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Acteurs de l'économie No 128

Published by AGEFI, 2015-11-25 11:04:07

Description: Novembre 2015

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ARuhvôenreg-nAelpes acteursdeleconomie.com Auvergne Suisse Rhône-Alpes   LES SAVOIES ÉCARTELÉES BERTRAND PICCARD croit aux VILLES GRANDES ET PROPRES L 16956 - 128 - F: 9,50 - RD ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR EN SAVOIE ET HAUTE-SAVOIE : Décembre 2015 9,50 euros LE BOND EN AVANT René Nantua « L’ATTRACTIVITÉ DE GENÈVE s’étend jusqu’à la SAVOIE »

PARLONS-ENMAINDTÈESNANTDÉFISCALISATIONPDAÈSRMLAOINNTSEN-AENNT (n.f) :MOYEN D’ALLÉGER VOS IMPÔTS.PRlhaôcnePMemAAAeRIlnLNpDOteTsÈNsESf,SNinn-AEaoNNnuTcsiearvso,ninsvdeesstisssoelumtieonntsspimoumr roébdiluieirres.vÀoslaimCapiôstsse. d’EpargnePMAARILNOTNENSA-ENNT PARLONS-EN MAINDTÈESNANT Rendez-vous sur : www.gestionprivee.caisse-epargne.frCaisse d’Epargne et de Prévoyance de Rhône Alpes - Banque coopérative régie par les articles L512-85 et suivants du code monétaire et financier - Société anonyme à directoire et conseil d’orientationet de surveillance - Capital de 1 000 000 000 euros - 42, boulevard Eugène Deruelle 69003 Lyon - 384 006 029 RCS Lyon - Intermédiaire d’assurance, immatriculé à l’ORIAS sous le n°07 004 760.

ENTRÉE EN MATIÈRE, ENTRÉE EN MATIÈRE Dialoguer CYNTHIA FLEURY Acteurs de l’économie - La Tribune 3‘‘L’économie, l’obligation de faire du profit, n’ont nullement le monopole de l’action d’entreprendre. Entreprennent tous ceux qui s’engagent dans la transformation du monde commun, ceux qui inventent et expérimentent d’autres manières de penser et de faire. Ceux qui participent de l’« émergence », définissent les nouvelles légitimités et construisent de « l’issue ». Chris Anderson les a nommés « les makers », leur champ d’action est politique, artistique, social, économique, civique. Par exemple, inventer des « temps citoyens » dans les entreprises ou les organisations publiques, pour libérer ce temps propre de l’homme où celui-ci apprend sa citoyenneté et consolide, grâce aux outils modernes a érents, la souveraineté démocratique. Autrement dit, faire de ce temps de travail financé la modélisation économique d’un autre temps d’apprentissage et de formation continue de la citoyenneté. Voilà une belle entreprise, réalisée notamment grâce à d’autres entreprises. Autre exemple : Larry Lessig, professeur de droit à Harvard, spécialiste des questions constitutionnelle et de la propriété intellectuelle, co-inventeur des creative commons ; il est symptomatique de ces nouveaux profils qui refondent la citoyenneté et la politique à partir du monde civil et de compétences disciplinaires fortes, en l’occurrence ici celles qui renvoient à la régulation et à la protection de la neutralité de l’internet. Lessig est en ce moment même, en campagne pour les primaires américaines, ouvrant ainsi le chemin pour d’autres, si ce n’est pour lui-même, vers la Maison Blanche. Il y a 15 ans, Muhammad Yunus, fondateur en 1983 de la Grameen Bank, faisait lui aussi un chemin spécifique, réinventant et la notion d’entreprise, et la manière de faire de la politique, en inaugurant ses premiers « Solar Home Systems » au Bangladesh dans le but d’électrifier grâce au solaire des villages entiers. Tous les chemins – qu’ils relèvent du social business, de l’université, du monde associatif, des sciences humaines et sociales en règle générale – mènent désormais au cœur de métier de l’innovation à savoir l’invention démocratique. La voie de l’entreprise n’exclut nullement l’intérêt général, au contraire, elle permet d’entrelacer les destinées individuelles et collectives, sans se substituer à la politique plus traditionnelle, mais en soumettant cette dernière à une nouvelle obligation’’d’e cacité et d’exigence innovatrice. Cynthia Fleury, Philosophe, psychanalyste, auteur de Les Irremplaçables, Gallimard 2015 N°128 Décembre 2015

Dialoguer RUBRIQUE DE NOM ISABELLE AUTISSIER “ Si nous ne faisons rien, le camp des gagnants deviendra celui des perdants ” ENTRETIEN, DENIS LAFAY PHOTOGRAPHIES, HAMILTON / RÉA4 Acteurs de l’économie - La Tribune N°128 Décembre 2015

RUBRIQUE DE NOM DialoguerElle fut la premièrefemme à accomplirle tour du monde à lavoile en solitaire, elle estune romancière réputée –Soudain, seuls (Stock) figuraitdans la sélection o cielle duPrix Goncourt 2015 –, et ellepréside WWF France. Trois typesd’aventure entrepreneuriale a prioriimperméables, en réalité confonduesdans un même dessein : promouvoirl’humanité utile et altruiste capable deréconcilier l’Homme avec une nature queson endoctrinement productiviste, sa fatuité,son arrogance, son mépris, et sa cécité face auxréalités climatiques, sociales, économiques de laplanète, mettent en péril. Pour cela, et au seuil d’uneCOP21 que sa parole éclaire, Isabelle Autissier exhorteà investiguer « l’essentiel : rencontrer son histoire ». Età faire preuve « d’imagination », à la fois pour « regarder droitdans les yeux » les conséquences de nos actes et pour modelerun avenir « autrement ». « On n’a plus le choix : il fauty aller ! »N°128 Décembre 2015 Acteurs de l’économie - La Tribune 5 © MaxPPP

Dialoguer ISABELLE AUTISSIERntreprendre un roman, entreprendre Peu d’actes invitent autant que celui d’en- « À s’éloigner sansune course autour du monde à la voile, treprendre à creuser, à secouer au plus cesse des réalités deentreprendre pour défendre la sanc- profond de soi. Cette exploration la plus la nature à laquelletuarisation de la nature  : ce verbe indicible de votre intimité intellectuelle, on doit tout,entreprendre revêt-il un seul et même émotionnelle et même physique, est-ce on se place danssens  ? Qu’est-ce qui universalise et dans la bataille des mots ou dans celle des l’incapacité desingularise ses expressions ? vents que vous l’éprouvez le plus densé- savoir composerEntreprendre, c’est choisir sa vie, c’est ment  ? L’écriture détient-elle, chez vous, avec elle »impliquer sa vie, c’est décider de la consis- les mêmes vertus réparatrices et « réhu-tance et du sens de sa vie. Dans cette manisatrices » que celles que lui destinent confiance occupe-t-elle des rôles,optique, nous utilisons tout ce qui « fait » Louise et Ludovic, les deux personnages emprunte-t-elle des manifestations,notre existence  : un héritage, une éduca- de votre roman Soudain, seuls  : « Procurer subit-elle des attaques de même nature ?tion, une histoire personnelle, des centres un bien fou  : celui d’o rir à nouveau une L’importance de la confiance en soi dansd’intérêt, un environnement affectif, et histoire, rapprocher d’une vie normale et la manière dont on conduit son existencede ce substrat naît puis se construit l’ac- civilisée » ? et a fortiori dont on entreprend n’a pastion d’entreprendre. Dès lors, les logiques Ce qui déclenche la volonté d’entreprendre d’équivalent. Je la place en tête des atoutsentrepreneuriales qui nourrissent mon – quelle qu’en soit la forme – demeure lorsqu’on la possède, en tête des manquesengagement dans ces trois domaines sont mystérieux, souvent résulte de rencontres lorsqu’elle fait défaut. J’ai la chance, infinieparfaitement identiques et convergent vers – avec des femmes et des hommes, des et malheureusement peu courante, qu’elleun même dessein  : la projection dans le idées et des événements, d’extraordinaires m’escorte à chaque instant, elle est omni-futur de ce que je suis personnellement, paysages ou de simples circonstances – et présente dans ma vie, c’est grâce à elle quela manière dont j’abonde à la construction parfois même d’échecs. C’est un processus j’ai pu prendre conscience de mes capa-de notre devenir commun, humain et ter- assez profond et parfois fulgurant. Quand cités à entreprendre, c’est-à-dire à pou-restre, ce que je porte comme capacités j’avais dix ans, j’ai pour la première fois voir réaliser ce qui trop souvent demeurepersonnelles. rêvé que, plus grande, je serais naviga- confiné dans le seul vœu. trice et accomplirais le tour du monde. On ne se projette pas avec envie dans l’ave-6 Acteurs de l’économie - La Tribune Ce type d’idée germe puis se développe nir si l’on ne pense pas que l’on peut et en une «  espèce  » d’envie intérieure, de surtout que l’on va réussir. Réussir ou plus pulsion interne, que l’on décide de maté- exactement «  arriver quelque part  », car rialiser dans le champ du possible. C’est l’issue du cheminement peut être distincte là qu’entreprendre prend toute sa dimen- voire éloignée de l’objectif originel. C’est la sion et devient réalité, permettant de confiance en soi qui apporte la certitude rendre concret ce qui relève d’une moti- que ce « quelque part » pourra être accom- vation vitale. Dans un second temps inter- plissement et même joie. C’est elle qui viennent les paramètres « raisonnables » : permet également d’examiner un échec que viens-je y chercher et que vais-je y avec clairvoyance et d’en tirer les ensei- trouver  ? Ai-je les compétences pour ce gnements grâce auxquels on redimen- projet  ? Quels sont les risques pour moi sionne le dessein initial vers une nouvelle et pour les autres  ? Quel apprentissage aventure. Mon actuel voilier d’expédition dois-je suivre pour combler mes lacunes ? est le résultat d’un premier projet conduit Autant d’interrogations synonymes de sans succès pendant deux années, au cours retours introspectifs sur soi. Leur résolution desquelles j’ai tant discuté avec d’autres, j’ai – qui doit s’interdire toute complaisance, tant appris des autres, que j’ai pu donner toute mansuétude, toute illusion – per- une nouvelle orientation à ce projet initial. met de mettre en perspective puis d’ajus- ter les différents « niveaux » : exigence et N°128 Décembre 2015 motivation imposées d’une part et plaisirs, émotions, sens recherchés, d’autre part. Cette mise à l’épreuve est capitale dans le processus entrepreneurial et dans la trans- formation du rêve en projet. Elle néces- site pragmatisme et honnêteté vis-à-vis de soi. L’entourage peut jouer un rôle essen- tiel ; parce que l’on a confiance dans nos proches, leurs analyses, leurs exhortations, leurs avertissements font sens et aident à la prise de décision. Confiance  : votre héroïne a été élevée dans la défiance, par la faute de laquelle la résignation et même la «  lâcheté de renoncer à ses idéaux  » l’ont innervée. La confiance en soi constitue bel et bien le ciment de toute vocation entrepre- neuriale... Selon vos aventures, cette

ISABELLE AUTISSIER DialoguerLe rebond fait en e et pleinement partie « Sur un bateau, folles et les plus inaccessibles. Mes mains,de l’acte d’entreprendre, y compris dans je porte le rêve mon corps, ma détermination exaucentses attributs résilients. Mais «  rebon- des autres, mes un rêve par procuration. Cette dimension,dir ! », écrivez-vous, c’est aussi « l’un des mains, mon corps, cette responsabilité peut-on même dire,maîtres-mots de notre époque débousso- ma détermination participent de manière fondamentale àlée : rebondir après un divorce, malgré le exaucent par l’accomplissement du projet individuel.chômage, la maladie  ». Et vous anathé- procuration Elles l’enrichissent d’un sens et d’une uti-matisez ces « exemples de gens ayant une leurs aspirations lité au-delà de moi-même.foi quasi mystique dans leur avenir, phénix les plus folles.modernes se réinventant un travail et une Je suis donc aussi Les « mondes » de la mer et de l’écritureplace sociale  ». Jugez-vous la faculté de un être social » figurent parmi les plus étrangers à cerebondir exagérément sacralisée, dans qui compose la «  civilisation  »  ; présiderune société et sous un diktat médiatique vulnérabilités les plus insidieuses et par- WWF France, c’est-à-dire exercer une« en besoin » viscéral d’héroïser ? fois mortifères, participent, aux côtés des responsabilité politique et accomplir unAbsolument. Savoir rebondir est essentiel. émotions les plus extatiques, à « la double devoir citoyen, était-il nécessaire pourEt même capital. Mais la société commet aventure entrepreneuriale » de la naviga- rééquilibrer votre existence en faveurl’erreur de (faire) croire que tout le monde trice et de l’écrivain. Sont-elles stricte- d’un altruisme qui par nature fait défaut àpossède cette disposition. Ou même, pire, ment identiques ? l’extrême introspection, au singulier égo-que tout le monde doit impérativement Pas tout à fait. Le cœur et l’énergie inves- tisme caractéristiques des deux premiersla posséder, sous peine sinon d’être tenu tis sont comparables, l’envie d’accomplir combats ?pour responsable de sa tétanie ou de son est similaire, et certains effets espérés sont Mes aventures de marin résultent a prioriimpuissance face à l’échec. Le facteur de analogues : l’amour-propre, la représenta- d’une démarche strictement personnelle ;rebond le plus déterminant est, là encore, tion que l’on a de soi-même, mais aussi la mais la manière dont le grand public lesla confiance en soi. Mais celle-ci n’est pas place que l’on occupe dans le corps social partage, les soutient, se les approprie,innée, elle ne surgit pas, spontanément et et/ou que ce dernier vous reconnaît. Ce s’en enthousiasme, fait de moi, que je lemiraculeusement, à 20, 30 ou 40 ans. Elle qui les distingue est de deux ordres  : le veuille ou non, un être social. La naviga-est fécondée, prend racine et prospère dès premier – et ce n’est pas neutre ! –, c’est la trice Isabelle Autissier seule au milieu dele plus jeune âge. J’ai eu la chance, extraor- possibilité, pour la navigatrice, de mourir. l’océan exerce alors un rôle dans la sociétédinaire, d’avoir été élevée dans la culture Écrire n’expose pas à perdre la vie… Le et donc une responsabilité vis-à-vis du col-de cette confiance en moi. Jamais on ne second lie l’acte d’entreprendre à la per- lectif. Mes aventures d’écrivain épousentm’a dit : « Tu ne vas pas y arriver. » J’ai donc ception que s’en font les autres. Tout le une logique assez comparable. À l’in-été armée de cet élément déterminant à monde n’aspire pas à être dans l’aventure de verse, ma présidence d’une ONG commel’accomplissement de l’existence. Est-ce l’écriture, mais tout le monde (ou presque) WWF a priori me place totalement dansnaturel, est-ce fréquent, est-ce commun à est fasciné par l’aventure de la mer. Sur un la réalité du corps social et fait donc detous ? Non, bien sûr. Combien de gens ont bateau bien plus qu’à mon bureau, j’ai moi un être social. La réalité est, là aussi,grandi dans l’excès d’anticipation, de coer- conscience que mon aventure porte le rêve davantage nuancée. Car cette responsabilitécition, d’angoisses, de prévenances qui les des autres. « Vous nous faites rêver. Merci ! » : collective nourrit tout mon être, l’enrichita fragilisés, complexés et a étouffé leurs combien de fois ai-je entendu cette décla- de connaissances, de rencontres, d’enjeuxfacultés de se redresser après l’échec ? ration, qui s’applique bien plus à ma car- et de décisions à prendre grâce auxquelsLa société n’a pas le droit de culpabiliser rière de navigatrice qu’à celle d’écrivain. je continue de me construire. Bref, leset de marginaliser ceux qui ne sont pas Aux yeux de ce public, je suis une sorte de réalités introspectives et sociales de mes«  équipés  » de la confiance suffisante. médiateur de ses rêves, je symbolise ses différents engagements sont davantageAu contraire même  : cette société qui propres espérances, ses aspirations les plus poreuses qu’imperméables.malmène, déstabilise, précarise commejamais, a la responsabilité d’enseigner au La reconnaissance de vos exploits deplus grand nombre les moyens de faire face navigatrice, c’est «  quasiment  » – uneà l’échec et en premier lieu la confiance en course même en solitaire résulte certessoi. Cela devrait commencer dès l’école, «  aussi  » d’un travail collectif – à vouspar l’emploi de méthodes pédagogiques et seule que vous la devez  ; celle de votred’approches humaines qui galvanisent les talent d’écrivain, ce sont les autres –potentialités de chaque enfant plutôt que lecteurs, critiques, jurés de Prix – qui lade toujours comparer, hiérarchiser, mettre conditionnent. Cela modifie-t-il le chemi-en concurrence et donc affaiblir les plus nement entrepreneurial ?vulnérables. En chacun dorment de formi- Je ne pense pas. La reconnaissance, quelledables trésors et capacités qui n’attendent qu’en soit l’origine, est vertueuse pourqu’un peu de confiance pour s’exprimer. l’individu, en premier lieu pour l’ego… et aussi parfois pour le porte-monnaie ! ÊtreLa mise à nu personnelle, l’exposition au femme, navigatrice en solitaire et autourvide, aux brèches les plus profondes, aux du monde, sécrète une reconnaissance particulière. Il y a un siècle en France,N°128 Décembre 2015 on m’aurait sans doute prise pour folle et aujourd’hui encore dans des pays aussi rigoristes que l’Arabie saoudite une telle émancipation serait insupportable. A mon très humble niveau, j’ai l’impression de Acteurs de l’économie - La Tribune 7

Dialoguer ISABELLE AUTISSIER « La société fait symptomatique de la vulnérabilité et de l’erreur de (faire) la petitesse humaines face à la nature. Nulcontribuer à construire mon époque, de croire que tout le doute que leurs grands-parents s’y seraientparticiper à un «  moment  » de la société monde possède la davantage adaptés. Ils en étaient moinscontemporaine, laquelle – et c’est ma faculté de rebondir. éloignés.chance – magnifie le sport extrême et le Et pire : doit la L’Homme ignore ou oublie une vérité  : ilhéros solitaire. Pour autant, il faut relativi- posséder, sous est une singularité absolue dans l’univers,ser cet enthousiasme de la société. A moi car la planète Terre est elle-même une sin-de me concentrer sur ce qui forme l’essen- peine sinon gularité physique extraordinaire. À forcetiel et qui est très éloigné des lumières de d’être tenu pour de banaliser son existence sur la planète,la médiatisation. Cet essentiel, c’est rencon- l’Homme en néglige les enjeux. Or rientrer mon histoire, même si pour cela il faut responsable n’est jamais définitivement conquis. Laemprunter des chemins de traverse. de sa tétanie vie humaine n’a pas de caractère obliga- face à l’échec » toire. Et l’Homme se met en grand dangerQu’est-ce qui, justement, est, pour vous, lorsque, comme c’est le cas dorénavant, il«  essentiel  »  ? Dans votre roman, la soli- se perçoit comme quasi immortel, au-des-tude couplée à la nudité matérielle sus de la sphère du vivant, et si puissantsemblent constituer l’un des derniers qu’il trouvera toujours la riposte aux mauxremparts à la futilité, à l’immédiateté, à qu’il génère.l’inconsistance de la société contem- L’allégorie du progrès est d’ailleurs omni-poraine, elles sont un refuge, désormais présente dans l’ouvrage. Ce que l’Hommerare, pour l’authenticité de soi, elles sont a accumulé de conquêtes technologiquesl’espace unique d’où on cultive le cou- et communicationnelles, de proliférationrage d’être soi avec soi, soi face à soi, des échanges et d’instantanéisation duelles sont une ode à la sobriété chère à temps, il l’a perdu dans l’évanouissementl’agroécologue Pierre Rabhi. Louise et des savoirs, notamment manuels, les plusLudovic redeviennent des êtres primitifs modestes mais aussi les plus précieux.qui doivent leur existence la plus pré- Tout progrès fait avancer, mais aussi peutcaire, leur survie à l’abondance animale faire vaciller, peut s’appliquer inégale-et végétale. Ils sont simples animaux au ment et profiter injustement, et mêmemilieu des animaux, ramenés à leurs ins- peut détruire. Quelle est votre définitiontincts les plus triviaux : boire et se nourrir. du « bon » progrès ?«  Les bienfaits de la civilisation dévelop- Le « bon » progrès est celui qui respecte lapée les ont coupés de la compréhension liberté des individus de se l’approprier oumillénaire de la nature, de ces connais- d’y renoncer. Le « bon » progrès ne s’im-sances ancestrales qui permettaient aux pose pas, il ne doit être qu’une opportu-hommes de vivre de rien. La sophistication nité, une alternative que chaque individuleur a fait gagner confort et longévité maisleur a fait oublier quelques fondamentaux « Je place lade la vie  », écrivez-vous à propos d’eux. confiance en soiL’Homme a-t-il définitivement oublié qu’il en tête de tousdoit tout à ce qu’il est en train d’anéantir ? les attributs deLe dépouillement matériel et le retour à l’entrepreneuriat.l’essentiel doivent-ils être réhabilités pour Grâce à elle,que l’humanité restaure la hiérarchie de on sait que l’onses priorités ? peut et surtoutCe roman montre comment l’obligation de va réussir, ouvivre avec le «  très peu  » et sans aucun plutôt atteindredes artifices ni aucune des béquilles qui un « quelque part »nous accompagnent au quotidien, per- qui seramet de revenir à son individualité la plus accomplissement. »authentique. Une immense majorité denotre temps est d’ordinaire consacrée à N°128 Décembre 2015des tâches non fondamentales. Cette fic-tion rappelle qu’être ramené à exercer lefondamental de l’existence est un puissantrévélateur. Elle a aussi pour vocation d’in-terroger les lecteurs sur leur rapport à lanature et sur la hiérarchie des fondamen-taux. À s’éloigner sans cesse des réalitésde cette nature à laquelle on doit pour-tant tout, on se place dans l’incapacité desavoir composer avec elle. La parabole deces deux héros, propulsés du 15e arrondis-sement parisien et d’une société qui pensetout maîtriser sur une île où ils doiventapprendre à vivre par eux-mêmes, est8 Acteurs de l’économie - La Tribune

