acteurs DE L’ÉCONOMIE MTOACURROANIPNAERécologie LAUSANNE, L’OR VERT I équité PATRONS HOMOSEXUELS I stratège MICHEL CHAPOUTIER Auvergne-Rhône-Alpes [ www.acteursdeleconomie.com ] N°138
COMPRENDRE AUTANT LA PSYCHOLOGIE DES MARCHÉS BOURSIERS QUE LA VÔTRE. GESTION PRIVÉE UN CONSEILLER DÉDIÉ POUR DES PLACEMENTS PERSONNALISÉSCommunication à caractère publicitaire et sans valeur contractuelle.Caisse d’Epargne et de Prévoyance de Rhône Alpes - Banque coopérative régie par les articles L512-85 et suivants du Code monétaire etfinancier - Société anonyme à directoire et conseil d’orientation et de surveillance - Capital de 1 000 000 000 euros - 116 Cours Lafayette 69003Lyon - 384 006 029 RCS Lyon - Intermédiaire d’assurance, immatriculé à l’ORIAS sous le n°07 004 760.
ENTRÉE EN MATIÈRE DialoguerENTRÉE EN MATIÈRECHRISTIAN DE PERTHUIS “Inondations provoquées par la mousson en Inde, sécheresse en Afrique de l’Est affectant particulièrement la Somalie, succession de trois ouragans d’une intensité exceptionnelle en Atlantique Nord avec les ravages que l’on connait dans les Caraïbes et le sud des États-Unis… 2017 aura connu son lot de catastrophes naturelles dont la gravité tend à s’accentuer avec le réchauffement du climat. Sur les cinq dernières années, la hausse du thermomètre atteint déjà 1,1°C rela- tivement à l’ère préindustrielle. Du fait de la quantité de gaz à effet de serre déjà accumulée dans l’atmosphère, elle n’a guère de chance de s’interrompre d’ici 2050. En matière d’action face au changement climatique, le temps est compté. Les impacts de nos émissions sur le climat se manifestent pleinement après plusieurs décennies. Un horizon qui dépasse sin- gulièrement le calendrier électoral du décideur politique ou celui des rendez-vous du chef d’entreprise avec les analystes financiers. Ce décalage est souvent source de confusion. L’horizon long du chan- gement climatique donne une fausse impression de disponibilité de temps. Le rythme de l’horloge climatique est pourtant impa- rable : au rythme actuel d’émissions, les Terriens auront épuisé dans vingt ans leur « budget carbone », la limite à partir de laquelle contenir le réchauffement en dessous de 2°C devient mission quasi-impossible. UN PARI IMPOSSIBLE ? La transition bas carbone qu’il nous faut conduire est donc une course contre la montre. Il s’agit de transformer en quelques décennies un système énergétique aujourd’hui dépendant à 80 % de sources d’énergie fossile en un système d’où auront disparu les émis- lasiroensssoduercCeOf2o. Assuiltere, emnelnatisdsiat,nctosuoruts-cteirrcrueiutenrelegsracnydcelepsadr’teixepdlouitcahtaiorbnodne, du pétrole et du gaz d’origine fossile économiquement exploitables. Du jamais vu dans l’histoire des systèmes énergétiques, où les transitions ont consisté à ajouter de nouvelles sources sans renoncer à celles déjà existantes. Un tel pari peut sembler impossible. Il exige des ruptures majeures dans le fonctionnement des sociétés pour réduire les immenses gaspillages dans l’utilisation de l’énergie, corriger les inégalités dans sa répartition, accélérer le déploiement des sources renouvelables, reconstruire des réseaux décentralisés en tirant tout le parti des capacités de la digitali- sation et des options multiples de stockage décentralisé de l’énergie. Les grincheux diront que cela coûte cher, trop cher ! Pour l’essentiel, il s’agit de dépenses d’inves- tissement et de R&D, bénéfiques pour la croissance. C’est pourquoi la transition bas carbone peut être à l’origine de transformations permettant d’échapper au retour à la « stagnation séculaire » redouté par nombre d’économistes. Gordon, le grand spécialiste américain de la croissance, considère que trois inno- vations majeures ont tiré la croissance économique au XXe siècle : le moteur à combustion interne, la géné- ration et la distribution d’électricité, l’assainissement et la distribution d’eau. L’activité au XXIe siècle pourrait être portée par trois innovations majeures de la transition bas carbone : la généralisation de la motorisation électrique, le déploiement des énergies renouvelables et la protection de la biodiversité. C’est pourquoi la marche forcée à laquelle nous ’’contraint l’horloge climatique peut être une chance à saisir pour redynamiser notre économie. Christian de Perthuis Professeur à l’université Paris-Dauphine, fondateur de la Chaire économie du climatN°138 Décembre 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 3
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Dialoguer EMMANUEL MACRON PAR ALAIN TOURAINE6 Acteurs de l’économie - La Tribune N°138 Décembre 2017
EMMANUEL MACRON PAR ALAIN TOURAINE Dialoguer EMMANUEL MACRON DANS L’ŒIL DU SOCIOLOGUE ALAIN TOURAINE« ENFIN UN PILOTE DANS L’AVION. MAIS POUR ALLER OÙ ? » ENTRETIEN, DENIS LAFAY PHOTOGRAPHIES, HAMILTON / RÉAN°138 Décembre 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 7
Dialoguer EMMANUEL MACRON PAR ALAIN TOURAINE En janvier 2018 paraîtra aux SENS Quels enseignements sociologiques et Editions de l’Aube – en politiques faites-vous de ce « phéno- D’ores et déjà, alors que la véritable mène » de son ensemencement au prin- partenariat avec Acteurs de épreuve de force entre la France et lui temps 2016 à sa spectaculaire éclosion l’économie – La Tribune – commence juste, avant qu’il ne soit mis à le 7 mai 2017 ? Le « transpartisanisme » un livre-événement : l’épreuve des faits de sa politique, avant qu’il incarne, ce discours qui transcende Macron par Touraine. que le temps éprouve son bilan, peut-on les clivages et disqualifie les postures Ou comment l’un des plus considérer qu’Emmanuel Macron incarne politiciennes habituelles, apparaît bien- un moment très singulier de l’histoire venu car tourné vers le « bon sens ». Mais illustres sociologues français, politique française, au-delà même de la est-ce le cas ? Votre connaissance de la Alain Touraine, analyse le Ve République ? société valide-t-elle l’idée d’une évapo- « moment » politique, Depuis près de cinquante ans, la France ration des di érences idéologiques ? est comme un avion sans pilote. Valéry Certainement pas. Mais lorsqu’Emmanuel historique, sociologique et Giscard d’Estaing n’a pas converti la Macron fait le choix de créer son mouve- civilisationnel incarné par France au libéralisme ; le Programme ment En marche ! et de quitter le gouver- l’avènement d’Emmanuel commun qui a porté François Mitterrand nement, dans quel état la France politiqueMacron, et met en perspective au pouvoir en 1981 a été abandonné par est-elle ? En décomposition. Qu’il s’agisse la force des choses en 1983, et sa deu- de la gauche ou de la droite républicaines, sur l’état de la société xième présidence, après la mise à l’écart le constat est celui d’une nécrose profonde, française ce que le Président de Michel Rocard, a pris une orientation de divisions et de clans, d’une extrême de la République représente, confuse, comme la période où se sont pauvreté idéologique et programmatique affrontés Jacques Chirac et Lionel Jos- découlant d’une lente déliquescence enta- suscite et promet. Une pin. L’arrivée au deuxième tour de l’élec- mée plusieurs décennies plus tôt. Cette société désorientée, rétive tion présidentielle de Jean-Marie Le Pen France politique, désorientée dans un en 2002 a marqué une rupture brutale monde ébranlé par le Brexit et l’élection de à la modernité et à la encore aggravée par l’éclatement en 2007 Donald Trump, n’est plus un acteur. Car mondialisation, a aiblie par de la crise financière dont l’Europe, et la la gauche arrive au bout de son histoire une démocratie, un système France en particulier, ne sont pas encore dont elle a perdu le sens en se satisfai-institutionnel et un « potentiel sorties. Avec Emmanuel Macron surgit sant d’un déterminisme économique sans d’humanisme » défaillants, en un « pilote dans l’avion » et les Français perspectives sociales et culturelles. La définitive une communauté votent massivement pour lui. Mais où France de 2016 ne croit plus en l’Europe humaine en panne de sens l’avion et son pilote vont-t-il aller ? – onze ans plus tôt, ses citoyens ont mas- et de confiance, et donc en En France, il n’y a plus ni droite ni gauche sivement rejeté le projet de Constitution peine de (se) créer un avenir. de gouvernement, ni de majorité claire- européenne –, n’admet pas la mondialisa- C’est cette France-là dont ment définie. Le Président manifeste une tion, peine à intégrer les transformations grande volonté d’action, en particulier au sociales issues des mutations technolo- Emmanuel Macron hérite niveau international, mais personne ne giques, et s’enferme dans des stratégies et qu’il veut « transformer », peut encore estimer si en 2022 la France nationales. Elle n’a plus aucune confiance c’est cette France-là qu’Alain sera plus à droite ou plus à gauche qu’en en sa classe politique, et semble prête à Touraine ausculte et met en 2018 et comment se sera réorganisée – ou « donner sa chance » à un candidat neuf, miroir des engagements du non – sa vie politique. Il est vrai qu’un audacieux, qui n’est lié à aucun des par- Président de la République. homme d’Etat ne peut pas se définir seu- tis traditionnels. Voilà cette France dont lement comme « de gauche » ou « de Emmanuel Macron saisit parfaitement La France – et l’Europe – droite », mais il doit aussi se situer par les contours, mais aussi la possibilité de telle qu’elle est, peut-elle de- rapport à une majorité nationale qui, elle, la projeter vers un dessein et des logiques est toujours d’une manière ou d’une autre inédits. Cessons de considérer qu’il a eu venir la France – et de droite ou de gauche, puisque ces mots, l’audace de « casser » le système poli- l’Europe – que conjecture qui n’ont de sens que dans une démocra- tique ; ce dernier était épuisé. Il a eu « seu- tie représentative, correspondent à la fois lement » l’intuition – reconnaissons-le : Emmanuel Macron ? aux intérêts, aux stratégies et aux objec- Le sociologue se réjouit tifs de différentes catégories sociales. N°138 Décembre 2017 « qu’enfin, l’avion France a un pilote ». Mais pour aller où ? Et comment ? En réponse, ses propositions et convictions font sensation. Extraits en exclusivité.8 Acteurs de l’économie - La Tribune
EMMANUEL MACRON PAR ALAIN TOURAINE Dialoguergéniale – d’en comprendre la gravité puis « Ces dernières décennies, La conquête d’Emmanuel Macron aurad’en tirer les conséquences. D’où ce « ni ce qui était commun à toutes aussi été celle de l’image. Les médias ont-droite ni gauche », d’où ce renoncement au les politiques et idéologiques ils exercé correctement leur rôle ? N’ont-dilemme dirigistes-libéraux ; d’où ce dis- était l’absence de sens. ils pas cédé à une exploitation incontrôléecours très « gaulliste » d’une résurrection Emmanuel Macron rend voire servile de ce qui constituait un gise-de la France sur la scène internationale et possible le retour au sens » ment inépuisable et inespéré, n’ont-ils pasen premier lieu européenne ; d’où cette porté à son paroxysme la confusion etpromesse d’un « Etat français » de nou- Si Emmanuel Macron incarne ce sens, cela même la collusion délétère de l’informa-veau acteur visionnaire et reconnu dans le peut-il contribuer à « aider » les Français tion et de la communication ? Ont-ils aussiconcert mondial. à trouver au fond d’eux-mêmes un sens souhaité, même inconsciemment, favori- à leur propre existence de citoyen et un ser la victoire du plus sûr rempart à MarineDétectez-vous donc chez Emmanuel sens collectif dans la société ? Le Pen ?Macron la capacité, même embryonnaire, Je n’y crois guère. En effet, le retour d’un Les Français ont élu un « porteur de sens »de réinitialiser un sens, ce sens ? sens, la redécouverte du sens n’ont d’ef- parce qu’ils sont dotés d’une conscienceCes dernières décennies, ce qui était fets durables dans les consciences et ne forte. Depuis 2015 en proie à une vaguecommun à tous les discours politiques, s’enracinent dans la société que lorsque terrifiante d’attentats et à un climat anxio-à toutes les postures idéologiques était des réformes sont mises en œuvre. La gène propice aux pires dérapages, com-l’absence de sens. Il n’y avait ni objectif, traduction concrète du sens est capitale ment ont-ils réagi ? D’une manière digneni cap, ni cohérence. Emmanuel Macron pour que le sens sédimente, ramifie, s’im- et responsable, notamment à l’égard de larend possible le retour au sens. Mais cela pose. Or, pour prendre deux exemples communauté musulmane que le radica-comporte des risques. Ne s’expose-t-il illustrant le « sens des valeurs » : l’éduca- lisme religieux et la propagation des doc-pas à ce qu’on lui reproche de ne pas pré- tion et l’accueil des réfugiés, Emmanuel trines djihadistes au-delà de la Syrie ousenter assez clairement ses projets ? C’est Macron est encore loin d’inscrire une de l’Irak pouvaient inciter à stigmatiser.contre ce risque qu’il se protège en pré- politique sociale et économique dans l’in- Ils ont eu la volonté de ne pas céder auxcisant la manière dont il veut établir des carnation du sens qu’il a tentée. peurs et de garder le sens de la vie. C’estrelations avec les divers groupes sociaux. une preuve qu’ils entretiennent à l’égard « Les citoyens français entre- d’eux-mêmes et de toutes les composantesCette victoire d’Emmanuel Macron informe tiennent à l’égard d’eux-mêmes de leur société, une relation responsable,sur la société française, sur ses exigences et de toutes les composantes plus forte que toutes les influences, mêmeet ses souhaits, sur le rapport des Fran- de leur société, une relation res- les plus nuisibles. Cette conscience de laçais à l’exercice traditionnel de la politique. ponsable, plus forte que toutes nation et de l’histoire, cette conscience queSignifie-t-elle qu’ils partagent avec leur les influences, même les plus les enjeux de vie et de mort, de sens et dePrésident cette même quête de sens ? nuisibles. Cette conscience non-sens s’imposent à toutes les interpré-Je ne le crois pas. Emmanuel Macron n’est de la nation et de l’histoire, tations politiques et partisanes, ils ne lespas un « homme du centre », et son posi- ils ne la doivent ni doivent ni à l’éducation ni aux médias, maistionnement « ni gauche ni droite » résulte à l’éducation ni aux médias, à eux-mêmes. En définitive, l’influence queen premier lieu de la prise de conscience mais à eux-mêmes. C’est les médias ont pu exercer sur le triomphede l’écroulement profond, irrémédiable, de pourquoi l’influence que d’Emmanuel Macron est toute relative.la social-démocratie – que l’Anglais Tony les médias ont pu exercerBlair avait reconnu au tournant des années sur le triomphe Acteurs de l’économie - La Tribune 91990 et 2000. Ce contexte politique his- d’Emmanuel Macrontorique tout à fait exceptionnel, il s’en est est toute relative. »saisi pour en faire une victoire. Au momentde voter, les Français ont vu en lui un © Hamilton / Réahomme providentiel, ce fameux comman-dant de bord aux manettes d’un appareildont lui-même ignore encore s’il le piloteraen direction de Berlin ou de New York. Etcette aura salvatrice s’est répandue bienau-delà des frontières nationales. Jusquedans la presse ou l’opinion publique degauche en Italie, on se prend à rêver qu’ilva ressusciter l’Europe. Certes, on ne peutpas réussir une politique avec pour seulcurseur l’appréhension du monde dansle prisme de l’histoire ; en revanche, sansune telle vision, il est impossible d’espérertrouver un chemin au milieu de cette réa-lité planétaire intégralement ouverte, infi-niment complexe, totalement incontrôlée.Sans boussole, tout pays est condamné àsubir, à être désorienté, et ainsi à déclineret à se déchirer. Sans pilote, il est illusoired’espérer compter, peser, influencer, etmême penser et décider par soi-même.N°138 Décembre 2017
Dialoguer EMMANUEL MACRON PAR ALAIN TOURAINE« La subjectivation doit constituer un chantier politique fondamental.Tout comme la défense de la dignité de tous. Ou plutôt devrait constituer,si l’on en juge par la manière dont les réfugiés sont traitéssur le sol français. »« Je suis convaincu que « l’autre » phénomène « Les séquelles du débat qui l’a opposéeélectoral, celui de La France insoumise, à Emmanuel Macron seront irréversiblesva irrémédiablement s’affaiblir : sa base politiquene résistera pas à la gentrification des zones pour l’avenir de Marine Le Pen.urbaines qui lui sont aujourd’hui favorables. » Son incompétence et l’inconsistance de son programme ont sauté à la figure d’une partie de son électorat. Cela restera une marque indélébile. » « Je souhaite que Laurent Wauquiez réintègre une partie de l’extrême droite dans le respect de la démocratie. Une droite dure sera toujours moins dangereuse qu’une extrême droite tentée par un régime autoritaire. » © Ian Hanning / Réa © Hamilton / Réa10 Acteurs de l’économie - La Tribune N°138 Décembre 2017
