ARuhvôenreg-nAelpes acteursdeleconomie.com Enseignement supérieur L’ELDORADO SUISSELe Rolex Learning Center de l’École Polytechnique L’ULTIME COMBAT L 16956 - 129 - F: 9,50 - RDFédérale de Lausanne (© Alain Herzog / EPFL) D’EDGAR MORIN Février 2016 9,50 euros Baby entrepreneurs QUELLE ENTREPRISE EN 2030 ? Jean-François Fiorina SAVOIES, LES RÉSEAUX QUI COMPTENT Delta drone, le crash
CONSEIL PATRIMONIAL :TCÀPRolaHurCAqAauiVosQsiAepaUdsI’EvLEpoaursDgJn?eEORhUPônReRAlÉpAeCsU, nIoSuSsImEOeRtNtoVnsQIceCUsaEvEo(irD-nNfaEi.rOemàVUl)aOSdiTspRRosiÉEtioAnPdLeAIplSTusROdeIN1M40S0O00IcNlienEts.*.*Source Caisse d’Epargne Rhône Alpes au 20/11/2015.Caisse d’Epargne et de Prévoyance de Rhône Alpes - Banque coopérative régie par les articles L512-85 et suivants du code monétaire et financier - Société anonyme à directoire et conseil d’orientation et desurveillance - Capital de 1 000 000 000 euros - 42, boulevard Eugène Deruelle 69003 Lyon - 384 006 029 RCS Lyon - Intermédiaire d’assurance, immatriculé à l’ORIAS sous le n°07 004 760.
ENTRÉE EN MATIÈRE DialoguerENTRÉE EN MATIÈRE,MARIE ROSE MORO‘‘Banals mais sublimes, familiers mais inquiétants : tels sont nos adolescents et nos jeunes d’aujourd’hui et de demain, d’ici et d’ailleurs… On dit les aimer ; souvent, ils nous intriguent et, trop souvent, ils nous font peur. Les regards sur nos adolescents doivent être interrogés, l’évolution des savoirs et des manières de faire avec eux, aussi. On dit en e et que c’est le plus bel âge de la vie et c’est souvent ainsi. Pourtant, en même temps, on l’associe à l’ennui, à la révolte, à l’émergence du sexuel, aux transgressions, aux questionnements identi- taires ou au besoin d’utopie. On oublie notre adolescence dès qu’on en est sorti, au moins en partie et dans ses aspects les plus spéci- fiques. Et notre société a souvent tendance à considérer qu’ils en font trop ou pas assez. Certains vont présenter des adolescences interminables et vont reculer le moment d’entrer dans la vie active ; on critique leur indolence et leur manque de responsabilités. D’autres vont entreprendre très tôt à partir d’intuitions, de compétences qui leur sont propres, dans le domaine de la création virtuelle ou des logiciels, par exemple, et alors on les critique aussi parce qu’ils bouleverseraient l’ordre des choses, d’abord apprendre puis entreprendre dans le monde des adultes, « le vrai monde ». Or, ce qui caractérise la jeunesse, c’est la nécessité d’inventer, d’innover, d’imaginer des manières de faire, de vivre, de s’engager, d’expérimenter toutes les formes de liberté, modalités adaptées à leur temporalité, à leur subjectivité aussi. Il y a sans doute un peu de transgression dans l’idée d’entreprendre très tôt, une envie de s’émanciper de la tutelle et des conseils parentaux ou de ceux des adultes qui croient savoir, mais c’est beaucoup plus que cela ! C’est avant tout une forme d’engagement dans la vie, d’invention de formes et de manières qui correspondent à cet âge de la diversité, de la nécessité d’advenir et de penser et de faire par soi-même. Cette leçon que nous donnent ces adolescents qui entreprennent ou s’engagent précocement vaut pour tous les adolescents dans leur diversité. Elle plaide pour que nous reconnaissions leurs parcours dans notre société multiculturelle et quelque peu frileuse et normative qui ne reconnaît pas à tous ses adolescents les mêmes chances et les mêmes possibles. Ces jeunes nous obligent aussi à avancer dans la création d’imaginaires de la diversité des adolescents, qu’elle soit psychologique, sociale ou culturelle. Imaginaires si importants pour ne pas renoncer à changer le monde ou, du moins, son lien au monde ’’où il y aurait une place pour chacun et pour tous. Marie Rose Moro, Professeure de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Université de Sorbonne Paris Cité. Chef de service de la Maison de Solenn- Maison des adolescents de Cochin (APHP, Paris)N°129 Février 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 3
Dialoguer RUBRIQUE DE NOMEDGAR MORIN“ LE TEMPSEST VENUDE CHANGERDE CIVILISATION ”ENTRETIEN, DENIS LAFAYPHOTOGRAPHIES, HAMILTON / RÉA« Le seul véritable antidote à la tentation barbare N°129 Février 2016a pour nom humanisme », rappelle Edgar Morinà l’aune des événements, spectaculaires ou souterrains,qui ensanglantent la planète, endeuillent la France,disloquent l’humanité. Du haut de ses 94 ans, le sociologueet philosophe viscéralement en lutte ausculte la civilisationcontemporaine, dissèque les innervations de son dépérisse-ment et défriche les voies de sa revitalisation. Économie, Frontnational, islam, fanatisme, immigration, mondialisation, Europe,démocratie, environnement : ces enjeux qui caractérisent et,pour certains, anéantissent l’ère occidentale trouvent leur issuedans l’acceptation de « la complexité », étranglée par le dogmebinaire et la dictature du chi re. Une « complexité du monde »source de décloisonnement des consciences, de conjuration despeurs, de confrontation des idéaux, d’hybridation des imaginations,et grâce à laquelle une espérance cultivée dans la fraternité,la solidarité et l’exaucement de sens, peut ressusciter. « Il est l’heurede changer de civilisation. » Et de modeler la « Terre patrie. »4 Acteurs de l’économie - La Tribune
RUBRIQUE DE NOM DialoguerN°129 Février 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 5
Dialoguer EDGAR MORINttentats à Paris, état d’urgence, rayonne- domine : on se recroqueville, on se dissocie, « Refuserment du Front National, vague massive de le morcellement s’impose au décloisonne- les luciditésmigration, situation économique et sociale ment, on s’abrite derrière une identité spé- de la complexité,déliquescente symbolisée par un taux de cifique – nationale et/ou religieuse. La peur c’est s’exposerchômage inédit (10,2 % de la population) : la de l’étranger s’impose à l’accueil de l’étranger, à la cécité facefin d’année 2015 en France est particuliè- l’étranger considéré ici dans ses acceptions à la réalité »rement douloureuse et inquiétante. La jux- les plus larges : il porte le visage de l’immi-taposition de ces événements révèle des gré, du rom, du maghrébin, du musulman, laquelle succède l’instauration de dictaturesracines et des manifestations communes. du réfugié irakien mais aussi englobe tout à laquelle succède le souffle d’espérance duQu’apprend-elle sur l’état de la société ? ce qui donne l’impression, fondée ou fan- Printemps arabe auquel succède l’irrup-Cette situation résulte d’une conjonction de tasmée, de porter atteinte à l’indépendance tion de forces contraires et souvent donc lafacteurs extérieurs et intérieurs, à l’image de et à la souveraineté économiques, culturelles désillusion, auxquelles à ce jour ont succédéceux, tour à tour favorables et hostiles, qui ou civilisationnelles. Voilà ce qui « fait » le chaos géopolitique et la propagation decirconscrivent l’état de la France, bien sûr crise planétaire, et même angoisse planétaire l’idéologie barbare de Daech… Tout retourinséparable de celui de la mondialisation. puisque cette crise est assortie d’une à la religion n’est bien sûr pas synonyme deCar c’est l’humanité même qui traverse une absence d’espérance dans le futur. Au début fracas, et souvent se fait de manière paci-« crise planétaire ». Et la France subit une des années 1980, le monde occidental se fiée. Mais on ne peut pas omettre la réalitécrise multiforme de civilisation, de société, croyait solidement debout dans la prolonga- des autres formes, agressives et violentes,d’économie qui a pour manifestation pre- tion des mythiques « Trente Glorieuses » qui ont germé dans le bouillon de culturemière un dépérissement lui aussi pluriel : et solidement convaincu de bâtir une société afghan et ont prospéré dans un terreau oùsocial, industriel, géographique, des terri- ascendante ; de leur côté, l’Union soviétique toutes les parties prenantes ont leur parttoires, et humain. et la Chine annonçaient un horizon radieux. de responsabilité ; la seconde guerre enLa planète est soumise à des processus Bref, chacun ou presque pouvait avoir foi Irak, l’intervention en Libye, l’inaction enantagoniques de désintégration et d’inté- dans l’avenir. Cette foi a volé en éclats, Syrie, le bourbier israélo-palestinien maisgration. En effet, toute l’espèce humaine est y compris dans les pays dits du « tiers aussi, sous le diktat américain, la propaga-réunie sous une « communauté de destin », monde », et a laissé place à l’incertitude, à la tion d’une vision manichéenne du mondepuisqu’elle partage les mêmes périls écolo- peur, et à la désespérance. opposant empires du bien et du mal, ontgiques ou économiques, les mêmes dangers participé à la fracturation du monde musul-provoqués par le fanatisme religieux ou Comment qualifiez-vous ce moment de man et à la radicalisation de certaines del’arme nucléaire. Cette réalité devrait générer l’histoire, dans l’histoire que vous avez ses franges. Le comportement des grandesune prise de conscience collective et donc traversée ? nations du monde a contribué activement àsouder, solidariser, hybrider. Or l’inverse Cette absence d’espérance et de perspective, « l’émergence » d’Al Qaeda hier et de l’État cette difficulté de nourrir foi dans l’avenir, islamique aujourd’hui, à faire de la Syrie6 Acteurs de l’économie - La Tribune sont récentes. Même durant la Seconde un terrain de guerres, d’alliances de cir- Guerre mondiale, sous l’occupation et sous constances, de coalitions invraisemblables, le joug de la terreur nazie, nous demeurions d’intérêts contraires, d’exactions, et de pro- portés par une immense espérance. Nous lifération islamiste inextricable. Ce brasier tous – et pas seulement les communistes dissémine ses flammèches bien au-delà de dans le prisme d’une « merveilleuse » Union ses frontières, et ses répercussions ne se soviétique appelée à unir le peuple – étions limitent pas à la rupture diplomatique entre persuadés qu’un monde nouveau, qu’une l’Arabie Saoudite et l’Iran ou à la flambée du société meilleure allaient émerger. L’horreur schisme entre chiites et sunnites. était le quotidien, mais l’espoir dominait imperturbablement ; et cette situation a priori Cette absence d’espérance individuelle paradoxale caractérisait auparavant chaque et collective dans l’avenir a-t-elle pour époque tragique. Soixante-dix ans plus tard, germe, dans le monde occidental, l’endoc- l’avenir est devenu incertain, angoissant. trinement marchand, capitaliste, consu- mériste et ultra technologique ? Horreur – espoir, paix – repli : ce qui, dans Deux types de barbarie coexistent et par- l’histoire contemporaine, distingue les fer- fois se combattent. Le premier est cette bar- ments de ces deux situations, c’est l’irrup- barie de masse aujourd’hui de Daech, hier tion du fait religieux, et particulièrement du nazisme, du stalinisme ou du maoïsme. d’un islamisme et d’un fondamentalisme Cette barbarie, récurrente dans l’histoire, qui ébranlent bien au-delà des frontières renaît à chaque conflit, et chaque conflit la des pays musulmans… Les reflux nationaux-religieux ont pour N°129 Février 2016 premier point de cristallisation la révolu- tion iranienne de 1979, et l’instauration, inédite, d’une autorité politique religieuse et radicale. Elle intervient après plusieurs décennies de profonds bouleversements dans le monde musulman : à la colonisa- tion ottomane pendant des siècles succède la colonisation occidentale à laquelle succède une décolonisation souvent violente à
EDGAR MORIN Dialoguerfait renaître. On s’en offusque en 2016 en « L’absence reproduction de la barbarie, s’estompedécouvrant les images ou les témoignages d’espérance, au fur et à mesure que les témoins dis-dans l’État islamique, mais les millions la difficulté paraissent. Redoutez-vous les consé-de morts des camps nazis, des goulags de nourrir foi quences de cette évaporation « physique »soviétiques, de la révolution culturelle dans l’avenir, de l’histoire ? L’Homme est-il victime d’unechinoise comme du génocide perpétré par sont un confiance disproportionnée – et là aussiles Khmers rouges rappellent, s’il en était phénomène aveugle – en son humanité et en l’huma-besoin, que l’abomination barbare n’est pas récent. Même nité collective à ne pas reproduire demainpropre au XXIe siècle ni à l’Islam ! Ce qui dans l’horreur l’abomination d’hier ?distingue la première des quatre autres qui quotidienne de L’extermination des juifs dans les camps del’ont précédée dans l’histoire, c’est simple- la Seconde Guerre concentration nazis n’a pas empêché unement la racine du fanatisme religieux. mondiale, l’espoir partie du monde juif en Israël de coloniser etLe second type de barbarie, de plus en plus dominait imper- de domestiquer la population palestinienne.hégémonique dans la civilisation contem- turbablement » Que leurs ascendants voire eux-mêmesporaine, est celui du calcul et du chiffre. Non aient subi les plus épouvantables atrocitésseulement tout est calcul et chiffre (profit, imposés. La logique dominante étant utili- pendant la Seconde Guerre mondiale a-t-ilbénéfices, PIB, croissance, chômage, son- tariste et court-termiste, on ne se ressource immunisé les agents du Mossad ou les offi-dages...), non seulement même les volets plus dans l’exploration de domaines, d’acti- ciers de l’armée israélienne à commanderhumains de la société sont calcul et chiffre, vités, de spécialités, de manières de penser ou à perpétrer des atrocités ? Non. Qu’onmais désormais tout ce qui est économie est autres que les siens, parce qu’a priori ils ne fait les communistes lorsqu’ils ont occupécirconscrit au calcul et au chiffre. Au point servent pas directement et immédiatement l’Allemagne de l’est et libéré le camp deque tous les maux de la société semblent l’accomplissement de nos tâches alors qu’ils Buchenwald, dans lequel dès 1933 avaientavoir pour origine l’économique, comme pourraient l’enrichir. La culture n’est pas été incarcérés et anéantis notamment des…c’est la conviction du ministre de l’Écono- un luxe, elle nous permet de contextuali- communistes ? Ils y ont parqué les supposésmie Emmanuel Macron. Cette vision uni- ser au-delà du sillon qui devient ornière. ou avérés anti-communistes ! Et dès le 8latérale et réductrice favorise la tyrannie du L’obligation d’être ultraperformant techni- mai 1945, les Français, eux-mêmes victimesprofit, de la spéculation internationale, de la quement dans sa discipline a pour effet le de la barbarie nazie, n’ont-ils pas conduit leconcurrence sauvage. Au nom de la compé- repli sur cette discipline, la paupérisation massacre de Sétif, Guelma et Kherrata, autitivité, tous les coups sont permis et même des connaissances, et une inculture gran- cours duquel plusieurs milliers d’anti-co-encouragés ou exigés, jusqu’à instaurer des dissante. On croit que la seule connaissance lonialistes et d’indépendantistes algériensorganisations du travail déshumanisantes « valable » est celle de sa discipline, on furent exterminés ? Pourtant ces victimescomme en atteste le phénomène exponentiel pense que la notion de complexité, syno- avaient pour revendication strictement lade burn out. Déshumanisantes mais aussi nyme d’interactions et de rétroactions, n’est même que celle des Français à l’égard ducontre efficientes à l’heure où la rentabilité que bavardage. Faut-il s’étonner alors de la pouvoir allemand : liberté, paix et émanci-des entreprises est davantage condition- situation humaine et civilisationnelle de la pation. « Dans l’opprimé d’hier il y a l’oppres-née à la qualité de l’immatériel (coopération, planète ? Refuser les lucidités de la com- seur de demain », considérait fort justementprise d’initiatives, sens de la responsabi- plexité, c’est s’exposer à la cécité face à la Victor Hugo. La mémoire est, en réalité,lité, créativité, hybridation des services et réalité. Ce qui précéda et favorisa la Seconde toujours à sens unique et ne constitue nulle-des métiers, intégration, management etc.) Guerre mondiale n’était-il pas une succes- ment un rempart à la reproduction du mal.qu’à la quantité du matériel (ratios financiers, sion d’aveuglements somnambuliques ? Le seul véritable antidote à la tentation bar-fonds propres, cours de bourse, etc.). Ainsi Et au nom de quoi faudrait-il penser qu’en bare, qu’elle soit individuelle et collective,la compétitivité est sa propre ennemie. Cette 2016 les décideurs politiques sont pourvus a pour nom humanisme. Ce principe fon-situation est liée au refus d’aborder les réali- de pouvoirs extralucides et protégés de ces damental doit être enraciné en soi, chevillétés du monde, de la société, et de l’individu mêmes aveuglements ? au fond de soi, car grâce à lui on reconnaîtdans leur complexité. la qualité humaine chez autrui quel qu’il soit, La barbarie prospère quand la mémoire on reconnaît tout autre comme être humain.Une grande part de votre travail de socio- de la barbarie s’efface. Or en occident, Sans cette reconnaissance d’autrui chère àlogue et de philosophe a justement porté l’empreinte de l’indicible le plus indi- Hegel, sans ce sens de l’autre que Montaignesur l’exploration de la complexité, sur l’im- cible : la Shoah, qui dans les consciences a si bien exprimé en affirmant « voir en toutbrication des différents domaines de la constitua une digue, même poreuse, à la homme un compatriote », nous sommespensée complexe mise en lumière dans tous de potentiels barbares.votre « œuvre » référence, La Méthode. Leterme de complexité est considéré dans La France est en état d’urgence. Ce quison assertion « complexus », qui signifie instille de lourdes interrogations sur l’ex-« ce qui est tissé ensemble » dans un enche- pression de la liberté, sur l’articulation desvêtrement, un entrelacement transdiscipli- libertés individuelles avec la nécessité denaires. À quels ressorts attribuez-vous ce combattre le péril terroriste. Erri de Lucarejet, contemporain, de ce qui est et fait considère que « déléguer la sécurité à l’État,complexité ? c’est réduire ses propres responsabilités ».La connaissance est aveugle quand elle est Et le romancier italien d’inviter chacun àréduite à sa seule dimension quantitative, « s’emparer de la problématique, et pouret quand l’économie comme l’entreprise cela d’être responsable de ce qui se passe àsont envisagées dans une appréhension côté de lui. Lançons l’alerte au niveau zérocompartimentée. Or les cloisonnements de la société, dans un mouvement popu-imperméables les uns aux autres se sont laire et de fraternité. » L’enjeu de la sécuritéN°129 Février 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 7