ISABELLE AUTISSIER Dialoguer « Le « bon » progrès ne s’impose pas, contemporaine est celle de la concentra- il ne doit être qu’une opportunité et tion et de la standardisation pour à la fois contenter et contrôler le plus grand nombrenon une obligation, il respecte la liberté de consommateurs. Cette mécanique de de se l’approprier ou d’y renoncer » l’uniformisation engendre celle de la néga- tion des aspérités et des singularités, mais« Etre femme, navigatrice en solitaire et autour du monde : © Thierry Dudoit / Express-Réa aussi la contraction des champs de liberté,il y a un siècle en France, on m’aurait prise pour folle, et de décision et de responsabilité indivi-aujourd’hui encore dans des pays rigoristes comme l’Arabie duelle. Les technologies nous «  situent  »saoudite une telle émancipation serait insupportable. » instantanément, géographiquement, dans(ici dans un centre commercial de Ryad). nos comportements, dans nos aspira- tions de consommateurs Elles affectenta la liberté d’embrasser ou d’éconduire. qu’induit le progrès sont nombreuses et en retour l’être humain, et en premier lieuLe «  bon  » progrès sanctuarise donc le parfois capitales. A toutes nous ne sommes l’appauvrissent. Big Brother est de moins enlibre-arbitre de chacun et son droit de pas capables d’apporter des réponses. Mais moins une lointaine chimère.«  faire autrement  ». En d’autres termes, toutes doivent être posées.il est une possibilité, il n’est pas une «  Liberté, sécurité, responsabilité consti-obligation. «  Soudain, seuls  » interroge en e et, à tuent les trois pointes d’un impos-Et puis, le «  bon  » progrès se distingue bien des égards, l’état de la civilisation sible triangle  », écrivez-vous d’ailleurs.des autres progrès par sa préoccupation, et de la société contemporaines. Et en Qu’est-ce qui les rend conflictuels  ? Defondamentale, de «  sens  ». En effet, tout premier lieu la solitude, c’est-à-dire le ces trois items, lequel vous apparaît leprogrès marque une différence par rapport simple droit de la vivre dans un environ- plus défaillant ou le plus en péril dans laau moment présent. Il n’est pas possible nement de l’hyper-connexion, de l’hy- société contemporaine ?de disjoindre sa réalisation d’interroga- per-contrôle, de l’hyper-dépendance qui En tête, je place la liberté. Ces flux mar-tions universelles  : dans quel sens nous de plus en plus le conteste, de moins en chands et standardisés ont peut-être per-engage-t-il  ? De quel sens se drape-t-il  ? moins le tolère. Ce droit est-il en danger ? mis de sustenter l’essentiel des besoinsEst-il nécessaire et utile, et pour qui  ? Indiscutablement. La cohabitation de sept matériels. Mais aujourd’hui, la société estQuels profits les individus et la collecti- milliards d’individus n’est pas simple. passée à un second stade d’exigence  : lavité peuvent-ils en attendre  ? Ces profits Nous sommes face à une double réalité. sécurité. Sécurité de tout et pour tout. Auservent-ils équitablement l’ensemble des D’un côté, l’explosion des échanges – point que la relation individuelle au risqueêtres – humains, végétaux, animaux – commerciaux, économiques, financiers, évolue…qui composent le vivant ? Ce qu’il mobi- technologiques, etc. – entraîne des fluxlise matériellement et humainement est-il de toutes sortes – des gens, des idéologies, … Relation individuelle au risque, maissupportable  ? Ses répercussions sont- des actes, etc. De l’autre, l’hégémonie du aussi considération collective pour leelles acceptables, aujourd’hui et pour les système marchand et des organisations risque et regard de la société dans songénérations ultérieures  ? À quel type de sociales qu’il génère individualise les ensemble sur un risque de plus en plussociété nous prépare-t-il ? Favorise-t-il un gens dans leur peau consumériste et jugé irresponsable et dérangeant…meilleur vivre-ensemble  ? Les questions les uniformise. L’histoire de l’industrie Si j’admets de ne pas subir les consé- quences de ma prise de risque, quelN°128 Décembre 2015 en sera le prix  ? Celui d’une édification massive de garde-fous, de barrières, de lois, d’interdictions de toutes sortes pour essayer de garantir que mes actes s’in- sèreront dans un cadre extrêmement sécurisant mais aussi, dans les mêmes proportions, contrôlé et corseté. Au nom d’une demande sociale, la société dicte les limites du risque acceptable, et donc contracte aussi dangereusement qu’im- perceptiblement le champ des libertés et de responsabilités. Sur mon bateau, je considère qu’il m’appartient de porter le bon jugement sur telle ou telle situation et d’en assumer les conséquences. Au lieu de quoi, aujourd’hui, on va m’imposer des contraintes pour ma propre sécurité, des zones à éviter ou des assurances à contrac- ter. C’est antinomique de ce qui me fait aller en mer. Risque et principe de précaution sont deux concepts indivisibles. Navigatrice et présidente de WWF France, vous êtes confrontée de manière antagonique au principe de précaution. La première doit Acteurs de l’économie - La Tribune 9

Dialoguer ISABELLE AUTISSIERen mesurer la perversité, la seconde en dans une communauté d’intouchables en crises. La filiation entre crise écologiquegoûter les vertus. Mais ce principe de Inde ; chaque aventure est respectable et d’une part, crises sociales, économiques,précaution, qui ramifie partout dans participe à se rendre un peu plus loin au financières et humaines d’autre part, ala société et contamine les comporte- fond de soi, là où se nichent nos trésors. débuté depuis bien longtemps. Elle s’ac-ments dans l’ensemble des organisations, célère. Cette filiation connait des manifes-n’est-il pas bien davantage le persécuteur Devant l’ONU le 25 septembre 2015, le tations multiples, des concrétisations sansque le protecteur des verbes oser, inno- pape François, déjà auteur de la fameuse fin et insolubles. Ici, des pêcheurs que laver, entreprendre ? encyclique Laudato si consacrée au raréfaction des poissons oblige à quitterLe principe de précaution n’anémie pas la thème, l’a réa rmé : « La crise écologique la mer pour s’installer dans les grandescapacité à prendre des risques : il restreint peut mettre en péril la survie même de villes, y entretenir chômage et pauvreté,la possibilité d’en faire prendre à ceux qui l’humanité ». Vous êtes agnostique, mais frustration et dépit, in fine colère et dés-n’en connaissent pas les manifestations et souscrivez-vous toutefois à la conviction tabilisation politique  ; là, des familles deles conséquences. C’est donc un progrès que la cause environnementale n’a pas de paysans chassées de leur terre ancestraletrès important. Le principe de précaution salut sans préoccupation et sans appro- par des chantiers de déforestation oupermet de délimiter les prises de risque priation spirituelles ? d’urbanisation et sommées d’envoyer lesindividuelles et collectives, de distinguer L’enjeu est en premier lieu extrêmement hommes dans des pays plus riches pourcelles que l’on prend seulement pour soi matériel et factuel  : le réchauffement espérer rapporter d’indigentes activités deet celles qu’on impose, malgré eux, aux climatique, c’est un dérèglement physi- quoi nourrir femme et enfants emmurésautres. Lorsque je navigue en solitaire, j’ai co-chimique qui met en péril l’existence dans leur village, désormais inactifs etle droit de prendre les risques que je veux ; même des êtres vivants, ce n’est pas psy- affaiblis par l’exil de l’époux et du père…si un équipage m’accompagne, ce champ chologie et religion. La solution n’est pasdes risques n’est plus le même. transcendance et spiritualité, elle est, de Le tournant du livre intervient lorsque Louise quitte, ou plutôt abandonne, ou« A 20 ans, j’étais révolutionnaire ; plutôt fuit Ludovic, devenu un obstacle àla sagesse m’a enseigné qu’on est autant sa survivance. La fuite pour se sauver est-utile à combattre avec les armes elle légitime ? Sur mer et sur papier, avez-disponibles qu’à consacrer une existence vous fuit ? Et finalement, ce que l’Hommeà rêver d’armes qui ne verront pas le jour » produit d’irresponsable, de délétère, d’égoïsme et de court-termisme sur saLes opportunités d’aventure, de ces manière basique, dans les actes concrets propre planète, ne signifie-t-il pas en«  vraies aventures qui vous révèlent à mis en œuvre pour le juguler. Pour autant, premier lieu qu’il fuit sa propre finitude ?vous-même », se restreignent sur la pla- une approche philosophique – et pour- À vouloir « se garder soi-même avant denète au fur et à mesure que l’Homme quoi pas religieuse – du sujet n’est pas protéger les autres, ce qui est le sens de lal’occupe et la contrôle. Dictent-elles un inutile pour favoriser le processus déclen- vie », c’est au suicide que l’on se prépare…mouvement collatéral de contraction cheur desdits actes. Car elle peut inter- L’éloge de la fuite, avait écrit le chirurgiende «  l’aventure au fond de soi-même  », roger la responsabilité dont l’Homme se et neurobiologiste Henri Laborit… Oui, lac’est-à-dire d’une peur de se révéler sent investi en tant qu’être pensant par fuite peut être légitime, lorsqu’elle corres-à soi-même et concomitamment d’un rapport au reste de la création, et, particu- pond à un réflexe vis-à-vis d’un danger oulent appauvrissement de notre huma- lièrement chez les croyants, les obligations d’une intention agressive qu’on ne maîtrisenité intrinsèque et donc de l’humanité morales et éthiques qu’il éprouve à l’égard pas, lorsqu’on est placé dans une situationcollective ? des autres êtres vivants. Considérer, par sans autre issue que de la quitter. M’est-ilLes domaines de l’aventure ne se exemple, la souffrance animale, c’est bien déjà arrivé de fuir ? Je n’ai pas de souvenirscontractent pas, mais ils changent de mettre en perspective philosophiquement liés à un processus vital. Peut-être ai-je eudimension. Découvrir l’Amérique fut le rapport d’un être vivant à un autre être la chance de ne pas me trouver confron-une aventure pour Christophe Colomb  ; vivant, c’est effectuer une construction tée à ces situations. En revanche, réguliè-«  caboter  » avec un bateau de plaisance intellectuelle et morale sur une réalité de rement j’ai pris la décision de renoncer.dans l’archipel des Antilles peut l’être, la planète. Renoncer et fuir ne reflètent pas exacte-500 ans plus tard, pour un jeune retraité. ment un même comportement, mais toutToute aventure est à la mesure de ce que Ce même pape estime que la crise éco- de même ne sont pas totalement étanchesl’on est, c’est-à-dire de ses convictions logique «  fait commun  » avec toutes les l’un de l’autre.humaines, de son éducation, de ses centres autres crises impliquant l’humanité, end’intérêts, de son expérience profession- premier lieu celles de la pauvreté et de «  La peur a détruit ce qu’elle [Louise,nelle ou de sa vie affective. Elle est le « pas l’exclusion. Ce raisonnement jésuite, qui NDLR] a de plus essentiel  : son huma-de plus », elle est le territoire de l’inconnu, exhorte à replacer l’Homme à sa place nité ». N’est-ce pas au contraire parce queelle est la zone d’inconfort voire de danger et l’égalité entre tous au sommet des nous n’avons plus su samment peur desque l’on est prêt à explorer. Mon aventure priorités, constitue-t-il une réponse répercussions de nos agissements quen’est pas celle de mon voisin. La mienne appropriée ? nous ne saisissons pas le mal et la dés-pourra me conduire au Cap Horn ou sur La crise écologique suscite et diligente humanité que nous infligeons à la planètedes sommets andins, celle de mon voisin effectivement un certain nombre d’autres vivante – humaine, animale, végétale ? La peur est davantage salvatrice que sclé-10 Acteurs de l’économie - La Tribune rosante, y compris lorsqu’on navigue, car elle conscientise et donc responsabilise… Ce n’est pas de peur dont nous manquons, mais d’imagination. Imagination pour sai- sir la portée réelle, concrète et irrévocable N°128 Décembre 2015

« L’Homme oublie une vérité : il est une singularité absolue dans ISABELLE AUTISSIER Dialoguerl’univers, la vie humaine n’a pas de caractère obligatoire.Et à se percevoir quasi immortel, si puissant des méfaits que nous imposons à notrequ’il trouvera toujours la riposte aux maux planète – et cela malgré les innombrablesqu’il génère, il se met en grand danger. » avertissements que nous adressent les rap- ports unanimes de la communauté scien-« L’Entreprise est à l’image des Hommes : tifique ou la multiplication des dramescapable du pire et du meilleur » perpétrés par les dysfonctionnements climatiques. Les répercussions de ces« Explosion des flux de toutes sortes, hégémonie du système dérèglements sur notre quotidien et notremarchand, individualisation et uniformisation des gens dans existence sont si considérables, sont telle-leur peau consumériste, contraction des champs de liberté, ment inenvisageables, qu’ils s’apparententde décision et de responsabilité, technologies qui nous à une fiction. Une majorité d’individus« situent » instantanément, géographiquement, et dans nos préfère esquiver cette confrontation à lacomportements : l’être humain est appauvri. Et Big Brother réalité. « C’est tellement énorme », pense-est de moins en moins une lointaine chimère. » t-on, qu’on choisit de contester les faits ou de fermer les yeux. Nous manquons aussiN°128 Décembre 2015 d’imagination pour envisager la société différemment, pour dessiner un avenir autrement sur la planète, pour sortir des schémas auxquels les mécanismes de la marchandisation et de la consommation nous ligotent. « Tant fut e cace l’œuvre de mort qu’elle eut raison de la vie ». Ainsi résumez-vous les actes de barbarie proférés par l’Homme sur l’île qui abrite le drame de votre roman. Des actes qui avaient pour objet d’anéantir de manière industrielle otaries, éléphants de mer et baleines destinés à la consommation occidentale. Cette phrase illustre, une fois accordée au présent, ce que l’Homme spéculateur, cupide, égoïste, prédateur est en train, sciemment, d’exécuter. Il s’expose à mou- rir de son omniscience et de sa fatuité, des sentiments de surpuissance et de domination sur la nature qu’il pense pos- séder et pouvoir exercer avec de moins en moins de retenue. Depuis le XIXe siècle, il est devenu dompteur de ce à quoi jusqu’alors il était sagement assujetti. Jusqu’à en devenir le massacreur, contre son propre intérêt et celui des généra- tions qui lui succéderont. L’Homme est victime et rend l’humanité martyre de cette même « confiance en lui », ici mor- tifère et pourtant si déterminante dans le processus de construction personnelle et d’esprit d’entreprendre… La confiance a, de tous temps, été une alliée de la civilisation. Elle a doté l’Homme de la capacité à s’adapter, à se réorienter, à se dresser face à des situations périlleuses. Elle lui a permis d’écrire des pages merveilleuses de l’his- toire de l’humanité. Mais le « moment » que nous traversons est effectivement celui d’un dépassement, plutôt même d’un outrepassement de confiance. De confiance mais aussi de cécité, de surdité et de lâcheté  : l’espèce humaine a déli- bérément éradiqué de la planète d’autres espèces vivantes. Voilà la réalité ; elle fait mal, mais elle est indiscutable. Et elle se poursuit inexorablement. Acteurs de l’économie - La Tribune 11

Dialoguer ISABELLE AUTISSIERLa cohorte des « perdants humains » de la la médiatisation dans ce qu’elle a de plus © Romain Degoul / Réasociété contemporaine ne cesse de grossir, intrusif, artificiel, spectaculaire, immé-celle des « autres perdants vivants » – ani- diat, narcissique, exhibitionniste et mer-  « La filiation entre crise écologique© Jean Luc Luyssen / Réamaux, végétaux, de l’eau, de l’air, des pay- cantile. Louise ne s’appartient plus, la d’une part, crises sociales, économiques,sages – est désormais si considérable que société s’ingère, s’impose à elle, finale- financières et humaines d’autre part,© Evandro Inetti / Zuma-Réatoutes deux menacent la pérennité même ment la viole. Cet environnement fait-il s’accélère. »de l’existence. Il est l’heure de comprendre que nous sommes de moins en moins pro-que le camp des gagnants peut devenir priétaires de nous-mêmes ?  « En France, les organisations politiquescelui des perdants, et donc de cesser de C’est une réalité : la globalisation de notre censées porter la cause écologique ontrecourir à cette sempiternelle « confiance » civilisation et les médias et autres réseaux échoué. Pour autant, ne déplaçons pascomme la solution universelle. À mesure sociaux font que nous nous appartenonsqu’elle se développe, la société humaine effectivement de moins en moins. Que l’on vers elles nos propres responsabilités »serait-elle de moins en moins vulnérable ? soit célèbre ou anonyme, que l’on rayonneCe paradigme dominant doit être com- sur la planète entière ou dans un micro- « La solution à la crise environnementalebattu, car c’est exactement l’inverse qui cosme. Cette réalité, j’y ai toujours été n’est pas transcendance et spiritualité,se produit sous nos yeux aveugles. Nous attentive. Je me suis efforcée de rester pro- elle est dans les actes concrets.restons fragiles. priétaire de moi-même, et j’ai notamment Une approche philosophique essayé de contrôler mes engagements et voire religieuse peut permettreÊtre en mer et en écriture exige de se sou- mes expositions médiatiques. Établir une toutefois d’interroger la responsabilitémettre docilement au rythme du temps distance, un sas de protection, est essentiel dont l’Homme se sent investiqui s’impose à soi. Placez-vous le dogme pour continuer de s’appartenir. en tant qu’être pensant par rapportde l’accélération effrénée, chaotique, au reste de la création, et,artificielle, inhumaine du temps en tête Réconcilier écologie et technologie n’est particulièrement chez les croyants,des dérives de la civilisation  ? Piloter un pas incompatible avec une appétence ses obligations morales et éthiques. »organisme comme WWF et combattre le technophile – comme vous l’avez d’ail-fléau environnemental ne vous place-t-il leurs démontré lors de la construction de N°128 Décembre 2015pas, a contrario, dans une « course contre vos bateaux. «  Science sans consciencela montre » ? n’est que ruine de l’âme  », considéraitDéfendre la cause climatique et environ- Rabelais. Ce qui fait obstacle à cettenementale est effectivement une course réconciliation tient à plusieurs facteurs.de vitesse. Chaque nouvelle étude scien- En premier lieu le système capitaliste quitifique, chaque événement soudain et dogmatise la marchandisation, y com-inédit démontrent qu’inverser la courbe pris donc de la nature, est une course auxdes dégradations planétaires n’est plus profits, et mythifie l’individualisme. Laune question de siècle ni même de décen- force de frappe des lobbys pour entravernies. Désormais, chaque année, chaque la transition énergétique en est une illus-jour comptent pour accomplir très vite tration. Ce capitalisme, le croyez-vousun changement de cap que l’on sait d’une intrinsèquement inconciliable avec l’ur-grande lenteur, d’une inertie mortifère. gence de sauver la planète ou susceptibleNous devons faire pivoter un cargo à la d’être corrigé ?vitesse d’un optimist… voilà la réalité. Je suis dans le système capitaliste, je n’aiL’accélération incontrôlée du temps – éco- pas d’autre choix puisque pour l’heurenomique, financier, technologique, etc. – aucune alternative n’a émergé. Présiderconstitue l’une des premières causes de WWF France, c’est accepter d’agir aula double crise écologique et humaine. sein dudit système, c’est composer avecLe temps de la nature n’est plus celui de des règles du jeu, parce qu’il y a urgencel’homme. Le temps a priori lointain des à agir. Toutes les initiatives – économieconséquences de nos actes déresponsabi- circulaire, économie sociale et solidaire,lise à court et moyen termes. Que pèsent agriculture et production raisonnées et40 000 ans de vie d’un déchet nucléaire bio, etc. – ne se substituent pas au modèledans nos consciences  ? Le temps de tout capitaliste  : elles aussi évoluent à l’inté-homme est en premier lieu celui de sa rieur, elles tentent avec plus ou moinspropre existence. Accepter d’autres tem- de réussite de l’assouplir et l’humaniser.poralités est déjà un effort. Mais en plus, C’est comme sur un bateau ; le vent peutle dogme productiviste – produire, vendre, être défavorable et la charge des nuagesconsommer de plus en plus et toujours plus inamicale, je ne peux pas m’y soustraire :vite – modifie l’espace-temps. Il détourne je dois « faire avec ». Je suis, par nature,nos énergies de « l’essentiel ». Le temps de pragmatique. Et je considère que lespenser et de faire se rétrécit alors que penser opportunités de faire progresser la causeune vision et faire une société harmonieuse environnementale à l’intérieur du systèmeexigerait au contraire de l’allonger. sont déjà conséquentes pour peser sur notre devenir. Et puis, n’est-ce pas enAu retour de ses pérégrinations qui l’ont œuvrant, en innovant, en bousculantfaite héroïne aux yeux du monde, Louise au sein du système via l’enjeu du climatdevient otage d’une société asservie à et de la biodiversité qu’on peut espérer12 Acteurs de l’économie - La Tribune