EMMANUEL MACRON PAR ALAIN TOURAINE Dialoguer© Joel Goodman / London News Pictures / Zuma / Réa Emmanuel Macron a-t-il inventé (ou l’échiquier politique : Parti socialiste non) un nouveau positionnement idéolo- décomposé, Républicains fracturés, IDÉOLOGIE gique et donc politique ? Que garde-t-il France insoumise bien fragile – ligotée des thèmes idéologiques traditionnels au charisme et à la stratégie de provo-© Francois Henry / Réa« Il n’a pas eu de « gauche » et de « droite » ? Sa singu- cation, de rupture, de spectacle et d’op- l’audace de lière conquête lui confère-t-elle d’avoir portunisme de son fondateur –, centre qui « casser » réussi – au moins pendant la campagne n’a jamais été aussi vain. Les formations le système – à modeler une synthèse idéologique ? Et républicaines apparaissent chlorofor- politique ; à préparer la France voire une partie de mées et pour partie aspirées par et dans l’Europe à une hégémonie idéologique* ? le phénomène Macron… ce dernier était Emmanuel Macron n’a pas inventé le Le triomphe de ce dernier impose à la épuisé. Il a eu monde où il agit. Heureusement ! Il a droite républicaine un ancrage « dur ». l’intuition – compris le monde réel dans lequel nous Avec Laurent Wauquiez en figure de vivons. Ce n’est plus un monde d’Etats proue, elle ne va pas cesser de se rappro- reconnaissons-le : nationaux, comme celui dans lequel nous cher des thèmes et des prises de positions géniale – d’en avons vécu depuis les traités de Westpha- chers au Front national. A cette perspec- comprendre lie au XVIIe siècle jusqu’aux Guerres mon- tive limpide et pour des raisons compa- la gravité puis diales et encore pendant la période de rables, la gauche va-t-elle répondre en d’en tirer les reconstruction de l’Europe après la chute épousant une rigidité tout aussi radicale ? de Hitler. Il a compris que la règle d’or Je ne le pense pas. Jean-Luc Mélenchon conséquences » aujourd’hui est : penser global. Comme n’incarne que la nostalgie du parti com- Ulrich Beck, sociologue allemand, mais muniste et de la « ceinture rouge » pari-N°138 Décembre 2017 très présent à Londres et plus récemment sienne – formée dans les années 1920 par à Paris, l’a démontré de la manière la plus la conquête par le PC des municipalités convaincante. encerclant la capitale. Dans ce monde global, les États totali- taires post-communistes et les Etats auto- « Séparation des pouvoirs ritaires post-nationalistes pèsent d’un et élections libres : cela poids de plus en plus lourd. Le monde de ne suffit pas à faire une demain ne fonctionnera pas sur le modèle démocratie. Laquelle doit des grandes puissances industrielles, avoir pour socle les droits démocratiques et autrefois colonisatrices humains fondamentaux : de l’Occident. Tous les pays importants liberté, égalité, dignité » participent à une économie mondiali- sée, et les Etats-Unis ont même choisi de Dès lors, quelle place Emmanuel Macron faire fabriquer leurs ordinateurs et leurs peut-il accorder à la reconstruction d’une smartphones non pas sur leur sol mais en gauche qui ne soit pas « dure » ? Chine. Ce puissant développement des Soyons lucide : la probabilité de recons- échanges économiques internationaux truction est bien plus élevée à droite a pour contrepartie surprenante une qu’à gauche, cette dernière étant dans absence presque complète d’acteurs et de un état profond de décomposition aux conflits sociaux et politiques. Ce qui tient multiples causes – au sommet desquelles à la répression exercée dans de nombreux trône un certain retard intellectuel. Je ne pays et à l’épuisement, dans les territoires crois pas en une solution, en un miracle où sont respectées les libertés publiques, présidentiel. Emmanuel Macron ne va des idéologies et des acteurs qui s’étaient pas « définir une nouvelle France », il formés dans la société industrielle. peut en revanche être davantage qu’un Tout dirigeant qui aspire à jouer un rôle Président de transition, c’est-à-dire ce important doit donc à la fois entrer réso- fameux pilote d’un avion auquel sont lument dans un cadre d’action mondial confiés des passagers aujourd’hui sans et susciter la création dans son propre perspective, sans objectif et qui pendant pays de nouveaux acteurs sociaux et ces cinq années vont se consacrer juste- politiques. Emmanuel Macron com- ment à remplir le vide accumulé pendant prend bien le monde dans lequel il veut plusieurs décennies. La manière dont les piloter la France et aussi l’Europe ; mais forces syndicales se rallieront ou non à la dépend-il de lui que se forment en France dynamique de Jean-Luc Mélenchon sera, et en Europe de nouveaux acteurs sociaux à ce titre, déterminante. Pour autant, je et politiques ? suis convaincu que l’autre phénomène électoral, celui justement de La France … Mais alors, quelle droite et quelle insoumise, va progressivement mais gauche sont-elles appelées à renaître qui irrémédiablement s’affaiblir : sa base assurent au paysage politique l’énergie, politique ne résistera pas à la gentrifi- la créativité et donc le sens aujourd’hui cation des zones urbaines qui lui sont abandonnés à Emmanuel Macron ? Car son avènement a fait voler en éclats Acteurs de l’économie - La Tribune 11
Dialoguer EMMANUEL MACRON PAR ALAIN TOURAINEaujourd’hui favorables. Paris est une ville que la population pourrait exprimer un La démocratie n’est pas qu’une idée abs-mondiale, Lyon est une ville mondiale, besoin croissant de « valeurs » au fur et à traite appelée à n’intéresser que les phi-alors que les autres agglomérations qui mesure que les manifestations de déra- losophes politiques. La démocratie n’estl’étaient aussi, Marseille et Lille en tête, cinement, de désa liation, d’e acement réelle que si ses principes sont respectéssont disqualifiées. La marginalisation des des repères (culturels, religieux) liés à dans tous les domaines de la vie sociale,classes populaires et même leur exclu- la mondialisation progresseront encore non seulement à l’usine ou au bureausion des grandes conurbations d’enver- davantage ? mais à l’école, à l’hôpital, dans le trai-gure internationale vont se poursuivre. Valeur est un mot creux, qui nie les tement des handicapés et dans les loisDans vingt ans, même le département de problèmes de fond, qui esquive l’enjeu, et règlements qui concernent tous lesSeine-Saint-Denis votera « à droite. » ultime, du sens. Valeur veut dire que la groupes minoritaires. politique et l’éthique se confondent, il A ce titre, je considère comme une graveD’aucuns sont dubitatifs sur la « véritable honore « l’esprit républicain » dont tout atteinte à la démocratie le refus de rece-réalité » du programme d’Emmanuel démocrate connaît les limites. En effet, voir les réfugiés et de respecter leursMacron. L’absence de programme est-elle ce qu’incarne l’esprit républicain, c’est droits, et chacun doit admettre que lenécessairement un handicap ? cette classe moyenne ante puis post révo- chemin que doit prendre l’esprit démo-Recréer une capacité de décision étatique lution industrielle trivialement anticléri- cratique nous est le plus souvent indi-internationale et revendiquer un méca- cale, aveugle aux grands conflits sociaux qué par les groupes, sans cesse plusnisme démocratique de participation de contemporains, indécise et opportuniste, nombreux, de bénévoles qui forment cela majorité des citoyens aux décisions jamais totalement dans un camp pour qu’on peut dénommer l’avant-garde deconstituent deux chantiers de niveaux mieux rejoindre l’autre « au cas où », ni la défense des droits humains. La démo-de difficulté très différents. Sans pro- bonapartiste ni pro-ouvrière, acceptant cratie est le régime où toutes les déci-gramme, le premier peut être accompli ; le massacre des ouvriers au nom « d’in- sions sont subordonnées au respect dele deuxième est irréalisable. Qui peut térêts supérieurs » en réalité invisibles, ces droits. Elle place les droits au-dessuscroire, par exemple, que l’on peut modi- et parfois collaborationniste pendant la des lois. De toutes les espèces vivantesfier en profondeur le système éducatif Seconde Guerre mondiale. Alors je ne l’espèce humaine est la seule qui ait lesans qu’un processus démocratique ait suis pas étonné qu’au nom de « l’esprit droit d’avoir des droits, a écrit Hannahpermis aux enseignants de participer à républicain » d’aucuns, sur l’échiquier Arendt. J’aimerais que dans notre admi-sa rédaction et de le partager ? Sans pro- politique décomposé et donc en recom- rable devise nationale nous comprenionsgramme point de transformation. Ou position, recourent aux « valeurs » et le mot fraternité comme signifiant soli-alors au prix de la révolution. à « l’esprit républicain » pour espérer darité, à l’instar du mouvement ouvrier, donner un semblant de vernis à leur et aujourd’hui dignité de chaque êtreA l’idéologie sont consubstantiellement ambition. humain. Réjouissons-nous que ce motassociées les valeurs – terme que vous soit désormais prononcé partout, dansmaniez avec méfiance et qui d’ailleurs Il fut reproché à Nicolas Sarkozy son toutes les parties du globe.est très peu présent dans le lexique d’Em- obsession de la communication directe,manuel Macron. Son « œuvre » n’est-elle et d’avoir sciemment travaillé à discré- Le « climat » dans lequel Emmanuelpas, plus que de faire surgir de nouvelles diter et e acer les corps intermédiaires Macron avait inscrit sa campagne étaitvaleurs, de progresser sans valeurs ? Ce mais aussi certaines institutions suscep- de non haine et de non clivage, et ce par-qu’il incarne, là encore supposément ou tibles d’y faire obstacle. N’est-ce pas, à sa ticularisme aura participé à sa popula-réellement, disqualifie-t-il tout ce que douce mais ferme manière, ce qu’Emma- rité – surtout à l’aune des déchirementsla politique a toujours mis en avant de nuel Macron entreprend lui aussi ? intrapartisans chez les Républicains etvaleurs ? Aucun Président n’a intérêt à utiliser au Parti socialiste. Que peut-il rester, àEn effet, je n’aime guère le mot « valeur », constamment la communication directe. terme, de cette « atmosphère » ?comme d’ailleurs je me méfie de celui de Le monde en général et notre vie quo- Toute forme de conflit purement poli-« personne », car il crée un regrettable tidienne en particulier y recourent ticien affaiblit la capacité d’action poli-mélange entre le social et les convictions, copieusement, et il est au contraire de tique. En revanche, tout atonie excessive,une dangereuse confusion entre des la responsabilité des représentants de tout effacement des conflictualités sontprincipes qui devraient être complète- la démocratie de faire la démonstration eux aussi néfastes. Et c’est bien l’absencement séparés : normes, autorité, pouvoir que la démocratie représentative est effi- de ces conflits, qu’ils soient politiquesd’un côté, justice, dignité, sacré, loi de cace. Ce thème introduit une question ou sociaux, qui risque de déformer lel’autre. Cela, Emmanuel Macron l’a cer- majeure : aujourd’hui, qu’est-ce que « phénomène Macron »… Une sociététainement compris, lui qui veut refonder la démocratie ? On a longtemps donné moderne repose avant tout sur l’associa-le sens, engager des missions de réforme des définitions institutionnelles, celle de tion d’une image de la créativité humaineet de transformation, initier des actions Montesquieu la résumant à « un système et de la reconnaissance d’un conflit socialconcrètes qui vont modifier les rapports de séparation des pouvoirs et d’élections central. Dans la société industrielle oùentre les groupes sociaux. libres à intervalles réguliers » semblant nous avons vécu pendant deux siècles, la plus juste. Mais cela ne suffit pas à l’image de nous-mêmes comme créateursComme par un effet boomerang, c’est « faire » une démocratie. Laquelle, à mes de nos œuvres et de nos droits fut cellejustement de « valeurs » que les caciques yeux, a pour noms les droits humains fon- d’homo faber et le conflit central fut celuidu Parti socialiste, des Républicains ou damentaux : liberté, égalité, dignité. du capital et du travail. Aujourd’hui, dedu Front national martèlent la recons-truction de leurs formations respectives. « Tout effacement des conflictualités est néfaste.Dans le sillage de la « révolution Macron », Et c’est bien l’absence de ces conflits, politiques ou sociaux,est-ce une stratégie obsolète ? Ou au qui risque de déformer le « phénomène » Macron »contraire opportun(ist)e, si l’on considère N°138 Décembre 201712 Acteurs de l’économie - La Tribune
BERTRAND PICCARD Dialoguer Donnons-nous la peine ! Pour un développement ambitieux du travail d’intérêt général : une alternative humaine et efficace à la prisonLa surpopulation et l’inefficacité carcérales sont alarmantes mais ne sont pas une fatalité.Si la construction de nouvelles places de prison n’a jamais permis de réduire la surpopulation, les alternatives à l’incarcération permettent delutter réellement contre la récidive, en favorisant la réparation, la responsabilisation et l’insertion.20 associations ont lancé « Donnons-nous la peine », un appel à la mobilisation citoyenne pour montrer que la société civile est prête àrelever le défi d’accueillir bien plus de personnes en travail d’intérêt général, une alternative humaine et efficace à la prison.Faire le choix d’une peine qui favorise la désistance 4 défis identifiés, 10 propositions pour donner un nouveau souffle au travail d’intérêt général:La désistance, c'est le processus par lequel une personne sort d’un parcoursde délinquance ou de criminalité. Défi n°1: le TIG est mal connu par les orga- nismes qui peuvent proposer des travaux :On parle beaucoup de l'échec de la prison, du coût qu‘elle représente pourla société (100€/jour et par détenu), de la surpopulation carcérale (jusqu'à Démocratiser le travail d’intérêt général200% dans certaines prisons) et de l'effrayant taux de récidive (61% de Rendre l’accueil de TIG plus simplerecondamnation dans les 5 ans qui suivent la libération). Investir de nouveaux secteurs d’activitéMais ce cercle apparemment vicieux n'est pas une fatalité : certains de nos Défi n°2 : les structures déjà engagéesvoisins européens ont connu ces dernières années une décroissance significa- manquent de reconnaissance ettive de leur population carcérale et notamment grâce au d’accompagnement :développement de peines alternatives qui favorisent efficacement ladésistance. Faire de l’accueil de TIG une fierté Former les tuteurs de TIGEt si les alternatives à la prison étaient la solution pour lutter contre la Fédérer et animer le réseau des structuresdélinquance et la surpopulation carcérale ? d’accueilLe travail d’intérêt général, une alternative humaine et efficace à la prison. Défi n°3 : la peine de TIG manque deEn effectuant un travail d’intérêt général, la personne condamnée répare le crédibilité, notamment auprès des magistrats :tort commis à la société sans pour autant subir les effets dévastateurs del’incarcération. Renforcer l’insertion des personnes condamnéesAu contraire, la peine de travail d’intérêt général favorise la désistance: après leur peinepréservation des relations sociales et familiales, activité professionnelle,stabilisation du logement, de l’état de santé. Évaluer les effets de la peine de TIG Crédibiliser le TIG auprès des magistratsLà où la prison exclut, le TIG maintient et restaure le lien social, et permetà la personne condamnée d’assumer ses obligations sociales, familiales et Défi n°5 : le TIG est marginalisé parce qu’il neprofessionnelles. dispose ni de moyens, ni d’objectifs :Là où la prison est coûteuse, le TIG amène la personne à agir pour l’intérêtgénéral. Se donner les moyens d’une politique ambitieuse Là où la prison favorise l’inactivité et prive d’autonomie, le TIG pousse à en faveur du TIGreprendre un rythme de vie actif, à découvrir un métier et à retrouver uneplace dans la société.Pour certaines personnes, le TIG est l’expérience qui servira de déclic pour seremobiliser et construire un autre parcours de vie, loin de la délinquance.La peine de travail d’intérêt général a un potentiel considérable et fait l’objet d’un large consensus, auprès des professionnelscomme du grand public. Pourtant, elle est encore sous- utilisée : le TIG représente moins de 7% des peines prononcées !Ensemble, on peut se mobiliser pour la développerLa surpopulation et l'inefficacité carcérales ne sont pas une COÛTEUSE JE PRENDSfatalité. Une alternative à la prison est possible. sURPEUPLÉE LA PEINEVous aussi, prenez la peine et participez à cette mobilisation : iNEFFICACE http://bit.ly/T-I-Ghttp://bit.ly/T-I-GVotre signature peut faire la différence ! Ils ont pris la peine : Abdenour Aïnseba, Chef d’Entreprise - Bernard Bolze, Fondateur de Prison Insider - Christian Vilmer, Directeur de l’association l’Îlot - Dominique Attias, Vice Bâtonnier du Barreau de Paris - Dominique Raimbourg, Ancien Président de la Comm. des Lois - Hans Lefebvre, Conseiller Pénitentiaire d’Insertion et Probation - Jean-François Penhouet, Aumônier national catholique -N°138JAenacDnieé-LncoeGumiasrbdDreaeud2me0sa1sS7,cAeanucixe,nfoDnidreacteteuurrddueTlIaGP-JJTh-iLeirlriaynBTehsaunraçmon, ,FDoinredcatteeuurr GetéPnréérsailddeentCdheaulamfoonntdHataiobnitaEtd-uSctaétpiohnancoenjatrceqlueorta,cCisom-aeu-teRuorbdeert«CAParcirstiooen,u,Prlreséscdihdeoeilnx’étddceeolnal’IorFamJiRsioe-nR»-o-LbaYevrTterBsiabPdeuirnnriteeerr,,13 Directeur fonctionnel honoraire des SPIP - Karim Mokhtari, Directeur de 100 murs -
Dialoguer EMMANUEL MACRON PAR ALAIN TOURAINE« Une société moderne « Qu’ont en commun les peuples qui placent au pouvoir des autocrates ou des dictateurs, © Depo Photos / Zuma / Réarepose sur l’association comme hier Hitler ou aujourd’hui Poutine, Trump ou Erdogan ? Le sentiment qu’ilsd’une image de la créativité ne comptent plus, que leur voix, leurs bras, leur intelligence ne sont plus considérés,humaine et de la reconnais- que leur personne est exclue de la construction de la sociétésance d’un conflit socialcentral. Lequel oppose les Faut-il bien s’en réjouir ? Une droite La restauration d’une France politique etdroits humains fondamentaux républicaine poreuse avec les mar- économique chargée « de sens » impliqueau pouvoir de plus en plus queurs sociétaux du Front national est- une éthique politique et économique. Destotal de tous les systèmes » elle la plus utile à la salubrité du débat terrains hautement piégés, mais que tout démocratique ? Président de la République a le devoir demanière plus directe encore, nous nous Une droite dure sera toujours moins dan- prospecter. C’est un moment clé dans ladéfinissons comme des sujets créateurs gereuse qu’une extrême droite tentée par trajectoire d’Emmanuel Macron…et transformateurs de nous-mêmes et un régime autoritaire. Reconnaissons à Emmanuel Macron quedu monde – et malheureusement aussi ce qu’il entreprend dans ce domaine estcapables de nous détruire nous-mêmes. Emmanuel Macron dit vouloir incarner « la positif. Retrouver, comme il s’y emploie,Le conflit central est celui qui oppose les reconstruction d’un héroïsme politique » ce fameux héroïsme, c’est une manièredroits humains fondamentaux au pouvoir à même de permettre de « retrouver le d’honorer l’exigence éthique. Et le « bonde plus en plus total de tous les systèmes sens du récit historique. » Héroïsme, poli- niveau » est celui sur lequel il place l’essen-et des contraintes qu’ils imposent aux tique, récit, histoire : que signifie l’assem- tiel de son énergie et de sa foi : l’Europe.acteurs. blage de ces locutions ? Une alternative A-t-on oublié que l’Europe a été pendant crédible à la « révolution » copieusement les décennies post-1945 le continent deAu second tour de l’élection présiden- galvaudée ? tous les possibles ? Celui où le mondetielle, 10,6 millions d’électeurs ont porté Le terme d’héroïsme est opportun, car ouvrier, les masses populaires, les mino-leur voix sur Marine Le Pen et 16 millions il désigne non la société mais l’Etat. Et il rités ont le mieux vécu ? Où les systèmesd’inscrits ont fait le choix de l’abstention. correspond à cette fameuse position de de solidarité en matière de soins ou d’édu-Outre-Atlantique, le président américain « pilote » qu’il exerce. Emmanuel Macron cation se sont révélés les plus ambitieux ?qui a précédé Donald Trump a pour nom peut-il succomber au syndrome monar- Va-t-on laisser les formations populistes,Barack Obama. C’est-à-dire qu’à celui chique ? Je ne le crois pas. Au contraire, xénophobes et europhobes l’anéantir,auquel