnaires entre eux. Le ministre deAéroport. Aéroports de Lyon. » l’Économie Emmanuel Macron, attendPour la chambre de commerce, d’indus- Véronique Kanel, de Suisse Tourisme, une valorisation globale (pour 100 %trie et des services de Genève (CCIG), comprend l’intérêt de Genève «  d’avoir des actions) de 1,5 milliard d’euros, pasil ne peut s’agir que d’une opération un hub à proximité, permettant d’assurer moins. Est-ce à la portée du consortiumgagnant-gagnant. «  L’importance d’un une certaine croissance sans toutefois devoir constitué autour de Genève Aéroport  ?aéroport international pour la prospérité agrandir l’aéroport.  » Mais à la condition Ce dernier, où en est-il de son montageéconomique du canton, du Grand Genève en également que les deux plateformes soient financier ? Comment composera-t-il avecgénéral et d’une grande partie de la Suisse reliées par une liaison ferroviaire rapide. le nombre pléthorique d'intervenants et laromande n’est plus à démontrer, souligne « Même s’il est difficile à ce stade de quanti- perplexité autochtone pour la réductionson directeur, Jacques Jeannerat (par fier les avantages d’une telle opération pour le des marges de manœuvre budgétairesailleurs membre du conseil d’adminis- tourisme suisse, il est certain que le potentiel des collectivités territoriales  ? D’aucuns,tration de Genève Aéroport). Cette candi- serait impressionnant en bénéficiant d’une parmi ceux qui décrivent la situation àdature doit se lire comme une préparation à telle connexion. » Pascal Buchs, de Genève ce stade figée, espèrent à court terme sonla saturation de Genève Aéroport. En effet, Tourisme, abonde : « Nous soutenons tout déblocage. Vœu réaliste ou chimérique ? Avec Rhônexpress, efficacité, simplicité, économies : (1)Valable sur souscription d'un Smart Business Pack. Adhésion gratuite et sans minimum d’achat *le lien malindes déplacements Lyon–Aéroport vraiment gagnants ! Pour l’entreprise et le collaborateurRéduction e-billetjusqu’à Reporting +-15% (1) total TTC + Pour en savoir plus sur l'offre business : rhonexpress.fr rubrique « espace pro » Acteurs de l’économie - La Tribune 37N°130 Avril 2016

Entreprendre AÉROPORTS LYON ET GENÈVESIMPLY JET : « Genève,un des candidats les plus sérieux » © DRÀ Genève, Yann-Guillaume © FotoliaGenève est-il réellement un bonatterrissage) contre 70 % pour l’aviationJaccard , Patrick Rossire et candidat pour l’acquisition de la commerciale à Cointrin. L’an dernier, lesMatthieu Orioli travaillent plateforme lyonnaise ? vols d’affaires ne représentaient plus queà créer leur société Simply Jet, C’est évidemment le candidat le plus 25 % des mouvements.active dans la location naturel qui soit. Et, à nos yeux, un desde jet d’a aires. Pour ces plus sérieux, tant en termes d’expé- Est-ce dû à une baisse de la demande ?trois jeunes entrepreneurs, rience aéroportuaire que d’assise finan- Absolument pas. La donne est simple  :la prise de participation de cière, via le consortium Cube. Les deux les taxes aéroportuaires sont calculées enGenève Aéroport au capital plateformes collaborent d’ailleurs dans fonction du tonnage de l’appareil. Il estd’Aéroports de Lyon serait de nombreux domaines depuis long- donc plus avantageux pour un aéroportbénéfique pour la région temps. Le fait que l’une soit en France d’avoir des liaisons commerciales que dedans son ensemble. et l’autre en Suisse n’a finalement que petits jets privés. Et quand, à Genève, peu d’importance, le monde de l’aérien une compagnie comme easyJet quiDe gauche à droite : Matthieu Orioli - n’étant pas nécessairement organisé détient la plus grande part de marché,Patrick Rossire - Yann-Guillaume Jaccard autour des frontières mais plutôt par décide de mettre en place une nouvelle région ou pôle. liaison, la disponibilité de la piste va se38 Acteurs de l’économie - La Tribune réduire d’un slot supplémentaire. Le dossier comprend également la cession