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regards_croises

Published by www.flexyourte.com, 2017-02-19 13:02:10

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Avant - proposGénéalogie La résistance aux solutions imposéesd’un recueil qui ne répondent pas aux besoins réels, la reconnaissance de la parole et desVincent Jannot et Pierre Gillet pratiques de chacun, l’importance duRELIER, objectifs et méthodes croisement des regards et des points de vue ainsi que la solidarité, sont les va-RELIER est une association d’éduca- leurs fondatrices de l’association. tion populaire, ce courant d’idéesqui milite pour la formation de citoyens Ouvrir des brèches et inviter à les ex-et de collectifs lucides, responsables et plorer, voilà ce que RELIER propose enautonomes, capables de participer à la animant un programme autour de latransformation sociale non pas vers question de l’habitat social, solidaire,«une ‘‘société parfaite’’ (expression dénuée participatif, non spéculatif, collectif,de sens), mais une société aussi libre et aus- écologique... et non conventionnel. A cetsi juste que possible».1 effet, RELIER rassemble des personnesCette association soutient principale- de tout horizon, capitalise les compé-ment les individus et collectifs souhai- tences et synergies à l’œuvre dans cestant s’établir en milieu rural. Lorsqu’elle espaces de construction collective, etdétecte des obstacles pour vivre à la valorise ainsi des expériences origi-campagne, l’équipe de RELIER cherche, nales repérées au cours de ses travaux.avec l’ensemble des acteurs du terri- Sur des thématiques qui les concernenttoire, des solutions pour les rendre pu- dans leur quotidien, habitants, paysans,blics et tenter de les lever. associatifs, artistes, entrepreneurs, chercheurs, architectes, urbanistes, bailleurs, animateurs, techniciens, élus, institutionnels se réunissent pour confronter leurs points de vue, croiser leurs analyses, et transformer la ré- flexion collective en actions. Pour chaque chantier, RELIER donne le temps à la maturation et procède par étapes : 1- Identification des problèmes et repérage des systèmes alternatifs et viables. 2- Expertise pratiquée avec des «regards croisés». 3- Rencontres entre acteurs concernés, ani- mation de laboratoires d’idées. 4- Expérimentation par RELIER ou ses par- tenaires des solutions repérées comme per- tinentes. 5- Essaimage de ces pratiques, création d’ou- tils permettant de faire connaître et multi- plier les expériences. 1-Cornélius Castoriadis, La montée de l’insignifiance 3 (Ed. Seuil, 1996).

De la problématique Un travail de recherche – du foncier à celle de l’habitat action à l’échelle du Massif CentralR ELIER est née en 1984 pour animer un Dès 2007, nous avons travaillé avec la groupe de travail qui s’intéressait aux DATAR Massif Central, les Régionspratiques alternatives en agriculture. Et concernées (Auvergne, Bourgogne, Li-lorsque l’association RELIER s’est penchée mousin, Midi-Pyrénées, Rhône-Alpes),en 1998 sur la question de l’accès au foncier Mairie Conseils. Certaines zones ruralesagricole, c’était pour chercher des solutions de ce territoire sont particulièrement su-alternatives à la spéculation liée à la proprié- jettes à l’habitat indigne, souffrant d’in-té individuelle. L’association a alors animé confort sanitaire et de précarité énergé-un groupe de recherche pour examiner en tique : «l’essentiel des territoires ruraux dudétail les différents outils juridiques et finan- Massif reste dans la catégorie des campagnesciers adaptés à l’accès collectif et solidaire fragiles à fort besoin d’amélioration/adapta-à la terre. Des pistes se dessinaient et c’est tion du parc bâti», constate le géographel’association Terre de Liens, créée autour de Jean Claude Bontron3, et ils correspon-ce projet, qui a pris le relais du travail sur le dent approximativement aux zones où sefoncier, depuis 2006. Tout naturellement, trouve la proportion la plus importanteRELIER s’est alors tourné vers la question de ménages à revenus modestes.du bâti et de l’habitat rural, stratégique pourl’accueil de nouvelles populations et de créa-teurs d’activités, et malheureusement affec-tée par les mêmes tendances spéculatives. Aujourd’hui, sur quelle réalité s’appuie Ce groupe concerne des zones rurales à notre action ? Un manque de logements lo- faible densité qui sont demeurées économi- catifs, la hausse des prix du bâti comme des quement et socialement fragiles : vieillis- loyers, la diversité nouvelle des modes d’ha- sement important, faiblesse des revenus, biter, l’étalement urbain et rural avec des permanence d’une dépopulation. On y pertes énormes de terres agricoles, la spé- rencontre des problèmes traditionnels de culation immobilière, l’abandon des cœurs l’habitat rural : bâti ancien, logements in- de bourg, la gentrification, etc. Le logement confortables, quasi absence de locatif, re- est un problème devenu systémique qui en- lative persistance de la vacance. Le parc gendre, au niveau national, près de «8 mil- bâti actuel nécessite un effort d’adaptation lions de personnes en situation de mal logement important, alors même que le développe- ou de fragilité dans leur logement»2. Dès lors, ment de résidences secondaires (25 % de positionner un territoire comme une terre logements) vient concurrencer le marché d’accueil nécessite d’offrir une variété d’ha- du logement permanent. Le solde migra- bitat sans pour autant «artificialiser» les sols toire devenu positif et les légers gains de (160 ha de Surfaces Agricoles Utiles dispa- population depuis 2000 montrent que ces raissent chaque jour), ni vider les centres campagnes peuvent devenir attractives. bourgs, encore moins favoriser la spécula- tion, amplifier l’étalement urbain. 3- Géographe chercheur de SEGESA (Société d’études géo- graphiques, économiques, sociologiques appliquées). 2- Synthèse du Rapport du mal-logement en France (Ed. Fondation Abbé Pierre, 2011) 4-Le 21 mars 2008, un incendie a ravagé un squat bien4 connu de Rennes, La Villa, détruisant une partie du hangar où se trouvaient les ateliers, la cuisine collective, la salle de bain collective de l’Elaboratoire. La plupart des « Elaborantins » ont tout perdu, et Joe Sacco, lui, a perdu la vie. Nous souhai- tons lui rendre hommage avec ce recueil.

De l’Habitat à l’Habitat Léger Des contradictions ? Chouette !R ELIER a été sollicité pour travailler C ette étude est née d’une immense in- sur les questions d’habitats légers, terrogation : comment interpréter laéphémères et mobiles, par l’associa- multiplication des Habitats Légers (HL) ?tion HALEM (Habitants de Logements Peut-on s’installer n’importe où, faireEphémères et Mobiles) par l’intermé- ce que l’on veut sans tenir compte de ladiaire de Clément David et Joe Sacco4 collectivité ? Comment concilier l’envie individuelle de s’installer où bon nousafin de rendre compte de la diversité des habi- semble (parfois sans autorisation) et sanstationsterrestresmobiles(voitures,caravanes, contraintes règlementaires, et l’aspirationcamping-cars, mobile-homes, roulottes, ca- collective à une participation citoyennemions aménagés, etc.), mais aussi des habitats de tous sur les questions d’aménagementplus temporaires, voire éphémères (yourtes, du territoire ? Quelles articulations entretipis, cabanes, huttes et autres constructions droits et devoirs, intérêt individuel et in-légères démontables ou non, permanentes ou térêt commun ? HL, habitat d’urgence etnon) ainsi que de la variété des situations vé- temporaire qui accompagne la bérézinacues par leur habitants. Néanmoins, derrière sociale ou véritable solution au problèmecette diversité et l’hétérogénéité de ce genre général du logement ?d’habitat, nous pouvons y déceler quelquespoints communs : Certains n’y souhaitent voir que des aspi-- d’être le fruit d’une pénurie systémique de loge- rations légitimes contre les carcans imposésments accessibles aux moins fortunés et/ou adap- dans nos sociétés de contrôle. Mais souvent letés à divers projets de vie. ton que prennent ces motivations (liberté indi-- de subir une précarité relative (avec le risque d’ex- viduelle sans contraintes, droits sans devoirs,pulsion en particulier). moins d’Etat, etc.) ne contribue-t-il pas à servir- d’être un habitat relativement étroit. en majorité un certain discours néo-libéral ?- d’être un habitat peu cher, n’ayant que peu ou pasd’impact sur l’environnement. Notre travail ne cherche ni à défendre ni- de ne pas pouvoir bénéficier d’une reconnais- à accuser qui que ce soit (à part peut-être lessance officielle en tant que logement permanent. défaillances et renoncements des pouvoirs- une image plus ou moins binaire et stigmati- publics), mais plutôt à essayer de démontrersante où les habitants sont trop souvent considérés la complexité de la problématique que l’oncomme des victimes et/ou des fauteurs de troubles. ne saurait réduire à quelques slogans et « so- lutions » simplistes. Seuls les sots voudraient L’habitat léger et mobile fait débat sur les tout interdire, ou, au contraire tout accep-territoires mais n’est peu ou pas traité officiel- ter. Deux extrêmes qui nous dispensent delement. L’approche expérimentale de RELIER penser. D’où la question, comment trouveren milieu rural l’amène à se questionner au- des solutions et une législation valables pourjourd’hui sur la place qu’occupe ou que pour- toutes et tous pour éviter le cas par cas et le co-rait occuper l’habitat léger et mobile au sein de pinage ? L’HL pose des questions sur l’habitatl’espace rural. Ce recueil a pour objet de nous et la citoyenneté en général qu’il convient deinformer, de créer du débat, de dégager des mettre en débat sur la place publique.pistes de réflexions et de travail afin de faireémerger des réponses aux questions posées Une chose est certaine, expulser despar ce type d’habitat, et de relier cette problé- femmes, des hommes, des enfants, sansmatique avec celle du logement en général. proposer de solutions alternatives viables n’est pas une réponse, c’est, et nous pe- sons nos mots, un acte de barbarie, une insulte à la dignité humaine et une at- teinte flagrante aux Droits de l’Homme. Et si dans ce recueil chaque auteur as- sume personnellement la teneur de son ou ses articles, nous tenons tout de même à ex- primer et revendiquer une solidarité com- mune envers l’ensemble des contributeurs. 5

Introduction R ELIER n’a pas ici la prétention de pré- ter de sortir des clichés et idées toutes faites, senter une étude scientifique, ni un état et faire en sorte que l’on ne se dise plus « y’a des lieux exhaustif. Nous proposons simple- qu’à, faut qu’on ». ment un ensemble de points de vue argu- mentés, divers éclairages, des témoignages, A fin que le lecteur puisse prendre des résultats d’études et d’enquêtes. Ils vien- conscience de l’évolution de nos re- dront, nous l’espérons, alimenter les discus- présentations du phénomène Habitat Léger sions et réflexions en mettant en lumière des à mesure que notre enquête avançait, nous situations, des dynamiques, des logiques, des publions en guise de préambule la contribu- évolutions ; en résumé, lever les premières tion écrite de Clément David et Françoise- difficultés de compréhension du phénomène. Edmonde Morin qui fut le point de départ de notre projet d’enquête sur l’Habitat Léger. Nous proposons simplement un en- semble de points de vue argumentés, D ans la première partie, nous essayons de divers éclairages, des témoignages, rendre compte du contexte d’apparition des résultats d’études et d’enquêtes et d’évolution des habitats spontanés, alter- natifs, atypiques. Ils ne sortent pas de nulle C’est un travail qui s’est fait en parallèle avec part et ce phénomène a évidemment une gé- une série de trois Rencontres (qui ont regroupé néalogie. C’est ce qu’Arnaud Le Marchand, à chaque fois 60 à 90 personnes) sur le thème dans le premier article, éclaire d’un point de de l’Habitat Léger (HL), lors desquelles se sont vue historique en montrant que l’habitat mo- déroulés divers ateliers autour des motivations, bile et le travail intermittent font partie inté- vécus et ressentis des habitants ; des rapports grante de la vie économique du pays. entre HL, environnement et espace en général ; et des questions d’implantation de ces habitats Dans la foulée, Gaëlla Loiseau fait une sur le territoire, avec bien sûr, les aspects juri- socio-histoire de la figure du nomade et de diques. Le tout fut également alimenté par une l’itinérant à travers son traitement dans les série de visites et d’interviews, un travail de do- discours et la culture sédentaires jusqu’à au- cumentation et de bibliographie, des réunions jourd’hui. Etienne Alriq s’efforce quant à lui de et de nombreuses discussions. rappeler que l’habitat n’est pas seulement un habitacle, un simple logement, mais renvoie à L’important pour nous est de montrer que des manières de vivre toujours imbriquées à face à une problématique complexe, celle de des valeurs, des représentations, des symboles l’Habitat Léger en l’occurrence, il est illusoire qui dépassent les définitions objectivantes. de chercher des réponses simples. Notam- ment du fait de la diversité des situations, Concluant ce chapitre, on débouche sur les du fait que les occupants d’HL ne représen- statistiques produites par la Fondation Abbé tent pas vraiment un «stock» mais un flux, et Pierre pour constater l’accablant état du mal- que ces habitants ont tous vécu et/ou vivront logement en France et la béance toujours plus des formes d’habitat différents. Nous nous grande de la fameuse «fracture» sociale. sommes donc attachés à montrer cette diffi- culté, à dénoncer le thème des «classes dan- D ans la deuxième partie, il est question de gereuses» ; à montrer que personne n’est (et prendre quelques mesures des réalités ne doit être) «en dehors» ; à éviter le miséra- diverses auxquelles renvoie ce concept d’HL. bilisme tout comme l’angélisme ; à inviter le Marcelo Frediani traite des «New Travellers» en lecteur à dissocier les lois démocratiques de Grande Bretagne, indissociables de la contre- certaines normes plus dictées par le marché culture des années 60 à aujourd’hui, en passant que par le souci d’intérêt général… Bref, ten- par les années noires Thatchériennes et les grands Free-Festivals.6

Suivent les résumés et analyses de Jeremy occupants, abordant ainsi concrètement lesLevesques à l’issue de témoignages glânés au- questions de la gestion environnementale enprès d’occupants ou de personnes ressources : habitat léger.situation et engagements d’un «militant voya-geur», Frédéric Liévy, récit et motivations d’une P ierre Gillet propose alors un petit texte au-jeune retraitée installée en mobile-home dans tour de la notion de droit public, qui faitun camping, exposé d’un travailleur social exer- transition avec la quatrième et dernière partieçant auprès de voyageurs sédentarisés, récit et traitant plus spécifiquement de l’évolution despratiques d’un travailleur / artisan en camion. aspects juridiques de la problématique Habitat Léger et des interrelations entre les habitants Raphaël Jourjon livre alors quelques ré- des territoires d’implantation.flexions - issues de lectures d’entretiens et derencontres avec des habitants- sur l’HL comme Béatrice Mesini y partage son savoir et sessupport existentiel, outil et illustration de pro- compétences juridiques en nous dressant unjets de vie alternative. Cet article est complété état des lieux législatif et jurisprudentiel quipar un résumé de l’étude de l’association AVRIL cadre l’installation de ce genre d’habitats aty-sur l’habitat léger «assumé» sur le territoire du piques. Elle insiste sur le devoir de répondre auxSud Ardèche. Enfin, cette seconde partie se ter- demandes d’installations par du droit communmine par un portrait de La Mine, lieu collectif et non par du droit dérogatoire, justifiant avecoù se pratiquent des activités «autonomisantes», force le refus des politiques de guichet qui vont àvisant à assurer au mieux l’indépendance fi- l’encontre de l’égalité républicaine devant la loi.nancière, énergétique, sanitaire... A son tour, Clément David interroge les articu-A vant d’entamer la troisième partie, en lations entre droits et devoirs et expose des pistes de guise d’interlude, Pierre Gillet s’attaque solutions, de compromis, ainsi que différentes dé-au concept de Nature, présent dans toutes les marches afin d’établir une véritable reconnaissancetêtes et toutes les bouches, mais qui reste flou et et prise en compte officielle de ce type d’habitats. Ilentaché d’idées reçues. Il nous livre son regard abordeensuitelephénomènedegentrificationenmi-acidulé sur une idéologie risquant de nous lais- lieu rural et ses conséquences en terme de traitementser un goût amer dans la bouche. des occupants d’habitat non conventionnel, mettant en évidence la précarité stigmatisante et la peur de Nous commençons cette partie par un ar- l’exclusion qui empêche de s’inscrire dans le temps etticle de Paul Lacoste sur des pratiques d’hospi- de se construire un avenir. Gaëlla Loiseau complète letalité en habitat léger à travers l’exemple d’un tableau en évoquant son travail de médiatrice et lesvillage accueillant aux confins du Massif cen- conflits d’usage sur et aux alentours de terrains où cestral… Sont ensuite explorées les questions épi- habitats sont installés, à travers l’exemple des aires deneuses de l’éducation des enfants et du contexte grands passages des gens du voyage.familial en habitat léger. Avec la volonté de nerien cacher sous le tapis, certains problèmes Un texte conclusif de Jeremy Levesques, Vin-courants ou non, réels ou supposés sont mis en cent Jannot et Piero Gillet clôture l’ensemble, sui-lumière tout en rappelant que leurs causes sont vi d’une liste de ressources documentaires.plus systémiques que du ressort des individus. Puisse ce recueil servir à mieux appré- Le collectif Plume, quant à lui, aborde les hender les enjeux individuels et col-potentialités de l’HL dans son insertion ter- lectifs, nous amener à comprendre leritoriale et environnementale, argumentant phénomène HL avec plus de luciditéen faveur de sa «réversibilité» et de son impact et de bienveillance. Toute l’équipe deécologique réduit. Suite à cet article, l’associa- RELIER et les différents contributeurstion Terr’Eau nous livre un témoignage sur des vous souhaitent une bonne lecture etexpériences d’implantation de toilette sèches une réflexion enrichissante.sur des campements roms menées avec leurs 7

Sommaire Avant propos 3-5 Généalogie d’un recueil Introduction 6-7 Les habitats légers : 10 - 11 cul de sac social ou territoires libérés pour Françoise-E. Morin une autre économie ? Clément David Partie 01 Partie 02 Contextes : Diversité des vécus Des nomadismes traditionnels et perceptions aux « crises » actuelles de l’habitat du logement non-ordinaire. Art 01 / Arnaud Le Marchand 13 - 19 Art 01 / Marcelo Frediani 35- 39 L’habitat mobile, 20 - 25 Les New Traveller’s : éphémère et léger travaille. Mobilité et habitat léger Art 02 / Gaëlla Loiseau 26 - 29 L’habitat mobile : 30 - 33 Art 02 / Jeremy Levesques 40 - 41 histoire d’un apprivoisement Situation et regard d’un militant Art 03 / Etienne Alriq « voyageur » sur l’habitat léger Habiter, la forme et le fond Art 04 / Fondation Abbé Pierre Art 03 / Jeremy Levesques 42 - 45 Les chiffres du mal-logement Un habitat accordé à en 2012 ses moyens : cas d’une habitante en camping et contexte politique Art 04 / Jeremy Levesques 46 - 48 Perspectives autour du terrain familial : regard d’un travailleur social Art 05 / Jeremy Levesques 49 - 51 Une figure du travail mobile : caractéristiques d’une « nouvelle vie » en camion Art 06 / Raphaël Jourjon 52 - 54 L’habitat léger comme composante d’un projet d’activité ou d’installation Art 07 / AVRIL - Pierre Gillet 55 - 57 L’habitat Léger et mobile «assumé» en Sud Ardèche Art 08 / Pierre Gillet 58 - 63 Des dynamiques d’autoproduction, des pratiques autonomisantes : un cas d’école, la Mine8

Hors-champ 01 Pierre Gillet 64 - 69 Hors-champ 02 Pierre Gillet 98 - 104La Nature, Droitun fourre-tout idéologique publicPartie 03 Partie 04Des modes d’habiter Les habitats légersqui interrogent et mobiles,les pratiques sociales la règle et le territoireet environnementales. d’implantation3/1 4/1Habitat léger / mobile Le diagnostic : Statuts deset société habitants, droit au logement et réglementationArt 01 / Paul Lacoste 72 - 77 Art 01 / Béatrice Mesini 107 - 117Habitat Premier, Du droit dérogatoire à l’habitatchemin de vie ou choix de société ? « adapté » au droit communArt 02 / Pierre Gillet 78 - 89 d’habitats légers, mobiles et éphémèresLe contexte familial et éducatif en Art 02 / Clément David 118 - 131habitat léger, où est le problème ? Le droit au Logement pour les usagers d’habitations légères3/2 ou mobiles ? Droits et Devoirs.Habitat léger / mobileet environnement 4/2 Les interactions entreArt 03 / Collectif PLUME 91 - 94 les habitants en mode léger / mobile et le territoireImpacts et atouts d’implantation.des habitats réversiblesface aux enjeux environnementauxArt 04 / Association Terr’Eau 95 - 97 Art 03 / Clément David 133 - 143 Gentrification et immigrationDes expérience collectives choisie dans nos campagnes :de mise en place d’assainissement la place de l’habitat légerécologique sur des campements Art 04 / Gaëlla Loiseau 144 - 151 Les conflits d’usages autour des équipements d’accueil des gens du voyage : l’exemple des grands passages dans l’Hérault Une première conclusion ? 152 - 153 Ils / Elles ont contribué 154 à ce recueil... 155 - 157 Ressources documentaires Remerciements 158 Table des illustrations 159-160 9