fut confié l’espoir d’une société ses ennemis les plus dangereux étant comme s’y fourvoie le camp sécessionnisteprogressiste, d’une économie équili- à sa droite, il s’efforcera de trouver des en Angleterre ? Le think local a vécu, et nebrée, d’une réduction des inégalités, alliés à gauche pour sauver son rôle de peut être appliqué qu’à des problématiquesd’une géopolitique pacificatrice, d’une Chef de l’Etat, responsable de la politique limitées ; le think global est dominant, ilconsidération inédite des causes clima- internationale et de la défense des droits conditionne la réhabilitation des Etats, iltique, énergétique, environnementale, fondamentaux. Encore faut-il qu’à gauche façonne une éthique parce qu’il dessinea succédé le « pire. » Ce double constat comme à droite se créent et s’organisent une perspective et un dessein, parce qu’ilquestionne fondamentalement la respon- des partis et surtout des courants d’opi- redonne espoir à des démocraties repré-sabilité qu’endosse Emmanuel Macron nion porteurs de projets démocratiques. sentatives aujourd’hui déliquescentes.dans la conduite de son quinquennat... Emmanuel Macron a une connaissance Cela, Emmanuel Macron l’a compris. Et leCertes. Mais il existe plusieurs raisons lucide de son électorat, il sait qu’une telle met en œuvre, comme l’illustrent ses dis-d’être optimistes. En 2017, le Front dérive favoriserait la montée en puissance cours « cadres » devant l’Acropole (7 sep-national aura constitué un incontestable de Jean-Luc Mélenchon au sein de l’opi- tembre 2017) ou à la Sorbonne (dix-neufdanger. Mais les séquelles du débat, nion publique et la possibilité de soulève- jours plus tard), mais aussi sa recherchecatastrophique pour elle, qui a opposé ment social au sein d’une France qui se d’une rationalité de la négociation à l’is-Marine Le Pen à Emmanuel Macron entre sent « déjà » hors-jeu. Sa détermination à sue de laquelle peut être envisagé le plusles deux tours seront irréversibles pour vouloir réduire certaines fractures au sein important : l’accord des acteurs sociaux.son crédit et son avenir. Son incompé- de la société française n’est pas compa- La réalisation de ce dernier, n’est-ce pas latence, sa vacuité, et l’inconsistance de tible avec un tel écart de comportement. concrétisation de l’éthique politique ?son programme ont sauté aux yeux destéléspectateurs et à la figure d’une partie N°138 Décembre 2017de son électorat. Cela restera une marqueindélébile. Et l’éclatement de son parti,qu’illustrent le départ fracassant de son« fidèle » Florian Philippot et le retraitde Marion Maréchal Le Pen, en est lepremier effet collatéral. Son écroulementpolitique pourrait être aussi spectaculaireet définitif que celui de son père après2002. Laurent Wauquiez saura exploiteridéologiquement et électoralement cettebrèche ; je souhaite qu’il réintègre unepartie de l’extrême droite dans le respectde la démocratie que doivent défendre ladroite comme la gauche.14 Acteurs de l’économie - La Tribune
Emmanuel Macron révèle une singulière EMMANUEL MACRON PAR ALAIN TOURAINE Dialoguerrelation au pouvoir. Comment considé-rez-vous son rapport au pouvoir et son POUVOIRexercice du pouvoir ? Sa propension àconcentrer les pouvoirs aurait pour des- Les habitants de chaque pays européen Le personnifier même dans l’excès peut ysein moins de les détenir intrinsèquement en général et les Français en particulier contribuer. En revanche, lorsqu’elle s’effec-que de disposer des moyens d’agir e - éprouvent le besoin d’être de nouveau tue dans l’effacement des lignes tradition-cacement : cette plaidoirie de ses défen- visibles et influents sur la scène mondiale. nelles droite – gauche, cette incarnation neseurs vous semble-t-elle crédible ? Tous sont conscients que leur perception peut revendiquer aucun sens, et donc seQu’est-ce que le pouvoir d’Etat ? C’est la de la perte de statut de grande puissance déplace et progresse sans boussole.possibilité d’exercer légalement la violence, correspond à une réalité, à laquelle peuc’est le monopole de la violence légitime. de pays échappent. Même les Allemands, « A terme, le fameuxL’Etat peut décider l’incarcération ; l’intel- très lucides, ne se font pas d’illusion – ce « ni gauche ni droite »lectuel, le chef d’entreprise, l’ouvrier ne le que leur rappelle implacablement leur fragilise la revitalisation depeuvent pas. Ils ne sont disposés, socia- absence du conseil de sécurité de l’ONU. la démocratie. Il est urgentlement, qu’à exercer une « autorité. » La Sur le « vieux continent », qui porte si de « repolitiser » la viecrise de la démocratie, l’affaiblissement bien son nom, seule l’Angleterre est encore publique »et même la fin des sociétés, résultent de épargnée par l’érosion, et cela elle le doit àl’envahissement des sociétés par des Etats sa quasi gémellité – historique, culturelle, Certes il est essentiel de distinguer letout-puissants. Des États-Unis à la Chine, linguistique – avec les Etats-Unis. Euro- pouvoir de l’autorité, mais la manièrede l’Inde à la Russie, du Japon à nombre péens et Français sont d’autant plus avides dont « on » exerce le premier constituede pays musulmans, partout prospèrent de reconquérir cette reconnaissance qu’ils une grille de lecture de la façon dontdes régimes nationalistes par la force savent que leur continent n’existe pas aux « on » espère que la seconde s’exprimera.desquels l’Etat s’est imposé aux sociétés. yeux de l’Amérique bien sûr de Trump Emmanuel Macron déploie-t-il une formeL’heure est donc à restaurer le principe aujourd’hui mais déjà d’Obama hier. L’Eu- inédite de l’autorité ?d’une conscience de soi créatrice d’elle- rope n’existe dans aucun des marqueurs Il est incontestable que l’exercice du pou-même, affranchie de tout asservissement à américains de la modernité (aujourd’hui et voir d’État est métamorphosé depuis l’élec-un supposé Etat créateur comme cela est le demain) ; elle n’existe que dans la richesse tion d’Emmanuel Macron. Cela suffira-t-ilcas dans de trop nombreux pays. d’un patrimoine séculaire (hier). Pire, et pour que l’exercice du pouvoir politiqueL’enjeu est d’une grande complexité. Avec c’est visible en France, existe une impres- et celui de l’autorité évoluent à leur tour ?la Déclaration des droits et de l’homme sion d’être dépossédé des pensées, des Non. Le statu quo est probable parce que laet du citoyen, nous avons construit notre concepts, des ressorts, des langages qui nature même des institutions politiques yconscience dans la citoyenneté ; avec la expriment les problématiques fondamen- conduit. Les institutions politiques ditesrévolution industrielle, dans le travail. tales et qui permettent de participer à leur représentatives forment la charpente de laEt maintenant ? Dans quels domaines résolution dans le cadre de la mondialisa- démocratie. Sont-elles elles-mêmes démo-pouvons-nous engager notre volonté de tion. Etre moteurs et non pas seulement cratiques ? Non, pour la plupart d’entrecréation ? Dans la libération de l’acteur agents de l’avenir du monde semble leur elles – école, justice, santé publique, orga-social, dans la libération des mouvements être – aussi injustement que fallacieu- nisation du territoire, etc. Dans ces condi-éthico-démocratiques contre l’Etat hégé- sement – interdit. Espérer reconquérir, tions, comment repérer puis résoudre lesmonique ou despotique, contre l’Etat même très partiellement, un statut « mon- grands problèmes de société, les grandstotal. Avant-hier Solidarnosc et les mou- dial » exige de ceux qui représentent le enjeux qui définissent une société ? Et c’estvements d’opposition au régime soviétique sommet de l’Etat une forme d’incarnation. d’autant plus difficile dans une époque oùou chinois, hier le Printemps arabe : en la plupart des grands sujets ne sont plusvoilà quelques illustrations. Ce chantier, « Il est incontestable que visibles et compréhensibles dans le cadrefondamental, qui consiste à redonner la l’exercice du pouvoir d’État des familles politiques traditionnelles.priorité aux acteurs sociaux, Emmanuel est métamorphosé depuis Qu’il s’agisse d’enseignement, d’accueilMacron doit en être convaincu et le mettre l’élection d’Emmanuel des réfugiés, de libéralisme économique,en œuvre s’il veut – et si nous voulons – Macron. Cela suffira-t-il de sécurité, d’assistance, il n’existe plus detrouver les moyens de résister aux défer- pour que l’exercice du pouvoir véritable interprétation « partisane » de ceslements de la mondialisation, en premier politique et celui de l’autorité thèmes. Des électeurs de gauche fustigentlieu financière. évoluent à leur tour ? Non » l’accueil des réfugiés ou applaudissent le tout sécuritaire, des électeurs de droite féli-Après l’« hyper » de Nicolas Sarkozy et citent l’interventionnisme de l’Etat ou cri-l’« hypo » de son successeur, la présiden- tiquent l’école privée. A très court terme,tialisation de la fonction telle qu’Emma- cette réalité donne crédit au fameux « ninuel Macron l’exerce – y compris via la gauche ni droite » cher au Président de laporosité des corps législatif et exécutif République mais à plus long terme et enqu’il n’incarne pas moins que l’ancien élu profondeur, elle fragilise la revitalisationUMP – dessine-t-elle bien une « troisième de la démocratie ; il est urgent de « repoli-voie » ? Est-il possible de ne pas sacrali- tiser » la vie publique.ser outrancièrement – et au détriment dufonctionnement des institutions – l’exer- Acteurs de l’économie - La Tribune 15cice de la fonction lorsqu’on a fondé savictoire sur une personnification aussia rmée ?N°138 Décembre 2017
« Subjectivation : (con)quêtes sociales ? Sous cette forme on se sent et on se sait non, y compris parce qu’une telle ambi- reconnu comme créateur, tion éthique n’est pas compatible avec la responsable et protégé réalité des missions d’un gouvernement. par les droits humains Mais comme il n’est pas contestable qu’il fondamentaux, possède une appétence singulière pour la par une forme de pensée philosophique, il est certain qu’il « sécurité sociale » y est sensible. cette fois culturelle Pour autant, cette voie de la subjectiva- ou philosophique, tion, qui ne peut pas être « politique- que l’on peut baptiser ment » retenue, doit être un chantier éthique ou démocratique. politique fondamental, au même titre que Voilà l’aboutissement la défense de la dignité de tous. Ou plu- de l’égalité, qui donne tôt devrait constituer, si l’on en juge par la droit non seulement manière dont les réfugiés sont traités sur à la dignité mais le sol français. Quel message sur le res- à la liberté de pect des droits humains et sur la sanctua- conscience et risation de la dignité diffuse-t-on au sein d’action. » de toute la société lorsqu’on envoie des hommes en armes garder les frontières,DESSEIN que les services de l’Etat sont défaillants, qu’on poursuit judiciairement des béné-« Libération de l’acteur Parmi les causes du délitement idéolo- voles venus au secours des migrants ? Lessocial et des mouvements gique de la gauche figurent les phéno- Français sont nettement plus vertueuxéthico-démocratiques : mènes de désaffiliation et d’implosion que les institutions qui les représentent.ce chantier, fondamental, des traditionnels groupes sociaux liées Michel Rocard en son temps avait déclaréEmmanuel Macron doit à la désindustrialisation, mais aussi le que la France ne pouvait pas accueillirle mettre en œuvre s’il veut rapport très ambigu et même obsolète à « toute la misère du monde », signifiant– et si nous voulons – l’individualité. « Le grand bouleversement ainsi qu’elle devait en prendre sa part etrésister aux déferlements de la pensée sociale, morale, et en partie se refuser à l’emploi de méthodes déshu-de la mondialisation, politique, c’est que la valeur centrale doit manisantes. C’était une autre philosophieen premier lieu financière » être l’individu », a rmez-vous d’ailleurs. de gouvernement. Ce qui convoque le principe éthique de16 Acteurs de l’économie - La Tribune cette « dignité » à laquelle vous corrélez « Faire de la politique », c’est gérer le je le réveil d’un sens politique. La pensée et le nous de chaque citoyen, c’est créer et l’action politique d’Emmanuel Macron un lien, un sens, une articulation entre le sont-elles susceptibles de favoriser plus grand nombre de je, c’est favoriser l’éclosion du « sujet humain » auquel vous la projection des je dans ce nous qu’on êtes si attaché ? baptise société, faire commun, imaginer, Etre un « sujet »… Effectivement, je créer, bâtir, faire et vivre ensemble. Or m’emploie à réhabiliter cette notion que la société est disloquée, ses principes de la plupart des courants philosophiques citoyenneté et d’appartenance sont dure- ont détruit au début du XXe siècle. A ce ment éprouvés, elle est sans perspective noble terme, je préfère même celui que ni substance à même de la cimenter de Michel Foucault [1926 – 1984] intro- nouveau, la solidarité et la fraternité ne duisit : la subjectivation, c’est-à-dire la la distinguent plus… Qu’est-ce qu’Emma- conscience d’être sujet. Emmanuel Macron nuel Macron peut corriger à ce sombre peut-il favoriser le principe de subjecti- tableau ? Qu’est-ce qui peut être un nous vation jusqu’à le placer au sommet des dans ce contexte domestique et plané- taire où l’accomplissement de l’individua- tion est en panne ? Cet enjeu est central. La France est un pays essentiellement politique, et peu « social ». Que le mouvement ouvrier ait été des années 1920 aux années 1980 sous le joug communiste, c’est-à-dire anti-démocratique, en a été la preuve. En conséquence, la France est désorientée parce qu’elle ignore autour de « quoi » ses conflits s’organisent. Et alors par dépit, quel exutoire trouve-t-on ? Le « tous pourris » que l’on verse sur toute incarna- tion du pouvoir, de l’autorité, des institu- tions, de la décision. Pour que les conflits soient considérés et compris, il faut qu’ils N°138 Décembre 2017
EMMANUEL MACRON PAR ALAIN TOURAINE Dialoguer« Sans restauration d’une concerne des pans entiers de la société, étrangers est symptomatique. Il nouscapacité décisionnelle traverse toute la société : dignité au travail, donne l’impression de susciter surtout lade l’Etat, aucun citoyen dignité des enseignants et des enseignés, peur. Il implique donc que nous accep-ne peut croire qu’il est dignité des soignants et des malades, tions le modèle du multiculturalisme,possible de dessiner un projet dignité des employeurs et des salariés, mais assorti d’une condition : pour qu’ilsociétal de conflictualité ». dignité des minorités dans un monde de y ait acceptation des minorités et pour majorités, dignité des vaincus dans une que toutes les cultures coexistent har-aient un sens. Sur quoi, contre quoi, pour morale capitaliste de la réussite, etc. monieusement, ces dernières doivent sequoi se bat-on ? Autrefois la réponse avait « Voter Emmanuel Macron, c’est faire le soumettre à une même orientation uni-pour nom la prise de l’Etat par la force. choix de l’avenir contre le passé », avez- versaliste, placée « au-dessus » du socialMais aujourd’hui ? Faire rempart à la vous estimé dans une tribune publiée puis capable de « redescendre » et dedomination financière internationale ? juste avant les élections. Ce que vous pénétrer l’ensemble des strates de la vieJuguler le chômage ? Sans restauration apprenez de lui vous convainc-t-il de sa humaine. Dans nos sociétés occidentales,d’une capacité décisionnelle de l’Etat, capacité à faire aimer, par les Français, ce support peut être chrétien, musulman,aucun citoyen ne peut croire qu’il est bien davantage l’avenir que le passé ? juif, c’est-à-dire monothéiste, ou nouspossible de dessiner un « projet sociétal Mais aussi à comprendre et accepter la venir du rationalisme des Lumières.de conflictualité ». De plus l’injonction – mondialisation, eux qui ont massivementlégitime – de l’Union européenne pour la voté pour des formations politiques incar- « Le think local a vécu, placerésorption des déficits publics nationaux nant la peur et le rejet de cette France au think global. Il conditionneretire, de facto, toute marge de manœuvre ouverte au monde ? la réhabilitation des Etats, il façonneaux gouvernements. La population a désormais admis qu’elle une éthique et redonne espoirCeci étant, rien n’est rédhibitoire. Pour était partie intégrante de la mondialisa- à des démocraties aujourd’huique chacun s’incarne dans un projet de tion, et qu’il était totalement vain d’es- déliquescentes. Cela, Emmanuelsociété, pour qu’un nous émerge au-des- pérer lui échapper. Pour autant, elle n’est Macron l’a compris. Et le met ensus de la jungle des je repliés sur la défen- pas dupe de la force de ce capitalisme œuvre, comme l’illustrent sessive, et pour qu’à ces je recroquevillés se financier international qui s’affranchit dusubstituent des je épanouis et chargés contrôle étatique – sauf lorsqu’il est aussi discours « cadres » devantd’espoirs, il est essentiel qu’une offre autoritaire qu’en Chine ou en Turquie –, l’Acropole ou à la Sorbonne. »d’espérance et de sens symbolique vienne qui est libéré – même dans les social-dé-répondre à l’effort multiforme demandé mocraties européennes – d’une véri- © Zuma Press / Réaà la population. Des progrès dans l’ac- table régulation au service de l’égalité.cueil des étrangers ou dans le respect des Ce monde purement mercantile et nondroits des femmes peuvent y contribuer maîtrisé effectivement dissuade de croirepour beaucoup. en la mondialisation, de regarder l’avenir avec confiance, de dessiner un projet àAvoir le sens de l’histoire lorsqu’on est la fois individuel et partagé. Et donc faitgouvernant, c’est aussi, au nom de prin- le bonheur des partis populistes. Est-cecipes éthiques, faire barrage parfois inéluctable ? Non. A condition là encorecourageusement aux pressions et aux pul- de ressusciter le sens de l’action politique.sions de la population… Eriger la dignité Et là encore de faire converger les éner-de tous en tête des desseins, n’est-ce pas gies vers l’accomplissement d’une causeun formidable projet politique ? universellement acceptée. Comme parEffectivement. Ce sens de l’histoire et le sens exemple, là encore, la dignité.de la dignité sont indissociables. Promou- Aime-t-on l’avenir lorsqu’on se saitvoir le sens de la dignité des êtres humains incapable de le dominer ou même de l’orienter ? Non. Le cas de l’accueil des« Chaque génocide signifie que la société qui en est coupable est capable de détruire dans des proportions inimaginables mais aussi de se reconstruire encore plus moderne. Ce mouvement d’autodestruction suivi de transformation confère un sentiment de toute-puissance, qui devient synonyme de modernité. » (Ici exode des Rohingyas)N°138 Décembre 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 17 © Adam Dean / The New York Times / Redux / Réa