Dialoguer EDGAR MORIN « Jusqu’au début du rigoristes, notamment salafistes et wah- XXe, qu’a démontré habites, le Coran s’expose à des considé-peut-il constituer une opportunité de l’Église catholique rations incompatibles avec la République,démocratie et même de fraternité ? en France ? Son et même, comme l’a démontré la foliePour l’heure, absolument rien ne permet de incompatibilité des terroristes, totalement hostiles lors-croire en son exaucement. Les expériences avec la démocratie qu’il devient levier d’endoctrinement etpassées apprennent beaucoup. Y compris et la laïcité. de désagrégation de « l’être sujet de lalorsqu’elles ont pour théâtre d’autres pays. Pourquoi doit-on société ». La communauté musulmane aÀ ce titre, les lois « Prevent » déployées en alors exiger de manifesté avec force son rejet de l’hor-Grande-Bretagne après les terribles atten- l’islam d’accomplir reur des attentats du 13 novembre, maistats de 2005 à Londres ont-elles porté leurs en quelques années la même s’était montrée sensiblementfruits ? Elles poursuivaient un double des- la même trajectoire plus discrète au moment de condamnersein : d’une part favoriser l’intégration des que l’Église a l’assassinat des dessinateurs de Charliemusulmans, nombreux sur le territoire, en mis des siècles Hebdo. Pourtant, sur l’échelle des valeursleur affectant notamment des lieux cultuels à réaliser ? » de la République, il ne doit pas existeret culturels, d’autre part mieux repérer d’approche di érenciante des deux événe-les extrémistes potentiellement promis à Le Chef de l’État et son Premier ministre ments. L’islam, notamment au sein d’unese radicaliser dans la peau de terroristes. renient-ils les « valeurs » de gauche ou les jeunesse qui y trouve un substitut à sonC’est-à-dire qu’il s’agissait d’identifier plus adaptent-ils aux singulières injonctions du malaise social et citoyen, est-il bien natu-facilement de possibles ennemis au sein contexte terroriste ? rellement soluble dans la nation, la laïcitéd’une communauté qu’on cherchait à mieux La « valeur » de cette déchéance de natio- et la démocratie françaises ?intégrer… Cette stratégie schizophrénique nalité est purement symbolique, nulle- L’histoire apporte la meilleure réponse. Pen-était vouée à l’échec. Résultat, non seule- ment concrète. Et sa portée mythologique dant des siècles et dans toute l’Europe, qu’ament la sécurité n’y a pas gagné, mais en est infructueuse. Faire croire que déchoir donc démontré l’Église catholique ? Sonplus, le sentiment d’intégration des musul- de la nationalité française des kamikazes incompatibilité avec la démocratie françaisemans s’est détourné de sa cible originelle : déterminés à mourir au nom du djihad va et la laïcité. Il faudra attendre le début dula nation britannique, pour embrasser celle les dissuader de passer à l’acte est un non XXe siècle, c’est-à-dire « hier » sur l’échellede l’islam. sens. Cette proposition administrative et du christianisme, pour qu’Église, démo-L’histoire contemporaine des factions juridique a pour seule véritable vocation cratie et laïcité commencent de coexister, àarmées et terroristes – IRA en Grande-Bre- de constituer une excommunication, elle l’issue d’une succession séculaire de luttestagne, ETA en Espagne, Brigades rouges en est à ce titre une sorte d’équivalent laïc de armées, philosophiques, politiques, artis-Italie – qui ont perpétré des atrocités dans l’excommunication dans la religion catho- tiques ou sociales qui ont fait progresserles démocraties, montre que la répression lique ou du Herem dans le judaïsme. « Être les esprits. Renaissance, Lumières, roman-policière et les dispositifs législatifs contrai- déchu » signifie que l’on n’est plus rien, que tisme… toutes ces étapes furent nécessairesgnant les libertés ont leurs limites. Rien l’on n’existe plus aux yeux de sa nation, et pour que le pouvoir de l’Église quitte lene peut faire pare-feu infranchissable. À je peux comprendre ceux qui l’associent à périmètre politique et se concentre sur lace titre, penser que les actuelles mesures une offense aux valeurs de la République. sphère privée, dite « des âmes ». Et c’est seu-d’urgence en France accroissent la sécurité La dimension symbolique, forte, n’est pas lement une fois que l’écueil monarchiqueest un leurre ; elles diffusent au sein de la sans rappeler, par ailleurs, de sombres sou- fut définitivement écarté que l’Église catho-population un « sentiment psychologique » venirs. Du régime nazi aux services de Mus- lique devint entièrement soluble dans lade sécurité, mais cette perception n’est pas solini en passant par le gouvernement de démocratie. Alors pourquoi doit-on exigersynonyme de sécurité véritable. Et de plus, Vichy, les procédures de déchéance furent de l’islam d’accomplir en quelques annéessi elles tombent en de « mauvaises » mains, pléthoriques, et elles demeurent l’apanage voire instantanément la même trajectoireces mesures peuvent être détournées de des régimes politiques autoritaires. que l’Église mit des siècles à réaliser ?leur vocation, autoriser le pire arbitraire et D’autre part, l’occident chrétien est légi-se retourner drastiquement contre l’intérêt Dans leur ouvrage Jésus selon Mahomet timement effondré devant la destructionmême de la nation. Les imagine-t-on dans (Seuil), Gérard Mordillat et Jérôme Prieur des Bouddhas de Bamiyan en Afghanistanle cadre d’une victoire du FN au scrutin évoquent la di culté de décortiquer les ou des vestiges de Palmyre en Syrie, il estprésidentiel ? énigmes et les mystères du Coran, d’in- légitimement opposé à la stratégie arméeTout comme l’humanisme forme la plus terpréter les textes à l’aune des critères et de conquête de territoires et légitimementefficace des murailles contre la barbarie, des repères occidentaux de compréhen- écoeuré par les massacres perpétrés par lescultiver fraternité et unité au sein de la sion. Comme s’y emploient les courants islamistes ; mais a-t-on oublié la manièrepopulation certes ne permet pas de repé- dont, au cours des siècles, les chrétiensrer les terroristes mais tonifie le principe persécutèrent les païens, brulèrent leursd’identité partagée, consolide la vitalité représentations artistiques, portèrent lesdémocratique, et donc peut participer à dis- sanglantes croisades, évangélisèrent lessuader les radicaux de franchir le pas vers terres musulmanes ? L’inquisition fut-ellele terrorisme. un modèle d’humanité ? Certes, tout comme dans la Bible, le CoranL’intégration de « l’extension de la recèle des textes d’une infinie beauté maisdéchéance de nationalité aux binationaux parfois aussi d’une grande violence, notam-nés en France » au projet de loi constitu- ment à l’endroit de l’infidèle et de l’impie.tionnelle forme une importante fracture Mais l’islam est en premier lieu une reli-dans le substrat idéologique de la gauche gion judéo-chrétienne, proche davantage dufrançaise, et cristallise une opportunité judaïsme que de la chrétienté – ses interditssupplémentaire de scission, même de rup-ture. Cette dramaturgie est-elle fondée ? N°129 Février 20168 Acteurs de l’économie - La Tribune
EDGAR MORIN DialoguerN°129 Février 2016 « La France est amourActeurs de l’économie - La Tribune 9 de l’humanité »
Dialoguer EDGAR MORIN © Nicolas Tavernier - Réa et ceux du judaïsme sont très proches –, et qui partage un même socle avec les deux « La barbarie autres religions monothéistes ; Abraham, du chi re enferme Moïse, Jésus sont communs aux textes, et tous les maux seul le prophète Mahomet singularise véri- de la société dans tablement le Coran. Un minaret ne res- une seule origine : semble-t-il pas à un clocher ? Bref, le tronc économique. commun aux trois grandes religions est Cette vision substantiel. Et l’enjeu prioritaire pour lever réductrice les derniers écueils à la totale « solubilité » qu’incarne de l’islam dans la démocratie et la Répu- Emmanuel Macron blique françaises, c’est d’enseigner la nature favorise la tyrannie judéo-chrétienne de l’islam. Voilà un devoir du profit, pédagogique fondamental. de la spéculation, de la concurrence Comment tout Homme croyant doit-il hié- sauvage, et la rarchiser ses attributs dès lors qu’il doit déshumanisation être admis que les règles publiques de la du travail. Et elle République qui font commun et société sacralise quantité s’imposent à celles, privées, de la foi, c’est- du matériel alors à-dire à l’expression de la conscience spi- que la rentabilité rituelle ? À quelles conditions, finalement, des entreprises « identité musulmane » et « identité fran- dépend de la qualité çaise » sont-elles compatibles ? de l’immatériel. Le « décrié » Tariq Ramadan – avec qui Ainsi la compétitivité Edgar Morin a publié Au péril des idées, est devenue Presses du Chatelet, NDLR – y est lui-même sa propre ennemie. » favorable : il est l’heure d’organiser et de promouvoir un islam occidental européen,« Par refus de la complexité, nous avons qui sera le théâtre de reconnaissances fon-commis l’erreur de ne pas chercher à unir damentales. Reconnaissance du statut desdes impératifs contraires : mondialiser femmes, de l’égalité hommes-femmes, deset démondialiser, croissance et décrois- lois de la République, du monopole de l’Étatsance, développement et enveloppement » dans l’éducation publique – cohabitant avec des systèmes d’éducation privée –, des non10 Acteurs de l’économie - La Tribune croyants et libres penseurs, des mariages mixtes… L’ensemble de ces leviers est déter- minant pour amener chaque musulman à adopter les règles de la République et à prendre conscience qu’elles ne constituent aucunement une entrave à l’exercice de sa foi. La France est un pays multi-ethnique et mul- ti-religieux. La religion juive – aujourd’hui encore interprétée par les ultra-orthodoxes en Israël dans une radicalité qui juge la seule fréquentation d’un goy impure et immonde – s’est convertie avec succès aux lois de la République. Absolument rien ne permet de considérer que l’islam ne peut pas y parve- nir. Encore faut-il s’extraire d’un tourbillon qui entremêle rejets et stigmatisations réci- proques, et d’un cercle vicieux par la faute duquel les phobies (islamophobie, occiden- talophobie, judéophobie) se nourrissent, s’entretiennent, s’exacerbent mutuellement. Elles composent un seul et même poison qui intoxique toute la nation. Autre poison : le Front National. 6 800 000 électeurs lors du dernier scrutin régio- nal, des cadres désormais de bon niveau, des diagnostics qui peuvent sonner juste au-delà des cercles habituels, une crise familiale interne finalement sans e et, un éventail de motivations parmi les électeurs N°129 Février 2016
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Dialoguer EDGAR MORIN« La science, la technique, l’économie sont « dopées » par une croissance incontrôlée, alors que l’éthique, la morale, l’humanité, se délitent…qui a dépassé celui, historique, de la seule deuxième France xénophobe a toujours républicain. Reste un mystère : quelle Pré-xénophobie. Chômage, déracinement, dilu- existé, mais compromise par la collabora- sidente de la République Marine Le Pention des repères, déshérence sociale, o re tion elle s’est recroquevillée. Nous assistons ferait-elle ? Autoritaire dans la lignée de laéducationnelle déliquescente, inégalités au lent et méthodique retour d’un Vichysme Hongrie de Victor Orban, déterminée à quit-croissantes, discrédit des « élites », cités rampant qui n’a pas besoin d’occupation ter le pluralisme démocratique et à adoptergangrénées par l’insécurité : une partie allemande pour innerver les consciences. une organisation fascisante ? En d’autresde ces électeurs fonde son vote sur des Le dépérissement du peuple républicain et termes, ce qui distingue la menace fondée deconsidérations davantage économiques, du peuple de gauche en même temps que la menace improbable d’une victoire électo-financières, sociales que « seulement » les angoisses du présent expliquent cette rale constitue une énigme. Mais une énigmeethniques. Le front républicain, artificiel, résurgence. que sa popularité enracinée et la faiblesseface à un FN dédiabolisé, a semblé vivre ses Et cette cause a pour origine la disparition des contrepoids idéologiques et démocra-ultimes heures ; de moins en moins audible progressive des structures qui maillaient le tiques rendent extrêmement inquiétante.au sein des partis traditionnels et chez territoire, couvraient les différentes popula- Nous saurons qui elle est si elle est élue,les électeurs, il constitue même un crédit tions, et diffusaient l’esprit et les règles de la mais il sera peut-être trop tard.supplémentaire à la stratégie victimaire et République, les principes de la démocratie etcomplotiste du FN. Enfin, les scores records de la laïcité, les valeurs de liberté, d’égalité, Le vote Front National est la manifesta-qu’il a enregistrés lors des Régionales dans d’humanisme, de fraternité : les instituteurs tion d’une exaspération protéiforme, quiles communes qu’il administre depuis 2014 dans un monde rural longtemps majoritaire, a contaminé jusqu’aux strates les plus(53,73 % au Pontet, 48,01 % à Béziers, les enseignants dans le secondaire, les cel- éduquées de la société – près de 20 % des53,27 % à Fréjus), confèrent au FN d’être lules locales des partis socialiste et commu- chefs d’entreprise l’ont rallié. Signifie-t-ellebel et bien l’un des composants d’un pay- niste dans leurs écoles de cadres et dans les que la France est allée au bout de ce qu’ellesage politique désormais tripolaire. L’enra- syndicats. Cette structuration des valeurs peut proposer et accepter en matière d’as-cinement est idéologique, géographique, républicaines – qui, par capillarité, assurait sistance, d’accueil, et d’impôt – qui consti-politique. Quel diagnostic sur l’état même sa perpétuelle régénérescence –, s’est lézar- tue le socle même de la société ? Troisde la France cette réalité produit-elle ? dée puis s’est effondrée. Résultat, dans une contributeurs majeurs à « l’humanité » duLa popularité du Front National cristallise nation dépourvue d’idéaux et d’espérance, « vivre ensemble »…une double régression : celle de la France cette seconde France de la xénophobie, du La psychose anti-migrants est ubuesque.républicaine, et celle du peuple de gauche. repli, de la peur, redevient majoritaire. Pire, Peu nombreux sont les fugitifs de Syrie ouLa France républicaine avait vaincu en 1900 elle parvient à contaminer ceux-là mêmes d’Irak candidats à s’installer en France,la France aristocratique et monarchique, qui, il y a encore peu, portaient un intérêt et c’est traditionnellement dans les loca-mais le gouvernement de Vichy montra empathique au monde. lités les moins exposées à l’immigrationque cette France républicaine post-Dreyfus que sévissent les plus virulents sentimentsn’avait que partiellement jugulé l’autre Qu’il soit autorisé au sein de la République xénophobes. Là encore ne succombonsFrance. Lorsque j’étais enfant ou adoles- su t-il à qualifier le Front National de parti pas à la logique quantitative. La réussitecent, l’ennemi n’était pas l’arabe mais bien républicain ? de l’intégration n’est pas une question dele juif, et cela même les grands hebdoma- Le Front National clame haut et fort assu- chiffres mais de conditions d’accueil :daires nationaux s’en faisaient les porte-pa- mer la loi républicaine et la laïcité, et à ce contexte économique, dispositifs sociauxroles, colportant les pires calomnies. Cette titre est totalement éligible au rang de parti et éducationnels, « atmosphère » politique,12 Acteurs de l’économie - La Tribune N°129 Février 2016