de la plateforme de Bron, L’aviation d’a aires risque-t-elle de active plus particulièrement dans disparaitre de Genève ? l’aviation d’a aires. Une opportunité A priori, non, mais ce segment peut supplémentaire ? encore diminuer, avec comme limite le L’avantage pour le secteur de l’aviation minima de 10 % de slots dédiés à l’avia- d’affaires est à première vue difficile à tion d’affaires, imposé par l’Office fédéral estimer. Il n’en est pas moins vrai que de l’aviation civile. L’aéroport de Genève Genève n’arrive pas à satisfaire toute la étant proche de la saturation et les possi- demande, ce qui pousse de nombreux bilités d’extension quasi inexistantes, de acteurs à se tourner vers les plateformes par sa situation géographique, de grands de Sion, Annecy, Chambéry ou Payerne. défis restent à venir pour une coexis- Ainsi en 2014, l’aviation d’affaires repré- tence équilibrée de l’aviation commer- sentait 30 % des mouvements (décollage/ ciale et de l’aviation privée. N°130 Avril 2016

PATRONAT, LE CHOC DES GÉNÉRATIONS EntreprendreN°130 Avril 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 39

Entreprendre RUBRIQUE DE NOMAu 1er janvier 2018, le modede désignation des conseillersprud’homaux change. Exit lesu rage universel, il échoiraalors aux organisationssyndicales, patronales etsalariées. Un bouleversementqui prend place dans uncontexte politique saillant –lois Macron, El Khomri et definances – et se prête d’oreset déjà aux stratégies,tactiques, arrangements desparties prenantes, exacerbéspar les ambitions et les rivalitésde personnes. Plongée au seinde l’emblématique microcosmedu conseil de prud’hommesde Lyon.LE PETIT MONDEDES PRUD'HOMMESDE LYONENQUÊTE, ROMAIN CHARBONNIER N°130 Avril 2016PHOTOGRAPHIES, LAURENT CERINO / ADE40 Acteurs de l’économie - La Tribune

RUBRIQUE DE NOM EntreprendreLes mois à venir s’annoncent au suffrage direct des conseillers prud’homaux tant salariés que mouvementés pour l’ensemble patronaux, et ce, dès le 1er janvier 2018. Avec la loi de finances des conseils de prud’hommes de du 18 décembre 2014, ceux-ci seront non plus élus mais désignés France. Avec l’application de sa tous les quatre ans par les organisations salariales et patronales loi qui vise à réformer les juri- au prorata de leurs audiences respectives. Autrement dit, les dictions – s’ajoutant à celle du puissants syndicats CGT, CFDT ou Medef n’auront aucun mal récent projet de loi El Khomri –, à obtenir des conseillers contrairement aux autres organisations Emmanuel Macron a fermement minoritaires, ou aux indépendants plus faiblement représentés. marqué son intention de s’at- Une décision du gouvernement justifiée par la chute régulière de taquer à l’une des «  trois mala- la participation des salariés à ce scrutin (25 % en 2008) et par dies » françaises qui empêchent, le coût qu’il représente : 87 millions d’euros lors des dernières selon lui, de «  libérer, investir et élections. Une loi qui alimente toujours les débats, deux ans après travailler ». Le ministre de l’Éco- son entérinement, notamment auprès d’élus de la République ou nomie entend raccourcir notam- avocats qui y voient un obstacle à la démocratie. Les critiques des ment les délais de procédure et conseillers prud’homaux sont aussi nombreuses voire plus viru- réduire le nombre d’affaires mais lentes puisqu’au-delà de son application, elle soulève nombreuses également d’imposer cinq jours interrogations. de formation obligatoire pour C’est le sentiment actuel qui pèse sur le conseil de prud’hommes tout conseiller. En attendant de Lyon. Institution si puissante – et pilote pour de nombreuses son application, l’autre volet qui mesures – que ce qui s’y passe est largement observé, commenté. cristallise toujours les tensions à Premièrement, parce qu’il s’agit du premier conseil de France à l’intérieur des juridictions relève avoir été créé (1815). Deuxièmement, car il se classe au second de la suppression des élections rang, après Paris, pour le nombre d’affaires traitées annuellement N°130 Avril 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 41

