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_Les_ Générations des Soufis Ṭabaqāt Al-ṣūfiyya de Abū ʻAbd Al-Raḥmān, Muḥammad B. Ḥusayn Al-Sulamī (325937-4121021) by Thibon, Jean-Jacques (z-lib.org)

Published by Auhammud Zeyd, 2021-08-12 15:35:54

Description: _Les_ Générations des Soufis Ṭabaqāt Al-ṣūfiyya de Abū ʻAbd Al-Raḥmān, Muḥammad B. Ḥusayn Al-Sulamī (325937-4121021) by Thibon, Jean-Jacques (z-lib.org)

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86 Première Génération J’ai entendu Muḥammad b. al-Ḥasan al-Baġdādī : j’ai entendu Ǧaʿfar al-Ḫuldī : j’ai entendu al-Maʿmarī164 : Aḥmad b. Abī l-Ḥawārī nous a rapporté : Abū Sulaymān al-Dārānī nous a rapporté, il a dit : 11 Toute œuvre qui ne reçoit pas une récompense dans ce monde, n’aura pas de rétribution dans l’autre. ʿAbdallāh b. al-Ḥusayn al-Ṣūfī nous a rapporté : Muḥammad b. ʿAbdallāh nous a rapporté : Sahl b. ʿAlī nous a rapporté : Abū ʿImrān al-Ǧaṣṣāṣ165 nous a rap- porté : j’ai entendu Abū Sulaymān al-Dārānī dire : 12 Si le cœur a faim et soif, il se purifie et s’élève, mais s’il est rassasié et désaltéré il est frappé de cécité. Anthologie, n° 409 J’ai entendu Abū l-Faraǧ al-Waraṯānī : j’ai entendu Abū Ṭayyib al-ʿAkkī : Aḥmad b. Abī l-Ḥawārī a dit : 13 j’ai dit à Abū Sulaymān al-Dārānī : – J’ai fait une prière dans ma retraite et en ai éprouvé du plaisir. – Quelle est la chose dans cette prière qui t’a procuré ce plaisir ? A-t-il demandé. – Du fait que personne ne me voyait, ai-je répondu. – C’est une marque de ta faiblesse, a-t-il commenté, que te soit venu à l’esprit166 la mention des créatures. 14 j’ai interrogé Abū Sulaymān al-Dārānī : – Lorsque les passions sortent du cœur, quel nom prend l’ascendant sur lui? L’ascète ? Le scrupuleux ? Quoi donc ? Il répondit : – Lorsqu’il l’a émondé (salā) de ses passions, le cœur est contenté (rāḍin). ʿAlī b. Abī ʿUmar al-Balḫī nous a informés : Muḥammad b. ʿAlī b. al-Qāsim nous a rapporté : al-Ḥasan b. Ubaydallāh al-Qaṭṭān nous a rapporté : Aḥmad b. Abī l-Ḥawārī nous a rapporté : Abū Sulaymān al-Dārānī a dit : 15 Considère ce que tu as recherché de ce monde mais que tu n’as pas obtenu comme si cela ne t’était pas venu à l’esprit et que tu ne l’avais pas demandé. Aḥmad b. Muḥammad b. Zakariyyā nous a rapporté : Aḥmad b. Muḥammad b. ʿAbd al-Wahhāb nous a rapporté : Muḥammad b. al-ʿAbbās al-Dirafs (ou Dirafš) nous a rapporté : Aḥmad b. Abī l-Ḥawārī nous a rapporté : j’ai entendu Abū Sulaymān dire : 164 P: al-Muʿtamirī, voir Baġdādī, 7, p. 369 : al-Ḥasan b. ʿAlī, Abū ʿAlī al-Maʿmarī. 165 Mūsā b. ʿĪsā, l’un des premiers disciples d’Aḥmad b. Ḥanbal, voir Baġdādī, 13, p. 42. 166 Litt. ‘dans ton cœur’.

9 Abū Sulaymān al-Dārānī 87 16 La famille affaiblit la certitude de celui qui en est doté. Car, s’il est tout seul et qu’il a faim, il se réjouit. Mais s’il a une famille et qu’elle a faim, il demande pour elle. Et dès que s’impose une demande, la certitude faiblit. 17 Entre Dieu et Son serviteur, la chose la plus efficace (ablaġ) est l’examen de conscience. J’ai entendu Aḥmad b. Alī b. Ǧaʿfar dire : Abū Sulaymān a dit : 18 Le dernier pas des ascètes est le premier pas de ceux qui placent leur confiance en Dieu (al-mutawakkilīn). 19 Allusion subtile que Sa parole : « N’est-ce pas à Dieu que revient le culte pur167 ? » Intimidation énoncée avec bienveillance (bi-luṭf ) . 20 À toute chose une dot. Celle du paradis est de renoncer à ce monde et à tout ce qu’il contient. 21 À toute chose une parure. Celle de la sincérité est le recueillement (ḫušūʿ). 22 Si le sage renonce à ce monde, il brille de la lumière de la sagesse. 23 À Toute chose une origine. Celle de la sincérité est le cœur des renonçants. 24 À toute chose un symptôme (ʿalam). Celui de l’abandon (de Dieu)168 est l’inter- ruption des pleurs.  Qušayrī K, 35 ; 25 Qui cherche à parvenir à Dieu en détruisant son âme, Dieu la lui préserve et lui donne pouvoir sur Son paradis. 26 La meilleure des œuvres (ʿamal) est de s’opposer aux désirs de l’âme.  Qušayrī K, 35 ; 27 Qui recherche une exhortation évidente169, qu’il regarde l’alternance des jours et des nuits. 28 Apprenez à vos âmes le contentement envers le cours du destin (­al-maqdūr), car quel beau moyen d’accéder aux degrés de la gnose. 29 Lorsque la crainte (ḫawf ) s’installe dans le cœur, elle consume toutes les pas- sions et elle en chasse l’insouciance. 30 À toute chose une rouille. Celle qui affecte la lumière du cœur provient d’un ventre rassasié.  Qušayrī K, 35 ; 31 Qui montre qu’il se consacre à Dieu, doit se décharger de tout fardeau. 167 Cor. 39,3. 168 C-à-d. que Dieu ne porte plus secours et assistance à Son serviteur. 169 Plus lit. : « qui recherche un prédicateur éloquent… »

88 Première Génération 32 Qui emprunte la voie (wasīla) de la sincérité, reçoit en récompense, venant de Dieu, le contentement. 33 À Toute chose une marque de sincérité. Celle de la certitude réside dans la crainte de Dieu. 34 Si un affligé (maḥzūn) pleurait dans une communauté, Dieu ferait miséricorde à cette communauté. Bibliographie : Ta⁠ʾrīḫ al-ṣūfiyya, 218–9 ; Ḥilya, 9, 254–80 ; Qušayrī, 25–6 ; Qušayrī K, 35–6 ; Qušayrī G, 54–6 ; Anṣārī, 39–56 ; Baġdādī, 10, 248–50 ; Ibn al-Ǧawzī, 4, 223–34 ; ʿAṭṭār, 276–84 ; Mémorial, 218–21 ; Somme spirituelle, 143–4 ; Kašf, 112–3 ; Islamic Mysticism, 36–9 ; Essai, 219–23 ; R. Gramlich, Oriens, 22–85 ; R. Gramlich, Der eine Gott (index) ; R. Gramlich, Weltverzicht. Grundlagen und Weisen islamischer Askese, (index) ; B. Reinert, Die Lehre vom tawakkul in der klassischen Sufik, (index) ; J. van Ess, « al-Dārānī », EI3 10 Maʿrūf al-Karḫī Abū Maḥfūẓ Maʿrūf b. Fayrūz J’ai entendu Muḥammad b. Yaʿqūb a­ l-Aṣamm : j’ai entendu Zakariyyā b. Yaḥyā b. Asad le nommer : Maʿrūf b. Fayrūz, Abū Maḥfūẓ a­ l-Karḫī170. On dit aussi : Maʿrūf b. Fayruzān. J’ai entendu mon grand-père Ismāʿīl b. Nuǧayd : j’ai entendu Abū l-ʿAbbās ­al-Sarrāǧ : j’ai entendu Ibrāhīm b. a­ l-Ǧunayd dire : Maʿrūf ­al-Karḫī est Maʿrūf b. Fayruzān. On dit encore : Maʿrūf b. ʿAlī. Yūsuf b. ʿUmar ­al-Zāhid nous a informés à Bagdad : Ubaydallāh b. Ǧaʿfar ­al-Ṣaġānī nous a rapporté : ʿUmar b. Wāṣil nous a rapporté : Sahl b. ʿAbdallāh a dit : Muḥammad b. Sawwār m’a informé, d’après Maʿrūf b. ʿAlī ­al-Karḫī, le Renon- çant. 170 La nisba Karḫī renvoie à Karḫ, quartier de Bagdad dans lequel il aurait passé l’essentiel de sa vie.

10 Maʿrūf al-Karḫī 89 Il fait partie des maîtres illustres et des Anciens, connu pour sa piété et sa fu- tuwwa171. Il fut le maître de Sarī al-Saqaṭī (n° 5). Il a été le disciple de Dāwud a­ l-Ṭāʾī172 (m. 165/781–2). De nos jours encore, sa tombe à Bagdad est visible. On la visite en quête de bénédictions et de guérison173. J’ai entendu Abū l-Ḥasan b. Miqsam à Bagdad : j’ai entendu Abū ʿAlī ­al-Ṣaffār : j’ai entendu Ibrāhīm a­ l-Ǧazarī dire : La tombe de Maʿrūf est un antidote éprouvé174. Maʿrūf était devenu musulman175 grâce à ʿAlī b. Mūsā ­al-Riḍā176 et après sa conversion devint son chambellan. Un jour les chiites s’attroupèrent à la porte de ʿAlī b. Mūsā et cassèrent les côtes de Maʿrūf qui mourut177. Il fut enterré à Bagdad. Il a transmis le hadith178. Abū l-Ḥusayn ʿAlī b. Ḥasan b. Ǧaʿfar ­al-Ḥāfiẓ a­ l-ʿAṭṭār nous a informés à Bag- dad : Aḥmad b. a­ l-Ḥasan ­al-Muqrī Dabīs nous a informés : Naṣr b. Dāwud nous a informés : Ḫalf b. Hišām nous a informés : j’ai entendu Maʿrūf ­al-Karḫī dire : 171 Terme parfois traduit par chevalerie héroïque, mais qui n’a qu’un lointain rapport avec la chevalerie occidentale. Générosité héroïque, traduction proposée par M. Chodkiewicz, rend mieux compte de cette forme de spiritualité caractérisée par l’altruisme et le don de soi. 172 Il est mort en 165/781–2, sur lui voir L. Berger, « Dāwūd a­ l-Ṭāʾī », EI3. 173 Dans l’un des manuscrits des Ṭabaqāt, on trouve yustasqā au lieu de yustašfā, mais cette lecture n’a été retenue ni par P ni par Š. On venait rechercher auprès de sa tombe la guéri- son et non faire des rogations en faveur de la pluie, voir EI2, 6, p. 599a et Knysh, Islamic Mysticism, p. 49. De fait les sources anciennes, comme Baġdādī, rapportent ses miracles, ce que ne fait pas Sulamī. 174 Expression attribuée par Ibn a­ l-Ǧawzī à Ibrāhīm a­ l-Ḥarbī, voir Ṣifa, 2, p. 324. 175 Selon certaines sources, ses parents étaient Chrétiens et selon d’autres Sabéens, voir Qušayrī, p. 66 et Baġdādī, 13, p. 200. 176 ʿAlī l-Riḍā (m. 203/818), le huitième imam des Chiites dont il aurait été proche, de sa con- version à sa mort. Il pourrait y avoir là un point de passage d’éléments de la tradition imamite chez les premiers soufis. La futuwwa que Sulamī lui attribue doit-elle être reliée à sa fréquentation de ʿAlī l-Riḍā? Toutefois, aucun élément textuel ne corrobore cette pos- sibilité dans les sentences de Sulamī, l’imam n’apparaissant pas une seule fois. Concer- nant ce fait, Massignon parle de « ridicule légende », voir Essai, p. 130. Pour Knysh, il s’agit d’un personnage semi légendaire, voir Islamic Mysticism, p. 48. 177 Sulamī ne donne pas la date de sa mort. Celle généralement admise est 200/814–5. 178 Contrairement à son habitude, Sulamī ne cite pas en début de notice un hadith qu’il au- rait entendu selon une chaîne de transmission passant par le personnage biographié, quand celui-ci est présenté comme transmetteur de hadiths. Il n’en détenait probable- ment pas et l’invocation qui suit en tient lieu.