EDGAR MORIN Dialoguer… Et le pire est à venir : les prodigieuses capacités de la science annonçant la prolongation de la vie humaine et la robotisation généraliséeprogramment une arriération des rapports humains et un état de barbarie inédit. Voilà le suprême défi pour l’humanité. »prédispositions psychosociologiques de la des creusets de liberté, d’égalité et de frater- Tout cela à l’ère d’internet et dans une civili-population autochtone à plutôt s’ouvrir ou nité, l’intégration reste possible. sation où nous sommes si souvent désarmésse fermer, etc. L’Allemagne, nonobstant les voire instrumentalisés. Nombre de sujetsgraves débordements sexistes, à ce jour La retranscription intégrale des conversa- absolument fondamentaux sont absents deencore non élucidés, du réveillon du jour tions du joueur de football Karim Benzema l’enseignement. Par ailleurs, les manuelsde l’an à Cologne et dans quelques autres – dans l’a aire pénale l’opposant à son d’histoire doivent impérativement s’enrichirvilles, pâtit-elle d’héberger un million et coéquipier Mathieu Valbuéna –, dont il était d’une information minutieuse sur une his-demi de réfugiés politiques ? Non, et cela presque impossible de comprendre le sens toire de France qui dépeint les capétiens etparce que ses habitants comme sa classe et d’interpréter la signification, est symp- au cours des siècles a intégré des peuplespolitique font preuve d’ouverture. tomatique d’un mal profond, ainsi résumé hétérogènes en les « provincialisant » et enLe système français de naturalisation, en par l’avocat pénaliste Eric Dupond-Moretti : les francisant. Insister sur la manière dontvigueur depuis le début du XXe siècle, a la nation manque d’un langage commun et des nations, des peuples, des cultures, desbien fonctionné. Et l’histoire des vagues de codes de conduite communs. Dans ce langues, des religions a priori si éloignés lesmassives d’immigration livre deux ensei- domaine aussi, le système éducatif a-t-il uns des autres se sont peu à peu agglomé-gnements universels : deux générations gravement failli ? Est-il réactionnaire d’ap- rés et composent aujourd’hui une nationsont nécessaires avant une pleine intégra- peler dans le sillage d’Alain Finkielkraut à polyculturelle est essentiel. La France n’esttion – même lorsque les immigrés sont de restaurer avec exigence des bases de vie pas « que » empire conquérant et coloni-religion catholique, comme en témoignent commune : civisme, lecture, histoire, etc. ? sateur ; elle est surtout elle-même le fruitles violences subies par les Italiens débar- Le système éducatif est devenu tout à fait ina- d’une mosaïque de cultures, et ce qui étaitqués à Marseille dans les années 1900 –, et déquat, et cela pour l’ensemble des jeunes « valable » avec l’hybridation avant-hier desle test de ladite intégration est le mariage quels que soient leur origine ethnique, leur peuples breton, basque, alsacien, hier des Ita-mixte. Alors certes ces règles s’appliquent milieu social ou leur parcours de vie. Tout liens, Polonais ou Portugais, l’est pleinementplus difficilement avec les populations ori- simplement parce qu’il ne traite pas des aujourd’hui avec les Marocains, Algériens,ginaires du Maghreb. Cela tient au passé problèmes fondamentaux que chacun est Cambodgiens ou Turcs.colonial, au passif de la guerre d’Algérie, appelé à affronter au cours de son existence. Enfin, et tout aussi capitales doivent êtreau traitement équivoque des pays occiden- Enseigner à vivre – c’est aussi le titre d’un de d’une part la réhabilitation de la culture destaux à l’égard des régimes arabes ou du ses ouvrages, paru chez Actes Sud en 2014, humanités, menacée par la culture techno-éco-conflit israélo-palestinien, à certains par- NDLR –, comme y exhortait Jean-Jacques nomique, d’autre part son décloisonnementticularismes religieux, au zèle de la police Rousseau, c’est en effet explorer les voies et son maillage avec la culture scientifique.à l’endroit des jeunes contrôlés au faciès… de l’épanouissement, de l’autonomie intel- Faire se confronter, dialoguer, construireTout cela contribue à entretenir un climat lectuelle, émotionnelle et décisionnelle, c’est ensemble et de manière transdisciplinairede rejet, mais aussi de repli et de fermeture apprendre à vivre solidairement, à faire face ces différentes expressions de la connais-sur soi. Il en est pourtant qui en dépit de aux problèmes vitaux de l’erreur, de l’illu- sance est fondamental, y compris pources obstacles, percent le plafond et occupent sion, de la partialité, de l’incompréhension favoriser, là encore, la culture de l’ouverturedes postes de haute responsabilité politique, d’autrui et de soi-même, c’est apprendre à au détriment de celle, grandissante, de laartistique ou économique. Ils sont l’exemple affronter les incertitudes du destin humain, fermeture. Ce qui signifie aussi que toutesqu’en dépit du grave dépérissement du socle à connaître les pièges de la connaissance, in les formes de la culture doivent être pro-républicain d’intégration et du délitement fine à faire face aux problèmes du « vivre ». mues. Les disciplines classiques ne doiventN°129 Février 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 13
Dialoguer EDGAR MORINpas obstruer celles modernes et contempo- Le Front National a « capturé » mais aussi elle un avenir commun. La célèbre imageraines. Mon attachement viscéral à l’œuvre dévoyé une valeur clé de la nation – aban- des drapeaux algériens brandis par dede Montaigne, Pascal, Rousseau ou Dostoïe- donnée par la gauche en dépit des ten- jeunes Français dans les travées du Stadevski ne m’empêche pas d’être émerveillé par tatives de sursaut initiées par Arnaud de France a fait mal. Comment réveillercelle de Fritz Lang ou d’Akira Kurosawa. Montebourg dans le champ économique – : le double sentiment patriote et compa-Les vertus de la complexité, c’est, dans ce le patriotisme. Patriotisme dont se sent ou triote sans qu’il dérape dans les traversdomaine aussi, embrasser plutôt qu’éla- a été exclue une frange de la population qui nationalistes ?guer, c’est mettre en perspective plutôt que n’a pas d’histoire commune avec la France Jean Jaurès conciliait patriotisme et inter-compartimenter. et donc peut di cilement envisager avec nationalisme. Aujourd’hui il faut associer ces deux termes qui sont antagonistes« La régénération politique passe © Laurent Cerino / Acteurs de l’économie pour la pensée non complexe : patriotismepar des processus infra et supra et cosmopolitisme signifiant « citoyen dupolitiques. Partout, des formations monde ». La communauté de destin pourconvivialistes « réhumanisant » tous les humains, créée par la mondialisa-les rapports humains, irriguent le tion, doit générer un nouveau lien civiqueterritoire et revivifient responsabilités de responsabilité, par exemple à l’état deindividuelles et démocratie collective. la biosphère qui dépend de nous et dontLa philosophie agro-écologique nous dépendons. En 1993, j’ai même écritde Pierre Rabhi est l’une d’elles. » un livre, Terre Patrie (Seuil), plus actuel que jamais. Mais cela n’exclut pas nos autres14 Acteurs de l’économie - La Tribune patries, dont nos « petites » patries, locales et provinciales, et surtout la nation qui, elle, est une communauté de destin aux pro- fondes racines historiques, et pour qui le mot patriotisme indique le ciment affectif qui nous lie à elle, car il est à la fois maternel (mère-patrie) et paternel (autorité de l’État). Ce patriotisme doit d’ailleurs être revitalisé par opposition à une mondialisation essen- tiellement techno-économique, anonyme, sans âme – alors que nous devons nous sentir liés à la matrie terrestre dont nous sommes issus. Comme la mondialisation techno-économique crée dans notre nation comme dans d’autres des déserts humains et économiques, nous devons sauvegarder nos intérêts nationaux vitaux. Notre nation porte en elle deux messages qu’ont toujours transformé en français des ressortissants de peuples progressivement provincialisés et francisés au cours des siècles d’histoire, puis ensuite issus d’émi- gration : celui d’intégration de la diversité ethnique puis religieuse dans une grande unité supérieure, qui se nourrit de cette diversité sans la détruire. Autrement dit reconnaître que la France est en fait mul- ticulturelle, c’est donner aux enfants d’im- migrés la possibilité de se sentir français. D’autre part, 1789 a introduit dans le code génétique une originalité : être français n’est pas subir un déterminisme, c’est vouloir être français. Les délégations à la fête du 14 juillet 1790 disaient : « Nous voulons faire partie de la grande nation ». Au 19e siècle, Fustel de Coulanges et Renan considéraient que la France était un être d’esprit, non de sang ; ainsi, en dépit de leur culture germa- nique, les Alsaciens voulaient être français et se sentaient français d’esprit. Plus nous sommes menacés par des forces anonymes et anonymisantes, qui tendent à disloquer ou à dissoudre les communautés et les soli- darités, plus nous devons travailler à sau- ver lesdites communautés et solidarités. N°129 Février 2016
« L’occident est légitimement e ondré devant les massacres exercés parles islamistes ; mais a-t-on oublié les persécutions dont les chrétiensse sont rendus coupables ? L’inquisition fut-elle un modèle d’humanité ? »(ici L’Inquisition, de Francisco de Goya). © DR « « Dans l’opprimé d’hier il y a l’oppresseur de demain », © DR considérait Victor Hugo. La mémoire du mal ne constitue nullement un rempart à la reproduction du mal. » « La suspicion puis la peur puis la haine de l’étranger, devenu menace et ennemi, ont parasité les consciences. Cette peur de l’étranger s’impose à l’accueil de l’étranger, qui porte le visage de l’immigré mais aussi de tout ce qui donne l’impression de porter atteinte à la souveraineté économique, culturelle ou civilisationnelle. Voilà ce qui fait crise et même angoisse planétaires »« L’Europe a échoué dans sa mission. Résultat : © Ons / zuma - Réaelle était un rempart au fascisme, elle en devient © DRun nouveau terreau. » (ici manifestants du Partipolonais Droit et Justice en soutien àVictor Orban lors de la fête nationale hongroise)N°129 Février 2016 « Que leurs ascendants voire eux-mêmes aient subi les plus épouvantables Acteurs de l’économie - La Tribune 15 © Noam Revkin Fenton / Flash90 - Réa atrocités pendant la Seconde Guerre mondiale a-t-il dissuadé les agents du Mossad ou les o ciers de l’armée israélienne de domestiquer la population palestinienne et de perpétrer des atrocités ? Non. » (ici en 2014 le chef du Mossad Tamor Predo et le Premier ministre Benjamin Netanyahu)
Dialoguer EDGAR MORINLe nationalisme clos s’oppose à tout ce qui propices à la compréhension et à la prospé- « La popularité de Donald Trump © Ben Baker / Redux - Réapeut nous solidariser avec nos voisins euro- rité entre les peuples, et démondialiser afin démontre que les Etats-Unis etpéens et avec les autres peuples de la pla- de sauvegarder territoires, nations et zones l’ensemble du monde traversentnète. Notre patriotisme est en même temps appelées à devenir ces déserts humains ou une ère d’incroyables incertitudeshumaniste. Si cela était enseigné dans les économiques. Réfléchir à combiner crois- face auxquelles les citoyens sontécoles, les élèves constateraient que l’his- sance et décroissance, développement et déboussolés et désarmés. »toire de France n’est pas principalement enveloppement, est un impératif. Encoreconquêtes et colonisation, elle est aussi et un exemple de cette « pensée complexe » à ultramoralistes, ultradicales en matière desurtout intégration du divers, communauté laquelle est préférée la confortable « pensée mœurs, ou ultrabelliqueuses ont concouru.profonde, et, comme l’ont clamé tous les binaire ». Mais jamais un candidat ouvertementgrands de Montaigne à Hugo et Jaurès, elle raciste comme Donald Trump n’avait à ceest amour de l’humanité. Bien sûr, la France ne constitue pas un point rallié les su rages tels que les inten- ilot isolé au sein d’une Europe qui serait, tions de vote le prédisent. Que cette terreLe succès du Front National illustre un dans l’idéal, massivement progressiste. d’immigration et de liberté y succombe estautre phénomène : dans un contexte de La popularité des formations populistes, lourd d’interprétations…mondialisation tentaculaire, de dispa- xénophobes, anti-européennes, gangrène Les États-Unis sont une terre de grandesrition des frontières, de planétarisation tous azimuts. La Hongrie n’est plus seule, surprises électorales et de revirementsinstantanée (via les réseaux sociaux, les comme en témoigne « l’audace » du Partinouvelles technologies, les facilités de Droit et Justice de Jaroslaw Kaczynskitransports, la mobilité sous toutes ses attelé en Pologne à étrangler les liber-formes) mais aussi, concomitamment, tés des médias et à vassaliser le Tribu-de précarisation, d’inégalités, de dogme nal constitutionnel. L’Union européenne,marchand, et d’effacement d’un cer- honnie d’une grande partie des Françaistain nombre de repères (notamment lié comme l’a révélé le dernier scrutin ad hocau délitement des religions), les citoyens de 2014 (en France une abstention à 58 %semblent aspirer à recouvrer un périmètre et le triomphe du Front national, en Europed’existence visible, délimité, compréhen- une forte poussée générale des formationssible, de proximité à la fois géographique ouvertement ou apparentées extrêmemais aussi identitaire, culturel, religieux. droite) a été pendant cinquante ans le rem-Bref, le retour à une nation et à une société part au fascisme. En devient-elle peu à peu« homogènes » et « rassurantes »... A-t-on un nouveau terreau ?ouvert le monde et celui de chaque citoyen C’est une triste vérité. L’Europe a échouéde manière trop hâtive ou désordonnée ? dans sa mission. Et en premier lieu enÀ partir du début des années 1990 a pris laissant l’hyperfinanciarisation, les méca-forme l’unification techno-économique du nismes spéculatifs et les intérêts des multi-« Le système éducatif est inadapté. Comme y appelait Rousseau, c’està vivre et à faire face aux problèmes du « vivre » qu’il faut enseigner »globe. Internet, téléphone mobile, dispari- nationales pourrir le système économique. stupéfiants. Capable de désigner Baracktion administrative des frontières, dématé- Cette dégradation au départ purement éco- Obama mais aussi un Georges W. Bush qui,rialisation tous azimuts, canaux financiers nomique a ensuite contaminé les champs s’il n’est pas ouvertement raciste commeinstantanés et planétaires, propagation social, culturel et bien sûr politique. L’Eu- Donald Trump, a mené une guerre en Irakdu capitalisme de la Chine à la Russie, de rope aurait pu aider à exorciser les peurs des qui a provoqué une catastrophe humaine,l’Amérique latine à l’Afrique : contrairement citoyens ; or la plupart de ceux qui souffrent géopolitique, financière, et civilisationnelleaux idées reçues, ce phénomène d’universa- et s’angoissent la rendent responsable d’af- d’une ampleur planétaire et aux répercus-lisation a favorisé la rétraction, la « referme- faiblir les souverainetés, de vulnérabiliser sions toujours désastreuses. De cette Amé-ture », et même la dislocation – idéologique, les indépendances nationales, d’être une rique nous pouvons attendre le meilleurreligieuse, politique, culturelle – dans de passoire pour l’immigration. Alors la suspi- et le pire. Que Donald Trump caracole ennombreuses parties du globe. N’est-il pas cion puis la peur puis la haine de l’étranger, tête des sondages républicains est un signecurieux que concomitamment à cette mon- devenu menace et ennemi, ont parasité les supplémentaire que le pays et, au-delà,dialisation multiforme surviennent la désa- consciences. Il nous reste à intégrer notre l’ensemble du monde, traversent une èregrégation de la Yougoslavie, la scission de la patriotisme dans celui de la Terre-Patrie. d’incroyables incertitudes face auxquellesTchécoslovaquie, des stratégies séparatistes les citoyens sont déboussolés, désarmés,dans chaque continent ou presque ? L’écla- Même des démocraties que l’on croyait dépourvus du substrat idéologique adéquat.tement de l’empire soviétique ne résulte- prémunies sont gagnées par les doctrinest-il pas lui-même de ce nouveau diktat ? d’extrême droite. C’est le cas notamment Donald Trump et Marine Le Pen ont enL’erreur commise – et qu’Edgar Morin a de la Grande-Bretagne et, au-delà du commun, aux yeux de leurs électeurs,diagnostiquée et auscultée dans La Voie, continent, de la culture anglo-saxonne d’exercer un « parler vrai » assimilé à unFayard, 2011, NDLR – fut de ne pas cher- incarnée par les États-Unis. Les Républi- « parler libre ». Comment peut-on par-cher à unir les deux impératifs contraires : cains s’apprêtent à désigner leur repré- ler vrai et parler utile et juste, commentmondialiser et démondialiser. Mondialiser sentant aux élections présidentielles. Dans peut-on parler vrai sans parler sale (déma-pour favoriser toutes les communications l’histoire récente du pays, des postures gogie, populisme, stigmatisation) ?16 Acteurs de l’économie - La Tribune N°129 Février 2016
TAXE D’APPRENTISSAGERUBRIQUEDENOM Dialoguer2016 La CCI de région Rhône-Alpes, votre seul collecteur consulaire régional Acteurs économiques : investissez, misez sur la formation En versant votre taxe d’apprentissage au seul collecteur régional CCI de région Rhône-Alpes, vous soutenez le développement de la formation au sein de votre région! À V ERSE R AV A N T L E 1ER M A RSLes 3 chambres régionales consulaires de Rhône-Alpes s’unissent pour une o re de service unique. CCI RHÔNE-ALPES www.facilitaxe.com/ccirra N’attendez pasSimplifiez- vous les taxes, nous vous accompagnons dans vos démarches : pour agir :N°129 Février 2016 SÛR ET AU BÉNÉFICE a n t i c i p e z !Acteurs de l’économie - La Tribune 17 PRATIQUE DU TERRITOIRE À L’ÉCOUTE AU QUOTIDIEN