Entreprendre CONSEIL DE PRUD'HOMMES(7 500 dossiers). Son rayonnement dépasse donc largement les employeurs. Nous sommes dans l’une des plus importantes juridictionscontours du territoire. La preuve : en 2008, c’est depuis son siège de France, et forcément, on veut nous faire taire lorsque nous ne sommesdu 3ème arrondissement, que la grève d’une partie des conseillers pas d’accord avec les idées de tel ou tel.  » Ces «  moutons noirs  »prud’homaux emmenée par la CGT et la CFDT, vent debout en sont conscients. «  C’est le bal des amis  » qui prime, peut-oncontre la réforme de l’indemnisation des conseillers, avait pris sa entendre. « Je n’ai pas prêté serment pour que l’on me dise ce que j’ai àsource avant de se propager à tous les CPH de France. De quoi faire », claque cependant un conseiller employeur. Ambiance.faire reculer le gouvernement, après de longs mois d’arrêt et de RAPPORTS DE FORCEnégociations (dont les conséquences auront été dommageables L’avenir s’annonce tendu. Un nouvel épisode qui devrait s’ajou-pour les justiciables puisque le retard accumulé commence tout ter à la liste de ceux qu’a connus et connaît la juridiction. Desjuste à se résorber, selon les conseillers). affaires principalement de relations humaines, de tensions entre individus voire (très) épisodiquement de manquements déonto-LISTES logiques. « C’est comme dans une entreprise avec ses problèmes et sesEn coulisses, le CPH est donc, depuis quelques mois, le théatre différentes personnalités. On ne peut être amis avec tous », reconnaîtd’un drôle de jeu de chaises musicales avec les premiers stra- Ange Bernard, conseiller CGT, président de la section industrie.tagèmes entre organisations syndicales patronales et salariales Pourtant, entre les deux collèges, salariés et employeurs, plaidantreprésentatives, et leur base. Objectif  : conserver leur emprise ensemble pour chaque affaire (deux conseillers salariés et deuxsur la juridiction. Des listes auraient d’ailleurs été établies avec employeurs), les relations sont travailleuses, et « intelligentes ».les noms de ceux pressentis à continuer l’aventure prud’homale, Les compétences de chacun sont aussi relevées.et ceux qui n’en feront plus partie : soit par volonté personnelle «  On se parle  », entend-on alors même que les sensibilités sontou simplement par décision arrêtée des organisations qui dictent différentes. « Après les élections, nous allons beaucoup en départagela ligne de conduite de leur équipe, écartant alors les éléments (jugement rendu par un juge professionnel lorsque les deux par-moins compétents ou, plus délicat : les électrons libres, « coup- ties ne se sont pas mises d’accord, NDLR), car chacun reste sur sespables » d'avoir pris des positions contraires à l’idéologie de leur positions. Cela change par la suite », se félicite Marie-Aline Martin.base. Entre inquiétudes et crispations, l’atmosphère commence Les rapports de force  ? Très peu entre conseillers, indiquentà être de plus en plus pesante dans les couloirs de la juridiction les intéressés. Même si du point de vue d’avocats, le conseil delyonnaise. Si bien qu’elle fait remonter des tensions entre indivi- prud’hommes reste « encore sur un modèle de lutte des classes », etdus souvent issus du même camp, sur fonds d’anciennes histoires que certains s’invectivent lorsqu’il s’agit d’évoquer le travail des(fumeuses) et de coups bas. uns ou des autres. «  Malheureusement, les conseillers employeurs2018 s’annonce alors une étape cruciale pour le CPH de Lyon auront toujours des difficultés à voir des conseillers salariés leur parler(et son image) et pour ses 282 conseillers qui le composent, au même niveau, alors qu’ils sont patrons  », précise un conseillerélus voire réélus