90 Première Génération 1 Mon Dieu, nos toupets sont entre tes mains179, tu ne nous as octroyé aucun pouvoir sur eux. Puisqu’il en est ainsi, que Tu sois, Toi, notre protecteur (walī) et guide-nous vers le droit chemin180. Je l’interrogeai (sur cette invocation). Il me répondit : – Bakr b. Ḫunays181 m’a rapporté : Sufyān a­ l-Ṯawrī nous a rapporté, d’après Abū Zubayr, d’après Ǧābir que le Prophète invoquait (Dieu) avec cette prière182. Ubaydallāh183 b. ʿUṯmān b. Ǧaʿfar nous a informés : Aḥmad b. ʿAbdallāh b. Sulaymān nous a informés : mon père nous a informés : [ j’ai entendu Muḥammad b. Šaḥḥām]184 : j’ai entendu Muḥammad b. Naṣr : j’ai entendu Maʿrūf dire : 2 Qu’ils sont nombreux les gens pieux (a­ l-ṣāliḥīn) ! Mais parmi eux bien peu sont sincères. Ubaydallāh nous a informés : Aḥmad nous a rapporté : mon père nous a rap- porté : Yūsuf b. Mūsā nous a rapporté : Ibn Ḫubayq nous a informés : j’ai en- tendu Ibrāhīm a­ l-Bakkāʾ : j’ai entendu Maʿrūf dire : 3 Lorsque Dieu veut du bien à un serviteur, il lui ouvre la porte des œuvres pieuses (ʿamal185) et lui ferme celle de la polémique. Tandis que si Dieu lui veut du mal, c’est le contraire qui se produit186.  Mémorial, 238. 179 Allusion à Cor, 55, 41. 180 Expression coranique apparaissant de nombreuses fois, par exemple, Cor. 2, 108 ou Cor. 5, 12, 60. Pour le hadith, voir a­ l-Ǧāmiʿ a­ l-ṣaġīr, 1, p. 228 et Ḥilya, 8, p. 367. 181 ­al-Kūfī, représentant de la tradition ascétique de Kūfa, et qui fut l’un de ses maîtres, voir Ḥilyā, 8, p. 364–5. 182 Rapporté aussi par Baġdādī, 13, p. 199. 183 Š : ʿAbdallāh. 184 Absent chez Š. 185 Le terme ʿamal, très souvent employé dans les sentences est assez vague, mais désigne généralement les œuvres pieuses. Dans un récit rapporté par Qušayrī, le contenu de cette notion de ʿamal est explicité suite à la demande que Maʿrūf adresse à un disciple de Dāwud a­ l-Ṭāʾī qui le mettait en garde contre l’abandon des œuvres pieuses. Ce dernier lui répondit : « Une obéissance constante à ton Seigneur, servir les musulmans et leurs prodiguer de bons conseils. », Qušayrī, p. 66–7. Ce récit tend à indiquer que Marʿūf n’a pas été le disciple direct de Dāwud a­ l-Ṭāʾī mais qu’il aurait recueilli son enseignement par l’intermédiaire de ses disciples. 186 L’opposition à la spéculation, qui transparaît dans cette sentence, est peut-être l’une des raisons qui expliquent que Ibn Ḥanbal ait pris sa défense contre ceux qui lui reprochaient son manque de science. Mais, au-delà de cette question, il avait une profonde admiration pour lui, voir, Baġdādī, 13, p. 200–1. D’ailleurs, Hanbalites et soufis revendiqueront son héritage et Ibn a­ l-Ǧawzī indique lui avoir consacré un ouvrage intitulé Faḍāʾil Maʿrūf, voir Ṣifa, 2, p. 324.

10 Maʿrūf al-Karḫī 91 4 Je demandais à Maʿrūf un conseil. Il me répondit : – Abandonne-toi à Dieu en confiance (tawakkal), afin qu’Il soit ton précepteur (muʿallim), ton confident, Celui qui reçoit tes doléances. Car les hommes ne peuvent te nuire ni t’être utiles. Ubaydallāh nous a informés : Aḥmad nous a rapporté : mon père nous a rap- porté : Hāšim b. Abī ʿAbdallāh nous a rapporté : Abū Zakariyyā ­al-Ḥammāl nous a rapporté : 5 Maʿrūf urina près du rivage puis fit ses ablutions sèches. On lui objecta : – Abū Maḥfūẓ, l’eau est tout près de toi ! Mais il répliqua : – Peut-être que je ne l’at- teindrai pas ! J’ai entendu Abū Bakr Muḥammad b. ʿAbdallāh ­al-Rāzī : j’ai entendu Abū l-ʿAbbās a­ l-Farġānī : j’ai entendu Ǧunayd : j’ai entendu Sarī : j’ai entendu Maʿrūf a­ l-Karḫī dire : 6 Baissez le regard187, même devant la femelle du mouton. 7 L’authentique fidélité à ses engagements (wafāʾ) consiste à secouer l’être in- time (sirr) des assoupissements que provoquent les distractions et à débarras- ser son esprit des résidus des épreuves (āfāt). 8 La générosité (saḫāʾ), c’est de se défaire de ce dont on a besoin, alors que l’on est dans la gêne. 9 Un homme dit à Maʿrūf : – Tu n’as pas eu un mot de remerciement pour mon don (maʿrūf) ? Il répondit : – Ton don s’est dispensé du prévôt du marché188, aussi est-il tombé dans les mains d’un ingrat. J’ai entendu Aḥmad b. Muḥammad b. Yaʿqūb a­ l-Harawī à Qirmīsīn : j’ai en- tendu Aḥmad b. ʿAṭāʾ : ʿUmar b. Muḫallad nous a rapporté : Ibn Abī Ward a dit : 10 Maʿrūf ­al-Karḫī a dit : le signe de l’exécration (maqt) divine envers un serviteur est que tu le vois occuper sa personne à ce qui ne le concerne pas. 11 Maʿrūf ­al-Karḫī a dit : demander le paradis sans accomplir d’œuvres pieuses est une faute comme une autre. Attendre l’intercession sans la susciter est une forme d’illusion. Et espérer la miséricorde de Celui à qui on n’obéit pas est ignorance et bêtise.  Mémorial, 238. 187 Référence à Cor. 24, 30. 188 Dans cette référence aux marchés et de ses usages, la mention du muḥtasib est une pos- sible allusion à Dieu auprès de qui le donateur aurait dû s’acquitter d’une ’redevance’ pour la marchandise qu’il avait entre les mains, à savoir remercier son bienfaiteur. Dès lors ce- lui qui reçoit le don à son tour peut légitimement commettre le même oubli.

92 Première Génération 12 Abū Sulaymān a­ l-Dārānī a dit : j’ai interrogé Maʿrūf a­ l-Karḫī sur ceux qui obéis- sent à Dieu189 : – Par quelle chose ont-ils eu la capacité d’obéir ? Il me répon- dit : – Par l’éviction de ce monde de leur cœur. S’il en restait un tant soit peu, la (moindre de leur) prosternation ne serait pas valable. 13 On a demandé à Maʿrūf : – Par quoi le monde est-il évincé du cœur ? Il répon- dit : – Par la pureté de l’affection (wudd) et le bon comportement spirituel (ḥusn ­al-muʿāmala). 14 On interrogea Maʿrūf sur l’amour. Il répondit : – l’amour ne s’apprend pas au- près des hommes. Il fait partie des dons de Dieu et de Sa faveur. 15 Maʿrūf a dit : – Trois traits caractérisent les fityān190 : une fidélité exempte de différends, l’éloge sans contrepartie, la libéralité sans sollicitation (suʾāl).  Somme spirituelle, 145191. 16 Maʿrūf adressait des reproches à son âme : – Ma pauvre, disait-il, comme tu pleures et te lamentes ! Sois sincère et finissons-en192 ! 17 On interrogea Maʿrūf sur les signes distinctifs des saints. – Ils sont au nombre de trois, répondit-il. Toutes leurs pensées (humūm) sont tournées vers Dieu ; leur activité (šuġlu-hum) Lui est consacrée et en Lui ils cherchent refuge193. 18 Il n’y a pas pour le gnostique de bienfait (particulier), car Il (Dieu) est dans chaque bienfait194. J’ai entendu Abū l-Fatḥ a­ l-Qawwās le renonçant : j’ai entendu Abū l-ʿAmr ­al-Buzūrī dire : Maʿrūf a dit : 19 Le cœur des gens purs se dilate par la piété (taqwā) et brille par la bonté pieuse (birr). Le cœur des libertins est plongé dans l’obscurité par leur libertinage, frappé de cécité par leurs mauvaises intentions. 20 Lorsque Dieu veut du bien à un serviteur, il lui ouvre la porte des œuvres (pieuses) et lui ferme celle de l’indolence et de la paresse195. 189 Ṭāʾiʿ, terme coranique, voir Cor. 41, 11. 190 Ceux qui revendiquent la générosité héroïque (futuwwa). Dans la version de Abū Nuʿaym, le terme fityān est remplacé par safāʾ (pureté), voir, Ḥilya, 8, p. 367. 191 Cette citation est la seule que Huǧwirī rapporte de Karḫī. Il la commente comme trois qualités qui sont d’abord divines et précise qu’Abraham, souvent présenté comme le père de la futuwwa, les possédait. De plus, dans cette notice l’auteur se réfère de manière ex- plicite à Qušayrī et Sulamī pour l’organisation de l’ordre de présentations des person­ nages. 192 Š : taḫluṣ : tu seras débarassée ; P : taḫallaṣ : tu seras délivrée. Cette sentence fait allusion aux rigueurs de l’ascèse qu’il s’infligeait. 193 Lit. : leur fuite est vers Lui, en référence à Cor. 51, 50. 194 L’imprécision du pronom de 3° personne permet une autre traduction : Il n’y a pas pour le gnostique de bienfait, car tout est pour lui bienfait. 195 Variante du n° 3.

11 Ḥātim ­al-Aṣamm 93 Bibliographie : Ta⁠ʾrīḫ ­al-ṣūfiyya, 334–7 ; Ḥilya, 8, 360–8; Qušayrī, 65–8196 ; Qušayrī K, 21–3 ; Qušayrī G, 39–41 ; Anṣārī, 35–8 ; Baġdādī, 13, 199–209 ; Ibn ­al-Ǧawzī, 2, 318–24 ; ʿAṭṭār, 324–9 ; Mémorial, 236–8 ; Muslim Saints and Mystics, 161–5 ; Islamic Mysti- cism, 48–9 ; Essai, 229, 240 ; Nicholson § Austin EI2, 6, 598b–9a ; Somme spirituelle, 144–5 ; Kašf, 113–5. 11 Ḥātim a­ l-Aṣamm Ḥātim b. ʿUnwān ­al-Aṣamm197 ; on a dit : Ḥātim b. Yūsuf ; et encore : Ḥātim b. ʿUnwān b. Yūsuf ­al-Aṣamm. Sa kunya est Abū ʿAbd ­al-Raḥmān. Originaire de Balḫ, il fait partie des plus anciens maîtres du Ḫurāsān. Il a été le disciple (ṣaḥiba) de Šaqīq b. Ibrāhīm (­al-Balḫī, n° 7198) et le maître (ustāḏ) de Aḥmad b. Ḫaḍrawayh (ou Ḫiḍrūyah, n° 13). Il fut client d’al-Muṯannā b. Yaḥyā a­ l-Muḥāribī et eut un fils dont on dit qu’il s’appelait Ḫašnām b. Ḥātim. Il mourut à Wāšaǧard199 auprès d’un ribāṭ200 du nom de Raʾ⁠ s Sarūnd201, situé sur une montagne au-dessus de Wāšaǧard en 237/851–2. Il a transmis le hadith. Abū l-Ḥusayn Muḥammad b. Muḥammad a­ l-Muʾaḏḏin nous a informés : Muḥammad b. Ḥusayn b. ʿAlī nous a rapporté : Muḥammad b. Ḥusayn b. ʿAlawayh nous a rapporté : Yaḥyā b. a­ l-Ḥāriṯ nous a rapporté : Ḥātim b.- ʿUnwān ­al-Aṣamm nous a rapporté : Saʿīd b. ʿAbdallāh ­al-Māhiyānī nous a rapporté : Ibrāhīm b. Ṭahmān nous a rapporté, à Nishapur : Mālik nous a rap- porté d’après ­al-Zuhrī, d’après Anas, le Prophète a dit : 196 Il est remarquable que pas une des sentences rapportées par Sulamī ne figure dans la notice de Qušayrī. 197 Qušayrī explique les raisons de ce sobriquet, voir Qušayrī, p. 26, repris par Baġdādī, 8, p. 244. 198 Si rien ne corrobore le lien avec Ḫaḍrawayh, par contre l’isnād des sentences rapportées dans la notice de Šaqīq met en évidence ce lien de maître à disciple. Le même isnād se retrouve ici pour les sentences 5 à 25. Dans un ḫabar rapporté par Abū Nuʿaym, Šaqīq demande à Ḥātim ce qu’il a appris de lui depuis qu’il est son disciple et ce dernier lui répond en énumèrant six choses, voir Ḥilya, 8, p. 80. Une version un peu différente tant dans la forme que sur le fond est dans Ṣifa, 4, p. 161–2. 199 P : Wāšaǧird. 200 Lieu fortifié consacré à la fois à la défense des frontières de l’islam et à l’adoration, voir J. Chabbi, art. « Ribāṭ », EI2, 8, p. 510a–523b. 201 P : Sarwand.