ISABELLE AUTISSIER Dialoguerréorienter l’ensemble peu à peu dans un son existence, son rôle dans la collectivité, omniprésente, riche de ses vertus et lestéesens plus heureux ? sa cohabitation avec la nature. L’Homme de ses travers. Et à la tête de WWF, je doisÀ 20 ans, j’étais révolutionnaire  ; aspire à être davantage un facteur de bien- agir avec cette présence ambivalente.aujourd’hui, la sagesse m’enseigne qu’on être, de progrès, de bonheur et de paix«  apprend à marcher en marchant  » et qu’un séide de la barbarie – même si l’his- «  L’écologie peut être joyeuse et inven-qu’on est autant utile à combattre avec les toire nous rappelle son ambivalence. Ce tive », estimez-vous. Mais aux commandesarmes disponibles qu’à consacrer une exis- moment que nous traversons lui en offre de WWF et à quelques encablures detence à rêver d’armes qui ne verront pas le la possibilité. Ne cédons pas aux seuls dis- COP21 (30 novembre – 11 décembrejour. On peut être dans le concret sans se cours dits catastrophistes – même s’ils sont à Paris), vous le savez pertinemment  :départir d’un idéal, mais épouser un idéal nécessaires pour placer chacun face à ses faire progresser concrètement la causene doit pas nous écarter du devoir d’être responsabilités – car l’accablement fige, environnementale exige un support, undans le concret et d’agir. sclérose, décourage. Regardons «  aussi  » porte-voix politiques qui vont assurer sa les espérances et les possibilités nouvelles légitimité. Or l’écologie politique – lézar-«  Le marin qui n’écoute pas son environ- qui nous feront « grandir ». Nous devons dée par une représentation partisanenement signe son arrêt de mort  », rap- mettre en scène ces deux stratégies simul- pathétique – n’est-elle pas devenuepelez-vous. Mais finalement, comment tanément  : le réalisme et le rêve. Peut- davantage un adversaire qu’un soutienpeut-on espérer que le commun des être alors l’Homme progressera-t-il dans de la cause écologique ?hommes écoute, regarde, considère, sa conscience et son respect de ce qu’au- Un support politique est indispensablerespecte la nature quand il peine tant à jourd’hui il défigure… N’oublions pas la pour que les États puissent s’approprierécouter, regarder, considérer, respecter grande nouvelle inhérente à la crise envi- l’enjeu, prendre les mesures adéquatessa propre communauté ? ronnementale : celle-ci est due à l’Homme, puis les répandre dans les strates de leurOn n’a plus le temps. Plus personne n’a le et donc sa résolution est entre les mains de organisation et de la nation. La questiontemps. Tout le monde semble vouloir miser l’Homme. environnementale a vocation à infusersur la jeune génération, censée être bien dans le champ politique. Y parvient-on endavantage sensibilisée. Mais outre qu’ils Le « scandale » Volkswagen en est emblé- France ? Les organisations politiques ditesdevront imposer leurs idéaux au système matique  : l’Entreprise, cible des militants écologiques ne sont jamais parvenues àet avoir la capacité à le faire changer, ces qui composent les rangs d’ONG comme émerger, au contraire de leurs consoeursenfants aujourd’hui âgés de six ou dix WWF, concentre les maux et les solutions allemandes. Cet échec, qui en premier lieuans ne seront aux manettes que bien trop de la problématique environnementale. est le leur, est un obstacle à la popularisa-tard. Beaucoup sera joué lorsqu’ils seront Sur cette «  Entreprise  », coupable de tion et surtout à l’entrée de la cause envi-quadragénaires. tromperies inouïes mais aussi productrice ronnementale dans le champ politique. LeLa clé réside dans la représentation que d’expérimentations audacieuses et ver- rayonnement d’une formation politiquel’Homme se fait de lui-même et de son tueuses, quel regard portez-vous ? solide, organisée, performante, aurait accé-espèce. Il ne doit pas se morfondre en L’Entreprise n’est jamais qu’une création léré les décisions. Pour autant, il faut rai-n’envisageant la question que sous l’angle des Hommes, elle est donc à leur image : son garder, et ne jamais tout attendre desdu renoncement. Il doit cultiver les oppor- capable du meilleur et du pire. Je constate politiques. Tout comme le 12 décembre, autunités même si elles s’imposent à lui, et toutefois une dissociation entre la gestion lendemain de la clôture d’une COP21 réu-celles notamment de revisiter le sens de du capital et la gestion du travail, et la nion intergouvernementale, il appartien- suprématie de la première sur la seconde, dra à chaque citoyen, à chaque entreprise,« Le temps de la par la faute de laquelle l’exigence producti- à chaque collectif humain d’être ou de nenature n’est plus viste et financière malmène le corps social pas être du combat pour sauvegarder lacelui de l’homme. et bien sûr la planète vivante, le climat etLe dogme pro- la biodiversité. Dans ces conditions, être « Mon aventureductiviste modifie Entreprise réellement citoyenne et respon- peut me conduire aul’espace-temps : sable, relève de l’exploit. Cap Horn, celle dele temps de pen- Je ne «  crois  » pas à l’Entreprise, c’est-à- mon voisin dansser et de faire se dire que je n’ai pas à «  croire  » ou non une communautérétrécit alors que en elle. Elle n’est pas un dogme ou une d’intouchables enpenser une vision religion, et je ne porte pas de jugement Inde ; chaque aven-et faire une société sur elle. Elle est simplement là, présente, ture est respectable,harmonieuse exi- car elle participegerait au contraire « Présider à se rendre un peude l’allonger » WWF France, plus loin au fond c’est accepter de soi »N°128 Décembre 2015 d’agir au sein et non pas en Acteurs de l’économie - La Tribune 13 marge du système capitaliste »

Dialoguer ISABELLE AUTISSIER « L’Homme est la cause de la criseplanète. Ne déplaçons pas vers les organi- de la planète, il ensations politiques, aussi essentielles soient- est aussi la solution ;elles, nos propres responsabilités. c’est une formidable nouvelle »La transition énergétique est au cœur duprocessus de transformation de la « pla-nète ». Or dans ce domaine, la France quiaccueille COP21 est loin d’être exemplaireet les obstacles à son accomplissementsont innombrables… Au-delà de cet évé-nement ponctuel, sur quoi fondez-vousvos espérances d’aggiornamento etmaintenez-vous votre confiance enl’humanité ?«  L’optimisme et le pessimisme sont les deuxfaces d’une même chose qui s’appelle la démis-sion  ». J’aime cette phrase. Que signifie-t-elle ? « Qu’il faut y aller », sans se posertrop de questions et en prenant chez toutindividu ce qu’il a de bon et de moinsbon. Réconcilier l’Homme avec sa planète,assurer à l’Homme une trajectoire existen-tielle plutôt heureuse que calamiteuse, està cette condition. Quand on se retournesur l’histoire, les pires atrocités etles plus extraordinaires accomplis-sements se sont succédé.Ce qui impose de considéreravec prudence et humilitél’ampleur de la confianceque l’on peut accorder àl’Homme. Je me contented’emprunter un cheminque je pense être le bonpour l’avenir de la planèteet de l’humanité, et surce chemin j’avance,je progresse de toutesmes forces sans tropme préoccuper dece que font« les autres ».14 Acteurs de l’économie - La Tribune N°128 Décembre 2015

TRIBUNE Dialoguer L’affirmation des bienfaits de la mondialisation des échanges est un des dogmes libéraux. À tout le moins, le dogme mérite des réserves, tant il est vrai que l’épisode que nous vivons, à l’image du précé- dent au XIXe siècle, est loin de ne faire que des gagnants. On ne peut pour autant désigner la mondialisation comme le bouc émissaire de dérèglements climatiques ! Cependant, il est vrai qu’en contradiction avec une dimension du dogme libéral, la déconnexion de l’espace de l’État et de celui du marché, exacerbée par la mondialisation, est plus que problématique pour la mise en place d’une politique climatique globale. L’État-Nation dispose en principe des outils nécessaires pour réguler et contrôler des pollutions dont les sources sont à l’intérieur de ses fron- tières. Aux outils réglementaires (normes...) s’ajoutent ce que l’on appelle les outils économiques : la taxation de la pollution ; symétriquement, subvention à la dépollution ; et enfin le marché de droits, qui consiste à distribuer des quotas d’émissions, des droits à polluer si l’on veut, alors échangés sur ledit marché. La logique des instruments économiques fait écho à une analyse libérale, c’est le prix qui suscite les actions vertueuses, et à un savoir économique, c’est l’unicité du prix qui assure une réduction au moindre coût. Mais l’intervention de l’État est décisive et fondée sur ses pouvoirs régaliens, fixation de l’impôt et des droits de propriété.LE DOGME DE LA SÉPARATION ENTRELE COMMERCE ET L’ENVIRONNEMENTDEVRA TOMBERRoger Guesnerie, LA QUALITÉ DU CLIMAT EST UN BIEN COLLECTIF MONDIAL © Laurent Cerino / Acteurs de l’économieprofesseur honoraire ET NON NATIONALau Collège de Franceet président de l’École Mais pour revenir à notre problème, la qualité du climat, affectée par lesd’économie de Paris actions de tous les acteurs économiques de la planète et qui touchent tous ses habitants, est un bien collectif mondial et non national ! Et faute d’ÉtatLA DÉCONNEXION mondial, une politique climatique requiert un accord entre États-Nations.DE L’ESPACE L’approche « top-down », du haut vers le bas, celle de Kyoto, tentait de faireDE L’ÉTAT émerger une gouvernance mondiale efficace d’une négociation entre pays, pourET DE CELUI l’essentiel entre pays développés. L’échec de Kyoto s’est accompagné aprèsDU MARCHÉ Copenhague, du rejet de la méthode et de l’adoption d’une démarche « bot-ENTRAVE tom-up », du bas vers le haut. Aujourd’hui, dans ce cadre, chaque pays afficheLA MISE EN les « contributions (nationalement déterminées) qu’il envisage » (INDC), dontPLACE D’UNE l’addition détermine la politique globale. En dépit de cette forte régressionPOLITIQUE dans l’ambition, la solution peut-elle être en ligne avec des objectifs cli-CLIMATIQUE matiques ambitieux ? Sûrement pas, si les règles du jeu étaient figées dansGLOBALE le marbre jusqu’en 2030 ; et l’accord de Paris devra être jugé à l’aune des dispositions qui autoriseraient une évolution progressive, en temps utile,N°128 Décembre 2015 dans le sens d’une authentique gouvernance mondiale. Pour revenir aux dogmes, l’un d’entre eux - doit on le qualifier de libéral ?, mais c’est un dogme qui sous-tend les errements actuels de la gouvernance mondiale - celui de la séparation entre le commerce et l’environnement, devra tomber. Les fuites de carbone des pays engagés dans la lutte climatique vers les pays laxistes sont des obstacles aux politiques climatiques, qui doivent être levés. Non seulement par la mise en place d’ajustements aux frontières1, acceptables du point de vue de la logique économique standard, mais par une liaison étroite entre accords sur le commerce et coopération environnementale. Le refus ou les obstacles au commerce constitueraient ainsi des représailles crédibles aux refus ou aux obstacles à la coopération environnementale. Cette idée iconoclaste a reçu le soutien d’économistes visibles aux États-Unis comme W. Nordhaus. C’est sans doute une entorse majeure à une certaine version du dogme libéral, mais une entorse qui permettrait de faire évoluer, et dans le bon sens, les conditions de la gouvernance mondiale. 1/Voir R. Guesnerie, N. Stern « Deux économistes face aux enjeux climatiques », Le Pommier 2012 Acteurs de l’économie - La Tribune 15

Dialoguer RUBRIQUE DE NOM COMPLÉMENTAIRE SANTÉ OBLIGATOIRE : 45 MINUTES POUR TOUT SAVOIR ! Qui a dit que choisir une mutuelle santé était une décision banale ? Quel contrat et quelles garanties choisir pour mes salariés et leurs familles ? Comment bénéficier des exonérations fiscales et sociales ? Quelles sont les modalités de mise en place sécurisées et légales ?Crédit photo : © www.thinkstockphotos.co.uk/shironosov TOUS SEUDIS Pour vous inscrire, Tous les jeudis à 8h30 sur réservation flasher ce code dans votre agence Radiance Groupe Humanis 26 agences proche de vous et des conseilleNr°1s28itDéicnemébrrea20n15ts 16 Aocuteruersndde el’ézc-ovnoomuise -sLuarT:ribunelesjeudisradiance.com

ÉDITORIAL DialoguerOL’ÉDIT RIAL,DENISLAFAYCONTRAT DE CONFIANCE Le tableau est ténébreux. La réalité est plus nuancée, mais elle est (très) loin d’être lumineuse. Dans les gris qui composent laSi la multitude d’études du GIEC, si le cri d’alarme de la commu- toile finale, les noirs de Soulages dominent les blancs de Male- nauté scientifique, si les images montrant ici le recul specta- vitch. « Tant peut être e cace l’œuvre de mort qu’elle a raison culaire des glaciers et l’élévation du niveau de la mer, là des de la vie », soutient Isabelle Autissier. Mais « quelle » Isabelle précipitations inédites ou des cultures agricoles dévastées, Autissier ? Seulement la romancière ? Non, « aussi » la présidente de plus loin des populations forcées à l’exode et déversées dans WWF France, dans son combat contre l’appauvrissement et la dés- l’indigence urbaine, ne su sent pas à provoquer le « retournement » humanisation de l’humain, symptomatiques d’une dérive incontrô- des politiques et surtout des consciences face aux répercussions du lée qui a plongé ledit humain dans la schizophrénie et la prédation dérèglement climatique, peut-être la lecture de Soudain, seuls (Stock) irresponsable. L’enjeu est de réajuster le temps de la nature sur celui peut se révéler plus e cace. de l’homme, de juguler l’anachronisme provoqué par le dogme pro- Dans son dernier roman, Isabelle Autissier rapporte l’errance d’un jeune ductiviste qui a « modifié l’espace-temps », rétrécissant le temps de couple parti e ectuer un tour du monde et finalement échoué sur une penser et de faire quand penser une vision et faire une société har- île déserte, au large de la Patagonie. Un jeune couple exposé à l’indi- monieuse exigent au contraire de l’allonger. A quelques jours de l’ou- cible : survivre, et qui pour cela mène un combat pour se nourrir, pour verture de la COP21, qui déjà sature l’espace médiatique et étou e de composer avec une réalité végétale, animale et climatique inhospita- promesses politiques, Isabelle Autissier fort justement appelle à en lière, pour repousser les démons qui le désunissent, l’enferment dans minimiser la portée et exhorte chacun à ne pas refluer vers les orga- une solitude mortifère et le font glisser irréversiblement dans les limbes. nisations politiques et, plus largement, vers l’autre, sa propre respon- Combat qui plonge chaque protagoniste dans l’exploration du plus sabilité. Mais sur quels ressort agir pour éveiller la conscientisation et intime de son intimité, du plus intérieur de son intériorité, du plus fragile la responsabilisation individuelles dans un cadre marchand, produc- tiviste, consumériste qui à ce point « déconscientise » et dérespon-Lde ses fragilités, pour espérer continuer d’espérer. sabilise – cela nonobstant le réconfortant foisonnement d’initiatives es paraboles qui, au fil des pages, permettent de lire autrement l’urgence de modifier la trajectoire économique, politique, indus- Uet d’innovations aux quatre coins du monde ? trielle, humaine de la planète, sont conséquentes. Et réveilleront n même mot concentre l’une des causes principales du déli- les cerveaux les plus récalcitrants. Les deux conjoints, Louise et tement et l’une des raisons majeures d’espérer : confiance. Ludovic, sont brutalement ramenés à leur condition primitive et C’est parce qu’il a cultivé une confiance aveugle dans le à leurs instincts les plus triviaux, ils redeviennent animaux au milieu des progrès que l’Homme dans son individualité pense qu’une animaux, les artifices qui « font » l’être social leur sont confisqués, ils fois de plus la collectivité des Hommes produira l’antidote. sont nus et à nu, chacun est emprisonné dans une double solitude, per- Mais c’est aussi parce qu’il manque de confiance en lui que le même sonnelle et de couple, qui impose d’être soi avec soi et face à soi. Leur Homme dans son individualité ne se croit pas capable de participer à décrépitude physique et psychique témoigne que la société contempo- transformer le modèle civilisationnel. « L’importance de la confiance raine occidentale, celle de la sophistication, de l’ultra-technologisation, en soi dans la manière dont on entreprend son existence n’a pas de l’hyper-connexion, de l’accélération incontrôlée du temps, dépos- d’équivalent. On ne se projette pas avec envie dans l’avenir si l’on ne sède l’humanité de ses priorités et défigure l’essentiel. La hiérarchie de pense pas que l’on peut et surtout que l’on va arriver à un « quelque ces priorités et de cet essentiel semble être devenue irrationnelle, le repli part » source d’accomplissement », confie la navigatrice. Confiance en a marginalisé le lien, l’accumulation a disqualifié le partage, le mercan- soi « qui n’est pas innée », qui ne surgit pas, spontanément et miracu- tilisme a phagocyté le bien commun. A la sobriété s’impose la futilité, à leusement, à 20 ou 40 ans, qui est fécondée, prend racine et grandit l’indispensable se substitue l’inconsistance, l’éternité se dérobe sous le au sein du foyer familial et à l’école… pour ceux, trop rares, qui ont la diktat de l’immédiateté, les illusions écartent l’authenticité, la dictature chance d’être élevés dans un tel environnement. de l’uniformisation et du contrôle étou e la nécessité de variété et de De tous temps, la confiance a été une «  alliée de la civilisation  ». liberté. Les dogmes capitaliste, marchand et consumériste, supportés Grâce à elle, l’Homme a écrit des « pages merveilleuses » de l’his- par les progrès technologiques, font prospérer arrogance et fatuité, toire de l’humanité. Mais le « moment contemporain » est celui d’un certitude et égoïsme, profit et propriété, pouvoir et destruction, cupidité « outrepassement » de confiance, aussi de cécité, de surdité et de et spéculation. Même le progrès semble faner, faute de sens et d’utilité lâcheté. Au point, juge Isabelle Autissier, que la cohorte des « per- collectif, sociétaux, humains auxquels l’arrimer. Faute aussi d’être mis dants humains et autres perdants vivants » enfle jusqu’à menacer la en perspective d’un idéal de société et de vivre-ensemble pérenne. pérennité de l’existence. Apprendre à cultiver une confiance person- L’horizon est limité au lendemain, l’intérêt est confiné au soi matériel, nelle élevée, équilibrée et responsable en faisant raisonnablement la préoccupation des générations ultérieures est esquivée. L’Homme confiance aux autres : la voie à suivre ? Certainement. En déclarant pense vassaliser l’espèce vivante, animale et végétale, alors qu’en réa- désindexer le futur accord sur le climat de la contrainte juridique, le lité, comme l’éprouvent Louise et Ludovic et le démontre chaque nou- secrétaire d'État américain John Kerry a planté le premier coup de velle catastrophe – crises écologiques et crises économiques, sociales, canif dans le contrat de confiance. financières, humaines, migratoires sont inextricablement subordonnées les unes aux autres –, il est vulnérabilité face à elle.N°128 Décembre 2015 Acteurs de l’économie - La Tribune 17