Les habitats légers : cul de sac social ou territoires libérés pour une autre économie ? Françoise-Edmonde Morin et Clément David, Avril 2011 A u départ de la réflexion sur le déve- loppement de l’habitat léger / mo- bile et la répression qui s’y rattache, une intuition : ce fait de société qui semble être un pis aller et presque une fatalité ouvre une réflexion intéressante et por- teuse de nouveaux concepts sur les chan- gements de mode de vie et sur l’évolution possible vers une économie différente. Une analyse de l’habitat léger, no- made ou éphémère –c’est-à-dire à faible empreinte, réversible ou démontable, considéré sous ses aspects sociaux, an- thropologiques, économiques, écolo- giques, juridiques, historiques, est for- cément périlleuse. RELIER se propose néanmoins d’apporter sa contribution en essayant d’éviter quelques écueils comme l’interprétation communauta- riste, la stérilité du débat habitat choisi / habitat subi, ou le choix de la précarité comme seul critère pertinent.10

Les résistances à Les travailleurs sociaux et les élus l’idée d’habitat mobile C ’est par le biais de l’empowerment queL ’habitat mobile remet en cause les habitudes le groupe de travail pourrait aborder la de penser de la majorité des occupants des ter- question des cadres. Il s’agit d’une pratique quiritoires : les sédentaires. La sédentarité est élevée consiste à restaurer - souvent avec succès - chezau rang de valeur de référence, a priori menacée les habitants la capacité à améliorer par eux-par des migrants sans racines territoriales immé- mêmes leur situation individuelle et collectivediatement identifiables, dont la mobilité met en en étant associés aux programmes d’habitat leslumière des évolutions de la société rapides et dif- concernant. Ces démarches suscitent des résis-ficiles à conceptualiser. La résistance à l’idée d’ha- tances chez les professionnels du travail social :bitat mobile s’abreuve à différentes sources. elles ne correspondent ni à leurs modes d’action habituels, ni à leur formation. D’autre part, l’em- Les préjugés anciens powerment inquiète les élus et l’état parce qu’il restitue à des habitants en état d’illégalité une lé-P remière origine, ancienne, ancrée, le refus de la gitimité et une conscience de leur devenir. migration et de l’immigration de populationsgitanes ou foraines comme source d’insécurité. Le Comment avancer ?nomade serait un improductif qui ne contribueraitpas à la prospérité du pays. Idée fausse puisqu’il E claircir la question de l’habitat léger et enmet en mouvement des échanges économiques et tirer quelques problématiques permet d’en-culturels qui ne se produiraient pas sans lui. visager un travail d’éducation populaire. On constate qu’il existe un habitat indigne : les car- Les nouvelles peurs tons, les tentes, et autres abris de fortune, mais de façon paradoxale les militants sont conduitsL a deuxième résistance refuse un fait d’habitat à renouveler cette indignité en exigeant l’arrêt relativement nouveau qui mêle de façon hé- des expulsions, considérant que celles-ci ne fontérodoxe plusieurs populations dont la diversité qu’empirer les situations de précarité et d’ex-s’unifie dans la question sous-jacente de l’accès clusion. Comment avancer ? L’abord caritatifau foncier, de la spéculation, de l’insuffisance de absorbe tellement de forces qu’il n’en reste plusl’offre locative, etc. pour le travail de fond. La situation se pérenise par le traitement toujours reconduit de l’urgence. On observe d’une part, à l’aube de sa prise Il conviendrait plutôt de peser sur le changementde conscience, l’émergence de la volonté d’une des lois existantes. En effet, c’est très concrète-partie de la population d’exercer une démocratie ment que le gouvernement s’apprête à légiférerqu’on pourrait dire légère, fluide mais pugnace, sur des constats partiels et partiaux.qui prenne en compte la dimension de l’écologie,la maîtrise des matériaux, de l’énergie, de l’eau et Pour y parvenir, il faut mobiliser une intelligencele mode de vie «décroissant». Cette responsabi- collective et les outils propres à clarifier le débat et àlité sur l’environnement s’exprime par une aspira- mettre en lumière une politique de guichet injuste-tion iconoclaste à ne laisser que peu d’empreinte ment sélective. Les constats et propositions résulte-dans le paysage, voire aucune.. ront des points de vue croisés d’acteurs identifiés : habitants, architectes, économistes, urbanistes, so- D’autre part, apparaît une façon d’habiter ciologues, militants, philosophes, juristes, adminis-qu’on peut dire opportuniste : des populations tratifs. L’objectif de ce travail pourrait être que sespaupérisées sont acculées à rechercher ou à travaux aboutissent à des résultats concrets c’est-à-construire des habitations légères, mobiles ou de dire juridiquement viables.fortune parce qu’elles sont marginalisées par lesévolutions économiques et les carences de l’état. 11Elles accordent leur habitat à leurs moyens.«L’habitat mobile remet en cause les habitudesde penser de la majorité des occupants desterritoires : les sédentaires. La sédentarité estélevée au rang de valeur de référence, a priorimenacée par des migrants sans racines terri-toriales immédiatement identifiables, dont lamobilité met en lumière des évolutions de lasociété rapides et difficiles à conceptualiser.»

01Partie Contextes : Des nomadismes traditionnels aux « crises » actuelles du logement12

L’habitat mobile, Les ouvriers immigrés ramèneront le bidonville éphémère et léger epnarlEeur rodp’ueneapr«ègsralamgmuaeirrree». 2Odnepceeust sans douteArt 01 / travaille. techniques permettant des formes de traduction ou Arnaud Le Marchand d’adaptation aux limites du modèle dominant, dans une période et un contexte institutionnel donné. Maître de conférences Le numéro de la revue «Techniques et Cultures» en sciences économiques esut rInl’ghraibditSaétnteémpaprot3r,aeirne,tdéimrigoéigpnaer Agnès Jeanjean EDEHN Université du Havre abondamment. Sans vouloir réduire ces modes d’habiter à leur dimension économique et à leur fonction de ilongsteamlléesn4t, pour des travailleurs itinérants ou non nous allons néanmoins présenter leurs évolutions en lien avec des mutations du travail, pas seulement de l’emploi salarié, et du marché…les peuples du voisinage, qui jusque immobilier. Une présentation complète devraitlà l’avaient considérée non comme une néanmoins intégrer les usages de loisir et lesville , mais comme un camp militaire formes aristocratiques, ou somptuaires, de la tenteétabli au milieu d’eux afin de troubler la ou de la cabane.paix générale, en vinrent à la respecter… 1 / Un phénomène transversal Tite-Live «Les origines de Rome». D onc au départ, il s’agit aussi de rencontrerC ette citation de Tite-Live a pour premier but, un refoulé de l’histoire de la ville et des ironique, de rappeler que l’habitat non ordi- campagnes, celles des habitats des populationsnaire : le campement, le logement collectif, etc. fut minorées. L’histoire de «l’habitat non ordinaire»à l’origine de maintes grandes cités. De fait, nous rencontre une mémoire des interstices de la villene pouvons toujours prévoir ce que deviendra telle (notamment portuaires), des régions rurales, desou telle expérience de logements différents. Néan- processus productifs et des échanges.moins, s’il est peu probable que nous assistions à lafondation de nouvelles villes en Europe, il est patent Pour ma part, c’est à l’occasion de recherches surque des formes de logement d’urgence, transitoires, la rénovation de villes portuaires que j’ai rencontréetc. participent au renouvellement de l’urbain et de ces questions : sur des sentiers périphériques, desla ville qui se fait, comme des campagnes. Cette cita- sorties de ville, des abords de terminaux portuaires,tion rappelle aussi que ce n’est pas la qualité du bâti en le long de voies ferrées (de préférences rouillées),soi qui fait d’une agglomération nouvelle, une ville ou sur des contours d’aérodromes, via des friches«normale». C’est la légitimité politique qui est ac- industrielles. Collection qui décrit un parcours,cordée à son mode de gouvernance. celui de la crise industrielle, et de personnes cherchant leurs voies dans le post-fordisme, entre Les formes d’habitat mobiles, légères, collec- retour à des solutions anciennes et nouvellestives etc. ont toujours accompagné le développe- technologies. Ce retour de l’habitat précairement des formes considérées par le droit comme dans les centres urbains pouvait expliquer des«normales» (la maison individuelle, l’appartement dynamiques de requalification des espaces occupés (comme pour l’exemple bien connu des squats) .etc.). Elles participent toujours d’un système tech-nique et organisationnel global. Elles opèrent dansce cadre technique, soit par adaptation à un contextespécifique d’activités, comme la roulotte automo-bile avant même que le fordisme ne prenne son es-sor, ou par détournement et recyclage (les premiers«bidonvilles» liés à l’industrie pétrolière, de nosjours, les conteneurs aménagés). Elles concernent,majoritairement, les groupes qui sans être forcément 1-Raffaele Cattedra, 2006., « Bidonville : paradigme et réalitémarginaux, au sens de sans statut, travaillent et refoulée de la ville du XXème siècle », in : Jean Charles Depaulevqiuveenletsdpifrféermemierms ebnidt odnuvmilloesd1eednomAfirniaqnute. Il semble (ed.), Les mots de la stigmatisation urbaine, Paris, Editions du Nord UNESCO (Programme MOST), Editions de la Maison desfurent fabriqués par des ouvriers européens pauvres, Sciences de l’Homme, pp. 123-163.transférant ce qui avait été le mode d’habitat dans 2-Emmanuel Desveaux 2011« De Lévi-Strauss à Haudricourt»la «zone» autour de Paris, à Casablanca, où il Techniques & Cultures 56 « Habiter le temporaire » 1 /2011fut adopté par les migrants intérieurs marocains, 3-ibidouvriers, journaliers, chômeurs. 4-Arnaud Le Marchand 2011 « Enclaves Nomades. Habitat et Travail mobiles » Ed. le Croquant . 13

Il incite à une relecture de conceptions qui ne Cette proximité non dite, entre des colporteurs partent que des cultures dominantes pour expliquer au statut mal défini, des «vendeurs à la sauvette», lUesrbéavionlusutirolnest.oPuarrisemxeem5,pplaer,lseiàleraliivsorenddeeJleaanno-Dstaidlgieier et un local temporaire pour loger des écono- des voyageurs aristocratiques s’étendant à toutes mistes «hétérodoxes» avant leurs déplacements les couches de la société, il omet de mentionner la académiques, incite à penser l’enchevêtrement nostalgie, sensible sur les campings notamment, de entre statuts, constructions permanentes et ces «voyageurs» que sont les tsiganes et les ouvriers constructions légères dans les métropoles. Les nomades du XIXème siècle. mêmes observations se font plus facilement dans des pays «émergents», comme le Brésil, mais on Il y a d’ailleurs plus d’un lien avec le tourisme, doit les voir aussi en Europe. notamment via quelques règles statistiques. On manque d’informations sur le nombre d’habi- Le suivi d’un conflit autour de la fermeture tants en logements mobiles. Or en fait, ils sont d’un camping municipal au Havre, équipement inclus au moins en partie dans les statistiques du utilisé majoritairement par des salariés en dé- tourisme. En effet, les statistiques du tourisme placement, fut l’occasion d’une rencontre avec ne distinguent pas parmi les résidents dans un l’association Halem, qui défend les droits des camping entre les vacanciers et les salariés en dé- résidents en terrain de camping. L’association, placement, et elles ne cherchent pas à distinguer alors présidée par Joe Sacco, organisa une mani- vraiment les résidents permanents. festation autour du thème de l’ habitat choisi à Paris, sur la place de la Bourse en 2008. Halem et Les liens entre la recherche et le logement «non les réseaux ariégeois ont monté trois yourtes. Le ordinaire» sont aussi multiples : les équipements choix du lieu était très significatif : en face de la mobiles et les personnes en statut précaire sont bourse mais aussi en face de l’ AFP, près de la rue aussi présentes tout près des universités. Lors de de la Banque où le DAL a installé son «ministère la présentation d’un texte sur la foire et le cinéma du logement», c’est à dire un lieu rassemblant les forain à l’Université de Nanterre au Bâtiment K, informations et les faisant circuler. Journalistes, devant des économistes «conventionnalistes», vint contestataires et spéculateurs scrutent l’avenir. l’idée d’une similitude, via les externalités d’infor- mations entre foire et colloque universitaire. Plus Les débats autour de l’usage industriel des curieux, ou peut-être pas, le bâtiment où se tenait campings rencontraient donc les problèmes la réunion allait être démoli : en fait il s’agissait des autoconstructeurs néo-ruraux. Dans les d’un bâtiment provisoire construit par Algeco. A campagnes, la gentrification prenait la forme des l’origine, il était destiné à abriter des bureaux pour parcs naturels, étape dans une construction de la une opération urbaine. Il était situé au fond du qualité touristique du territoire. La recherche de campus, au bord du RER; à quelques dizaines de ces aménités justifie la pression sur l’occupation mètres de là, sous la voie, il y avait une remise dé- des sols par des habitations légères, au nom de montable dans laquelle des marchands ambulants, la limitation du mitage. Certes le mitage est un très jeunes (sans papiers ?), stockaient des fruits problème réel mais il peut servir à masquer la crainte qu’ils revendaient sur la traverse menant aux quais. de la prolifération des mobiles. Qu’on cherche à ethniciser en accordant les terrains familiaux 5-Jean-Didier Urbain 2002 « L’idiot du voyage », Payot. aux seuls Gens du Voyage, ou à cantonner à des 6-Béatrice Mésini 2011 « Quelle reconnaissance de l’habitat lé- dtrièsspocsointitfrsôeléxep6é.riLmaemntêamuxeproèugrlediems pSlDicFitedesefmaçbolne ger, mobile et éphémère ? » Techniques & Cultures n°56 2111/1 s’appliquer pour les aires d’accueil, réservées aux 7-Gaëlla Loiseau 2012 « Maintenus dans leur ethnicité au «pasreul’laedsmpienrsisotnrnateiso»n7c,ovnosiride,épréaerfsoicso, maumx eseutslisgganeness nom de l’ordre public. Le cas des gens du Voyage » in « Du du Voyage ayant un contrat de travail saisonnier point de vue de l’ethnicité » dir par Chantal Creen et Laurence dans les alentours. Kotobi, Armand Colin.14

MaMrc aGisuleésricno8nifmlitps ldiq’uuseangte ddeanpsluless campagnes note c’est toujours mieux que d’être inclus dans les en plus souvent statistiques de la délinquance comme au XIXème,l’habitat, de manière générale. Le redéveloppement mais c’est quand même toujours l’invisibilité parde la fonction résidentielle des espaces ruraux a dilution dans une catégorie plus large. Encoreengendré de nouveaux conflits et une nouvelle prise qu’après tout nous sommes peut-être tous desde conscience. D’autre part , nombre de mouvements touristes au XXIème siècle.de contestation d’implantation d’équipements, vitequalifiés de «Nimby» (Not in my backyards), c’est-à-dire stigmatisés comme égoïstes, remettent en 2 / L’ HNO et le travail atypiquecause l’ intérêt général considéré du seul point devue de l’ Etat ou des pouvoirs publics. Ils participent P our autant, la présentation médiatique du déve-d’un débat démocratique plus large, mettant en jeu loppement de ces formes de logements le reliela pluralité des modes d’évaluation et de justification davantage à une dégradation conséquente à la crisedes politiques d’aménagement dans un monde financière. Les campements de tentes dans les villesincertain. Si l’on adopte ce point de vue plus large, les sont réapparus avec les protestations contre les po-conflits autour de l’habitat léger et de la cabanisation litiques monétaires, de même que notamment auxdes espaces ruraux ne sont pas isolés et ils s’intègrent USA, la croissance de ces phénomènes est une ma-dans un contexte de rediversification des habitants et nifestation de la crise immobilière. Le détour par la fi-des modes d’habiter dans ces territoires. nance est inévitable. Mais c’est davantage sur les aléas dans le travail et ses conséquences sur les modes d’ha-Les conflits de voisinage liés au développement biter que nous voudrions insister. En effet, le hasarddes formes de travail atypiques, notamment à est au cœur du fonctionnement des marchés bour-domicile ou impliquant des déplacements, locaux siers, comme il l’est dans celui du marché du travailet même internationaux, journaliers ou quasi pour les salariés précaires, ou dans l’activité des com-hebdomadaires pnarottiecipaeunstsidCe lalairerecLoemlièpvoresi9t,ioent, merçants itinérants. L’habitat mobile est une réponsede ces espaces, face à une incertitude du lieu de travail. Mais, de leurexpliquent la recherche de nouvelles formes de point de vue, les «forains» ne vont pas au hasard.«gouvernance». Là encore, les développements du Parfois même pas du tout quand ils suivent un calen-travail mobile ou les remises en cause plus ou moins drier des foires, fixé selon des règles administratives.radicales du salariat par des habitants de yourtes Les foires sont, par dessus le marché, des lieux dene sont pas si «en dehors» que ça de l’évolution «pratiques» familiales (mariages, baptêmes, retrou-générale des campagnes et de la société postfordiste. vailles…) La marche au hasard n’est qu’une modalitéEn fait, ce sont ces habitants qui affrontent un rejet de déplacement parmi d’autres, vraie par moment,de type Nimby ou pour nuancer, PUMA (peut-être mais pas toujours. Ainsi, au cours des recherchesutile, mais ailleurs), de leurs installations, qui ont sur le travail mobile, nous avons rencontré des ma-pourtant peu d’impact durable sur les sols. nouches campant sur un terrain municipal, un parc en ville, pas une aire, au Trait (76). Ils circulent dans A une échelle encore plus globale, L’Organi- toute la France pour trouver des clients : ils réparentsation Mondiale du Tourisme a adopté une dé- les maisons, entretiennent les jardins. Là, on n’est pasfinition du touriste, comme voyageur de moins dans les tournées réglées, mais dans une circulationd’un an, quelque soit le motif, vacances, travail un peu au hasard, même si on devine un réseau social.ou autres. Et en fait on ne peut vraiment mesu- Pour les statisticiens, ces activités relèvent néanmoinsrer les personnes circulant, on ne repère que les de l’emploi dit «vulnérable».“nuitées”, y compris au moins une partie de celledes résidents permanents au camping. Donc de Hélène Thomas10 a retracé dans un récentce point de vue les «halémois» sont des touristes, ouvrage, la façon dont le hasard et les risques naturels puis sociaux économiques sont pris en compte dans les discours officiels, notamment celui des organisations internationales, pour requalifier la situationdespersonnespauvres.Letermevulnérable retraduit cette prise en compte, les pauvres sont ceux exposés au risque, au hasard destructeur. Cette notion est une forme contemporaine de l’hygiénisme, qui va s’accompagner d’une spatialisation de la question sociale. Elle est reprise dans le discours de dl’’OemrgpalnoiissavtiuolnnéIrnabtelerns1a1ti,opnoauler du Travail, qui parle regrouper tous les emplois atypiques, hors de l’usine et des protections statutaires. 10-Hélène Thomas, 2010, Les vulnérables : la démocratie8-Marc Guérin 2007 « Fonction résidentielle et conflits contre les pauvres, Le Croquant, coll. Terra.d’usage » revue POUR n° 195 décembre 2007.9-Claire Lelièvre 2007 « Conflits d’usage : de chacun chez soi 11-OIT 2009 « Global employment trends report » en ligne :au mieux vivre ensemble » revue POUR décembre 2007. http://www.ilo.org/global/publications/WCMS_101461/ lang--en/index.htm 15