Dialoguer EMMANUEL MACRON PAR ALAIN TOURAINEMODERNITÉUn terme est central dans vos travaux : créée par le régime nazi avec les camps Le sociologue et économiste Pierre Veltzmodernité. La singularité du profil, du d’extermination consolidèrent ; chaque a remarquablement mis en lumière unestyle et de la stratégie d’Emmanuel génocide signifie que la société qui en est grave erreur que nous devons combattre :Macron su t-elle à incarner la « moder- coupable est capable de détruire dans des nous pensons communément qu’au mondenité », et espérer que la société française proportions inimaginables mais aussi de de l’industrie a succédé le monde des services.« entre dans la modernité » ? Forme inédite se reconstruire encore plus moderne. Ce La réalité est autre : à la séparation des indus-ne signifie pas fond inédit… mouvement d’autodestruction suivi de tries et des services a succédé la fusion desCe mot désigne d’immenses réalités, et une transformation confère un sentiment de industries et des services. Notre époque peutmanière de le définir et de le circonscrire toute-puissance, qui devient synonyme de donc être qualifiée d’hyper industrielle.est de mettre en perspective comparative modernité. Même la fabrication des robots, des ordi-les sociétés d’ordre et les sociétés de mouve- nateurs ou des logiciels ne relève-t-elle pasment. Les premières, qu’étudient les eth- Cette définition de la « société moderne », d’actes « industriels » ? L’industrie spatialenologues, fonctionnent à partir de cadres qu’indique-t-elle sur le degré de moder- n’en est-elle pas un bel exemple ? Et la pro-stables, de règles visibles – par exemple nité de la société française ? duction de robots n’invente-t-elle pas, nede parenté –, de modèles mécaniques, et Bien sûr la société française est « dans la crée-t-elle pas des emplois en même tempsrecourent à l’histoire des origines incar- modernité. » L’enjeu est d’étudier le rythme qu’elle en détruit ? En définitive, seulesnées par les mythologies. Les secondes se auquel elle s’y consacre, mais également les taches strictement techniques, y com-distinguent par leur volonté et leur capa- de comprendre les phénomènes de stabi- pris administratives, sont appelées à dis-cité de se transformer, par une logique lité voire de récession. En l’occurrence, la paraître, et dans ces domaines la force ded’action grâce à laquelle elles inventent, France demeure fortement marquée par la frappe des algorithmes et de l’intelligencedétruisent, construisent, métamorphosent, période préindustrielle qu’elle peine tou- artificielle a commencé son « œuvre. »et donc créent l’histoire. Ce sont elles, bien jours à dépasser. Le « grand moment » de Mais ces nouvelles armes technologiques,sûr, qui « font » la modernité. Et pour cette la modernité française, comme l’a juste- que peuvent-elles pour exercer une rela-raison, les termes « modernité » et « his- ment démontré le sociologue allemand tion d’un être particulier vers un être parti-toricité » sont indissociables. Depuis fort Norbert Elias, a culminé au XVIIe siècle, culier ? Rien. Or, ce sont les activités diteslongtemps, nos sociétés se pensent et se Louis XIV s’alliant avec la bourgeoisie pour de communication – par exemple dans lesdéfinissent « modernes » – les médiévistes briser l’hégémonie de la noblesse. Mais domaines de la santé et de l’éducation – quisituent la naissance de la modernité occi- par la suite, la France peinera à s’adapter connaissent un boom spectaculaire. D’ail-dentale au XIIe siècle. Mais, peut aussi être à l’industrialisation. Songez qu’en 1914 la leurs, parmi les principales explications duconsidérée comme moderne une société au moitié de la population est encore rurale, « boom » de l’enseignement privé, n’y a-t-ilsein de laquelle les créatures se sont pro- ce qui situe la France loin derrière l’An- pas celle d’une « considération » de l’indi-gressivement imposées créatrices et de plus gleterre bien sûr mais aussi l’Allemagne. vidualité de chaque enfant ? Imagine-t-onaux dépens même du Créateur. Suivra une double période d’embellie : le nombre d’emplois qu’il faut concevoirDans cette logique, on distingue différents entre les deux guerres (notamment dans pour subvenir aux rapports de personnepaliers. La distinction des pouvoirs reli- les secteurs de l’automobile et de l’aviation) à personne dans un monde globalisé à cegieux et politiques a permis le développe- puis lors de la reconstruction après la Libé- point interpersonnel, mêlant des langues,ment d’une pensée politique autonome, ration (programmes nucléaire, spatial, les des cultures, des coopérations, des trans-c’est-à-dire la capacité d’une société à trains à grande vitesse). Mais depuis les versalités aussi variées ? Porter la sociétépenser par elle-même sa modernité. Cette années 1970, la dynamique d’innovation vers ces emplois est une décision éminem-conception juridico-politique de la moder- et d’inclusion dans la mondialisation s’est ment politique. Il appartient à Emmanuelnité, fondée sur l’ordre, la loi, le contrôle, considérablement essoufflée. Et c’est cette Macron de s’en emparer. Attacher la plusla paix a dominé les temps modernes France dont Emmanuel Macron hérite. haute importance à l’Homme, conférer àavant la « révolution industrielle ». C’est Peut-il la réintroduire dans le « sein des chaque individu la possibilité d’être créa-au moment de cette dernière que la société seins » de la modernité ? Ce n’est pas sur teur, c’est-à-dire de créer sa propre culture,a pu se considérer réellement moderne, la durée d’un quinquennat qu’un chan- d’avoir une vision et une représentationc’est-à-dire créatrice de changement histo- tier aussi considérable peut aboutir ; nous propres de lui-même, voilà de quoi géné-rique à partir de ses créations techniques. jugerons en 2022 s’il a « au moins » tenté rer un sens, et en droite ligne de façonnerL’Angleterre a pris la tête de cette « révolu- et réussi un début de redressement. une culture et une société nouvelles, destion » à la fin du XVIIIe siècle, avant que institutions et des rapports sociaux nou-la future Belgique, la France et Allemagne Les engagements d’Emmanuel Macron veaux. Ce qu’aucun mouvement social n’ane la rejoignent. Puis les sociétés vont peu n’ont-ils pas pour effet de davantage jamais proposé, le Président de la Répu-à peu acquérir une connaissance telle- consolider le « triomphe total » qu’in- blique pourrait l’initier. Donnons-nous lement complète et illimitée de leur capa- carne à vos yeux « l’emprise des nouvelles droit de rêver…cité de création, de transformation et de technologies sur l’humanité entière, surdestruction, qu’elles vont directement se chaque aspect de la vie de chacun », de « Le peuple de France déteste lespenser créatrices. Ce que, paradoxale- fortifier cette « nouvelle forme de tota- réformes », a lui-même déclaré Emmanuelment, l’épouvante perpétrée dans les tran- litarisme qui succède aux totalitarismes Macron lors d’un déplacement en Rou-chées de la Première Guerre mondiale puis nazi et stalinien » ? manie le 24 août 2017. A ce pays « dit »18 Acteurs de l’économie - La Tribune N°138 Décembre 2017
EMMANUEL MACRON PAR ALAIN TOURAINE Dialoguercommunément hostile aux réformes, sclé- pour diminuer les inégalités, et non pas les axes de développement, les orienta-rosé dans ses corporatismes, encalminé pour protéger ceux qui peuvent se défendre tions stratégiques et même la culture sontdans une fonction publique pléthorique, plus activement eux-mêmes et qui sont plus gérés dans l’intérêt d’une caste de milliar-pour partie rétif aux progrès et audaces nombreux parmi les riches que parmi les daires qui sévit des Etats-Unis à la Chine,sociaux, Emmanuel Macron peut-il réel- pauvres. Et surtout, comme nous l’a appris de la Russie au Moyen-Orient. Que nouslement apporter une inflexion ? La Fontaine à l’école primaire, il faut croire indique l’analyse des inégalités ? Sur uneLa grande affaire est l’ouverture mondiale, à la capacité de création et d’initiative du vingtaine d’années, l’inégalité des revenusl’apparition de nouveaux concurrents et plus grand nombre. N’opposons pas la est, dans des pays comme la France, relati-surtout de régimes autoritaires liés à de solidarité par protection à la solidarité par vement stable ; c’est l’inégalité des capitauxpuissants groupes hyper-rich. La réaction amélioration des chances des plus faibles : qui a bondi, tandis que la superpositionde la France – et d’autres pays – a été de elles doivent se compléter. de ces deux inégalités augmente les inéga-s’enfermer dans la défensive. Pas seule- lités dans les pays pauvres. En Amériquement par ces fameuses réactions populistes « Les Français sont latine, la population fuit massivement lesà « la » Le Pen, à « la » Mélenchon et aussi nettement plus vertueux territoires pour s’agglutiner même pauvre-à « la » Fillon cherchant à faire revivre la que les institutions ment dans les plus grandes aggloméra-vieille société catholique de l’Ouest. Mais qui les représentent » tions. Toute une partie de ces pays se vide,par la défense à courte vue, et même l’hy- provoquant une dualisation extrêmementper-protection de toutes sortes de catégo- Est-ce possible aujourd’hui ? Nous sommes préoccupante des sociétés. Cette situationries moyennes (distributions généreuses dans une configuration assez similaire à d’inégalités abyssales obstrue là encore ladu secteur public, des avantages accordés celle qui prévalait au XIXe siècle en France perspective d’avenir chez l’immense majoritéaux entreprises trop faibles, etc.). Cela ou en Angleterre. Qu’y constatait-on ? Face des gens qui ont la perception que tout estalors qu’il faut créer de la connaissance, aux dirigeants (politiques, marchands, décidé en leur défaveur, et qui sont décou-ouvrir les portes de la mobilité sociale, industriels), l’existence massive d’une plèbe ragés de participer à des réformes nécessai-mieux connaître (tout) le monde, et éviter urbaine si indigente et si enfermée dans rement sacrificielles. Sans exemplarité enque l’Etat lui-même redistribue l’épargne sa misère qu’elle n’avait aucune perspective haut, comment réclamer des renoncementsen affaiblissant l’investissement. Au len- d’avenir. Or c’est celle-ci qui fait accepter en bas ?demain de la Seconde Guerre mondiale, le principe de réformes nécessaires. Unla France a été sauvée par une volonté de siècle et demi plus tard, la structuration L’intérêt général, à l’accomplissementreconstruction nationale. Le résultat a été de la société est bien sûr différente ; mais duquel converge le sens de toute poli-excellent. Il est bon de redistribuer, mais tique, doit être cerné clairement si on veutVENT DE FRAICHEUR SUR 8 MONT-BLANC ... ... LAISSEZ-VOUS SURP R ENDRE ... WWW.8MONTBLANC.FR CANAL 31 DE LA TNT CANAL 30 SUR LES BOXN°138 Décembre 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 19
Dialoguer EMMANUEL MACRON PAR ALAIN TOURAINEréaliser des réformes. L’intérêt général, « Pour que chacun s’incarne d’« évolutions » et la notion de progrèsc’est le dénominateur commun. Dans une dans un projet de société, surgit pendant la révolution industrielle,société aussi cloisonnée, individualiste, pour qu’un nous émerge après que les siècles précédents aientcorporatiste et mondialisée, dans un pays au-dessus de la jungle des institué des avancées significatives (enqui a fait le choix, comme le démontre je repliés sur la défensive, termes d’organisation, de lois, d’ordre, dele philosophe Yves Michaud, d’ériger de et pour qu’à ces je règlementations, de normes, de protec-hauts murs entre et contre les groupes au recroquevillés se substituent tions). Aujourd’hui, l’heure est en effet àgré de politiques catégorielles produc- des je chargés d’espoirs, s’émanciper de cette vision économiquetrices de rivalités, un chef d’Etat peut-il il est essentiel qu’une et sociale en termes d’organisation, pourdéfinir ce dénominateur commun, aussi offre de sens symbolique aller vers l’hypermodernité. Ce qui posepetit soit-il ? vienne répondre à l’effort le sujet, extraordinairement difficile, deL’acceptation de la modernité constitue ce demandé à la population » la créativité. Non plus par la conceptionsocle commun. Reconnaître que l’on est de machines augmentant la productivitésur le bateau ne donne pas d’autre alterna- de connaissance et de vérité. Emmanuel du travail, mais par l’affirmation du droittive que de participer à la traversée vers Macron, au contraire, a constamment agi de chacun et par la confiance mise en lala modernité. Ou alors on fait le choix en politique. Il n’est ni un philosophe, ni capacité de donner l’avantage aux droitsde rester à quai, et alors on en assume un économiste, bien qu’il ait une réflexion sur les obligations et à la démocratie surles conséquences. Accepter la moder- personnelle dans ces deux domaines. Ce l’autorité. Notre avenir dépend moins desnité, c’est partager un but commun, c’est qui définit le mieux sa démarche est de machines que de la faculté de se et de nousse placer dans la volonté d’entreprendre, montrer la faiblesse, la perte de sens des faire entendre.d’expérimenter, d’oser, c’est refuser la sou- déclarations de la plupart des politiques.mission et les diktats – notamment des Et il le fait en retrouvant la logique ori- « Nous devons retrouver à nos propresmachines. Ce qui signifie aussi s’exposer, ginelle d’une politique qui a été perdue yeux la capacité d’être, notammentse mettre parfois en risque pour être un sous la pression de la conjoncture et de créateurs, et c’est d’autant plus essen-acteur social. Et l’enjeu est capital. Qu’ont la chute des politiques eux-mêmes vers tiel que nous consacrons notre énergieen commun les peuples qui placent au des compromis de moins en moins clairs. à ne pas être : pauvre, malade, chômeur,pouvoir des autocrates ou des dictateurs, Emmanuel Macron met ses adversaires seul », estimez-vous d’ailleurs. Immensecomme hier Hitler ou aujourd’hui Poutine, en position de faiblesse, en leur montrant chantier…Trump ou Erdogan ? Le sentiment qu’ils qu’ils se sont éloignés de ce qu’on pouvait Absolument. Les sociétés hypermodernesne comptent plus, que leur voix, leurs appeler leurs « idées. » Ce côté critique ont pour caractéristique d’acquérir unebras, leur intelligence ne sont plus consi- de sa stratégie est plus efficace qu’une représentation, une interprétation directedérés, que leur personne est exclue de la démarche purement théorique. La France et complète de la crédibilité, c’est-à-direconstruction de la société. bat les records de crise de confiance – le rapport à soi-même : « Je me découvre confiance des citoyens en eux-mêmes et créateur. » Les débats qui portent surGouverner un pays, c’est en premier lieu en leur collectivité – ; tant qu’il sera aussi l’évolution de l’individu apportent uneavoir le courage de déplaire au nom de difficile de percevoir la capacité des lois lecture sur cette illustration. L’individu auconvictions que l’on croit les meilleures et de l’action politique de peser concrète- sens traditionnel a pour dessein de satis-pour l’intérêt général. Pensez-vous ment, cette crise de confiance sera aiguë. faire ses pulsions (boire, manger, jouir) ; àEmmanuel Macron prêt à ce sacrifice ? cette considération matérialiste, NietzscheC’est lui demander trop. Et c’est dérespon- « Je ne crois absolument plus au pro- ajoute la nécessité de se libérer du joug dusabiliser le citoyen, c’est-à-dire le sous- grès », estimez-vous. Pourtant, peu est christianisme pour libérer l’être. Secondtraire à sa possibilité ou même son devoir aussi essentiel qu’un progrès riche de niveau : l’individu a des besoins sociaux,d’être un acteur social. Ne chargeons pas sens pour donner sens à l’histoire. Y com- c’est-à-dire de reconnaissance. A cetteles épaules des dirigeants, notamment pris pour « accomplir » ce passage de la thèse soutenue par le sociologue alle-politiques, d’un fardeau aussi injuste société industrielle, fondée sur la création mand Axel Honneth, l’Américaine Nancyqu’inadapté ; c’est en premier lieu à chaque d’un monde technique, matériel, et d’une Fraser apporte un complément : cettemembre de la société puis à l’ensemble de vision économico-sociale, vers celle de reconnaissance doit être traduite dans lesla société d’agir. Il y a longtemps déjà, les l’hypermodernité… faits – être protégé du chômage, avoir unesociaux-démocrates scandinaves et alle- Par quoi définit-on une société ? Ce doit Sécurité sociale, etc. Une interprétationmands ont appris à combiner l’action éco- être par l’interprétation qu’elle se donne évolutionniste de l’individualisme stipulenomique et l’action sociale. Michel Rocard de sa propre créativité. Et que signi- qu’il « faut » être dans le présent ou dansa essayé de convaincre les Français de fie le progrès ? Une unité fondamentale l’avenir, et pour cela échapper aux caté-suivre ce chemin ; mais il a échoué. entre l’évolution, la création de nouvelles gories qui n’ont plus de valeur explicativeAujourd’hui il faut ajouter à cette grande connaissances scientifiques et techniques, ou mobilisatrice – situation aujourd’huiidée une autre, devenue aussi importante : et l’amélioration des conditions écono- dominante en Europe occidentale. L’étapele chef de l’Etat doit aider son pays à pen- miques, sociales et morales de l’huma- ultime, c’est donc celle de la subjectivation :ser global, à répondre aux exigences et aux nité. L’histoire de l’humanité est faite on se sent et on se sait reconnu commepossibilités qu’apporte la mondialisation. Il créateur, responsable et protégé par lesdoit lutter contre toutes les formes de repli droits humains fondamentaux, c’est-à-et d’ignorance qui menacent son pays. dire par une forme de « sécurité sociale »Emmanuel Macron n’est pas un roi philo- cette fois culturelle ou philosophique, quesophe, et Paul Ricœur, auquel il voue une l’on peut baptiser éthique ou démocra-admiration intellectuelle, était très éloigné tique. Voilà l’aboutissement de l’égalité,de l’esprit pragmatique des politiques, qui donne droit non seulement à la dignitétant il était consciemment un homme mais à la liberté de conscience et d’action.20 Acteurs de l’économie - La Tribune N°138 Décembre 2017