Dialoguer EDGAR MORINLes partisans de Donald Trump et de et à ce délitement idéologique et politique nomme simultanément « la congélation etMarine Le Pen pensent qu’ils disent la aucune autre force ne s’est substituée. Après la décomposition simultanées » des forma-vérité. Laissons-leur cette impression, et l’Etat providence et l’Etat social-démocrate tions traditionnelles. L’exercice politiqueconcentrons-nous sur le véritable antidote : accomplis en Allemagne et en France au est anachronique, désynchronisé des nou-convaincre les professionnels de la politique cours des décennies post-Seconde guerre velles réalités sociétales et des attentesd’abandonner une langue de bois qui ne mondiale, il y a eu conversion au néo-libé- citoyennes de la population. La démo-correspond absolument plus aux réalités ralisme. Dorénavant, la société est traver- cratie est profondément malade. « Nouscontemporaines du langage et aux attentes sée par un besoin : celui d’une pensée qui ne sommes peut-être pas encore entrésdes citoyens. Ceux-ci aspirent à écouter des affronte les temps présent et futur. C’est ce dans son hiver, mais il se peut bien quemessages accessibles et simples, authen- qu’il s’agit d’élaborer. nous approchions déjà de son automne »,tiques et responsabilisants. Dénoncer le Qu’est-ce qu’être de gauche ? A mes yeux, redoute le politologue Pascal Perrineau.« populisme » (mot étrange) ou vitupérer c’est se ressourcer dans une multiple racine : Est-il encore possible et temps de la revi-le proto-fascisme du FN ne sert nullement à libertaire (épanouir l’individu), socialiste taliser ? Comment peut-on faire vivre lalui barrer la route ; ce qu’il faut, c’est chan- (amélioration de la société), communiste démocratie indépendamment des scrutinsger de route et montrer celle d’une autre et (communauté et fraternité), et désormais électoraux qui concentrent l’essentiel denouvelle voie. écologique afin de nouer une relation nou- l’expression démocratique des Français ? velle à la nature. Etre de gauche c’est, éga- La régénération politique ne peut s’effec-Hygiénisme, aseptisation, conformisme, lement, rechercher l’épanouissement de tuer que par des processus infra politiquesuniformisation, politiquement correct, l’individu, et être conscient que l’on n’est et supra politiques. Ces processus naissentcontraction des libertés : la France est qu’une infime parcelle d’un gigantesque de façons multiples dans la société civile.frappée d’une hypermoralisation exa- continuum qui a pour nom humanité. Partout, des formations convivialistes assai-cerbée par la classe politique et dont se L’humanité est une aventure, et « être de nissant et « réhumanisant » les rapportsrepaît la rhétorique du Front National. gauche » invite à prendre part à cette aven- humains, irriguent le territoire, revivifientN’est-ce pas d’avoir délibérément tu, ture inouïe avec humilité, considération, responsabilités individuelles et démocratieesquivé ou malhonnêtement instrumen- bienveillance, exigence, créativité, altruisme collective : l’économie sociale et solidairetalisé des réalités sociales, économiques, et justice. Etre de gauche, c’est aussi avoir représente désormais près de 10 % deethniques, religieuses, éducationnelles, le sens de l’humiliation et l’horreur de la l’économie, les structures coopératives sequi a vidé la Gauche de sa substantifique cruauté, ce qui permet la compréhension développent et font la preuve de leur effi-moelle et l’a disqualifiée ? Etre « de » ou de toutes les formes de misère, y compris cacité – en Amérique latine par exemple,« d’une » gauche » en 2016 a-t-il encore sociales et morales. Etre de gauche com- de formidables initiatives permettent deune signification ? porte toujours la capacité d’éprouver toute lutter contre la délinquance infantile et l’il-La « gauche » n’est bien sûr pas une entité humiliation comme une horreur. lettrisme – ; la philosophie agro-écologiqueunique, comme le démontrent les rudes de Pierre Rabhi réhabilite la bonne, la saine,combats que « les » gauches se sont menés Le système politique français constitue la juste nourriture en opposition à l’exploi-dans l’histoire du XXe siècle. Du Parti com- l’une des causes majeures de la popu- tation hyper industrialisée, hypermondiali-muniste au Parti socialiste, des mouvements larité du Front National, qui tire profit de sée et destructrice autant des sols, des goûts« de gauche » ont progressivement dépéri, ce que le sociologue Michel Wieviorka que de la santé. Une nouvelle conscience« Marine Le Pen serait-elle une présidente « simplement » autoritaire © Thierry Dudoit / Express - Réa « Le succès du FN cristalliseou fascisante ? Ce qu’elle est réellement, nous ne le saurons que la popularité grandissante d’une deuxièmesi elle est élue. Mais il sera peut-être trop tard. » France xénophobe qui a toujours existé. Et cette18 Acteurs de l’économie - La Tribune France de la peur et du repli est parvenue à contaminer ceux-là mêmes qui il y a encore peu portaient un intérêt empathique au monde. »
INVENTING HEALTHBEYOND BORDERSthéra • Photo: N. Bouchut PIONEERING DIAGNOSTICS Les infections causées par des bactéries résistantes aux antibiotiques pourraient entraîner près de 10 millions de décès supplémentaires par an d'ici 2050* La résistance aux antibiotiques, un enjeu majeur de santé publique, est au cœur de nos préoccupations. Pionnier du diagnostic, nous sommes fortement engagés dans la lutte contre cette menace. bioMérieux développe des solutions de diagnostic qui permettent d’identifier la bactérie à l’origine d’une infection, de choisir le traitement antibiotique le plus adapté et d’éviter un traitement inutile, afin de contribuer à l’amélioration de la prise en charge des patients, partout dans le monde. * Source : rapport de Jim O’Neill sur la résistance aux antibiotiques - janvier 2016 www.biomerieux.com Acteurs de l’économie - La Tribune 19 N°1F2a9ireFpérvorigerre2ss0e1r6la santé au-delà des frontières Pionnier du diagnostic
Dialoguer EDGAR MORINde consommateur a surgi, elle combat en existentiels, d’imaginer et d’inventer mouvement Europe-Ecologie- Les verts.faveur des circuits courts et directs, de la comme jamais, peuvent-ils constituer Il a mis davantage en lumière l’inutilitéproduction de proximité. Bref, au sein de L’opportunité de bâtir un projet commun, politique des formations écologistes, et ala société civile, il existe un foisonnement de partager confiance et espérance, de se démontré que la problématique écologiqued’actions, très dispersées, qui participent à projeter enfin dans l’avenir et de réaliser et la préoccupation environnementaleréinventer la démocratie et sur lesquelles il une œuvre universelle ? constituent des enjeux désormais transpa-faut s’appuyer. Prenons pour seul exemple Cette COP21 restera un événement impor- rtisans. La fin de l’o re politicienne écolo-l’agriculture écologique et raisonnée ; un tant et significatif. Certes, elle manque gique est-elle venue ?jour, ce qu’elle aura réussi à enraciner dans d’une dimension contraignante, mais le A la différence de leurs homologues alle-les consciences des consommateurs sera si texte a été unanimement contresigné par mands, les écologistes politiques françaisfort que le ministre de l’Agriculture pourra des Etats aux intérêts divergents voire n’ont participé à aucune réalisation muni-s’émanciper des chaînes qui le ligotent au antagoniques. C’est donc un progrès réel, cipale concrète, ils se sont sans cesse divisélobby des multinationales et des grandes surtout qu’il fait suite aux désillusions des sur des querelles de personne, ils ne se sontsurfaces, et en faire une priorité de son précédents raouts et en premier lieu celui de pas nourri de la pensée écologique que leurprogramme. 2009 à Copenhague. Un regret, toutefois : apportaient René Dumont, Serge Moscovici, cet événement était trop limité à la problé- André Gorz, ils ont sottement écarté NicolasIl est d’ailleurs faux de considérer que la matique du changement climatique. Bien Hulot – avec lequel Edgar Morin a publié enjeunesse, éduquée ou non, est dépolitisée. sûr, celui-ci constitue l’un des facteurs clés 2007, chez Tallandier, L’an 1 de l’ère écolo-Comme en témoignent le succès du service du « grand » problème écologique, mais il gique, NDLR. Je conçois qu’un mouvementcivique, ses aventures entrepreneuriales, ne peut pas être disjoint des « chantiers » écologique rénové puisse exercer un rôleses engagements dans le bénévolat, sa de l’énergie, de la biodiversité, de la défo- éclairant et stimulant, mais n’est-ce pascontribution à la dynamique associative, restation, de l’agriculture industrielle, de surtout hors parti que se sont développéeselle est en quête de fraternité, elle cherche l’assèchement des terres nourricières, des les vraies forces écologiques, la pratiqueà concrétiser autrement sa volonté poli- famines, des ravages sociaux, etc. Tous ces agro-écologique, le mouvement Colibri detique, c’est-à-dire à être différemment sujets forment un « tout », indivisible. Pierre Rabbi, l’action politico-culturelleactrice de la société, productrice de lien, de Philippe Desbrosses, les éco-quartiers,génératrice de sens et d’utilité pour elle- Ce que vous « savez » de la nature humaine les Amap, ou encore les élans spontanésmême et pour les autres. Cette jeunesse et de sa capacité de résister ou de se rési- d’une jeunesse qui s’est portée sur le terrainest prête à ébranler le système, aujourd’hui gner, d’être asservie ou de désobéir, vous contre le barrage de Sivens ou l’aéroport defossilisé, de la démocratie représentative… donne-t-il l’espoir qu’elle réussira à impo- Notre-Dame-des-Landes ?L’adolescence est le moment ou s’élève l’aspi- ser l’aggiornamento environnemental,ration à vivre en s’épanouissant personnelle- comportemental, spirituel, au bulldozer Finalement, l’enjeu de la planète et lament au sein d’une communauté. Mais cette marchand et consumériste ? nécessité de bouleverser nos raisonne-aspiration peut être trompée. Elle a été trom- C’est lorsqu’on est au bord de l’abîme que ments peuvent nous exhorter à réconci-pée par le maoïsme, elle peut l’être par le l’on décèle les réflexes salvateurs. Nous n’en lier deux formes de progrès aujourd’huiFN. Les forces d’espoir sont là. Bien sûr, tout sommes pas encore là et peut-être ne les trop souvent antithétiques : le progrèscela est vulnérable et ces raisons d’espérer trouvera-t-on pas, mais nous pouvons espé- technologique – qui n’a jamais atteint depeuvent être détruites par un regel brutal. Il rer. D’abord parce qu’il existe une marge tels niveaux – et le progrès humain – loinn’empêche, elles existent bel et bien. d’incertitude sur les prédictions, par nature d’épouser une courbe comparable si l’on en hypothétiques, qui annoncent l’état de la juge « l’état » de l’humanité…« Etre sujet », c’est-à-dire s’affranchir, planète d’ici un siècle. Le péril sera-t-il, Le préambule à cette réconciliation est las’autonomiser, se réaliser, est-il une réa- dans les faits, plus massif ou plus suppor- régulation du progrès scientifique et tech-lité ou une chimère ? A quelles conditions table, interviendra-t-il plus vite ou plus len- nologique. Du nucléaire aux manipulationsla démocratie peut-elle permettre « d’être tement ? Nous en sommes à faire des paris. génétiques, l’absence de régulation ouvresujet » et de « faire commun » ? Ce qui peut laisser le temps d’accomplir la la porte aux plus grands périls. Y comprisNous sommes là au cœur du… sujet. seule transformation véritable et durable sociaux et humains. Comment faire œuvrerRéforme personnelle et réforme sociétale – qui soit : celle des mentalités. Combattre les de concert progrès technologique et progrèsc’est-à-dire politique, sociale, économique sources d’énergie sale est bien, mais ce n’est humain tant que les dynamiques de l’un et– s’entendent de concert, elles doivent être pas suffisant. Seule une prise de conscience de l’autre seront à ce point dissociées ? Enmenées de front et se nourrissent récipro- fondamentale sur ce nous sommes et vou- effet, la science, la technique, l’économiequement. Les signaux sont faibles et dissé- lons devenir peut permettre de changer de sont « dopées » par une croissance aussiminés, mais ils existent, et c’est sur eux que civilisation. Les textes du Pape François en impressionnante qu’incontrôlée, alors quel’espoir doit être fondé. sont une aussi inattendue que lumineuse l’éthique, la morale, l’humanité, sont dans illustration. Et d’ailleurs, c’est aussi parce un état de barbarie lui-même croissant. EtUne lumière est apparue dans cette que nous manquons de spiritualité, d’in- le pire désastre est à venir : les prodigieusessombre année 2015 : la COP21 a accou- tériorité, de méditation, de réflexion et de capacités de la science annoncent la prolon-ché d’un texte unanimement salué et plein pensée que nous échouons à révolutionner gation de la vie humaine et la robotisationd’espérances. Notre rapport à la nature et nos consciences. généralisée, programmant là à la fois uneà « toute » la matière vivante, la nécessité arriération des rapports humains et un étatde sauvegarder la planète et pour cela Le succès de la COP21 a été concomi- de barbarie inédit. Voilà le suprême défide réviser en profondeur nos paradigmes tant au nouvel e ondrement électoral du pour l’humanité.20 Acteurs de l’économie - La Tribune N°129 Février 2016
RUBRIQUE DE NOM DialoguerN°129 Février 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 21
Dialoguer RUBRIQUE DE NOM CELEBRATING SCHOOL OF MANAGEMENT th SINCE 1956* Aller au-delà. MBA, Masters, S’ouvrir, s’enrichir, Licences Pro, s’épanouir ... Diplômes d’Université et Formations courtes Julie - Master 2 Contrôle de Gestion - Audit Formation Continue à temps partiel pour les professionnels think large* Management • innovation • gestion de projets iae.univ-lyon3.fr • ressources humaines N°129 Février 2016 • direction commerciale • communication • contrôle de gestion • coaching en entreprise • vente • gestion de patrimoine 22 Acteurs de l’économie - La Tribune
ÉDITORIAL DialoguerOL’ÉDIT RIAL,DENISLAFAY94 ANS, LE BEL ÂGERéinventer notre civilisation. Ni plus ni moins. Qui peut-on encore, a pour racine une même acceptation, un même appri- être pour « oser » exhorter l’humanité à accomplir une pers- voisement, une même culture de la complexité. En e et, sait-on pective aussi belle que chimérique, aussi essentielle qu’uto- la somme des confrontations intérieures auxquelles Jacques pique ? Edgar Morin, qui a été de toutes les résistances contre Truphémus se soumet pour composer une toile, composer lestoutes les formes de barbarie : résistance armée dès 1942 formes, composer les couleurs finales qui font œuvre ? C’est danscontre l’envahisseur nazi – né Nahoum, il y a adopté son pseudo- la fouille de cette complexité, aussi inconfortable qu’extatique,nyme Morin –, puis résistance intellectuelle face à chaque forme que le peintre a patiemment exploré pendant soixante-dix ansd’agression contre l’humanité, chaque conspiration génocidaire, ce qui fait non seulement émotion mais aussi leçon auprès deschaque contestation des libertés et des égalités. Une résistance amateurs de peinture. Leçon sur la liberté et sur l’humilité, sur lespour progresser, pas à pas, vers le réenchantement des fondamen- vertus du temps long et de l’héritage, sur la beauté et la création.taux de toute société humaine, de toute civilisation éclairée : frater- LEt sur l’accomplissement de soi dans l’accomplissement de faire.nité, solidarité, espérance, imagination, eurs œuvres sont aussi silen-hybridations de toutes sortes. Ces même cieuses que le monde est bruyant,fondamentaux dont le sociologue et phi- elles sont aussi atemporelles quelosophe, tout entier tourné vers demain, le monde est immédiateté, ellesconstate sobrement le dépérissement font autant histoire que le mondeet en circonscrit l’origine protéiformenon seulement à la dictature du calcul, s’a ranchit de la sienne. Elles honorentdu chi re et de la quantité, aux tyran- autant le droit de vaciller et les trésorsnies du profit, de la spéculation et de la de la fragilité que le monde sanctifie laconcurrence, à la cupidité et au consu- performance et la perfection, elles sontmérisme, mais aussi à un mal davantage autant sincérité et honnêteté, liberté etorganique, sournois, « structurel » : le vérité que le monde peut être superfi-rejet de la complexité. Oui, l’auteur de La cialité et compromissions, vassalité etMéthode fulmine contre le dogme mani- futilité. Elles sont autant contestation etchéen, ultradominant dans l’ensemble dénonciation, singularité et insubordi-des process – économie, éducation, nation que le monde est uniformisationmanagement –, coupable d’obstruer et discipline, normatisation et pleutrerie,la seule voie susceptible de décloison- elles invitent à progresser subtilement,ner les consciences, de confronter les courageusement, expressément au fondidéaux, de conjurer les peurs, de mailler de soi autant que l’inanité du mondeles imaginations, de libérer les initiatives, Jacques Truphémus, 2015 (détail) matérialiste, technologique et binairede fertiliser la créativité, d’épanouir dissuade de s’y aventurer. L’introspec-chaque sujet. Et donc d’irriguer un sillon essentiel : l’espérance et la tion et le dialogue intérieur, parfois douloureux, qu’elles suscitentRperspective d’avenir, ensemencées dans la culture du sens. déterminent la faculté empathique de s’ouvrir au monde et d’entre- ésistant, lui aussi l’est depuis toujours. À l’adolescence pour prendre vers et avec « l’autre ». repousser tout appel ou supplication à renoncer à sa voca- Bref, parce qu’elles sont aussi utiles qu’une partie de ce qui fait civi- tion de peintre, dans les camps de travail allemands pour lisation est inutile, l’œuvre de Jacques Truphémus et celle d’Edgar vaincre la maladie et simplement rester en vie, puis à chaque Morin font œuvre d’absolue nécessité. Dans la lumière des couleurs de l’un et des mots de l’autre perce une extraordinaire foi en l’Homme.instant de sa « carrière » picturale pour exercer avec intégrité, Regarder l’œuvre de Truphémus et lire celle de Morin, les « recevoir »pour protéger de toutes les scories possibles – vanité, narcissisme, et ainsi accepter chaque bonheur mais aussi chaque questionnementcomplaisance, compromis, hâte, mercantilisme – le « mystère », heu- qu’elles éveillent, nourrit la « capacité » de fraternité, de sagesse,reusement impénétrable, qui lie sa sagacité, son âme, son cœur, et sa d’altruisme. Et donc de se réaliser pour faire ensemble.technique à la main qui les traduit sur la toile. Oui, Jacques Truphé- Ah, au fait, tous deux ne partagent pas que cela. Ils sont aussi dans leurmus – auquel est consacré un remarquable documentaire, réalisé quatre-vingt-quatorzième année. La modernité, l’audace, l’espérancepar Florence Bonnier et di usé depuis fin janvier – est, tout comme emblématiques de leurs œuvres, ne sont qu’une leçon de plus.Edgar Morin, un résistant. Et tous deux, parce qu’ils sont portés par lalégitimité d’être des résistants, produisent une œuvre de résistance.Résistance artistique pour l’un, intellectuelle pour l’autre, pour« dire » avec la couleur ou les mots, dans les silences ou la colère,la nécessité de réinventer la civilisation. Et résistance qui, làN°129 Février 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 23