94 Première Génération 1 Prie la prière de la matinée, car c’est la prière des justes (­al-Abrār). Donne le salut lorsque tu entres dans ta maison, le bien entrera en abondance dans ta maison202. J’ai entendu Naṣr b. Abī l-Naṣr ­al-ʿAṭṭār : j’ai entendu Aḥmad b. Sulaymān a­ l-Kafršīlānī203 : j’ai trouvé dans mon livre204, que Ḥātim a­ l-Aṣamm a dit : 2 Celui qui entre dans cette voie (maḏhab) qui est la nôtre doit se préparer à quatre types de morts : la mort blanche, la mort noire, la mort rouge et la mort verte. La mort blanche c’est la faim ; la noire, supporter les nuisances des gens ; la rouge, contrarier les désirs de l’âme charnelle ; et la mort verte, prendre un habit fait de loques cousues (riqāʿ) les unes sur les autres205.  Bayhaqī, n° 403 ; Qušayrī K, 37 ; 3 On dit que la précipitation vient du diable, sauf pour cinq choses : servir la nourriture quand l’hôte se présente, préparer le défunt après sa mort pour les funérailles, marier la jeune fille devenue pubère, rembourser une dette à l’échéance et se repentir d’une faute commise. J’ai entendu Aḥmad b. Muḥammad b. Zakariyyā : j’ai entendu ʿAbdallāh b. Bakr ­al-Ṭabarānī : Muḥammad b. Aḥmad ­al-Baġdādī nous a rapporté : Abdallāh b. Sahl a­ l-Rāzī nous a rapporté : j’ai entendu Ḥātim a­ l-Aṣamm dire : 4 Celui qui fait preuve de rectitude dans quatre choses, jouit de la satisfaction de Dieu : tout d’abord la confiance en Dieu (ṯiqa), puis l’abandon à Dieu (tawakkul), puis la sincérité totale (iḫlaṣ) et enfin la connaissance car toute chose trouve son accomplissement par la connaissance. 202 Ibn ­al-Ǧawzī cite également ce hadith, mais pas d’après Sulamī même si la suite de la chaine est identique, tout en indiquant qu’il n’en connaît pas d’autre transmis par Ḥātim. Comme Sulamī, il précise pourtant qu’il a transmis le hadith, ce qui semble indiquer que même la transmission d’un seul hadith donne en quelque sorte une qualité supplémen- taire, Ṣifa, 4, p. 163. Transmis aussi d’après le même informateur que Sulamī par Abū Nuʿaym qui précise qu’il n’a transmis que peu de hadiths, voir Ḥilya, 8, p. 83. 203 En référence à un village situé en Syrie. Mais Kafaršīlāʾī pour P. 204 Il faut relever la formule dont il est difficile de dire si elle est connue et usuelle. Elle paraît indiquer une transmission qui n’est pas seulement orale mais écrite, avec un fort degré d’imprécision. Fait remarquable pour une sentence qui connaîtra un retentissement im- portant, voir M. Chodkiewicz, « Les quatre morts du soufî », p. 35 à 57. Elle est également transmise par Abū Nuʿaym dans la Ḥilya, d’après Sulamī, avec l’isnād des Ṭabaqāt, voir Ḥilya, 8, p. 78. Et par Qušayrī, avec un autre isnād, voir Qušayrī, p. 26–7. 205 Nous avons là une description ancienne de ce qui deviendra la muraqqaʿa ou la ḫirqa, voir Somme spirituelle, p. 68–80.

11 Ḥātim ­al-Aṣamm 95 J’ai entendu Abū ʿAlī Saʿīd b. Aḥmad ­al-Balḫī : j’ai entendu mon père : j’ai en- tendu Muḥammad b. ʿAbd : j’ai entendu mon oncle Muḥammad b. a­ l-Layṯ : j’ai entendu Ḥāmid ­al-Liffāf : j’ai entendu Ḥātim a­ l-Aṣamm dire : 5 Celui qui a une confiance totale (a­ l-wāṯiq) dans sa subsistance ne se réjouit pas de la richesse, ne se préoccupe pas de l’indigence (faqr) et ne s’inquiète pas de savoir s’il va demain affronter la difficulté ou l’aisance. 6 On reconnaît la sincérité totale à la rectitude, la rectitude à l’espérance (raǧāʾ), l’espérance à l’aspiration sincère (irāda) et l’aspiration à la connaissance. 7 Chaque parole exige une sincérité ; toute sincérité exige un acte ; tout acte exige une patience ; toute patience, l’attente d’une récompense206 ; toute at- tente, une aspiration et toute aspiration, un choix exclusif (aṯara). 8 L’obéissance repose sur trois choses : la peur (ḫawf ) , l’espérance et l’amour. La désobéissance sur trois autres : l’orgueil (kibr), l’avidité (ḥirṣ) et l’envie. 9 L’hypocrite prend les biens de ce bas monde avec avidité, refuse de les donner par défiance (šakk)207 et les dépense par ostentation. Le croyant les prend avec appréhension (ḫawf), les conserve en se conformant à la sunna208 et les dé- pense pour Dieu, par pure obéissance. 10 Vas à la recherche de ton âme par quatre choses : en œuvrant pieusement sans ostentation, en prenant sans convoitise, en donnant sans (évoquer) le bienfait (minna) et en gardant sans avarice. 11 Agir avec sincérité (­al-naṣīḥa) envers les hommes, c’est encourager quelqu’un209 que l’on voit bien agir et considérer avec miséricorde quelqu’un que l’on voit désobéir. 12 Je m’étonne de celui qui accomplit les œuvres d’obéissance, affirmant : – Je le fais pour rechercher l’agrément de Dieu! Alors qu’on le voit en permanence mécontent à l’égard de Dieu, contestant Son décret (ḥukm)210. Tu voudrais donc Le satisfaire, alors que tu n’es pas satisfait de Lui ? Comment pourrait-Il être satisfait de toi, alors que tu ne l’es pas de Lui ! 13 Si tu commandes le bien aux hommes, soit le premier et le plus concerné. Fais ce que tu ordonnes et ne fais pas ce que tu interdis. 206 Š : ḥisba ; P : ḫašya : une crainte ; chez Abū Nuʿaym : ḥasana, Ḥilya, 8, p. 78. 207 Soit qu’il doute d’en recevoir d’autrui, soit qu’il doute de ce que Dieu lui a octroyé (rizq). 208 Š : bi-l-sunna ; P : préfère une lecture pourtant marginale, attestée dans un seul manu- script : bi-l-šidda : dans l’adversité ? 209 Š : an taḥuṯṯa-hu ʿalay-hā ; P : an taḫšā ʿalay-hi : que tu craignes pour lui. 210 L’opposition entre ces deux termes, satisfaction et colère, se trouve dans le Coran, voir Cor. 47, 28 ou Cor. 3, 162.

96 Première Génération 14 Il y a trois ǧihād : un combat dans l’intimité de ton être contre Satan afin que tu l’éreintes ; un combat extérieur211 pour l’accomplissement des obligations lé- gales, conformément à l’ordre divin ; et un combat contre les ennemis de Dieu, pour la gloire de l’islam212.  Bayhaqī, n° 741 ; 15 Il y a trois types de désir sensuel (šahwa) : un désir de nourriture, un désir de parler et un désir de regarder. Préserve ton désir de manger par la confiance (en Dieu, ṯiqa)213, ton désir de parler par la véridicité (de tes propos) et le désir de regarder en méditant (bi-l-ʿibra) sur ce que tu vois.  Bayhaqī, n° 354 ; Somme spirituelle, p. 146 16 Qui reçoit un bien matériel et ne cherche pas à s’en affranchir214 ni à le dépen- ser (en faisant œuvre pieuse), montre son amour (des biens) de ce monde. 17 Il ne se passe pas un matin sans que Satan me dise : – Que vas-tu manger ? De quoi te vêtiras-tu ? Où habiteras-tu ? Et je lui réponds : – Je vais ‘manger’ la mort, revêtir le linceul et habiter la tombe.  Mémorial, p. 230 ; Bayhaqī, n° 531 ; Qušayrī K, 36 ; 18 Un homme demanda à Ḥātim : – De quoi as-tu envie ? – Que ma journée toute entière soit protégée (a­ l-ʿāfiya)215 jusqu’à la nuit, répondit-il. On lui rétorqua :– Mais tous les jours ne sont-ils pas ! – La protection de ma journée est que je ne désobéisse pas à Dieu.  Bayhaqī, n° 760 ; Qušayrī K, 36 ; 19 Quatre regrettent quatre : celui qui manque à ses devoirs (muqaṣṣir), lorsqu’il est trop tard pour agir ; celui qui est séparé de ses amis lorsque le malheur sur- vient ; celui qui tombe sous la coupe de son ennemi, par manque de discerne- ment216 ; l’effronté (ǧariʾ), lorsqu’il s’agit de ses péchés. 211 Ici encore, opposition coranique entre les deux termes sirr et ʿalāniya, voir Cor. 2, 274 ; 13, 22 ; 14, 31 et 35, 29. 212 Nous suivons P : fī ʿizz a­ l-islām. Selon certains manuscrits, dont celui retenu par Š : fī ġazwi l-islām : “dans les expéditions menées contre les ennemis de l’islam“. 213 À qui incombe ta subsistance. Il s’agit de transformer à chaque fois un appétit potentiel- lement blâmable en un profit spirituel. Voir le commentaire de Huǧwirī, Somme spiritu- elle, p. 146. 214 Š : yataḥarra ; P : yataḥarrā : qui ne choisit pas de s’en délivrer. 215 Sur ce terme, voir la définition donnée par Tirmiḏī : « qu’Il te protège afin que tu ne sois pas affecté par les difficultés et les épreuves », voir Nawādir a­ l-uṣūl, p. 186, aṣl 57. Pour lui, ʿāfiyya et ʿafw sont synonymes, mais le premier s’applique à ce monde et le second à l’autre monde. 216 A rapprocher de l’anecdote rapportée par Qušayrī, Qušayrī K, p. 37.

11 Ḥātim ­al-Aṣamm 97 20 Le manteau (ʿabāʾ) est l’un des signes du renoncement. Qui souhaite le porter ne doit pas revêtir un manteau de trois dirhams et demi s’il a dans le cœur une envie (šahwa) qui en coûte cinq. N’a-il pas honte devant Dieu que cette envie dissimulée dépasse le prix de son manteau.  Bayhaqī, n° 355 21 Attache-toi au service de ton Maître, ce bas monde viendra à toi contraint et forcé et le paradis viendra à toi mû par un désir intense (ʿāšiqa) envers toi.  Bayhaqī, n° 532 ; Propos d’amour, 28 ; 22 Surveille ton âme dans trois circonstances : lorsque tu accomplis des œuvres pieuses (ʿamilta), souviens-toi que Dieu te regarde ; lorsque tu parles, souviens- toi que Dieu t’entend et lorsque tu te tais217, souviens-toi de la science de Dieu à ton endroit.  Mémorial, p. 232 (variante) 23 Il y a cinq cœurs : un cœur mort, un cœur malade, un cœur insouciant, un cœur éveillé, enfin un cœur sain et pur.  Mémorial, p. 232 24 Un homme lui demanda : exhorte-moi ! Il lui dit : – Si tu veux désobéir à ton Seigneur, fais-le dans un lieu où Il ne te voit pas. 25 Qui prétend trois choses, sans trois autres est un imposteur (kaḏḏāb) : celui qui prétend aimer Dieu sans montrer du scrupule envers Ses interdits est un im- posteur ; celui qui prétend aimer le paradis, sans dépenser ses biens matériels est un imposteur ; et celui qui prétend à l’amour du Prophète sans aimer la pauvreté218 est un imposteur.  Propos d’amour, 28 ; Bibliographie : Ḥilya, 8, 73–83 ; Qušayrī, 99–100 ; Qušayrī K, 36–7 ; Qušayrī G, 56–7 ; Anṣārī, 78–80 ; Ibn a­ l-Ǧawzī, 4, 161–3 ; Baġdādī, 8, 241–5 ; ʿAṭṭār, 295–303 ; Mémorial, 228–33 ; Muslim Saints and Mystics, 150–2 ; Kašf, 115–8 ; Somme spirituelle, 145–6 ; Alte Vorbilder des Sufitums 2, 63–93 ; G. Vajda, « Une réplique rarement attestée de Hatim ­al-Asamm » ; L. Marlow, « A Translation From the « Ḥilyat ­al-awliyāʾ wa- tabaqāt ­al-aṣfiyāʾ » ; Islamic Mysticism, 33 ; Essai, 259 ; 217 P : sakatta, que l’on retrouve dans la Ḥilya, 8, p. 75. Š : sakanta, soit dans le contexte : « si tu ne fais rien », (Dieu connaît tes pensées les plus intimes). 218 P : ­al-fuqarāʾ : les pauvres.