«Ce qui se passe actuellement Cette segmentation redevient opérante, en mêmeest un retour du refoulé des temps que demeure celle entre précaires et statutaires,pratiques et des discours sur dans une économie où le itnrdavuasitlrineollme madoen, ddaianlissétoe1u3tl’évolution des villes.» l’espace de la production (via la sous-traitance et pas production modulaire) et s’étend au secteur des services.La progression de l’emploi, ainsi dénommé, A un niveau plus individuel, il semble que les’observe au niveau mondial comme dans les pays passage de ces emplois à un salariat plus «protégé»industrialisés,etdéjàbienavantlesconséquencesde s’avère très difficile, voire impossible. Les questionsla crise des «subprimes». Cette progression incite de logements qui en sont la conséquence ne sont plusà poser plusieurs questions : sur la construction résiduelles mais, au contraire, actuelles. Le problèmedu phénomène, comme sur les mécanismes est que l’attitude normative, contenue dans l’adjectiféconomiques qui l’expliquent. Cette croissance vulnérable, peut-aussi être étendue aux formesdes formes atypiques d’emploi (à domicile, de logements légers. Il sera aisé de les qualifier deitinérant, journalier, isolé, à très bas salaires, auto- «vulnérables», par exemple aux risques d’inondation,entreprise etc.) intervient après sa réduction au pour les éliminer. C’est le cas dans les chartes anti-cours de la seconde moitié du XXème siècle. Ces cabanisation. A contrario, l’emploi de l’adjectifmodes d’emploi ré-émergents sont articulés à des «vulnérable»,ausenssocial,pourqualifierleshabitantsflux migratoires, internationaux et interrégionaux, de ces dispositifs hors normes, est, le plus souvent,peuvent se combiner avec des discriminations et le fait des associations de défense des personnesdes formes de travail ou de logements contraints. concernées. Selon le registre mobilisé, ces habitatsCe phénomène est-il transitoire ou au contraire seront considérés comme illégitimes ou légitimes.marque-t-il une nouvelle phase de la segmentation Dans ces conditions, la politique d’élimination dedu travail ? Dans le chapitre XXV du livre 1 du «logements qualifiés de précaires» peut se substituer à laCapital, Karl Marx esquisse une segmentation lutte contre la précarité du travail.du salariat par le mode d’habitat. Il distingue les Mais l’apparente dispersion de ses usagessalariés entre urbains, ruraux et travailleurs sans «non ordinaires», présentés le plus souventancrage territorial. Cette tripartition apparaît comme découlant de l’exclusion, ou de pratiquesfrréatnroçsapise,clt’ihveismtoernietncoGmémraerdpeNrtoinireienlt1e2. Dans le cas «résiduelles», cachent une fonctionnalité. repère une Ces fonctions contribuent à produire unpolarisation entre ouvriers paysans et ouvriers des habitat collectif (hôtels low-cost etc.), mobilecentres urbains, tout au long du XIXème et encore (fourgons aménagés, camping-cars) ou légers.au sein du XXème siècle. Il prête peu d’attention aux Cette production passe par le détournementtravailleurs mobiles, répartis implicitement dans d’usages des terrains ou des objets, mais aussison étude, entre saisonniers liés au monde paysan par l’invention de modules déplaçables (de laet ouvriers de métiers nomades. Mais on peut roulotte foraine au camping-car via le fourgonen déduire que l’habitat non ordinaire (habitats aménagé, de la tente à la yourte modifiée demobiles et garnis, baraques dans la zone autour façon expérimentale). De par son action, ellede Paris) a suivi, comme une ombre, le processus est souvent à l’avancée de l’urbanisation, àd’industrialisation et l’exode rural. Ce qui se passe l’extérieur, comme à l’intérieur du réseau urbainactuellement est un retour du refoulé des pratiques dont elle comble les trous structurels.et des discours sur l’évolution des villes. 12-Gérard Noiriel 1986, Les Ouvriers dans la société française 13-Arnaud Le Marchand 2011, « Enclaves Nomades. Habitat (XIXe – XXe siècle), Paris, Seuil, coll. « Points ». et travail mobiles », Le Croquant.16

La progression de ces formes d’emplois et Ces évolutions concernent aussi les servicesde ces modes d’habitat n’a donc rien d‘un phé- restés intégrés, pour tout ou partie, dans la sphèrenomène aléatoire. Elle résulte d’une adaptation publique. Lors de fermetures contestées de tribu-face à des aléas croissants, environnementaux et naux de grande instance (17 en 2010), certainséconomiques. L’adaptation a d’ailleurs pu passer commentateurs se sont inquiétés d’un retour depar des mécanismes de crédit spécifiques, ce qui la justice itinérante, via des audiences forainesfut toujours le cas pour les activités itinérantes, remplaçant l’ancienne structure permanente. LamFoênmtaeineen1d4emhoornstrdeescocmrismesenfitnlaenccrièérdeist.eLtaleusrecnacue- nouvelle carte judiciaire n’utilise pas de tribunauxtionnements inscrivent les colporteurs dans un mobiles, mais le concept pourrait faire retour. Il yréseau nécessaire. De nos jours, les logements a quelques années, on s’était interrogé sur l’évo-mobiles des manouches sont financés par le cré- lution du réseau postal vers un maillage versatile,dit, via des intermédiaires, parfois manouches réversible, temporaire ; avec des équipements mo-sédentaires, vendant des caravanes et négociant biles mais articulé à la dynamique des territoires.avec des officines de crédit. Ces prêts sont rem- Ces interrogations traduisaient la perception deboursés par le RMI, puis le RSA, puisqu’il n’y a décalage entre la carte des services publics héritée,pas d’ APL . Un réseau de crédit s’est donc consti- celle planifiée par les ministères et les territoirestué, peut être pas de façon la plus optimale pos- tels qu’ils sont vécus. La simple évocation de ser-sible, pour financer ce mode de vie. vices publics mobiles et forains devrait suffire à montrer comment les pratiques des habitants lé- Cependant, loin de n’être que la résultante pas- gers s’inscrivent dans un contexte global.sive de ces précarités, les formes d’habitat légerssont une invention, contiennent des innovations Les mutations des usages de l’espace ne sont paset portent en germe des réponses qui ne sont pas indépendantes d’autres mutations du reste de l’éco-que de circonstances. Elles ont leur part d’auto- nomie, même si ces parallèles sont parfois ignorés.nomie créatrice, ce qui les rend imprévisibles du Cette ignorance n’empêche d’ailleurs pas la récupé-point de vue des aménageurs de l’habitat «ordi- ration : la requalification des espaces délaissés, vianaire». Désintégration des entreprises de réseaux, des usages temporaires initiés par des acteurs mino-étalement urbain et habitat non ordinaire. ritaires, équivaut à modifier un usage et à reconnec- ter ces endroits (du non-lieu au lieu ouvert), ce qui La politique américaine d’autorisation des cré- modifie la valeur d’échange. Ces installations ontdits hypothécaires, les «subprimes», se comprend donc des conséquences sur le mode de réalisationaussi par rapport au contexte d’étalement urbain de la valeur foncière. L’usage est légitimé en fonc-(«le sprawl»). Cet étalement urbain fut favorisé, tion du statut des «usagers» , la valeur d’échangecomme en France, par la décentralisation des com- découle donc d’effets institutionnels.pétences en matière d’urbanisme, mais aussi par ladésintégration (séparation en couches et privatisa- Les acteurs minoritaires produisent des nou-tion) des entreprises de réseaux. veaux usages, disqualifiés jusqu’à ce qu’ils puis- sent être récupérés et recyclés par les acteursCette politique industrielle renforça la for- majoritaires. Cette normalisation pouvant s’ac-mation de «gated communities» utilisant leurs compagner d’une nouvelle disqualification desvpirno1p5r)e.s normes techniques (Graham et Mar- innovateurs minoritaires, comme en témoigne la Le phénomène est plus marqué aux mode de la cabane design.USA qu’en France, mais l’utilisation croissante,y compris par les habitants de logements légerset mobiles, d’énergie et de fluides auto-produits,indique qu’il va se développer. Cet enchaînementà déjà fait l’objet de commentaires de la part degéographes critiques. Beaucoup moins nom-breux sont ceux sur des effets de cette désintégra-tion touchant les travailleurs nomades. L’espace urbain étalé et fragmenté, s’accompa- S.Bgna d’un développement de la sous-traitance, etde la renaissance d’une sphère du travail mobile 15-Graham, S. D. N. and Marvin, S. (2001) «Splintering urba-(les nomades du nucléaire sont les plus connus, nism : networked infrastructures, technological mobilities andmais pas les seuls), qui semblait résiduelle depuis the urban condition.», London : Routledge.les années cinquante. Ces salariés vont partici-per de la formation d’enclaves nomades dans les 17villes ou dans les campagnes, qui sont une des fi-gures d’un émiettement du territoire.14-Laurence Fontaine « Histoire du colportage en Europe . XV-XIX siècle», Albin Michel 1993.

Le monde «flottant» du travail mobile et de «L’habitat non ordinaire dans ces l’HNO est donc transversal à différentes sphères espaces est une modalité du loge- de la circulation et de la production. Une ap- ment périurbain hors institution- proche compréhensive de ces questions nous nalisation et hors marché de l’im- amènera aux dimensions culturelles de certains mobilier» usages, qui ne sont en rien détachées des évolu- tions économiques et urbaines : Elle peut d’ailleurs prendre la forme brutale, industrielle, du bidonville. Ainsi à Limay, juste A propos des aires de d’accueil instaurées par la après la porte fermée du site du port, on trouve loi Besson. Ces terrains à l’écart, cloturés, surveillés des terrains où s’entassent caravanes, Algéco, sont des espaces de relégation. Ils sont en outre matériaux industriels, camions. Ce campement absent des cartes. Invisibles sur les cartes papier est à l’entrée d’une rue, située entre la zone por- comme sur les cartes électroniques de Google ; tuaire et la zone industrielle, au croisement d’une alors que les parkings pour camping-car sont autre rue, dont les habitations évoluent des ca- mentionnés. Mais ce traitement spécial ne doit pas ravanes, puis de l’habitat mobile au milieu du faire perdre de vue que ces aires sont prises dans une pavillonnaire auto-construit, puis des logements urbanisation globalement enclavante. Les enclaves plus standards, avec encore des caravanes sur des ménages les plus riches ne sont pas sur les cartes des parcelles privées et clôturées. L’habitat non non plus et sont difficiles d’accès. Les municipalités ordinaire dans ces espaces est une modalité du autant que les multinationales fractionnent l’espace. logement périurbain hors institutionnalisation et uOrnbapineuqtufaeirEerricéfCérheanrcme eàsl1a6«acalunbablyissaétsiocno»mdmuepuénrie- hors marché de l’immobilier. conséquence de la mobilité. Le développement de la mobilité rompt les liens d’ancrage territorial Le lien entre péri-urbanisation et logements et tend à favoriser une approche consumériste mobiles passe aussi par les trajectoires ses personnes. des communes péri-urbaines. Celles-ci glissent Sur l’inventivité des zones péri-urbaines, peut-être vers une logique de club, la gestion d’un ensemble cfaeusd«ranito-milraedceosnsdiudévriedrel»es1t7yle. dLe’ovuievdraegsejeudneeFserarrnaçnotiss, d’aménités locales, réservées à une population plus Chobeaux pointe ce fait, la première vague des jeunes ou moins exclusive. Sous cet angle, les aires Besson errants était originaire des zones péri-urbaines, pas des relèvent de la même logique, à la différence prés que «quartiers sensibles» de barres et de tours. Dans ces les «consommateurs-usagers» sont des clients qui zones pavillonnaires, les jeunes en souffrance ou en n’ont pas le droit d’utiliser d’autres dispositifs, ils rupture sont isolés, alors ils partent pour retrouver constituent une clientèle «captive». d’autres jeunes comme eux, il n’ y a pas de possibilités de former une bande sur place. Grandir en zones Qu’en est-il des habitations légères et mo- péri-urbaines pourrait favoriser l’adoption de ce style biles, hors aires désignées ? Prenons l’exemple des d’habitat. La même remarque vaut pour les squats. abords de la Seine, entre Vernon et Mantes-la-Jo- Plusieurs travailleurs sociaux en Haute-Normandie lie. Une petite cabanisation, le long du fleuve peut et en Ile-de-France, nous ont signalé que les jeunes s’observer, imbriquant mobil-homes, bungalows français vivant dans les squats étaient le plus souvent et terrains familiaux de gens du voyage. Cette pré- originaires de lotissement pavillonnaires, très sence pose apparemment peu de problèmes, car rarement de la banlieue. En outre, la pratique de la berge Sud (il n’y a rien sur la berge Nord) est squats devenant plus difficile dans les centres urbains, coincée derrière la voie ferrée et la route, ce qui elle tend elle aussi à rejoindre les zones péri-urbaines la rend peu utilisable pour le tourisme ou la gen- (parfois dans les zones d’activité plutôt que dans les trification. D’autre part, la forte présence indus- espaces résidentiels). trielle surtout près de Jeufosse et Bonnières, exclut une utilisation d’agrément pour les ménages des 16-Eric Charmes «La Ville émiettée. Essai sur la clubbisation de classes moyennes. On peut faire l’hypothèse que, la vie urbaine », PUF 2011 dans cette région, la cabanisation voisine plus faci- 17-François Chobeaux 2004 « Les Nomades du vide », La Découverte. lement avec l’usage industriel du territoire.18

S.B Le Territoire et les «passagers». L’étude de ces questions impose de partir Le territoire est une convention : son décou-des pratiques. Pour le moment, il est difficile de page peut donner lieu à des contestations.produire des chiffres. Il nous faut donc sortir des Sur le plan économique ; la notion de territoirestatistiques : l’habitat «non ordinaire» et mobile implique une externalité partagée : soit une ré-ne peut être que sous-évalué, beaucoup (presque gularité de comportement entre ses membres :tous ?) de personnes déclareront une adresse une coopération productive, des échanges privi-(celle de leurs parents, d’amis, une boîte à lettres) légiés d’information, une confiance baissant lespour éviter les tracasseries administratives, qui «coûts de transaction» (modèle système produc-suivent le statut de SDF. L’augmentation des tif localisé). Elle suppose une représentation : lademandes de domiciliation administratives se- conscience d’un sort commun, le sentiment d’ap-raient donc un indicateur en dessous de la réalité. partenance, non exclusif. Cette représentation estL’habitat mobile est une réalité diffuse, en grande une carte liste de membres.partie invisible. Par exemple, cet entretien avecun chauffeur-livreur. L’homme travaille pour un Dans les conventions dominantes (aussi bientransporteur auquel un distributeur sous-traite politique que dans les différentes théories dudes livraisons de meubles, il livre pour plusieurs développement local d’ailleurs), on valorise l’an-fabricants. Il part de Bretagne, pour une tournée crage territorial, comme source de spécificité etd’une semaine, dans tout le quart Nord de la de légitimité. Les acteurs mobiles, ou dont l’an-France. Dans chaque ville de la tournée, il est aidé crage est léger, sont repoussés hors des territoirespar un manutentionnaire fourni par Manpower, comme des facteurs «génériques» voire «homo-souvent le même. Le soir il dort dans le camion, généisant». La part croissante du travail mobilele plus souvent dans la zone sécurisée autour de dans les processus productifs (production mo-l’entrepôt, très rarement dans les centres routiers. dulaire sur plusieurs sites par exemple) incite àEn fait, il dort dans le camion pour garder le char- revisiter cette vision de la construction des terri-gement. Il préfère se garer dans des enclaves pri- toires. Comme d’ailleurs la mobilité des habitantsvées, pour la sécurité. Il n’apparaîtra pas dans les du périurbain, en majorité des navetteurs, incite àstatistiques de l’habitat mobile, ni dans celle du adopter un point de vue métropolitain. Pour pro-tourisme via les hôtels ou les campings, et pour- duire ce qui fonde son attractivité, certains terri-tant l’habitat mobile est son quotidien. toires (villes portuaires, sites touristiques, plate- forme de production de machines spéciales ou de«...en 2007, 48 % des français productions modulaires, zones maraîchères etc.)pensaient qu’ils pourraient un ont besoin de l’activité de travailleurs itinérants.jour devenir SDF, 60 % deux ans Cette contribution à ce qui rend un territoireplus tard» spécifique est peu pris en compte, voire invisible, dans les cadres statistiques et cognitifs ordi- Avec toutes les précautions habituelles, on naires. Or, elle participe des mutations des villespeut néanmoins rappeler ces sondages (BVA) : contemporaines comme des espaces péri-urbainsen 2007, 48 % des français pensaient qu’ils et des campagnes. L’habitat non ordinaire peutpourraient un jour devenir SDF, 60 % deux ans et doit être pensé dans ce contexte global. Ce quiplus tard. Posons la question : dans quelle me- pose aussi la question des alliés que ces habitantssure, est-ce seulement une crainte de la grande doivent trouver pour se faire entendre, acquérirpauvreté et non pas une trace des changements une légitimité et faire valoir leurs droits.dans le mode d’habitat, que les cadres de repré-sentation dominants refoulent en les associantuniquement à l’exclusion ? S.B 19

L’habitat mobile : Cette discipline des corps fut normalisée au histoire d’un point que dans le courant du 17ème et du 18ème apprivoisement «siètrcalen,spmorétd»ecaiunrsegeitstpreodètuestroaussboleciéèmreonttiolnenmel2ot:Art 02 / il était la métaphore d’une énergie intérieure Gaëlla Loiseau invisible et incontrôlable obligeant l’individu à se mouvoir et/ou s’émouvoir. Le «transport» symbolisait une concordance impromptue entre l’âme et le corps, entendue comme étant pertur- bdaetrtircaens:psoirltessdeinjodiiev»id3u, sl’epxopurveassieionnt être victimes plus générale de «transport au cerveau» traduisait l’influence exercée par la circulation des humeurs ou or- ganes à l’intérieur du corps. Ainsi l’hystérie étaitP armi les multiples contraintes qui s’imposent à la maladie causée par le «transport intérieur» de l’habitat mobile, la plus efficiente demeure sans l’utérus dérangeant l’esprit. Tout comme l’ordredoute celle de sa symbolique avec laquelle ses parti- social, l’ordre organique condamnait la circula-sans doivent composer. Le défaut d’ancrage définitif tion d’éléments isolés.au sol et plus largement au territoire qu’induit cethabitat en fait un objet suspect aux yeux des autoch- Ces mécanismes sont encore bien en placetones. Or c’est bien la possibilité de déplacer à volon- dans la pensée du 19ème et du début du 20ème siècleté cet habitat et ceux qu’il abrite qui constitue le point lorsqu’il s’agit de qualifier l’errance des nommésde focale de ses usagers comme de ses détracteurs. Il «vagabonds» ou «gens sans aveu», décrits par lesen découle une tension (au mieux une conciliation) «maéudteocminastecsoammmbeuladteosir«esh»o4mmneesrémpaocnhdinaenst»quo’uàentre l’idéal de nomadisme et l’intervention pu- li’notridtureléede«lLeuarsdrpoumlsoimonasn.ieLadetshèdséegédneérmésé»d5ecsiynse-blique réprimant et orchestrant le déplacement et le tématisa l’approche pathologique de l’errance«placement» des populations concernées. conçue comme un symptôme de ce qu’on ap- pelait en psychiatrie l’«aliénisme» qui visait la 1 / Les «tares» de la mobilité. compréhension et le traitement moral de la dyna- mique «mortifère» de l’Homme.L a mobilité de l’Homme, entendue comme capacité à entrer en mouvement et à agirindépendamment d’un dictat collectif, estune donnée anthropologique fondamentale.Néanmoins cette dimension a été occultée dans lessciences humaines au profit d’une analyse portéesur les formes de coercitions des mobilités, qu’ellessoient individuelles, collectives, géographiques ousociales. Nous souhaitons dans cet article éclairer leslogiques qui sous-tendent le contrôle de la mobilitéhumaine afin de mieux cerner les représentationsauxquelles renvoie l’habitat mobile. En occident, la Renaissance a élaboré leconcept de «civilisation» à partir du modèle del’intériorisation du contrôle de soi qu’incarne«l’homme de cour» par opposition à «l’hommemédiéval» beaucoup plus pulsionnel. NorbertElias explique cette évolution par la confiscationde la possibilité pour les individus de se fairejustice eux-mêmes corrélée à la monopolisationdéteatli’qeuxee1rc. iCcee de la violence par l’organisation processus s’est accompagné d’unesuccession de transformations culturelles où lamaîtrise du corps, du geste et du verbe jusqu’aurefoulement des pulsions allait dorénavant dicter S.Bles relations sociales. 4-Terme employé par le Dr. Charcot en 1888 lors d’une 1-Norbert Elias, La civilisation des mœurs, Calmann-Lévy, de ses « leçons du mardi » à l’hôpital de la Salpêtrière 1973 (1ère édition allemande : 1939), Paris. pendant lesquelles il se plaisait à présenter et analyser le 2-Véronique Nahoum-Grappe, « Le transport : une émotion fonctionnement des vagabonds à ses étudiants. surannée », Terrain, n°22, « Les émotions », 1994, pp 69-78. 5-F. Dubourdieu, « La dromomanie des dégénérés », Thèse de20 3-Ibid, p 75. Médecine, Bordeaux, 1894.