SOMMAIRE Dialoguer EntreprendreN°129 Entrée en matière, 3 Instances patronales, 34 Marie Rose Moro 4 le choc des générations 42 Edgar Morin, 23 Entreprendre, 47 “ Le temps est venu de changer 26 la jeunesse contre-attaque 48 de civilisation ” 28 Tribune Michel Fize 54 Éditorial 30 Entrepreneuriat 60 L’actualité en images 32 la saga cité 67 L’initiative de Pierre-Alain Gagne 33 Les vies parallèles Lu sur acteursdeleconomie.com de David Kimelfeld Chroniques Delta Drone Tribune Rita Hermon-Belot Le crash Tribune Céline LazorthesActeurs de l’économie est publié par RH Editions (capital 172 695 euros). - 51 avenue Jean Jaurès, - 69007 Lyon - Tél. 04 72 18 09 18 - Fax 04 72 18 09 21 - [email protected] - acteursdeleconomie.compremièrelettreprénom.nom @acteursdeleconomie.com - Directeur de la publication et de la rédaction : Denis Lafay - Directeur général délégué : Valérie Asti - Rédacteur en chef adjoint : Romain Charbonnier - Rédacteur en chef web :Jean-Baptiste Labeur - Journalistes : Didier Bert, Anne Bideault, Stéphanie Borg, Geneviève Colonna d’Istria, Gérard Corneloup, Maïté Darnault et Mathieu Martinière (We Report), Marie-Annick Depagneux,Dominique-Myriam Dornier, Maxime Hanssen, Karen Latour, Marie Lyan, Samuel Maïon-Fontana, Yann Petiteaux, Françoise Sigot - Secrétariat de rédaction : Nicolas Rousseau - Photographes : Laurent Cerino,Hamilton - Dessinateurs : Kanellos Cob, Vic - Maquette : Marie-Anne Joly - Conférences-Débats : Nicolas Rousseau - Responsable webmarketing & communication : Emilie Degueret-Cornern, Eric Fossoul - Comptabilité :Sonia Girard - Abonnements - Publicité : Anaïs Jeantet, Estelle Lemaitre, Razala Oulka - Impression : Courand, 82 route de Crémieu, 38230 Tignieu-Jameyzieu - N° de CPPAP : 0320K89381 ISSN 1620-6096 - Dépôt légal :1er trimestre 2016 - 5 n°/an PROXIMITÉ VOUS NOUS AVEZ NOUS NOUS ENGAGEONS MOBILITÉ TRANSPARENCE ÉLU N°1 DE LA À CULTIVER CETTE SIMPLICITÉ SATISFACTION CLIENT, DIFFÉRENCE. RÉACTIVITÉ N2°11/1209/201F5év1r0i:e35r:323016 www.banque-rhone-alpes.fr acteurs eco 200x45.indd 124 Acteurs de l’économie - La Tribune
Comprendre RespirerInventerLe rêve de 69 Isabelle Guillaume, 87 Coup de crayon sur… 129Philippe Ciais chef de cœur La 12e édition 130 Hospices civils de Lyon 88 du Quais du polar 134Entreprise, 70 la paix sociale au prix 94 Les vents baroques sou lent 138retour vers le futur de l’immobilier 102 sur la chapelle de la Trinité Enseignement supérieur 110 Robert Michel et Guillaume Gilles,Auvergne L’eldorado suisse 118 les compagnons du cornasl’empreinte digitale 76 Territoires 119 TribuneChroniques 84 Images de marques 121 Jean-Pierre CorbeauTribune Michel Lévy-Provençal 85 Réseaux d’entrepreneurs Faire entendre Savoies Conférence Chroniques Tribune Jean-François Fiorinarisques & assurances due diligence - appel d’offres d’assurancesmanagement de la continuité de la chaine d’approvisionnementsmanagement de la continuité d’activitésKonseï78 rue de l’Ancienne Caserne 69250 Montanay - 04 78 32 33 28 [email protected] rue de la Butte 25000 Besançon - 03 81 51 02 01sarl au capital de 100 000 € - 510 347 073 RCS LYON - 12 065 484 ORiAS - 82 69 13185 69 DiRECCTE - NAF 7022Z - www.konsei.frN°129 Février 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 25
Dialoguer L’ACTUALITÉ EN IMAGES 31© Laurent Cerino / Acteurs de l’économie © Matthieu Cellard1 L’Olympique Lyonnais a inauguré son grand stade de 59 126 places, le 8 janvier avec une rencontre face à Troyes. Jean-Michel Aulas, qui rêve de grand club européen, a investi 405 millions dans ce projet.2 Musée des Tissus et des Arts décoratifs cherche repreneur. Depuis que la CCI de Lyon, son propriétaire, a annoncé qu’elle ne souhaitait plus le financer, faute de moyens. En 2015, elle lui avait consacré 1,7 million d’euros (sur son budget annuel total de 2,5). Sans solution viable, le musée pourrait fermer en mars.3 Le Guide Michelin dévoile ses nouveaux restaurants étoilés. L’Auvergne Rhône-Alpes est bien représentée avec neuf établissements primés. Parmi eux, le 1920 à Megève dont le chef Julien Gatillon (photo) se voit décerner une deuxième étoile. Sont également promus le Château de Bagnols (69), Le Prairial (69), Le P’tit Polype (38) ou encore Le Clocher des Pères (73). 226 Acteurs de l’économie - La Tribune© Sylvain Pretto N°129 Février 2016
4 L’ACTUALITÉ EN IMAGES Dialoguer 6 © Laurent Cerino / Acteurs de l’économie © Stéphane Audras - Réa 7 5 © DR Photothèque Limagrain - Denis Pourcher © Karen Latour4 Élu le 4 janvier à la présidence de la région Auvergne Rhône-Alpes, Laurent 8© Laurent Cerino / Acteurs de l’économie Wauquiez a souhaité marquer de son empreinte en faisant voter, lors de la première 9 assemblée plénière, une série de mesures visant à économiser 28 millions d’euros © Artechnique - Daniel Michon d’ici la fin de mandature. Acteurs de l’économie - La Tribune 275 Jean-Christophe Juilliard a été nommé directeur général du groupe auvergnat Limagrin. Le semencier réalise un chi re d’a aires de 2,4 milliards d’euros et emploie 9 600 salariés.6 Les 16 écoles d’ingénieurs de la Communauté d’universités et d’établissements (Comue) se sont réunies pour former une alliance dans le but de donner davantage de visibilité au premier pôle de formation d’ingénieurs de France.7 Depuis le 9 février, les 700 collaborateurs de la Caisse d’épargne Rhône-Alpes ont commencé d’emménager dans les nouveaux locaux de la banque entre les 22 et 35e étages de la tour Incity.8 L’entreprise lyonnaise EyeTechCare, dirigée par Dietrich Wolf, a levé 25 millions d’euros auprès d’un fonds d’investissement chinois. Avec cette manne, le nouvel entrant devient l’actionnaire de référence de la jeune pousse spécialisée dans les biotechs.9 Souhaitant réaliser une économie de 170 millions d’euros, la direction du groupe STMicroelectronics a annoncé l’arrêt de la fermeture de sa division numérique et la suppression de 1 400 emplois dans le monde, dont 430 en France, principalement sur les sites de Grenoble et du Mans.N°129 Février 2016
Dialoguer L’INITIATIVE « Ne pas faire de l’entrepreneuriat pour de l’entrepreneuriat, mais plutôt le PIERRE-ALAIN GAGNE, concevoir avec sens et utilité sociale. » L’ART DE JOUER Ces valeurs, Pierre-Alain Gagne les porte au quotidien auprès de ses collabora- teurs, clients et ses deux associés. Lancé dans le grand bain de la création d’en- treprise en 2013, il a co-fondé Dowino, un studio de serious game qui innove et pense les jeux vidéo sérieux de demain, sous la forme d’une société coopérative et participative. Une première dans cette grande famille plus habituée à l’entre- preneuriat capitalistique que social. Mais pas surprenant pour le jeune patron qui se définit comme un dirigeant « prudent, voulant prendre des risques mesurés». « Ce n’est pas plus compliqué de créer une Scop qu’une autre forme de société, sauf qu’avec ce modèle, cela nous rend plus collaboratifs et plus sélectifs dans des projets qui nous ressemblent. » Si bien que Dowino en a déjà refusé. « C’est un état d’esprit. Un engagement bienveil- lant de chaque instant. » La manière de produire, en revanche, reste la même que n’importe quel studio. Sauf qu’à chaque projet, le concept est mûrement réfléchi afin d’apporter une réponse innovante voire inédite. « Nous aimons la di culté, et prenons le temps de bien réfléchir à celui-ci » Tel que A Blind Legend, un jeu sur smartphone sans image utilisant seulement la technique du son 3D, dédié aux personnes malvoyantes. Le modèle de Dowino fonctionne puisque l’entreprise a toujours connu la rentabi- lité, et son chi re d’a aires augmente à chaque exercice un peu plus, toujours « prudemment », en « consolidant l’exis- tant ». « Nous programmons une crois- sance durable. Une façon de garder les pieds sur terre. » Trois ans après son lancement, Pierre-Alain Gagne a fait de l’entreprise, un lieu d’épanouissement autant professionnel que personnel si bien qu’il n’imagine pas un seul instant le retour au salariat. « Cela implique une motivation et un engagement dès lors beaucoup plus intense. Mais c’est ce qui motive tous les jours. » RC Retrouvez Pierre-Alain Gagne, dans l’émission Start’Up Co, proposée par TLM –Télé Lyon Métropole et Acteurs de l’économie-La Tribune, chaque 2e et 4e vendredis du mois.© Laurent Cerino / Acteurs de l’économie 28 Acteurs de l’économie - La Tribune N°129 Février 2016
Banque Privée - RCS Paris 542 016 381. VOUS AVEZ SU DONNER DES PERSPECTIVES À VOTRE ENTREPRISE BANQUE PRIVÉE DU DIRIGEANT D’ENTREPRISE
Dialoguer LU SUR ACTEURSDELECONOMIE.COM « Les dernières élections ont souligné la colère d’une partie de l’électorat.« CINQ ANS APRÈS, L’ESPOIR SUSCITÉ PAR LA RÉVOLUTION Il convient de la prendre en compteTUNISIENNE A LAISSÉ PLACE À LA DÉSILLUSION, si nous ne voulons pas que la graveNOTAMMENT AUPRÈS DES JEUNES À LA RECHERCHE crise de l’emploi entraîne une révolteD’EMPLOI. AUTANT DIRE QUE TOUT, OU PRESQUE, que l’urne ne pourra pas contenir »RESTE À FAIRE EN TUNISIE SUR CE PLAN » Le plan emploi ou une chance pour faire sociétéCinq ans après sa révolution, la Tunisie doit devenir Bernard Devert, président-fondateur d’Habitat etun hub économique Humanisme, 19 janvierAdel Ben Lagha, consul général de Tunisie à Lyon, 27 janvier« Les politiques nationales, « LES ENTREPRENEURS SOCIAUX CONTRIBUENT À BÂTIRrégionales et locales UNE SOCIÉTÉ OÙ L’ACTION SOCIALE ET L’ENTREPRISEs’adressent plus à des publics NE SONT PAS OPPOSÉES, MAIS COMPLÉMENTAIRES »cultivés, riches, et vieillissants,qu’à la jeunesse, aux nouveaux Entrepreneuriat social : pour un levier régional plus dynamiqueentrants, à l’entrepreneuriat Léna Geitner, cofondatrice de l’incubateur Ronalpia etculturel et à la modernité » membre du Mouvement des entrepreneurs sociaux, 15 janvierGageons que la Région anticipe LU SUR « La pression sociale est là,les mutations de la culture ACTEURSDELECONOMIE.COM appelant à une gestion fineCyrille Bonin, de nos richesses naturellesdirecteur du Transbordeur, et renouvelables »14 janvier La Région, soumise aux défis « ÊTRE MODERNE, environnementaux C’ÉTAIT ASSUMER Éric Féraille, président de la Fédération PLEINEMENT Rhône-Alpes de protection de la nature LE RAPPORT ENTRE (Frapna), 13 janvier BONHEUR ET TRAVAIL, EN LE CONSIDÉRANT « LE NUMÉRIQUE N’EST PAS UNE TANT BIEN QUE MAL FILIÈRE, MAIS UN ÉCOSYSTÈME » COMME STRUCTURANT »Bonheur et travail, Numérique :une ambiguïté moderne la Région peut faire beaucoup (plus)Thierry Ménissier, Jean-Pierre Verjus, ancien directeur de l’Inriaprofesseur de philosophie, et fondateur de Digital Grenoble, 11 janvierUniversité Grenoble Alpes, 14 janvier« Les arts décoratifs seraient-ils le parent pauvre du patrimoine pour qu’on ose les délaisseret les traiter ainsi ? »Contre la fermeture du musée des Tissus et des Arts décoratifs de Lyon. Oui, mais...Stéphane Laurent, professeur associé et directeur du programme Art et industrie à l’université Panthéon-Sorbonne, 8 janvier« Pour une PME, participer à un cluster « LES GRANDS SUCCÈS SONT D’ABORD FAITest synonyme d’ouverture et de visibilité DE COURAGE ET D’INITIATIVE PERSONNELLEsur les marchés, sur les technologies ET JAMAIS DE DÉPENDANCE PASSIVE »et vis-à-vis de nouveaux partenaires » La Région doit favoriser l’international et l’éducationLe collaboratif, une nécessité grandissante Jean-Michel Bérard, PDG d’Esker etpour les entreprises président du Clust’R Numérique, 12 janvierMichel Berthelier, professeur de stratégieet organisation à EMLYON, 6 janvier30 Acteurs de l’économie - La Tribune N°129 Février 2016
RUBRIQUE DE NOM Dialoguer ENSEMBLE NOUS SAURONS DONNER DES PERSPECTIVES À VOTRE PATRIMOINEBanque Privée - RCS Paris 542 016 381. N°129 Février 2016 BANQUE PRIVÉE DU DIRIGEANT D’ENTREPRISE Acteurs de l’économie - La Tribune 31
Dialoguer CHRONIQUESLe leader peut-il contrôlerL’EXÉCUTION DE SON PLAN STRATÉGIQUE ?Par Gilles Sabart, pour un directeur, le plan se cascade dans les services les intégrer au sein de l’entreprise dans les domainesDocteur en droit public, en objectifs par la suite mesurés. Mais, la manière dont sociaux, environnementaux pour un meilleur impactdirecteur régional sud-est Alixio il est exécuté entre services est peu réfléchie ; le plan économique. C’est la RSE ou le développement s’exécute d’abord dans les services, non entre ser- durable. En tant que sujet transversal, de coopéra-Tous les directeurs arrivent avec un plan stra- vices. Que se passe-t-il si un sujet, une « externalité », tion entre services, d’innovation, ce sujet de gouver- tégique brillant qui va développer, voire sau- vient perturber son fonctionnement interne ? Ceci pose nance impose la coopération entre services marketing, ver l’entreprise. Mais dès la première brise, la question de la gouvernance du plan, i.e. la capacité RH, financiers, QSE, etc. Les externalités sont mieux un leader chasse l’autre, et avec lui vient un du leader à contrôler la situation, à exécuter un plan prises en compte, appréhendées par les services, leur nouveau plan. Salariés, clients, actionnaires stratégique dans les interstices des services. Définir imposant coopération et réactivité, i.e. une meilleurevoient des plans se succéder. Mais se pose-t-on la la stratégie, puis cascader les objectifs selon les ser- gouvernance.question des raisons de l’échec du plan stratégique ? vices et les mesurer, est le premier acte du leader. Le Gouvernance et externalités constituent donc des élé-Serait-ce le mauvais contrôle du plan, l’exécution mal second est de s’assurer du bon fonctionnement des et ments de l’exécution du plan stratégique. Le leadermaîtrisée de ces éléments du plan ? Le plus souvent, entre services. C’est à l’alignement hiérarchique est celui qui prend en compte les éléments essentiels de l’entreprise que le leader doit s’attaquer et de l’imprévu, celui qui réajuste l’alignement de l’orga- doit penser son pouvoir, hiérarchique ou d’in- nisation à la stratégie de l’entreprise et qui permet la fluence, entre services. L’exécution de la stratégie meilleure exécution du plan stratégique. Ni l’alignement dépend de cette transversalité. C’est d’autant plus vrai en cascading ni la communication ne sont suffisants, en cas de perturbation extérieure. Confrontée à des mais une stratégie de l’amont qui consiste à instiller une externalités ignorées par l’entreprise, la gouvernance culture d’entreprise, un écosystème de coopération est alors mise sous tension. Cela paraît normal, car il entre services, paraît une solution. Et cette coopé- s’agit d’éléments non-mesurables et extérieurs à son ration hors cadre peut s’appréhender via des sujets mode de gestion. non-usuels (RSE ou innovation voire la qualité) ou par la gestion de situations imprévues (crise). C’est cela Coopération que doit tester le leader pour savoir si les conditions Cependant, des solutions existent pour mieux les de l’exécution du plan stratégique sont remplies afin de appréhender, voire en profiter. Une solution serait de rendre l’entreprise pérenne.RETRAITE COMPLÉMENTAIRE :vers un régime unique modulaireL’intensité des réformes sociales liées à la géné- retraite complémentaire une modularité inédite qui renvoie dont l’effet se traduit par la diminution inexorable du © DR, Valérie Couteron pour Agrica ralisation de la complémentaire santé et au les débats de l’âge de la retraite au pur exercice rhéto- revenu de remplacement que constituent les retraites contrat responsable ont estompé la signature, rique. Ainsi, à compter du 1er janvier 2019, l’ensemble et renvoie à la décision individuelle la constitution d’un le 30 octobre 2015, d’un accord réformant des droits des actifs et des retraités sera géré par un complément qui compense cette baisse. Une motivation en profondeur notre système de retraite com- régime unique. Les paramètres harmonisés en termes de supplémentaire à poursuivre les réformes en faveur d’un plémentaire, fragilisé durablement dans son équilibre cotisation en sont déjà arrêtés, tout comme les budgets étage de retraite supplémentaire collective obligatoire dont financier et son fonctionnement. Confrontée à l’évolu- de gestion dont on notera l’effort de réduction de 300 mil- les performances avérées constitueraient, sans doute, tion de la démographie française, dont la part des plus lions d’euros à l’échéance 2022. Si le bénéfice des pres- un gage de pérennité des socles obligatoires actuels. de 60 ans augmente régulièrement concomitamment à tations complémentaires reste subordonné à l’obtention leur espérance de vie, autant qu’à la diminution de ses du taux plein au régime de base, leur montant varie selon Par Éric Gérard, recettes, largement amputées par un chômage récur- l’âge de cessation d’activité librement décidé par chaque Directeur des assurances rent et une croissance atone, la dégradation financière individu. Coefficient de solidarité réduisant les droits de de personnes Agrica de nos régimes de retraite complémentaire (Arrco-Agirc) 10 % pendant trois ans, majoration de 10 % à 30 % pour menaçait de leur possible disparition à court terme. Une report de deux à quatre ans de l’âge de départ devraient situation peu enviable altérée plus encore par des coûts permettre à chacun de se déterminer en fonction de ses de gestion difficiles à maîtriser compte tenu de la pluralité ressources, de sa situation ou de ses possibilités et de et de la diversité des acteurs (caisses de retraite) et de réaliser à horizon 2020 les quelque six milliards d’euros cette articulation historique entre cadres et non cadres d’économies nécessaires à la survie d’un des principaux qui laisse subsister deux mécanismes avec leurs propres acquis sociaux du XXe siècle. règles et contraintes. Une fois l’exercice salué pour son courage et son réalisme, reste l’information, voire l’éducation, Unifié d’une population active, bien ignorante et rési- Si ce texte est remarquable, c’est qu’il fixe l’échéance d’un gnée face à la problématique des retraites. La dispositif « unifié » et introduit dans le fonctionnement de la modularité répond avant tout à un objectif d’économie32 Acteurs de l’économie - La Tribune N°129 Février 2016