98 Première Génération 12 Aḥmad b. Abī l-Ḥawārī Aḥmad b. Abī l-Ḥawārī, sa kunya est Abū l-Ḥasan et le nom de son père (Abū l-Ḥawārī) est Maymūn. Originaire de Damas, il a été le disciple de Abū Sulay­ mān a­ l-Dārānī (n° 9) et d’autres maîtres, comme Sufyān b.-ʿUyayna (m. 198/814), Marwān b. Muʿāwiya ­al-Fazārī (m. 193/808–9) , Maḍāʾ b. ʿĪsā (m. 210/825–6), Bišr b. ­al-Sarī (m. 195/810–1) et Abū ʿAbdallāh a­ l-Nibāǧī219. Il avait un frère nommé Muḥammad b. Abī l-Ḥawārī. Il suivait la même dé- marche dans le renoncement et le scrupule et son fils, ʿAbdallāh b. Aḥmad b. Abī l-Ḥawārī, faisait aussi partie des ascètes. Quant à son père, Abū l-Ḥawārī, il faisait partie des connaissants scrupuleux. Leur famille était donc toute entière vouée au scrupule et au renoncement220. Aḥmad est mort en 230/844–5221. Il a transmis le hadith. Abū Ǧaʿfar, Muḥammad b. Aḥmad b. Saʿīd ­al-Rāzī nous a informés : Abū l-Faḍl, ­al-ʿAbbās b. Ḥamza l’Ascète nous a rapporté : Aḥmad b. Abī l-Ḥawārī nous a rapporté :Yaḥyā b. Ṣāliḥ a­ l-Wuḥāẓī nous a rapporté : ʿUfayr b. Maʿdān nous a rapporté : Sulaym b. ʿĀmir nous a rapporté, d’après Abū Umāma, l’En- voyé d’Allāh a dit : 1 L’Esprit saint a inspiré à mon cœur qu’aucune âme ne mourra avant d’être par- venue à son terme et d’avoir consommé toute sa subsistance. Recherchez-la de belle manière et qu’aucun de vous ne soit porté à se la procurer en désobéis- sant à Dieu parce qu’elle tarde à venir. Car ce qui est auprès de Dieu ne s’ob- tient qu’en Lui obéissant222. J’ai entendu a­ l-Ḥākim, Abū Aḥmad, Muḥammad b. Aḥmad b. Isḥāq a­ l-Ḥāfiẓ223 : j’ai entendu Saʿīd b. ʿAbd ­al-ʿAzīz ­al-Ḥalabī : j’ai entendu Aḥmad b. Abī l-Ḥawārī dire : 2 Celui qui jette sur ce bas monde un regard de désir et d’amour, Dieu fait sortir de son cœur la lumière de la certitude et du renoncement. Anthologie, n° 250 ; Mémorial, 244 ; Qušayrī K, 39. 219 Voir sa notice dans Ḥilya, 9, p. 310–7 et Anṣārī, p. 207–9. 220 Sulamī le mentionne dans ses Miḥan ­al-ṣūfiyya : il fut chassé de Damas, accusé, à tort selon Ḏahabī, d’avoir professé la précellence des saints sur les prophètes, voir Siyar, 12, p. 93. Il ne figure pas dans les Miḥan a­ l-ṣūfiyya éditées par B. Orfali et G. Böwering. 221 Ḏahabī indique 246/860–1 et donne pour date de naissance 164/780–1, (la même année que Aḥmad b. Ḥanbal qui lui aurait posé la question), Siyar, 12, p. 94 et 85–6. 222 Voir Ḥilya, 10, p. 26–7. 223 P a oublié de mentionner cet informateur dans la liste des 144 informateurs directs de Sulamī qu’il présente dans l’ordre alphabétique dans l’introduction, voir P, p. 74–89.

12 Aḥmad b. Abī l-Ḥawārī 99 3 Les meilleurs des pleurs sont ceux versés par le serviteur sur les instants spiri- tuels (awqāt) qu’il a laissés passer, n’étant pas en accord avec Dieu, ou ceux versés sur sa contrevenance (muḫālafa) (à l’ordre divin) passée. Qušayrī K, 39 4 Celui qui œuvre sans se conformer à la sunna, son œuvre est vaine (bāṭil).  Qušayrī K, 39 ; Abū Ǧaʿfar, Muḥammad b. Aḥmad b. Saʿīd a­ l-Rāzī nous a informés : Abū l-Faḍl, ­al-ʿAbbās b. Ḥamza nous a rapporté : Aḥmad b. Abī l-Ḥawārī nous a rapporté : il a dit : 5 Qui connaît ce bas monde, y renonce ; qui connaît l’autre, le désire; qui connaît Dieu, donne la préférence à Sa satisfaction.  Anthologie, n° 274 6 Le signe de l’amour de Dieu est l’obéissance à Dieu ; on dit aussi : l’amour de l’invocation (ḏikr) de Dieu. Lorsque Dieu aime un serviteur, celui-ci L’aime. Le serviteur ne peut aimer Dieu sans que ce soit préalablement Dieu qui l’aime, et cela advient quand Il sait qu’il emploie tout son zèle (­al-iǧtihād) à Lui plaire. 7 Qui ne connaît pas son âme se leurre dans sa pratique de la religion. 8 Dieu n’éprouve pas un serviteur par une chose pire que l’insouciance et la du- reté (du cœur). Qušayrī K, 39. 9 Quelle excellente détente que l’expédition militaire ou la garde dans une place forte (ribāṭ). Lorsque le serviteur se lasse des actes d’adoration il peut ainsi se délasser (istarāḥa) sans commettre de désobéissance. 10 Quand Dieu aime certains hommes (qawm), il les instruit224, à l’état de veille et de sommeil, car ils recherchent Sa satisfaction dans l’un et l’autre état. 11 Plus le cœur s’élève, plus rapide est la sanction (­al-ʿuqūba)225. 12 Les Prophètes ont pris la mort en aversion parce qu’elle les prive de l’invoca- tion (ḏikr). 13 Si ton cœur est malade de l’amour de ce monde et de l’abondance de péchés, soigne-le par le détachement (zuhd) à l’égard du monde et le renoncement (tark) aux péchés. 14 Si ton âme t’invite à abandonner l’ici-bas lorsqu’il se dérobe à toi, c’est un piège, mais si elle le fait quand il s’offre à toi, voilà ce qu’il faut (fa-ḏak). 224 Š : afāda-hum ; P : aqāda-hum : Il les conduit. 225 Pour les manquements ou les fautes commises.

100 Première Génération 15 Lorsque tu sens que ton cœur s’endurcit, assieds-toi en compagnie de ceux qui invoquent (Dieu), fréquente les renonçants, réduis ta nourriture, tiens-toi à l’écart de tes désirs et exerce226 ton âme à supporter ce qui lui est désagréable. 16 Ce bas monde est une décharge autour de laquelle se réunissent les chiens et ceux qui lui tournent autour sont moins que des chiens, car eux prennent ce dont ils ont besoin puis s’en vont, tandis que ceux qui aiment l’ici-bas ne le quittent en aucun cas.  Somme spirituelle, 149 ; 17 Qui désire que l’on connaisse ou que l’on mentionne le bien qu’il fait est un associateur dans ses actes d’adoration, car celui qui rend un culte (ʿabada) par pur amour souhaite que son service ne soit connu que de celui qu’il aime227. 18 Je lis le Coran, médite un verset après l’autre et cela plonge mon esprit dans la perplexité. Je m’étonne de ceux qui le connaissent par cœur, comment peu- vent-ils trouver le sommeil ? Comment leur est-il possible de se consacrer aux affaires de ce monde, alors qu’ils récitent la parole du Miséricordieux ! S’ils comprenaient ce qu’ils récitent, s’ils savaient ce que le Coran exige (ʿarafū ḥaqqa-hu), s’ils éprouvaient du plaisir et trouvaient dans le Coran la douceur dans l’oraison intime (munāǧāt), ils en perdraient le sommeil, transportés de joie par ce qui leur a été octroyé (ruziqū) et ce qui leur a été donné de réaliser (wuffiqū). Bibliographie : Ta⁠ʾrīḫ a­ l-ṣūfiyya, 37–8 ; Ḥilya, 10, 5–33; Qušayrī, 105 ; Qušayrī K, 39 ; Qušayrī G, 59–60 ; Ibn a­ l-Ǧawzī, 4, 237–8 ; Siyar, 12, 85–94 ; ʿAṭṭār, 345–7 ; Mémo- rial, 243–4 ; Islamic Mysticism, 37–8 ; Essai, 222–3 ; Kaṣf, 118–21 ; Somme spirituelle, 149–50 ; A. Knysh, « Aḥmad b. Abī l-Ḥawārī », EI3 ; 13 Aḥmad b. Ḫiḍrawayh ­al-Balḫī Aḥmad b. Ḫiḍrawayh228 ­al-Balḫī. Sa kunya est Abū Ḥāmid. L’un des grands maîtres du Ḫurāsān, il a été le disciple de Abū Turāb ­al-Naḫšabī (n° 20)229 et de Ḥātim ­al-Aṣamm (n° 11) et s’est rendu auprès de Abū Yazīd (n° 8). Il fait partie des maîtres du Ḫurāsān cités pour leur vertu chevaleresque (futuwwa). Il est venu à Nishapur pour rendre visite à Abū Ḥafṣ ­al-Nishapurī (n° 15). 226 Š. : rawwiḍ ; P. : ruḍḍa : brise ton âme. 227 Š : maḥbūb ; P : maḫdūm : celui qu’il sert. 228 Plusieurs lectures sont possibles : Ḫaḍrawayh ou encore Ḫiḍrūyah, voir Natāʾiǧ, 1, p. 189. 229 Cela montre que la chronologie n’est pas un critère essentiel ou du moins exclusif dans l’organisation des notices.

13 Aḥmad b. Ḫiḍrawayh ­al-Balḫī 101 On demanda à Abū Ḥafṣ : – Quel est le plus illustre de ceux que tu as connu de cette génération ? Il répondit : – Je n’ai vu personne ayant une aspiration spiri- tuelle (himma) et une sincérité dans ses états spirituels comme Aḥmad b. Ḫiḍrawayh. Il est mort en 240/854–5. J’ai entendu cela de ʿAbdallāh b. ʿAlī (a­ l-Sarrāǧ) qui le tenait de Muḥammad b. ­al-Faḍl a­ l-Balḫī (n° 31). J’ai entendu Manṣūr b. ʿAbdallāh : j’ai entendu Muḥammad b. ­al-Faḍl : j’ai en- tendu Aḥmad b. Ḫiḍrawayh dire : 1 Le saint de Dieu ne se décrit par aucune marque distinctive et n’a pas de nom par lequel se désigner. 2 Les cœurs sont en mouvement : ils gravitent soit autour du Trône soit autour des latrines. 3 Par l’affranchissement (ḥurriyya)230 se réalise la perfection de la servitude et dans la réalisation de la servitude s’accomplit l’affranchissement complet. 4 Les contraires ne peuvent se côtoyer ni dans la religion ni dans ce monde. J’ai entendu Abū Bakr, Muḥammad b. ʿAbdallāh ­al-Rāzī : j’ai entendu Muḥammad b. ­al-Faḍl dire : 5 Aḥmad b. Ḫiḍrawayh demanda à un homme un prêt de cent mille dirhams. Celui-ci objecta : – N’êtes-vous pas, vous, ceux qui ont renoncé à ce bas monde ! Que veux-tu donc faire de ces dirhams ? Il lui répondit :– Je vais grâce à eux acheter un peu de nourriture (luqma) que je déposerai dans la bouche des croyants231 et je n’aurai pas l’audace d’en demander la récompense à Dieu, exalté soit-Il. – Et pourquoi donc ? Lui demanda-t-il. – Parce que, expliqua-t-il, l’ici-bas tout entier ne pèse pas auprès de Dieu plus qu’une aile de mous- tique232. Que représentent cent mille dirhams dans ce monde par rapport à une aile de moustique ? Si tu les prenais et que tu demandes quelque chose, que recevrais-tu en contrepartie ? Que représente donc cent mille dirhams si le monde tout entier n’a pas plus de valeur que cela233. J’ai entendu Manṣūr b. ʿAbdallāh : j’ai entendu Muḥammad b. Ḥāmid ­al-Tirmiḏī : Aḥmad b. Ḫiḍrawayh a dit234 : 230 S’affranchir de toutes les attaches terrestres, les personnes et les biens. Ce mot fait partie des termes techniques dont Qušayrī a précisé la définition, voir Qušayrī, (bāb a­ l-ḥuriyya). 231 Lit. une bouchée que je déposerai dans la bouche d’un croyant. 232 Référence à Cor. 2, 26. 233 Nous suivons P dont la partie finale diverge un peu de celle de Š, bien que le sens général n’en soit pas affecté. 234 Remarquons l’imprécision de la transmission qui concerne un nombre important de sen- tences (de 6 à 19) puisqu’on ne sait rien des modalités de réceptions de ces paroles par