SOMMAIRE Entreprendre Dialoguer Entrée en matière, 3 Jean-Claude Anaf, 32 Cynthia Fleury 4 retour de bâton Isabelle Autissier, 15 “ Si nous ne faisons rien, 17 Chambre des métiers du Rhône, le camp des gagnants 20 son univers impitoyable 46 deviendra celui des perdants ” 24 Tribune Roger Guesnerie 26 Zannier, 54 Éditorial 28 l’éto e de la reconquête L’actualité en images 29N°128 L’initiative de Nicolas Masurel Jean-Dominique Senard, 60 Lu sur acteursdeleconomie.com un dandy chez Bibendum 66 Chroniques Chroniques 67 Tribune Geneviève Azam Tribune Nicolas BouzouActeurs de l’économie est publié par RH Editions (capital 172 695 euros). - 51 avenue Jean Jaurès, - 69007 Lyon - Tél. 04 72 18 09 18 - Fax 04 72 18 09 21 - [email protected] - acteursdeleconomie.compremièrelettreprénom.nom @acteursdeleconomie.com - Directeur de la publication et de la rédaction : Denis Lafay - Directeur général délégué : Valérie Asti - Rédacteur en chef adjoint : Romain Charbonnier - Rédacteur en chefweb : Jean-Baptiste Labeur - Journalistes : Didier Bert, Stéphanie Borg, Geneviève Colonna d’Istria, Gérard Corneloup, Maïté Darnault et Daphné Gastald (We Report), Marie-Annick Depagneux, Dominique-Myriam Dornier, Maxime Hanssen, Marie Lyan, Françoise Sigot, Yann Petiteaux - Secrétariat de rédaction : Nicolas Rousseau - Photographes : Laurent Cérino, Hamilton - Dessinateurs : Kanellos Cob, Vic - Maquette :Marie-Anne Joly - Conférences-Débats : Nicolas Rousseau - Responsable webmarketing & communication : Emilie Degueret-Cornern, Marion Durantin - Comptabilité : Sonia Girard - Abonnements - Publicité : Anaïs Jeantet,Estelle Lemaitre, Razala Oulka - Impression : Courand, 82 route de Crémieu, 38230 Tignieu-Jameyzieu - N° de CPPAP : 0320K89381 ISSN 1620-6096 - Dépôt légal : 3e trimestre 2015 - 5 n°/an VOUS NOUS AVEZ NOUS NOUS ENGAGEONS MOBILITÉ PROXIMITÉ ÉLU N°1 DE LA À CULTIVER CETTE SIMPLICITÉ SATISFACTION CLIENT, DIFFÉRENCE. TRANSPARENCE RÉACTIVITÉ www.banque-rhone-alpes.fr N°12281/1D0/é20c1e5 m1b0:r3e5:323015 acteurs eco 200x45.indd 118 Acteurs de l’économie - La Tribune

Inventer Respirer Comprendre Cécile Galoselva, Coup de crayon sur… la réconciliatrice 85 Le 38e festival du court-métrage 133Le rêve du Fusion régionale, de Clermont-Ferrand les Savoies écartelées 86 Auvergne-Rhône-Alpes, 69 Écoles-entreprises, 134Père Guy Gilbert partenaires particuliers œuvres en Frac 96 Musée gallo-romain de Lyon 138La ville, 70 Saint-Cyriens, et après ? 108 Domaines de prédilectionune cause commune 142Marque de Fabrique 76 Chroniques 118 TribuneTribune Dr Bertrand Piccard 82 Tribune René Nantua 122 Alain-Dominique Gallizia 146audit assuranciel - risk management - appel d’offresassistance à prévention surveillance protection sécurité sûreté contrôle formationmanagement de la continuité d’activitéKonseï78 rue de l’Ancienne Caserne 69250 Montanay - 04 78 32 33 28 [email protected] rue de la Butte 25000 Besançon - 03 81 51 02 01sarl au capital de 100 000 € - 510 347 073 RCS LYON - 12 065 484 ORiAS - 82 69 13185 69 DiRECCTE - NAF 7022Z - www.konsei.frN°128 Décembre 2015 Acteurs de l’économie - La Tribune 19

1Dialoguer L’ACTUALITÉ EN IMAGES115 novembre, Lyon se recueille en mémoire 3 des victimes des attentats de Paris.2Cette année, le cycle de conférences Tout un programme, organisé par Acteurs de l’économie-La Tribune, a réuni près de 5 000 inscriptions.3Euronews emménage dans ses nouveaux locaux de plus de 10 000 m2 au cœur du quartier de la Confluence, à Lyon. Coût : 55 millions d’euros.4Le chocolatier stéphanois Weiss investit deux millions d’euros dans la construction d’un lieu de vie autour du chocolat baptisé Les Ateliers Weiss. 2© Laurent Cerino / Acteurs de l’économie © Laurent Cerino / Acteurs de l’économie42© DR20 Acteurs de l’économie - La Tribune N°128 Décembre 2015

RUBRIQUE DE NOM DialoguerUN RÉSEAU ÉBOURIFFANTPlus de 1000 destinations depuis Lyon via Paris grâce à l’un des plus vastes réseaux au monde avec KLM et nos partenaires SkyTeam. N°128 Décembre 2015 Acteurs de l’économie - La Tribune 21France is in the air : La France est dans l’air. Renseignez-vous sur airfrance.fr, au 36 54 (0,35 € TTC/min à partir d’un poste fixe) ou dans votre agence de voyages. AIRFRANCE.FR

6 Dialoguer L’ACTUALITÉ EN IMAGES 5© Laurent Cerino / Réa © Laurent Cerino / Acteurs de l’économie© Vincent Leloup 5Sanofi a annoncé vouloir mener un plan d’économie d’un milliard d’euros 7 pour la période 2015-2020. Parmi les pistes évoquées : la vente de sa filiale Merial (2,1 milliards d’euros de chi re d’a aires), spécialisée dans la santé animale, dont « les synergies sont limitées entre la santé animale et les autres activités du groupe », souligne le groupe. Basée à Lyon, Merial emploie 6 700 salariés, dont 1 500 en Rhône-Alpes. 6L’an dernier Gérard Collomb, président de la métropole de Lyon, avait fait sensation en revêtant les habits de DJ lors de la cérémonie de clôture du Blend. Cette année, pour sa troisième édition, le grand rendez-vous du web francophone a fait sensation puisqu’une quarantaine d’enfants se sont réunis lors d’un atelier d’apprentissage du code et la conception d’un film en stopmotion. 7Tereva, filiale du groupe de négoce Martin Belaysoud Expansion présidé par Patrick Martin, a conclu un accord pour acquérir Anjac CSI. Cette croissance externe fait bondir de 30 % le chi re d’a aires (660 millions d’euros) et l’e ectif (2 700 salariés) de l’ensemble consolidé de l’ETI installée dans l’Ain. 8Le feuilleton Cenntro Motors est terminé. 8 Le Tribunal de commerce de Lyon a tranché, vendredi 30 septembre, pour © Laurent Cerino / Acteurs de l’économie la liquidation sèche du constructeur de © Laurent Cerino / Acteurs de l’économie véhicules électriques depuis le retrait de l’actionnaire principal Peter Wang. Les 382 salariés ont été licenciés. 9Le maire écologiste de Grenoble Eric Piolle a annoncé mi-novembre une journée de fermeture exceptionnelle du service public pour sensibiliser les Grenoblois à la situation économique de la Ville. En cause : les baisses de dota- tions de l’État, qui devraient avoir un impact sur son budget 2016. L’élu parle aussi d’une possible mise sous tutelle. 9 22 Acteurs de l’économie - La Tribune N°128 Décembre 2015

Mutuelle soumise aux dispositions du livre II du Code de la mutualité, n° Siren 538 518 473. RUBRIQUE DE NOM Dialoguer La santé, c’est trop important pour être compliqué. SANTÉ PRÉVOYANCE ÉPARGNE - RETRAITE95% DES ENTREPRISES ADHÉRENTES SONT PRÊTESÀ NOUS RECOMMANDER.• Pour les chefs d’entreprise : la mise en place et le pilotage du contrat Acteurs de l’économie - La Tribune 23peuvent être intégralement gérés en ligne.• Pour les salariés : la possibilité de compléter eux-mêmes l’offre choisiegrâce à un renfort personnalisé, sans coûts ni démarches supplémentairespour l’entreprise.1re mutuelle santé de France, au service des entreprises et des salariés.DécNo°1u28vrDeézcemnbores2s0o15lutions sur harmonie-mutuelle.fr/devis-entreprise

© Laurent Cerino / Acteurs de l’économie Dialoguer L’INITIATIVE N°128 Décembre 2015 NICOLAS MASUREL, APICULTEUR URBAIN S’il avait poursuivi son chemin, Nicolas Masurel serait sans doute actuellement derrière un ordinateur à concevoir des paysages urbains pour penser la ville de demain. Une trajectoire classique après son diplôme d’architecte en poche. Mais loin d’être captivante pour ce fils d’agri- culteurs de l’Ain qui préfère le terrain au bureau d’études. « Je ne suis pas un anti- ville, au contraire, ce lien entre le monde urbain et la nature m’intéresse beaucoup. L’aspect social y est très fort  », recon- naît-il, mais sa manière de l’appréhen- der est désormais di érente. Si bien que depuis 2013, il s’est lancé dans l’aven- ture de l’apiculture urbaine en s’inspirant de l’activité de ses parents, eux-mêmes apiculteurs depuis 30 ans. « Je n’avais pas l’ambition de devenir chef d’entreprise ni commercial, simplement je voulais tra- vailler pour moi-même à l’image de mes parents. Finalement, avec ce projet, je suis devenu un peu tout cela », souligne le jeune homme de 27 ans. Sa scop La Ruche urbaine née, cinq entreprises en sont aujourd’hui clientes (dont OnlyLyon en partenariat avec La Poste ou encore Gattefossé). Il lui en faudrait une petite dizaine «  pas bien plus  », juste de quoi se verser un salaire. La démarche est davantage philanthropique pour Nicolas Masurel que capitalistique. « Mon souhait n’est pas d’installer des ruches partout pour être tendance et gagner de l’argent, mais plutôt de faire en sorte que chaque projet ait un véritable sens, une vraie sin- cérité, une sensibilisation à l’écologie en impliquant les salariés. » Au-delà de cet aspect, l’apiculture urbaine est surtout pour lui, un moyen de maintenir la biodi- versité. D’autant plus que la ville serait un meilleur élément pour les abeilles. « C’est tout de même aberrant de voir qu’elles se portent mieux en zone urbaine qu’à la campagne. » Les raisons : une variété de fleurs plus importante, des tempéra- tures plus chaudes et pas de pesticides, le cocktail idéal pour leur développe- ment. De quoi donner au miel un parfum plus exotique. En l’espace de deux ans, Nicolas Masurel a pris goût à l’entrepre- neuriat. Il fourmille toujours de projets. Prochain sur sa liste : une bière réalisée à partir de son miel urbain. RC 24 Acteurs de l’économie - La Tribune

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Dialoguer LU SUR ACTEURSDELECONOMIE.COM « Transparence, innovation et gratuité : voilà trois conditions pour construire la« L’INNOVATION SOCIALE CONSTRUIT DES RÉPONSES À République numérique. Les attentes desDES BESOINS NON COUVERTS PAR LES ACTEURS PUBLICS citoyens et entreprises sont nombreuses »ET LE MARCHÉ. ELLE INVENTE DE NOUVELLES FORMESD’ORGANISATION AU SEIN DES ENTREPRISES ET DES Loi Numérique : opération de communicationTERRITOIRES. DE CES LEVIERS NAISSENT DES EMPLOIS ou réelle avancée collaborative ?SUR DES NOUVELLES FILIÈRES » Laurent Fiard, président du Medef Lyon-Rhône et PDG de Visiativ, 28 octobreRéinventons notre modèle socio-économique avec l’ESSArmand Rosenberg, président de la Cress Rhône-Alpes, 5 novembre« La mobilisation des États, des ONG et des citoyens a déjà abouti à deux victoires d’envergure :les Traités d’Ottawa et d’Oslo interdisant respectivement les mines antipersonnel et les bombes àsous-munitions »Il n’y a pas de fatalité au massacre de populations civiles « LA CONQUÊTE SPATIALE AManuel Patrouillard, directeur d’Handicap International, 1er octobre TOUJOURS ÉTÉ SOURCE DE PROGRÈS SCIENTIFIQUES DONT« L’argent n’a pas d’odeur. LU SUR LES APPLICATIONS PRATIQUESIl brille et parfois coule à ACTEURSDELECONOMIE.COM ONT PROFITÉ AUXflots jusqu’au bling-bling POPULATIONS. IL N’EN SERAde la vulgarité, mais l’argent PAS AUTREMENT POURpeut aussi donner couleur L’IMPRESSION 3D, CAR CEà ces causes qui n’ont pas QUI EST POSSIBLE SUR MARSd’autres objectifs que L’EST AUSSI SUR TERRE »le respect et la dignité dela personne » La conquête de Mars passera par l’impression 3DPourquoi il faut détruire Arnault Coulet, fondateur et directeur de Fabulous, 21 octobrele «veau d’or»Bernard Devert, fondateur d’Habitatet Humanisme, 21 octobre « Dans un système monétaire fondé sur la confiance, la valeur d’une monnaie reflète« DANS UN CONTEXTE TENDU son rôle comme instrumentEN 1992, LA CONVENTION SUR d’échanges plutôt que laLE CHANGEMENT CLIMATIQUE qualité des actifs détenusA RETENU TROIS PRINCIPES DE par la banque centrale »RÉPARTITION INTERNATIONALEDES EFFORTS ET DES DROITS : Désendetter les Etats de la zoneL’ÉQUITÉ, LA RESPONSABILITÉ euro : C’est possible !COMMUNE, MAIS DIFFÉRENCIÉE André Grjebine, directeur de rechercheDES PAYS, ET LES CAPACITÉS à Sciences Po Paris, centre de recherchesPROPRES À CHAQUE PAYS » internationales, 13 octobre « En dépit de ces di cultés d’évaluation, l’accueil d’un grandQu’en est-il des injustices événement sportif nous apparaît dégager, s’il est bien conçu,climatiques Nord-Sud ? une rentabilité sociale de long terme qui dépasse très largementOlivier Godard, directeur de recherche un simple impact de court terme »au CNRS, chercheur associé audépartement d’économie de l’École Comment mesurer l’impact économique des grands événements sportifs ?polytechnique, 12 octobre Jean-Jacques Gouguet, professeur en sciences économiques et aménagement à l’université de Limoges, 15 octobre« IL EXISTE UN FANTASME INDUSTRIEL, UNE CROYANCE UN PEU NAÏVE, QUE LA PROFITABILITÉ JAILLIT TOUTESEULE DE LA BASE DE DONNÉES, QU’IL N’Y A QU’À SE BAISSER POUR LA RAMASSER. RIEN N’EST PLUSFAUX. LE STOCKAGE, LE RAFFINAGE ET LA MODÉLISATION REPRÉSENTENT UN TRAVAIL CONSÉQUENT »Ecueils, mythes et fantasmes de la « big data »Arnaud Simon, maître de conférences, HDR, en finance à l’université Paris-Dauphine , 14 octobre26 Acteurs de l’économie - La Tribune N°128 Décembre 2015

Pour Eovi Mcd mutuelle, je ne suis pas un numéro.RUBRIQUEDENOM Dialoguer Création JE SUIS ANTOINE. ACTIZEN Pour qu’Antoine puisse offrir des garanties santé à tous ses salariés*, Eovi  Mcd  mutuelle lui a proposé une gamme adaptée et l’a accompagné dans ses démarches via des formalités d’adhésion simplifiées. Et pour chouchouter les collaborateurs d’Antoine, elle a mis à leur disposition des renforts personnalisés. Flashez ce QR code pour découvrir les garanties santé et le guide du décideur Eovi Mcd mutuelle. * À partir du 1er janvier 2016, toutes les entreprises du secteur privé devront proposer un contrat collectif à leurs salariés.eovi-mcd.fr Acteurs de l’économie - La Tribune 27Siège EoNvi°M12cd8mDutéueclelem: 4b4rreue2C0o1p5ernic - CS 11709 - 75773 Paris cedex 16. Mutuelle soumise aux dispositionsdu livre II du code de la Mutualité. N° Siren 317 442 176. DM-1511-PresseBtoB-ActeurEconomique