lors de la dernière élection de 2008. A ce jour, Solidaires.côté salariés, la CGT compte la plus grande représentativité (49 Les rapports de force se trouveraient plutôt à l’intérieur même deconseillers), suivie par la CFDT (32) et FO (16). Unsa, Solidaires chacun des collèges. « C’est plus compliqué chez eux que chez nous »,ou encore les indépendants plus faiblement représentés risquent pique Pierre Vion, du Medef. Discours contraire à celui des sala-donc de ne plus pouvoir siéger. L’Union patronale (102 conseil- riés. Un argument militant qui cache volontairement les problé-lers) portée par le Medef et la CGPME, qui impose quant à elle la matiques auxquelles font face les organisations elles-mêmes, entreligne de conduite du collège employeurs, laisse peu de chance, la les ambitions de certains et les rivalités, les idéologies différentesaussi, aux petites formations telles que l’Économie sociale et soli- des formations, et une liberté de ton affichée pour d’autres.daire (9), CNPL (3), ou encore Net-CAP.PME-SICAR (15), parfoisdivisées sur la ligne du grand patronat. Pierre Vion, vice-pré- « Nous pouvonssident 2016 du CPH de Lyon et président du collège employeurs nous interroger sur(chaque année et ce, pour l’ensemble des CPH de France, la certains alliances » ;présidence alterne entre le collège salariés et employeurs), inscrit « sur des bureaux dontau Medef Lyon-Rhône, l’avoue lui-même : « Cela ne changera pas les conseillers sont changésgrand-chose pour les gros syndicats. » Les autres, en revanche, s’in- au dernier moment » ;quiètent. « Ce n’est pas juste », glisse Marie-Aline Martin, 25 ans « sur l’importancede prud’homie côté salariés et adhérente de Solidaires. «  C’est des réseaux notammentun déni de démocratie », critique un conseiller Unsa. L’actuel pré- maçonniques, lorssident du conseil de prud’hommes, Bernard Augier, cégétiste, de certaines affaires » ;entré en 1979, est plutôt partagé mais il suit la ligne de conduite « ou lorsqu’un patronde sa famille, la CGT - un temps contre puis acceptant la mesure vous accompagnegouvernementale. « Une mesure qui doit faire économiser de l’argent, jusqu’à votre voiture »certes. Mais je ne suis pas certain que ce sera le cas  », avance-t-ilseulement, lui qui assure repartir pour un «  dernier  » mandat N°130 Avril 2016de quatre ans et devrait, sans surprise, retrouver son fauteuil deprésident.RASSEMBLERDeux présidents qui, à 20 mois de la mise en place de la réforme,ont la lourde tâche de rassembler leurs troupes. Chacun souhai-tant éviter toute vague de protestations dans ses rangs. Néan-moins, des voix dissonantes se font entendre, reprochant aux deuxhommes, au-delà de leur personnalité, le choix délibéré de sélec-tionner ou sanctionner les conseillers en vue de 2018. « Personne nedoit sortir des rangs sous peine d’en être écarté, décrit une conseillère42 Acteurs de l’économie - La Tribune

CONSEIL DE PRUD'HOMMES EntreprendrePARITÉ lyonnais, connu pour défendre les employeurs. « La parité pro-Des situations qui n’ont dans l’ensemble pas de conséquences tège », annonce l’avocate en droit social Myriam Plet. « Elle fait quesur les affaires jugées sauf lorsque les enjeux dépassent le simple nous sommes impartiaux. Ce serait de toute manière contre-productifenvironnement de la juridiction notamment sur des dossiers sen- et surtout risqué », ajoute Didier Van Dort, conseiller FO.sibles comme ceux de l’entraîneur de l’OL Claude Puel ou du Nombreux rapportent des propos entendus et n’y auraient pas étécomité d’entreprise régional de la SNCF. Le CPH de Lyon y aurait confrontés. Personne n’ose le dire ouvertement, se justifiant parété confronté. « Ne pas rendre le jugement en fin de séance et aller en la pirouette : « cela peut exister ». Parler ouvertement du fonction-départage est un moyen stratégique pour que deux collèges ne prennent nement interne du conseil de prud’hommes, c’est