102 Première Génération 6 La patience est le viatique de ceux qui sont sous l’emprise de la nécessité235, et l’agrément (riḍā) est l’écrin des connaissants. 7 Qui patiente dans sa patience est réellement patient et non celui qui patiente et se plaint.  Mémorial, p. 247 (variante) 8 J’étais en chemin pour la Mecque quand mon pied se prit dans une entrave. Toutefois je continuais ainsi ma marche sur deux parasanges236. Ensuite, un homme me vit et l’ôta de mon pied puis il me poussa (à continuer ma route ?). Quand j’arrivai à Bistam237, Abū Yazīd, à brûle-pourpoint, me demanda : – Quand tu étais en route pour La Mecque et que survint cet état spirituel, dans quel rapport (ḥukm) te trouvais-tu vis-à-vis de Dieu? Je répondis : – J’ai voulu qu’il n’y ait, venant de moi, aucun choix par rapport au Sien. Il s’écria : – De quoi te mêles-tu ! Tu as tout choisi, dans la mesure où tu as émis une volonté. 9 Celui qui sert les pauvres en Dieu (fuqarāʾ) est honoré de trois choses : l’humi- lité, le beau comportement (ḥusn ­al-adab) et la générosité de l’âme. 10 La Voie est claire, la Vérité éclatante, et celui qui a appelé238 (à Dieu) s’est fait entendre. Après cela, l’hésitation (taḥayyur) ne peut venir que de l’aveugle- ment.  Somme spirituelle, p. 151 J’ai entendu Manṣūr b. ʿAbdallāh : j’ai entendu Muḥammad b. Ḥāmid a­ l-Tirmiḏī dire : 11 On récita en présence de Aḥmad b. Ḫiḍrawayh ce verset: « Fuyez donc vers Dieu ! 239 » Il ajouta : – Il leur a enseigné par ce verset qu’Il est le meilleur lieu où s’enfuir. J’ai entendu Manṣūr b. ʿAbdallāh : j’ai entendu Muḥammad b. Ḥāmid ­al-Tirmiḏī : j’ai entendu Aḥmad b. Ḫiḍrawayh dire : a­ l-Tirmiḏī qui indique seulement qāla. Pour la quasi-totalité des sentences, sauf une, Sulamī est dépendant d’un transmetteur unique, Manṣūr b. ʿAbdallāh, personnage dont l’identité est imprécise. 235 Terme coranique, Cor. 27, 62. 236 Unité de mesure qui vaut environ 5,6 kms. 237 On suppose que c’est au retour du pèlerinage. 238 Il n’est pas spécifié qui est ce dāʿī. Dans le Coran, ce terme s’applique soit à l’ange qui con- voque au jour de la résurrection (comme dans Cor. 20, 108) ou un prophète, comme dans l’expression coranique dāʿī Allāh, Cor. 46, 31–32. Le Prophète est aussi qualifié par ce terme, voir Cor. 33, 46. 239 Cor. 51,50.

13 Aḥmad b. Ḫiḍrawayh ­al-Balḫī 103 12 La connaissance véritable c’est de L’aimer (Dieu) par le cœur, de Le mention- ner par la langue et de détourner son énergie spirituelle de toute chose autre que Lui. 13 Les cœurs sont des réceptacles : s’ils se remplissent de Vrai, ils font apparaître le surcroît de leurs lumières sur les membres. Mais s’ils se remplissent de faux, ils font apparaître le surcroît de leurs ténèbres sur les membres. J’ai entendu Manṣūr b. ʿAbdallāh : j’ai entendu Muḥammad b. Ḥāmid ­al-Tirmiḏī dire : 14 Un homme demanda un conseil à Aḥmad b. Ḫiḍrawayh. Il lui répondit : – Mets à mort ton âme afin de la faire vivre240. 15 La créature la plus proche de Dieu est celle dont le caractère embrasse le plus de vertus (awsaʿu-hum ḫuluqan). J’ai entendu Manṣūr b. ʿAbdallāh : j’ai entendu Muḥammad b. Ḥāmid a­ l-Tirmiḏī : j’ai entendu Aḥmad b. Ḫiḍrawayh dire : 16 On m’a rapporté qu’un riche personnage demanda à être introduit chez un re- nonçant et celui-ci accepta. Il le vit alors manger du pain sec et du sel, alors que c’était Ramadan. Rentré chez lui, il lui fit porter mille dinars. L’ascète les refusa et s’écria : – Voilà la rétribution de qui divulgue son secret à des gens comme toi !  Somme spirituelle, p. 152. 17 Il n’y a pas de sommeil plus lourd que l’insouciance ni d’esclavage plus exclusif que celui des passions. N’était la lourdeur de l’insouciance, les passions ne t’au- raient pas dominé.  Qušayrī K, p. 38 18 Celui à qui Dieu demande de reconnaître Ses bienfaits spirituels (ālāʾ)241 n’est pas comme celui à qui il demande des comptes pour Ses grâces matérielles (naʿmāʾ)242. 19 On demanda à Aḥmad : – Quelle est la meilleure des œuvres ? Il répondit : – surveiller son secret intime afin qu’il ne se tourne pas vers autre que Dieu. 240 P. : tuḥyī-hā ; Š. : yuḥyī-hā: afin qu’Il (Dieu) la vivifie. 241 P. : bi-l-āya, les signes ; Š. : bi-ālāʾi-hi. La distinction entre les deux termes ālāʾ et naʿmāʾ n’est pas évidente, tous deux signifiant : bienfait, grâce, faveur. Le premier est coranique tandis que le second n’apparaît pas sous cette forme , voir Cor. 54, 55 ; 55, 13. 242 Peut-être en référence à Cor. 102, 8.

104 Première Génération Bibliographie : Taʾ⁠ rīḫ ­al-ṣūfiyya, 39–40 ; Ḥilya, 10, 42–3243 ; Qušayrī, 103–4 ; Qušayrī K, 38 ; Qušayrī G, 58–9 ; Anṣārī, 82–5 ; Ibn a­ l-Ǧawzī, 4, 163–5 ; Siyar, 11, 487–9 ; Tārīḫ a­ l-islām, an. 231–240, 39 ; ʿAṭṭār, 348–55 ; Mémorial, 244–7 ; Muslim Saints and Mys- tics, 173–8 ; Kašf, 119–21 ; Somme spirituelle, p. 150–2 ; Alte Vorbilder des Sufitums 2, 95–112 ; B. Radtke, « Theologen und Mystiker in Ḫurāsān und Transoxanien », 544– 5 ; 14 Yaḥyā b. Muʿāḏ ­al-Rāzī Yaḥyā b. Muʿāḏ b. Ǧaʿfar a­ l-Rāzī, le Sermonnaire (wāʿiẓ). Il a parlé de la science de l’espérance (raǧāʾ) de manière admirable244. Ils étaient trois frères : Ismāʿīl l’aîné, Yaḥyā le cadet et Ibrāhīm le benjamin. Tous trois étaient des renonçants. Ibrāhīm partit avec Yaḥyā pour le Ḫurāsān mais mourut entre Nishapur et Balḫ. On dit aussi qu’il mourut dans la région du Ǧūzaǧān245. Yaḥyā se rendit à Balḫ et y demeura quelques temps, puis il revint à Nishapur où il mourut en 258/871–2. Il a rapporté (rawā) le hadith. Muḥammad b. Aḥmad b. Ḥasan nous a rapporté : ʿAlī b. Muḥammad a­ l-Azraq nous a rapporté : Muḥammad b. ʿAbdik nous a rapporté : j’ai entendu Yaḥyā b. Muʿāḏ a­ l-Rāzī le Sermonnaire mentionner d’après Ḥamdān b. ʿĪsā a­ l-Balḫī, d’après ­al-Zibriqān, d’après a­ l-Šaʿbī, Ibn ʿAbbās a dit : 1 La crainte pieuse (taqwā), ce sont la générosité du caractère (karam a­ l-ḫuluq) et une nourriture licite. A­ l-Ḥusayn b. Aḥmad b. Asad a­ l-Harawī nous a informés : Muḥammad b. ʿAlī b. a­ l-Ḥusayn a­ l-Balḫī nous a rapporté : Naṣr b. al-Ḥāriṯ nous a rapporté : Yaḥyā 243 Les informations citées par Abū Nuʿaym, au demeurant peu nombreuses, et reprises in extenso par Qušayrī, proviennent de Sulamī mais ne sont pas mentionnées dans les Ṭabaqāt. Il est probable qu’elles proviennent du Tārīḫ a­ l-ṣūfiyya de Sulamī, ce que corro- bore Ḏahabī qui, dans son Tārīḫ ­al-islām précise qu’il tire l’information rapportée, com- mune donc à ce trois auteurs, du Tārīḫ a­ l-ṣūfiyya de Sulamī. Ce dernier indique que la femme d’Aḥmad lui demanda, comme dot, de l’amener voir Abū Yaẓid, ce qu’il fit. Ensuite, au moment du départ celui-ci lui conseilla d’apprendre la futuwwa de sa femme, Umm ʿAlī, sur elle voir Ḏikr a­ l-niswa, p. 76–7 et Les Femmes mystiques, p. 926–8. 244 Sulamī ne mentionne pas sa généalogie spirituelle. Est-ce pour taire sa filiation avec Ibn Karrām, qui est exclu des Ṭabaqāt comme son maître Ibn Ḥarb ? 245 Région située au sud d’une ligne reliant Marv à Balḫ.

14 Yaḥyā b. Muʿāḏ ­al-Rāzī 105 b. Muʿāḏ nous a rapporté : ʿIṣma b. ʿĀṣim nous a rapporté : Saʿdān ­al-Ḫulmī246 nous a rapporté : Ibn Ǧurayǧ nous a rapporté, d’après Abī l-Zubayr, Ǧābir a dit : 2 Le Prophète était en permanence plongé dans la réflexion, traversait de lon- gues périodes d’attrition ; il riait peu, mais souriait247. J’ai entendu Ubaydallāh b. Muḥammad b. Muḥammad b. Ḥamdān a­ l-ʿUqbarī à-ʿUqbarā : j’ai entendu Muḥammad b. Sarī : j’ai entendu Abū Muḥammad a­ l-Iskābī248 : j’ai entendu Yaḥyā b. Muʿāḏ dire : 3 Celui qui cherche à ouvrir la porte des moyens de subsistance (bāb a­ l-maʿāš) sans user des clefs du destin voit son sort remis entre les mains des créatures. 4 L’adoration est un métier ; son échoppe est la retraite ; son capital, le zèle à pratiquer la sunna et son bénéfice le paradis. 5 La patience à supporter la retraite (ḫalwa) est un des signes de la sincérité to- tale (iḫlāṣ). J’ai entendu Ubaydallāh b. Muḥammad b. Muḥammad b. Ḥamdān a­ l-ʿUqbarī : Abū l-Ḥasan ­al-Sanǧarī m’a rapporté : j’ai entendu Abū Yaʿqūb ­al-Dārimī : j’ai entendu Yaḥyā b. Muʿāḏ dire : 6 Ce bas monde est la demeure de nos occupations et l’autre monde est celle de nos terreurs (ahwāl). Le serviteur ne cesse d’osciller entre les deux, jusqu’à ce qu’il se fixe de manière définitive, soit au paradis soit en enfer.  Somme spirituelle, p. 154 ; Anthologie 569 ; J’ai entendu Manṣūr b. ʿAbdallāh : j’ai entendu ­al-Ḥasan b. ʿAlawayh : j’ai en- tendu Yaḥyā b. Muʿāḏ dire : 7 Ce bas monde dans sa totalité, du début à la fin, ne vaut pas une heure de tour- ment (ġamm). Et on passerait sa vie à se tourmenter pour en obtenir quelques miettes !  Anthologie 314 (avec ajout) ; Dermenghem, p. 190 ; 8 Trois choses font parties des attributs de la sainteté : avoir confiance en Dieu en toute chose, se dispenser par Lui de toute chose, recourir à Lui en toute chose. 246 Š : ­al-Ḥalīmī. 247 Nous avons ici un hadith mais aussi la parole d’un compagnon, Ibn ʿAbbās. Est-ce la raison pour laquelle Sulamī dit de Yaḥyā qu’il a transmis le hadith en employant le verbe rawā, tandis que jusqu’à présent il avait employé le verbe asnada et cité à chaque fois un propos du Prophète ? 248 P : a­ l-Iskāf.