Dialoguer CHRONIQUESPARLER DAVANTAGE DE TRAVAILDANS L’ENTREPRISE : pour quoi faire ?Par Michel Tavernier, Espaces de discussion sur le travail au Cré- capacité des salariés à prendre des initiatives. La paroleDirecteur de l’Agence Rhône-Alpes dit coopératif, réunions de régulation des sur le travail se trouve en effet au cœur des exigencespour la valorisation de l’innovation contraintes dans une PME industrielle, orga- des nouveaux modèles productifs pour plus d’agilité.sociale et l’amélioration des conditions nisation responsabilisante chez Michelin  : Les espaces de discussion qui émergent reposent surde travail (Aravis) plusieurs expériences récentes témoignent de le principe de subsidiarité (le problème est discuté au l’engagement d’entreprises dans des démarches visant niveau où il peut trouver le plus rapidement une réponse) à faire une place au dialogue sur les questions liées en impliquant les acteurs directement concernés. au travail. Pourquoi l’expression des salariés et des De telles initiatives restent encore minoritaires, car managers sur leur travail redevient-elle ainsi un sujet les espaces de discussion sont fréquemment jugés d’actualité  ? La compétition économique cou- comme n’étant pas «  directement productifs  ». Les plée aux incidences de la financiarisation a temps de partage sur les objectifs d’un projet, le tra- conduit les entreprises à adopter des orga- vail collaboratif, l’analyse des problèmes constituent nisations laissant peu de place à l’initiative pourtant de réelles sources d’amélioration de la qualité et à l’expression des salariés. Sous la pression du travail. À condition toutefois que ces espaces soient conjuguée des délais et des objectifs, d’une recherche pris en compte dans les processus susceptibles de continue d’amélioration de la productivité, la qualité des transformer la parole en décision et en actions (canal coordinations internes a eu tendance à se détériorer. managérial, canal dialogue social). Les managers se trouvent fréquemment en position de Exercice difficile et exigeant, la mise en place d’un dia- traduire les demandes de la direction sans disposer de logue sur les questions de travail ne va pas de soi marges de manœuvre pour animer les équipes. et demande à être outillée (définition d’objectifs, d’un cadre permettant à chacun de s’exprimer sur son travail Principe de subsidiarité sans être jugé, formation des managers, etc.). Il peut Les entreprises qui expérimentent la mise en place se révéler une source de reconnaissance, de confiance d’espaces de discussion ont pris conscience que, dans et de créativité pour les salariés. Et donc constituer un des situations complexes, l’adaptation de l’organisa- moyen puissant d’agilité, d’adaptation et d’innovation tion – voire sa survie – dépend pour beaucoup de la des entreprises.L’ACTIONNARIAT SALARIÉ, chiche !La récente loi Macron comporte un volet Des mesures bienvenues mandat présidentiel, a rendu certains des mécanismes © DR, Christelle Viviant visant à relancer l’actionnariat salarié en Le mécanisme des BSPCE, très prisés dans les sec- légaux de l’actionnariat salarié de nouveau attractifs. Il rendant à nouveau attractifs les dispositifs teurs à forte croissance, notamment dans les startups faut aller plus loin. À l’instar de ce dont bénéficient les légaux que sont les attributions gratuites du numérique, a été élargi de deux manières. Les contribuables ISF (crédit d’impôt de 50 % lors d’une d’actions (AGA) et les bons de souscrip- sociétés éligibles aux BSPCE peuvent ainsi attribuer souscription au capital des PME), les contribuables tions de parts de créateurs d’entreprises des bons aux membres du personnel salarié et aux IR devraient aussi pouvoir bénéficier d’un cré- (BSPCE). Ainsi, cette loi a modifié, fisca- dirigeants des filiales détenues à au moins 75 %, si dit d’impôt aussi important. On verrait alors, lement et socialement, le mécanisme des AGA. Plu- ces filiales remplissent elles-mêmes les conditions pour chaque année, le choix évident des salariés : sieurs assouplissements sont intervenus, notamment être éligibles au dispositif BSPCE. De plus, les jeunes souscrire au capital de leur société plutôt l’application de l’abattement pour durée de détention entreprises issues d’un transfert d’une nouvelle acti- que de remplir le tonneau des Danaïdes de la sur les plus-values mobilières au gain résultant de l’at- vité peuvent désormais bénéficier du dispositif BSPCE, dépense publique. tribution et non plus seulement au gain résultant de la à la condition que l’ensemble des sociétés issues de cession ultérieure de l’action. La contribution salariale l’opération de concentration, de restructuration ou de Par Amaury Nardone, spécifique de 10 % a par ailleurs été supprimée tandis la reprise d’activités répondent aux conditions prévues Avocat associé, Delsol Avocats que la contribution patronale a été abaissée de 30 % à par le dispositif BSPCE. Ces mesures sont d’autant 20 %. Constituant une demande forte des entreprises, plus bienvenues que nul ne conteste que ces outils son exigibilité a été reportée à la date d’acquisition du constituent un puissant instrument d’intéressement des titre, au lieu de sa simple date d’attribution. Enfin, le salariés et des cadres dirigeants à la valorisation de leur délai d’acquisition minimum des actions est passé de entreprise. Or, ces dernières années, le coût, social et deux à un an et le délai minimum de conservation a été fiscal, des différents outils de développement de l’ac- réduit, voire supprimé, sous réserve toutefois que ces tionnariat salarié (stock-options, AGA, BSA, etc.) était délais cumulés ne soient pas inférieurs à deux ans. En devenu totalement prohibitif. pratique, cela permet à présent aux bénéficiaires d’AGA Dans ce contexte, et dès lors qu’il est indispensable de céder leurs actions à l’issue d’un délai de deux ans que les entreprises puissent associer leurs collabora- à compter de la décision d’attribution (contre quatre teurs en capital, la loi Macron, dans un contrepied bien- ans auparavant). venu à l’esprit comme à la lettre du début de l’actuel28 Acteurs de l’économie - La Tribune N°128 Décembre 2015

TRIBUNE Dialoguer Le réchauffement climatique heurte les représentations économiques. Ces dernières sont généralement fondées sur l’idée d’un temps réversible, de choix ajustables. Or le réchauffement climatique est déjà engagé de manière irréversible : le système terrestre fixe des limites non négociables aux activités économiques. De ce fait et alors que le libéralisme économique déduit l’équilibre de l’économie et de la société de la multiplication des contrats volontaires, il ne peut penser les relations entre les sociétés et la Terre, car elles ne peuvent être de type contractuel. Ainsi, le budget carbone, qui indique la quantité d’équivalent CO2 restant à émettre pour rester en-dessous des 2°C d’augmentation de la température globale moyenne, est une butée. Selon le Giec, à l’échelle 2100, ce budget est de l’ordre de 1 000 milliards de tonnes, impossible à respecter sans une sortie de l’âge des énergies fossiles. Les activités économiques sont surplombées par des contraintes non économiques, elles sont enchâssées dans l’écosphère.RÉPONDRE AU DÉFI CLIMATIQUE NE PEUTS’ACCOMMODER DU « LAISSER-FAIRE »Geneviève Azam, Or, l’économie libérale prétend se construire hors de toute contrainteéconomiste, extra-économique : au lieu de prendre en compte cette limite externe et d’yauteur de Osons rester humains, soumettre les activités économiques, elle tente de faire entrer le « capitalLes Liens qui libèrent, 2015 naturel » dans le circuit économique et d’internaliser le coût des pollu- tions. Ainsi, l’évaluation marchande des émissions et la fixation d’un prix de marché pour le carbone devraient permettre un management efficient des écosystèmes et du climat. De nombreux rapports montrent pourtant l’ineffica- cité écologique du marché du carbone européen mis en place en 2005. La faille première est la suivante : le marché du carbone est fondé sur une offre fixe de crédits carbone, fonction des plafonds d’émission à respecter, et d’une demande fluctuante. La volatilité des prix qui en résulte ne peut être un indicateur stable pour les investissements. Sans parler de l’octroi larga manu de crédits d’émissions qui encombrent le marché et maintiennent le prix de la tonne de carbone à un niveau si bas qu’il ne peut inciter au passage vers une économie bas carbone. Autant d’inconvénients qui seraient dépassés avec des taxes carbone.DE NOMBREUX LA DOCTRINE LIBÉRALE IMPOSE LA MÉTHODOLOGIE © Mélanie PoulainRAPPORTSMONTRENT De même, le dogme du libre-échange s’oppose à toutes les études préconisant,L’INEFFICACITÉ pour refroidir la planète, la relocalisation des économies, la promotionÉCOLOGIQUE d’une agriculture paysanne, la réduction des transports de marchandises, laDU MARCHÉ décentralisation et la diversification énergétique.DU CARBONE Enfin, l’exemple le plus saisissant est celui de la méthodologie choisie pourEUROPÉEN parvenir à l’accord de Paris en 2015. Conformément à la doctrine libérale, suite à l’échec de la Conférence de Copenhague, l’accord ne saurait être contraignant - top down -, il est construit en additionnant les engagements « volontaires » des États pour réduire leurs émissions - bottom up. Or les résultats de ces déclarations nous engagent vers le dépassement des budgets carbone annuels et vers un réchauffement de 3°C. Premier pas qui pourrait être corrigé après 2020, date de mise en œuvre de l’accord ? Non, car le réchauffe- ment climatique est irréversible et non linéaire : les émissions annuelles se concentrent dans l’atmosphère et cette concentration accélère le réchauffement climatique. Les efforts des dix prochaines années sont cruciaux rappellent le Giec et l’Agence internationale de l’énergie. Répondre au défi climatique ne peut s’accommoder du « laisser-faire ».N°128 Décembre 2015 Acteurs de l’économie - La Tribune 29

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Entreprendre RUBRIQUE DE NOM Un an après la garde à vue des deux N°128 Décembre 2015 célèbres commissaires-priseurs, l’instruction visant Jean-Claude Anaf et Jean Martinon pour « faux, usage de faux, et abus de confiance aggravé » poursuit ses investigations. Ce que révèle l’auscultation de cette retentissante a aire, qui a pour théâtre l’activité des procédures collectives, pour scène un « huis clos » cadenassé, et pour acteurs un microcosme – tribunaux de commerce, commissaires-priseurs, mandataires et administrateurs judiciaires – particulièrement hostile à de telles expositions médiatiques et judiciaires, dépasse les seules jalousie, inimitié personnelle, instrumentalisation politique, pratique maladroite ou interprétation fiscale auxquelles d’aucuns aimeraient la circonscrire. Enquête au cœur d’un redoutable enchevêtrement d’intérêts aussi obscur que puissant.32 Acteurs de l’économie - La Tribune

RUBRIQUE DE NOM EntreprendreJEAN-CLAUDE ANAFRETOUR DE BÂTON ENQUÊTE, DENIS LAFAYN°128 Décembre 2015 Acteurs de l’économie - La Tribune 33 © Laurent Cerino / Réa

Entreprendre JEAN-CLAUDE ANAF ela avait eu l’effet d’un microcosme qui mêle la dizaine de mandataires judiciaires d’une bombe. Mi-décembre (MJ), administrateurs judiciaires (AJ), et commissaires-priseurs 2014, les commissaires-priseurs judi- judiciaires (CPJ) affectée. Pour cette raison, ces professionnels, y ciaires Jean-Claude Anaf et Jean Martinon compris la hiérarchie du Tribunal et les greffiers, font alors l’objet quittaient les locaux lyonnais de la police d’auditions par la PJ – certaines élargies jusqu’aux épouses et aux judiciaire après une garde à vue de 48 heures. enfants. Près d’un an plus tard, aucun des deux inculpés, présumés Les motifs de la mise en examen ultérieure se innocents, n’a encore été auditionné sur le fond par les deux juges, révèlent sévères. Faux, usage de faux, et abus Catherine Chanez et Marc-Emmanuel Gounot, et l’instruction de confiance « aggravé » – cette ultime mention semble piétiner. « Au mieux », indique-t-on au sein du Parquet, 18 faisant relation à leur statut d’officiers ministé- mois seront nécessaires à sa conclusion et 24 à la tenue d’un procès riels, l’abus de bien social ne pouvant être de au Tribunal correctionnel. Cette instruction de «  l’affaire Anaf  » son côté retenu dans les cas de Société Civiles progresse au rythme que lui dictent la complexité et l’extrême sen- Professionnelles (SCP). Selon nos informations, sibilité d’un dossier qui met en scène un huis clos feutré, même les conclusions de la PJ sont alors « drastiques ». claquemuré. Et c’est d’ailleurs dans le secret et les mystères de ce Davantage que les seuls dérapages comptables dernier que se terrent l’origine, les manifestations et les explications dont les deux inculpés sont officiellement d’un psychodrame incandescent dont l’examen et les répercussions soupçonnés – confusion des patrimoines per- dépassent le « cas » du flamboyant et influent Jean-Claude Anaf. sonnel et professionnel, prise en charge par la SCP Jean-Claude Anaf & Associés de fac- LE FAIT DE CORRUPTION ABANDONNÉ tures d’hôtels, de repas, de voyages, de récep- Aux réquisitions du Parquet, sous la plume du procureur adjoint tions dans des palaces comme le Château de la Bernard Reynaud, s’ensuit une mise en examen, qui agrège un Messardière à Saint-Tropez –, les enquêteurs contrôle judiciaire interdisant la sortie du territoire – levé au prin- traquent des faits et un système organisé de temps 2015 –, une caution de 600 000 euros pour maître Anaf et de corruption, dans l’environnement du Tribu- 200 000 euros pour son associé, enfin l’interdiction d’exercer. Très nal de commerce de Lyon et par- vite toutefois, selon nos informations, le fait de corruption – maté- rialisé par les cadeaux (de quelques centaines à quelques milliers ticulièrement au sein d’euros) distribués aux mandataires et administrateurs judiciaires, qui pour un anniversaire, un Noël, un mariage, etc. – est aban-« Le bourbier fiscal et judiciaire dans donné, et lorsque les juges d’instruction décident de ne pas retenirlequel Jean-Claude Anaf semble l’interdiction d’exercer requise par le procureur et pourtant sympto-empêtré n’augure rien de bon pour son matique de l’ampleur des soupçons, le Parquet après d’âpres débatsavenir dans la profession ». Claude Aguttes renonce à faire appel. « Comme souvent dans ce genre d’affaire sensible et médiatique, tout démarre de manière spectaculaire, puis le déroulement34 Acteurs de l’économie - La Tribune N°128 Décembre 2015

« Comme souvent dans ce genre d’affaire JEAN-CLAUDE ANAF Entreprendre © Laurent Cerino / Acteurs de l’économiesensible et médiatique, tout démarrede manière spectaculaire, puis Le microcosmel’instruction révèle une situation jette l’anathèmequi peut être moins sombre ». sur François Péron, suspecté d’avoirUne source de l’institution judiciaire conspiré contre Jean-Claudede l’instruction fait peu à peu la lumière et révèle une situation qui peut Anaf. Mais aucuneêtre moins sombre », concède-t-on au sein de l’institution judiciaire. preuve ne vient étayer les vio-800 000 EUROS DE « MAUVAISES PRATIQUES » lentes accusationsEn l’occurrence, «  le soupçon de mauvaises pratiques – pour un à l’encontre dumontant de 800 000 euros, auxquels s’ajoutent 120 000 euros de président régional« bâton » indûment exercés, NDLR – est incontestable, celui de cor- de la Chambreruption n’est pas avéré ». Des « mauvaise pratiques » mises en lumière professionnelle.par l’inspection spéciale des bilans comptables et déontologiques de2010 à 2013, mais qui interrogent la pertinence même de la procé- cession ; tous deux sont désormais associés au sein de l’étude cler-dure retenue : les motifs de poursuite relevaient-ils de l’instruction montoise Vassy & Jalenques, Jean-Claude Anaf continuant par ail-pénale ou auraient-ils dû être confinés à la seule administration fis- leurs d’exercer le bâton pour le compte d’Anaf Auction Auto, venducale ? Y’a-t-il eu emballement judiciaire ? Le contexte national – loi en avril 2011 au Groupe Bernard, présidé par Jean-Patrick Bernard.Macron amalgamant les professions d’huissiers et de CPJ, pressions « Et puis, éclaire un mandataire judiciaire lyonnais, ce sont des entre-sur le fonctionnement des tribunaux de commerce dans le cadre preneurs dans l’âme », promoteurs d’une approche « commerciale etde la réforme de la justice – a-t-il exacerbé la gestion du dossier ambitieuse » de leur métier en rupture avec celle, « très notariale »,et, comme le supputent, le murmurent ou l’affirment nombre de caractéristique de leur corporation, mais aussi avec les usages et laprotagonistes, aiguisé l’appétit, au plus haut niveau du Parquet et bienséance traditionnels. « De quoi choquer, agacer ou attiser la jalou-de la Chancellerie, de « faire un exemple » au sein d’un Tribunal de sie » – laquelle est évoquée jusque dans l’hagiographie publiée encommerce emblématique ? Maîtres Anaf et Martinon sont-ils alors 2013 à l’occasion des 40 ans d’exercice de Jean-Claude Anaf. « Cettevictimes d’enjeux et de stratégies politiques sous l’écorce desquels approche commerciale inédite, Jean-Claude Anaf l’accompagne d’une exi-ils auraient été instrumentalisés ? Sont-ils « injustement » la cible gence, d’une quête d’excellence, d’une rigueur, et d’un discernement entred’un règlement de comptes ou d’une conspiration au sein de leur activités « arts » et « voitures », qui font honneur à l’image de la professionprofession ? Sont-ils l’objet de jalousies sécrétées par un succès indé- et auxquels je souscris sans réserve », renchérit Claude Aguttes.niable, un train de vie ostentatoire – « les plus belles fêtes de Lyon », PROFESSIONNALISME INCONTESTABLEassure une « figure » emblématique du Tribunal de commerce de La réputation professionnelle de l’étude judiciaire apparaît incon-Lyon – et des pratiques déontologiques suspectes ? Ou au contraire, testable, jusque dans la bouche de ses contempteurs. Parmi lescomme l’instillent certains de leurs confrères, doivent-ils se réjouir professionnels (juges du tribunal, administrateurs et mandatairessecrètement d’une issue qui s’annonce sensiblement moins sévère judiciaires) appelés à collaborer avec elle dans le cadre des pro-que ce à quoi ils auraient pu avoir droit  ? Enfin, celui que l’en- cédures de redressement ou de liquidation, la disponibilité desemble de l’aréopage tient pour responsable de l’éruption et stigma- l’équipe, la qualité et la promptitude des inventaires, la transpa-tise dans une seule et même diatribe : François Péron, associé de la rence des méthodes, la rigueur des restitutions font l’unanimité.SCP Bérard Péron Girard-Claudon (ventes judiciaires) et de l’étude Au sein du Tribunal de commerce de Lyon, qui tous les deux ansBérard Péron Schintgen (ventes volontaires), mais aussi président exhorte les mandataires judiciaires à évaluer l’intervention desLyon Sud-Est de la Compagnie régionale des CPJ et ancien pré-sident national de la Chambre ad hoc, a-t-il effectivement ourdi ? Ou L’obscure clé de répartitionau contraire est-il la victime expiatoire d’une chasse aux sorcières des dossiers par le Tribunaldestinée à désigner un bouc-émissaire pour brouiller l’origine, l’am- de commerce correspond-ellepleur et la mécanique « véritables » des malversations supposées ? à des critères exclusivement professionnels ou résulte-t-elle « aussi »VISION ENTREPRENEURIALE DE LEUR MÉTIER des « liens personnels » cultivés au seinMaîtres Jean-Claude Anaf et Jean Martinon – qui ont décliné notre du cénacle judiciaire et politique ?demande d’entretien –, associés dans la vie comme à l’étude, sontaux commandes d’une activité judiciaire florissante (la société, Acteurs de l’économie - La Tribune 35exempte de déposer ses comptes annuels au greffe, aurait produitselon nos informations un chiffre d’affaires HT de 2 233 903 eurosen 2014, en hausse de 25 % par rapport à 2012), qui les a hissés dansle peloton de tête des SCP françaises. Jean-Claude Anaf & Associésdétient deux offices, à Lyon et à Grenoble (ex-Blache), et intervientprincipalement dans le sud-est de l’Hexagone. Heureux cédants, en2008 à l’étude Aguttes pour cinq millions d’euros, de leur activité« volontaire » Anaf Arts Auction – ventes de mobilier, de bijoux,d’art, etc. – et de l’exceptionnel bâtiment l’hébergeant dans l’an-cienne gare des Brotteaux à Lyon, ils se sont réimpliqués dans lemétier après cinq années d’inactivité imposées par les conditions deN°128 Décembre 2015

Entreprendre JEAN-CLAUDE ANAF La réputation professionnelle de commissaires-priseurs judiciaires sur des critères ouverts (parJean-Claude Anaf est incontestable. exemple rapidité et fiabilité d’exécution de l’inventaire et de res- titution du produit de la vente), on affirme que Jean-Claude Anaf Disponibilité, qualité et promptitude des & Associés figure «  systématiquement en tête du classement  » – le inventaires, transparence des méthodes, président Yves Chavent a toutefois refusé de communiquer les docu- ments afférents. «  Le travail est irréprochable, les collaborateurs sont rigueur des restitutions font l’unanimité performants, le professionnalisme et la taille de la structure sont adaptés à l’envergure des dossiers, les prestations non réglementées (frais de publi-Le règlement de séjours au Château de la Messardière, cité ou de déplacement, gardiennage) ne sont pas forcément plus chères »,à Saint-Tropez, figure parmi les réprimandes fiscales résume l’un des contributeurs. L’excellence des compétences assure-et pénales, pour l’heure évaluées à 800 000 euros. rait, complète un hiérarque du Tribunal de commerce, de travailler « en toute confiance », notamment sur les « gros dossiers » de type Paru Vendu, Kem One ou Cenntro Motors – lesquels, toutefois, ne sont pas mécaniquement les plus profitables pour les commis- saires-priseurs puisqu’ils se concluent fréquemment par des pour- suites d’activité et donc ne génèrent pas de liquidation synonyme de lucrative vente aux enchères. OBSCURE RÉPARTITION DES DOSSIERS Est-ce pour cette raison que l’affectation des dossiers auprès des commissaires-priseurs judiciaires, mise en application depuis 2006 directement par le président du Tribunal – elle relevait jusqu’alors des préconisations du mandataire nommé auprès du juge-commis- saire –, dans une ordonnance qui les désigne simultanément aux mandataires et administrateurs judiciaires, fait l’objet à Lyon d’une étonnante et empirique clé de répartition : 60 % d’entre eux sont confiés à Anaf & associés, 20 % à Bérard Péron Girard-Claudon, et 20 % à Bremens Belleville ? Selon nos informations, cette distribution était encore plus inégalitaire il y a quelques années, l’intervention du président Marcel Sengelin, prédécesseur d’Yves Chavent, détri- cotant quelque peu la quasi hégémonie de maître Anaf (alors aux commandes de 70 % des dossiers) après avoir soumis les opérateurs à une « certification de qualité ». Pour autant, et nonobstant ces progrès, cette obscure péréquation – à Grenoble sa SCP se partage le « marché » à 50/50 avec celle des frères Armand et Gérard Torossian, et à Vienne il l’a « installée » concomitamment aux graves problèmes de santé de maître Henri Gondran, à la tête de la Selarl éponyme, selon d’emblématiques confrères « profitant » alors de sa vulnérabilité et de ses défaillances – pose de lourdes interrogations. Reflète-t-elle la proportion des forces en présence  ? Est-elle ajustée à la réalité des compétences et des infrastructures des études – les enseignes Anaf & Associés et Bérard Péron Girard-Claudon sont certifiées Iso 9001 ? Corres- pond-elle à des critères exclusivement professionnels ou résulte-t- elle «  aussi  » des liens «  historiques  », affectifs et professionnels, inextricablement entremêlés, que maîtres Anaf et Martinon ont Le sort « pénal » de Jean Martinon et Jean-Claude Anaf, qui durent s’acquitter d’une caution cumulée de 800 000 euros, est suspendu aux conclusions de l’enquête fiscale.© Brice Charrue N°128 Décembre 2015 © Laurent Cerino / Réa36 Acteurs de l’économie - La Tribune