LE PHÉNOMÈNE EMMANUEL MACRON DANS L’ŒIL DU SOCIOLOGUE ALAIN TOURAINE Dialoguer « Je l’a rme : Emmanuel Macron a redonné à la France et à l’Europe confiance en elles-mêmes, parce qu’il les engage à entrer dans l’avenir plutôt qu’à pleurer sur les ruines du passé » © Eliot Blondet / Pool / RéaEUROPEParmi les actions saluées figurent celles « national » correspond à une véritable ultratechnologique, exposé aux enjeuxayant trait à la politique étrangère, et qui capacité décisionnelle et s’inscrit aussi cruciaux du climat et de la préservationillustrent ce que la victoire d’Emmanuel dans la quête d’un sens « européen. » de la biodiversité. Voilà un merveilleuxMacron a provoqué dans le monde : la Et c’est même l’accomplissement de ce chantier à conduire…restauration d’une image et l’embellis- « sens européen » qui peut conditionnersement d’une réputation qui s’érodaient l’éclosion d’un « sens national » – lequel, … et l’opportunité de conjurer ce que vousdepuis une vingtaine d’années. Quand à l’aune de la faiblesse d’un pays sur la m’avez confié en 2011 : « Le goût d’Europebien même elles seront bien insuffi- scène mondiale et de son lourd passif est mort. Qui croit encore qu’il existe unesantes pour que la France recouvre une colonial, ne peut plus épouser une quel- conscience européenne ? Qui donc parleinfluence linguistique, économique, et conque mission civilisatrice. Et effecti- encore d’Europe ? L’Europe ne forme plussurtout politique et diplomatique, elles vement, l’articulation des champs et des un enjeu ou un idéal pour les citoyens. »participent à revigorer son attractivité. compétences nationaux et européens L’idéal d’Europe est éteint. Mais si leEt en premier lieu au sein de l’Europe. est clé. Elle exige lisibilité, acceptation, « goût d’Europe » est mort, l’Europe elle-Laquelle commande une urgence abso- mais aussi d’être imposée lorsque c’est même ne l’est pas. Si la priorité est delue : juguler la montée en puissance de la nécessaire. féconder un sens de l’histoire, si ce dernierdoctrine populiste, xénophobe, anti-eu- L’échelle nationale, que les électeurs s’ap- en effet doit être recherché au niveau deropéenne, démagogique, qui depuis le proprient parce que les scrutins y sont l’Europe – et en premier lieu de l’Europe24 septembre 2017 contamine même le lisibles contrairement à celui du parle- occidentale, économiquement et socia-Bundestag dont elle est devenue la troi- ment européen dans les conditions qui lement la plus homogène, d’autre partsième force politique, exige des ripostes sont aujourd’hui les siennes, demeure seule capable de financer son indépen-claires aux thèses qui font la popularité fondamentale pour traiter les problèmes dance militaire et d’« oser » prendre uneextrémiste. Et ces réponses en e et sont sociaux, rétablir les équilibres socio-éco- nécessaire distance avec les Etats-Unis –,de moins en moins françaises et de plus nomiques fondamentaux, et lutter contre sa réalisation, aujourd’hui illusoire, n’esten plus européennes. C’est une opportu- les inégalités territoriales. Et elle peut possible que si les problèmes sociauxnité pour coaliser les peuples démocrates, s’appuyer, pour cela, sur les strates inter- sont traités localement. Donner un sensmais qui exige doigté sur un thème qui médiaires – régions, conseils départe- à l’Europe exige pour chaque peupleexacerbe la sensibilité de chaque peuple : mentaux, agglomérations – dans le cadre qu’il se sente globalement « bien » danssa souveraineté… desquelles se forgent l’action politique son territoire, qu’il se sente en confianceCe qui s’offre à Emmanuel Macron est concrète et la nécessaire unité nationale. avec ceux qui le gouvernent, qu’il sai-commun à tous les chefs d’Etat ou de L’échelle européenne est donc celle de ce sisse concrètement qu’il prend part àgouvernement, présidents de conseils, « sens », qui peut avoir pour terreau une un double et simultané redressement,et même monarques d’Europe : éveil- vision sinon commune au moins partagée économique et social. Les deux échellesler un nouveau sens dans leur politique de la place et du rôle de l’Europe dans un géographiques interagissent, s’interpé-domestique n’est possible que si ce sens monde globalisé, consumériste, dérégulé, nètrent. A ce titre, Emmanuel Macron estN°138 Décembre 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 21
Dialoguer EMMANUEL MACRON PAR ALAIN TOURAINEdevant un immense défi, une responsabi- défense commune, développer une poli- emblématique de la richesse européennelité considérable. Car de sa politique bien tique économique performante dans – rappelons à ce titre qu’il n’existe pasplus nationale qu’européenne dépendra la mondialisation : certaines fonctions de culture européenne, mais une culturela volonté des Français de découvrir un régaliennes – à l’exception notable de la multinationale, une culture des diversitésnouveau sens de l’histoire. politique sociale – doivent faire l’objet qu’il s’agit simplement de mettre dans d’une unité européenne. Comment vou- les conditions du dialogue, du croise-La foi d’Emmanuel Macron en l’Europe, lez-vous sinon qu’un citoyen ait confiance ment, des hybridations les plus géné-sa vision de l’Europe, ont pesé dans en l’Europe lorsque celle-ci autorise les reux possibles. Travaillons à ce minimumles votes, notamment des catégories géants des nouvelles technologies (sym- réaliste avant d’envisager un maximumsocio-professionnelles dites élevées. boliquement les fameux GAFA : Google, chimérique. Œuvrons pour que l’EuropeEst-il celui qui peut la ressusciter ? Mais Apple, Facebook, Amazon) à se soustraire honore la liberté des sujets humains tellesi oui, « quelle » Europe : celle d’un marché à l’impôt en installant leur siège dans que l’incarnent les modernes en opposi-plus performant ou celle d’une civilisation des « paradis fiscaux »… membres de tion aux Anciens. Cette liberté, c’est celledu Progrès ? l’Union européenne ? Voilà une condition des droits – protégeant les libertés fonda-De ceux qu’il a développés pendant de l’émergence d’un sens de l’Europe. mentales – contre celle des lois, c’est unla campagne puis à celui de la colline tronc commun qui a pour nom « droitsgrecque de la Pnyx face à l’Acropole Pour qu’elle existe, ou plutôt réexiste, de l’homme » et qui peut fédérer toutesjusqu’à celui de la Sorbonne, chacun des l’Europe doit-elle être considérée comme les communautés de tous les pays, c’est ladiscours d’Emmanuel Macron démontre un bien commun ? possibilité pour l’ensemble des Européensune volonté incontestable et unique d’es- Des distances gigantesques, des histoires de se sentir viscéralement frappés parsayer de créer une nouvelle vision de hétérogènes, des cultures ou des modes l’image d’un enfant syrien noyé sur leursl’Europe, de dessiner pour l’Europe une de pensée parfois aux antipodes, des côtes et de décider ensemble d’agir. Cetteperspective inédite. Et, notamment avec plaies guerrières à peine cicatrisées… Europe-là est celle que doit et, semble vou-le Brexit et l’élection de Donald Trump, Cette ambition ne serait pas réaliste, et loir vivifier Emmanuel Macron.les conditions internationales sont elles à force simultanément de la placarder A titre personnel, je tiens à l’affirmer :aussi uniques. Organiser une défense et d’échouer à la concrétiser, s’accu- Emmanuel Macron a redonné à la Francesinon commune au moins « synergisée », mulent les dépits et les renoncements. et à l’Europe confiance en elles-mêmes,reconsidérer la gouvernance pour obte- Les notions d’Etat, de justice, de négo- notamment parce qu’il les invite et lesnir une plus grande efficacité, taxer les ciation, de conventions, de contrats, de engage à entrer dans l’avenir plutôt qu’àtransactions financières pour financer codes sont encore très difficiles à unifier. pleurer sur les ruines du passé. Je vou-l’aide publique au développement, orga- Créer un cadre fiscal commun, des règles drais seulement être certain que son appelniser l’accueil des immigrants, instaurer budgétaires communes, un ministère des à la modernité sera entendu alors que ceune taxe carbone aux frontières, initier finances commun relève de ce qui peut sont les forces politiques les plus tournéesune agence pour « l’innovation de rup- être commun sans altérer le pluralisme si vers le passé qui lui ont le mieux résisté.ture », réévaluer l’envergure de l’unionéconomique et monétaire et y agréger un « Le sens de l’histoire et le sens de la dignité sontbudget pour la zone euro… Ce qu’il veut indissociables. Promouvoir le sens de la dignité des êtresengager concourt à concrétiser son vœu humains traverse toute la société : dignité au travail, dignitéd’une Europe « souveraine, unie et démo- des enseignants et des enseignés, dignité des soignants et descratique » – ce qui, à l’heure où le parti malades, dignité des employeurs et des salariés, dignité desallemand d’extrême droite AFD a provo- minorités dans un monde de majorités, dignité des vaincusqué un séisme en accédant au 3e rang des dans une morale capitaliste de la réussite, etc. »formations politiques outre-Rhin, revêtune signification particulière. Bien sûr, l’aube Jean Viard Chronique française MacronJEAN VIARD En complément de l’entretien avec Denis Lafay,du vœu à la réalité, bien des embûches neuf sociologues, océanographe, hommeentraveront l’accomplissement. Mais par Touraine politique, physicien, paléoanthropologue,tout de même, il s’agit là d’une ambition politologue, psychanalyste (Pascal Perrineau,solide. Alain Touraine Gilles Bœuf, Cynthia Fleury, MichelSolide parce qu’elle fait la distinction en dialogue avec Wieviorka, Jean-Paul Delevoye, Etienne Klein,entre ce que doit rester au plan national François Dubet, Dominique Méda, Pascal Picq)et ce qui doit être traité au plan européen. Denis Lafay confrontent à l’analyse d’Alain Touraine lesLes citoyens de chaque pays ne peuvent convictions et les interrogations, les craintespas honorer l’Europe si celle-ci s’ingère UNE ÉLECTION et les espérances que leur inspire Emmanuelde manière bureaucratique dans des QUI RÉVÈLE Macron.domaines qui doivent rester souverains LA FRANCEparce que viscéralement adaptés à l’his- À ELLE-MÊME 180 pages, 20 €toire, à la culture, à l’identité du pays : En librairies en janvier 2018système éducatif, aménagement du ter- ll’’aauubbeeritoire, organisation des transports, etc.,sans oublier des sujets anecdotiques mais N°138 Décembre 2017hautement symboliques comme celui deproduire librement certains fromages.En revanche, nommer un ministère desfinances, faire converger les politiquesbudgétaires et fiscales, constituer une22 Acteurs de l’économie - La Tribune
LE PHÉNOMÈNE EMMANUEL MACRON DANS L’ŒIL DU SOCIOLOGUE ALAIN TOURAINE Dialoguer« Attacher la plus haute importance à l’Homme, conférer à chaque individu la possibilitéd’être créateur et d’avoir une représentation propre de lui-même : voilà de quoi générer un sens, et façonner une culture et une société nouvelles, des institutions et des rapports sociaux nouveaux. Ce qu’aucun mouvement social n’a jamais proposé, le Président de la République pourrait l’initier. Donnons-nous le droit de rêver… »N°138 Décembre 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 23
PLUSDialoguer RUBRIQUE DE NOM CDEHQSUIVFAEFLERDUEERSSS MAZARS RHÔNE-ALPES AUVERGNE#Intégrité#Engagement#Exigence#ExcellenceTechnique@MazarsFranceAudit Financier I Consulting I Financial Advisory Services I Expertise Comptable I Assistance et solutions d’urgence I Fiscalité I Actuariat24 Acteurs de l’économie - La Tribune N°138 Décembre 2017
ÉDITORIAL DialoguerOL’ÉDIT RIAL,DENISLAFAYL’HOMME DE CONFIANCE une disruption qu’elle ne peut pas esquiver, qu’elle doit définitivement accepter, et dont elle doit s’emparer à bras le corps. Alain Touraine estC’est à un travail d’investigation analytique et prospective excep- catégorique : les passagers de l’avion sont, depuis trop longtemps, livrés tionnel qu’Alain Touraine s’est employé dans l’ouvrage publié par à eux-mêmes, dépourvus de cap, leur désorientation les a découragés de les Editions de l’Aube en partenariat avec Acteurs de l’économie considérer la mondialisation et la modernité autrement qu’avec défiance.– La Tribune (en librairies en janvier, et dont nous livrons des extraits). La Mais ils sont aussi dotés d’une « formidable » conscience de la nation etscience, les convictions mais aussi l’humanité du sociologue permettent de l’histoire, ils sont riches d’un discernement et d’une détermination quide comprendre beaucoup « du » phénomène Macron. Comprendre, fécondent de légitimes espoirs. Et autorisent de voir loin et haut.notamment, ce que l’installation d’Emmanuel Macron dit de la société Loin et haut à condition que l’universalisme des droits humains fondamen-française. Dit, c’est-à-dire informe sur « l’état » intellectuel, culturel, taux – en premier lieu la dignité, dans toutes ses manifestations : relationsdémocratique, même civilisationnel de la « communauté de France », forts-faibles, vainqueurs-vaincus, majorités-minorités, etc. – soit posi-révèle sur la situation politique, idéologique, scientifique, éducationnelle tionné au sommet de ce qui peut faire communauté de sens. Et à ces fins,et entrepreneuriale de la « nation de France », traduit de la salubrité des notamment réhabiliter les acteurs sociaux et la « nécessité » de conflic-attributs de toute société humaine – égalité, solidarité, fraternité, liberté tualité ; raviver la culture de la science et de la connaissance ; prioriser les–, enfin interroge sur les chantiers colossaux que le « devenir de France » activités ou les métiers dits de communication (éducation, soin, culture,somme le Président de la République d’accomplir. etc.) ; réparer les inégalités de territoires et faire renaître un avenir dans ceux que la désindustrialisation a meurtris et ligotés aux thèses extré-« Un pilote dans l’avion » : cette allégorie employée par Alain Tou- mistes ; articuler les compétences domestiques et européennes et ainsi raine pour synthétiser ce que l’exercice présidentiel d’Emmanuel réveiller un « sens national » dans le sillage d’un sens de l’Europe enfin Macron lui inspire, s’articule autour de deux termes. « Enfin un ranimé ; reconfigurer l’Etat dans une capacité visionnaire et décisionnellecommandant de bord », se satisfait-il en illustration du premier, car « sans qui aussi soit libératrice et fasse rempart au « pouvoir total », à « l’Etatboussole » tout pays est condamné à subir donc à décliner donc à se déchi- total. » De quoi permettre aux citoyens – sentant ainsi leur intelligence,rer, et « sans pilote » imaginer influencer, et même penser et décider par leur voix, leurs bras et leur humanité considérés – de contempler le mondesoi-même est spécieux. Un leader opportuniste pour tirer profit d’un paysage sans peur et la mondialisation sans ostracisme ; et aux gouvernants depolitique atrophié et d’un « climat » indulgent, un chef redoutable qui éteint relégitimer le sens d’une action politique invitant à penser global, touteavec ruse les rivalités et les contestations, un héritier – aujourd’hui possible, une nation à ré-aimer demain, et à modeler une démocratie inédite.demain peut-être fondé – de de Gaulle s’il parvient à ressusciter ce qui faitdouloureusement défaut à l’exercice de la pensée et du pouvoir politiques : Or, exhorter tout citoyen à être ainsi un transformateur du monde n’estle sens. Ce sens sans lequel fertiliser une dynamique « sociétale » de créer, fondé que lorsqu’il est invité à être un transformateur simultanémentd’expérimenter, d’entreprendre est hypothétique, ce sens sans lequel agréger de lui-même et des institutions, et qu’il voit ces processus reconnusla communauté des citoyens vers une perspective et un goût d’avenir est dans le débat public et convertis dans la démocratie. La concrétisationchimérique, ce sens sans lequel promettre la restauration d’un Etat vision- d’une telle ambition, Alain Touraine la conditionne au rétablissement d’unenaire, accepté, osons même : légitime – y compris pour réformer – est illusoire. vertu fondamentale : la confiance. Oui, tout semble possible lorsqu’un indi-Quant au second terme métaphorisé, il concentre l’envergure, monu- vidu – puis la somme des individus – reçoit, éprouve puis di use confiance.mentale, de la tâche qui incombe au Président Macron. Car qui et que Confiance en sa capacité de création, confiance en son « utilité », confiancetrouve-t-on dans l’avion ? Une France – pour partie bien sûr – sclérosée, dans les autorités politiques, confiance dans le progrès, confiance en toutfracturée, recroquevillée. Une France qui, faute de confiance en ses ins- autre… in fine les confiances en soi, en l’autre, en l’Etat et en la société,titutions politiques, n’a pas confiance en elle et donc regarde le monde indissociables les unes des autres, font tomber les barrières de l’impossible.avec mépris et e roi, elle observe l’évolution du monde davantage qu’elle Emmanuel Macron est-il l’homme de la situation ? Est-il celui qui peutn’y prend part, elle constate relativement à ce monde son recul – éco- admettre que cette énumération ne forme qu’un ? Que dignité, créati-nomique, diplomatique, linguistique, culturel – auquel elle espère ripos- vité, modernité, sens, démocratie, Europe, humanisme, optimisme com-ter par l’enfermement et la stigmatisation, les doctrines europhobes et posent une mosaïque indivisible ? Un tel programme, celui qu’Alain Touraineisolationnistes. Une France qui ne peut pas plus et ne peut pas mieux juge… sans véritable programme, peut-il le mener ? L’admirateur de Michelque les autres nations face à la menace terroriste, au péril climatique, à Rocard l’a rme : Emmanuel Macron redonne à la France et à l’Europe foila détresse migratoire, aux impasses géopolitiques, et bien sûr face à la et confiance en elles-mêmes, car il les escorte vers l’avenir et les dissuadetyrannie d’un capitalisme financier pyromane. L’éthique de la conviction de pleurer sur les ruines de leur passé. Mais cette foi et cette confiance ontqu’Alain Touraine lui reconnait peut-elle conférer à Emmanuel Macron besoin de preuves pour faire, sédimenter. Enraciner. Les quatre prochainesd’être « l’homme providentiel » à l’origine d’un « retournement » ? années « diront » si Emmanuel Macron est l’homme des preuves ou seule- ment des promesses. Et s’il restera dans l’histoire comme un « homme desCe serait lui accorder beaucoup, et bien sûr excessivement trop de Lumières » qui a « créé un nouvel avenir », ou, à l’instar de Barack Obama facultés et de responsabilités. Mais si un « retour au sens » est précédant Donald Trump, comme le Président dont la politique aura été possible, c’est parce qu’une rencontre, inédite, est possible. Cette co-responsable du couronnement de l’indicible. rencontre, c’est celle de la substance intellectuelle et morale du (trèsprochain) quadragénaire avec les besoins d’une société engagée dans Acteurs de l’économie - La Tribune 25 N°138 Décembre 2017