106 Première Génération 9 Ses saints sont les captifs de Ses bienfaits, Ses intimes (aṣfiyāʾ) sont les gages de Sa générosité, Ses aimés sont les esclaves de Ses grâces ; esclaves d’amour, sans affranchissement possible, garants de générosité sans restitution possible, pri- sonniers de bienfaits sans libération possible. J’ai entendu Ubaydallāh b. Muhammad : j’ai entendu Aḥmad b. Muḥammad b. a­ l-Sarī : j’ai entendu Aḥmad b. Muḥammad b. ʿĪsā : j’ai entendu Yaḥyā b. Muʿāḏ dire : 10 Comment pourrait-il être renonçant celui qui ne s’abstient pas par scrupule ? Fais d’abord preuve de scrupule envers ce que tu n’as pas et ensuite renonce à ce que tu as.  Anthologie 50 ; Qušayrī K, p. 37 ; Dermenghem, p. 190 ; 11 Le serviteur ne déchoit d’un degré qu’à cause de sa prétention de l’avoir atteint. 12 La faim des repentants est une mise à l’épreuve, la faim des renonçants est une manière d’agir (siyāsa) et la faim des véridiques est une marque d’honneur (takrima).  Qušayrī K, p. 37 ; Propos d’Amour, p. 62 ; 13 La recherche (des biens) de ce monde par l’homme intelligent est préférable au renoncement de l’ignorant à celui-ci. 14 La négligence dans les œuvres affecte le serviteur tant qu’il se laisse bercer par la promesse d’espérances trompeuses (­al-amānī).  Anthologie, 609 ; J’ai entendu ʿAbdallāh b. ʿAlī a­ l-Sarrāǧ : j’ai entendu Ǧaʿfar ­al-Ḫuldī : j’ai en- tendu Muḥammad b. ­al-Faḍl ­al-ʿAdawī : Aḥmad b. Ḫalaf ­al-Bursānī nous a rapporté : Aḥmad b. Šāhawayh a­ l-Balḫī nous a rapporté : j’ai entendu Yaḥyā b. Muʿāḏ dire : 15 À la mesure de ton amour pour Dieu les créatures t’aimeront, à la mesure de ta crainte de Dieu elles te respecteront, à la mesure de ton occupation pour Dieu, elles s’occuperont de tes affaires.  Dermenghem, p. 190 ; J’ai entendu Abū l-Faḍl Naṣr b. Abī l-Naṣr : j’ai entendu Ibn a­ l-Faḍl ­al-Qāḍī ­al-Balḫī : j’ai entendu Muḥammad b. Ismāʿīl b. ʿĪsā : j’ai entendu Yaḥyā b. Muʿāḏ dire :  16 Celui qui se perd en Lui (Dieu) n’est pas comme celui qui se perd dans les mer- veilles qui lui viennent de Lui.

14 Yaḥyā b. Muʿāḏ ­al-Rāzī 107 17 L’occasion manquée (fawt) est pire que la mort, car elle sépare de Dieu, tandis que la mort nous sépare des créatures.  Qušayrī K, p. 37 ; Dermenghem, p. 190 (variante). J’ai entendu Muḥammad b. ʿAlī a­ l-Nahāwandī : j’ai entendu Mūsā b. Muḥammad : j’ai entendu Yaḥyā b. Muʿāḏ dire : 18 La solitude (waḥda) est l’espérance des Véridiques, tandis que l’intimité avec les hommes leur répugne.  Anthologie 184 ; 19 Le renonçant est pur extérieurement, mélangé intérieurement ; le connaissant est pur intérieurement, mélangé extérieurement. 20 Les Gens de la connaissance sont les solitaires249 de Dieu sur cette terre, ils ne s’attachent à personne ; les renonçants sont des étrangers en ce bas monde et les connaissants sont des étrangers dans l’autre monde.  Dermenghem, p. 184 (partiel.) 21 Ô, fils d’Adam ! Quʾas-tu donc à regretter ce qui est perdu (mafqūd) et que ne te rapportera pas le temps perdu (­al-fawt) ! Quʾas-tu donc à te réjouir d’une chose existante (mawǧūd) que la mort ne laissera pas dans ta main ! J’ai entendu ʿAbd ­al-Wāḥid b. Bakr ­al-Waraṯānī : Aḥmad b. Muḥammad b. ʿAlī a­ l-Barḏaʿī m’a rapporté : Tāhir b. Ismāʿīl ­al-Rāzī nous a rapporté : 22 On interrogea Yaḥyā b. Muʿāz : – Informe-nous sur Allāh, qu’est-Il ? – Un Dieu unique, répondit-il. –Comment est-il ? – Un roi tout-puissant. – Où est-il ? – Il est aux aguets. – Ce n’est pas sur cela que je t’interroge. Il répondit : – Ce dont tu veux parler est l’attribut des êtres créés ; quant à l’attribut du Créateur, c’est ce que je t’ai indiqué250. Aḥmad b. Muḥammad b. Yaʿqūb [­al-Harawī à Qirmīsīn]251 nous a rapporté : Aḥmad b. Muḥammad b. ʿAlī m’a rapporté : ʿAlī a­ l-Rāzī nous a rapporté : Yaḥyā b. Muʿāḏ a dit : 23 Qui se réjouit de servir Dieu, toutes les choses se réjouissent de le servir. Qui trouve sa satisfaction en Dieu, toutes les choses éprouvent de la satisfaction en le regardant.  Anthologie, 726 ; 249 Lit. bêtes sauvages (wahš). 250 Echos de débats théologiques et signe manifeste d’une hostilité à la théologie dogmatique (kalām). 251 Absent chez Š.

108 Première Génération J’ai entendu Abū l­-Ḥusayn ­al-Fārisī : j’ai entendu a­ l-Ḥasan b. ʿAlawayh : j’ai en- tendu Yaḥyā b. Muʿāḏ dire : 24 Le renoncement comporte trois choses : posséder peu (­al-qilla), la retraite et la faim.  Anthologie 57 ; Qušayrī K, p. 37 ; Dermenghem, p. 191 ; 25 Lorsque l’épreuve se présente, les réalités attachées à la constance (ṣabr) se manifestent et lorsque les décrets du destin se dévoilent, les réalités attachées à la satisfaction se révèlent. 26 Ce qui est aimé aujourd’hui deviendra demain détesté et ce qui est détesté aujourd’hui sera demain aimable. 27 Évite252 la fréquentation de trois types d’hommes : les savants vivant dans la distraction (ġafla), les lecteurs de Coran fourbes (mudāhinūn) et les apprentis soufis (mutaṣawwifa) ignorants.  Mémorial, p. 251 (partiel) ; Dermenghem, p. 193 ; Propos d’Amour, p. 64 ; 28 Celui qui ne tire pas les leçons de ce qu’il voit de ses yeux, ne sera pas touché par un sermon. Mais celui qui tire les leçons253 de ce qu’il voit n’a pas besoin de sermon. 29 L’avertissement est à la mesure des fardeaux, mais celui qui s’instruit par l’exemple en recevra une rétribution de poids. 30 Les mondains sont servis par des esclaves et des servantes, les habitants de l’autre monde le sont par les vertueux et les délivrés. 31 Tu ne donneras à ton âme plus grand profit que de l’occuper à chaque instant avec ce qui est meilleur (awlā) pour elle .  Qušayrī K, p. 37 Bibliographie : Ta⁠ʾrīḫ a­ l-ṣūfiyya, 345–7 ; Ḥilya, 10, 51–70 ; Qušayrī, 101–2 ; Qušayrī K, 37–8 ; Qušayrī G, 57–8 ; Anṣārī, 85– 7 ; Baġdādī, 14, 208–12 ; Ibn ­al-Ǧawzī, 4, 90– 8 ; Tārīḫ a­ l-islām, an 251–60, 373–5 ; ʿAṭṭār, 361–76 ; Mémorial, 249–52 ; Muslim Saints and Mystics, 179–82 ; Islamic Mysticism, 92–4 ; Essai, 268–72 ; Kašf, 122–3 ; Somme spirituelle, 153–4 ; Dermenghem, 177–96. 252 Verbe à la forme impérative pour P, mais : « J’ai évité » pour Š. 253 Le verbe iʿtabara, employé ici, est probablement une allusion à l’injonction coranique qui s’adresse à « ceux qui sont doués de vue » (ūlī l-abṣār) de la fin du verset, Cor. 59, 2.

15 Abū Ḥafṣ a­ l-Nīsābūrī 109 15 Abū Ḥafṣ a­ l-Nīsābūrī Son nom est ʿAmr b. Sālim254, mais on dit aussi: ʿUmar b. Sālim ou encore ʿAmr b. Salama255, ce qui est le plus exact, s’il plaît à Dieu. J’ai vu écrit de la main de mon grand-père Ismāʿīl b. Nuǧayd : « Abū ʿUṯmān Saʿīd b. Ismāʿīl a dit : – J’ai interrogé mon maître Abū Ḥafṣ ʿAmr b. Salama … » Il est originaire d’un village nommé Kūradābāḏ, aux portes de Nishapur lorsque l’on prend la direction de Buḫārā. Il a été le disciple de ʿUbaydallāh b. Mahdī a­ l-Abīwardī, de ʿAlī a­ l-Naṣrābāḏī et le compagnon d’Aḥmad b. Ḫiḍrawayh ­al-Balḫī (n° 13). Il fut l’un des imams et des grands maîtres (sāda)256. Šāh b. Šuǧāʿ a­ l-Kirmānī (n° 27) et Abū ʿUṯmān Saʿīd b. Ismāʿīl (n° 23) se rattachent à lui (yantamī ilay-hi). Il est mort en 270/883–4, mais on dit aussi : en 267/880–1 ou encore : en 264/877–8 et Dieu est le plus Savant. J’ai lu, écrit de la main de Abū ʿAmr b. Ḥamdān : j’ai entendu mon père257 dire : 1 Abū Ḥafṣ a dit : Les péchés sont les messagers de la mécréance comme la fièvre annonce la mort.  Qušayrī K, p. 39 ; 254 Sulamī ne mentionne pas dans cet ouvrage le patronyme ­al-Ḥaddād, en fait un nom de métier, car il fut forgeron. Il le précise dans son Tārīḫ a­ l-ṣūfiyya, rapporté par Ḏahabī, voir Tārīḫ ­al-islām, an 261–80, p. 144. Les autres auteurs de biographies, comme Qušayrī, l’indiquent également. 255 Les éditions de la Risāla de Qušayrī indiquent : Maslama. 256 Dans cette notice, Sulamī ne donne aucune indication pour qualifier la spiritualité de ce personnage, contrairement à ce qu’il fait le plus souvent. Son contenu est même para- doxal si on le compare avec un autre traité de Sulamī, la Risālat a­ l-Malāmatiyya. En effet dans ce dernier texte, Abū Ḥafṣ est présenté comme « le maître de ce groupe de spiri- tuels », c’est-à-dire les Malāmatiyya, et il est l’autorité la plus citée par Sulamī pour illus- trer la doctrine des Gens du blâme, voir Risālat ­al-Malāmatiyya, p. 88 et Lucidité, p. 32. Or, dans les Ṭabaqāt, cette qualité a totalement disparu. Aucune allusion aux Malāmatiyya et pas la moindre sentence qui mentionne le terme de malāma. La caractéristique mise en avant par Sulamī est sa futuwwa, (Abū Nuʿaym a fait de même, voir Ḥilya, 10, p. 229) et son autorité dans ce domaine est reconnue par les Bagdadiens, Ǧunayd en particulier. Dans ces deux ouvrages de Sulamī, la différence dans le traitement d’un maître aussi essentiel pour le Ḫurāsān en général, et Nishapur en particulier, signale une profonde inflexion de sa pensée ou peut-être est-ce le projet de l’auteur, pour chacun de ces deux textes, qui les rend contradictoires. Et ce n’est pas tout, dans son Tārīḫ ­al-ṣūfiyya, Sulamī affirme : « Abū Ḥafṣ est le premier à avoir rendu visible la voie du taṣawwuf à Nishapur », cité par Ḏahabī, voir Tārīḫ ­al-islām, an 261–80, p. 144, voir notre article « Adab et éducation spirituelle (tar- biyya) chez les premiers maîtres de Nīshāpūr aux IIIe/IXe et Ive/Xe siècles », p. 102–30. 257 Il s’agit de Abū Ǧaʿfar b. Sinān, Aḥmad b. Ḥamdān, disciple de Abū Ḥafṣ et de Abū ʿUṯmān a­ l-Ḥīrī, mort en 311/942–3.