JEAN-CLAUDE ANAF EntreprendreCLAUDE AGUTTES © Laurent Cerino / Acteurs de l’économie« J’en veux à Jean-Claude Anaf » © Stéphane Audras / RéaClaude Aguttes, aux commandes de l’enseigne éponyme (30 millions d’eu-ros de meubles et objets d’art vendus) régulièrement classée parmi les cinqplus importantes de France (derrières les colosses Sotheby’s, Christie’s etArtcurial), a racheté en 2008 à Jean-Claude Anaf les murs de la gare desBrotteaux de Lyon (quatre millions d’euros) et la société Anaf Arts Auction(un million d’euros). Il n’a « pas de regrets » mais l’amertume est grande.« J’en veux à Jean-Claude Anaf de m’avoir vendu une coquille vide ; sonétude n’avait quasiment pas de client, son activité apparemment si solide reposait sur des sables mouvants, et sa valeur était dictée par l’esbroufe. Je lui en veux également pour son manque absolu d’élégance ; c’est avec celui-même dont je m’étais séparé difficilement plusieurs années aupara- vant – Bernard Vassy, NDLR – qu’il s’est associé à l’issue des cinq années de clause de non exercice et s’est installé, à quelques mètres de la gare des Brotteaux. Et cette activité, c’est par la presse que je l’ai appris ! Le bourbier fiscal et judiciaire dans lequel il semble empêtré n’augure rien de bon pour son avenir dans la profession. » (Ici Jean-Claude Anaf et Claude Aguttes en 2008 lors de la vente d’Anaf Arts Auction, et la salle de ventes dans l’ancienne gare des Brotteaux)patiemment tissés, sans doute jusqu’au sein de quelque officine – et que tout président a le devoir de présenter au procureur, endiscrète, avec le petit cénacle judiciaire et politique  ? «  François l’annotant en cas de graves anomalies.Péron a raison d’interroger la légitimité du sujet. Mais pas dans le sensindiqué. Plutôt dans celui de sa propre compétence, qui selon moi justifie CONFLIT D’INTÉRÊTle pourcentage des dossiers que nous lui confions », assène-t-on au sein Que François Péron ait pu tirer un profit concret et juteux de la des-du Tribunal… Seule l’étude Anaf & Associés serait donc structurée cente aux enfers de son adversaire en cas d’interdiction d’exercer estpour accomplir des missions d’envergure, et l’exigüité du « gâteau à incontestable. Et que les ressentiments que ce tenace Breton nourritpartager » n’autoriserait pas d’autre alternative. C’est ce qu’assurent à l’endroit de celui et du système qui à ses yeux font barrage à sonses défenseurs et partisans. Et c’est bien sûr ce que pourfendent ses développement soient profonds, est tout aussi irréfragable. Mais surrivaux et détracteurs. quelles preuves factuelles les lourdes accusations et l’excommuni- cation publiques sont-elles fondées ? Comment, dans l’entourage deFRANÇOIS PÉRON, COUPABLE OU VICTIME ? Jean-Claude Anaf et restitué en substance par ses « relais », peut-onRival et détracteur, François Péron – qui a refusé de s’exprimer sur affirmer que les conclusions de l’inspection de la Compagnie – éta-la procédure judiciaire en cours – l’est indiscutablement. Rivalité blies par un trio composé de deux commissaires-priseurs judiciairesqui dans chaque camp prend des atours antithétiques. A son arrivée et d’un cabinet d’expertise-comptable – furent remises par Françoisà Lyon il y a quelques années, François Péron a-t-il cherché à acqué- Péron au Parquet sous réserve de l’appréciation que les juges leurrir l’étude de Jean-Claude Anaf et face au refus de son interlocuteur confèreront sur le fond ? Procureur et défenseur ont-ils communi-s’est-il emmuré dans une posture vindicative et une stratégie de qué pour partager puis laisser l’information sédimenter le milieu ?destruction  ? Ou au contraire a-t-il éconduit les tenaces sollicita- « En clamant depuis plusieurs années qu’il « allait avoir la peau » de sontions d’association émises par son adversaire, s’exposant alors à la rival, François Péron a signé aux yeux de tous son méfait, quand bienprofération de menaces et à de vives mesures de rétorsion ? même rien ne permet de l’accuser formellement », résume un adminis-Aujourd’hui, ulcérés par la tournure judiciaire qui les a conduits trateur judiciaire.dans les locaux de la police pour d’inconfortables auditions et a Enfin, c’est sous la tutelle régionale de la Stéphanoise Agnès Car-« étalé sur la place publique ce qui aurait du rester entre nous », l’en- lier – désormais aux manettes de la Chambre nationale – et non desemble des animateurs de ce microcosme fait totalement corps à la François Péron que l’inspection des comptes 2012 fut diligentée,fois autour de Jean-Claude Anaf et contre le président de la Compa- ce dernier « héritant » de la responsabilité de remettre au Parquetgnie régionale des commissaires-priseurs judiciaires. Tous anathé- le complément d’informations réclamé. Or, par quel cabinet d’ex-matisent ce dernier et l’accusent d’avoir « conditionné » l’attention pertise-comptable cette inspection aux conclusions explosives fut-et le jugement que le Parquet a réservés aux conclusions de l’inspec- elle conduite ? Béal. Le propre conseil de la SCP dirigée par Agnèstion diligentée par la Compagnie sur les comptes d’Anaf & Associés Carlier… « Un pur hasard », se défend cette dernière. Comment unN°128 Décembre 2015 Acteurs de l’économie - La Tribune 37

Entreprendre JEAN-CLAUDE ANAF La brochure célébrant les 40 ans d’exercice de Jean-Claude Anaf ? Une hagiographieconflit d’intérêt à ce point caractérisé, susceptible de «  casser  » « pure mégalomanie », estime-t-onl’instruction en discréditant l’intégrité de l’inspection, a-t-il pu au sein de la profession.échapper aux organes de déontologie internes de la profession ? Auself control de la présidente ? Mais aussi aux magistrats en charge de Manquement déontologiquel’instruction pénale ? Dans son arrêt du 27 octobre 2015, la Cour d’Appel de Lyon aRÉGLES DE FONCTIONNEMENT CONTESTABLES confirmé la condamnation en première instance (15 décembreDes règles de fonctionnement propres à la profession de commis- 2014) de Jean-Claude Anaf à la « censure simple » et de Jeansaire-priseur judiciaire ne manquent pas de surprendre, même si Martinon au « rappel à l’ordre » pour des pratiques jugées nonle statut d’officier ministériel impose légitimement une très stricte conformes à la déontologie de la profession. En cause : la publi-déontologie. Au contraire du Barreau qui, en cas de déviance, cation d’une brochure, «  largement diffusée à 3 400 exem-convoque l’avocat épinglé, partage les conclusions, enquête sur les plaires », sur les 40 et 20 ans d’exercice des deux associés. Lescauses, préconise des réparations, bref « échange » et peut avertir motivations de la Cour sont explicites : « Une publicité person-ou blâmer en interne avant de communiquer le dossier aux ins- nelle, contenant des affirmations comparatives inappropriées avectances judiciaires ou policières, la Compagnie régionale des com- le reste des confrères et réalisée dans des conditions contrairesmissaires-priseurs judiciaires n’est pas tenue d’informer leurs au respect des obligations déontologiques  ». Plus précisément,auteurs des dérives repérées par les vérificateurs. Et si, comme les « maître Anaf y apparaît doté de qualités supérieures à celles deinspections spéciales diligentées dans le cadre de l’instruction le ses confrères, notamment en terme d’efficacité : « meilleur com-confirment, les pratiques de la SCP Anaf & Associés dans les années missaire-priseur en toutes circonstances, un incroyable ténor duantérieures à 2012 étaient du même ordre, jamais les intéressés n’en marteau qui, grâce à son jeu de scène mêlant prestance verbalefurent renseignés – et en conséquence jamais ils ne furent invités à et gestuelle bien maîtrisée, sait qu’il peut obtenir jusqu’à 30 % decorriger leurs pratiques. Alors pourquoi cette fois-ci les anomalies prix en plus qu’un confrère qui vend classiquement, des profes-ont-elles justifié d’être communiquées au Parquet ? Seulement parce sionnels hors pair dans le judiciaire » – l’admonestation concerneque le président a pour nom François Péron, ou parce que l’in- d’ailleurs aussi « l’amalgame entre commissaire-priseur volontairetervention des cabinets d’expertise-comptable, facultative jusqu’en et commissaire-priseur judiciaire  ». In fine, la brochure de 402012, dorénavant crédibilise davantage les vérifications ? pages est jugée « indéniablement une publicité comparative des deux commissaires-priseurs, péjorative pour leurs confrères et unRÈGLEMENTS DE COMPTES dénigrement pour ces derniers ».Seule certitude : l’avenir professionnel de François Péron s’annonce CONFRONTATION IDÉOLOGIQUEsombre. La plupart des protagonistes interrogés pronostiquent Et il est vrai qu’elle est particulièrement laudative. Pêle-mêle sontmême à terme sa «  mort professionnelle  ». Face à l’ampleur de la évoqués les décorations de Jean-Claude Anaf, ses « dons de show-vindicte, le président du Tribunal de commerce de Lyon, pour- man  » et son «  processus de transformation quand les enchèrestant peu suspect de complaisance envers l’intéressé, s’est fendu démarrent et qu'il faut avoir vu au moins une fois dans sa vie », lesd’une « note d’apaisement » adressée aux professionnels judiciaires collectionneurs qui ne «  peuvent rêver mieux pour disperser leursappelés à collaborer avec le commissaire-priseur. Et les missions objets sous la houlette d’un commissaire-priseur aussi talentueux »,continuent d’être scrupuleusement réparties selon la fameuse règle son travail dans « la plus grande confiance des juges des tribunaux dedes 60/20/20. Mais quantité de dossiers ne signifie pas qualité et commerce, devenant le correspondant de référence des profession-profitabilité des dossiers, déplore-t-on dans l’entourage de Fran- nels du secteur », « un véritable modèle pour une nouvelle générationçois Péron. Lequel est «  attendu au tournant, déclare, à l’unisson, de commissaires-priseurs, lui qui a embrassé une carrière exemplairele cénacle. A la moindre erreur, à la moindre pièce oubliée lors d’un auréolée de nombreuses enchères historiques  », sa présence auinventaire, il sautera. Car il est dans le viseur de tout l’éco-système ». « Il 49e rang du classement établi par le magazine Lyon People desa dégoupillé une grenade qui lui est restée dans les mains », « il est dépassé 100 personnalités locales les plus influentes « alors qu’aucun autrepar ce qu’il a déclenché », « il s’est grillé et personne ne lui pardonnera commissaire-priseur ne figure dans la liste ». Et de conclure « qu’il nejamais », « il ferait bien de quitter Lyon » corroborent respectivement se passe pas un jour sans qu’un Lyonnais ne lui demande : Quandun mandataire judiciaire, un hiérarque de la Chancellerie, et deux referez-vous des ventes ? ».« figures » du Tribunal de commerce. « Il y aura des règlements de Mais l’interprétation de cette condamnation va au-delà. Elle reflètecompte », conclut-on, elliptique, dans l’entourage de maîtres Anaf le face-à-face « idéologique » auquel se livrent les sentinelles d’unet Martinon. Selon nos informations, la marginalisation physique strict respect de la tradition déontologique à ceux qui teintent cetteet professionnelle du «  félon  » a démarré. Comme l'annonçait un dernière d’une ambition entrepreneuriale et commeNrc°i1a2l8e icDoéncoecmlabsrete2015administrateur lyonnais, à l’ostracisme trop visible sont substituées en France mais commune dans les pays anglo-saxons.de plus subtiles vexations ou humiliations. Quant aux stigmates,Quel est le cabinet d’expertise-comptable chargé de contrôlerles comptes d’Anaf & Associés ?Le propre prestataire de la SCPde la présidente de la Chambrenationale des CPJ. « Un pur hasard »,se défend cette dernière…Et un conflit d’intérêt caractérisé38 Acteurs de l’économie - La Tribune

JEAN-CLAUDE ANAF Entreprendre« L’approche commerciale, ambitieuse, et le « style » de Jean-Claude Anaf, entrepreneurdans l'âme, sont en rupture avec la culture très « notariale » de sa corporation. De quoichoquer, agacer. Et susciter la jalousie »poursuit-il, elles devraient perdurer bien au-delà du jugement et du UN LARGE CHAMP DES POSSIBLESrenouvellement régulier des membres du Tribunal de commerce. Et Reste une inconnue, qu’une source légitime met en lumière  : lesjustifier que « des consignes soient passées en sous-main. Y compris dans faits originels de corruption portaient-ils «  seulement  » sur lales loges – maçonniques, NDLR ». magnificence de Jean-Claude Anaf et Jean Martinon ? Les fraudes et faits de corruption sont nettement plus difficiles à exercer dansENQUÊTE FISCALE DÉTERMINANTE l’activité judiciaire que dans celle dite volontaire (lire par ailleurs).Le dénouement de « l’affaire Anaf Martinon » est désormais assu- Et en l’occurrence, selon nos informations, les fameuses inspec-jetti à plusieurs temps. En premier lieu celui de l’examen fiscal, tions diligentées sur les comptes d’Anaf & Associés n’auraient éta-dont les conclusions conditionneront de manière déterminante bli aucun détournement de fonds – ce qui conditionna l’abandonl’investigation pénale et la nature des poursuites au tribunal cor- des soupçons de corruption. Mais la Cour d’Appel de Lyon, dansrectionnel. Qu’elles établissent, selon des règles parfois difficiles à son arrêt du 27 octobre 2015 jugeant une procédure déontolo-discerner – par exemple profiter d’un séjour dans un palace pour gique déclenchée par deux confrères et liée à la publication d’uneinviter à dîner de riches amis amateurs de bateaux à quelques mois brochure hagiographique sur les 40 et 20 ans d’exercice des deuxd’une vente de yachts à Cannes, interroge l’imbrication des motiva- associés – « un moment de pure mégalomanie » et une sémantiquetions personnelle et professionnelle et donc le type de portefeuille qui « jette même le trouble » sur leurs relations avec les mandatairesinvité à régler l’addition –, une fraude massive et (presque) parfai- et administrateurs judiciaires, estime-t-on au sein de la professiontement organisée, durciront le dossier pénal dans des proportions et de l’instance représentative –, a réitéré la peine initiale : « cen-inédites. Qu’à l’inverse elles attestent de dérives sensiblement plus sure simple » pour le premier, « rappel à l’ordre » pour le secondraisonnables que les 800 000 euros suspectés au départ, pourrait (lire encadré). Plus grave, toujours à la frontière entre manque-décider les juges à la clémence. «  Lorsqu’une étude est à ce point ments déontologique, fiscal et pénal, est-il possible que des croise-consubstantielle à une personne, il est compréhensible, à défaut d’être ments de facturations aient pu être mis en œuvre entre une sociétéexcusable, de faire l’amalgame. Mais une SCP n’est pas une entreprise en commerciale et une étude de commissaire-priseur judiciaire ? Lenom personnel, et en l’occurrence la violation de l’éthique est franchement champ des possibles apparaît substantiel ; chaque partie prenanteaggravée par le statut d’officier ministériel », indique-t-on au sein de espère désormais que la justice le circonscrira et fera la lumière surl’institution judiciaire. (toute) la vérité des (seuls) faits. 1 an 40 €Je m'abonne pour TTC / 5 numéros + suppléments 2 ans 70 €Je m’abonne pour TTC / 10 numéros + supplémentsOFFRE Société : ......................................................................................................................................................................................... Nom / Prénom : .........................................................................................................................................................................SPÉCIALE Adresse : ........................................................................................................................................................................................ .............................................................................................................................................................................................................. Code postal  : ................................................................ Ville : ................................................................................................ E-mail : ............................................................................................................................................................................................ Tél. : ................................................................................................................................................................................................... Date et signature MODE DE RÉGLEMENT Chèque libellé à l'ordre de RH ÉDITIONS à retourner à Acteurs de l'économie - Immeuble le Diplomate - 51 avenue Jean Jaurès - 69007 Lyon Je souhaite recevoir une facture acquittée Je souhaite m’inscrire à la newsletter RÉSERVÉ À ACTEURS DE L'ÉCONOMIE Réf. client :......................................................... Périodicité : du n°............................. au n°.......................... Banque : ....................................................................... N° chèque : ...................................................................N°128 Décembre 2015 Acteurs de l’économie - La Tribune 39

Entreprendre JEAN-CLAUDE ANAFe « dossier Anaf - Martinon » © Laurent Cerino / Réadoit être lu dans l’entremêlementdes réseaux d’influence locaux, etnotamment maçonniques. Réseauxqui singularisent le fonctionnementdu Tribunal de commerce et desmétiers a érents, toutefois dansdes proportions di ciles à établir etsources de fantasmes plus ou moinsavérés qui ne doivent pas occulterla bonne réputation professionnelledu microcosme.A « FRATERNELLE », AU CŒURDES EXPLICATIONSLe « dossier Anaf – Martinon » doit être lu dans l’entremêlement des réseaux d’influencelocaux, et notamment maçonniques. Réseaux qui singularisent le fonctionnement duTribunal de commerce et des métiers a érents, toutefois dans des proportions di cilesà établir et sources de fantasmes plus ou moins avérés qui ne doivent pas occulterla bonne réputation professionnelle du microcosme.40 Acteurs de l’économie - La Tribune N°128 Décembre 2015

Le Tribunal de commerce de Lyon et les professions a érentes tout à la foi hébergent une importante présence maçonnique et peuvent attester d’une e cacité professionnelle probante.Au haut niveau de la Chancellerie, saisie de l’af- la France parmi les pays occidentaux les plus corrompus, de faire que la notoriété et le statut officiel des per- faire référence aux confessions d’un interlocuteur empêtré dans sonnalités en cause rendent sensible et affectent d’insondables démêlés judiciaires et pourtant toujours épargné : d’un « signalement », « on » porte confidentiel- « Quand on apprend à bien connaître son juge, tout s’arrange… ». lement à la situation et au Tribunal de commerce de Lyon des observations peu amènes, et « on » UNE RÉALITÉ À TEMPÉRER fustige la proximité « fâcheuse » de la grappe de Ces fantasmes, avérés ou improbables, germent et prospèrent protagonistes par la faute de laquelle supputa- dans un enchevêtrement d’axes d’influence – des conseils de tions et faits avérés se chevauchent. Un « vase clos » qui effective- maître Anaf sont aussi ceux de l’édile de Lyon ou même occupent ment met en scène, dans la seule ville de Lyon, seulement quatre des responsabilités d’adjoint à la Ville ou de vice-président de la études d’administrateurs judiciaires, autant de cabinets de man- Métropole – et dans un terreau maçonnique caractéristique du dataires, et trois SCP de commissaires-priseurs judiciaires. Ajou- microcosme. « Dans la gestion de ce dossier, des choses m’échappent », tés à celles du président du Tribunal, qui concentre les pouvoirs concède une source policière. La franc-maçonnerie permet-elle de désignation, et de son vice-président délégué aux procédures de lire ce mystère  ? Au bout du fil, un silence puis un rire collectives, c’est bien entre les mains d’une petite quinzaine de d’aveu, auxquels succède le refus de répondre. Un administra- professionnels que se décide le sort des entreprises en difficulté. teur judiciaire, membre de la Grande Loge nationale française, De quoi, effectivement, entretenir des fantasmes, hallucinatoires reconnaît l’existence et la puissance de la «  fraternelle  » des ou crédibles. Et aussi de justifier, selon l’entourage du Garde des Tribunaux de commerce (réunion des loges d’une même activité Sceaux, le «  bienfondé  » d’une loi Macron et d’une réforme de l’institution – en premier lieu « l’échevinage », appelé à doubler « A Lyon, ni les compétences dans les procédures d’appel les postes de juge des tribunaux ni le dévouement ni l’impartialité de commerce d’un magistrat professionnel – qui toutes deux du Tribunal de commerce ne peuvent lorgnent un « meilleur équilibre des pouvoirs » et, à terme, l’éradi- être mis en doute » cation de « cet entre-soi » symptomatique du fonctionnement des tribunaux de commerce. Et ce même collaborateur du ministre Acteurs de l’économie - La Tribune 41 de la Justice, à l’aune des standards internationaux qui hissent N°128 Décembre 2015