C’est bien la force motrice du sujet dans son en- déplacements de ces travailleurs. Ils furent la pre-semble et sa difficulté apparente à la canaliser mière catégorie à faire l’objet d’un contrôle sys-qui est eEnncabuosnesetécqruiv’ailinfasu6,t soigner, du moins tématique de leurs déplacements du fait de leurapaiser. les psychiatres de appartenance. La mise en scène du vagabond parl’époque rapportent les propos mais aussi les les notables (médecins, juristes, écrivains…) audescriptions détaillées de ces sujets qui sont 19ème siècle fait office de contre-exemple dans unaussi parfois des personnalités publiques. Ainsi univers où la protection sociale des travailleursle Dr. E. Régis décrivit en 1910 la «dromomanie en est à ses balbutiements. L’énergie qu’il déploiede Jean-Jacques Rousseau», lequel s’était rendu pour se «mettre en marche» tout en étant décon-célèbre pour avoir prôné la supériorité de l’état necté du système de production fait de la figure du vagabond une ombre qui plane au-dessus de chaque ouvrier qui ne se conformerait pas à son rôle productiviste.de nature sur la «civilisation». Qualifié par lepsychiatre de «fugueur compulsif» et de «mé-lancolique persécuté» car incapable de fournirde motif autre que le «plaisir» ou la «beautédes paysages» pour justifier ses déplacements, lapersonnalité de Jean-Jacques Rousseau dévoile«un profond amour de la solitude, de la rêverie pa-resseuse, de l’indépendance et, par la suite, de la vieerrante et, tranchons le mot, du vagabondage. Le va- C’est dans ce contexte que les roulottes hip-gabondage chez lui est une passion. Il aime vivre au pomobiles vont se démocratiser. Associée auhasard. Apprenti greffier, graveur, valet de chambre, développement économique et à la promotionséminariste, employé au cadastre, maître de mu- des innovations sur le territoire national, la mobi-sique, on peut dire que, dans ses longs intervalles de lfirtaéndçeasisf9o. rAaiunjsoeusrtdt’ohuuti d’abord valorisée par l’Etatces diverses occupations, il devient volontairement, encore l’imaginaire collec-esotnaugtoaûnttdqoum’iilnpaenutt.», u7nLearrmanutl,tiupnlicchiteémdienesaeus. C’est tif se nourrit des ambivalences de l’économie li- com- bérale qui valorise l’esprit d’initiative et la concur-pétences professionnelles sert ici à étayer son rentialité qu’octroie la mobilité humaine, tout enaptitude instable qui constituerait sa qualité pre- condamnant son immoralité dès lors qu’elle estmière. Sa personnalité décrite selon les critères de détachée de motifs purement économiques.la «légèreté» est assimilée à une vacuité internequi le pousserait à se remplir compulsivement devoyage et d’expérience sensible. Ces carcans idéologiques trouvent leurs sou- 6-Juan Rigoli, Lire le délire. Aliénisme, réthorique et littératurebassements dans le contexte d’industrialisation en France au 19ème siècle. Fayard, Paris, 2001.de la société occidentale du 19ème siècle qui in- 7-Jules Lemaître (in Jean-Jacques Rousseau, Calmann-Lévy,troduisit une hiérarchie de valeurs autour du Paris 1907), cité par E. Régis, La dromomanie de Jean-Jacquesphénomène mécanique. La généralisation de la Rousseau, Paris, 1910, p. 6.machine-outil dans la vie des ouvriers engendral’adoption de postures et gestuelles répétitives 8-Arnaud Le Marchand, Enclaves nomades. Habitat et travailqui furent valorisées, car conditionnant l’accèsdu plus grand nombre au confort. Par ailleurs, mobiles, Editions du Croquant, 2011, p. 26.fl’uutrbdaeni«sattriaonnsfaourm1e9r èmdeessièpcalyesadnosnetnlasafloanricétsi»on8 9-Arnaud Le Marchand, op. cit., pp. 51-53.s’accompagna d’un phénomène de rupture avecles activités physiques de domestication de lanature telles que la culture ou l’élevage. La forcede travail se devait dorénavant de circuler sur leterritoire national pour y faire progresser l’éco-nomie capitaliste. La mobilité des ouvriers futdonc encouragée et légalisée dès 1803 par la créa-tion du livret ouvrier qui permit le contrôle des 21

2 / La mobilité à contre-courant : l’encadrementinstitutionnel des mobilesD ans l’histoire des représentations liées à la mobilité humaine, l’habitatmobile casse la vision mécanique associéeà l’errance, dévoilant la dimension organi-sationnelle et donc intentionnelle que sup-pose ce mode de vie. D’ailleurs, la notion dechoix est aujourd’hui au cœur des discoursqmuoibpilreô1n0e. nOtr,l’cu’essatglee de l’habitat léger et plus souvent avec desarguments naturalistes et écologistes queses protagonistes s’illustrent, non sans avoirrecours pour certains à l’idéologie du «re-tour à la nature». Cette exhibition d’une vieproche de la nature a pour effet de les rame-ner symboliquement aux marges de l’œuvrede «civilisation» à laquelle se vouent corpset âme les «classes laborieuses». Néan-moins, pour peu que «l’habitant mobile»soit prompt à développer ou mettre enscène des pratiques qui réhabilitent la mé-moire et le patrimoine local, la séduction «On a entendu cent mille choses parce qu’on n’avait pas l’électricité quand on est ar-peut un temps faire office d’acceptation par rivés, donc on était à la lampe torche : c’étaitles édiles locales. Ainsi, ce couple installéen camion chez un habitant et exerçant une l’trafic de drogue, c’était bon des trucs in- croyables quoi ! (…) Au début on était lesactivité d’artisan boulanger qui fait revivre improductifs quoi. On était là on produisaitl’ancien four à pain du village parvient às’attirer la sympathie d’une partie des villa- rien, on était un groupe on produisait rien, pour eux voilà. Et petit à petit, nous ça a été notregeois et peut aujourd’hui envisager l’achat démarche, tout de suite on a voulu aller vers lesd’un terrain pour continuer à vivre en ca-mion sur cette commune. D’autres, comme gens à l’extérieur, on n’a pas voulu s’enfermer dans notre lieu. Et donc on a été voir les pay-cet homme qui vit sur un terrain acheté et sans du coin (…). On a été voir les anciens duhabité par une dizaine d’adultes (les uns encamions, les autres en yourtes) témoigne village. On est arrivés on a fait un peu de trac- tion animale, y’a des gens qu’on n’avait jamaisqu’une des motivations exprimées au maire vus qui sont venus nous voir parce que ça les afut la restauration du hameau situé sur leurterrain. Par la suite, des stratégies du même interpellés quoi. Y’a des vieux ça faisait 40-50 ans qu’ils avaient pas vu ça. Ils sont venus ilsordre ont été déployées à l’égard des habi- ont voulu cartétéraupnerlilean…cha»rr1u1e quoi ! Voilà et dutants du village : coup ça a 10-Je fais ici référence aux nombreux débats toujours en cours notamment au sein de l’association HALEM (association des habitants de logements éphémères et mobiles), partageant les promoteurs de «l’habitat choisi» (par opposition mécanique à «l’habitat subi») des défenseurs de «l’habitat mobile» en toute circonstance. 11-Témoignage récolté lors de l’atelier «motivations sociales des habitants» à l’occasion de la journée du 22 mars 2012 organisée par l’association RELIER à St Affrique.22

Ce travail d’auto-médiatisation ne suffit pas Pendant les deux premières guerres mondialespour autant à esquiver la mécanique légaliste que des politiques de «neutralisation» sont mises enles services de l’Etat assènent par voie de cour- œuvre afin de maintenir «hors de nuisance» cesriers aux intéressés comme aux élus locaux. Il n’en populations nomades (relégation hors des com-demeure pas moins que la stratégie qui opère le munes et départements, assignation à résidence etmieux actuellement pour légitimer ces formes réclusion dans des camps d’internement).d’habitats est bien celle de la patrimonialisation. Pendant les deux premières guerresLes populations tsiganes ont subi un pro- mondiales des politiques de «neutra-cessus similaire qui consiste en une forme lisation» sont mises en œuvre afind’appropriation publique, au nom de l’inté- de maintenir «hors de nuisance» cesrêt général, d’un pmaonbsilaiitléla12n.t et dérangeant de populations nomadesleur identité : la En effet, entre lafin du 19ème siècle et les années 1980, une suc-cession de mesures ont conduit à une forme de Parmi les éléments de contexte intéressants de«réhabilitation» de la catégorie ethnique dé- l’après seconde guerre mondiale figure l’émergencesignée aujourd’hui sous le vocable «gens du du mouvement hygiéniste, qui incitait les citadinsvoyage». Le nporomcaedsseusseftutBeonhgéamgéienpsareunn1r8e9c5en13- à se «régénérer» en allant s’imprégner ponctuel-sement des lement des bienfaits de la nature (apparition dudont lc’albasosuiftiicsasteimonenjturifduitqueen141d9i1s2tinguunaentprlees- scoutisme et du camping sauvage). Parallèlement, lamière société civile, s’indignait à travers ses mouvements«bons» itinérants pouvant justifier de la na- caritatifs, des conditions de vie des populationstionalité française ou d’un domicile fixe, et les tsiganes à l’heure où l’accès au confort ménager semblait acquis. Un travail de réhabilitation sociale s’opéra alors progressivement, aidé des mouve- ments d’obédience catholique puis évangélique qui prônèrent l’émergence d’un peuple uni et ras- semblé autour d’une valeur commune qui est celle du nomadisme. Les politiques, dans les années 1970, vont décliner cette valeur à partir du mot «voyage» qui va connaître un franc succès tout au long des années 1980-1990, notamment parce qu’il établit un rapprochement aevtedcult’ouunrivisemrse1ra5s. surant des loisirs, de la découverte«mauvais» caractérisés par le «manque» d’acti- 12-Pour plus de détail sur ce processus, cf. Gaëlla Loiseau,vité économique reconnue comme telle, de do- « Maintenus dans leur ethnicité au nom de l’ordre public. Lemicile fixe voire de la nationalité française. Ces cas des « gens du voyage » », in C. Crenn et L. Kotobi (dir), Duderniers dénommés «nomades» (par opposition point de vue de l’ethnicité, pratiques françaises, Armand Colin,aux plus valeureux forains et commerçant ambu- 2012, pp. 157-174.lants qui entrèrent dans la première catégorie) se 13-Ce recensement distingua, sur 400 000 «itinérants»,virent contraints au port obligatoire des carnets «25 000 nomades en bandes voyageant en roulottes ».anthropométriques qu’ils devaient faire viser au- 14-Loi du 16 juillet 1912 imposant le port des carnetsprès des forces de l’ordre à chaque déplacement. anthropométriques aux nomades.Cette loi détermine les modalités d’identification 15-Par opposition au mot «nomade» de la loi du 16 juilletet de contrôle de ces «illégitimes» créant ainsi 1912 qui établissait un amalgame avec les migrants n’ayantles conditions de leur irrégularité sur le terri- pas la nationalité française.toire. Notons, puisque nous sommes au cœurdu sujet, que la roulotte hippomobile fut dans 23ce cadre le premier véhicule à devoir porter uneplaque d’immatriculation. L’habitat mobile de-vint alors la marque visible de l’appartenance àune catégorie officiellement désignée comme«criminogène» : une catégorie sociale à «cerner»,donc à stabiliser en vue de sa transformation....une succession de mesures ontconduit à une forme de «réhabilita-tion» de la catégorie ethnique dé-signée aujourd’hui sous le vocable«gens du voyage».

Entre temps le statut accordé à la nature était Bien que l’habitat traditionnel évoqué dans ce passé de celui d’un territoire menaçant nécessitant texte renvoie à un objet de l’industrie du tourisme conquête et maîtrise à celui de ressource partagée que les Tsiganes se sont réappropriés au moment avec laquelle composer et à préserver. Les touristes du passage à l’automobile, la caravane est deve- continuèrent leur émancipation en gagnant pro- gnauneel1e8.syLm’idbeonlteitréépduesblGiciatiannsd,eMl’aapnpoaurctheensa,nRceomtssi-, gressivement les sites naturels «sanctuarisés». Dès Yénish et Sintis vivant en France dans un habitat les années 1990, l’opinion publique dévalue la pré- mobile a connu une sorte de régénérescence à tra- sence ponctuelle des installations de caravanes de vers cette appellation dont la principale vertu est la gens du voyage à partir de leur impact écologique reconnaissance d’une façon singulière et culturelle négatif. Les camping-cars des touristes subirent le de vivre le rapport au territoire national. Depuis même traitement à partir des années 2000, à ceci 1990, un soutien important de l’Etat a été déployé près que les aires dédiées à leur installation tempo- pour légitimer ce mode de vie dans la sphère pu- raire connurent un deesssogrefnuslgduuranvto,ycaogne1tr6a.irLe’mauetnot- blique ; au prix d’une forte homogénéisation des aux aires d’accueil équipements labellisés pour son exercice. nomie de ces habitats légers s’est développée, en réponse aux envies d’évasion et de «déconnection» La résistance des édiles locales à la construction des usagers que sont majoritairement les touristes. de ces équipements d’accueil des gens du voyage est A tel point qu’aujourd’hui, ce n’est plus tant sur l’ab- encore une réalité qui freine lourdement la réhabili- sence ou l’aspect sommaire du raccordement aux ré- tation dont nous venons d’exposer le processus. Les seaux publiques que l’opinion s’émeut à la vue d’un aires construites sont souvent situées aux limites du campement spontané de gens du voyage, mais da- territoire communal, à l’encontre des règles d’ur- vantage sur l’atteinte à l’environnement constatée à banisme visant à lutter contre le «mitage». Par l’oeil nu (déperdition d’eau lors des raccordements ailleurs, l’ultra-urbanité de ces lieux apparaît comme spontanés aux bornes incendies, dépôt de déchets vuennetfaacçcoonlédaeucxovnojuyraegrelu’értsa1t9.«sauvage » qui est sou- naturels ou de gravats issus de leurs activités, mais aussi de déjections humaines). Par ailleurs, l’image du touriste qui «profite» est régulièrement mo- bilisée par ceux qui dénigrent les gens du voyage. J’en veux pour exemple ces élus qui se complaisent à rappeler que les gens du voyage possèdent des «terrains» voire des «maisons», y voyant le signe d’une «entourloupe». La mémoire de ce maire qui refusait en 2009 d’ouvrir son aire de grand passage au motif que le groupe comprenait des véhicules immatriculés dans son département est encore le signe que le voyage est une injonction forte qui leur est faite, injonction souvent associée à un «choix» qu’ils doivent «assumer». Il faut attendre la loi du 5 juillet 2000 rela- 16-Dans un rapport du conseil national du tourisme édité tive à l’accueil et l’habitat des gens du voyage en 2008 (G. Leduc, L’impact du développement du camping- pour voir la catégorie «gens du voyage» définie car, Ministère de l’économie de l’industrie et de l’emploi), il dans un article de loi : d«eperréssoidnennecsesdomntobl’ihleasb»it1a7t. est indiqué que la France comptait environ 3 400 aires de traditionnel est constitué stationnement et de services. 17-Article 1er de la loi Besson du 5 juillet 2000.24 18-Ce qui n’était pas le cas aux débuts de la réglementation concernant l’installation des caravanes. En effet, le décret du 11 janvier 1972 ne distinguait pas les vacanciers des gens du voyage. 19-Cette vision est à rapprocher au fait que les gens du voyage parviennent à s’accommoder de l’absence récurrente de possibilité de raccordement aux réseaux publics (eau, électricité, assainissement…) en déployant (pour l’eau et l’électricité) des solutions d’autonomisation.

Esthétiquement, les aires d’accueil des gens duvoyage produisent l’effet inverse du jardin dans laville. La dissonance de ce parc urbain posé au cœurd’un cadre de nature ne laisse pas indifférent et rendparfois difficile son appropriation non seulementpar les usagers mais également par les collectivitéselles-mêmes. On peut dire que la séparation (géo-graphique, humaine et sociale) y est de rigueur,étayée par les discours égalitaristes qui prônent lesacro-saint droit commun pour refuser la mise enplace d’actions socio-éducatives sur ces sites, ar-guant de leur effet néfaste sur l’équité républicaine.Dépourvues de toute espèce d’attractivité (si cen’est l’accès aux réseaux publics) ces aires dédiéesà l’exercice du mode de vie en habitat mobile de-viennent parfois des poches de non-mobilité, pourne pas dire des «culs-de-sacs» sociaux. La pénuriede ces équipements sur l’ensemble du territoireconjuguée à la menace d’expulsion qui pèse sur lesfamilles en dehors de ces sites aménagés génèrentdes stratégies d’appropriation des aires d’accueilpar certaines familles (paiement d’emplacementslaissés vacants le temps d’un déplacement car ne reconnaissance publique des gens du voyage s’opèrevoulant pas se retrouver sans solution d’accueil à sur les inventions des Gadjé pour les contrôler. Mêmeleur retour, transmission d’emplacements au sein si les Tsiganes s’en servent pour communiquer au su-d’un même groupe, occupation annuelle des aires jet de leur présence et de leur distinction des Gadjé,par celles n’ayant plus les moyens ou l’énergie de c’est moins dans l’habitat que dans le mode de viepratiquer le voyage…). Lorsque la présence tsi- stricto sensu que l’on déniche les dimensions cultu-gane ne se renouvelle pas, lorsque la circulation n’a relles les concernant. Les aires d’accueil, comme lesplus sa place sur ces aires, les pouvoirs publics s’en caravanes, sont des éléments exogènes qui «circu-mêlent en réactivant la mobilité comme principe cleonmt»podsaennst.lePuartruicnkiveWrsi,lldiaumms2o1innsouavsecraplepseqluleelsquilesconditionnant l’existence de ces lieux. C’est en cela les Manouches offrent un autre modèle de patri-que l’aire d’accueil est bien le terrain des «Gadjé» : monialisation que celui des Gadjé. Plutôt que deelle est voulue, conçue, construite et gérée par eux. fixer dans le paysage ou la mémoire collective desLa présence tsigane sur ces aires est un compromis. éléments emblématiques de leur identité ils en préfè-Un compromis temporaire ? Nous savons que bien rent la destruction afin de conjurer le détournementqu’une partie des Tsiganes esquive ces lieux quand d’usage dont ils pourraient faire l’objet. La caravanesilasglees2p0euovuenl’th, iqvuere ce soit l’été avec les grands pas- ou la verdine qu’ils utilisent tout au long de leur vie ne sur des terrains privés. Les aires devient vraiment «objet manouche» qu’au momentd’accueil ne détiennent pas le monopole de la où elle est brûlée par l’entourage du défunt à qui elleprésence tsigane dans le monde des Gadjé. Parce appartenait. Plus qu’un objet culturellement codé,qu’elles fonctionnent selon un principe exclusif l’habitat mobile est un réservoir d’intimité qu’il faut(qui va à l’encontre de la logique égalitariste répu- apprendre à contenir, tout en l’aérant, sans jamaisblicaine), elles participent d’une forme de mise en négliger le regard d’autrui qu’il convoite en perma-scène et de visibilité tsigane assortie à la motorisa- nence. Ceux pour qui l’habitat mobile relève d’untion de leur mode de vie entamée dans les années choix et non d’un héritage collectif (comme les gens1960. Le fait que les camping-caristes subissent au- du voyage) vivent de plein fouet ce revers de l’expo-jourd’hui le même sort vient questionner l’impact sition au «grand public». Il n’est pas exclu que la va-symbolique qu’induit la vue de ces habitats «décon- leur et l’importance qu’ils accordent à la dimensionnectés» ou «autonomes» dans le paysage. du «choix» dans leurs discours procède avant tout d’une stratégie de retournement du stigmate associé Alors que la mobilité est une valeur, voire une réa- à ce mode de vie, indépendamment des motifs quilité choisie par certaines classes sociales plutôt élevées ont conduit à l’adopter. Il en ressort, dans tous les cas,de notre société, la légitimation de l’habitat mobile un positionnement fort de l’individu face à la normepasse par des cadres figés construits à partir du mo- et des stratégies de défense et de revendications qui sedèle du «parc» dont la fonction muséologique (ou construisent aussi collectivement.ghettoïsante) ne se prête pas toujours à la fluidité, dumoins la réactivité, inhérente au mode de vie nomade. 20-Cf. Gaëlla Loiseau, Les grands passages. Une formeLa patrimonialisation opérée sur le mode de vie des d’itinérance alternative à la spatialisation des gens du voyage,«gens du voyage» consiste pour le moins en une Le sociographe, 2009/1 (n° 28), pp 13-26.fausse reconnaissance et peut être suspectée de déné- 21-P. Williams, Nous on n’en parle pas. Les vivants et les mortsgation dans la mesure où elle ne s’incarne que dans ce chez les Manouches, Edition de la Maison des sciences dequi limite l’exercice de leur mode de vie (les titres de l’homme, Paris, 1993.circulation ou les aires d’accueil). L’identification et la 25