TRIBUNE DialoguerIL FAUT La diversité dans toutes ses formes constitue certainement une chanceARRIVER pour une entreprise qui a tout à gagner à se tenir au plus près de laÀ PENSER LA société dans laquelle elle vit et qui doit également assurer les meil-DIVERSITÉ leures conditions de travail à ses employés.DES FORMES Pour ce qui concerne le domaine du religieux, il semble qu’il reste quelquesQUE PEUVENT efforts à faire en France dans bien des registres, mais avant tout en ce quiREVÊTIR AUSSI concerne les cadres de pensée, la manière d’appréhender les choses. De façonBIEN LE certainement non délibérée, le religieux en effet y est souvent vu à traversRAPPORT À LA un prisme qui garde beaucoup de traits du catholicisme : une foi rapportéeFOI QUE LES à un dogme, des institutions puissantes qui régulent les comportements etPRATIQUES QUI surtout un magistère auquel se référer. Alors qu’au plan culturel, l’héritageEN RÉSULTENT catholique, qu’il ne s’agit certainement pas de renier, notamment dans sa dimension esthétique, est si présent dans notre cadre de vie. Des changements majeurs s’imposent cependant aujourd’hui et ceci à une échelle globalisée. C’est d’abord ce que les sociologues appellent la désins- titutionnalisation du religieux, le recul des grandes institutions au profit de parcours individuels reposant sur des choix personnels et comportant une affirmation identitaire de plus en plus forte et exigeante, avec de notables différences d’une génération à l’autre. L’autre grand changement tenant, en France et dans la plupart des démocraties occidentales, à la diversité tota- lement inédite d’un paysage religieux au sein duquel se côtoient et coha- bitent tant de confessions (encore un terme directement issu de la culture chrétienne). Il faut donc arriver à penser la diversité des formes que peuvent revêtir aussi bien le rapport à la foi que les pratiques qui en résultent. Et de façon très pratique justement, faire droit aux attentes des uns et des autres en cessant de se référer à une seule norme, à un seul calendrier par exemple. Nul doute qu’il faille pour cela acquérir des connaissances, et parfois faire preuve d’imagination !JUSQU’À QUEL POINT L’EXPRESSIONRELIGIEUSE A-T-ELLE SA PLACEDANS L’ENTREPRISE ?Rita Hermon-Belot, EXIGENCES ET LIMITES © O. Jacobhistorienne,directrice d’études à l’EHESS, Mais jusqu’à quel point l’expression religieuse a-t-elle sa place dans l’entre-auteur de Aux sources prise ? Les cas de figure sont bien divers, l’exigence de neutralité laïque nede l’idée laïque. s’appliquant directement qu’au secteur public mais aussi à des situations deRévolution et pluralité délégation de service public, qui ne sont pas toujours simples à discerner.religieuse. Odile Jacob, Dans certains secteurs d’activité, ceux notamment qui concernent la petiteoctobre 2015. enfance, le débat est aujourd’hui ouvert quant à l’opportunité de nouvelles dispositions juridiques. Partout ailleurs, prime bien sûr la bonne marcheN°129 Février 2016 des activités de l’entreprise, mais pour maintenir le meilleur équilibre, comment apprécier et hiérarchiser les aspirations des uns et des autres au regard de cette diversité ? Il s’avère que celle-ci comporte certes de nou- velles exigences mais aussi des limites. Jusqu’où faire place aux expressions religieuses de façon à ce que toutes soient également traitées, et que celles qui sont portées par le plus grand nombre ou avec la plus grande force, ne prennent pas le pas sur les autres ? Afin aussi que celles et ceux parmi les acteurs de l’entreprise qui ne se reconnaissent dans aucune appartenance religieuse et ne sont simplement pas intéressés par la question, ou pas dans ce cadre, bénéficient d’une liberté égale ? Car telles sont bien les condi- tions nécessaires d’un véritable pluralisme, c’est-à-dire d’un accueil de la diversité dans toute l’ampleur qu’elle revêt aujourd’hui. Acteurs de l’économie - La Tribune 33
Entreprendre RUBRIQUE DE NOMINSTANCES PATRONALES,LE CHOC DES GÉNÉRATIONSENQUÊTE, ROMAIN CHARBONNIER Hier signes de « notabilisation »,PHOTOGRAPHIES, LAURENT CERINO / ADE les organisations institutionnelles et professionnelles, patronales en premier lieu, tentent de trouver un second sou le en se réinventant de l’intérieur afin de pouvoir mieux attirer et sensibiliser les nouvelles générations d’entrepreneurs. Des générations bercées par des modes de travail et de hiérarchie innovants qui bousculent et cassent les codes de la notion même d’engagement, lui préférant de nouvelles formes de réseaux et de structures. Quand certains cherchent la puissance, le pouvoir et la visibilité, d’autres lui préfèrent l’intérêt général et la logique intellectuelle. Des motivations diamétralement opposées qui conduisent à créer un delta dans leur manière de penser l’engagement.Signe supplémentaire de ses divergences N°129 Février 2016de fond avec son prédécesseur Laurence3mP4aarniAsdcoattet, uPàrisleardrteeêltG’eéacdtoutnaMozmesd'ieees-ft.Lima pTroibséunuen seul
RUBRIQUE DE NOM EntreprendreN°129 Février 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 35 © Hamilton / Réa
Entreprendre PATRONAT, LE CHOC DES GÉNÉRATIONS36 Acteurs de l’économie - La Tribune n seul mandat de président de cinq ans et tous les postes occupés par des chefs d’entreprise en activité. Le 21 mai 2015, l’assemblée générale du Medef validait ses modifications statutaires. Une petite révolution pour le puissant et historique syndicat patronal. Un changement surprise dû à son actuel président, Pierre Gattaz, PDG de l’entreprise Radiall. Sa promesse de campagne détonne, puisqu’avant son élection en 2013, elle venait déjà en contre- pieds des manœuvres de Laurence Parisot, son prédécesseur en poste depuis huit ans, souhaitant prolonger à nouveau de deux années. La vice-présidente de l’institut de sondage Ifop se portait ainsi candidate pour un troisième mandat en proposant au Medef de modifier les statuts, qui ne le lui permettaient pas jusqu’alors. Sa proposition d’établir deux mandats de cinq ans (contre cinq pour le premier et trois pour le second à l’époque) sera refusée, à une voix près. Pierre Gattaz élu, sa pugnacité à faire évoluer le Mouvement des entreprises de France ira dans le sens contraire puisqu’il ne pro- posera plus qu’un seul mandat de président d’une durée de cinq ans. « Il est important que le président du Medef soit un entrepreneur en activité, en phase avec le terrain. Être président du Medef, c’est avant tout une mission, pas une fonction rémunérée », avait-il déclaré. L’homme de 59 ans entend retrouver son ETI de l’Isère dès 2018. Une posture réformiste qui n’a pas manqué d’être critiquée et de faire doucement sourire des chefs d’entreprises et cadres diri- geants conservateurs habitués à défendre l’idée que la fonction peut être habitée le temps désiré − à l’instar d’élus politiques. Symptôme d’un état d’esprit que d’aucuns acquièrent − encore aujourd’hui et quelles que soient les générations −, dès lors qu’ils occupent une fonction importante et visible dans ces dites orga- nisations telles qu’associations, chambres consulaires, syndicats professionnels, syndicats patronaux, tribunaux de commerce, etc. Entre pouvoir, image et aura, ils protègent leur place ardem- ment dans une logique de quête personnelle − bien qu’ils s’en défendent. « Certains ont tué des générations pour rester au pouvoir », indique un fin connaisseur du milieu lyonnais. N°129 Février 2016
PATRONAT, LE CHOC DES GÉNÉRATIONS EntreprendrePartout en France, c’est le même constat. Lyon n’échappe pas à la de son entreprise et la pérennisation de son activité. « Avant derègle. Dans la ville des réseaux et des secrets, une poignée d’irré- pouvoir m’engager comme je l’entendais, c’est-à-dire pour les autres,ductibles dirigeants ou anciens dirigeants occupe des postes de il fallait que la situation de La Vie Claire soit stabilisée », souligneprésidents ou vice-présidents au sein de structures depuis plu- Benoît Soury. Un discours partagé par beaucoup : s’engager oui,sieurs dizaines d’années, enchaînant successivement les mandats, mais pas à n’importe quel prix, et surtout pas au détriment desans jamais baisser la garde. Un règne qui leur vaut les surnoms son entreprise. « C’est une fois l’avenir de ma structure solidifié quede « Kadhafi ou Moubarak Lyonnais ». « Ces hommes de pouvoir, j’y suis allée », raconte Florence Poivey, présidente d’Allizé-Plas-seul le temps les rattrapera », résume Loïc Renart, ancien président turgie et membre du conseil exécutif du Medef national. Emma-du Centre des jeunes dirigeants de Lyon et gérant d’un hôtel. « Ils nuel Imberton le confirme : « Il y a 20 ans, je n’aurais pas pu leveulent mourir en chantant », soutient un dirigeant de PME. Pour- faire. » L’entrepreneur lyonnais Denis Payre, président fondateurquoi vouloir raccrocher lorsque vous pouvez conserver la tête de Nous citoyens, a ainsi vu des présidents de Croissance Plusd’une organisation et ce qui va avec − obligeant néanmoins à un − réseau de PME et ETI qu’il a créé en 1997 − mettre leur struc-investissement et à un engagement forts ? « Ils sont encore dans la ture en « danger ». « C’est une prise de risque importante, en plus dulogique de « notabilisation ». Hier, cela faisait partie du jeu institution- temps que cela demande. Il faut pouvoir s’appuyer sur un bras droitnel, aujourd’hui, c’est beaucoup moins le cas », remarque le sociologue efficace. Certains ont failli tout perdre. » Par ailleurs, c’est entre 30Serge Guérin, spécialiste du vieillissement au sein de la société. et 40 ans que l’entrepreneur fonde une famille et doit s’assurer un niveau de vie suffisant avant de pouvoir accorder du tempsQUELLES MOTIVATIONS ? pour les autres. « Tout engagement est bénévole. Parfois cela nousLa démarche entreprise par Pierre Gattaz souffle donc comme coûte même un peu d’argent », relève Michel Thomas. C’est doncun grand changement et modifie la tradition. Mais celle-ci n’est une fois toutes ces conditions réunies qu’un chef d’entreprisepas nouvelle. Des fédérations, chambres consulaires ou regrou- peut s’engager plus facilement. « Mais même s’il faut renouvelerpements, ont depuis longtemps limité la durée des mandats, les élus, il sera toujours difficile de compter davantage de trentenairessont devenus plus ouverts et ont rajeuni leurs adhérents et les ou de quadragénaires dans les organisations », déclare, fataliste, lemembres de leur conseil d’administration grâce à la présence président de la CCI métropolitaine. Philippe Venditelli prouve lede réformistes en leur sein. Néanmoins, l’initiative prise par le contraire. À l’époque dirigeant de la société familiale VenditelliMedef, habitué au jeu de pouvoir entre branches qui le com- Transports, il est devenu, à 25 ans, administrateur de la Fédéra-posent, « donne le la », soutient Bernard Gaud, président du tion nationale des transports routiers du Rhône qui « souhaitaitMedef Rhône-Alpes, et pourrait donner l’exemple. Une décision rajeunir l’équipe ». « On vient avec sa force et ses convictions. PourUn seul mandat de président de cinq ans et tous les postes occupés pardes chefs d’entreprise en activité. Le 21 mai 2015, l’assemblée générale du Medefvalidait ses modifications statutaires.qui soulève alors la question de l’engagement des chefs d’en- faire bouger les lignes, il fallait que je m’investisse. » S’ensuit untreprise et des cadres dirigeants à une époque où le numérique parcours sans fautes : à 29 ans, il devient vice-président de latransforme et bouscule les environnements, où une génération fédération ; à 34 ans, il entre à la CCI de Lyon, puis dix ans pluss’affranchit des règles établies et du conformisme, où des nou- tard, au bureau au Medef Lyon-Rhône. L’ambition de devenirvelles formes de travail et de prise de décision émergent, et où président ? « Trop exposé et trop politique », répond-il. Mais ende nouvelles structures se créent, imaginant différemment l’idée 2012, mû par une volonté de changement, l’entrepreneur décidemême de réseau, éloignée de celles des organisations institu- de tout quitter pour se consacrer à d’autres projets. Il fonde alorstionnelles traditionnelles. Entre l’engagement militant défendant le club des Entrepreneurs de la Cité et s’adonne à ses activitésla cause entrepreneuriale, dans un intérêt collectif et pour un entrepreneuriales.enrichissement intellectuel, et l’engagement dans une optique depouvoir, et d’intérêt personnel, quelles sont les réelles motiva- ÉGOCENTRICITÉtions des patrons engagés ? Faire de sa détermination d’adolescent ou d’étudiant un engage- ment différenciant, tourné vers son domaine d’activité, est princi-STABILITÉ PERSONNELLE ET PROFESSIONNELLE palement motivé par le souhait de faire « évoluer » son milieu, maisL’engagement, tous l’ont plus ou moins découvert jeune, dès aussi de forcer les arcanes institutionnelles et de bousculer l’ordrel’adolescence même. « J’ai été chef scout », rappelle Michel Tho- établi. « Il existe une envie de changer le monde, une sorte de vent demas, président depuis le 25 janvier et pour quatre ans du tribu- révolte », explique Claire Saddy. « Nous avons des choses à dire »,nal de commerce de Lyon et ancien chef d’entreprise. « C’était à affirme Loïc Renart, 37 ans. Cependant, une fois à l’intérieur, lesl’âge de dix ans », évoque Benoît Soury, directeur général de La logiques sont différentes selon les personnalités et les ambitions,Vie Claire. « À 13 ans, sur les murs de ma chambre, j’affichais des et selon les réactions de l’entourage aussi. « Quelques-uns auront lephotos des conseillers municipaux de Châlons-sur-Marne », se remé- souhait de s’engager par pure égocentricité, d’autres dans un intérêt intel-more en souriant Claire Saddy, chef d’entreprise et présidente du lectuel ou collectif », remarque le sociologue Serge Guérin.réseau Rhône-Alpes Pionnières. « À 19 ans, je militais au sein du L’intérêt collectif, tous le prônent. « Certains pourront sûrementsyndicat de la Confédération des étudiants libéraux de France », rap- trouver une forme de satisfecit personnel voire philanthropique, maispelle Emmanuel Imberton, président de la CCI métropolitaine. les chefs d’entreprise engagés sont motivés par la volonté d’agir tousAu fil des années, des études et des premiers emplois, l’engage- ensemble dans l’intérêt de chacun, de trouver une forme de solidaritément prend une tout autre forme puisqu’il est avant tout per- et le soutien d’un réseau », souligne Jean-Paul Mauduy, président desonnel, investi dans le développement de soi, dans le lancement la CCI Rhône-Alpes.N°129 Février 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 37
Entreprendre PATRONAT, LE CHOC DES GÉNÉRATIONSEn revanche, et ce n’est pas une surprise, personne ou presque CONFLIT DE GÉNÉRATIONSpour affirmer ouvertement que s’engager constitue aussi une Deux monstres sacrés du monde économique lyonnais, toujoursmanière d’exister et de compter dans son milieu, dans « Le » sur scène, animant leur réseau avec conviction, qui suscitentmilieu. Mais quelques-uns ne s’en privent pas. « Certains repré- critiques et controverses, mais aussi admiration et respect. « Ilssentants encore en poste aiment collectionner les médailles sur la sont de grands patrons », soutient un dirigeant. « Je parlais aussiveste », peste un entrepreneur, regrettant que d’indéboulonnables des vieux « cons » avant ! Je peux donc comprendre et accepter ce(ex-)entrepreneurs élus nuisent à l’image des organisations qui qui est dit. Mais je peux également montrer à ceux qui me critiquentdoivent se rajeunir. « Je ne suis pas sûr que les nouvelles généra- ce dont je suis encore capable, reconnaît François Turcas, affir-tions de créateurs d’entreprises aient envie d’être représentées par mant que laisser le siège de président n’est pas un problème. Onces personnes-là », estime un chef d’entreprise lyonnais. Aucun ne me l’a jamais demandé : chaque fois, on m’appelle ! » Son rem-nom n’est publiquement avancé. Le risque est trop important plaçant ? « Il faut simplement trouver la bonne personne, quelqu’unpour celui qui souhaite évoluer au cœur du cénacle lyonnais. qui puisse être à la hauteur du poste. » Inamovible ? Le LyonnaisSe froisser avec tel ou tel mettrait un coup d’arrêt à des ambi- le prouve une nouvelle fois : François Asselin, président de lations personnelles. Entre querelles d’egos et jalousie, chacun y CGPME nationale l’a appelé pour occuper un poste de vice-pré-va de sa phrase. Une situation symptomatique à Lyon, même sident à l’international. Poste qu’il a accepté. « S’il me nomme àsi ce constat est mesurable un peu partout. En off, les masques 70 ans, c’est que je suis encore capable de motiver et de rassembler. »tombent et deux noms reviennent inlassablement : Jean-Paul « C’est très facile de dire que l’on voit toujours les mêmes quand, enMauduy, ancien président du Medef Rhône-Alpes, de la CCI de même temps, on refuse de vouloir s’engager et de faire évoluer ces ins-Lyon, et François Turcas, président de la CGPME Rhône et de tances, tempère Laurent Fiard, président du Medef Lyon-Rhône etcelle d’Auvergne Rhône-Alpes. Le premier en est à son 2e man- PDG de Visiativ. C’est un réel investissement. Je me régale de ce qu’ilsdat et devrait se présenter pour un nouveau, à 76 ans, en vue de ont apporté, il ne faut pas l’oublier. Puis ce sont de vrais animateursprésider une grande CCI régionale. Le second, « toujours en pleine qui savent fédérer. » Et Jean-Paul Mauduy d’ajouter convaincu :forme » à bientôt 70 ans, règne d’une main de fer sur la confédé- « On ne s’engage pas dans l’animation de structures de promotion etration générale des petites et moyennes entreprises depuis près de défense des entreprises pour prendre, mais pour donner ! » L’enga-de 24 ans - mais devrait quitter la présidence d’ici à deux ans. gement serait-il une question de génération ? Pour le patron deCe dernier a su faire de la CGPME une puissante organisation de l’éditeur de logiciels, ce « n’est pas une question de jeunes ou moins3 500 membres « plus importante que celle d’Île-de-France. Voilà à jeunes. C’est avant tout une démarche collective composée de toutesquoi sert ma notoriété », démontre-t-il. les générations », souhaitant néanmoins que « ces organisations se« Dans la ville des réseaux et des secrets, une poignée d’irréductibles dirigeantsou anciens dirigeants occupe des postes de présidents ou vice-présidentsau sein de structures depuis plusieurs dizaines d’années, enchaînantsuccessivement les mandats, sans jamais baisser la garde » « À 13 ans, sur les murs de ma « On ne s’engage pas dans chambre, j’a chais des photos l’animation de structures des conseillers municipaux de de promotion et de défense Châlons-sur-Marne. » des entreprises pour prendre, Claire Saddy, chef d’entreprise mais pour donner. » et présidente du réseau Jean-Paul Mauduy, Rhône-Alpes Pionnières. président de la CCI Rhône-Alpes.38 Acteurs de l’économie - La Tribune N°129 Février 2016