aussi prendrepas de décisions afin de ne pas froisser, par exemple leur centrale. le risque d’être mis à l’écart, critiqué et de ne pas figurer prochai-Synonyme alors de capitulation  », prévient un conseiller salarié. nement en bonne place pour le renouvellement des mandats deUne forme de pression que d’aucuns regrettent. « Nous pouvons 2018. L’anonymat a donc été demandé par la plupart des conseil-nous interroger sur certaines alliances » ; « sur des bureaux dont les lers ayant accepté de témoigner. Comme un signe que ce qui seconseillers sont remplacés au dernier moment » ; « sur l’impact des passe à l’intérieur ne doit pas éclabousser hors les murs. Uneréseaux notamment maçonniques, lors de certaines affaires »  ; « ou méthode à la lyonnaise, ou le linge se lave en famille, tradition-lorsqu’un patron vous accompagne jusqu’à votre voiture », remarque nelle des instances de la ville.une avocate.Certains appréhendent même d’y être confrontés davantage à Le conseil de prud'hommes de Lyonl’avenir : « Nous craignons d’être dans le mandat impératif avec despressions sur certains dossiers. « On t’a choisi donc tu suis le mou-vement ». Cela pourrait favoriser ce type de pratiques », souligne lecégétiste Ange Bernard. Mais nombreux veulent croire en unejustice déontologique. «  Je n’ai jamais cru en cela parce qu’il estdifficile d’influencer un jugement en raison de la parité. Arithmé-tiquement parlant, c’est impossible  », soutient un célèbre avocatN°130 Avril 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 43

Entreprendre CONSEIL DE PRUD'HOMMES UN FAUTEUIL POUR DEUX Bernard Augier président CGTBernard Augierrègne d’une main de ferà bord du conseil de prud’hommesde Lyon, même lorsqu’il alterne avecson homologue employeur. Cégétiste,président depuis 1983, celui qu'on surnomme« Jésus » est La figure lyonnaise du CPH.Une forte personnalitéqui doit composerentre ses fidèles etses détracteurs.

on image accompagne celle du conseil de CONSEIL DE PRUD'HOMMES Entreprendre prud’hommes de Lyon depuis le début des années 1980, lorsqu’il prend pour la première « Je ne partage pas ses idées fois la fonction de président. Bernard Augier, mais au moins il sait être surnommé «  Jésus  », pour ses longs cheveux franc et direct. Il n’a pas blonds est La figure indissociable de la juridic- son drapeau dans sa poche »Stion lyonnaise. « Je suis entré en tant que conseiller rôle au sein de la juridiction. « De plus, je réfute l’idée selon laquelle, en 1979, lors de la réforme des conseils », se souvient nous le suivons coûte que coûte ». La concurrence a bien essayé de le militant encarté à la CGT, qui a quitté l’école prendre la place, dans sa propre famille d’ailleurs où les rivalités à 15 ans avec un certificat d’études primaires. sont réelles, ou de proposer une présidence tournante, sans suc- Un homme devenu incollable sur le droit du travail, siégeant au cès. « C’est son jouet, il ne faut surtout pas le lui prendre », critique conseil national de la prud’homie et connaissant par cœur les ainsi un conseiller salarié. Pour se justifier, Bernard Augier « se rouages et enjeux politiques. « Aucun autre conseiller de structures réfère » simplement à « l’union départementale qui choisit » et « les syndicales ne lui arrive à la cheville », soutient, fidèle, Jacques Stu- salariés qui votent ». Mais avec les accords entre bases décidés en dert, conseiller CFE-CGC depuis 2002 et président salarié de la amont, aucun ne se risque à se présenter sous peine d’être écarté section encadrement. Personnalité au caractère militant affirmé, par la suite. Néanmoins, le poste de président fait l’objet de négo- Bernard Augier a su s’imposer avec conviction, et parfois force, ciations en amont entre les autres syndicats. « Cela évite tout rap- comme un meneur fédérant aussi bien des conseillers salariés… port de force entre nous, justifie Didier Van Dort de Force