Art 03 / Habiter, 2-Extrait du décret 2007-18 du 5 janvier 2007 Dispositions la forme relatives à l’implantation des habitations légères de loisirs, et le fond à l’installation des résidences mobiles de loisirs et des caravanes et au camping. Sous-section 1 « Habitations Etienne Alriq légères de loisirs » Art. *R. 111-31. - «Sont regardées comme des habitations légères de loisirs les constructions M algré une définition qui nous semble com- démontables ou transportables, destinées à une occupation mune, certains mots peuvent perdre, dans temporaire ou saisonnière à usage de loisir». Art. *R. 111-32. leur usage courant, leur sens étymologique et mener - Les habitations légères de loisirs peuvent être implantées : àliquuneedinutmeroptr.é1tCateiottnebinetaeurcporéutpatpiolunsdliéépeeànldadsyeml’hbios-- 1. Dans les parcs résidentiels de loisirs spécialement toire de chacun et ne peut être comprise par autrui aménagés à cet effet ; que s’il est amené à essayer de comprendre l’autre 2. Dans les terrains de camping classés au sens du code dans sa culture, son vécu, ses émotions. Ainsi, dans du tourisme, sous réserve que leur nombre soit inférieur «habitat léger», les deux termes employés, «ha- à trente-cinq lorsque le terrain comprend moins de 175 bitat» et«léger» peuvent chacun d’eux porter à emplacements ou à 20 % du nombre total d’emplacements confusion et s’avérer être un joyeux support de dia- dans les autres cas ; logues de sourds. Chacun brandit sa revendication, 3. Dans les villages de vacances classés en hébergement léger se faisant parfois entendre et plus rarement com- au sens du code du tourisme ; prendre. Cependant, il est important de comprendre 4. Dans les dépendances des maisons familiales de vacances qu’aujourd’hui, seul l’habitat léger pris dans le sens agréées au sens du code du tourisme. Si l’habitation légère dsoeulsociseirrteasint erseccoonnnduitieotnrsé2g. lDeme emnêtémpea, rlalaprloéfie, cettucree de loisirs est implantée dans un camping (dans les limites du des Pyrénées orientales annonce sa définition de quota fixé par l’article R. 111-32 du Code de l’urbanisme), la cabanisation dans une lettre datée du 31 octobre et dans un PRL ou un village de vacances (sans quota), la 2006 intitulée :co«nctrhealratecadbeabnoisnantieonco»n3d.uEitne,rédsaunms éle, déclaration préalable ne sera nécessaire que si la SHON cadre de la lutte (Surface Hors d’Œuvre Nette) de l’habitation de loisirs est il est clairement écrit que toutes les constructions il- supérieure à 35 m². En deçà, aucune formalité n’est requise. licites d’habitations, qu’elles soient légères, mobiles (sauf si la durée du stationnement sur un même lieu «Certains qualifient ces maisons de rudimen- ne dépasse pas 3 mois), en dur ou autres sont consi- taires et précaires, d’autres osent dire que c’est de dérées comme des cabanes. Ainsi, le regard et les la non-architecture basée sur la non-fondation» commentaires de nos institutions s’imposent petit à petit dans les discours populaires et tendent à stig- Christian Lagrange, Habitat plume matiser ces types d’habitats sans prendre en compte «Les gens ne font pas la différence les dimensions et les valeurs humaines qui sont à la entre la simplicité et la précarité» source de ces installations dites «illicites». Jérôme, ancien habitant sous yourte «Peut être que je suis marginal, j’en sais rien, mais en tous cas «marginal» ne veut pas dire « mauvais » ou «individualiste»   David, habitant en caravane «Parfois ils sont SDF, et n’ont qu’un bout de carton en guise de «toit». C’est important de mesurer qu’il y a aussi cet aspect dans le loge- ment HLM . Il faut pouvoir supporter d’être exclu : ce n’est pas tout le monde qui peut ac- cepter/supporter cela» Mireille, acteur social 1-Fregel, en 1892, distinguait dans le mot symbole : 3-«La cabanisation consiste en une occupation et/ou · Le sens (Sinn). Le sens est l’expression ou la proposition, une construction illicite servant d’habitat permanent ou c’est la signification, la pensée exprimée, il peut être occasionnel. Elle se matérialise par une réappropriation commun à plusieurs personnes. et/ou une extension de cabanons traditionnels et par le · La référence (dénotation, Bedeutung). La référence est stationnement, sans autorisation, de caravanes ou de mobil l’objet désigné, ce qu’une expression linguistique désigne. homes auxquels sont ajoutés terrasses, auvents ou clôtures. » · La représentation (Zeichen). La représentation est une unité mentale subjective et individuelle.26

A partir de là, comment arriver à définir, qualifier, certains cas, souligner certains dysfonctionne-voire nommer notre habitat, pouvoir vivre ou habi- ments ou désaccords vis-a-vis de la société. D’oùter dignement en fonction de notre nécessité et/ou les thèmes principaux récurrents que suscite la ré-de notre éthique et faire accepter nos différences ? A flexion et le débat sur les tentatives d’habitat léger :quels éléments faisons-nous référence quand nousparlons d’habitat léger : abordons-nous la probléma- 1 / L’alternative de vietique par la notion de poids, de coûts, de matériaux,d’empreinte écologique, de durée de vie, de symbole, C ertaines personnes ne se retrouvent pas dansde confort, de texte juridique ? Où parle-t-on de la le fonctionnement de la société et cherchentplace de l’individu qui y habite et de ses raisons per- à obtenir leur liberté d’habiter, de penser et d’êtresonnelles ou sociales ; où mettons-nous en avant la en correspondance avec leur éthique de vie.sensibilité humaine et son rapport avec le lieu ? Lais-sons certains d’entre-eux nous expliquer leur choix. «On rejette le fonctionnement de la société, nous ne souhaitons pas participer «Nous avons choisi les yourtes car à ce fonctionnement. Cela ne veut pas dire c’est léger et facile. C’est le temps de que l’on rejette les gens » construire l’écohameau.» Habitant sous yourte. Collectif «Vivre ensemble» «Cet habitat est mobile dans le sens où «C’est leur choix de vivre en roulottes, il évolue dans le temps et dans l’espace. ils ne dérangent personne. Qu’est ce qui Mobile également dans le sens que si ça dérange tant les gens ? Peut être l’aspect de marche plus à un moment donné, on peut liberté, la peur de l’inconnu ; alors que les partir et le faire ailleurs.» gens sont dans leur petit carré.» Alexa, photographe HLM Estelle, acteur social «La vie est un cercle. Nos tipis sont ronds «Autrefois certaines personnes vi- comme les nids d’oiseaux, Mais un homme vaient dans du carton et ce n’était pas blanc nous a confinés dans des petites par choix !! Alors qu’aujourd’hui des boîtes carrés qui sont néfastes car aucune gens choisissent de se passer de certains puissance ne se dégage d’un carré» conforts pour vivre simplement !! Ce n’est Chef noir, chaman des loakotas pas compréhensible par les anciens tout et des sioux Oglalas ça ! Eux qui ont tout fait pour améliorer leurs lieux de vie, aller vers le progrès !» «Le fait de vivre en cabane nous a permis à tous de mettre en place Parole d’élu des projets avec peu de moyens. Et surtout cela nous permet de vivre D’autres se retrouvent obligés, compte tenu de la plus proche de nos envies» spéculation foncière et d’une offre de logement (location ou vente) trop restreinte, de dévelop- Habitant de cabane per des alternatives à la propriété foncière et au droit à construire pour installer leur structure de vie (travail et habitat) et monter leur projet de vie en lien avec la société. Ces quelques témoignages font ressentir, au «l’HLM est un très bontravers de leurs différences, ce que peut apporter moyen d’accueillir des gens ;le fait de s’installer dans un habitat léger. Hormis des gens justement différentsles différentes nominations énoncées ci-dessus, qui sont ici pour vivre et déve-qui soulignent la diversité des aspects de «la ca- lopper des projets. Pas commebanisation» : yourte, tipi, cabane..., chacun ex- ces résidences secondaires !»prime au travers de son habitat, ses aspirations Habitant sous yourteet/ou ses besoins de vie et qui peuvent, dans 27

2 / La temporalité du construit : 3 / Le rapport à l’écologie le nomadisme, l’éphémère C e choix d’habiter autrement, voire même deD ans nos sociétés sédentaires, l’homme a petit façon illicite, n’est pas toujours pensé et vécu à petit créé une société qui génère un fonc- par ses occupants comme un projet uniquement in-tionnement et suscite une manière d’habiter lié a ce dividuel, il peut aussi être utilisé comme un moyenprincipe. Ainsi, notre acte de sédentarisation est-il de transmettre l’exemple par le vécu, d’une autre fa-réellement fondé ou bien subi par la pression d’ap- çon de voir le monde et de sensibiliser notre sociétépartenir à la société et d’avoir un statut, une adresse, de consommation aux nouveaux enjeux d’écologie.un habitat conçu à l’image de ce système de vie ? En dénonçant les surconsommations lié a notre façon d’habiter et en proposant, par l’expérimenta-«La société sédentaire n’accepte pas les tion ou pas, des alternatives de vie et d’habitat plusgens qui ont la bougeotte. Il faut une adresse respectueuses de notre environnement, certainspour faire des papiers, pour chercher du tra- pensent pouvoir faire émerger et divulguer unevail, ou pour ne pas finir en garde a vue. Au conscience et une réflexion collective permettantXIX ème siècle, certains nomades se voyaient d’affiner notre relation vis à vis de la nature :internés de force. Aujourd’hui, les nomadessont toujours très mal perçus par la popula- «En vivant comme ça, on est ention sédentaire. Je ne suis pas riche, mais j’ai ce accord avec nos valeurs, on est plusqui coûte le plus cher : le temps et la liberté ; et proches de la nature, on sait ce quecela n’a aucun prix» l’on consomme, on réduit nos déchets, Ian Hacking 4 nos consommations et on est heureux comme ça ! On est pas précaire ! Au «Une yourte c’est provoquant pour les lois contraire on est très riche de pouvoircar c’est un vrai habitat et en même temps ça faire ça !»n’en est pas un, car c’est facilement démon-table; ça nous donne de la liberté.» Habitant de cabane «Il y a une incompréhension ré- Collectif Vivre Ensemble. ciproque entre les gens : les gens qui vivent en cabane ne comprennent De même, à certains moment de leur vie, pas pourquoi on les interdit de vivre des personnes sentent le besoin ou la nécessité écolo, avec une faible emprunte sur de vivre provisoirement dans des habitats qui le sol alors qu’à côté on autorise des leur permettront de répondre ponctuellement constructions abominables !» à ces instants de vie. Ça peut-être un acte poé- tique, une expérience de vie, un habitat provi- Parole d’élu soire de chantier ou d’événementiel. Il est bon de savoir que cet habitat communément appelé 4- Ian Hacking «Les fous voyageurs, les empêcheurs de penser «éphémère» peut être exceptionnellement ac- en rond» cepté par la loi si l’usager en fait une demande 5- Construction précaire : une construction soumise à d’autorisation auprès de la mairie. Il portera alors formalité au titre du code de l’urbanisme, qui ne satisferait tleiosnnsotemmspdoeraciroens,stcrouncsttirouncstipornéscsaairiseos,nncoiènrsetsr.u5c- pas aux dispositions législatives et réglementaires relatives à l’utilisation des sols, à l’implantation, la destination, la «L’HLM c’est souvent nature, l’architecture, les dimensions, l’assainissement et à une étape de vie. Ça peut l’aménagement des abords, ou qui ne serait pas compatible prendre plusieurs années, le avec une déclaration d’utilité publique (DUP) (L.421-6 temps de prospecter, de se du code de l’urbanisme), peut exceptionnellement être construire.» autorisée à titre précaire. Construction temporaire : en application de l’article L.421-5b du code de l’urbanisme, Parole d’élu certaines constructions sont dispensées de toute «La cabane permet l’expérience de formalité au titre du code de l ’urbanisme en raison de la soi, transformera les caractéristiques faible durée de leur maintien en place ou de leur caractère fortes du milieu en atout. Elle permet de temporaire compte tenu de l’usage auquel elles sont révéler et vivre les forces du lieu» destinées. Constructions saisonnières : sont considérées Mickaël, constructeur généreux comme des constructions saisonnières les constructions d’habitat éphémère. qui sont destinées à être périodiquement démontées et28 réinstallées. En application de l’article L.432-1 du code de l’urbanisme. Pour plus de renseignements, se référer au site http://www.extranet.nouveaupermisdeconstruire.gouv. fr/7-12-permis-precaires-a1330.html

4 / La nécessité d’avoir S.B accès à un toit C omme on vient de le voir, la thématique deD’autres encore, les plus démunis, ont été ex- l’habitat léger est vaste et touche beaucoup clus malgré eux du système et cherchent à de catégories sociales qui vivent elles aussi danslsaurfovinvdreateionndAéfbebnédaPnietrlreeu6r«dlreoditerànsieerlroegceenr.seSmeleonnt des contextes complètement différents. Il est dif-de la population (2006) dénombre 85 000 personnes ficile de vouloir en faire une approche générali-recourant à des formes d’habitat atypiques» telles sée. De fait, fréquemment, quand on aborde laque caravanes immobilises, baraques de chantier, notion d’habitat léger, on l’ aborde souvent parmobil-homes implantés dans des campings (...). la dimension de l’habitacle et de son impact vi- suel. On y exclut au premier abord la dimension «Je n’avais pas conscience de l’ampleur cachée et intime des habitants, la vie qui s’y créede la misère en France. Tous les lieux où mes et le rapport qui existe entre cet habitat, l’habi-collègues m’ont amenée pour faire le tour tant et son environnement. Il est important quedes accueils et des structures, ça m’a boule- ceux qui stigmatisent ce type d’habitat com-versée. On ne croise pas cette précarité-là si prennent qu’ils stigmatisent des façons d’habi-ponlunpearrtendturetepmapssd, aonnsnceerfataitinqsueenpdarsosietrs..»L7a ter et non pas uniquement un mode d’habitat. Il est grand temps de remplacer la question de Sylvie, infirmière «l’habitat», qui généralise, par la notion de «l’habiter», qui personnifie et humanise : on«La tente n’est pas une solution, mais là parlerait enfin de l’essence même d’un projet etau moins on est à l’abri du vent. Le premier non plus principalement de la texture et de lasoir je me croyais dans un petit appart, t’en- forme de nos façades qui ne sont que des moyenslèves tes chaussures, le pull-over, tu dors avec d’abriter nos différents projets de vie.un seul duvet. On est chez nous, c’est privé,c’est notre domicile maintenant.» 6-L’Etat du mal-logement en France 16ème rapport annuel , 2011 Parole de SDF8 7-Parole issue d’un article d’Aurélie Champagne «Schizophrénie, dépression, addiction : regards croisés de SDF et d’infirmières en psychiatrie sur ce que la rue fait au mental » paru dans le Nouvel Observateur 03/03/2011 8-Parole issue du mémoire de Camille Bossu : «Les sans domiciles fixes à Paris » 29

Art 04 / Les chiffres Parmi les 685 000 personnes souffrant d’une du mal-logement absence de logement figurent également toutes celles qui ont recours à des formes d’habitat Fondation Abbé Pierre extrêmement précaires : baraques de chantier, logements en cours de construction, locaux Extrait du Rapport 2012 sur l’état agricoles aménagés… En 2006, le recensement du mal-logement en France de la population indique que 85 000 personnes résident dans ces «habitations de fortune», qui 3 ,6 millions de personnes non ou très mal lo- renvoient pour les trois quarts à des construc- gées, plus de 5 millions en situation de fragi- tions provisoires ou des mobil-homes (sans lité à court ou moyen terme dans leur logement... possibilité de mobilité). Le recensement de la La problématique du mal-logement recouvre des population a permis également d’établir à 38 000 le nombre de personnes vivant à l’année dans des chambres d’hôtel le plus souvent dans des conditions d’habitat très médiocres (ab- sence de sanitaires, aucune installation permet- tant de faire la cuisine…). réalités diverses (sans domicile et absence de lo- Parce qu’elles n’ont pas les moyens financiers gement personnel, mauvaises conditions d’habi- tat, difficultés pour se maintenir dans son loge- pour accéder à un logement indépendant, de nombreuses autres personnes sont enfin héber- ment...), que la Fondation Abbé Pierre cherche gées chez un parent, un ami ou une connaissance. à mettre en lumière dans un état des lieux chiffré. Si un certain nombre de situations demeurent D’après les résultats de l’enquête Logement de 2002 (le module «hébergement» a été supprimé encore trop méconnues, faute de données exis- de l’ENL 2006 mais devrait être réintégré lors tantes ou suffisamment fiables (problématique des «squats», difficulté à estimer le nombre de de l’ENL 2012), l’Insee indique qu’un «noyau dur» de 79 000 personnes âgées de 17 à 59 ans personnes vivant en bidonvilles ou en camping résident chez des ménages avec lesquels elles à l’année, question de la mobilité et des trajec- toires...), la Fondation Abbé Pierre tient à sou- n’ont aucun lien de parenté direct. Il convient pour la Fondation Abbé Pierre d’ajouter à ce ligner des progrès statistiques récents (exploita- «noyau dur» tous les enfants adultes contraints tions des résultats du Recensement général de la population et de l’enquête nationale Logement de revenir chez leurs parents ou grands-parents, faute de pouvoir accéder à ld’aeutpolunsomdeie2r5ésaindse)n6-, de 2006, réexploitation des résultats de l’enquête tielle (soit 282 000 enfants Logement de 2002, identification des doubles comptes entre les différentes rubriques de popu- ainsi que les personnes âgées de 60 ans ou plus, qui sont hébergées chez un tiers suite à une rup- lations mal-logées, etc.). Ces progrès doivent être ture familiale, un deuil, des difficultés financières poursuivis dans les années à venir, conformément aux préconisations du Conseil national de l’infor- ou de santé (soit environ 50 000 personnes). Au total, ce sont donc 411 000 personnes qui sont mation statistique(CNIS) ednanjusilsleotn2r0a1p1p1o. rt sur contraintes à l’hébergement chez un tiers, faute «Le mal-logement» publié de solution de logement adaptée à leurs besoins. 3,6 millions de personnes non 1-Afin d’améliorer l’état de la connaissance publique sur le ou très mal logées mal-logement, le Conseil national de l’information statis- tique a mis en place un groupe de travail en juillet 2010 avec Parmi les 3,6 millions de personnes confron- les services producteurs de données, chercheurs, acteurs tées à une problématique aigüe de mal-logement et associations concernés par la problématique du loge- on recense tout d’abord 685 000 personnes pri- ment. La Fondation Abbé Pierre y a participé activement. vées de domicile p2e0r1so12n,nle’Il.nDseaenessutinmeepàub1l3ic3at0io0n0 2-Pierrette Briant, Nathalie Donzeau, Insee première datant de janvier n° 1330, « Être sans domicile, avoir des conditions de loge- le nombre de personnes sans domicile en France ment difficiles », janvier 2011 métropolitaine au début des années 2000. Parmi 3-Centres d’hébergement et de réinsertion sociale, éta- elles, 33 000 personnes dorment habituellement blissements d’accueil mère-enfant, centres dédiés aux dans un lieu non prévu pour l’habitation (rue, abri demandeurs d’asile… de fortune) ou des centres d’hébergement d’ur- 4-Logements ou chambres conventionnés à l’ALT en gence ; 66 000 psoecrsiaounxnedsesloonntgascécjuoeuirll3ieestd3a4ns0l0e0s places d’urgence ou de plus longue durée, hors établis- établissements sements sociaux. personnes dl’aaindsedaeuslodgisepmoesnittiftsemd’phoébraeirrgee(mAeLnTt)f4i-. 5-Ne sont pas intégrées ici les résidences sociales issues nancés par de la transformation des Foyers de travailleurs migrants et La Fondation Abbé Pierre y ajoute une partie des de Foyers de jeunes travailleurs. personnes accueillies dans les résidences sociales, 6-Hors étudiants et ceux qui ont tout juste achevé leurs études. (soit celles qui oenccruépseidnetnlceess1s8oc1i1a6lespleaxcensihdiilsop5o)-, nibles en 201030 lesquelles ne sont pas comptabilisées par l’Insee.