SOMMAIRE Entreprendre DialoguerN°138 Entrée en matière 3 Jean-Loup Rogé 52 Christian de Perthuis 6 L’outsider Emmanuel Macron dans l’œil 25 Bienvenue à du sociologue Alain Touraine 28 Chapoutier City Éditorial 32 Tribune Jeanne Siaud-Facchin Forum Une époque formidable 34 Y a d’la joie ! 36 L’actualité en images L’initiative de Jean-Louis Brissaud ChroniquesActeurs de l’économie est publié par RH Editions (capital 276 990 euros). - 51 avenue Jean Jaurès, - 69007 Lyon - Tél. 04 72 18 09 18 - Fax 04 72 18 09 21 - [email protected] - acteursdeleconomie.compremièrelettreprénom.nom @acteursdeleconomie.com - Directeur de la publication et de la rédaction : Denis Lafay - Directeur général délégué : Valérie Asti - Rédacteur en chef adjoint : Romain Charbonnier - Rédacteur en chef adjointweb : Maxime Hanssen - Journalistes : Stéphanie Borg, Gérard Corneloup, Maïté Darnault/We Report, Marie-Annick Depagneux, Dominique-Myriam Dornier, Stéphanie Gallo, Karen Latour, Marie Lyan, SamuelMaïon-Fontana, Mathieu Perisse/We Report, Françoise Sigot - Secrétariat de rédaction : Sylvie Mosser - Photographes : Laurent Cerino, Emmanuel Foudrot - Dessinateurs : Kanellos Cob, Vic - Maquette : Marie-AnneJoly - Conférences-Débats : Steven Dolbeau - Responsable webmarketing & communication : Eric Fossoul - Comptabilité : Marylin Gombault - Abonnement-Publicité : Razala Oulka - Abonnement digital : Aycha Megdoud -Impression : Courand, 82 route de Crémieu, 38230 Tignieu-Jameyzieu N° de CPPAP : 0320K89381 ISSN 1620-6096 - Dépôt légal : 2eme semestre 2017 - 5 n°/an - Avec ce numéro, le supplément Insertion. La synergie de nos expertises : la réponse à vos enjeux cms.law/bfl/lyon N°138 Décembre 2017 Nos équipes d’avocats experts en droit et fiscalité, tant en conseil qu’en contentieux, vous offrent des solutions à haute valeur ajoutée. CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon 174 rue Créqui - CS 23516 - 69422 Lyon Cedex 03 - France T +33 4 78 95 47 9926 Acteurs de l’économie - La Tribune
Inventer Respirer ComprendreLe rêve 55 ArchéologieCéline Bardet 56 Lyon, la nouvelle Rome ? 98Hyperloop 60 Les aventures archéologiquesSaint-Étienne-Lyon 62 Patron Homo. 86 d’Anne Pariente 102Tribune Arnaud Passalacqua 68 Et alors ? 93 La Madone porte hautLes secrets de l’urban lab 74 Tribune André Faucon 94 les vins du Forez 104Lausanne, l’or vert 80 ChroniquesGénération 2050 83On a marché sur la planète MarsChroniquesInnoWards,innovations tous azimuts Vous souhaitez optimiser votre patrimoine, préparer des projets ou développer votre activité. Retrouvez-nous dans À la Banque Rhône-Alpes, vous disposez d’un conseiller dédié et d’experts pour vous l’une de nos 80 agences accompagner. Connectez-vous sur Banque Rhône-Alpes - S.A. à Directoire et Conseil de Surveillance au capital de EUR 12 562 800 - SIREN 057 502 270 - RCS Grenoble - Siège Social : 20 et 22, bd Edouard Rey www.banque-rhone-alpes.fr BP 77 - 38041 Grenoble Cedex 9 - Siège Central : 235, Cours Lafayette - 69451 Lyon Cedex 06 - Société de courtage d’assurances immatriculée à l’ORIAS sous le N° 07 023 988. 12/08/2016 08:41:14N°1A3c8teurDs éEccoe2m00bx4re5.i2nd0d171 Acteurs de l’économie - La Tribune 27
Cynthia Fleury Claude Costechareyre (animateur), Pascale Clark, Éric FottorinoFORUM UNE ÉPOQUE FORMIDABLEY A D’LA JOIE !La joie pouvait se lire le 14 novembre sur les lèvres et dans les yeux des spectateurs del’édition 2017 du forum Une époque formidable. L’impressionnante mobilisation – 4 000inscrits, et un Théâtre des Célestins comble toute la journée – était annonciatrice d’unedemande citoyenne ; les débats engagés, puissants et éclairants, tournés vers l’enjeu deProgrès la sustentaient et mettaient en lumière plus essentiel encore : l’action citoyenne estune réalité qui ne s’est pas essou lée en ces mois post-élections. Bien au contraire. Extraits.COMPTE-RENDU, STÉPHANIE BORGPHOTOGRAPHIES, LAURENT CERINO / ADEMai 2017. L’élection d’Emmanuel que l’on pense... On comptait au moins quatre tirer profit de cet énorme espace au centre Macron, élu sur la base du prin- droites, trois centres, trois gauches, rappelle qui se dégageait. « Il a aspiré les différences cipe, « ni gauche ni droite », a le politologue Pascal Perrineau. Depuis les autour de lui et les a mises en commun au ser- définitivement dynamité l’ordre années 1980, une majorité de Français pense vice de la France. Une bonne façon de casser bipolaire qui rythmait la vie que les notions de droite et de gauche n’ont pas le système pour mieux rassembler », estime politique française sous la Ve République. de sens pour comprendre les grands enjeux. Jean-Paul Delevoye, ancien ministre de la Malgré les apparences, cette explosion Un taux monté à près de 75 % en janvier 2017. Fonction publique, ancien président du couvait depuis plusieurs décennies. « Les Il suffisait de l’entendre pour comprendre ce CESE, et soutien de la première heure de familles politiques étaient parcourues de diver- qui allait se passer. » Il semblerait que seul l’actuel président. Cette victoire est donc gences et de conflits et beaucoup plus désunies Emmanuel Macron ait tendu l’oreille et su l’aboutissement d’un long processus et 28 Acteurs de l’économie - La Tribune N°138 Décembre 2017
Pascal Picq et Laurent Alexandre Jean Viard Jean Ziegler Étienne Klein Jean-Paul Delevoye Denis Lafaycristallise désormais les nouvelles attentes les moyens de réfléchir aux citoyens est rythme du temps, ni trop vite ni trop len-de l’homme-citoyen. « Cette élection n’est ni essentiel. tement. D’autant que nous sommes plusun rejet manifeste ni une adhésion, mais plutôt « Il faut leur offrir les moyens d’être libres de prompts à juger nos actions que nos inac-le reflet d’une société devenue coopérative qui penser. La vraie bataille de demain se joue sur tions. Le risque est annulé par le fait que l’ona entamé sa révolution collaborative et numé- cet espace, le temps gagné par les nouvelles ne fasse rien... même si l’on crée des risquesrique. Cela veut dire que la société est désor- technologies est utilisé pour s’occuper avec de futurs », tempère Étienne Klein, physicienganisée : d’un côté avec ceux qui sont dans de l’information bazardée », martèle Jean-Paul et philosophe des sciences.grandes métropoles, saisis par le mouvement, Delevoye. Mais comment reprocher à la sociétéet ceux dans la périphérie, éloignées de cet Une part de responsabilité qui incombe française d’imaginer le pire tout en l’ex-espace », poursuit Jean Viard, sociologue aux médias, qui, sous la pression finan- hortant à innover, quand elle est plombéeet éditeur. « Le peuple se pose résolument la cière, ont souvent laissé les commandes de par la défiance, le pessimisme, le manquequestion du collectif. Une partie est prête à l’information à d’autres qui la maîtrisent. d’enthousiasme, les dérèglements cli-adhérer au nouveau projet, l’autre, celle des « Nos médias, hétéroclites, délivrent une infor- matiques, la biodiversité en danger, laterritoires périphériques, n’est pas convaincue. mation de plus en plus schématique », analyse guerre en Syrie, l’emprise des robots, lesEmmanuel Macron doit s’adresser également la journaliste Pascale Clark, co-fondatrice inégalités toujours plus croissantes ouà l’autre France, car nous ne pouvons pas la de Boxsons, nouveau média audio. la faim dans le monde ? « Nous sommeslaisser rentrer en dissidence », confirme Pas- « Ce qui me préoccupe, c’est la montée du déri- encore dans une tradition humaniste fran-cal Perrineau. « Nous ne devons pas délaisser soire et de l’indifférence. Nos médias ont cassé çaise anti-progrès et technique. Alors que lesle local. La démocratie est un territoire qui se la hiérarchie et l’importance des faits », com- évolutions sont déjà là. Nous avons tendancejoue à différents niveaux », poursuit Cynthia plète Éric Fottorino, journaliste et co-fon- à penser que la nouveauté va nous prendreFleury, philosophe et psychanalyste. dateur de l’hebdomadaire Le 1. Chacun quelque chose alors que les machines font imagine alors ses propres pistes d’actions : juste des tâches plus vite que nous », rappelleCOMMENT INNOVER EN POLITIQUE ? contextualiser, redonner de l’intérêt à Pascal Picq, paléoanthropologue.Renouveler les modes de scrutin, en l’information, apprendre de l’autre, s’ins- Cependant, l’idée n’est pas de se laisserintroduisant de nouveaux outils comme truire, s’appuyer sur le passé, les écrivains, dominer par la technologie, mais bienle scrutin mixte (scrutin majoritaire avec les poètes, s’ouvrir à la diversité, retourner de s’en servir autrement. « Le cerveau estun correctif proportionnel permettant aux sur le terrain, organiser des conférences, un muscle qu’il ne faut pas abandonner sousminorités d’être représentées), inventer de etc. En résumé : donner à réfléchir. prétexte que la machine peut faire mieuxnouveaux modes de gouvernance, réconci- « Notre combat reste de faire progresser nos et plus vite que nous », avance le docteurlier l’état de droit et l’état social... les pistes lecteurs vers une citoyenneté responsable », Laurent Alexandre. Tous ces boulever-évoquées par les intervenants lors de la résume Denis Lafay, directeur de la publi- sements obligent alors à se remettre enseconde édition du forum « Une époque cation d’Acteurs de l’économie - La Tribune. cause.formidable », organisé le 14 novembre par « Aucune espèce vivante ne s’est jamais adap-Acteurs de l’économie-La Tribune, en parte- INNOVER SANS CRAINTE tée sans changer », rappelle Gilles Bœuf,nariat avec Decitre et la métropole de Lyon, Pourtant, le chemin vers une autre société biologiste. « Plus on a de succès, plus onsont nombreuses. Mais pour cela, donner semble encore long. « Il faut innover au modifie notre environnement, plus on doitN°138 Décembre 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 29
Dialoguer FORUM UNE ÉPOQUE FORMIDABLEs’adapter aux conséquences de notre succès. courage. » Le pessimisme peut aussi se Laurent AlexandreNous devons créer une nouvelle société, l’évo- refuser. « Je crois dans la jeunesse, dans la Gilles Bœuflution est toujours un compromis. Mais le force des femmes, dans l’idée que l’on doit pui-confort est la pire menace de l’avenir de notre ser ses inspirations dans le vivant, tuer l’éco-société », poursuit Pascal Picq. nomie qui fait du profit en tuant la nature », avance Gilles Bœuf. Sans oublier, encore,COMMENT CHANGER ? le combat politique.D’abord, il faut réunir les conditions du « Toute ma vie, j’ai pratiqué l’intégration sub-changement. « Le futur doit être attractif. Il versive, en utilisant les institutions pour servirsuppose d’avoir une certaine idée de l’avenir. nos buts », se souvient le sociologue helvèteS’il met la société en crise, c’est parce qu’on Jean Ziegler. Grand défenseur des barba-lui demande d’imaginer un futur différent du ries, il a lutté contre les banques suisses,présent, en comparant ce qu’elle est par rap- n’a cessé de s’insurger contre l’injustice duport à ce qu’elle devrait être. Or, on ne croit monde, les privilèges et les dominations.plus dans le futur, on croit dans la catastrophe, Avec comme volonté, farouche, d’instaureravance Étienne Klein. Il faut agir d’une façon un monde tout simplement humain. Peut-qui donne sens à nos actions et réhabiliter le être la vraie clé du changement.Pascal Perrineau, Bernard Jacquand (animateur) et Jean-Paul Delevoye Michel Troigros lors du déjeuner Éric Fottorino et Pascale Clark Michel Troigros en dédicace30 Acteurs de l’économie - La Tribune N°138 Décembre 2017
AGRICA, RUBRIQUE DE NOM Dialoguer 20 ANS Image : © Thinkstock MAOUNSDEERAVGICREICDOULEPour asssurer la protectionsociale du monde agricoleAGRICA est plusque complémentaireEntre AGRICA et ses clients, salariés, entreprises Retrouvez les vidéos des lauréats sur laet retraités du monde agricole, c’est une histoire chaîne Youtube du Groupe AGRICAqui dure depuis 20 ans. Fort de son histoire et de ses valeurs, le GroupeDepuis sa création en 1997, AGRICA a eu la volonté AGRICA a à coeur de continuer à innover pourd’instaurer une écoute privilégiée, une attention développer les solutions les plus adaptées auxpermanente et une relation de proximité avec eux, évolutions du secteur et plus globalement enpour répondre aux besoins spéci ques du monde agissant sur les problématiques de société.agricole. L’implication des partenaires sociaux des Être là pour continuer à défendre vos intérêts,di érentes branches du monde agricole et celle pour toujours mieux vous protéger et vousdes collaborateurs ont permis, jour après jour, de accompagner jour après jour, c’est l’engagementrenforcer et d’ajuster au plus près la protection du Groupe AGRICA.sociale complémentaire de chacun. SUIVEZ L’ACTUALITÉ DU GROUPEEn tant que groupe de protection sociale,l’engagement et la vision à long terme sont www.groupagrica.comégalement au coeur de l’identité et des pratiques Abonnez-vous à la e-newsletter mensuelled’AGRICA. Dès 2006, le Groupe a mis en place une www.facebook.com/GroupeAgricapolitique de responsabilité sociale de l’entreprise. twitter.com/groupe_agricaEn 2014, le Groupe s’est engagé en faveur de lalutte contre le gaspillage alimentaire en créant youtube.com/user/GroupeAGRICAles Trophées AGRICA «Gaspillage Alimentaire :le temps des solutions». La 3e édition se tient nnovembre 2017, nouvelle occasion de mettre àl’honneur des projets novateurs d’acteurs engagéscontre le gaspillage alimentaire partout en France.RNE°13T8 RDéAcemITbreE201-7 PRÉVOYANCE - SANTÉ - ÉPARGNE Awctewurswde.lg’écroonoumpiea- gLarTircibaun.eco31m
Dialoguer L’ACTUALITÉ EN IMAGES 11 GRENOBLE ©Francois Henry / Réa Après avoir bloqué leur site à plusieurs reprises, les salariés de General Electric Hydro à Grenoble, continuent de se mobiliser. Signe que les négociations avec la direction s’enlisent au sujet des 345 emplois menacés (sur 800), dans le cadre de la restructuration du conglomérat américain.2 AUVERGNE-RHÔNE-ALPES Depuis le début du mois d’octobre, Stéphane Bouillon est le nouveau préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Il a succédé à Henri-Michel Comet qui sera resté seulement huit mois en poste avant d’être limogé par le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb. 2 3 LYON© Laurent Cerino / Acteurs de l’économie Erytech Pharma s’envole. Le laboratoire pharmaceutique lyonnais, dirigé© DR par Gil Beyen, a levé 130 millions d’euros en s’introduisant au Nasdaq. Une entrée en Bourse aux États-Unis qui lui permet de financer les études cliniques de l’eryaspase, un produit anticancéreux. 4 LYON À 44 ans, Tanguy Bertolus a pris les commandes de la société des Aéroports de Lyon-Saint Exupéry, succédant à Philippe Bernand. Directeur technique de Vinci3 Airports depuis 2011, il siégeait depuis novembre 2016 au conseil de surveillance 2 de la plateforme lyonnaise passée dans le giron du groupe parisien. 5 LYON Le Centre national d'études spatiales (CNES) est en bonne voie pour créer Space’ibles, son observatoire de prospective spatiale. En collaboration avec LyonBiopole, l’idée sera de pouvoir ouvrir le secteur traditionnel du spatial et du satellite à ceux de l’intelligence artificielle, des nanotechnologies ou encore des biotechnologies, fortement présents sur le territoire. 54© DR © DR32 Acteurs de l’économie - La Tribune N°138 Décembre 2017
SCHOOL OF MANAGEMENT SCHOOL OF MANAGEMENT FORUM FORMATION CONTINUE SAMEDI 3 FÉVRIER 10H - 17H ENTRÉE LIBRE LORS DE LA JOURNÉE PORTES OUVERTES think largeEtudier le monde * depuis Lyon Julie - Master 1 MAE Management Général Licences, Licences en Formation Continue professionnelles, Masters, MBA, Doctorats, Executive DBA Formation initiale, alternance, cursus à temps partiel pour les professionnels iae.univ-lyon3.fr* Penser large N°138 Décembre 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 33
Dialoguer L’INITIATIVE N°138 Décembre 2017 © Laurent Cerino / ADE Son initiative a fait la une des médias. Récemment, Jean-Louis Brissaud, fondateur de la PME Starterre, grossiste en automo- biles, annonçait la distribution de primes à sa centaine de sala- riés pour un montant total de 1,3 million d’euros. De quoi provo- quer dans les jours qui ont suivi, la réception d’une foule de can- didatures sur son bureau. Mais au-delà de l’opération de com- munication, la démarche a per- mis surtout de mettre en lumière la singularité du modèle qui rayonne au sein de l’entreprise, installée en périphérie de Lyon et portée par son dirigeant. « Pour fêter les 25 ans de la société, j’ai voulu remercier mes collabora- teurs », expose-t-il simplement. Un choix « naturel » et « sincère » pour l’entrepreneur qui, avoue- t-il, « s’est toujours engagé de cette manière » dans l’intérêt de ceux qui composent sa structure et la font grandir. « L’altruisme et l’apathie sont compatibles avec la rentabilité, du moment où vous appliquez une certaine philosophie dans votre manage- ment reposant sur la confiance, le dialogue, la pédagogie et la présence du dirigeant qui fixe les objectifs. » Réfutant l’idée d’un quelconque « e et de mode », cette ligne de conduite « innée » guide Jean-Louis Brissaud dans sa manière de concevoir son rôle et sa relation avec ses sala- riés. « Ici, nous ne connaissons pas l’individualisme, mais plu- tôt le management participatif qui porte vers le haut, le projet d’entreprise. » Mais Jean-Louis Brissaud est clair : il ne promet pas de verser de telles primes chaque année. RCJEAN-LOUIS BRISSAUDLE GÉNÉREUX34 Acteurs de l’économie - La Tribune
L’INITIATIVE Dialoguer Aider ceux qui aident,c’est bon pour l’entrepriseje suis APICIL accompagne Octobre 2016 - Crédit photo : iStock - Coxinélis les salariés qui soutiennent un proche : écoute, conseils et services personnalisés…APICIL, 5ème groupe de protection sociale Acteurs de l’économie - La Tribune 35en France.www.apicil.com/aider-ceux-qui-aidentGroupe APICIL certifié ISO 9001 : 2015 et EN 15838 : 2009 (Relation Clients) par SQS.APICIL Prévoyance : Institution de prévoyance régie par le titre III du livre IX du code de la Sécurité sociale.MICILS : Mutuelle régie par les dispositions du Livre II du Code de la Mutualité, inscrite au répertoire SIRENESsoièugselsNe S°n1ou3cm7iaéurOxoc:3t30o82br9eu2e27F05r15a73n.çois Peissel – 69300 Caluire et Cuire.Document non contractuel à caractère publicitaire