110 Première Génération 2 Maḥmiš258 ­al-Ǧallāb a dit : – J’ai été le disciple de Abū Ḥafṣ pendant vingt-deux ans et je ne l’ai jamais vu invoquer Dieu distraitement ou familièrement. Il ne l’invoquait que le cœur en éveil, manifestant vénération et respect. Lorsqu’il L’invoquait, son état se transformait à tel point que tous les présents perce- vaient ce changement. 3 Il a dit aussi ceci : – Une fois, alors qu’il avait invoqué Dieu, ce qui le transfor- mait profondément, il nous dit, après avoir retrouvé son état habituel : – Que notre invocation est loin de celle des hommes parvenus à la réalisation spiri- tuelle (a­ l-muḥaqqiqūn)! Je ne pense pas qu’un homme dans le vrai, qui invoque Dieu sans la moindre distraction, puisse continuer à rester en vie, sauf les pro- phètes, car ils sont soutenus par la force de la prophétie ou l’élite (ḫawāṣṣ) des saints, grâce à la force de leur sainteté. 4 Abū Ḥafṣ disait : – Mon dédain pour ce monde fait que je n’en suis pas avare envers quiconque, pas même envers moi-même, car il est méprisable comme est méprisable, à mes yeux, ma propre âme. 5 Muḥammad b. Yaḥyā a­ l-Šaǧarī259, Aḫū Zakariyyā a dit : – Malgré les biens que je possédais, je redoutais l’indigence (faqr). Un jour Abū Ḥafṣ me dit : – Si Dieu a décrété à ton endroit l’indigence, personne ne pourra t’y soustraire. Instanta- nément, cette peur disparut de mon cœur. 6 Abū Ḥafṣ a dit : – Le pauvre en Dieu (faqīr) sincère est celui qui est à tout mo- ment en conformité avec le statut (ḥukm) de l’instant (qu’il vit). Et quand sur- vient une inspiration qui le détourne du statut de l’instant présent, elle le dérange (istawḥaša min-hu) et il la chasse. 7 Abū Ḥafṣ a dit : – Comme la pauvreté est précieuse auprès de Dieu, et mépri- sable aux yeux de nos semblables ! Comme il est bon de dépendre de Dieu seul et détestable de dépendre de vils avares ! J’ai entendu mon grand-père, que Dieu lui fasse miséricorde, dire : 8 Abū Ḥafṣ, lorsqu’il se mettait en colère, commençait à parler de la noblesse de caractère jusqu’à ce que sa colère retombe, puis il reprenait le fil de son propos. J’ai entendu ʿAbd a­ l-Raḥmān b. Ḥusayn a­ l-Ṣūfī dire : 9 J’ai entendu dire que les maîtres de Bagdad s’étaient réunis auprès de Abū Ḥafṣ pour l’interroger sur la futuwwa. Ils leur dit : – Parlez d’abord, car vous maîtri- sez toutes les subtilités de la langue260. Ǧunayd prit la parole : – La futuwwa est 258 P : ne vocalise pas. Nous suivons Siyar, 13, 44 qui indique sa mort en 262/ 875–6; Š. : Muḫammaš. 259 Š : Ibn Baḥr a­ l-Šaǧīnī. Personnage non-identifié, à la graphie incertaine. Selon les manu- scrits : Šaḫtīnī, Saḫawī, Suḥaynī, Šaḫtinī, Šaḫaʿī, Suḫrī. 260 Lit. : l’expression et la langue.

15 Abū Ḥafṣ ­al-Nīsābūrī 111 l’abolition de la considération261 (portée aux œuvres) et le renoncement à l’at- tribution. Abū Ḥafṣ acquiesça : – Tu as fort bien parlé, mais pour moi la fu- tuwwa consiste à être équitable sans exiger en retour l’équité d’autrui. Ǧunayd s’exclama : – Debout compagnons, car Abū Ḥafṣ a surpassé Adam et sa posté- rité !  L’œuvre, p. 85 ; Qušayrī K, p. 39 ; Somme spirituelle, p. 154–5 ; 10 J’ai entendu dire que lorsque Abū Ḥafṣ voulut quitter Bagdad, tous les maîtres et les fityān l’accompagnèrent pour lui faire leurs adieux. Au moment de se séparer l’un d’eux lui demanda :– Indique-nous ce qu’est la futuwwa ? Il répon- dit :– la futuwwa s’apprend par l’exemple et la pratique, pas par la parole. Ils s’émerveillèrent de cette réponse. 11 On interrogea Abū Ḥafṣ : – Le fatā a-t-il un signe (par lequel le reconnaître) ? – Oui, répondit-il. Qui voit les fityān et n’a pas honte de ses qualités (šamāʾil) et de ses actes face à eux, celui-là est un fatā. J’ai entendu mon père : j’ai entendu Abū l-ʿAbbās ­al-Dīnawarī dire : Abū Ḥafṣ a affirmé : 12 Vrai ou faux, rien n’est entré dans mon cœur depuis que j’ai connu Dieu. J’ai entendu Muḥammad b. Aḥmad b. Ḥamdān : j’ai entendu mon père : j’ai entendu Abū Ḥafṣ dire : 13 J’ai abandonné le travail, puis y suis retourné. Puis le travail qui m’a quitté, et je n’y suis plus jamais retourné262.  Somme spirituelle, p. 155 ; J’ai entendu Abū Aḥmad Ibn ʿĪsā : j’ai entendu Maḥfūẓ b. Maḥmūd dire : 14 J’ai entendu Abū Ḥafṣ dire : – La générosité consiste à jeter ce monde à ceux qui en ont besoin et à se tourner vers Dieu, par besoin de Lui. 15 J’ai entendu un homme dire à Abū Ḥafṣ : – Un tel, de tes disciples, fait le tour des séances de samāʿ. Et quand il y participe, il s’agite et pleure, déchirant ses vêtements. Abū Ḥafṣ lui répliqua : – Que fait un noyé263 ? Il s’accroche à tout ce qu’il pense être un moyen de salut. 261 Lit. : la vision (ruʾya). 262 Allusion possible à son métier de forgeron. Selon un récit transmis par Sulamī dans son Tārīḫ a­ l-ṣūfiyya et rapporté par Ḏahabī, il aurait un jour sorti une pièce de fer du feu, à mains nues. À la suite de quoi il aurait abandonné son magasin pour se consacrer à la vie spirituelle, voir Tārīḫ a­ l-islām, an 261–80, p. 144 et Ḥilya, 10, p. 230. Le terme ʿamal, traduit par travail pourrait aussi être traduit par œuvres : j’ai abandonné les œuvres puis j’y suis revenu. Puis les œuvres m’ont quitté et je n’y suis plus jamais revenu. 263 P. : ġarīq ; Š : farīq est sans doute une coquille.

112 Première Génération 16 Abū Ḥafṣ a dit : – J’ai été le gardien (ḥaras-tu) de mon cœur pendant vingt ans. Puis, mon cœur m’a gardé pendant vingt ans. Ensuite, est survenu un état spi- rituel tel que nous nous sommes tous deux gardés, ensemble. 17 Abū Ḥafṣ a dit : – Celui qui a siroté la coupe du désir (de Dieu) erre éperdu d’amour et ne reprend conscience que lors de la contemplation et de la ren- contre. 18 Abū Ḥafṣ a dit : – Lorsque tu vois l’amoureux immobile et calme, sache qu’il passe par une phase de distraction, car l’amour ne laisse aucun répit. Au contraire, il harcèle en permanence, dans la proximité et l’éloignement, dans la rencontre ou la séparation. 19 Abū Ḥafṣ a dit : – le soufisme est tout entier ādāb. À chaque instant correspond un adab, à chaque station un adab. Qui s’attache aux ādāb des (divers) mo- ments spirituels (awqāt) parvient à la maturité spirituelle. Celui qui les néglige, il est d’autant plus loin (du terme) qu’il se croît proche, et rejeté alors qu’il es- père être agréé. J’ai entendu Abū ʿAmr b. Ḥamdān dire : j’ai trouvé dans le livre de mon père : 20 Abū Ḥafṣ a dit : – L’état spirituel ne doit pas s’écarter de la science, mais ne se réduit pas à ce qu’on en dit (lā yuqārinu l-qawl)264. Abū ʿUṯmān a­ l-Ḥīrī ­al-Nīsābūrī a rappelé (ḏakara) que Abū Ḥafṣ a dit265 : 21 Celui qui donne et qui prend est un homme266. Celui qui donne mais refuse de prendre est la moitié d’un homme. Celui qui ni ne prend ni ne donne est un moins que rien, incapable du moindre bien. On interrogea Abū ʿUṯmān sur la signification de ces propos. Il répondit : – Celui qui prend de Dieu et qui donne pour Dieu267, celui-là est un homme, car il ne voit en aucun de ses actes son ego. Celui qui donne mais refuse de prendre, il est la moitié d’un homme car il voit son ego et croit avoir, en ne prenant pas, un mérite. Quant à celui qui ne prend ni ne donne, c’est un moins que rien parce qu’il croit que c’est lui qui prend et qui donne, et non Dieu. J’ai entendu Abū l­-Ḥasan b. Miqsam à Bagdad : j’ai entendu Abū Muḥammad ­al-Murtaʿiš268 dire : 264 Faut-il voir là une allusion aux propos extatiques (šaṭaḥāt)? 265 Pour cette sentence, Sulamī n’emploie pas le lexique habituel de la transmission : on ne sait pas de quelle manière il a eu connaissance des paroles de Ḥīrī. Probable exemple d’une transmission exclusivement écrite. 266 Homme a ici le sens de : un spirituel accompli. 267 Selon P : à Dieu. 268 Il est intéressant de signaler que Sulamī a pu se documenter sur Abū Ḥafṣ à Bagdad au contact d’un maître qui a rencontré l’un de ses disciples venu s’installer dans la capitale et

15 Abū Ḥafṣ ­al-Nīsābūrī 113 22 J’ai entendu Abū Ḥafṣ dire : Ne mérite pas le qualificatif de généreux celui qui mentionne le don ou le regarde avec son cœur. 23 On interrogea Abū Ḥafṣ sur la parole de Dieu : « Cohabitez avec elles (vos épouses) de manière convenable269 ». Il répondit : – La cohabitation conve- nable, ce sont les belles vertus (ḥusn a­ l-ḫuluq) avec la famille, dans ce qui te déplaît, et avec celle dont tu as pris en aversion la compagnie. 24 On interrogea Abū Ḥafṣ sur l’avarice. Il répondit : – Renoncer à donner la pré- férence (īṯār) à autrui, en étant dans le besoin. 25 On l’interrogea aussi : – Qui est saint ? Il répondit : – Celui qui est gratifié par des charismes qui lui sont cachés. 26 Abū Ḥafṣ a dit : – Un état spirituel élevé ne peut venir que d’un attachement à un principe authentique. 27 On l’interrogea sur les principes de la pauvreté spirituelle et les règles de conve- nance (s’imposant) aux pauvres en Dieu. Il répondit : – Observer la vénération des maîtres ; partager avec les frères une vie commune exemplaire (ḥusn a­ l-ʿišra) ; conseiller les plus jeunes ; renoncer aux disputes pour les moyens de subsistance ; pratiquer l’abnégation continuellement ; éviter de thésauriser ; renoncer à la compagnie de ceux qui ne sont pas du même groupe270 et l’en- traide pour les affaires de la religion et de ce bas monde. 28 On interrogea Abū Ḥafṣ : – Qui est doué d’intelligence ? Il répondit : – Celui qui exige de son âme la sincérité totale (iḫlāṣ). 29 On interrogea Abū Ḥafṣ sur la servitude (ʿubūdiyya). Il répondit : – Renoncer à ce qui t’appartient et s’attacher à ce qui t’a été commandé. 30 Abū Ḥafṣ a dit : – Celui qui, en toute circonstance, voit la faveur de Dieu à son égard271, j’espère qu’il ne se perdra pas272. 31 Abū Ḥafṣ a dit : – Que ton adoration (ibāda) envers ton Seigneur ne fasse pas que tu sois à ton tour un objet de culte (maʿbūd).  Lucidité p. 76 (plus complet)273 et variante p. 91 ; que ces sentences ne devaient plus être accessibles ou disponibles dans sa ville natale où pourtant Abū Ḥafṣ résida. 269 Cor. 4, 19. 270 Le terme ṭabaqa est assez vague, pouvant désigner aussi bien une classe d’âge qu’un mi- lieu, social ou spirituel, et dans le cas présent, le même niveau spirituel. Nous choisissons de le traduire par un terme neutre. 271 Référence à une expression que l’on trouve à de multiples reprises dans le Coran, voir par exemple, Cor. 24, 10 et 14 ; 20, 24 ou 21, 24. 272 Expression déroutante : simple vœu ou expression d’une certitude qui ne peut être for- mulée sur ce mode, pour ne point empiéter sur la volonté divine ? 273 La suite explicite son propos, il ajoute, en particulier : « … car celui qui regarde avec com- plaisance ses actes de dévotion n’adore (en réalité) que lui-même. » Traduction de R. De- ladrière.