À côté des personnes souffrant de l’absenced’un logement, le mal-logement recouvre aussitoutes les situations relevant de mauvaises condi-tions d’habitat. À partir de l’enquête Logementde 2006, l’Insee estime aujourd’hui, sans doublescomptes, que 2 778 000 personnes vivent dans deslogements inconfortables (2,1 millions de per-sonnes) ou surpeuplés (800 000 personnes). Paranalogie avec les critères retenus par la loi Dalo,l’Insee considère comme «privés de confort» leslogements situés dans des immeubles insalubres,menaçant de tomber en ruine ou ayant au moinsdeux défauts parmi les suivants : installation dechauffage insuffisante ou mauvaise isolation, in-filtrations d’eau, électricité non conforme, ab- Plus de 5 millions de personnessence d’installation sanitaire ou de coin cuisine. en situation de réelle fragilitéLe surpeuplement «accentué» renvoie pour sapart aux logements auxquels il manque au moinsdeux npoièrcmeasl»pa7r. rapport à la norme de «peuple- Ces problématiques extrêmes de mal-loge-ment À noter que l’identification des ment ne doivent pas masquer toutes les situationsdoubles comptes permet désormais de mettre en de personnes en situation de réelle fragilité danslumière les situations de personnes confrontées leur logement. Il en est ainsi des ménages qui,à un cumul de difficultés : en 2006, 28 000 mé- bien que propriétaires, se retrouvent fragilisésnages (soit 145 000 personnes) vivent ainsi dans lorsqu’ils résident dans des copropriétés en diffi-des logements qui sont à la fois inconfortables et culté. Les récentes exploitations de l’enquête Lo-surpeuplés. gement de 2006 permettent désormais d’estimer à 730 000 le nombre de personnes confrontéesLa problématique du mal-logement renvoie à un très mauvais fonctionnement de leur copro-également à des situations d’occupation précaire, priété, à un défaut d’entretien ou à des impayéset notamment aux locataires de logements meu- importants et nombreux. Précisons toutefois queblés qui bénéficient d’un environnement juridique ce chiffre ne concerne que les copropriétairesmoins protecteur que les locataires classiques (du- occupants, c’est-à-dire à peine plus de la moitiérée de bail de un an). Si de récentes évolutions lé- des ménages vivant en copropriété, alors que lesgislatives ont amélioré leur situation, la Fondation observateurs de terrain montrent que les loca-Abbé Pierre estime toutefois que la frange la plus taires sont généralement surreprésentés dans lesmodeste d’entre eux constitue, ne serait-ce que par copropriétés en difficulté. L’augmentation incon-leur fragilité et leur absence de perspectives, un pu- trôlée du coût du logement précipite par ailleursblic mal logé, soit 172 847 personnes appartenant de nombreux locataires dans une situation deau premier quartile de niveau de vie (hors étu- grande fragilité : 1 252 000 personnes étaient endiants). Parce qu’elles constituent des victimes du impayés locatifs en 2006. Un chiffre basé sur desmal-logement trop souvent négligées, la Fondation données antérieures à la crise économique appa-Abbé Pierre souhaite enfin pointer la situation de rue courant 2008, et dont on peut donc craindrenombreuses familles de Gens du voyage, notam- aujourd’hui qu’il ne soit plus inquiétant encore.ment celles qui bénéficient de revenus modestes Sans qu’elles relèvent d’une forme aigüe deet ne peuvent donc accéder à un terrain privatif.aCmoménpatgeéetes8n,uondeeslt’iimnseueffnis2a0n1ce0 des aires d’accueil mal-logement, de nombreuses situations de sur- que plus de 20 000 peuplement et d’hébergement chez des tiers re- tiennent par ailleurs notre attention : il en est ain-familles (et environ 80 000 personnes) ne peuvent si des 3,2 millions de personnes qui habitent dansaccéder à une place sur une aire d’accueil et donc àdes conditions de vie décentes. dsuerspleougpelmemenetnstsu«rapcecuepnltéus黫)a9u sens large» (hors et des quelques 240 000 enfants de 18 ans ou plus, qui ont dû retourner vivre chez leurs parents ou grands-pa-7-La norme de « peuplement normal » prévoit au minimum une rents faute de ressources suffisantes pour accéderpièce pour le ménage, une pièce pour chaque couple, pour les cé- à un logement autonome et se retrouvent ainsilibataires de 19 ans et plus, une pièce pour deux enfants s’ils sont dans une forme d’hébergement «résigné» (horsde même âge ou ont moins de 7 ans, sinon une pièce par enfant. hébergement «contraint»).8-Il manque 20 029 places en aires d’accueil (par rapport àl’objectif de 41 569 places prescrites dans les schémas dépar- À partir de ces différentes situations, il est pos-tementaux). Le chiffre de 80 116 personnes a été obtenu par sible aujourd’hui d’estimer, sans doubles comptes,l’application d’un ratio de 4 personnes par famille. que 8 millions de personnes sont en situation de9-Le surpeuplement « au sens large » renvoie aux logements mal-logement ou de fragilité dans leur logement.auxquels il manque une pièce par rapport à la norme de « peu- Sans compter les situations de cumul de difficultés,plement normal » au sens de l’Insee. qui concernent au total 1 million de personnes. 31

Au total, 10 millions de personnes SOURCES sont touchées par la crise du logement… (1) Insee, à partir du Recencement général de la populations Ce chiffre de 8 millions ne tient toutefois (RGP) 2006, de l’enquête Établissements sociaux (ES) 2008, pas compte de nombreuses autres situations de sources administratives. fragilité (non comptabilisées afin d’éviter tous (2) Ministère du Logement, 2010. doubles comptes), mais qui constituent des si- (3) Insee, RGP 2006. gnaux d’alerte quant aux difficultés des ménages (4) Insee, Enquête nationale Logement (ENL), 2002. par rapport au logement. Ainsi, s’il est statistique- (5) Insee, ENL, 2006. In Insee première n°1330, janvier 2011. ment impossible d’agréger les données suivantes (6) Fondation Abbé Pierre, à partir des données de l’Insee - (établies par ménage) au total des 8 millions ENL 2006. de personnes, elles indiquent toutefois que le (7) Estimation Fondation Abbé Pierre, à partir des données nombre de personnes touchées par la crise du lo- du ministère du Logement, 2010. gement est bien plus important dans son ampleur (8) Jean-Claude Driant, exploitation de l’ENL 2006 pour la que ce que la statistique publique actuelle nous Fondation Abbé Pierre. permet d’appréhender : (9) ENL 2006. Calcul Insee à partir d’une variable DGALN, mi- nistère du Logement. – 1,2 million ;de(11m) énages sont en attente d’un (10) Fondation Abbé Pierre, à partir des données de l’Ined et logement social de l’Insee - ENL 2002. – 3,8 millions de ménages sont en situation (11) ENL 2006. dmeepnrtédcear2i0té06én;e(r1g1é) tique d’après l’enquête Loge- (12) Estimation Fondation Abbé Pierre, à partir des données – 1 305 200 locataires ont rencontré des diffi- du ministère de l’Intérieur, 2010. cultés pour s’acquitter du paiement de leur loyer dn’aagpersèasyla’enntqduéêctlearLé ougneimmepnatyédede2l0o0y6er()h;o(r6s) mé- INDICATIONS COMPLÉMENTAIRES – 565 000 ménages propriétaires ou accédants ont eu, dans les deux ans précédant l’Enquête lo- * Parmi l’ensemble des personnes locataires d’un logement gement 2006, des difficultés à payer leurs charges loué meublé (hors hôtels et garnis, et hors étudiants), soit ou leurs remboursements d’emprunts immo- 432 118 personnes, l’Insee indique que près de 40 % appar- db’iliimerpsa, ydéo;nt(117)0 000 se sont trouvés en situation tenaient au 1er quartile de niveau de vie, soit 172 847 per- – 92 233 ménages se retrouvent sans droit ni sonnes (chiffre retenu par la Fondation). tjuitsrteicdeadn’sexlepuurlslioogne.m(12e)nt suite à une décision de ** Sachant que les Schémas départementaux d’accueil des Pour la Fondation Abbé Pierre, ce sont sans Gens du voyage établissent un objectif à 41 569 places en aucun doute plus de 10 millions de personnes aires d’accueil pour répondre à l’ensemble des besoins, et qui subissent aujourd’hui les conséquences de que 21 540 places étaient disponibles fin 2010, on peut es- la crise du logement (production de logements timer que 20 029 familles n’ont pas accès à une place en aire insuffisante et inaccessible aux plus modestes, d’accueil aménagée, soit 80 116 personnes (en appliquant flambée des coûts du logement et des charges, un ratio de 4 personnes par famille). blocage de la mobilité résidentielle…). *** 695 648 enfants de 18 ans sont retournés vivre chez Si les progrès réalisés par la statistique publique leurs parents ou grands-parents (après avoir occupé un contribuent aujourd’hui à une meilleure «objec- logement indépendant pendant plus de 3 mois). En retirant tivation» de la crise du logement et de ses consé- les étudiants, ceux qui n’ont pas le projet d’habiter dans un quences pour les ménages, la Fondation Abbé logement indépendant et ceux qui ont le projet et les moyens Pierre pointe malgré tout d’importantes zones financiers, et en retirant également le «noyau dur» des per- d’ombre et une trop faible actualisation des don- sonnes en hébergement contraint chez des tiers (déjà comp- nées, qui appellent des moyens supplémentaires tabilisé parmi les 3,6 millions de personnes mal-logées), on pour pouvoir prendre la mesure de ces situations peut estimer que 240 599 personnes sont «résignées» par difficiles et être en capacité d’agir. Mais la Fonda- rapport à leur situation d’hébergement chez leurs parents. tion Abbé Pierre attend surtout des signes forts en direction des personnes défavorisées et un en- **** Au cours des trois dernières années (2008 à 2010), il gagement réel des pouvoirs publics pour offrir des y a eu 125 849 demandes de concours de la force publique perspectives aux plus modestes et éviter que des faisant suite à une décision de justice prononçant l’expulsion. ménages fragiles ne viennent à l’avenir grossir les Ces locataires deviennent de fait occupants sans droit ni titre rangs des personnes très mal logées. et peuvent être expulsés sans nouvelle décision de justice (certains décidant de quitter leur domicile, sous la contrainte de la procédure et avant l’intervention des forces de l’ordre). Si l’on extrait de ces ménages les 33 616 ménages qui ont effectivement été expulsés avec le concours de la force publique de 2008 à 2010, on trouve le résultat suivant : 125 849 – 33 616 = 92 233 ménages qui se retrouvent dans des situations extrêmes de fragilité.32

NOMBRE DE PERSONNES3,6 millions de personnes sont mal logées Détail par Total hors catégories doubles comptesPersonnes privées de domicile personnel- Dont sans-domicile (1) +133 000- dont personnes en résidences sociales ex nihilo (hors FTM et FJT) (2) + 18 116- dont résidence principale en chambre d’hôtel (3) + 38 000- dont habitations de fortune : cabane, construction provisoire, + 85 000personnes vivant à l’année en camping ou en mobil-home... (3) + 411 000- dont personnes en hébergement « contraint » chez des tiers (4) TOTAL 685 116Personnes vivant dans des conditions de logement très difficiles (5)- dont privation de confort + 2 123 000- dont surpeuplement « accentué » + 800 000moins les personnes cumulant inconfort et surpeuplement -145 000 TOTAL 2 778 000 Personnes en situation d’occupation précaire locataires d’un 172 847logement loué meublé (hors hôtel ou garni et hors étudiants)* (6) « Gens du voyage » qui ne peuvent accéder à une place dans les 80 116aires d’accueil aménagées** (7) Moins les doubles comptes entre les catégories du tableau (personnes - 65 000cumulant plusieurs situations de mal-logement),hors les personnes cumulant« inconfort et surpeuplement »TOTAL des personnes mal-logées (a) = 3 651 079 NOMBRE DE PERSONNESPlus de 5 millions de personnes sont Détail par Total horsfragilisées par la crise du logement catégories doubles comptes Propriétaires occupant un logement dans une copropriété en 729 636difficulté (356 686 logements) (8) 1 252 000 Locataires en impayés de loyer (494 800 ménages) (8) Personnes en situation de surpeuplement « au sens large », hors 3 224 000surpeuplement « accentué » (9)Personnes en hébergement « résigné » 240 599(hors hébergement contraint)*** (10)Moins les doubles comptes (personnes cumulant plusieurs situations de fragilité) - 292 000TOTAL des personnes en situation de fragilité (b) = 5 154 235 Moins les doubles comptes entre les deux tableaux (personnes cumulant situa- - 575 000tions de mal-logement et de fragilité) TOTAL GÉNÉRAL (a+b) = 8 230 314 33

02Partiediversitédes occupants Diversité des vécus et perceptions de l’habitat non-ordinaire. 34

Art 01 / Les New Il va sans dire que le gouvernement fit tout son Traveller’s : possible pour détruire la culture nomade en An- Mobilité gleterre avec cette loi qui interdit la halte de plus et habitat léger de six voitures et qui annule l’obligation pour les communes de fournir des sites pour les Traveller’s. Marcelo Frediani, Cela veut dire en effet que leur mode de vie de- socio-anthropologue vient illégal. Malgré cela, la culture Traveller’s reste toujours vivante et la fréquentation des festivals D ’origine historique récente, dans un contexte commerciaux et d’autres rencontres politiques et socioculturel et politique multiple, le phéno- écologistes (comme the Big Green Gathering au mène New Traveller’s en Grande-Bretagne est ap- mois de juillet ou le festival annuel de Glastonbu- paru dans la foulée des manifestations de la contre- ry) reste encore aujourd’hui une caractéristique culture dans ce pays dans les années 60 et 70. Ainsi, importante de la vie de ces groupes, même si elle de nombreux jeunes motivés par les idéaux de vie n’est pas systématique. Les festivals sont des points prônés par la culture contestataire et critique aux de rencontre et de sociabilité (l’endroit pour revoir valeurs du système capitaliste ont décidé d’adopter des connaissances, pour échanger ses expériences, un style de vie en marge de la société globale. pour se faire de nouveaux amis vivant le même style de vie). Ils sont aussi une source de revenus Il faut, néanmoins, considérer que l’événement fon- pour plusieurs Traveller’s : la réalisation de ser- dateur d’une culture itinérante parmi ces jeunes a été les vices divers, la vente de leur artisanat, les représen- festivals de musique et les free festivals liés à la culture tations musicales ou de cirque, la vente de nourri- « underground » de la fin des années 1960 et début ture et de vieux objets à cette occasion permettent 1970, comme celui de Stonehenge et Windsor en 72. aux Traveller’s de réaliser une économie «alterna- L’organisation d’habitats mobiles est devenue néces- tive» qui rend viable leur culture itinérante. saire et ainsi des camions et autres véhicules ont été adaptés à ce mode de vie. Par la suite, les mouvements Il me semble néanmoins inutile de chercher à activistes contre les armes nucléaires et les pacifistes dégager une définition essentialiste du phénomène ont donné à ces errances une dimension plus politique. New Traveller’s à partir des données issues du ter- rain. De manière générale, le phénomène se carac- Mais ce qui a commencé comme une gageure, térise par l’adoption du nomadisme comme mode un mouvement jeune éphémère, est devenu avec le de vie et la réhabilitation des pratiques et des usages temps un mode de vie à part entière. Actuellement, traditionnels propres aux peuples nomades, spécia- on compte entre 2 à 15 000 New Traveller’s vivant lement les Roms. Le style de vie New Traveller’s dans des habitations de fortune (cabanes et huttes) se présente comme une forme d’«alternative» à ou des habitations mobiles aménagées (des ca- notre vie en société qui permet à ces personnes de mions, des bus ou des roulottes) et voyageant sur le résoudre des situations précaires d’existence. En territoire britannique entre les festivals de musique, outre, vivant de manière «alternative» par rapport à les foires et les autres événements liés à la culture la société et sans être pour autant complètement au- «alternative». L’évolution du phénomène New Tra- tonomes, les Traveller’s sont obligés d’adapter leur veller’s a été multiple et marqué par une tentative style de vie aux différents conditions et environne- constante d’élaborer un nouveau sens de la vie en ments de la société dominante. société, un nouvel esprit de communauté. Les tâches vitales comme la recherche d’eau, de nourriture, de chauffage, sont organisées de manière Vers la fin des années 70, avec l’arrivée de That- à permettre aux nomades de vivre en semi-autarcie cher au pouvoir, le nombre de Traveller’s n’avait par rapport à cette société. En effet, la vie matérielle pas cessé d’augmenter. La raison semble être claire des New Traveller’s est réduite à sa forme la plus pour de nombreux observateurs du phénomène : simple ; et ce que l’on appelle la «culture matérielle» le nombre grandissant d’expulsions de squatters New Traveller’s se caractérise par la récupération à Londres et la réduction des aides octroyées aux et l’adaptation d’objets rejetés par la société de jeunes et aux étudiants pour l’obtention de loge- consommation à leur mode de vie. ments pendant son gouvernement. Suite à de nom- breuses altercations avec les autorités dans les années 35 80, le gouvernement a instauré une législation stricte (Criminal Justice and Public Order Act de 1994 - C.J.P.O.A. ‘94) visant particulièrement les New Tra- veller’s et les raves organisées par certains groupes.

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Si, dans un premier temps, le départ vers la vie er- étages. Ces véhicules sont réaménagés et adaptésrante signifie pour un grand nombre d’entre eux une à l’usage de la vie itinérante.réaction à la situation d’exclusion, la vie itinéranteelle-même et le contact avec le milieu conduisent à Le choix du type d’habitation adopté par lela création d’un lien communautaire fort. En effet, nomade conditionne le type d’environnementla solidarité communautaire New Traveller’s trouve du site et le style de vie. Les Traveller’s qui voya-son origine dans la nécessité de résoudre les pro- gent en véhicules lourds doivent chercher desblèmes pratiques de la vie quotidienne : l’entretien stationnements accessibles, proches de la route,du véhicule, la recherche d’un site, d’eau, de nourri- des villes, etc. Leur style de vie est ponctué parture, etc. En soi, cette situation de marginalité oblige des expulsions, ce qui rend difficile l’organisationles itinérants à mettre en place une organisation mi- d’activités collectives ou la mise en place d’unenimale pour subsister dans un environnement sou- activité économique stable. En ce qui concernevent hostile à leur mode de vie. les Traveller’s qui vivent sous tente, en huttes ou tipis, leur style de vie est naturellement moins 1 / Habitat à bas impact - Habitat mobile mobile. Ainsi, ils choisissent des endroits d’accès plus difficile et qui sont moins sujets à des expul- C omme je l’ai dit antérieurement, différents sions rapides. De même, leur mode de vie est plus types d’habitation sont présents dans le marqué par une recherche tant écologique quemilieu New Traveller’s. Ce qui caractérise ces habi- spirituelle ; ils tendent à s’installer de manièretations est surtout le fait qu’elles sont temporaires, plus ou moins permanente et certains dévelop-mobiles et construites avec des matériaux récupé- pent aussi des activités économiques qui sont à larés ou naturels. De plus, elles sont de petite taille base de leur vie communautaire. Il est importantet ne sont pas trop visibles dans l’environnement. de remarquer que ces trois éléments (population,Néanmoins, chaque type d’habitation dépend de type d’habitat et organisation interne ou type dela manière dont le site sera constitué et l’habitat dé- terrain) sont reliés entre eux, de façon telle qu’ilstermine l’emplacement qui sera choisi. Par exemple, constituent un tout organique où chaque partieles véhicules lourds sont rencontrés sur des terrains détermine les attributs des autres. Ainsi, les in-plus accessibles, à proximité des routes. dividus ayant des motivations plus écologiques La caractéristique fondamentale du style de vie ou plus orientées politiquement choisissent deNew Traveller’s est la mobilité et, par conséquent, vivre sur des sites plus sédentaires, constituésles différents types d’habitats proposés sont essen- surtout par des habitations traditionnelles (tipistiellement adaptés aux nécessités des déplacements ou huttes). Ces sites se construisent autour d’unconstants. Les déplacements réguliers demandent sentiment de groupe plus fort, se manifestantdes matériaux et équipements assez souples, en gé- par une vie communautaire ou des activités éco-néral moins résistants, plus rapidement périssables nomiques. Par contre, les Traveller’s plus jeunesque ceux utilisés pour la construction des habita- sont plus attirés par le style de vie nomade, lations conventionnelles. Beaucoup d’énergie et de fréquentation des festivals et les véhicules lourdstemps sont dès lors consacrés à la construction et à comme mode d’habitation. Certaines famillesl’aménagement de l’habitat. préfèrent vivre de manière isolée en fermes agri- J’ai classé les formes les plus courantes d’ha- coles, d’autres choisissent de voyager en groupebitation New Traveller’s en deux grandes catégo- et d’habiter sur les grands sites. Tout en gardantries. D’un côté, les habitations non motorisées et certaines ressemblances (propres au style de vie),construites avec des matériaux naturels ou récupérés. la grande diversité de formes peut être interpré-Ces types d’habitations sont génériquement consi- tée comme la caractéristique essentielle des sitesdérés comme «habitat à bas impact sur l’environne- New Traveller’s.ment». Ici nous pouvons parler des dômes géodé-siques, des tipis et des huttes qui sont des habitations Il est important de présenter ici quelques don-caractéristiques et traditionnelles nomades, assimi- nées sur les sites semi-nomades, afin d’examinerlées et adaptées par les New Traveller’s en fonction les rapports que ces Traveller’s plus sédentairesde leurs conditions de vie. Un autre mode d’habitat entretiennent avec l’ensemble de la populationet de déplacement traditionnel récupéré par les New New Traveller’s.Traveller’s est la roulotte tirée par des chevaux. On trouve d’autre part les habitations sur roues 37motorisées. Ces formes d’habitation et de transportemployées par les Traveller’s font partie intégrantedu nouveau nomadisme proposé par les New Tra-veller’s et constituent leur « image de marque », telleque construite à l’aide des médias. Dans cette catégo-rie nous trouvons des voitures, des ambulances, desmicrobus, des vieux camions, des bus, des bus à deux