Dialoguer CHRONIQUESINVALIDATIONDE LA CONTRIBUTION DE 3%SUR LES DIVIDENDES :qui trop embrasse,mal étreint !Décembre 2012, la majorité fraîchement élue adopte une nouvelle contri- bution fiscale assise sur les dividendes distribués par les sociétés autres que les petites et moyennes entreprises, codifiée à l’article 235 ter ZCA du CGI1. Cinq ans plus tard, au terme d’un contentieux qui aura vu pas moinsde trois arrêts du Conseil d’État2, un arrêt de la Cour de justice de l’Unioneuropéenne3 et deux décisions du Conseil constitutionnel4, celui-ci invalide définitive-ment et dans son intégralité ce dispositif.La décision du Conseil constitutionnel du 6 octobre dernier consacre la notion de Stéphane Flandin« discrimination par rebours » et par la même l’intrusion du droit communautaire dans Responsable dele droit interne français, bien au-delà de son champ d’application naturelle. Au regarddu principe d’égalité devant la loi et les charges publiques, les situations internes ne l’ingénierie patrimoniale, Expert & Financepeuvent pas être moins bien traitées que les situations transfrontalières communau-taires, dès lors que le dispositif législatif en cause poursuit un objectif de rendement Préparer sa transmissionbudgétaire en frappant toutes les situations indistinctement, sans égard pour lesexigences du droit européen. En l’espèce, la discrimination résulte directement del’arrêt de la CJUE du 17 mai 2017 ayant jugé que l’article 4 de la directive mère – TOUT EN ATTÉNUANT UNE PLUS-VALUEfiliales s’oppose à ce que la contribution de 3 % soit prélevée sur les redistributionsde dividendes provenant de filiales communautaires, alors même que les dispositionsde l’article 235 ter ZCA du CGI ont pour objet de soumettre à la contribution tous lesmontants distribués, qu’ils correspondent à des dividendes reçus de filiales établiesen France, dans un autre État membre de l’Union européenne ou dans un État tiers.Redoubler d’attention ors de la cession de titres d’une société, la plus-value est taxée à l’impôt sur le barème progressif après application d’abattements proportionnels, ou demain,DÉMATÉRIALISATION Pour autant, l’application de la discrimination à rebours est solidement encadrée. au nouveau prélèvement forfaitaire unique appelée « flax tax ». Aucun régime fiscal ne prévoit une exonération totale de la plus-value : les prélèvementsAinsi, dans sa décision du 9 mars 20175, le Conseil constitutionnel a écarté la dis- sociaux ne bénéficient, eux, d’aucun abattement. Le seul moyen de neutraliserVers de nouvelles perspectLivescrimination à rebours entre les résidents européens, non soumis à la CSG sur leursrevenus patrimoniaux de source française, et les résidents d’États tiers y demeurant le coût d’une plus-value est de supprimer l’assiette taxable par la transmission à titreLassujettis. Le droit de l’Union européenne est, par construction, un droit discrimi- gratuit (donation ou succession) de ses titres.natoire àe lt’éragitaermdednet sdusitduoactiuomnsenetxstroaucsomsamfournmaeutaéilreecs-. Une acpepllaicanteiosneefxatiet npsaivsesdauns impli-Donner ses titres avant la cession permet d’écraser totalement la plus-value imposableprincipetrdo’éngiqauleitéefistscdaelveeinmu,pocesesrdaeitraniuèrleésgiasnlanteéeusr,fruanneçais d’alqiguneerrleles dinrtoeirtvaepnapnlictsacbolencernés.des donataires. En effet, lorsque les donataires, par exemple les enfants, céderontaux resstohrétmisastaiqnutse ddeesrépflaeyxsiotnierinscsounrtoleusrneaxbiglee.nLcaetsracno-mmunauNtéaairnems.oins, ils peuvent parfoisleurs titres, le prix d’acquisition sera égal à la valorisation des titres transmis lors de laAussi, sisiltaiodnisncurimméinriaqtuioenràesrteebcoeuprsennd’easnttpàasl’él’taarpmeedaebsolue, êetlrle droéiticinevnitesr àle lé’aguisto-matisa-donation. Ainsi, aucune plus-value ne sera due, que ce soit au titre de l’impôt sur lelateur à rperodjoeut bploeur rd’daettennotmiobnreduasnesslastréucdtaucretiso,nfaduetselodies fiscalestioqnu’dileadtâocphtesenquviepilolaunrtraient, àrevenu et des prélèvements sociaux. Contestée dans une loi de finances rectificativetàemrepsspect/toeur ldees ceoxmigpeéntceenscedduadnrsoliet cdoommainuen.aPuatar idreé.finÀi-n’en pastedrmouet,etr,alnasfcoornmterirbluetuior nemploi. de 2012, cette stratégie reste toujours d’actualité. A l’époque, le législateur souhaitaittdioen3, l%a dné’mauartaéirtiapliasasticoonncnounsleismteêàmtreanssofortrmsieler dléegsidsolacteu-ur n’avait pas cherché à frapper imposer un délai de 18 mois entre la donation et la cession. La chronologie de l’opéra-muneivnetsrspehllyesmiqeunetstoeunteficshleiesrsdinsutrmibéuritqiouness doeu dàivcidréeenrddees,s mais diOstpintgiuméisdmèsele départ le tion est cependant importante, puisque la donation des titres doit être réputée parfaitedcoacsudmeesndtsisstroiubsutfiornmseinnturamcéormiqmueupnoaurtaleirsesinstéogurserleà cuonuvert duDedroniot tdre lc’Uôntéio,nlaeudréom- atéria-avant toute cession. Il faudra donc être particulièrement vigilant lorsqu’un protocolepréoecnenses.usQ.uAi xterodpeetmrabnrsafosrsme,atmioanl dé’torreginant i!sation promet- lisation peut être vue commede cession est déjà signé dans le cadre d’une donation avant cession. Dans ce casteur puisqu’il permet de réduire les exemplaires papier en une menace. En effet, une ten-les conditions suspensives de la vente ne devront pas être levées au moment de lact1riLcareecittuepterlmaocjtoeeiotnndtntre.ibdAluoatuiiondtnreseàfil’naceavonnamtcnrpeettsaepprgrodiesue er:22l0ae01m1d87éoplcirouérvmaoniet tnlaatsisunopsupi rselesfsosirocmnodeûetésledce- dance visant à diminuer voiredonation.t2rCoEni2q7ujeuinc2ir0c1u6le, n°et39s9’a0r2c4h,ivAefeppelut sauftarecsi,leCmE 2e7ntju.inE2n0fi1n6,moinsmd34 CCneo°oJipUn3nsEa9s.p91Cd5i7eoe0nmr6ssca,to.iSc32ntoé00sn1oLss7aem,oypahmtmefefm.mraCSbbé-Arl3eesS6,s2,50Cmd/1E1’6oi6m7,i,nnjApus°firell2eedp0ste12s60ico-1o5n77u,u1rnr,t°iiQlei3sPr9ésC9s,7tsr5caté7on,nLsSaspoytophitaerurtrefiéns,t supprimer le papier dans l’en-uSnAiSm, Cpoancst. Cpoonsitt.if6 eocntofbareve2u0r17d, nu° d20é1v7e-l6o6p0pQePmCe, nSot pdaurfirable. treprise quand son modèle deLa donation avant cession business est basé sur le volumeLa donation avant cession suppose donc un dessaisissement du produit de cession d’impression n’est pas des plusenvers ses donataires. Il est néanmoins possible d’envisager une donation en nue-pro-Q5 Dué’ecinsioensnt-°il2a0l1o6r-s61p5ouQrPCnodus 9PmMaErsf2a0c1e7,àEpcoeutxteV tendance de rassurantes. priété des titres avant la cession. Dans ce cas, la plus-value est purgée uniquement Pour autant, même si en 2016sur la valeur de la nue-propriété transmise. D’un autre côté, le donateur ne se dessaisitréorganisation de nos services ? Si 63 % des dirigeants le volume d’impression nationalpas totalement du produit, puisqu’il reste usufruitier : il a donc droit aux futurs revenusd’entreprise estiment que la digitalisation est utile et ouvre a connu une baisse de 3 % etdu réinvestissement du produit de cession. D’un commun accord avec le donataire,de nouvelles perspectives de rationalisation, il n’en reste devrait continuer à suivre cetteils auront même la possibilité de constituer un quasi-usufruit : le donateur se réservepas moins que la conduite d’un tel projet implique à la fois tendance, nous voyons avec laalors le droit d’utiliser librement les capitaux, charge à lui de restituer cette somme audes mises en œuvre technologiques et humaines. Il est en dématérialisation naître de nou-nu-propriétaire au moment de son décès. Cette possibilité, consacrée par une décisioneffet nécessaire dans un preFmrieér tdeméprsicdeSbiuenbidreantifier velles perspectives. L’expertisedu Conseil d’État du 31 mars 2017 permet alors d’atténuer sa plus-value de cession © DRles flux documentaires (courrierA, fvaoctcurae,tbaulslestion cdeiépaie, que nous avons des flux docu-de titre tout en préparant sa transmission, sous condition de respecter la chronologiebon de livraison, bon de commDanedles,oeltcA.)vÉovicdeamtmsent, mentaires nous permet d’aideret les étapes de mise en place de ce quasi-usufruit.36 Acteurs de l’économie - La Tribune N°138 Décembre 2017
UNAUVERHONALPIN* EXIGE LE MEILLEUR POUR SON PATRIMOINE * LES HABITANTS DE NOTRE GRANDE RÉGION N’ONT PAS ENCORE DE NOM MAIS DÉJÀ UNE GRANDE BANQUE QUI LES ACCOMPAGNE POUR DÉVELOPPER ET VALORISER LEUR PATRIMOINE ! PLUS FORTE, PLUS PROCHE, PLUS CONNECTÉE JUSQU’AU 29 DÉCEMBRE 2017 DÉCOUVREZ NOS SOLUTIONS DE DÉFISCALISATION Pour plus d’informations, rendez-vous dans votre agence la plus prochewww.bpaura.banquepopulaire.frBanque Populaire Auvergne Rhône Alpes – Société Anonyme Coopérative de Banque Populaire à capital variable, régie par les articles L512-2 et suivants et du Code Monétaire et Financier et l’ensemble des textes relatifs aux Banques Populaires et aux établissements de crédit – Siren 605 520 071 RCS LyonIntermédiaire d’assurance N° ORIAS : 07 006 015 – Siège social : 4, boulevard Eugène Deruelle – 69003 LYON - N° TVA intracommunautaire : FR 00605520071 – Crédits photos : Gettyimages - Shutterstock – Crédit agence :All Contents – 17030104 – Novembre 2017 – Document publicitaire non contractuel
Entreprendre SEGECO« Lorsque je suis devenu © Emmanuel Foudrot directeur général, là je me suis dit N°138 Décembre 2017 que je pourrais devenir président »38 Acteurs de l’économie - La Tribune
SEGECO EntreprendreJEAN-LOUPROGÉL’OUTSIDER PORTRAIT, ROMAIN CHARBONNIER Il avance aussi vite qu’il prend ses décisions, grappille habilement des parts de marché sur des secteurs en forte évolution, entend casser les codes des métiers du droit et du juridique. En moins de dix ans, Jean-Loup Rogé est devenu un chef d’entreprise qui compte dans le paysage économique régional. Entretenant une discrète ambition, il a fait de Segeco, petit cabinet d’expertise-comptable auvergnat, une ETI fleurissante à coups de croissance externe. Et le dirigeant quadragénaire n’entend pas en rester là, quitte à susciter crispation et défiance chez ses confrères.N°138 Décembre 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 39
Entreprendre SEGECOLe 22 juin dernier, Peu importe, pour l’entreprise d’expertise comptable, née enSegeco réalise l’une Haute-Loire et encore petite il y a dix ans, l’effet est immédiatde ses plus belles prises, puisque tout le monde en parle dans les cercles économiques.en rachetant le Il faut dire qu’acquérir ce cabinet spécialisé en négociation etcabinet d’avocats contentieux, bien implanté, fondé par l’actuel adjoint auxBrumm & associés. Finances à la ville de Lyon, Richard Brumm, se révèle être uneL’annonce surprend belle opération pour le dirigeant de Segeco, Jean-Loup Rogé, 49les professionnels ans. Avec une vingtaine de rachats en l’espace de dix ans, por-bien que l’opération tant l’entreprise à 72 millions d’euros de chiffre d’affaires, c’estreste modeste donc un nouveau coup qu’il met à son actif et qui le propulseeu égard à d’autres sur le devant de la scène. « Il déteste se montrer ; néanmoins, enrapprochements menant son entreprise de la sorte et avec de telles opérations, il espèretel Fiducial avec la reconnaissance de la place lyonnaise, de l’écosystème », rapporteLamy & associés. un ancien cadre de l’entreprise. Depuis cinq ans, Segeco se bâtit une image de groupe régional ; partie de son métier originel40 Acteurs de l’économie - La Tribune d’expert-comptable, elle devient une grande société aux services pluridisciplinaires couvrant les métiers du droit, de l’audit, du conseil, mais aussi de l’assurance. Une frénésie qui devrait se poursuivre jusqu’aux services de notaires, mandataires judi- ciaires et spécialistes de la propriété intellectuelle. Une palette étendue rendue possible par des acquisitions de structures, résul- tat de la dérégulation des professions du droit et du juridique issue de la loi Macron. « Nous voulons monter en gamme. Racheter par exemple le cabinet Brumm s’est révélé être une opportunité que nous n’avons pas refusée. L'objectif n'était pas de faire une belle opéra- tion médiatique mais d’offrir un service supplémentaire à nos clients », assure sans détour Jean-Loup Rogé. Le client toujours le client, un argument qu’il maîtrise bien désormais, et qu’il rappelle à tous les collaborateurs qui intègrent le groupe, ainsi que dans ses communications. Peu connue hier encore, Segeco est désormais ostensiblement visible : sponsor d’équipes de rugby (Lou Rugby, ASM, Stade français), partenaire principal du congrès l’Entreprise du futur, nouvelle vitrine avec son futur bâtiment de 6 000 m² construit dans le 6e arrondissement de Lyon – afin de rayonner et offrir de meilleures conditions de travail aux salariés lyonnais répartis actuellement dans trois bâtiments. Une telle montée en puissance, remarquée, interpelle donc sur les intentions de son PDG. Ses confrères surtout – qui n’ont pas souhaité témoigner à visage découvert – disent observer « de loin » la montée en puissance de l’entreprise et la considérer comme n’importe quel concurrent. Histoire de garder la tête haute. Pourtant, Segeco bouscule, dérange, irrite le marché ; empiète sur des secteurs longtemps dominés par des acteurs historiquement installés ; et grandit très vite (d’une cinquantaine de salariés au tout début, à 180 en 2007 et 700 aujourd’hui). Les spéculations se multiplient autour de ce chef d’entreprise discret, personnalité montante du monde économique régional. Surtout, jusqu’où « veut-peut-va » aller Jean-Loup Rogé pour son entreprise ? Une énigme. N°138 Décembre 2017
SEGECO Entreprendre © Laurent Cerino / ADE Afin de développer la marque employeur et © Emmanuel Foudrot sanctuariser l’entreprise dans le paysage économique lyonnais, Segeco disposeraN°138 Décembre 2017 d’une vitrine nouvelle avec un futur bâtiment de 6 000 m2. Jean-Loup Rogé pourrait bien changer le nom de son entreprise dans le même temps. Peu connue hier encore, Segeco est désormais fortement visible. Elle sponsorise pour plusieurs centaines de milliers d’euros trois équipes de rugby dont le Lou Rugby. Acteurs de l’économie - La Tribune 41
Entreprendre SEGECOASSOCIÉ À 27 ANS « PNI »Vingt-cinq ans de maison, entré en contrat de qualification, et Cet appétit d’ogre n’inquièterait pourtant pas le milieu, si l’on enprésident depuis dix ans, Jean-Loup Rogé a gravi les échelons de croit les propos recueillis. « Cela ne m’intrigue pas. Il construit unSegeco avec brio. Il n’a pas fondé l’entreprise, dont le siège social groupe en rachetant des cabinets comme d’autres ont essayé avant lui,se trouve toujours à Brives-Charensac, mais lui a donné un élan mais ils se sont cassé les dents, car créer une culture commune est relati-incontestable depuis qu’il est aux manettes. Au point de faire vement laborieux et long », avance un dirigeant d’un cabinet interna-passer le petit cabinet d’expertise comptable de la Haute-Loire tional d’experts-comptables. Néanmoins, en coulisses, Jean-Loupau stade d’ETI pluri-professionnelle, dont le rayonnement atteint Rogé, personne non identifiée (PNI), intrigue. « Il essaye de copierdésormais toute la région Auvergne-Rhône-Alpes. Il porte une ce que font les grands cabinets », relance-t-il. « Le garçon est audacieux.vision entrepreneuriale et stratégique pugnace obligeant ses col- Nous ne le craignons pas, mais à terme, tout est possible », reconnaît enlaborateurs à suivre sa cadence. Et réussit – pour le moment – à substance le PDG d’un cabinet d’audit.avancer sans encombre à force de croissance organique, mais sur- Patron discret, invisible des soirées du Tout-Lyon et peu engagétout externe. De quoi faire entrer Segeco dans le cercle fermé des dans les instances représentatives de sa profession, le patrondix grands cabinets d’expertise comptable de la région. « Nous de Segeco reste un mystère pour nombre de ses concurrentsavons longtemps parlé d’intégrer le top 14 puis 10 et d’être leader des qui ne le croisent que très rarement, et se contentent plutôt decabinets, car nous étions dans une logique de taille et de notoriété, commenter sa stratégie, tout en s’interrogeant sur le bien-fondédésormais je préfère ne rien dire », tranche, comme superstitieux, d’un développement si rapide. « Comment gère-t-il son développe-Jean-Loup Rogé. Devenu expert-comptable après une école de ment ? » « Comment a-t-il pu racheter le cabinet Brumm & associés ?commerce, il est un pur « segecolien », comme il surnomme ses On se le demande. » « Il a su bien s’entourer. » « Quel est son objectifsalariés. Il fera ses premiers pas au cabinet du Puy-en-Velay et final ? » « C’est un modèle capitalistique, rien d’autre. » Ce sont lesaccèdera, à l’âge de 27 ans, au statut d’associé. Une ascension rachats qui suscitent toutes les rumeurs. Selon ses détracteurs,soudaine pour celui qui se rêvait pilote de chasse. « Je voulais le chef d’entreprise réussirait les acquisitions grâce à sa fortunepartir, mais les dirigeants m’ont proposé de m’associer. Cela a été très personnelle, issue de la famille Rogé (pharmacien qui vendrarapide parce que j’étais assez à l’écoute des clients et assez imagina- son établissement à Prosper Cavaillès et donnera naissance àtif sur les solutions à apporter. », soulignait-il, en 2014, dans le Rogé Cavaillès, devenue la célèbre marque de produits de soinlivre Trop forts les Lyonnais (éditions Ouest-France), dans lequel pour la peau). Une information qui circule et fait sourire l’inté-il lève le voile sur quelques aspects de sa vie et de son parcours. ressé : « Ce n’est pas mon argent personnel qui participe au dévelop-Jean-Loup Rogé prendra ensuite rapidement la responsabilité du pement de l’entreprise, mais celui des banques, des associés et notrebureau de Firminy (Loire) puis ouvrira celui de Lyon. Jusqu’en rentabilité. » Autre remarque eu égard à ses méthodes : « Il fait2007, l’expert-comptable occupe le rôle de directeur général augmenter les prix des cabinets en les rachetant plus cher », rous-avant de racheter l’établissement Segeco à son fondateur pour en pètent en cœur des acteurs lyonnais. Un « bruit qui court » reve-occuper le poste de PDG. Une ambition qu’il n’a jamais cachée : nant régulièrement aux oreilles de Jean-Loup Rogé et qu’il tient« Lorsque je suis devenu directeur général, là je me suis dit que je à rectifier : « L’idée de payer plus cher n’est pas possible ni tenablepourrais devenir président », écrira-t-il dans l’ouvrage. Une car- pour un jeune groupe comme le nôtre. Nous rachetons d’ailleurs unrière sans fausse note, un pied en Auvergne, l’autre à Lyon, avec petit peu en dessous avec la promesse de valoriser le cabinet acquis.ce désir profond d’aller plus loin en repensant et décloisonnant Ce ne serait pas confraternel d’appliquer des méthodes agressives etles modèles et les métiers. « Nous ne voulons plus être un cabinet de casser le marché. » Ce que confirme l’ancien cadre de Segeco.avec des experts-comptables, des consultants, etc., mais un cabinet de Finalement, personne ne connaît Jean-Loup Rogé, mais tout lecollaborateurs qui accompagnent de manière globale les clients dans monde le connaît et y va de sa petite phrase. Quand bien mêmeleur projet », anticipe-t-il, lui qui propose déjà un guichet unique quelques experts-comptables saluent cette vision : « Il a raison dede multidisciplinarité. Une vision qu’il porte depuis « toujours, se tourner vers d’autres métiers. Le nôtre (expert-comptable) est uncar j’ai compris ce que les clients attendent », justifie-t-il. Jean-Loup vivier de proximité, mais de plus en plus dévalorisé. Il faut donc allerRogé ne compte pas en rester là et prétend encore vouloir bouscu- vers un service global. Cette évidence, il l’a vite comprise », recon-ler son petit monde. Une ouverture qui ne manque pas de crisper. naît Grégoire Bisson, directeur Rhône-Alpes du cabinet BDO.« Il grignote des parts de marché un peu partout, donc il nous concur-rence d’une certaine manière. Cependant il ne sera jamais à notre N°138 Décembre 2017niveau », tacle un avocat bien implanté à Lyon, avouant être régu-lièrement approché par des cabinets d’experts-comptables. Eninterne aussi, des critiques remontent. « Il possède une grande forced’attractivité et une longueur d’avance sur tout le monde, reconnaîtun ancien cadre de Segeco. Seulement, derrière, les équipes doiventsuivre et ça rame, parfois. En voulant créer de nouveaux métiers, latâche est plus difficile. Et nous sommes loin du résultat attendu. »« Notre métier d’expert-comptable est un vivierde proximité, mais de plus en plus dévalorisé.Il faut donc aller vers un service global.Cette évidence, Jean-LoupRogé l’a vite comprise »42 Acteurs de l’économie - La Tribune