Ouvrière. qu’employeurs. « Il sait s’imposer avec un discours revendicatif et ce, La répartition des conseillers par section se fait ensuite par la propor- devant n’importe quel public », évoque un élu Unsa, entré en 2004. tionnelle. » Avec la plus importante représentation, la CGT occupe « Au-delà de mes sensibilités, j’essaye de faire l’unité dans le respect en plus de la présidence du conseil, celle de l’industrie ; Force des opinions des autres organisations », répond Bernard Augier. « Je Ouvrière le commerce, la CFE-CGC l’encadrement, etc. ne partage pas ses idées mais au moins il sait être franc et direct. Il n’a L’AFFAIRE DU PROGRÈS pas son drapeau dans sa poche », reconnaît un avocat lyonnais. « Il Bernard Augier impressionne, jouit d’une force dissuasive impa- joue son rôle de leader syndical », souligne Pierre Vion, président rable et est doté d’un « vrai charisme ». Des caractéristiques lui du collège employeurs. Autodidacte, et «  pédagogue  », Bernard permettant de résister à la pression de la fonction et de certaines Augier est aussi salué pour ses connaissances en droit apprises affaires dont il a été en première ligne par le passé. Dont celle au fil des années. « C’est une figure compétente qui connaît très bien qui le suit encore : l’affaire du Progrès. Un emploi « fictif » selon les questions de prud’homie », évoque un conseiller salarié. « Il a les les termes repris par certains et dont tout le monde parle, encore prud’hommes chevillés au corps, on lui doit ce respect là », remarque aujourd’hui, à l’évocation de son nom. Bernard Augier aurait en un avocat lyonnais défendant les patrons. effet bénéficié d’un emploi rémunéré par Le Progrès, sans l'exercer quotidiennement, résultat d’une négociation au plus haut, entre RÉÉLU CHAQUE ANNÉE le groupe Hersant, propriétaire à l’époque du quotidien et de sa Mais si les commentaires sur les aptitudes de l’homme sont plu- centrale afin d’obtenir la paix sociale au sein des imprimeries. tôt positifs, le président des prud’hommes de Lyon essuie, à l’in- «  J’ai déjà répondu à ces critiques, c’est derrière moi aujourd’hui  », verse, depuis de nombreuses années de vives critiques. « Dès le répond-il, laconiquement. L’affaire l’affaiblira sans l’abattre. Ber- moment où vous occupez un poste dans la lumière, vous êtes certain nard Augier prouvera qu’il peut rebondir. En 2008, il réussira que des personnes chercheront à vous nuire », explique-t-il, réaliste. ainsi à être le moteur de la grève des prud’hommes et a marqué à Tant pour son tempérament que d’aucuns décrivent de « doctri- jamais de son empreinte la juridiction, avec une partie de mystère naire » : « Il est très difficile à cerner, assure une conseillère salariée. qui entoure toujours son personnage. Il peut être autant charmant qu’odieux » ; que pour sa longévité à la tête de l’institution. Provoquant quelques doutes quant à ses réelles motivations d’engagement. « Il fait partie de ses personnes qui ne vivent que pour leur mandat », critique un autre. « Cela reste une interrogation, soutient Myriam Plet. Pourtant, sans lui, le CPH ne va pas s’effondrer. » Grâce à son aura et ses réseaux, Bernard Augier est ainsi réélu chaque année. Mais « attention, il ne peut pas faire tout, tout seul », prévient Christian Claudel, 44 années de CFDT, tenant à mon- trer que son organisation reste vigilante et joue pleinement son CONSEIL EN RECRUTEMENT 3 rue de la République, 69001 Lyon DIRIGEANTS & CADRES EXPERTS Tél. 04 72 00 76 76 - www.innoe.net LYON - PARIS - INTERNATIONAL Acteurs de l’économie - La Tribune 45N°130 Avril 2016

Entreprendre CONSEIL DE PRUD'HOMMES UN FAUTEUIL POUR DEUX Pierre Vion président de l’Union patronaleIssu du BTP,Pierre Vion est adhérentau Medef et depuis cinq ansà la tête du collège employeurs. Un présidentmoins exposé, défendant les couleursde l’Union patronale et qui tente de tenirses rangs afin d’éviter toute dissonance.