2 / Nomadisme Ce sont des années difficiles et les associations et communautés alternatives se mobilisent contre les contraintes de cette loi et obtiennent quelques résultats avec la Circulaire L ’angoisse constante des expulsions et la situa- 01/2006, § 59 qui affirme que pour encourager tion d’«illégalité» dans laquelle les Traveller’s la création de sites privés, les autorités locales doi- se trouvent font qu’ils choisissent des sites dont l’ac- vent fournir aux Gens du Voyage de l’aide pratique cès est difficile, loin des villes, sans aucune garantie à leurs projets d’aménagement pour ceux qui ont de salubrité, et sans les installations hygiéniques de l’intention d’acheter leurs propres terrains. base. De plus, ces sites sont parfois occupés par plus d’une centaine de véhicules, situation qui oblige les Pendant mon enquête, j’ai eu l’occasion de Traveller’s à vivre dans la promiscuité. visiter ces sites sédentaires ou communautaires, constitués dans des domaines ruraux achetés par Vus les difficultés, il n’est pas rare de rencontrer des Traveller’s. Ici les propriétaires exercent divers des New Traveller’s qui rêvent d’une vie plus sé- systèmes de développement durable et d’habitation dentaire ou, au moins d’avoir la possibilité de sé- à bas impact. Actuellement, ils sont activement en- journer dans des sites plus stables, de développer gagés dans la procédure pour l’obtention d’un plan une activité agricole où pouvoir rester plusieurs d’aménagement du terrain (Planning Permission). mois. Ils pourraient renoncer à la liberté de se Ces communautés sont considérées comme la so- parquer où ils veulent en échange de sites auto- lution qui convient le mieux à la régularisation de risés qui leur soient spécifiquement destinés. En la situation d’un grand nombre de New Traveller’s. effet, le C.J.P.O.A. 1994 encourage les Traveller’s La sédentarité est à l’origine d’une communauté à constituer leur propre site, mais à condition de plus stable, centrée sur une réflexion à caractère respecter les modèles établis, dans l’intention de politique et en accord avec une sorte de conscience «contraindre» cette population à adopter un style écologique, où les manifestations de transgression de vie sédentaire. Mais la pratique s’avère plus dif- socioculturelle ont un caractère plus pratique. ficile que la théorie. La question de l’organisation des sites, semi-sédentaires ou nomades, nous met Je pense que ce que l’on pourrait appeler le devant l’épineux problème de l’habitat léger et «geste de résistance» propre à ces formes de vie se mobile et la légalité. Sarah Spencer relève qu’en définit par la persistance à vivre de manière non 1997, 90 % des demandes de permis présentées conventionnelle, à créer un style de vie alternative par des Gens du Voyage ont été refusées (contre aux standards de la société majoritaire. De persis- 20% pour les autres catégories de la société). ter donc dans un certain idéal de liberté...38

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Art 02 / Situation et regard d’un militant « voyageur » sur l’habitat léger Jeremy Levesques 1/ Portrait d’un militant Nous sommes reçus dans la cuisine où Fredo, et contexte de vie pour soulager notre faim fait revenir poulet et patates. Les présentations faites, la discussion F rvéodyéargiecuLrsi1é,vyetesvtitisasvuecd’usanefefmammielleetdisteesd6e s’emballe, le ton est véhément. Pas la peine d’en- registrer. Les deux camarades abordent par tous enfants sur un terrain dont ils sont propriétaires les bouts à la fois (ponctuées de mes timides re- depuis quelques années sur la commune de Frou- marques) les questions politico-stratégico-légales, zins au sud de Toulouse. «Voyageur» lui-même, les divergences et convergences entre Goutte (quoique voyageant de moins en moins souvent) d’Eau et HALEM, les derniers combats menés à et membre de l’association «Goutte d’Eau», HALEM, ses tensions internes et les nouvelles sur il tente d’en rapprocher les luttes avec celles la situation juridique de la famille Liévy. d’autres catégories d’habitants vulnérables aux effets de la crise du logement. Remise en cause d’une installation et déboires juridiques... Avant d’exposer plus en détail son argumen- taire, introduisons le cadre de notre rencontre avec Voilà quelques années que la famille développe un lui et les grands traits d’une situation particulière. projet d’installation semi-durable sur ce terrain, y élevant des poules. Or le projet se voit remis en ques- Le terrain familial tion : le type d’habitations qu’ils ont choisi d’y poser est aujourd’hui remis en cause pour la non-construc- N ous venons donc avec Clément David d’ HA- tibilité du terrain agricole, et le stationnement illicite LEM passer la soirée et la nuit chez la famille de leurs «résidences mobiles de loisir». L’attaque me- Liévy pour découvrir une manière de vivre l’habitat née par la mairie de la commune semble être dirigée léger, mais aussi recueillir ses analyses politiques. contre un ennemi politique, pour ses engagements et le mode de vie qu’il représente à travers ce projet. La nuit tombée depuis déjà quelques heures, Sommé d’en détruire les constructions et d’en sortir après avoir quitté le périphérique, nous traversons les mobile-homes d’ici novembre 2012 (sans quoi lui au rythme des dos-d’âne le centre de cette bour- sera adressée une amende très salée), il mène depuis gade semi-rurale pavillonnaire de classe moyenne cet «ultimatum» une campagne d’appel à soutiens aux trottoirs vides de passants, pour la plupart déjà de tout acteur politique et associatif susceptible de retirés dans leurs cocons respectifs. Resplendissent l’appuyer face à cette injustice. sous le jaune des lampes à sodium les équipements publics fraîchement ravalés, suivis de pavillons mi- Sur le plan pratique et quotidien, la menace pèse : la toyens érigés depuis peu. Au sortir du village, nous pérennité compromise de l’activité agricole les amène à dépassons de plus vastes propriétés avec jardin, bloquer les investissements, et donc leurs revenus, obli- clairsemées de quelques parcelles agricoles, pour geant à désormais s’inscrire au RSA. enfin tourner et se garer à l’entrée du terrain de la famille Liévy qui borde la départementale. Mais ces déboires qui ressemblent à un règlement de compte personnel ne sont pour Fredo que le symptôme Le terrain est tout en longueur et bordé de d’une situation globale qu’il tente de combattre depuis chaque côté de bandes gazonnées où poussent de déjà des années et qui arrive aujourd’hui à un tournant. jeunes haies et fruitiers. Il est d’un abord simple et ordonné : espace gravillonné tout du long avec 1-Terme qu’il préfère à « gens du voyage », qui renvoie trop parking, cuisine auto-construite en dur, toilettes- spécifiquement à une ethnicité, alors que le terme « voya- hutte en lambris, caravane des enfants, mobile- geur » inclut potentiellement tous ceux qui habitent de ma- home des parents, et derrière, un espace de jardin nière précaire. Pour une brève généalogie de cette désigna- faisant transition avec le poulailler, source de re- tion « gens du voyage », voir l’article de G. Loiseau « Histoire venus d’une activité agricole déclarée à la Mutua- d’un apprivoisement ».40 lité Sociale Agricole (MSA).

2/ Analyse globale La revendication de « lieux de vie » pour tout le monde De ces problématiques récurrentes liées à une catégorie spécifique... L ’enjeu serait que toutes ces personnes recon- naissent, par-delà leurs identités et préoccupa-P our résumer, en France, les espaces dé- tions respectives initiales, cette même invisibilité diés au stationnement des personnes vi- due à des circonstances pas si individuelles que ça.vant en caravane et mobile-homes sont réduits. Si jusqu’alors les uns s’accommodaient des inters-Les «aires d’accueil» gérées par les communes tices qu’ils pouvaient occuper en bricolant les au-qui, par les conditions qu’elles offrent, ne sa- torisations pendant que d’autres pouvaient encoretisfont de toute façon pas la majorité des contracter des emprunts pour acheter une maison«voyageurs», sont bien insuffisantes comme grâce à quelque situation professionnelle avanta-réponses au manque de place pour se garer, et geuse, tous sont désormais exposés aux mêmesvivre quelque part qui ne soit pas un échangeur risques (expulsions de plus en plus fréquentes deautoroutier ou une zone polluée. Beaucoup sont par le rétrécissement des interstices pour les uns, ettenus alors de s’installer là où ils ne sont pas les départ volontaire d’une situation ingérable de parbienvenus, provoquant alors une situation de dé- le chômage endémique pour les autres).placement perpétuel forcé sur un territoire auquelils ont pourtant leurs attaches à bien des égards. Entre plaidoyer et constat révélateur d’un faitMais ces questions de relégation, longuement refoulé, Frédéric pose que l’habitat léger, solutioncantonnées aux minorités surnommées «gens du d’urgence contre la rue ou mode de vie choisi,voyage», souffrent de n’être bien souvent abor- tendra à l’avenir à s’imposer dans les faits face àdées qu’en complète coupure avec le reste des l’extension du problème du logement. L’urgenceproblématiques du logement qui y sont pourtant est alors d’en reconnaître une place à part entièreentièrement imbriquées. Pour Frédéric, il s’agit dans la distribution de l’espace. Et pour cela, c’est àsurtout de souligner la similitude du sort réservé une mobilisation générale de toutes ces catégoriesà cette minorité avec celui du reste des populations confondues que fait appel Frédéric Liévy afin de«précarisées» ou en voie de l’être. faire reconnaître politiquement l’intégration de la diversité de l’habitat dans les dispositifs d’aména- ... À leur extension dans le contexte gement (schémas de cohérence territoriale, plans actuel de crise du logement locaux d’urbanisme) à la campagne comme en ville.L a crise du logement qui s’élargit jusqu’aux On peut voir dans ces analyses et revendica- classes moyennes provoque, selon Frédéric, tions formulées ici deux éléments essentiels :l’arrivée de catégories nouvelles de SDF pour quil’habitat léger peut s’avérer une solution. Ainsi en - Un combat juridique pour reconnaître admi-France, selon Fred, parmi le petit million de per- nistrativement la place d’un type d’habitat discri-sonnes qui vivent en habitats légers, aux 450 000 miné et dont les pratiques se généralisent pourtant«gens du voyage», 250 000 «alternatifs» ayant avec la crise du logement. Il s’agit là de fédérer tous«choisi» d’autres modes de vie et 100 000 ha- ceux qui sont concernés par les retombées de cettebitants en camping, s’ajouteraient, selon lui, les crise du logement pour ainsi porter sur le plan po-quelques milliers de personnes qui, actuellement litique des réponses adaptées et de droit commun.chaque mois, grossissent le nombre de sans-domi-cile-fixe, quittant leur appartement sans forcément - La place donnée à un imaginaire politiquepasser par l’expulsion, donc par les statistiques of- dans le discours : la « communisation » des inté-ficielles. Ici se fait jour l’opportunité de défendre rêts de tous ceux qui chaque jour souffrent des re-la reconnaissance d’usages qui tendent à s’étendre. tombées d’un système qui les rend esclaves et les met à l’écart, et qu’ils peuvent dépasser en s’orga- nisant collectivement. 41

Art 03/ Un habitat accordé cailloux, ses bâtiments annexes de mairie aux fe- à ses moyens : nêtres à barreaux et agent de sécurité, son camp cas d’une habitante Rom au bord duquel des femmes, dans une am- en camping et biance détendue de fin de semaine ensoleillée, contexte politique nettoient de grands tapis avec des gestes lents, défiant du regard les automobilistes mécontents Jeremy Levesques de les voir empiéter sur la voie. Plus loin sur la route, le camping, arborant fièrement ses trois étoiles derrière des barrières blanches et un por- tail électrique à code, fait montre de plus de cor- rection, en comparaison de ses proches voisins, dont il semble chercher à se démarquer. 1/ Rendez-vous au camping : Camping municipal de Toulouse. Jeremy Levesques une approche du terrain N ous nous sommes rendus dans un camping municipal aux abords d’une grande ville pour saisir quelques traits du mode d’habiter de personnes y occupant à l’année une caravane ou un mobile- home. L’objet de l’article est d’aborder le contexte du camping en lien à un certain degré de précarité éco- nomique des habitants, tout en prenant en compte la grande variété des techniques qui sont mobilisées au quotidien pour bricoler, négocier les modalités de leur bien-être dans le cadre de cet espace réglementé et a fortiori inscrit dans un contexte politique précis. Les aperçus que l’on a pu avoir durant cette visite sont fortement liés à ce contexte géogra- phique, politique et législatif en tension. Accom- pagné de Clément David, militant pour la défense des droits des occupants en habitats éphémères et mobiles (sollicité à propos d’une situation po- tentiellement litigieuse), nous bénéficions alors de ses liens tissés au préalable avec une habitante ainsi qu’avec le gérant du camping. Si l’on se trouve très vite au cœur des enjeux lé- gaux et stratégiques sur lesquels Clément tente de faire médiation, cela permet d’en connaître davan- tage sur ce contexte qui, après ce simple entretien exploratoire, n’aurait pu se trouver abordé que de façon partielle. Cette petite enquête, si elle prend le risque de la navigation «à vue» sans données sta- tistiques précises, consiste avant tout à dresser un portrait de l’habiter léger dans un camping en es- pérant que les problématiques qu’il soulève fassent écho ou suscitent le débat en comparaison à d’autres contextes directement ou indirectement concernés. Géographie des environs S eul camping municipal de l’agglomération, il est situé en périphérie de la ville, à proximité d’une avenue bordée d’entreprises et de commerces de matériaux de construction non loin du périphérique. L’espace environnant semble relativement vague, avec son stade, son parking condamné par de gros42

S.B Revenus et occupations 2/ Histoire d’une résidente M adame Legrand déclare bénéficier d’une situation relativement aisée que ne par-C ’est à une dame que nous rendons visite tage pas la majorité de ses voisins (hommes seuls, dans son mobile-home afin de nous entrete- ouvriers/employés, qui souvent cumulent, selonnir sur son parcours de vie et d’habitation, et que elle, des difficultés d’ordres divers : isolement,l’on appellera Madame Legrand. Âgée d’une cin- chômage, alcoolisme, drogues) et dont parmiquantaine d’années, elle nous reçoit chaleureuse- eux, une bonne proportion vit dans de simplesment. Son verbe facile et tous azimuts annonce caravanes disposées «en rang d’oignon» qu’elleun entretien pour le moins vivant. Les quelques plaint pour le manque d’intimité.remarques de Clément sur tel ou tel point législa-tif aiguisent ma connaissance un peu lacunaire du L’allocation proche d’un Smic qu’elle se voitsujet, en complément des réponses à mes ques- verser jusqu’à la retraite lui permet une relativetions plus généralistes «à la» RELIER. sécurité financière. Elle vise par ailleurs à complé- menter ces revenus par une activité de conseil à la Ce qui l’a amenée à vivre en camping réinsertion de chômeurs. pour une durée indéterminée L’habitat léger, un choix ?A yant vécu en appartement la majorité de sa vie, Madame Legrand a choisi voilà quelques S i donc des événements extérieurs à sa volontéannées de s’installer en camping municipal pour (ou incidents de parcours) l’y ont bien préci-plusieurs raisons : licenciée de l’entreprise où elle pitée, l’adoption d’un style de vie demandant untravaillait depuis 8 ans, et voyant son fils aban- peu d’ingéniosité pour construire son quotidiendonnant l’armée et hospitalisé pour des raisons lui sied finalement bien, ou du moins le défend-de santé, elle décide que le paiement d’un loyer elle dans son discours. Mais le peu de mentionchaque mois pourrait compromettre son bien- qu’elle fait de son fils pointe la charge qu’elleêtre. Après avoir «tout mis dans un garde-meuble» se doit bon an mal an d’assumer en regard deselle commence à planter la tente pour une saison conditions insatisfaisantes dans lesquelles celui-estivale au camping. Puis l’achat d’une caravane ci semble avoir évolué durant sa convalescence àentame un processus d’installation plus long, suivi, l’hôpital. On peut donc dire que cette installationl’hiver d’après, d’un mobile-home d’occasion. Elle en camping se trouve bien à mi-chemin entre lereconstruit alors progressivement son chez-soi en choix et le non-choix, malgré sa tendance à en ap-bricolant de manière permanente pour transfor- puyer dans son discours les avantages (indépen-mer ce qui fut au départ un simple «toit sur la tête» dance, auto-construction, auto-entreprise).en véritable habitation au confort personnalisé. Aumobile-home travaillé de l’intérieur pour y ajuster Appartenance collective,des toilettes et une douche et y apporter un aspect relations aux autres«chalet», s’ajoute un auvent aménagé, une struc-ture en bois abritant une caravane servant de ran- L a question d’une appartenance ou d’actionsgement, et une terrasse aménagée. Mais l’étendue collectives ne semble pas figurer parmi sesde ses installations rencontre aujourd’hui des li- préoccupations. Madame Legrand se considèremites vis-à-vis du règlement intérieur... comme une pionnière, ne souhaitant pas dé- pendre trop du voisinage dont elle déplore le côté «cancan», mais tout en montrant un cer- tain souci vis-àvis de ses voisins les plus en diffi- culté : «de temps-en-temps il faut aller vers eux, pour pas qu’ils se replient totalement...». Les relations avec les campeurs de saison semblent être mar- quées par une certaine convivialité qui profite également à ces permanents les plus en difficulté («Quelque part autour d’un petit repas frugal, ils vont déconnecter de leurs problèmes...»). Elle se forge une identité autour de cette vocation à aider les autres, en concordance avec ce projet d’activité. 43