CNR, le 1er producteur / Crédit Photo : La Griffe / Septembre 2017français d’électricité100 % renouvelableDepuis 80 ans, nous produisons de l’énergie renouvelable issue de l’eau, du vent et du soleil.Nous sommes naturellement engagés dans la transition énergétique et la croissance verte.Nous fournissons déjà le quart de l’hydroélectricité française et œuvrons à l’émergence des énergies de demain.Découvrez nos 9 engagements en faveur de la transition énergétique et du climatsur cnr.tm.fr
Entreprendre SEGECOSegeco bouscule, dérange, irrite le marché INTÉGRATION, L’ENJEU Lorsque Segeco rachète des cabinets de quelques dizaines de per-Une position confirmée par un confrère : « Si nous restons sur nos sonnes, l’entreprise grandit un peu plus et se voit confrontée à lamétiers de la comptabilité, nous ne pourrons pas survivre. Nous devons problématique de l’intégration de nouveaux collaborateurs issus denous ouvrir, bouger. » Et Grégoire Bisson d’ajouter : « Jean-Loup métiers différents, de régions éloignées, aux manières de travaillerRogé peut certainement agacer, car cette performance de croissance et propres et qui doivent se retrouver à collaborer sous une marquele modèle d’entreprise intriguent et créent de la jalousie. Il réussit là où commune avec des métiers que le dirigeant souhaite décloisonner.d’autres n’y arrivent pas ou ne veulent pas aller. Néanmoins, on peut Pas si simple. Des évolutions qui demandent une adaptation et unese demander comment il arrive à gérer tout cela, car quand je vois le compréhension de tous les « segecoliens ». La dimension humainetemps que cela nous prend d’intégrer de nouvelles entités, il doit avoir devient alors fondamentale. « Dans l’intégration des nouveaux venusune équipe très structurée. » réside un très fort enjeu de cohésion de groupe », souligne une ancienne collaboratrice qui a connu le passage de 180 à 600 salariés. Pour y parvenir, Jean-Loup Rogé a la « capacité de séduire » ses interlocuteurs lorsqu’il prend la parole en public. « Il sait les emmener avec lui et acquérir leur confiance. Il vit pour son entreprise », avance-t-elle. Et pour faciliter le programme des « 100 jours d’intégration », Segeco a tout prévu avec notamment quelques soirées comme la réputée conven- tion annuelle qui réunit l’ensemble des collaborateurs. « Désormais, le plus difficile est de trouver un lieu qui puisse nous accueillir jusqu’à 5 h du matin », plaisante le PDG, qui revendique, au sein de l’entreprise, une « culture de fête ». Une culture de fête, mais surtout une culture d’entreprise à construire pas à pas, rachat après rachat. Une délicate mission qui doit conduire à la pérennité du groupe. « Il faut donner du sens à ses collaborateurs. Dans ces conditions, il n’est pas simple d’y parvenir. Si cela fonctionne, Segeco sera l’exception », avance un diri- geant. Dans cette optique, Jean-Loup Rogé envisage de changer de nom afin de fédérer l’ensemble du corps social autour d’une marque- employeur commune, à l’image du nouveau siège qui sanctuari- sera l’entreprise dans l’écosystème. Une stratégie qui n’est pas sans rappeler celle conduite par Fiducial.44 Acteurs de l’économie - La Tribune N°138 Décembre 2017
SEGECO EntreprendreFUTUR FIDUCIAL ? Si certains évoquent « une boulimie capitalistique », portée par la« Je me réjouis de l’existence de Segeco qui permet de servir des clients seule envie de grossir pour mieux revendre, le « fidèle » dirigeantde tous horizons, soutient Jean-Pierre Lac, président de Lyon Place ne l’entend pas de cette façon : « Après avoir exercé trente métiersfinancière et tertiaire. Jean-Loup Rogé n’est pas encore au même stade ici, je compte bien en faire trente autres. Ce qui ne veut pas dire queque Christian Latouche, PDG de Fiducial, mais il peut y arriver. » je ne pense pas à la transmission. Seulement, pour bien la conduire,Segeco aurait toutes les caractéristiques pour devenir le nouveau il faut savoir s’entourer des meilleurs. » Sa gouvernance a ainsi étéFiducial. Une comparaison sur laquelle tout le monde s’accorde revue l’été dernier pour mieux supporter le développement de laet qui aurait de quoi flatter. Et pourtant. À coups de rachats suc- structure et mieux répartir les rôles entre les cinquante associés.cessifs, le charismatique chef d’entreprise Christian Latouche a Segeco bouge encore et n’a pas fini de trouver le bon modèlebâti très tôt son empire avec une volonté d’élargir ses activités et sur lequel se reposer. « La vision, la trajectoire vers laquelle Jean-de se tourner principalement vers la cible des TPE. « Nous sommes Loup Rogé veut emmener les équipes n’est pas stable et pas encoreprécurseurs en la matière et, face à un marché qui se transforme, comprise, mais ce n’est pas propre à Segeco, mais au marché qui veutdésormais d’autres cabinets sont obligés de se diversifier, à l'instar de cela », affirme l’ex-cadre. C’est la raison pour laquelle un nouveauSegeco, commente un porte-parole de l’entreprise. Mais de là à se projet d’entreprise est en cours d’élaboration pour septembrecomparer à nous… Nous avons rapidement racheté de très impor- 2018. Une stratégie qui s’étalera sur trois à cinq ans et devra per-tantes entités de 1 000 à 2 000 personnes par exemple. Ce qui n’est mettre de consolider l’ensemble pour confirmer la dynamique etpas leur cas. » « Notre philosophie n’est pas tournée vers l’actionnariat, son emprise sur le marché régional, chatouillant ainsi les plusau contraire de celle de Christian Latouche. De plus, nous ne nous grands cabinets. « Vous savez, les grandes success stories peuvent vitedévelopperons pas dans le secteur de la sécurité, ni vendrons des arriver. »crayons », avance Jean-Loup Rogé, perplexe aussi à l’idée de par-venir au milliard d’euros de chiffre d’affaires. « Si nous suivonsnotre plan de développement, dans cinq ans, nous atteindrons 150millions d’euros de chiffre d’affaires. Nous réalisons de la croissanceexterne uniquement pour nous positionner sur des métiers que nous nesavons pas faire. La taille n’a pas d’importance », affirme-t-il modes-tement. Fiducial n’est pas Segeco et Segeco ne sera pas Fiducial,CQFD.N°138 Décembre 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 45
EDniatlroegpurerndRrÉeGIROUNBARUIVQEUREGDNEE-NROHMÔNE-ALPESBIENVENUE À46 Acteurs de l’économie - La Tribune N°138 Décembre 2017
« CHAPOUTIER CITY » Entreprendre Mystique et homme de terrain, roi de grands crus parmi les plus réputés de de la vallée du Rhône et partisan d’une démocratisation du vin, entrepreneur à l’américaine et défenseur des terroirs, héritier et visionnaire de génie : Michel Chapoutier est tout cela, et supporte nombre de paradoxes. De Tain-l’Hermitage à l’Australie, il cultive le sens du contre-pied, dans sa vie comme dans sa vigne.CHAPOUTIER CITY PORTRAIT, MATHIEU PÉRISSE / WE REPORT PHOTOGRAPHIES, LAURENT CERINO / ADE n nous avait prévenu. « Vous allez voir, sortir des sentiers battus. « Disruptif », Michel Chapoutier, c’est un drôle de per- dirait-on en Californie. « Créatif », pré- sonnage, un peu mégalomane », avait dit fère l’intéressé. Installé dans son bureau, le barman du café du centre-ville de l’homme de 53 ans est bavard. Autodi- Tain-l’Hermitage. Quelques rues plus dacte, lecteur passionné, il parle physique loin, le design sombre du siège social de quantique, médecine traditionnelle, arts la maison M. Chapoutier tranchait avec premiers ou psychanalyse avec la même les façades un peu décrépies de la petite emphase. L’inexpliqué, voire le mystique, ville drômoise. Une fois le seuil franchi, tout ce qui peut échapper à la rationalité un déluge d’œuvres d’art. Canevas abo- occidentale le passionne. Régulièrement, rigènes australiens et bronzes chinois de il s’emporte contre le système scolaire la dynastie des Zhou accueillent le visi- français, coupable de vouloir « tuer le teur dans l’antre de l’un des plus grands cerveau droit », celui de l’intuition et de noms du vin hexagonal. Épaules carrées, l’émotion. « Je trouve cela très intéressant, trapu comme un rugbyman, il file dans le les dogmes qui tombent, les certitudes que dédale de couloirs. S’il n’était pas né dans l’on remet en cause », résume-t-il. Créa- la vallée du Rhône, septième génération tif, Michel Chapoutier l’est sans doute. d’une famille de viticulteurs depuis 1879, Comme lorsqu’il n’hésite pas à utiliser des Michel Chapoutier dirigerait sûrement hélicoptères au-dessus de ses vignes pour une start-up dans la Silicon Valley. Des les sauver d’une attaque de gel. « L’air grands entrepreneurs américains, il pos- froid est plus lourd, en brassant avec les pales sède la démarche pressée et ce besoin de de l’hélicoptère, on arrive à gagner deuxN°138 Décembre 2017 Acteurs de l’économie - La Tribune 47
Entreprendre « CHAPOUTIER CITY »degrés », justifie-t-il. Une imagination de A à Z. C’est une bible ! » « Il possède une vins couraient après le goût du consom-qu’il fait remonter à l’époque où, enfant, vraie vision », abonde Yann Chave, viticul- mateur : plus d’astringence, de sucre, de lail passait des journées d’été à garder des teur à Mercurol, à quelques kilomètres. puissance, de la concentration... L’œnologuevaches dans le Vercors. « On s’emmerdait « Pendant quinze ans, il a répété que les vins était là pour calibrer le vin en fonction de lacomme un rat mort, s’amuse-t-il. Mais cela blancs allaient connaître le succès, alors que demande », analyse-t-il. Une façon de fairefaisait travailler mon imagination », assure personne n’y croyait. Aujourd’hui c’est le cas, aux antipodes de ses convictions. « Uncelui qui pratique toujours la méditation raconte le producteur d’hermitage et de vin représente 90 % d’agronomie et d’agricul-aujourd’hui. « Si j’avais une école, les élèves crozes-hermitage. Il a une personnalité ture, c’est ce qui fait le potentiel de qualité »,auraient une heure de “boring\", d’ennui, par un peu fantasque, c’est vrai. Mais en par-jour ». tie grâce à lui, la vallée du Rhône a le vent en poupe. Quand on parle de lui, on parle« CHAPOUTIER CITY » de nous ». Un envol des côtes du RhôneMais l’iconoclaste cache aussi un homme qui doit beaucoup aux revues spéciali-d’action à la réussite exceptionnelle. sées américaines sur lesquelles MichelLorsqu’il rachète les parts de son grand- Chapoutier a su s’appuyer très tôt. « Il estpère en 1990, la maison familiale est en un génie du marketing. Dès les années 1980,perte de vitesse, avec un chiffre d’affaires il a vu que ces magazines explosaient, il neen berne. En moins de trente ans, il le ratait aucune dégustation de Robert Parkermultiplie par vingt, à cinquante millions en France. Cela nous a permis de sortir ded’euros annuels. Viticulteur et négociant, notre trou », ajoute Yann Chave.Michel Chapoutier dirige aujourd’huiplus de 150 salariés et règne sur 350 hec- CONFLIT FAMILIALtares de vignes. Plus gros propriétaire Pour Michel Chapoutier, la prise desur la mythique colline de l’Hermitage conscience est venue d’outre-Atlantique.(34 hectares), ses vins ont reçu plus de Après de courtes études en œnologie entrente fois la note de 100/100 dans l’impi- Bourgogne, il s’envole dans les annéestoyable guide Robert Parker, l’équivalent 1980 pour la Californie et la Napa Val-du Michelin dans le secteur viticole. Dans ley. Grâce à Family Vineyards, Helenla vallée du Rhône, seules les familles Turley, Joseph Phelps, le jeune hommeJaboulet, son voisin, et Guigal peuvent découvre les plus grandes maisons amé-rivaliser. À Tain-l’Hermitage, il rachète ricaines. « Cela m’a énormément marqué »,de nombreux bâtiments et hôtels, ouvre se souvient-il. Il y trouve une « libertédes gîtes et des restaurants. De quoi faire technologique et réglementaire », inconnuegrincer quelques dents. « C’est Chapoutier alors en Europe, mais aussi un « starcity », ironise un riverain. Avec Valrhona, system », où la signature du vinificateurla célèbre entreprise de chocolat égale- a pris le pas sur le terroir cultivé. « Lesment implantée sur la commune, Cha-poutier fait figure de poids lourd local.« Il a dix idées à la seconde », s’amuse Gil-bert Bouchet, sénateur de la Drôme etmaire de la ville pendant 22 ans. « Par sadynamique, il a donné une impulsion à toutle monde. Il y a vingt ans, Tain-l’Hermitageétait une cité endormie. Michel Chapoutiera contribué à lui redonner une image, pour-suit l’élu qui ne tarit pas d’éloges à sonsujet. Déjà très jeune c’était un précurseur.Il sait de quoi il parle, il connaît les terroirs CONSEIL EN RECRUTEMENT 3 rue de la République, 69001 Lyon DIRIGEANTS & CADRES EXPERTS Tél. 04 72 00 76 76 - www.innoe.net LYON - PARIS - INTERNATIONAL N°138 Décembre 201748 Acteurs de l’économie - La Tribune
estime-t-il. Une dérive qu’il retrouve une « Vendre « CHAPOUTIER CITY » Entreprendrefois rentré en France. « À l’époque, l’AOC de l’excellence,devenait presque un gimmick marketing », c’est vendre de l’effort, LA BIODYNAMIE OUI,raconte-t-il. On vend alors un nom plus de la contrainte, LE NATUREL NONqu’un terroir. Très vite, il décide de réha- de la tolérance zéro » Dès les années 1990, il opte pour unebiliter la spécificité des sols propres à culture en biodynamie. Ce système dechaque vigne. Quitte à entrer en conflit production, établi en grande partie suravec sa famille. « Ce que je n’aimais pas la pensée du philosophe Rudolf Steiner,chez Chapoutier, c’est déguster à l’aveugle considère une exploitation comme unun de nos vins et en reconnaître le style. » organe vivant autonome, qui possèdeUne fois aux commandes, il s’impose un en elle-même l’énergie nécessaire pourobjectif : faire quasiment disparaître ce surmonter les maladies et les intempé-style maison au profit de celui de l’appel- ries. Dans une telle optique, les intrantslation. « Il faut qu’une personne qui goûte (engrais, etc.) sont exclusivement d’ori-dise : Ça c’est « un hermitage » et non « un gine naturelle, et réduits au minimum.Chapoutier » ». Un retour aux sources, à La biodynamie s’appuie aussi sur l’in-ses yeux seul moyen de lutter contre la fluence supposée des astres et des cyclesconcurrence américaine en pleine crois- lunaires. « On parle d’énergies », précisesance. « Ils sont moins fiscalisés, disposent Michel Chapoutier, par ailleurs fer-de libertés administratives que nous n’avons vent défenseur de l’homéopathie. Despas. Notre seul avantage, ce sont nos ter- méthodes souvent taxées d’ésotérisme,roirs, nos vignes et nos sols qui ont 2000 ans sans fondement scientifique. « Personnel-d’avance sur eux », fait-il valoir. lement je n’y crois pas. Je n’ai peut-être pas assez fumé pendant ma jeunesse », s’amuseN°138 Décembre 2017 son voisin Yann Chave. Qu’importe pour Michel Chapoutier, qui estime qu’il reste encore beaucoup à découvrir. « On a pris du retard en France, à cause du couvercle des Lumières, de cette raison érigée en dogme. Aujourd’hui, nous voyons que la physique quantique amène des logiques totalement à contre-pied du rationalisme d’antan. Même les mathématiques euclidiennes de notre enfance sont remises en cause. Pourquoi pas l’agrologie et la pédologie (l’étude des sols, NDLR) ? », s’interroge-t-il. Toujours cette envie de bousculer le confort des habi- tudes. Pour autant, pas question de suc- comber à la mode actuelle du vin naturel, qui proscrit les interventions pouvant altérer la vie bactériologique du vin, notamment l’ajout de sulfites pour stop- per le processus de fermentation. « Le vin naturel n’existe pas, tranche-t-il. Tout l’art du vigneron est justement d’interrompre le processus à mi-chemin ». Pas question de se passer du savoir-faire du vigneron. « Bien sûr qu’il faut essayer d’avancer avec moins de sulfites, admet-il. Mais les vins nature sont ratés une fois sur deux, avec un goût d’éthylphénol qui donne cette odeur de cuir de cheval ». Et de pointer les milieux « bobo parisiens » persuadés de retrouver le « vrai goût du vin comme dans le temps ». « Je suis désolé, dans le temps il n’y avait pas de frigo, le beurre était rance, ça ne le rendait pas meilleur. Remettre en cause le mode de production actuel ne veut pas dire se passer du progrès », martèle-t-il. DÉMOCRATISATION Pas question non plus de se passer de clients. L’autre leitmotiv de Michel Cha- poutier, dont les bouteilles d’hermitage peuvent se vendre plusieurs centaines d’euros. « Nous sommes reconnus pour des produits d’élite, mais le vin est en train de Acteurs de l’économie - La Tribune 49
Entreprendre « CHAPOUTIER CITY » Pour parvenir à vendre des vins de bonne qualité à des prix abordables, Michel Chapoutier profite de sa double casquette de producteur et de négociant. Michel Chapoutier préfère parler de biodynamie mais surtout pas de vin naturel. « Cela n’existe pas. » « On n’a rien en commun. Un peu comme le tourneur-fraiseur d’une usinequi ne croise jamais le PDG. Moi je passe mon temps dans les vignes.Lui il délègue. Des gens comme Auguste Clape ou moi-même ont travaillépour faire connaître l’appellation. Et puis les grosses entreprises commeChapoutier n’ont plus qu’à venir récupérer notre savoir-faire. Ce sontd’abord des hommes d’affaires »50 Acteurs de l’économie - La Tribune N°138 Décembre 2017
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