ors des élections du 20 janvier, pour la première fois, CONSEIL DE PRUD'HOMMES Entreprendre son élection pour la tête de liste du collège employeurs n’a pas fait l’unanimité. Pierre Vion a ainsi été élu à LIGNE DU MEDEF 120 voix sur 141. Signe qu’une partie des conseillers A l’instar du président CGT, l’homme est qualifié de «  compé- souhaitait montrer son désaccord avec le président tent  », «  pédagogue  », «  à l’écoute  », souvent par les conseillers sortant, représentant la liste de l’union patronale salariés eux-mêmes. « Vion a un fonctionnement très lyonnais mais est plus engagé que son prédécesseur, qui venait lui, pour le prestige »,L(regroupant le Medef, la CGPME, l’UPA, UNAPL, la explique un conseiller Unsa. Paradoxalement, les critiques FDSEA et FEPEM). « Tous les ans, nous remettons notre proviennent davantage de son camp, parfois très dures à son mandat en jeu, précise Pierre Vion, et bien entendu, vous encontre lorsqu’il s’agit, en particulier, de mésententes entre per- ne faites pas toujours l’unanimité. » sonnes. «  On ne le manipule pas comme on veut  », soutient un Installé à cette fonction en 2012 par l’Union départementale, conseiller CFDT. Ils sont très rares à vouloir s'exprimer sur ce Pierre Vion, dirigeant « plus consensuel », acceptera au pied levé sujet sous peine de se voir clouer au pilori par leur centrale. « Il de remplacer après cinq années de service, Patrice Duret dont les suit la ligne dictée par le Medef », indique un conseiller employeur. relations avec Bernard Augier et le reste du conseil étaient deve- « Et dès que vous êtes en désaccord avec la ligne patronale, vous n’êtes nues conflictuelles. Dirigeant d’une entreprise dans les travaux plus en odeur de sainteté », regrette une source du CPH. publics, adhérent au Medef, le chef d’entreprise est conseiller Depuis, Pierre Vion tente de tenir ses troupes dans une même prud’homal depuis plus de 18 ans dans la section encadrement. et seule direction, stratégique pour l’union patronale en vue de « Je voulais voir au départ ce qu’il se passait à l’intérieur, relève-t-il. 2018. « J’essaye d’être à l’écoute de tous les conseillers employeurs », Et cela demande beaucoup d’engagement. On ne prend pas cette fonc- avance le chef d’entreprise, non sans difficultés. tion dans un but d’enrichissement financier mais davantage intellec- tuel. » Mais un président moins exposé médiatiquement qui reste dans l'ombre du président salarié, charismatique. « Les discours de Bernard Augier ont plus de contenu que les discours des présidents employeurs », raconte une avocate lyonnaise. Et lorsqu’il parle de son homologue de la CGT, Pierre Vion ne cache pas sa sympathie pour lui : « Il ne vit que pour son syndicat, il ne lâche jamais le mor- ceau. Bernard Augier est bon et sait vendre son produit. »« On ne le manipule pas comme on veut »N°130 Avril 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 47

Entreprendre RUBRIQUE DE NOMÉvian-Thonon-Gaillard Football ClubLA DESCENTEAUX ENFERSUn an après être sorti de l’élite du football français, l’Évian-Thonon-Gaillard Football Club,présidé par le discret homme d’a aires suisse Esfandiar Bakhtiar, poursuit sa plongéedans les profondeurs du classement de Ligue 2. Il ne reste que quelques semaines au club,gangréné par de profondes vicissitudes internes, pour espérer son maintien et demeurer dansle football professionnel. L’ETG FC : des cîmes aux abîmes ?ENQUÊTE, DIDIER BERT48 Acteurs de l’économie - La Tribune N°130 Avril 2016

ÉVIAN-THONON-GAILLARD FOOTBALL CLUB Entreprendre« Ma personnalité, mon éducation Acteurs de l’économie - La Tribune 49 © Jean-Paul Thomas / Thomas-Pictureset ma culture m’amènent à considérerque la discrétion est non seulement unerègle, mais aussi un mode de vie. Elle ne relèvedpNa’ins°1ad3v0’uonuAevarbvilol2el0 o»1n,6atéssduerecaEcshfaenrdqiuaor Bi qaukehtciaers. oit