réinventent en s’ouvrant davantage ». Le Medef Lyon-Rhône a ainsi PATRONAT, LE CHOC DES GÉNÉRATIONS Entreprendrecréé Génération Medef où « le plus jeune a 25 ans et le plus âgé35, avec l’envie de faire avancer ». « Encourager de nouveaux chefs « L’engagement, tous l’ont plusd’entreprise à l’engagement collectif est notre démarche perpétuelle, ou moins découvert jeuned’autant plus à l’approche des élections », précise Jean-Paul Mauduy. dès l’adolescence même »Cependant, enthousiastes au départ, d'aucuns ont vite été échau-dés, et ce en dépit de leur motivation : « Même si tu as réussi, que bien compris qui en usent, bénéficiant généralement d’un puis-ton entreprise fonctionne, que tu montres ta volonté et ta motivation sant réseau, d’un entourage dévoué et d’un système à leur avan-à vouloir t’engager, il existe encore de sempiternels élus qui bloquent tage. « Ils réussissent à mettre en place un pacte autour d’eux, faisantton évolution », regrette un entrepreneur. « Hommes, blancs, âgés de en sorte d’être toujours là. « Tu me protèges, je te protège » », pré-plus de 60 ans… le conservatisme dans les organisations patronales cise un entrepreneur. Pour s’en prémunir, certaines organisationsest toujours prégnant », claque Claire Saddy, restée seulement deux ont pris des mesures, en limitant, par exemple, le nombre deans à la CGPME. « Des élus disposent d’une légitimité, mais nous mandats. « Nous ne sommes pas une génération pour le pouvoir, maissommes en droit de nous interroger sur leur efficacité quand ils sont en une génération du faire », soutient Florence Poivey. Ancienne prési-poste depuis très longtemps », soulève Stéphane Béraud, fondateur dente du puissant réseau d’entrepreneurs lyonnais Le Prisme, elledu réseau Next. Et d’autres gardent l’image tronquée des organi- a proposé une présidence de l’association écourtée, d’un mandatsations, notamment patronales. Ce que Michel Offerlé, professeur de deux ans, renouvelable une seule fois. « Ainsi, vous êtes dansà l’ENS étudie dans ces enquêtes (auteur de l’ouvrage Militer en l’obligation de penser à votre succession », ajoute-t-elle. Même initia-patronat, éditions Sociétés contemporaines, 2015) : « On constate tive au Centre des jeunes dirigeants de Lyon. « La force du CJDque les organisations patronales sont souvent perçues comme loin- réside dans le changement de gouvernance tous les deux ans, soulignetaines, peuplées de dirigeants et d’apparatchiks parisiens défendant les Loïc Renart. Je prends un costume qui ne m’appartient pas. Je ne suisgrandes entreprises et s’intéressant avant tout aux questions sociales. ni dans une routine ni dans une logique de carrière. Ce qui donne à laChaque adhésion est de motivation consumériste afin de bénéficier de structure une énergie magnifique. » À la CCI de Lyon, les présidentsservices, mais n’implique pas forcément un engagement. » successifs ont fait le choix d’occuper la fonction bénévolement, refusant l’indemnité mensuelle de 6 000 euros. « Je suis avantEFFETS PERVERS tout chef d’entreprise. Je n’occupe pas le poste de président de CCIAu cœur de la métropole lyonnaise, les chefs de file et quelques pour faire carrière comme certains dans le milieu consulaire. Je le faisvice-présidents de ces organisations sont très exposés, en parti- bénévolement avec la volonté de laisser la place », affirme Emmanuelculier dans l’ordre protocolaire. Une visibilité et une puissance Imberton, 58 ans, élu pour la première fois en 2015. Et dequi suscitent un désir naturel de pouvoir. Quelques-uns l’ont 1 an 40 €Je m'abonne pour TTC / 5 numéros + suppléments 2 ans 70 €Je m’abonne pour TTC / 10 numéros + supplémentsOFFRE Société : ......................................................................................................................................................................................... Nom / Prénom : .........................................................................................................................................................................SPÉCIALE Adresse : ........................................................................................................................................................................................ .............................................................................................................................................................................................................. Code postal : ................................................................ Ville : ................................................................................................ E-mail : ............................................................................................................................................................................................ Tél. : ................................................................................................................................................................................................... Date et signature MODE DE RÉGLEMENT Chèque libellé à l'ordre de RH ÉDITIONS à retourner à Acteurs de l'économie - Immeuble le Diplomate - 51 avenue Jean Jaurès - 69007 Lyon Je souhaite recevoir une facture acquittée Je souhaite m’inscrire à la newsletter RÉSERVÉ À ACTEURS DE L'ÉCONOMIE Réf. client :......................................................... Périodicité : du n°............................. au n°.......................... Banque : ....................................................................... N° chèque : ...................................................................N°129 Février 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 39
Entreprendre PATRONAT, LE CHOC DES GÉNÉRATIONSsouhaiter : « Si demain, une élection avait lieu, il faudrait rajeunir et patronal ou une CCI restent sur un schéma de gouvernance tradition-féminiser les élus de la chambre. » nel qui ne nous correspond pas. Le nôtre repose sur une hiérarchie très plate, sur du collaboratif, explique Grégory Palayer, son président.NOUVEAUX RÉSEAUX Nous sommes sur l’action thank plutôt que sur le think thank, et lesAutres freins à l’engagement patronal des entrepreneurs, les enjeux et intérêts politiques. » Sébastien Bernard en est convaincu.affaires médiatiques et les intrigues politiques. « Cela fait du mal « Après avoir fait un tour des différentes structures, j’ai décidé deà ces institutions », confirme Claire Saddy. « Elles font d’abord de la créer la mienne. » Next regroupe une trentaine de membres, depolitique. Donc l’image renvoyée et l’actualité qui en est faite ne contri- « nouveaux chefs d’entreprise ayant besoin de se retrouver, de créer dubuent pas à les rendre attractives, ni à les valoriser », explique Serge lien et qui ne sont pas dans une logique de compétition, à l’opposé desGuérin, également professeur à l’Inseec. Des raisons qui poussent structures existantes. Nous n’avons pas besoin d’elles pour développercertains entrepreneurs à rejoindre de nouveaux réseaux, cor- nos activités ». Des initiatives qui attirent de plus en plus.respondant davantage à leurs attentes et à leurs valeurs, ou à encréer, s’éloignant alors des institutions et de toute forme de mili- « On vient avec sa force et sestantisme qu’elles peuvent parfois renvoyer. Des regroupements convictions. Pour faire bouger lesqui prennent la forme d’associations, de clusters, de syndicats. choses, il fallait que je m’investisse » La Cuisine du Web en est l’exemple. L’association regroupantles professionnels lyonnais du numérique a été créée en 2013afin de répondre à un besoin de fédérer les acteurs. « Un syndicat« Avant de pouvoir m’engager « Nous sommescomme je l’entendais, sur l’action thankc’est-à-dire pour les autres, plutôt que suril fallait que la situation le think thank,de l’entreprise et les enjeuxsoit stabilisée. » et intérêtsBenoît Soury, politiques. »directeur général Grégory Palayer,de La Vie Claire. président de l’association La Cuisine du Web. « Il très facile de dire que l’on voit toujours les mêmes quand, en même temps, on refuse de vouloir s’engager et de faire évoluer ces instances. » Laurent Fiard, président du Medef Lyon- Rhône et PDG de Visiativ.40 Acteurs de l’économie - La Tribune N°129 Février 2016
PATRONAT, LE CHOC DES GÉNÉRATIONS EntreprendreENGAGEMENT DE L’OMBRE SE REPENSERPeu médiatisée, une autre facette de l’engagement reste impor- Ces nouvelles formes d’engagement bousculent ainsi les struc-tante, celle dans l’ombre avec la seule conviction que l’intérêt tures historiques qui tentent désormais de s’adapter à une géné-général et intellectuel est moteur. Des personnes qui n’ont pas ration d’entrepreneurs qui s’en éloigne. « Le vrai pouvoir ne se situed’ambition de pouvoir ni de visibilité, mais plutôt le souhait de plus là-bas. Il a changé et se trouve dans les communautés », estime« donner et recevoir ». Mandataires à l’Urssaf, au RSI, au tribunal Claire Saddy. « Les jeunes générations de dirigeants sont sûrement ende commerce, mais aussi dans des commissions de la CCI ou attente de modèles différents, davantage axés autour des outils numé-du Medef. « Lorsque vous êtes élus à la commission des impôts, par riques et des moyens de communication actuels. Le réseau des CCI l’aexemple, ce n’est pas très honorifique et pourtant, c’est très utile », bien compris et y travaille », relève Jean-Paul Mauduy. Tous s’ac-explique Benoît Soury qui avait mené campagne en 2012 pour cordent à dire qu’un grand chantier est à mener pour que toutesemporter la présidence de la CCI de Lyon. « Ce n’est pas un travail les structures se « repensent » et « évoluent » de l’intérieur, afinde saltimbanque sur les planches, prévient Michel Thomas, long- de continuer à exister et à peser. « La CGPME n’est pas vieillotte,temps juge au tribunal de commerce de Lyon. C’est une vraie martèle François Turcas. Nous ne fonctionnons plus « à la papa ».mission, qui implique d’acquérir des compétences. Nous sommes dans Aujourd’hui, nous ne sommes plus un syndicat revendicatif, mais préfé-l’engagement de service, pour l’utilité locale. » Et à 70 ans, l’homme rons la proximité et les services avec des jeunes engagés et dynamiques.à fait le choix de se proposer à la présidence du tribunal de com- Jusqu’au bout je défendrai ces valeurs. » « Une bonne expérimentationmerce pour poursuivre « sa mission ». « Je ne recherche pas la recon- de ces clivages entre militantisme et organisations générationnelles dif-naissance dans cette nouvelle fonction mais elle n’est pas désagréable férenciées a été le mouvement des pigeons qui a inauguré une forme delorsqu’elle survient. Elle est gratifiante. » Une activité bénévole (seu- mobilisation numérique en 2012, sur un créneau entrepreneurial trèslement défrayée) qui demande du temps et une technicité qui particulier. Une bonne partie des intéressés avait moins de 40 ans »,implique une contrepartie non quantifiable : la reconnaissance. conclut Michel Offerlé. Car aux âmes bien nées, l’engagement« Il est difficile de s’engager et de n’avoir rien en retour », souligne n’attend pas, forcément, le nombre des années.Denis Payre. À 67 ans, Bernard Gaud, dont le mandat à la tête duMedef Rhône-Alpes prendra fin en juin prochain, le confirme : « Il est difficile de s’engager« En retour d’un acte bénévole, il est normal d’être reconnu pour ce et de n’avoir rien en retour »qu’on a entrepris, et de donner le sentiment d’avoir fait avancer leschoses. »Emmanuel Imberton,président de la CCI métropolitaineet François Turcas,président de la CGPME Rhône.N°129 Février 2016 ROUTAGE COURRIER IMPRESSION NUMERIQUE 250, rue du Général de Gaulle - 69530 Brignais Tél. 04 78 61 07 94 - E-mail : y.esco [email protected] Acteurs de l’économie - La Tribune 41
Entreprendre RUBRIQUE DE NOMENTREPRENDRELA JEUNESSE CONTRE -42 Acteurs de l’économie - LaLuTcriabsunToeurnel et Romain Durand viennent de sou ler la première bougie de leur entreprise, Le Permis LibNre°1.29 Février 2016
RUBRIQUE DE NOM Entreprendre- ATTAQUEN°129 Février 2016 Acteurs de l’économie - La Tribune 43
Entreprendre BABY ENTREPRENEURS« Au nom de Lucas Tournel et Romain Durand RÉPONDRE À UN BESOINla liberté viennent de souffler la première Du haut de ses 26 ans, Sarah Da Silvad’entreprendre bougie de l’entreprise qu’ils ont Gomes fait figure de doyenne parmi lesen France, je fondée ensemble, Le Permis Libre. jeunes entrepreneurs rencontrés, mais sonvous accorde Ils reçoivent dans leurs locaux, à projet oriente ses choix depuis 2012. C’estl’émancipation » deux pas de la place Bellecour, à Lyon. qu’il lui tient à cœur : il naît d’une expé-Le TGI Poufs XXL, table basse, open-space rience personnelle. Son frère est polyhan-de Chambéry vitré : les codes de la start-up sont là et dicapé dépendant et, à ce titre, difficileà Franck Felter, le décor change de celui d’une école de à vêtir. Sarah et sa mère se sont toujours16 ans conduite classique. Les deux co-gérants étonnées qu’aucun fabricant de vêtements de la SARL ont l’aplomb de ceux qui sont ne se soit penché sur ce problème. La dans l’action. Et cet aplomb ferait presque jeune femme est donc passée à l’action et a oublier leur âge : respectivement 23 et 24 décidé de créer une marque de prêt-à-por- ans. « Il y a un an, reconnaissent-ils, nous ter pour personnes en situation de handi- avions l’air de gamins. Depuis, la barbe a cap. Elle tire profit de ses études à l’Esdes, poussé ! Nous avons acquis de la prestance. » à Lyon, pour poser les bases de son projet, Monter « sa boîte » fait grandir. « Cela procéder à une étude de marché poussée concourt à gagner en maturité, avoue et suivre son master en alternance dans Étienne Ginon, tout juste majeur. Je n’ai une entreprise de maroquinerie pour pas les mêmes préoccupations que les autres acquérir de l’expérience. Son projet rem- étudiants. » Début 2014, alors qu’il est en porte plusieurs distinctions, dont le grand première, il crée une SARL pour lancer prix de la Fondation SFR. Lorsqu’elle ter- une application mobile, Holimeet, dont mine ses études, sa première collection il a eu l’idée – un réseau social destiné est déjà pensée. Accompagnée au sein de à rapprocher physiquement ses utili- l’incubateur Ronalpia, elle dépose les sta- sateurs via une plateforme virtuelle, tuts de sa marque Constant & Zoé en jan- NDLR. La gérance en est attribuée à sa vier 2015 et lance la production en avril. mère, car il est alors encore mineur. Un Ses premières pièces se vendent bien. statut juridique qui ne l’empêche pas Elle constate, soulagée, qu’elle n’a aucun de porter le poids de l’entreprise sur ses retour.Ils ont entre 16 et 26 ans et n’ont pas ou très peu d’expérience professionnellepréalable. Pourtant, ils ont créé leur entreprise. Quand le taux de chômage des moinsde 25 ans avoisine les 25 %, l’entrepreneuriat séduit une proportion grandissantede jeunes. Ce qui les distingue de leurs pairs étudiants et de leurs aînés entrepreneurs ?L'enthousiasme d’abord, l'énergie ensuite. Et cette volonté d’entrer très tôt dansle monde des a aires, sans toujours attendre d’être diplômés.REPORTAGE, ANNE BIDEAULTPHOTOGRAPHIES, LAURENT CERINO / ADE épaules : « J’y pense toute la journée, j’en Comme Sarah Da Silva Gomes, Étienne rêve la nuit. Je me sens responsable vis-à- Ginon a créé son entreprise pour vis des personnes qui ont investi des fonds répondre à un besoin qu’il a lui-même dans mon affaire, mais aussi de mes parents, éprouvé : en vacances à la campagne, qui m’ont accordé leur confiance. » Franck il s’est rendu compte après coup qu’il Felter, lui, n’a pas eu la patience d’at- n’était qu’à quelques kilomètres d’un de tendre la majorité pour prendre les rênes ses camarades de classe. De cette occa- de la SAS Luxury maquettes qu’il venait sion manquée lui est venue l’idée de de créer. L’élève de seconde, âgé de 16 son appli, Holimeet, qui permet la géo- ans, a donc demandé à être « mineur localisation des amis de l’utilisateur, le émancipé. » Il cite encore de mémoire la partage de bons plans et l’organisation sentence du tribunal de grande instance d’événements. de Chambéry, qui l’a « touché » : « Au nom Il arrive aussi que l’envie d’entreprendre de la liberté d’entreprendre en France, je vous précède l’idée : ainsi Franck Felter savait accorde l’émancipation. » Depuis, il est à la « depuis le CM1 » qu’il était animé par tête de sa société d’import et de commer- l’esprit entrepreneurial. L’idée d’impor- cialisation de maquettes de luxe, basée à ter et de commercialiser en France des La Ravoire, en Savoie. maquettes de luxe de bateaux lui est44 Acteurs de l’économie - La Tribune N°129 Février 2016