Rapport à la législation 3 / La gestion d’un établissement dans le contexte de la loi Léonard M adame Legrand fait partie de ceux qui ont été sommés de démonter leurs construc- A côté de ce témoignage, on a pu suivre la dis- tions. Dans son cas, c’est le «hangar» construit cussion entre Clément et le gérant à propos à côté du mobile-home qui, de trop grande taille, de cette situation rendue tendue par les injonc- empiète sur les dimensions autorisées de la par- tions au démantèlement de certaines structures. celle. Pourtant non-opposée au principe d’un règlement intérieur, elle met en doute, pour sa L’occasion s’est donc présentée de réfléchir défense, la transparence des méthodes du gérant sur la situation spécifique de ce camping à l’égard qui selon elle, évite la discussion avec les habi- d’une loi qui fait parler d’elle. tants, prenant ceux-ci de court de façon sélective. Mis à part ce caractère polémique, elle étend La gérance de l’établissement fait l’objet d’une la remarque à l’ensemble des services publics délégation de service public confiée à une entre- lorsqu’il s’agit de droits dont les bénéficiaires ne prise privée, également gestionnaire d’une bonne connaissent pas les conditions d’accès, ou de res- partie des parkings de l’agglomération de cette trictions pour lesquelles les usagers ne sont que grande ville. La situation du camping est par- rarement tenus au courant jusqu’à être pris sur ticulière du fait de la proportion importante de le fait et devoir en payer les conséquences. Elle personnes y vivant à l’année. La presse s’y invita plaide donc pour plus de dialogue entre repré- d’ailleurs plusieurs fois au moment d’un éphé- sentants institutionnels et habitants/usagers, et mère engouement médiatique provoqué aux pour l’ouverture d’espaces d’échanges d’informa- lendemains du vote de la loi Léonard (Madame tions et de pratiques entre usagers, ainsi, bien sûr, Legrand y fut interrogée). Cette loi, promulguée qu’une reconnaissance du statut des habitations afin d’agir activement contre le développement légères au même titre que les maisons en dur. de formes de logement insalubres et considé- rés inadaptés à un habitat «digne», parmi un Un entretien « exploratoire » ensemble de mesures, entendait imposer une limite temporelle de trois mois à toute instal- A défaut de pouvoir en tirer de quelconques lation en camping. Mais sa stricte application, traits généralisables à une catégorie bien iden- si elle rencontre des oppositions plus ou moins tifiée que seraient les habitants de campings à l’an- organisées de la part de ceux qui en sont la cible, née (malgré la présence tout du moins avérée de semble aussi poser problème pour les gestion- ménages très modestes dont ne fait pas partie Ma- naires de campings. Si dans certains cas cette loi dame Legrand) exposons, pour qu’ils soient sou- se voit mise en application avec zèle (conversion mis à comparaisons, les traits principaux de cette de terrains à des fins exclusives de loisirs entraî- expérience de l’habitat léger : rupture par rapport nant l’expulsion de l’intégralité de ses occupants à un parcours de vie conventionnel (appartement, permanents), la direction du camping que nous travail, enfant…) sur les rives d’un troisième âge, visitons s’engage à n’expulser personne, mais fait bricolage progressif d’un quotidien porté par un en contrepartie pression sur certains de ses oc- idéal de réappropriation de sa vie et ce, malgré cupants pour que soient démantelées les instal- les nouvelles restrictions auxquelles faire face (ici, lations les moins conformes à un souci général conformation à un règlement intérieur, promis- d’esthétique, de sécurité ou de salubrité. Ainsi, cuité, dépendance d’un proche). face aux conséquences d’une loi qu’elle juge trop radicale, elle consent à en minimiser les retom- Nous avons donc résumé très brièvement ce bées pour cette part après tout non négligeable de qui s’est avéré être un récit de vie. Le ton affirma- sa clientèle, sommant ceux dont les installations tif qu’elle emploie est aussi une position de dé- sont les plus éloignées de normes qu’elle juge fense qui renvoie à un contexte plus large. tolérables, de les démanteler (dont le hangar de Madame Legrand). Nous sommes donc là face à des pratiques de l’habitat léger qui, si elles sont impactées d’en haut par les modifications d’un régime juridique national (pressions pour le déman- tèlement de structures, voire l’expulsion pure et simple), n’en sont pas moins négociées dans le cadre réglementaire du camping. On ne peut néanmoins saisir l’ensemble des facteurs qui déterminent cette relative tolérance dont44

Camping municipal de Toulouse. Jeremy Levesquesfait montre la direction dans ce cas-là. A voir Mais pour lors, selon Clément, malgré les re-l’aspect transgressif de cette politique interne en mous provoqués par le caractère désagréable decomparaison du climat sécuritaire ambiant, on a ces rappels à l’ordre, et l’incertitude qui toujourstôt fait de l’applaudir pour son caractère philan- pèse sur l’ensemble des occupants permanents desthrope. Mais la gestion de cet établissement est campings français, le climat local reste globalementconfiée à un groupe dont les intérêts sont mobi- favorable dans ce contexte. Preuve en serait don-lisés majoritairement ailleurs. Combien alors est née par l’intention déclarée du gérant pour l’ins-pérenne cette situation d’exception que l’on ima- tauration de baux locatifs qui leur permettraient degine basculer à la défaveur de ses bénéficiaires, à pleinement justifier leur domiciliation sur les lieux.l’occasion de quelque changement dans la distri- Car c’est une option qui demeure pourtant en de-bution des intérêts réciproques des puissants, et hors de la loi telle qu’elle se présente aujourd’hui...ceci, cette-fois, en toute absence de considération Nous laisserons donc le soin de trancher à ceux quienvers ces citoyens de peu de poids dans le nou- connaissent mieux que nous les réalités du terrainveau calcul financier ? politique, législatif et humain. 45

Art 04 /Perspectives David Van Landuyt est salarié de l’association autour «Amitiés Tziganes 54», qui fait partie d’un réseau du terrain familial : national de défense et de soutien des actions de soli- regard d’un dmaernitté«engefnavseduurvdoeycaegue»x q1.uSeolu’ovnenatpcpoenllferoconmtémauuxnléi-- travailleur social mites institutionnelles qui ont pu freiner son action en tant qu’animateur, il reprend une formation de Jeremy Levesques Master en développement local pour retourner tra- vailler auprès du même public, mais avec cette fois Portée et limites d’un entretien une connaissance des leviers territoriaux qui condi- tionnent la pérennité des actions entreprises. Il s’agit C et article est rédigé à partir d’un entretien télé- globalement de soutenir l’amélioration des condi- phonique avec une personne dont le contact tions de vie et d’habitat pour ces familles installées me fut transmis par le réseau de RELIER. Bien sûr, sur des terrains dont elles sont propriétaires depuis lui rendre visite aurait permis d’approcher ce et souvent plusieurs dizaines d’années, mais sans ceux dont il parle. On part donc ici de notes prises avoir pu résoudre certaines «difficultés» (précarité au fur et à mesure de la conversation en y ajoutant énergétique des installations, insalubrité, instabilité quelques éléments issus de notre connaissance du juridique du terrain). En plus de s’inscrire dans des sujet et des apports des autres articles. démarches inspirées de l’économie sociale et soli- daire, ces actions expérimentales sont menées dans S’entretenir au téléphone avec un travailleur le cadre de dispositifs sociaux dont les membres de social sur les modes de vie des personnes auprès l’association tentent progressivement de maîtriser de qui il intervient n’équivaut pas à un témoignage les codes et mettre à profit les possibilités. direct de ces personnes. Dresser alors un portrait détaillé des familles comme pour les autres articles Le projet auquel David se consacre actuelle- du recueil est impossible. On ne s’empêchera pas ment consiste, selon les termes officiels, à soute- d’évoquer quelques traits de réalité principaux, nir la «sédentarisation» de familles élargies sur mais cela sans échapper au risque d’ajouter à terrains privés et repose sur deux axes : l’abondance de discours formulés en leur nom par · La réalisation de travaux sur ces terrains dans le les «intellos Gadjé». Car c’est un fait : les gens du cadre d’une Maîtrise d’Œuvre Urbaine et Sociale voyage sont moins proches de nos réseaux à RE- (MOUS) qui permet au projet de n’être pas re- LIER que la plupart des autres personnes interro- mis en cause en plein vol par quelque acteur ins- gées pour le recueil. Et leur absence se fait bel et titutionnel voulant s’y opposer : reconstructions bien sentir dans nos Rencontres. d’habitations pour pallier la précarité de certains logements jugés trop vétustes, et assainissement Ceci dit, les propos recueillis, parce qu’ils se si- pour minimiser la pollution générée par des ac- tuent au carrefour de plusieurs niveaux de réalité tivités de ferraillage. Préférence est donnée aux (institutionnelle, associative, vie quotidienne d’un filières courtes et matériaux locaux ainsi qu’à l’au- «public») permettent d’interroger sous un jour in- to-construction et au partage de savoir-faire. téressant les rapports qui se trament entre action so- · Transformer, là où c’est possible, le statut de ce ciale, expériences décrites de l’habitat léger, et leviers qui est souvent au départ un terrain agricole dé- politiques. Cette interconnexion dessine de nouvelles laissé puis occupé, ou bien acheté, en terrain urbain pistes, de nouveaux «hybrides» de projets. constructible, pour induire une pleine reconnais- sance du statut d’habitation et réduire les risques Profil et champs d’intervention d’expulsions ou d’attaques judiciaires. C’est souvent d’un travailleur social associatif par l’action du département ou des communes, que vont pouvoir être modifiés ces statuts dans les Plans Avec cet entretien, on obtient bien de la Locaux d’Urbanisme (PLU) ou les Plans d’Occu- «matière» sur un certain «profil» de vie en pation des Sols (POS). habitat léger mais aussi par le filtre d’une activité professionnelle (interventions avec des familles en Gio voie de sédentarisation sur terrains privés) dont les 1-L’usage de cette catégorie pose problème lorsque l’on sait modalités nous sont dévoilées au fur et à mesure que les personnes désignées sont avant tout françaises et de l’entretien, mais que l’on peut résumer ici avant bien souvent liées à un territoire. d’aborder leur mode d’habiter dans ses généralités :46

Quid de l’habitat léger ? Rapport à la législation Une définition élargie S elon notre interlocuteur, les familles concer-S elon David, ce type d’habitat n’a générale- nées ne connaissent que peu les règles en vi- ment pas d’empreinte au sol, le terrain peut gueur en matière de permis de construire ou deêtre rendu dans l’état qu’il était suite à un dé- travaux, notamment du fait d’un illettrisme per-ménagement de l’installation, même dans le cas sistant chez les pères de famille et au-delà. Ils sedes chalets qui sont construits dans le cadre du trouvent, de fait, régulièrement hors-la-loi : autreprojet, reposant sur dalles flottantes. En plus source d’action de l’association, malgré tout limi-d’inclure les caravanes, mobile-homes, tentes, tée (les achats et négociations autour du foncieryourtes, camions aménagés, David y ajoute toute restent à l’entière discrétion des familles). Deforme de construction utilisant des matériaux à plus s’il est possible pour Amitiés Tziganes d’in-«impact léger» ou construits dans des conditions fluer sur la définition d’un schéma d’urbanismede travail plus «raisonnées» (ossature bois, bois pour tenter d’y intégrer certaines parcelles, sacordé, ballots de paille…). La définition don- capacité d’opposition à certaines situations d’ex-née montre l’aspect mouvant de la désignation pulsion liées à des installations illégales demeure«léger», selon que l’on parle de la structure elle- limitée. Les lois votées à l’Assemblée Nationalemême, ou des manières de la bâtir. ont le dernier mot (LOPPSI 1 et 2). Gens du voyage Matériellement parlant... en voie de « sédentarisation » : traits physiques d’un mode d’habiter - Professionnellement, les personnes tirent leurs revenus de l’artisanat (élagage, paysagisme), Contexte d’installation la vente en porte-à-porte, les services à la per- sonne, la récupération/ferraillage.L a plupart des personnes que connait David sont des familles élargies issues du voyage, - Niveau fluides, l’eau courante potable n’estpropriétaires de terrains par voie d’achat ou pro- pas toujours à disposition, et nécessite des travauxposés par la commune comme «terrains familiaux d’acheminement parfois inclus dans les projets.locatifs». Ils y vivent pour la plupart déjà depuis20 à 50 ans et y stationnent leurs caravanes et mo- - Le chauffage est assuré généralement par desbile-homes pour des périodes variables mais de convecteurs électriques, chauffages au butane ouplus en plus longues. Mais ce que l’on assimile à poêles à bois. Sachant la plupart des habitationsun processus de sédentarisation est surtout la gé- médiocrement isolées (surtout les caravanes)néralisation d’un réflexe face à l’absence de liber- éonnerpgaértlieqruaea2u. joLuersd’shouluitidoannss ce cas de précaritétés dans la durée d’implantation sur un lieu, qu’il sont alors de bâtirsoit «terrain délaissé» duquel on peut être sommé des structures mieux isolées ou obtenir des fi-de partir dans les 48 heures, ou «aire d’accueil» nancements pour l’achat de mobil-homes neufscommunale sur laquelle ont été progressivement (25 000 € environ). La première solution est préfé-limitées les périodes autorisées de stationnement rée : des «chalets» d’une cinquantaine de mètres(actuellement 3 mois pour la plupart). S’installer carrés, composés d’une pièce de vie avec coin cui-donc sur un terrain acquis par voie foncière ou lo- sine, cheminée avec insert, salle de bain, et WC sé-cative permet autant de pérenniser son attache au parés et d’une ou plusieurs chambres, fourniraientterritoire (scolarisation des enfants, domiciliation un niveau de confort supérieur aux caravanes ouadministrative, vie locale, accueil de proches) que mobilehomes de générations anciennes souventde continuer à pouvoir se déplacer en fonction des impossibles à rénover de manière satisfaisante.opportunités professionnelles ou des occasionsfamiliales/religieuses dans une autonomie relative 2-« La précarité énergétique peut se définir comme la difficulté,par rapport aux contraintes administratives. voire l’incapacité à pouvoir chauffer correctement son logement, et ceci à un coût acceptable » (source : Réseau des acteurs de la pau- Mais si la domiciliation est facilitée dans le cas vreté et de la précarité énergétique dans le logement - RAPPEL)d’installations en terrain privé, elle demeure lour-dement problématique pour la plupart de ceux 47qui sont tenus de circuler du fait de l’absence deplace pérenne pour se poser : beaucoup sont do-miciliés sur des communes où ils ne séjournentplus, mais n’en changent pas parce qu’ils conti-nuent à circuler dans les limites du département,ce qui représente du travail pour les associationscomme Amitiés Tziganes afin d’assister les per-sonnes à la gestion de leur courrier…

Aire d’accueil de grands passages de Mauguio. Languedoc-Roussillon, 2011 © Alexandra Frankewitz Photographe / Transit Culture et politique projet pilote, expérimental, à la marge des initia- tives qu’encourage l’Etat quand il fait appel à la P oser la question de l’appartenance collec- ndeot«iopnodpuelcaotihoénssi-ocinblseos»ci)a4le. (mesures en direction tive débouche d’emblée sur des situations Mais ce n’est pas sans complexes. Avant tout attachés à des cercles rap- que la démarche soit contredite quotidienne- prochés comme la famille ou les amis, voire à un ment par le fond de mesures sécuritaires. Ainsi courant religieux, une appartenance ethnique ou se forment au niveau local des clivages qui oppo- une profession, les Tziganes sembleraient a priori sent des services «déconcentrés» (préfectures re- moins présents sur le terrain politique ou associa- layant le plus souvent ces arguments sécuritaires) tif en tant qu’acteurs. Mais la voie du recours aux et les acteurs territoriaux dont Amitiés Tziganes organisations comme le DAL ou le «défenseur des parvient au gré des alliances à s’attirer le soutien droits» pour des discriminations vécues débouche pour modifier les trames d’aménagement et ainsi sur des implications progressives dans les associa- «régulariser» les situations de familles qui dans tions, notamment les jeunes, de plus en plus lettrés les faits n’ont rien d’étranger au territoire où elles et «connectés». L’appropriation de ces outils par vivent parfois depuis des décennies. les gens du voyage semble une occasion de dé- passer la seule relation de service à l’urgence. Car David est tenu donc de coordonner des actions si les luttes pour leur reconnaissance sont parfois dont les fondements sont chaque jour potentielle- portées par des forces mutuellement antagonistes ment remis en cause par ces contradictions poli- s(uclrivdaegsepsorseitliigoinesuexs,spenrotifaelsissitoesn3n,elelst)raevta/iol du’ubnaeséaess- tiques ou par l’inconstance des financements. Mais sociation comme Amitiés Tziganes a pour but de il tire satisfaction de ce qu’un tel projet amène les faire converger les revendications particulières vers gens du voyage à se saisir de pratiques qui ten- des formulations partagées du bien commun... daient à demeurer l’apanage des classes moyennes et des néo-ruraux : s’ajoutent à ces travaux de réha- Soutiens financiers de l’association bilitation la recherche d’alternatives économiques (filières courtes), écologiques (matériaux sains) F ondation Abbé Pierre, Fondation de France, et organisationnelles (chantiers participatifs et Fonds européen de développement régional échanges de savoir-faire) qui peuvent contribuer (financement en général), Région Lorraine (qui à insuffler, depuis ces marges du travail social, un soutient le fonctionnement de l’équipe), Crédit désir d’autonomie et enfin, de contribution au po- Immobilier (qui alloue des prêts de 25 000 € aux litique dans son sens large. familles à taux préférentiel), et Conseil général de Meurthe-et-Moselle, sont des alliés de poids 3-« L’essentialisme exprime la conviction que les identités pour tout montage de projet. possèdent nécessairement une substance positive et tan- gible, comme une série de caractéristiques intemporelles Comme toute association dont les finances et immuables qui déterminent définitivement leur nature et reposent sur des subventions, rien ne lui assure les différencient clairement d’autres identités. De cette ma- dans la durée un apport constant. nière, on peut définir par exemple l’appartenance sexuelle, des communautés et des sujets politiques comme la nation, Contradictions juridiques autour la classe ou même — ce qui est le plus souvent le cas ces de l’habitat des gens du voyage derniers temps — une ``culture’’ particulière » Boris Buden, L’universalisme stratégique : Dead concept walking. De la su- L ’association Amitiés Tziganes, par le type d’ac- balternité de la critique aujourd’hui, traduction Pierre Rusch, tions menées et décrites par David dans cet en- (institut européen pour des politiques culturelles en devenir) tretien téléphonique, s’inscrit dans une démarche de 4-Voir à ce propos l’article « Du droit dérogatoire à l’habitat48 « adapté » au droit commun d’habitats légers, mobiles et éphémères » de Béatrice Mésini dans ce recueil.

Art 05 / Une figure du Question stationnement, ce n’est jamais un travail mobile : problème. L’usage d’une moto 125 cm3 lui permet caractéristiques de garer le camion hors d’un centre-ville et de s’y d’une « nouvelle rendre sans complication. Pour trouver un endroit vie » en camion plus posé qu’un parking, il parvient rapidement à «se brancher aux réseaux», notamment celui de Jeremy Levesques l’agriculture biologique dont il est proche et où les personnes ont toujours une place sur leur terrain L ’interlocuteur que nous décidons d’appeler pour l’accueillir. ici Eric a répondu à une grille d’entretien pré- cise couvrant une variété des thématiques abor- Concernant l’accueil de proches, il avoue ne pas dées tout au long du recueil. Le texte qui suit est pouvoir recevoir du fait de la simplicité de ses équi- un résumé de ses propos en suivant cette même pements et préfère organiser cela dans un café ou trame, suivi de quelques notes de commentaire. dehors à la belle saison. 1 / Présentation 3 / Statut d’habitation Le facteur déclencheur E ric a 50 ans, originaire d’Ardèche, et a vécu successivement dans différentes régions du C e fut un projet qui mit du temps à mûrir du fait Sud-est de la France en fonction des opportunités de sa contradiction avec le mode de vie de la de travail et des choix qu’il fait en la matière. Il a eu plupart de ses connaissances et famille. Le déclen- des expériences professionnelles diverses : travail chement a été le départ de son appartement et la associatif, agriculture, bâtiment, transformation revente de sa voiture, couplé au démarrage d’une alimentaire. Il aura effectué de nombreuses forma- formation dans une autre région. tions pour cela (horticulture, charpente et récem- ment boulangerie). Issu d’une famille plutôt sé- Nomade /sédentaire dentaire, il a choisi le camion comme habitat voilà trois ans pour réagir personnellement face au prix C ’est une question non pertinente à ses yeux. Il ne exorbitant des loyers et permettre une meilleure se considère ni l’un ni l’autre : «en ce moment, je adéquation avec ses activités (aujourd’hui parta- vis ça». Il dit partager les mêmes problématiques et gées entre la boulangerie dans une région en hiver besoins de sociabilité qu’avec les sédentaires, même si et la charpente dans une autre, en été). sur le plan administratif, des impôts, etc., il y a bien une différence. Il possède en fonction de sa situation par- 2 / Aspects pratiques fois jusqu’à 6 ou 7 adresses déclarées chez des amis ou la famille. Mais sur le plan du statut de son habitation, il E ric vit dans un camion à l’aménagement som- choisit la discrétion (non-déclaration en tant que cam- maire : quelques rangements, un lit, un poêle à ping-car, poids de moins de 3,5 t). bois et un réchaud au gaz. Souhaitant demeurer sobre dans ses choix et ne pas signifier qu’il vit dedans (la 49 carte grise du véhicule correspond à un «fourgon»), il dort dans un espace non-isolé thermiquement, se chauffe au bois, et démonte le conduit ainsi que le ré- chaud dès qu’il roule («je tiens à rester en légalité pour pouvoir aborder les douanes sereinement»). Il n’est pas indépendant en eau, et remplit des bidons aux robinets publics ou chez les personnes qui l’hébergent. Pour les toilettes, il se soulage dans la nature ou va dans les cafés. Pour se laver il chauffe de l’eau dans le camion et s’y lave ou bien prend une douche chez l’employeur. Pour l’électricité, il s’éclaire avec des LED branchées sur la batterie du camion et tire un câble quand il est sur un terrain à proximité d’une habitation pour se connecter à internet (en- viron une fois par semaine ce qui est trop peu à son goût). Il considère ces modalités comme gérables.


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