Entreprendre ÉVIAN-THONON-GAILLARD FOOTBALL CLUB eul représentant du football professionnel automobile, qui s’était également déclaré des Pays de Savoie, l’Évian-Thonon-Gail- en 2007 et en 2012, avant d’abandonner lard Football Club (ETG FC) était à en cours de route. l’origine un club familial, tant la famille Ce club est aussi un club sans stade, Dupraz a animé son développement. Il qui doit louer le parc des sports d’An- est issu de la fusion de plusieurs entités necy, situé à 80 kilomètres de son centre du Chablais (Ville-la-Grand, Gaillard et d’entraînement du Domaine de Blonay, Thonon-les-Bains), comme il est devenu à Publier, sur la rive sud du lac Léman. monnaie courante pour permettre aux Enfin, niché au cœur des Alpes françaises, clubs sportifs de se donner davantage l’ETG FC est un club dont le sponsor de moyens et d’ambitions. Ce club a été maillot, MSC Croisières, est une société de mis sur orbite professionnelle par une croisières sur les mers du globe, propriété multinationale, Danone, via sa filiale de du deuxième armateur de la planète, la Société des eaux d’Évian, donnant sa Mediterranean Shipping Company, ins- couleur rose au maillot, couleur qu’aucun tallé en Suisse. Pays où se joue désormais club français n’avait endossée jusque-là. l’avenir du club haut-savoyard puisque Il a compté pour actionnaires des joueurs c’est à Genève que vit Esfandiar Bakhtiar, prestigieux, tels Zinedine Zidane ou son président, depuis près d’un an. Voilà Bixente Lizarazu. Mais également, en tant pour la photographie générale. qu’actionnaire et sponsor, un futur candi- dat à l’élection présidentielle de 2017 en LA « MAISON FAMILIALE » la personne du controversé et clivant Yves DES RIBOUD Bontaz, industriel de la vallée de l’Arve En détail, elle porte son focus sur Esfan- qui a fait fortune dans la sous-traitance diar Bakhtiar, qui a surgi sur la scène l'an dernier et est lié au club depuis sa mise sur50 Acteurs de l’économie - La Tribune rails. En 2008, Franck Riboud, PDG du groupe Danone jusqu'en 2014 (et désor- mais président du conseil d'administra- tion), propriétaire de la Société des Eaux d’Évian (qui emploie 1 400 personnes dans le Chablais), offre la présidence à Patrick Trotignon. Sa mission consiste à structurer le club, qui évolue en National, plus haut niveau du football amateur en France. Ce dernier venait alors d’œuvrer successivement dans les clubs de la Berri- chonne de Châteauroux, puis du Servette de Genève, de l’autre côté du lac Léman. « Franck Riboud voulait un vrai projet pour aider les jeunes du Chablais, parce que pour la famille Riboud, Évian, c’est la mai- son familiale, explique Marc Francina, député-maire Les Républicains de la ville d’Évian-les-Bains. C’est sa famille qui a refait l’hôtel Royal, les thermes, et lancé le master de golf.  » Le projet de Franck Riboud atteint son apogée cinq ans plus tard, avec l’inauguration du centre d’en- traînement et de formation du Domaine de Blonay, installé sur six hectares, à deux pas d’Évian. «  Nous sommes devenus un vrai club professionnel  », se félicite Patrick Trotignon, président de l’ETG FC, lors de l’inauguration en décembre 2013. Danone verse alors annuellement 3,5 millions d’euros, dont un million pour l’équipe professionnelle, et 2,5 millions à la section chargée de la formation. Six mois avant l’inauguration du Domaine du Blonay, le club a même connu son heure de gloire au Stade de France, en dispu- tant la finale de la Coupe de France face aux Girondins de Bordeaux. Le club haut-savoyard s’était incliné trois buts à deux, mais sa participation à la finale avait N°130 Avril 2016


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