BABY ENTREPRENEURS Entreprendrevenue… en passant son permis bateau. entrepreneuriat, « il ne fait aucun doute machine sans débourser 10 000 euros. Ça lesLucas Tournel et Romain Durand, avaient qu’il y a un mouvement de fond en faveur de rend très créatifs. » Pour l’enseignant, un« envie de créer quelque chose tous les deux ». l’entrepreneuriat. Toutes les écoles de com- autre écueil réside dans la fragilité desRestait à trouver quoi. Constatant que merce proposent désormais un programme bases en gestion et en comptabilité, ainsipour bon nombre de leurs amis, passer entrepreneurial ». Qui s’ajoute aux incuba- que dans le manque d’expérience enle permis de conduire était « galère, com- teurs, pépinières, accélérateurs et autres management humain. Surtout pour ceuxplexe et cher », ils se penchent sur ce sec- clusters, toujours plus nombreux, évitant qui se lancent sans avoir fait d’études.teur, auquel ils décident d’appliquer un aux porteurs de projet une solitude sou- « Il est indispensable de bien s’entourer, debusiness model « type Airbnb ». Quatre vent fatale. se trouver un mentor, pour éviter des échecsmois plus tard, les statuts de l’entreprise évidents. »Le Permis Libre sont déposés. Bénéficiant FORCES ET FAIBLESSES Enora Guérinel a co-fondé, à 23 ans,d’un agrément préfectoral d’auto-école, La jeunesse est-elle un handicap ? Les l’incubateur Ronalpia, qui a accompagnécette plateforme internet met en relation entrepreneurs rencontrés ne la consi- Sarah Da Silva Gomes. Elle relève ce quicandidats au permis et moniteurs de dèrent pas comme telle et n’ont pas eu à fait défaut à ses jeunes poulains : « Leconduite indépendants. en pâtir. Sauf peut-être face aux banquiers. réseau professionnel, la capacité de finan- « Vous imaginez ? se souvient Sarah Da cement, la faculté d’identifier tout de suiteTRAVAILLER, OUI, Silva Gomes. Femme, jeune, dans un mar- le bon interlocuteur. » En dehors de ça, laMAIS DIFFÉREMMENT ché de niche… je cumulais les désavantages. jeunesse semble n’avoir que des avantages.Au-delà de ces idées, ces jeunes chefs Mais quand on réussit à convaincre malgré « Ils ne sont pas prisonniers de schémas dud’entreprise partagent un point com- ces désavantages, avec un dossier solide, c’est passé, souligne Philippe Silberzahn qui,mun : celui de n’être pas attirés par le tout à notre honneur et cela a encore plus paraphrasant une citation qui plaît tantsalariat. Tous revendiquent une façon de d’impact. » Leur force de conviction, c’est aux adolescents, poursuit : Ils ne savent pastravailler propre à leur génération. « La précisément leur enthousiasme, leur éner- que cela a été jugé impossible par leurs aînés,norme, c’est d’être salarié, constate Lucas gie et leur sérieux. Pour Romain Durand : alors ils le font. »Tournel. Mais pour quelles raisons ? Sortir « Nous savions que le modèle économique des Tous les observateurs notent aussi leur trèsdes études pour aller vers un poste qui pré- auto-écoles est peu apprécié des banquiers. grande maîtrise des outils numériques, quisente peu de possibilité d’évolution, cela ne Nous avions préparé notre dossier à fond, pour permet de fédérer rapidement une com-me dit rien. » « Aujourd’hui, renchérit son avoir réponse à tout. » Leur prêt leur a été munauté autour du projet ou de créer desassocié, nous savons que nous changerons accordé. sites web de qualité. Et puis, ajoute Enoradix fois de métier dans notre carrière. Il est Mais, dans une société française peu Guérinel, « ils osent. Pousser des portes, sai-donc possible de changer de statut, non ? » encline à laisser de la place aux jeunes, sir des opportunités. Ils ont de l’endurance etLeurs expériences de stages, de contrats les juniors continuent de susciter davan- sont prêts à sacrifier de nombreuses choses, àde professionnalisation, de jobs étudiants tage de réserve que d’adhésion. Même si y consacrer tout leur temps. Ils sont moins surleur ont permis d’observer des modèles « les choses changent », Philippe Silberzahn la réserve qu’une personne plus expérimentéedont ils ne souhaitent pas forcément conseille donc aux étudiants dont il super- qui anticipera davantage les difficultés et las’inspirer. « Le management de la généra- vise le projet d’entreprise virtuelle d’éviter quantité d’énergie nécessaire ».tion précédente », ce n’est pas leur truc. Ils la confrontation avec les banques : « Lors- Enfin, point non négligeable, leur prise deprônent davantage en faveur des équipes qu’ils me disent : « Il va nous falloir 10 000 risque personnel est mineure : sans prêtsans hiérarchie patron/salariés, d’une euros pour acheter telle machine », je leur immobilier à rembourser, avec un coût deorganisation horizontale et informelle. demande comment ils pourraient utiliser cette la vie calqué sur celui des étudiants, et unFaire passer des entretiens d’embaucheà plus âgés ou plus diplômés qu’eux ? « La norme, c’est d’être salarié, maisÉtienne Ginon a recruté deux stagiaires pour quelles raisons ? Sortir des étudesplus âgés que lui et « cela n’a pas posé pour aller vers un poste qui présentede problème ». De même, les deux asso- peu de possibilité d’évolution, celaciés du Permis Libre, qui ont embauché ne me dit rien »« cinq équivalents temps plein en CDI ».Certes, tous les jeunes ne rêvent pasd’être chefs d’entreprise. Néanmoins,analyse Philippe Silberzahn, professeurà EMLYON, spécialisé en innovation et CONSEIL EN RECRUTEMENT 3 rue de la République, 69001 Lyon DIRIGEANTS & CADRES EXPERTS Tél. 04 72 00 76 76 - www.innoe.net LYON - PARIS - INTERNATIONAL Acteurs de l’économie 1-4L/0a9/T2r0i1b5un1e2:4405N°1I2nn9oeF_ébvarnideera2u0_11960x45mm_octobre_2015.indd 3
Entreprendre BABY ENTREPRENEURSrythme de vie sans engagement familial, mettre en application tout de suite. Je com- © DRest compliqué de monter une boîte en France.ils ont bien moins de contraintes que ceux prends la comptabilité désormais et ma com- Au final, il me semble que c’est plus simple dede dix ans plus vieux. Ils se montrent d’ail- munication est davantage maîtrisée. » Il a créer sa société que de chercher un contratleurs assez détachés vis-à-vis de l’argent : bouclé le 2e exercice de son activité avec en alternance. » Philippe Silberzahn« Je ne le fais pas pour m’enrichir financiè- un chiffre d’affaires de 50 000 euros, confirme que, dans une France atteinterement, confie le plus jeune d’entre eux, qu’il entend bien développer. Éloigné de de « diplomite », l’entrepreneuriat ouvreÉtienne Ginon, mais pour m’enrichir d’idées, son stock à cause de ses études, il s’est une alternative précieuse pour l’intégra-de connaissances, de compétences. » Franck tourné vers un dépôt logistique : « Grâce tion socio-économique des générations àFelter finance une partie de ses études à cela, je suis plus réactif, je peux proposer venir. A fortiori pour ceux qui ne sont pas,grâce à son entreprise mais elle lui « sert une livraison le lendemain avant midi. » ou peu, diplômés et issus des minorités.surtout à acquérir de l’expérience ». Les fon- Seule Sarah Da Silva Gomes, qui a fait Une analyse partagée par le ministre dedateurs du Permis Libre ne se rémunèrent ses études avant de se lancer, reconnaît l’Économie, Emmanuel Macron, dans unpas encore : « Nous avons préféré embaucher. qu’elles lui ont fait gagner du temps : entretien accordé au quotidien Le MondeOn bénéficie de l’Acccre (Aide aux chômeurs « Faire une étude de marché dans le cadre début janvier 2016 : « Des gens souvent vic-créateurs d’entreprise). » Même schéma chez de ses études, c’est un gain de temps énorme : times de l'exclusion choisissent l'entrepreneu-Sarah Da Silva Gomes, qui profite aussi de c’est long et peu palpitant, mais très utile. » riat individuel parce que, pour beaucoup del’allocation chômage : « Je ne vais pas encore Mais tous confient avant tout leur jouis- jeunes aujourd'hui, c'est plus facile de trouverme verser de salaire avant 18 mois minimum. sance d’apprendre en faisant : « Apprendre un client que de trouver un employeur. »Mais je le savais ! Sinon je ne me serais pas sur le terrain, en parlant avec les avocats,lancée ! » Pour Philippe Silberzahn, ces les experts-comptables, est plus enrichissant Franck Felter,faibles besoins financiers font qu’ils ne que la théorie », remarque Étienne Ginon, âgé de 16 ans,courent « aucun risque ou presque ». Au qui a entamé en septembre 2015 des a fondé Luxurycontraire, « il y a tout à y gagner. Sur un études de droit à l’université Jean-MoulinCV, avoir monté une entreprise est très prisé. Lyon 3. Plus péremptoires encore, Lucas maquettes.Même en cas d’échec. C’est comme une mini- Tournel et Romain Durand, titulairesécole de commerce en condensé ». l’un d’un bachelor management (Ifag) et l’autre d’une licence de droit, assènentPOURQUOI SONT-ILS SI PRESSÉS ? un verdict sans appel : « En un an, nousL’enseignant conseillerait même de faire avons appris davantage que lors de nos troisdes études de commerce après une pre- ans d’études chacun : il a fallu faire face à demière expérience d’entrepreneuriat. Une nouvelles situations, résoudre des problèmes,idée que Franck Felter reprendrait cer- se montrer créatifs, innovants. »tainement à son compte, lui qui, devenubachelier en juin dernier, a commencé UNE VOIE D’INTÉGRATION SOCIALEun bachelor of business administration ET ÉCONOMIQUE(BBA), à EMLYON, sur le campus de « La seule chose qu’on nous avait toujoursSaint-Éienne : « J’apprends ce que je peux dite, se rappelle Lucas Tournel, c’est qu'il Sarah Da Silva Gomes, créatrice de la marque Constant & Zoé. © Olivier Guérrin Étienne Ginon, tout juste majeur, a monté l'entreprise Holimeet46 Acteurs de l’économie - La Tribune qui géolocalise des amis de l’utilisateur, partage des bons plans et organise des événements. N°129 Février 2016
TRIBUNE Entreprendre« L’ENGAGEMENT La société ne voit pas d’un bon œil l’engagement économique des trèsÉCONOMIQUE DES jeunes. Elle veut bien leur engagement civique, qu’elle tente même deJEUNES SUSCITE développer ces derniers temps. Elle veut bien leur engagement mili-UNE MÉFIANCE taire, quand elle est en conflit quelque part sur la planète. Elle se méfie enSOCIALE ET revanche de leur engagement économique. Car entreprendre, c’est bel et bien,POLITIQUE » évidemment, s’engager aussi.ENTREPRENDRE TRÈS JEUNE,UNE FORME DE TRANSGRESSION ?Michel Fize, Pourquoi cette méfiance sociale (et politique) ? D’abord, parce que les très © DRsociologue, jeunes, « on » (la société, les parents…) ne les croit pas capables de gérerchercheur au CNRS, une entreprise. « On » estime qu’il leur manque l’expérience, les diplômesspécialiste des questions quelquefois, l’argent souvent, sans parler du risque ! Ensuite, parce que lesde l'adolescence, très jeunes, « on » estime qu’ils ont autre chose à faire, à 14, 15 ou 16 ans,de la jeunesse et un peu plus, que de s’engager dans la vie entrepreneuriale, comme surtoutet de la famille. mener leurs études à terme. « On » veut bien qu’ils aient une activité asso-Auteur de Jeunesses ciative, à condition, s’ils sont mineurs, de ne pas la diriger ou de ne pasà l’abandon, gérer la trésorerie (sauf autorisation parentale). Aux très jeunes donc, lesla construction associations « junior ». Les « vraies » associations, pour les seniors. Etuniverselle d’une pourtant les très jeunes, mineurs ou non, créent des entreprises. Ils sontexclusion sociale, même à l’origine de l’invention, jadis, de « l’économie nouvelle », faite deMimésis, start-up. On sait combien les très jeunes - 16-17 ans - d’il y a 20 ans, seà paraître en mars. sont investis dans cette nouvelle économie. Ils avaient le talent pour cela, mais, comme ils manquaient souvent d’argent, ils ont parfois échoué dans leurN°129 Février 2016 action. NE PAS SUBIR Aujourd’hui l’économie nouvelle s’appelle l’économie numérique. Elle est logée sur internet où elle étend partout sa toile. Dans un monde du chômage de masse et de précarité maximale, les jeunes entrepreneurs entreprennent, d’abord pour ne pas subir, ensuite pour montrer aux « vieux », souvent enfer- més dans l’économie ancienne, qu’il n’ont pas de leçons à recevoir d’eux, pour se tirer d’affaire, et même réussir. Ces jeunes sont Français, Américains, Canadiens, Indiens de plus en plus. Ils n’ont pas vraiment de patrie, juste une formidable envie, celle d’être acteurs de leur vie. Alors, oui, pour nos vieilles sociétés, ces très jeunes entrepreneurs transgressent les routines, les usages policés. Mais soyons-en sûrs, ils sont moins transgresseurs que transmetteurs d’énergie, inventeurs d’un avenir meilleur. Acteurs de l’économie - La Tribune 47
Entreprendre RUBRIQUE DE NOM Moins diplômée qu’ailleurs, la jeunesse des quartiers sou re d’un manque de considération et d’un chômage prégnant. Souvent en rupture, elle peine à retrouver le chemin de l’emploi. Et pour elle l'entrepreunariat peut constituer une opportunité de se construire. À quelles conditions ? 48 Acteurs de l’économie - La Tribune N°129 Février 2016Soufyane Mokhtari a fondé Syner-G Environnement en 2012après avoir suivi le programme de formation Entrepreneurs dans la ville.
RUBRIQUE DE NOM EntreprendreENTREPRENEURIATLA SAGA CITÉN°129 Février 201R6EPORTAGE, MAÏTÉ DARNAULT/WE REPORT Acteurs de l’économie - La Tribune 49 © Catherine Cabrol
Entreprendre QUAND L’ENTREPRISE PREND SES QUARTIERS « Je ne suis pas venu chercher des banlieu- sards, mais des collaborateurs »Le chômage des jeunes issus des quartiers populaires. © Laurent Cerino / Acteurs de l’économieconstitue Les services de la direction régionaleaujourd’hui la des entreprises, de la concurrence, de la besoins et en créer de nouveaux, afin deligne de fracture consommation, du travail et de l’emploi s'assurer des débouchés croissants.la plus criante (Direccte) ont pour cela ciblé l’intégralitéentre la d’une classe d’âge de diplômés bac+4 et FORCER LES RENCONTRESjeunesse des bac+5 n’ayant pas encore trouvé d’emploi, « La diversité crée la performance dans lazones urbaines toutes spécialités confondues. dynamique de l'emploi, acquiesce Laurentsensibles (ZUS) Leur point commun : habiter à Vénissieux, Fiard, président du Medef Lyon-Rhône.et celle du reste Villeurbanne, Vaulx-en-Velin, Saint-Fons, Si les jeunes de banlieue ont une envie, unedu territoire Saint-Priest, Meyzieu, Tarare, Belleville, passion, il faut leur prouver que tout n'est pasfrançais. Villefranche ou dans le 8e ou le 9e arron- si compliqué. Aujourd'hui, il est plus facile de dissement de Lyon. Autant de zones devenir entrepreneur que footballeur ou chan-Selon la dernière étude de l’Observatoire « chaudes » où malgré des études supé- teur ! » Et pour que cela le soit davantagenational des ZUS (Onzus), le taux de chô- rieures, il s’avère plus compliqué d’être encore, nombre d'acteurs œuvrent sur lemage chez les 15-24 ans y atteignait 42,1 % recruté ou de développer un réseau pro- terrain au quotidien ; ainsi les missionsen 2013, contre 23,9 % dans les autres fessionnel. Sous les ors de la République, locales, l'Adie (Association pour le droitquartiers – quand la moyenne nationale, une centaine de jeunes diplômés a pu à l'initiative économique), qui promeuttous âges confondus, avoisine les 10 %. À rencontrer autant de représentants de 65 le micro-crédit, Positiv Planet (ex-Planetl’origine de ce fossé, de faibles qualifica- entreprises, allant du mastodonte natio- Finance) et France Active, qui pratiquenttions. Plus du tiers des jeunes de banlieues nal (Total, La Poste…) à la PME et TPE la microfinance et l'inclusion financière, ou(39 %) ont un niveau inférieur au CAP- régionale. Nos quartiers ont du talent, dispositif d'ac-BEP. Seuls 18,6 % poursuivent leurs études compagnement vers l'emploi des jeunesau-delà du baccalauréat. Des chiffres RÉTICENCES CULTURELLES diplômés, né suite aux émeutes de 2005.symétriquement inverses aux statistiques En parallèle d’ateliers classiques (rédac- Tous salueront sans doute l'initiative de lanationales. Conséquence : le lien distendu, tion et valorisation d’un CV, guichet des préfecture du Rhône, amenée à se repro-voire inexistant, que ces jeunes établissent services publics de l'emploi, speed-dating duire compte tenu de son succès d'estimeavec le marché de l’emploi. avec des patrons), un stand est finalement – il faudra plusieurs mois, voire plusieursPourtant, nombre de politiques, d’acteurs devenu obligatoire pour certains parti- années, pour en tirer un bilan concret.économiques et culturels n’ont de cesse de cipants : celui dédié à l'entrepreneuriat. Pour autant, elle ne s'adresse qu'à unelouer le vivier potentiel que représentent « Seuls sept jeunes sur la centaine s'y étaient minorité. Afin de toucher la majorité desces territoires en difficulté. Alors com- inscrits d'eux-mêmes, explique Laurent jeunes de banlieue, « forcer le destin » dement mettre à l’étrier le pied de ceux qui Badiou, directeur adjoint de la Direcctene sont pas nés à la bonne adresse ? Le Rhône-Alpes. Alors nous avons imposé à N°129 Février 201616 décembre 2015, la préfecture du Rhône 60 % d'entre eux d'être présents à cette table.organisait « Démarrez votre carrière », Nous avons forcé le destin, et nous avons euun événement pilote en matière d’emploi des retours très positifs. » Pourquoi ces réti- cences ? Les raisons seraient culturelles,50 Acteurs de l’économie - La Tribune estime Pascal Bodin, directeur de la Dir- recte Rhône-Alpes : « La France n'est pas un pays d'entrepreneurs, c'est un pays de salariés. Mais on s'aperçoit que cela peut fonctionner si une démarche d’accompagnement est mise en place. » C’est à l’initiative du Medef que cet atelier a vu le jour. Car au-delà de la reconnaissance de ces jeunes et de leur « courage, quasi non-conformiste, de suivre des études », souligne Xavier Inglebert, préfet délégué à l'égalité des chances du Rhône, ces parcours sont aussi la promesse de nouveaux marchés pour le patronat : « Nous sommes soucieux de voir la population de nos entreprises refléter l'intégralité de la société, estimait ce jour-là Denis Olivennes, président de Lagardère Active. Nous devons être en résonance avec la société pour traiter ses aspirations. » C'est-à-dire répondre à ses
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