Entreprendre JEAN-CLAUDE ANAFprofessionnelle), qui cohabite (ou se confond, selon les cas) avec© Laurent Cerino / Réanéfastes ; mais à Lyon, ni ces compétences ni le dévouement ni l’impar-le réseau, tout aussi influent, des syndicats patronaux Medef et tialité du Tribunal de commerce ne peuvent être mis en doute. » Et cetCGPME appelés à désigner les juges. Et François Péron lui-même ancien bâtonnier d’indiquer que la commission d’enquête parle-en aurait été averti, lors de son installation à Lyon, par un ancien mentaire sur « l’activité et le fonctionnement des tribunaux deprésident du Tribunal de commerce local. La « loi maçonnique » commerce » pilotée par Arnaud Montebourg et François Colcom-influence incontestablement le fonctionnement des Tribunaux de bet en 1998 avait « totalement épargné » l’institution lyonnaise.commerce. Jusqu’à le dicter et à modeler une entente voire une Un professionnalisme que corroborent plusieurs indicateurs : encollusion entre administrateurs, mandataires et commissaires 2014, seuls 0,43 % (premier semestre) et 0,18 % (second semestre)priseurs « tous » frères ? La réalité est plus nuancée. D’une part des 1 810 dossiers traités ont fait l’objet d’une procédure d’appel,rien n’atteste qu’une proportion démesurée voire hégémonique le délai séparant la déclaration de dépôt de bilan au greffe de lades protagonistes appartienne aux obédiences ad hoc, d’autre part décision du Tribunal n’excède pas une semaine, et le système deles luttes inter et intra-obédiences peuvent se révéler saignantes. paiement des salaires en retard – « unique en France », affirme leEt à ce titre, l’intérêt et l’enjeu professionnels s’imposent bien président du Tribunal de commerce Yves Chavent – leur assuresouvent aux règles de fraternité ; le cas de ce professionnel judi- d’être effectués au maximum 48 heures après l’ouverture de laciaire franc-maçon sommé de patienter plusieurs années avant procédure.que des dossiers, « bloqués » par quelque concurrent et pourtant Rien n’est donc blanc ou noir, et c’est bien dans l’infini nuancier« frère », lui soient confiés, en témoigne. des gris que le fonctionnement des Tribunaux de commerce doit être décrypté. Et que celui de Jean-Claude Anaf et de Jean Marti- Depuis la règlementation non doit lui-même être disséqué. de 2006, c’est entre les mains du président Quelle ligne fait-elle démarcation du Tribunal de commerce entre petits et grands écarts, (ici Yves Chavent) qu’est entre tolérables et insoutenables concentrée la répartition usages, entre candide et délictueuse des dossiers a ectés maladresses ? aux mandataires, administrateurs OÙ EST LA LIMITE ? et commissaires-priseurs Car « l’affaire » est en effet révélatrice de pratiques et d’usages fai- judiciaires. A Lyon, Anaf & sant le lit d’interprétations antagoniques. La prodigalité de Jean- Associés en traite 60 %. Claude Anaf n’est-elle que munificence, cultivée dans plusieurs dizaines d’années de collaborations professionnelles amicales  ?A LIRE DANS LE NUANCIER DES GRIS Ou ces menus cadeaux, dont l’intérêt apparaissait évident il y aEnfin, si le choix des repreneurs, en théorie soumis à un concor- encore une dizaine d’années lorsque les commissaires-priseursdat pléthorique (trois juges qui statuent après les réquisitions du judiciaires étaient désignés par les mandataires – les premiersParquet et l’avis du juge-commissaire, du mandataire et de l’ad- peuvent toutefois toujours bénéficier de sérieuses recomman-ministrateur judiciaires, du personnel, du contrôleur des créan- dations par les seconds auprès de la hiérarchie du Tribunal deciers, du dirigeant) peut encore se décider dans lesdites loges, la commerce appelée à arbitrer –, consolident-ils « autre chose » ?raréfaction des ventes de gré à gré des fonds de commerce, aux- « Moi-même lui ai conseillé à plusieurs reprises de limiter sa générosité,quelles se sont substituées les ventes aux enchères, et l’évolution aussi naturelle que désintéressée, car, l’affaire l’atteste, cela peut êtredes processus de désignation des professionnels judiciaires, ont mal interprété », concède l’un de ses proches. « Lorsqu’on connaitpermis de juguler une partie des dérives. Au-delà, poursuit un le confort matériel et financier de notre corporation – selon un rap-spécialiste des procédures collectives, « comment peut-on reprocher port de l’Inspection générale des finances, le revenu mensuel netaux juges, par définition chefs d’entreprise ou commerçants et donc médian atteint 25 723 euros, NDLR –, qui donc peut croire qu’unmembres de la société civile, de frayer de trop près avec cette même foulard, une cravate, voire même un peu plus offerts pour un départ àsociété civile ? Les petites juridictions, qui disparaissent peu à peu – à la retraite ou un mariage peuvent conditionner notre comportement etterme, seule une douzaine de tribunaux sera habilitée à traiter les notre bienveillance ? », assure de son côté un mandataire judiciaire.dossiers portant sur des effectifs et/ou des chiffres d’affaires supérieurs Certes. Mais où est la limite ? Quelle ligne fait-elle démarcationà 250 salariés et 40 millions d’euros –, pouvaient être marquées par entre petits et grands écarts, entre tolérables et insoutenablesd’insuffisantes compétences et des connivences problématiques voire usages, entre candide et délictueuse maladresses ? « La distinction est effectivement ténue, et à l’avenir chaque partie prenante devra être très prudente dans la manifestation de sa relation affective et de proxi- mité, analyse un professionnel judiciaire particulièrement averti sur le sujet. Jean-Claude Anaf a eu très « chaud » : si les juges avaient retenu les premières préconisations du Parquet, aujourd’hui il serait mort professionnellement ». DL« Lorsqu’on connait le confort financier des mandataires judiciaires – 25 723euros de revenu mensuel net médian –, qui peut croire qu’un foulard ou une cravateofferts peuvent influencer leur comportement ? »42 Acteurs de l’économie - La Tribune N°128 Décembre 2015

JEAN-CLAUDE ANAF Entreprendre© Laurent Cerino / Réa Jean-Claude Anaf ici en action lors d’une vente pour le compte d’Anaf Auto Auction le 18 mai 2011, quelques semaines après la cession de sa société au Groupe Bernard. Les faits qui valurent à Anaf Auto Auction d’être condamnée pour blanchiment s’étirèrent jusqu’au 17 octobre 2011.ANAF AUTO AUCTIONCONDAMNÉE POUR BLANCHIMENTDEUX POIDS DEUX MESURES ?En 2014, la Cour d’appel de Grenoble condamnait Anaf Auto Auction pour blanchiment. PourquoiL'et comment la société n’a-t-elle à ce jour pas fait l’objet de sanction de la part de son ordre de tutelle, le Conseil des ventes volontaires ?, continuent de s’interroger des professionnels incrédules. affaire est pour le moins embarrassante Anaf au groupe Bernard en avril 2011. La société était poursuivie pour la réputation de maître Jean-Claude pour « avoir apporté son concours à des opérations de placement, de Anaf, et sa gestion par les instances dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d’un délit ». représentatives de la profession de com- En l’occurence, pour avoir vendu « de façon habituelle » à Abdela- missaire-priseur volontaire peut-être ziz A. 24 véhicules pour un montant de 322 838,79 euros selon emblématique de l’influence qu’il y exerce. des pratiques réprimées par le Code pénal : ainsi elle était jugée Dans son arrêt du 13 janvier 2014 et dans pour «  avoir accepté des chèques établis par une entreprise ne cor- le sillage d’un jugement du Tribunal cor- respondant pas à l’identité de l’acquéreur et des paiements en espèces rectionnel de Vienne du 17 décembre 2012, pour des montants supérieurs à ceux prévus par les dispositions légales la Cour d’appel de Grenoble considérait la ou règlementaires – par exemple une Porsche Cayenne pour 46 347,21 SAS Anaf Auto Auction coupable de « faits euros intégralement en liquide – ; d’avoir employé des circuits bancaires de blanchiment par personne morale  » sur permettant de dissimuler l’origine des fonds et d’avoir contourné la une période s’étalant du 1er janvier 2010 au législation concernant les paiements en numéraires circuits non justi- 17 octobre 2011 – elle fut cédée par maître fiés par d’autres causes ; de n’avoir pas vérifié l’identité de l’acquéreurN°128 Décembre 2015 Acteurs de l’économie - La Tribune 43

Entreprendre JEAN-CLAUDE ANAFni déclaré ces transactions au service Tracfin  ». Les débats mirent Pourquoi Anaf Auto Auction,en lumière qu’entre le 1er janvier 2009 et le 30 septembre 2011, condamnée pour « blanchiment »722  995,25 euros représentant 96 opérations différentes pour par le tribunal correctionnel,des montants toujours supérieurs à 3 000 euros – plafond de n’a-t-elle fait l’objet d’aucunepaiement autorisé en espèces – transitèrent sur les comptes ban- sanction par le Conseil descaires d’Anaf Auto Auction. Au final, la société dont la gestion ventes volontaires, quand la SASétait assurée par Christophe C. – «  un fusible  », déplorent des Claude Aguttes était lourdementconfrères –, était condamnée à une amende de 50 000 euros. punie par le même CVV pour des faits sensiblement moins graves ?« QUAND IL VEUT IL PEUT ! »Depuis, une même interrogation continue d’agiter la profession : Catherine Chadelat (Conseilpour quelles raisons le Conseil des ventes volontaires (CVV) des ventes volontaires) :n’a-t-il pas prononcé de sanction à l’endroit de la SVV Anaf Auto « Une société condamnéeAuction (lire encadré) ? « C’est proprement incroyable », fulminent pour blanchiment ne doitdes professionnels, y compris lorsque cette situation est mise en pas continuer d’exercer »perspective de l’extrême sévérité des réglementations inhérentesà la profession de commissaire-priseur judiciaire. Déontologies En conclusion d'échanges d'une grande tension révélant un profond«  volontaires  » et «  judiciaire  » doivent-elles être considérées embarras, la présidente du Conseil des ventes volontaires, la conseil-inégalement ? « Le « riche » CVV – un budget annuel de 1,8 mil- lère d’Etat Catherine Chadelat, met en avant la réglementation pourlion d’euros, pourvu par les cotisations des 650 professionnels justifier l’absence de procédure disciplinaire à l’encontre de la SASet/ou 400 maisons de vente, NDLR – fonctionne sur un mode qui Anaf Auto Auction. Le CVV, saisi par le Commissaire du gouvernementprête à la critique, juge, dans un propos en réalité nettement plus auquel est rattaché un commandant de police, peut prononcer desradical et comminatoire, un hiérarque de la Chambre des com- peines disciplinaires contre les commissaires-priseurs et les maisonsmissaires-priseurs judiciaires. Les nominations, qui émanent des de ventes, individus comme sociétés. Selon l’article 6 de la Conventionministères, sont établies pour des mandats de quatre ans renouvelables européenne des droits de l’homme concernant le procès équitable, ildans des conditions opaques. Jean-Claude Anaf y est très influent, appartient au « seul » Commissaire du gouvernement de solliciter lemême quand il n’en est plus membre ; à l’image du récent renouvelle- Conseil pour lancer une procédure, et « l’auto saisine par la présidencement de son associé Bernard Vassy, il y possède de solides soutiens. » est juridiquement impossible ». Pourquoi, en dépit d’une condamnationLa réunion décentralisée du CVV le 15 mai 2013 à l’Hôtel de de la société de ventes pour un « fait de blanchiment » qui constitueville de Lyon sème le trouble. L’un des participants y interpelle une « infraction grave dans la jurisprudence du Conseil », les magis-Catherine Chadelat, la présidente du Conseil de 11 membres trats qui se sont succédé au poste de Commissaire du gouvernementoù siège Jean-Claude Anaf – qui, depuis sa mise en examen en depuis décembre 2012 n’ont-ils pas fait procéder au déclenchementdécembre 2014, a démissionné – : « Ca ne vous dérange pas d’avoir d’une procédure ? Et alors même que, comme le précise, Catherineparmi vos membres une personne impliquée pénalement ? » (citation Chadelat, « on ne peut pas continuer d’exercer lorsqu’on a fait l’objetrapportée par la présidente elle-même, NDLR). Devant l’anony- d’une sanction pénale aussi grave » ? D’aucuns considèrent l’anachro-mat de la cible attaquée et parce qu’elle « ignore alors l’existence de nisme très étrange. « L’affaire est à l’examen, je n’ai pas pris de déci-l’instruction » – elle explique l’avoir apprise « par le Parquet après sion, et donc je n’ai pas à répondre », indique l’actuelle Commissairejanvier 2014  » –, Catherine Chadelat clôt l’échange. Selon nos du gouvernement, dont le bureau est physiquement hébergé au seininformations, le trouble-fête aurait souhaité que son intervention même du CVV. Et la présidente de rappeler qu’elle est tenue de « nesoit consignée sur le compte-rendu. « Mais ces réunions décentrali- jamais inciter le Commissaire du gouvernement à provoquer le lance-sées à caractère informel ne font l’objet d’aucune synthèse de la sorte », ment d’une procédure, quelle que soit mon appréciation personnelle etdétaille la présidente. Pourtant un compte-rendu a bien été même lorsque cela me vient à l’esprit, » mais qu’elle peut « partagerpublié, et qui d’ailleurs consacre un paragraphe à la lutte contre une opinion ou un sentiment  » que lui inspire tout cas. La ligne dele… blanchiment, exhortant les professionnels à se mobiliser démarcation est fine, presque imperceptible...« dans un contexte de renforcement de la réglementation européenne » Reste une interrogation  : ne peut-on pas considérer étonnant queet les invitant, par exemple, « à signaler à l’établissement bancaire le CVV sanctionne chaque année environ 400 dossiers – dans leurtout chèque de banque douteux présenté par un acheteur potentiel ». majorité, des négligences portant sur des remises de fonds différés,L’attitude du CVV à l’endroit d’Anaf Auto Auction apparaît d’au- des prix de réservation, des états d’objet éloignés de la réalité, etc.tant plus incompréhensible au regard des suspensions – aux – et ne punisse pas une société condamnée pour blanchiment ? « Jelourds symboles – qu’il infligea à la même époque, pour des man- vous assure que cette situation n’est en rien liée à la participation dequements plus ou moins comparables voire a priori bien moins maître Anaf au bureau du CVV », conclut Catherine Chadelat.sévères, aux réputés opérateurs Henri Gros, associé du présidentde Drouot Georges Delettrez (pour avoir accepté un règlement en N°128 Décembre 2015espèces de 200 000 euros d'un acheteur chinois), ou… ClaudeAguttes, président de Drouot Enchères. Selon ce dernier, lesort réservé à sa SAS coupable d’avoir « procédé à la vente d’untableau sans connaître l’identité effective du vendeur », aura pu,là encore, être « commenté » au sein de quelque cercle occulte.La perte sèche, pour l’officier de vente volontaires, occasionnéepar la suspension de deux mois prononcée le 6 juillet 2012 – etramenée, par la Cour d’appel de Paris le 27 novembre 2013, à 15jours avec sursis après que le CVV n’ait pas accédé à la demandede recours gracieux – peut être estimée à 1 million d’euros. « Toutcela prouve que lorsqu’il veut, le CVV peut !, tranche un profession-nel. Anaf et les autres : deux poids deux mesures ? ».  DL44 Acteurs de l’économie - La Tribune

Publi communiqué RUBRIQUE DE NOM EntreprendreNUIT DE L’ENTREPRISE POSITIVE« Inviter à la révolution managériale et organisationnelle »Organisée le 5 novembre dernier au sein du campus Saint-Paul de l’Université catholique de Lyon, la première Nuit de l’entreprise positiveétait l’occasion pour plusieurs centaines de participants d’envisager de nouveaux modèles de leadership dans l’entreprise et d’explorer denouvelles formes de management. Et de prendre des engagements concrets afin d’entamer une révolution intérieure et silencieuse : celledu management et du leadership positif.Quelque 500 participants, diri- et bien-être », « Pleine conscience et neu- de l’authenticité et de l’intégrité, étant celui geants d’entreprises et collabo- rosciences », « Autonomie et agilité collec- qui permet de faire tomber les masques au rateurs, étaient réunis le jeudi 5 tive », « Authenticité et intégrité » ou encore sein de l’entreprise et de redevenir soi, en tant novembre dernier, dans l’enceinte « Organisation numérique et collaborative ». que dirigeant ou que collaborateur. Il crée de du campus Saint-Paul de l’Univer- En clôture des échanges et des ateliers, plus les conditions d’une agilité numérique et sité catholique de Lyon, pour « relever un pari chaque participant a été invité à s’engager collaborative, di usée au sein de l’entreprise, fou, insensé dans une France engluée dans envers la transformation de son entreprise. auprès de ses collaborateurs, sans craindre la crise, lancé il y maintenant un an : celui de Rendez-vous est pris l’an prochain pour faire l’uberisation de son organisation. Il sait déve- réunir les acteurs de l’entreprise pour relever le bilan des actions engagées. lopper la notion de récompense juste. Enfin, il les défis du XXIe siècle. Et l’entreprise posi- met en place et promeut toutes les formes de tive constitue l’une des voies possibles », se Les piliers du positive leadership solidarités internes et externes de son entre- souvient Yves Le Bihan, président de l’Insti- prise, garant de sa responsabilité sociale. » tut français du leadership positif. Il s’agissait Le but de la soirée était aussi de di user Certes, cette révolution silencieuse peut pro- pour eux, au cours d’une soirée ponctuée de les sept grands piliers, les sept dimensions voquer une certaine forme de réticence, des témoignages, de rencontres et d’ateliers thé- du leadership positif. Piliers qu’énumère et craintes, des peurs de la part des collabora- matiques, d’envisager de nouveaux modèles détaille Yves Le Bihan. « D’abord, le leader teurs. « Aussi, le leader positif doit incarner de leadership dans l’entreprise, d’explorer positif est celui qui crée les conditions de l’op- et s’imposer à lui-même ce qu’il demande de nouvelles formes de management, d’ap- timisme lucide et de l’enthousiasme. Des col- pour mieux entraîner ses collaborateurs » ; préhender de nouvelles approches pour les laborateurs optimistes et enthousiastes sont à défaut, il crée une dissonance. Une véri- dirigeants. « La nuit de l’entreprise positive 31 % plus performants, les études aujourd’hui table révolution intérieure, impérative, indis- visait à apporter des exemples concrets d’en- le démontrent. Le leader positif participe éga- pensable pour accomplir la transformation treprises et de dirigeants ayant osé remettre lement au bien-être et à la santé de ses col- positive de l’entreprise. à plat leur modèle d’organisation et de lea- laborateurs. Il crée par ailleurs les conditions Plus d’infos : http://positiveleadership.fr dership, précise-t-on à l’Institut du leadership d’une autonomie responsable et qui encou- positif. Il s’agissait en outre de sensibiliser rage les initiatives débridées. Il est le garant entrepreneurs, dirigeants et DRH au modèle scientifiquement validé du leadership posi- tif ». Enfin, l’Institut souhaitait « inviter à la “révolution managériale et organisationnelle” pour ancrer durablement l’épanouissement et l’engagement des salariés comme un vec- teur de performance décisif. » Pour atteindre ses objectifs, l’ILP avait programmé six mini-conférences, façon TED, six dirigeants venant exposer de quelle manière ils étaient parvenus à questionner leur modèle d’orga- nisation et de leadership. Les participants ont ensuite pu, en petits groupes, participer à un ensemble d’ateliers thématiques pour échanger concrètement au contact de diri- geants ou d’experts sur les bonnes idées et le « comment faire » de l’entreprise positive. Parmi les thématiques abordées figuraient «  Optimisme et enthousiasme  », «  SantéN°128 Décembre 2015 Acteurs de l’économie - La Tribune 45

Entreprendre RUBRIQUE DE NOMEntre pouvoir, politiqueet réseau, la chambredes métiers et de l’artisanatdu Rhône est le spectacled’un jeu politique engagé etagressif entre élus. Sur fondde règlements de comptesyndicaux, l’enjeu est dansla présidence de la pluspuissante chambre consulaired’artisans de France, occupéedepuis plus de 15 ans par AlainAudouard. Artisan chau eurde taxi, l’homme cristalliseles tensions mais bénéficied’appuis solides dont celuide François Turcas, présidentde la CGPME du Rhône.À un an des prochainesélections consulaires,celles-ci s’annoncent déjàdes plus incisives.ENQUÊTE, ROMAIN CHARBONNIERPHOTOGRAPHIES, LAURENT CERINO / ADECHAMBRE DES MÉTIERS DU RHÔNESON UNIVERS IMPITOYABLE46 Acteurs de l’économie - La Tribune N°128 Décembre 2015

CHAMBRE DES MÉTIERS DU RHÔNE Entreprendre La chambre des métiers et de ce n’est pas le cas de tout le monde. » Une l’artisanat du Rhône rejoue- petite remarque glissée, sans jamais t-elle Dallas  ? Depuis cinq citer de nom, à l’image de ce qui ressort ans, et les péripéties rocam- de la chambre consulaire. Pourtant, à bolesques des dernières élec- entendre une majorité d’élus, «  l’am- tions consulaires, se déroule, biance est bonne. Tout le monde est là pour dans la plus grande discré- défendre les artisans et travailler en bonne tion, une lutte au plus haut intelligence  », explique Carole Peyrefitte, de l’étage de la maison située sur l'avenue directrice des écoles d’esthétisme épo- Foch du 6e arrondissement de Lyon. En nymes et dont il s’agit du premier man- jeu : la gouvernance de la chambre. Entre dat au poste de 2e vice-présidente (UPA). « trahison », pouvoir, querelles d’hommes, Néanmoins, chacun y va de sa petite petites phrases, coups bas, guerre syn- phrase lorsque le micro est éteint. Les lan- dicale entre l’Union professionnelle des gues se délient plus naturellement surtout Artisans (UPA) et Artisan de notre avenir lorsque sont abordés des sujets sensibles : (affilié à la CGPME), la situation au sein les élections polémiques de 2010, un pré- de l’une des plus puissantes chambres sident devenu un peu trop imposant, des consulaires de France dédiée à l’artisanat personnalités plus ou moins contestées, est digne d’un scénario de la célèbre série un déménagement du siège de la CMA américaine. de l’avenue Foch à Confluence, les clans À l’extérieur, pourtant, rien ne trans- UPA vs ADNA − le premier regroupant, paraît. La chambre reste cette interface entre autres, de petites entreprises du institutionnelle «  importante  » pour les bâtiment au sein de la Capeb, l’autre, 28 600 artisans du Rhône. «  Heureuse- de petites et très grosses, à la Fédération ment ! S’ils savaient tout, ils voteraient encore française du bâtiment. moins aux élections consulaires  », indique Il faut dire que la chambre de la «  Pre- un familier de la CMA69. À l’intérieur mière entreprise de France » est devenue non plus, ni mouvement ni conséquences un lieu de pouvoir, politique et à enjeux à du côté de l’équipe opérationnelle de 92 l’instar des puissantes chambres de com- collaborateurs. Le climat social est jugé merce et d’industrie. Elle n’échappe pas «  bon  » par la petite section syndicale aux guerres fratricides, aux « trahisons », représentant la CFDT. Les rivalités de aux jalousies au sein même des branches pouvoir se déroulent à un autre niveau professionnelles et aux querelles d’égos. (très) loin du quotidien de l’artisan, au Certaines datent de plusieurs années, cœur de l’assemblée des élus. Un lieu mais les rancœurs et animosités sont, devenu, avec le temps, éminemment bel et bien, toujours vivaces. À un an des politique, où les 11 postes du bureau prochaines élections consulaires, dont le sont aussi disputés que dans d’autres scrutin devrait probablement se dérou- lieux de pouvoir. « Certains veulent se pla- ler à la fin de l’année 2016 (à l’origine, cer dans un intérêt personnel  », critique à elles devaient être organisées fin 2015, demi-mot Jean-Jacques Pilloux, coiffeur mais ont été repoussées en raison des et trésorier adjoint (UPA) de la chambre. Régionales), dans les deux camps, la cam- Elle est composée de 35 membres, tous pagne s’annonce déjà féroce, les plans de artisans et adhérents à un syndicat. C’est bataille s’affûtent, les alliances de demain à eux que revient de piloter la straté- se créent, celles d’hier se défont. gie de la chambre, des événements aux grands projets, de voter les budgets et 2000, UN VISAGE NOUVEAU de valider les comptes. «  Lorsque vous Pour comprendre cette situation, il faut êtes présent pour votre profession et pour la plonger au cœur du système de gou- défendre, la place vous importe peu, pré- vernance de la chambre. Tous les cinq cise Gabriel Paillasson, pâtissier-choco- ans, en France, les artisans sont amenés latier et secrétaire adjoint (UPA). Mais à élire, au suffrage universel, des listes représentatives d’artisans. À l’issue deN°128 Décembre 2015 ces élections, 35 membres sont désignés pour composer l’assemblée, qui élit alors son président, les membres du bureau et ceux des commissions. Pendant des années, dans le Rhône, l’UPA les a rem- portées. Force interprofessionnelle recon- nue au même titre que les représentants patronaux du Medef et de la CGPME, elle regroupe trois confédérations : celle des artisans des petites entreprises du bâtiment (Capeb), celle des artisans des métiers de services (Cnams) et celle de Acteurs de l’économie - La Tribune 47

Entreprendre CHAMBRE DES MÉTIERS DU RHÔNE ALAIN AUDOUARD Un homme de réseaux, « pas de dossiers » À la tête de la chambre des métiers et de l’artisanat du Rhône, Alain Audouard cultive sans mal l’image d’un président « à l’écoute », remarqué pour son sens du dialogue. Mais la personnalité de ce chauffeur de taxi, interroge. Pour se maintenir 15 années durant au pouvoir, il a dû ruser. Habile stratège, il ne cache (presque) plus ses ambitions politiques. En attendant de briguer, peut-être, un quatrième mandat. Fils d’une famille engagée dans la vie politique et associative d’Écully (commune de la métropole de Lyon), Alain Audouard habite la fonction et porte l’image d’un président « à l’écoute », laissant toujours la porte de son bureau ouverte. Remarqué pour sa « gentillesse » et son sens du « dialogue », refusant d’être appelé « président », il reste une personne toujours aussi « simple », assure-t-il. « Un titre est un titre. Cela n’a jamais rien changé dans mon activité », souligne-t-il. Il a en effet conservé son activité de chauffeur de taxi, travaillant régulièrement de 3 h à 8 h du matin. Un capitaine qui conduit le navire CMA depuis plus de 15 ans, ayant su ruser, habile dans le maniement des méthodes politiques et des réseaux pour se maintenir au pouvoir. « J’ai appris, avoue l’artisan et désormais je me suis bien entouré avec des gens que j’ai choisis et une opposition constructive ». « Il fait partie de ces personnages lyonnais qui ont ce même défaut de vouloir rester au pouvoir éternellement. Il ne sait rien faire d’autre. Heureusement, il peut compter sur son secrétaire général, tacle un chef d’entreprise engagé. Ajoutant : je ne suis pas certain que les créateurs d’entreprises aient envie d’être représentés par ces gens-là. » Écarté de la Cnams et de l’UPA depuis 2010, Alain Audouard vice-président de la Maison des taxis du Rhône (MTR) et a su retrouver un accueil dans les rangs de la CGPME, auprès de son ami François Turcas et de ses nouveaux amis d’ADNA. « Il est formidable, il est beaucoup plus soutenu qu’avant. Nous avons les mêmes grandes lignes de l’artisanat », décrit enjouée Andrée-France Contet, présidente d'ADNA. Xavier Laroche, secrétaire général de la Chambre des métiers pendant plus de 20 ans, connaît bien l'intéressé et décrit un homme « convi- vial, mais pas un homme de dossiers. Il s’appuie beaucoup sur les techniciens. » Sauf lorsqu’il s’agit du projet du déménagement à la Confluence ou des coopérations à l’étranger (notamment à Tombouctou, au Mali) qui lui valent des critiques sévères de ses anciens colis- tiers. « Il aime être sur les photos », « a pris goût aux voyages », mais « lorsqu’il s’agit de rentrer dans le fond des choses, il n’a aucune idée et n’y connaît rien ». « Il ignore même le nom des collaborateurs de la chambre », ajoute, provocateur, un élu. « Il est président de tous les artisans et il le fait bien », contredit Gabriel Paillasson, créateur de la Coupe du monde de la pâtisserie, partisan du consensuel. L’est-il aussi dans sa propre famille des chauffeurs de taxi ? « Il est apprécié, mais d’aucuns pensent qu’il pourrait faire davantage », souligne Jean-Paul Durand, président de la MTR. « Je défends mon cœur de métier autrement. Quand il y a une manifestation, je suis présent. Mais je préfère agir et arranger les choses auprès de mon réseau plutôt que de parler », répond Alain Audouard. AMBITION POLITIQUE Alain Audouard est donc devenu en quelques années celui « que l’on vient toujours chercher », comme il aime à rappeler. Mais après quoi court le chauffeur de taxi ? L’argent ? Peu probable, car contrairement à la présidence de la CCI, où la rémunération du président s’élève à 6 000 euros mensuels (les trois derniers présidents l’ont refusée), le président de la chambre de l’artisanat du Rhône perçoit « seulement » 1 500 euros nets. La fonction ? « Je suis là pour travailler auprès des artisans uniquement. Parfois, elle me permet de côtoyer des hommes politiques et de faire avancer des dossiers plus rapidement. » Le pouvoir ? « Cela ne me monte pas à la tête. » La politique ? « Gérard Collomb m’a souvent proposé de devenir socialiste. Mais j’ai refusé. Quant à Laurent Wauquiez (candidat Les Républicains aux prochaines élections régionales, NDLR), s’il me propose un poste éligible, j’y réfléchirai. Chaque chose en son temps. » Il ne sera finalement pas sur sa liste. Une porte ouverte pour celui qui ne cache plus ses ambitions politiques. En 2012, il est d’ailleurs devenu président du Comité de la Foire de Lyon, association propriétaire des terrains et bâtiments d’Eurexpo. Un poste stratégique et très politique dans la métropole de Lyon. D’ici à quelque mois, Alain Audouard annoncera s’il se porte candidat pour un quatrième mandat. Sans aucun doute, si cela se confirme, il devrait partir sous l’étiquette ADNA, comptant sur le soutien infaillible d’Andrée-France Contet et du « rassembleur » François Turcas. Ce dernier ne cachant pas l’ambition de voir Artisans de notre avenir prendre la tête de la chambre des métiers, dans le but non dissimulé, de créer une grande chambre consulaire réunissant la CCI et la CMA. Et dans le rôle du super président : Alain Audouard ? RCl’alimentation de détail (CGAD). Et un section bâtiment avec Jean Rivière. Puis, l’époque, mais atteint par la limite d’âge, ilmembre associé  : la Chambre natio- en 2000, malgré les velléités de Bruno déclina l’offre. Le nom d’Alain Audouard estnale des artisans des travaux publics Cabut (UPA), boulanger à Sainte-Foy- alors apparu. Un nouveau visage peu connuet du paysage (CNATP). Impossible de lès-Lyon (Rhône), de lui succéder sous des branches et qui n’y connaissait rien. Maisconnaître le nombre exact de ses adhé- l’étiquette des métiers de l’alimentation qui semblait être le candidat idéal. » L’arti-rents en France ou sur le département, à l’instar de son père, le choix portera san taxi accepte, est choisi et porté à lapuisque les chiffres prennent en compte finalement sur une personne issue de la présidence. « On m’a dit que je pourrais trèsseulement ceux des confédérations. branche des métiers de services. «  Nous bien me débrouiller grâce aux équipes, rap-Pendant près de 16 ans, c’est ainsi que n’avions jamais eu la présidence, se sou- pelle Alain Audouard. Il m’a fallu deux ansl’alimentation présida la chambre rhoda- vient Christian Labesque, président de pour m’acclimater et me faire connaître dunienne avec « l’estimé » Jean Cabut, bou- la Cnams et artisan taxi. Ce poste devait milieu. » Deux années pour se prendre aulanger à Lyon. En 1992, c’est au tour de la revenir au président de la confédération de jeu de la fonction, qu’il ne quittera plus.48 Acteurs de l’économie - La Tribune N°128 Décembre 2015

« Je suis capable de faire ce que CHAMBRE DES MÉTIERS DU RHÔNE Entreprendre l'UPA n'a pas sû faire. » 2005, PREMIER IMBROGLIO En parallèle, un accord est passé entre les trois branches pour que s’applique une présidence tournante, tous les cinq ans. « Au cours de son premier mandat, tout s’est bien passé, reconnaît Christian Labesque. Mais en 2005, Alain Audouard a souhaité se représenter sans respecter cet accord, alors que ce devait être au tour de l’alimenta- tion.  » Premier imbroglio à la chambre. Et malgré les réserves de certains, Alain Audouard est de nouveau élu, soutenu par les membres de l’UPA, et ce, sans dif- ficulté. En face, Bruno Cabut est contraint de renoncer. Encore. « J’ai peut-être la mal- chance d’avoir un nom, souligne l’artisan. Parfois contesté dans ses propres rangs, il ajoute  : Les combats perdus sont ceux que l’on ne mène pas.  » Alain Audouard se défend par une pirouette : « Je n’avais rien signé. Je n’ai pas pris goût à la fonc- tion comme peuvent le prétendre certains, j’ai seulement souhaité faire avancer un peu plus les choses. En 2005, j’ai donc été soutenu et à nouveau élu à la majorité, personne ne voulait de Bruno Cabut », justifie-t-il d’un ton détendu. Entre les deux, l’animosité est réelle et subsiste encore aujourd’hui. Alain Audouard devient par ailleurs pré- sident de la chambre des métiers régio- nale (jusqu’en 2010) et président national de la Société de caution mutuelle pour les entreprises artisanales (Siagi). « Il est donc normal que l’on me soutienne », relève- t-il, provocateur. Au sein de l’assemblée, et dans les confédérations, les premiers clans se forment, sans faire aucune écla- boussure mais des voix s’élèvent pour dénoncer les pratiques de leur ancien poulain que d’aucuns estiment peu légi- time au poste « notamment lorsqu’il parle d’apprentissage  », soutient Sébastien For- nès, président de la Capeb Rhône. Toute en discrétion, à la lyonnaise, les stratèges se rassemblent, en vue notamment des élections de 2010. 2010, COUP DE THÉÂTRE Pour la première fois cette année-là, l’en- jeu est plus important puisque l’UPA CONSEIL EN RECRUTEMENT 3 rue de la République, 69001 Lyon DIRIGEANTS & CADRES EXPERTS Tél. 04 72 00 76 76 - www.innoe.net LYON - PARIS - INTERNATIONAL Acteurs de l’économie 1-4L/0a9/T2r0i1b5un1e2:4409N°1I2nn8oeD_béacnedmeabur_e12900x1455mm_octobre_2015.indd 3

Entreprendre CHAMBRE DES MÉTIERS DU RHÔNEdevait composer avec Artisans de notre entre les deux forces artisanales, c’est ressort vainqueur avec 25 élus, ADNAavenir, le premier syndicat d’artisans le mariage du marteau et de l’enclume. remporte dix sièges. Des élections que lerattaché à la CGPME (pas de chiffres « Ils ne peuvent pas avoir la même vision de nouveau syndicat d’artisans estime pour-précis non plus, mais selon la confédé- l’artisanat que nous, tacle Sylvain Fornes, tant avoir remportées. La raison : au coursration du Rhône, il est «  composé d’un parlant au nom des petites entreprises du dépouillement, une centaine de bulle-millier d’artisans adhérents à la CGPME du du bâtiment, puisqu’à la FFB (ADNA), les tins aurait été refusée, certains artisansRhône et à la Fédération française du bâti- artisans côtoient les grandes entreprises et ayant confondu les bulletins de vote avecment du Rhône »). Après les chambres de PME.  » Entre les deux représentations, les professions de foi. « Nous aurions alorscommerce et notamment celle de Lyon, les relations s’en tiennent à l’entente cor- gagné la chambre », assure Didier Latapie.la Confédération générale des petites et diale. « Je ne peux pas en vouloir à l’UPA Lors de l’assemblée générale constitutivemoyennes entreprises s’intéressait pour puisque nous sommes dans le même discours durant laquelle le président et le bureaula première fois à la chambre des métiers vis-à-vis du Medef lorsqu’il parle des TPE/ sont choisis, Alain Berlioz-Curlet auraitet de l’artisanat. «  C’était une volonté PME  », indique François Turcas. Sujet dû « naturellement » être élu président.nationale de notre président d’alors Jean- de profonde discorde  : la mise en place « Il était logique que je prenne la présidenceFrançois Roubaud, explique François par l’UPA, depuis plusieurs années d’une de la chambre puisque j’étais tête de liste,Turcas, président de la CGPME du taxe de 0,15 % à la charge de tous les nous en avions convenu ainsi  », affirmeRhône. La population étant très proche, artisans employeurs pour financer le dia- l’artisan-peintre de Saint-Priest (Rhône)nous ratissons large. Il était donc logique logue social. Mais un membre d’Artisans et aujourd’hui président de la chambred’y aller. Nous sommes désormais complète- de notre avenir précise discrètement : « Il régionale des métiers et de l’artisanat.ment légitimes à la chambre et mettons tout y a plus de choses qui nous réunissent queen œuvre pour faire évoluer l’artisanat.  » d’éléments qui nous opposent. » « En 2000, le nom« La CGPME n’avait pas de reconnaissance À l’approche du scrutin d'octobre 2010, d’Alain Audouardde l’artisanat et n’avait pas d’offre en adé- les deux forces syndicales rassemblent est apparu. Unquation pour lui. Avec ADNA, ils ont trouvé leur base pour attirer et sensibiliser à leur nouveau visageun appui et désormais nous constituons une cause le maximum d’artisans − « à peine peu connu desforce d’opposition », indique Didier Latapie, plus de 20 % sont syndiqués » sur l’ensemble branches et quiancien chauffeur de taxi reconverti dans des professionnels du Rhône, rappelle un n’y connaissaitla communication, secrétaire adjoint à élu. Du côté de l’UPA, pas question de rien. Mais quila CMA et vice-président d’ADNA. Mais revivre l’épisode de 2005. Les cadres de semblait être le l’organisation professionnelle anticipent candidat idéal »L’ARTISANAT EN CHIFFRES un nouveau coup d’éclat de leur pré- sident sortant, et l’écartent en sixième François Turcas, 8 millions d’euros de budget position sur la liste. Ils choisissent Alain président pour la CMA 69 Berlioz-Curlet, patron de la Capeb et 92 emplois ETP chef de file de la liste UPA. Erreur. En de la CGPME 28 600 artisans dans le Rhône face, la liste ADNA est conduite par sa du Rhône, 132 000 artisans en Rhône-Alpes présidente, Andrée-France Contet, par est l’un des 158 300 en Auvergne ailleurs vice-présidente de la FFB du acteurs clé et Rhône-Alpes réunis Rhône. Après une campagne de quelques derrière 38,5 milliards d’euros semaines, et à l’issue du scrutin, l’UPA les enjeux de chiffre d’affaires de la chambre des métiers.Au centre, Gabriel Paillasson, secrétaire adjoint (UPA) et N°128 Décembre 2015Andrée-France Contet, présidente d'ADNA de la chambre des métiers. 50 Acteurs de l’économie - La Tribune


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