114 Première Génération 32 j’ai entendu Abū Ḥafṣ dire : – Je ne prétends pas aux vertus car je me sais prompt à la colère même si je ne le montre pas, ni à la générosité car je ne puis garantir que mon âme ne soit encline, un jour ou l’autre, à observer mon geste, à me tourner vers lui ou à mentionner le don que j’aurai fait. 33 Abū Ḥafṣ a dit : – La pratique extérieure de l’adab est le signe (ʿunwān) de sa pratique intérieure, car le Prophète a dit : – Si son cœur était recueilli, ses membres le seraient également274.  Qušayrī K, p. 39 (partiel.) ; 34 On a interrogé Abū Ḥafṣ : – Qu’est-ce que l’innovation blâmable (bidʿa) ? Il ré- pondit : – Outrepasser les principes de la Loi, négliger la sunna, suivre les opi- nions et les points de vue individuels, abandonner l’imitation et la conformité (­al-iqtidāʾ wa-l-ittibāʿ) (à la sunna ?). 35 On a interrogé Abū Ḥafṣ : – Qui sont les (vrais) Hommes ? Il répondit : – Ceux qui se tiennent vis-à-vis de Dieu dans le respect des engagements, car Dieu a dit : « Des hommes qui ont respecté l’engagement contracté envers Dieu »275. 36 Abū Ḥafṣ a dit : – L’abnégation, c’est que tu donnes dans le partage la précel- lence à tes frères sur toi-même, que cela concerne tes affaires dans l’autre monde ou dans ce bas monde. Bibliographie : Ta⁠ʾrīḫ a­ l-ṣūfiyya, 257–60 ; Ḥilya, 10, 229–30 ; Qušayrī, 106–7 ; Qušayrī K, 39 ; Qušayrī G, 60 ; Anṣārī, 95–102 ; Baġdādī, 12, 220– 222 ; Ibn ­al-Ǧawzī, 4, 118–21 ; Siyar, 12, 510–3 ; Tārīḫ a­ l-islām, an 261–80, 142–5 ; ʿAṭṭār, 390–400 ; Mémorial, 258–9 ; Muslim Saints and Mystics, 192–8 ; Alte Vorbilder des Sufitums 2, 113–54 ; Kašf, 123–5 ; Somme spirituelle, 154–6 ; Islamic Mysticism, 94–9 ; J. J. Thibon, « Adab et éducation spirituelle », 102–30 ; J. Chabbi, « Abū Ḥafṣ ­al-Ḥaddād », EI3 16 Ḥamdūn a­ l-Qaṣṣār Ḥamdūn b. Aḥmad b. ʿUmāra, Abū Ṣāliḥ a­ l-Qaṣṣār a­ l-Nīsābūrī. Le maître des Malāmatiyya à Nishapur. C’est à partir de lui que s’est répandue l’école du blâme276. Il a été le disciple de Salam b. ­al-Ḥasan a­ l-Bārūsī, de Abū Turāb a­ l-Naḫšabī (20) et de ʿAlī ­al-Naṣrābāḏī. C’était un savant et un juriste qui suivit l’école d’­al-Ṯawrī. 274 Voir a­ l-Ǧāmiʿ ­al-ṣaġīr, 2, p. 432. 275 Cor. 33, 23. Remarquons dans la définition, l’attachement à la lettre du Coran. 276 Qušayrī précise : « à Nishapur ».

16 Ḥamdūn a­ l-Qaṣṣār 115 Sa voie était spécifique et, parmi ses disciples, personne n’a emprunté sa voie aussi fidèlement que son disciple ʿAbdallāh b. Muḥammad b. Munāzil. Abū Ṣāliḥ Ḥamdūn est mort en 271/884–5 à Nishapur et a été enterré dans le cimetière d’a­ l-Ḥīra. Il a transmis le hadith. Mon père nous a rapporté, que Dieu lui fasse miséricorde : ʿAbdallāh b. Muḥammad b. Munāzil nous a rapporté : Ḥamdūn b. Aḥmad ­al-Qaṣṣār nous a rapporté : Ibrāhīm ­al-Zarrād nous a rapporté : Ibn Numayr nous a rapporté, d’après a­ l-Aʿmaš, d’après Saʿīd b. ʿAbdallāh, d’après Abū Barza a­ l-Aslamī, le Prophète a dit : 1 Au Jour du jugement, le serviteur ne se retirera pas de chez son Seigneur sans qu’il n’ait répondu de quatre (choses) : de sa vie : à quoi l’a-t-il employée ? De son corps : à quoi l’a-t-il utilisé ? De son argent : comment l’a-t-il acquis et com- ment l’a-t-il dépensé ? Et de sa science : qu’en a-t-il fait ?277 J’ai entendu Muḥammad b. Aḥmad a­ l-Farrāʾ : [ j’ai entendu ʿAbdallāh b. Muḥammad b. Munāzil]278dire : 2 On demanda à Ḥamdūn ­al-Qaṣṣār : – Quand quelqu’un a-t-il le droit de prendre la parole en public279 ? Il répondit : – Quand il doit s’acquitter de l’une des obligations canoniques ou redoute la perdition d’un homme à cause d’innova- tions blâmables, espérant que Dieu280 l’en préservera grâce à sa science.  Qušayrī K, p. 42 ; Somme spirituelle, p. 156 (autre version) ; 3 On demanda à Ḥamdūn : – Pourquoi les paroles des Pieux anciens (salaf ) étaient-elles plus profitables que les nôtres ? – Parce que, répondit-il, ils par- laient pour la gloire de l’islam, pour le salut des âmes et la satisfaction du Misé- ricordieux. Mais nous, nous parlons pour notre propre gloire, en quête de ce bas monde et à la recherche de l’approbation des créatures.  Somme spirituelle, p. 156 ; 277 Dans la version de Tirmiḏī, ces quatre points ne sont pas mentionnés dans le même ordre, voir Tirmiḏī, ­al-Ǧāmiʿ a­ l-ṣaḥīḥ, ṣifat ­al-qiyāma 1, n° 2417. 278 Ce transmetteur, disciple de Qaṣṣār, n’est pas mentionné chez P, et n’apparaît pas dans les manuscrits. Il a été ajouté par Š à partir des chaînes de transmission de la notice de Qaṣṣār dans la Ḥilya. On trouve cette chaîne de transmission par la suite, pour les sentencs 10 à 13. 279 Allusion possible aux activités de prédication de certains groups piétistes, les Karramites en particulier. 280 « Dieu » est absent de P, ce qui donne : « espérant l’en préserver grâce à sa science ». Du point de vue théologique, le choix de Š est plus adéquat. Dans la version de Qušayrī aussi Dieu est mentionné.

116 Première Génération 4 Ḥamdūn a dit : – Ce qui supprime les liens d’amitié entre les frères a pour ori- gine l’amour de ce bas monde. 5 On parlait un jour, en présence de Abū Ṣāliḥ Ḥamdūn, de la conservation des dépôts (amānāt). Il intervint : – Tu as déjà pris en charge un dépôt281 qui, si tu en prenais soin, t’occuperait suffisamment pour ne plus t’occuper après cela d’autres dépôts. 6 L’un de ses disciples lui dit : – Que faire ? Il me faut traiter avec ces militaires, que me conseilles-tu ? Il lui répondit : – Si tu sais, avec certitude que tu es meilleur qu’eux, ne traites pas avec eux. 7 Un jour, Abū l-Qāsim a­ l-Munādī l’interrogea sur une question. Il lui répondit :– Je vois dans ta question une manifestation de force et d’auto-glorification. Penses-tu que tu es parvenu à l’état spirituel dont tu parles du seul fait de poser cette question ? Où donc est la voie de la faiblesse et de la pauvreté, de l’humi- lité de qui cherche un refuge ? Selon moi, celui qui pense sa personne meilleure que celle de Pharaon manifeste de l’orgueil (kibr).  Qušayrī K, p. 42 ; J’ai entendu Muḥammad b. Aḥmad a­ l-Farrāʾ : j’ai entendu ʿAbdallāh a­ l-Ḥaǧǧām : j’ai entendu Ḥamdūn dire : 8 Depuis que j’ai appris que le Sultan282 a de la clairvoyance pour repérer les gens nuisibles, la peur du sultan n’est plus sortie de mon cœur.  Qušayrī K, p. 42–3 ; 9 Si tu rencontres un ivrogne, écarte-toi afin de ne pas lui faire des reproches publics, car tu pourrais bien être éprouvé de la même manière.  Qušayrī K, p. 43 ; J’ai entendu Muḥammad b. Aḥmad ­al-Farrāʾ : j’ai entendu ʿAbdallāh b. Muḥammad b. Munāzil dire : 10 J’ai demandé à Abū Ṣāliḥ Ḥamdūn :– Donne-moi un conseil. Il me répondit : – Si tu es capable de ne pas te mettre en colère pour une chose de ce bas monde, fais-le !  Anthologie, n° 293 ; Qušayrī K, p. 43 ; 281 Référence à Cor. 33, 72. 282 Dans un manuscrit : Šayṭān, le diable. La graphie de ces deux mots étant proche la confu- sion est possible. Le Sultan désigne ici Dieu, et il est intéressant de signaler qu’il puisse être remplacé par son contraire. Dans les deux cas, cette formulation est caractéristique de la malāma.

16 Ḥamdūn ­al-Qaṣṣār 117 11 Ḥamdūn a dit : – Celui qui néglige les engagements (ʿuhūd) pris envers Dieu, sera encore plus négligent envers les règles de convenance de Sa loi religieuse, car Dieu a dit : « Respectez vos engagements, car il est demandé compte de l’engagement (pris)283 ». 12 Pour une créature, demander secours à une autre créature c’est (agir) comme un prisonnier qui demande l’aide d’un autre prisonnier.  Lucidité, p. 97 13 Un homme dit à Ḥamdūn : – Donne-moi un conseil. Il lui répondit : – Si tu peux t’en remettre totalement à Dieu (mufawwiḍ), plutôt que d’exercer ta vo- lonté individuelle, fais-le ! J’ai entendu ʿAbdallāh b. Muḥammad b. Faḍlawayh a­ l-Muʿallim : j’ai entendu ʿAbdallāh b. Muḥammad b. Munāzil : j’ai entendu Ḥamdūn dire284 : 14 Pour le croyant, cesser de gagner sa vie, revient à demander l’aumône avec in- sistance285. 15 Celui qui, au matin, n’a d’autre souci que de trouver une nourriture licite et se préoccupe seulement de ce qui a été fixé dans la Science (divine), à son avan- tage ou à son détriment, celui-là se rend disponible à toute chose. 16 Celui qui a réalisé un état spirituel n’en parle pas. 17 Il a dit à ses disciples : – Je vous lègue un double conseil (ūṣī-kum) : la compa- gnie (ṣuḥba) des savants et supportez les ignorants. 18 Celui que la recherche de ce bas monde détourne de l’autre sera humilié (ḏalla) soit dans celui-ci soit dans l’autre. 19 Étudier la vie des Pieux anciens permet de connaître son insuffisance et son éloignement des degrés des Hommes accomplis286.  Qušayrī K, p. 43 ; 20 Ce qui t’est nécessaire vient à toi facilement, sans la moindre fatigue. Celle-ci vient de la quête du superflu. 283 Cor. 17, 34. 284 Š. rattache la sentence 14 à la chaine précédente. 285 Référence à Cor. 2, 273. Dans ce verset, l’une des caractéristiques énoncées pour décrire les véritables pauvres en Dieu (fuqarāʾ) est qu’ils ne demandent pas l’aumone avec insis- tance. Ḥamdūn exprime ici la position des Malāmatiyya, favorables à l’exercice d’un mé- tier pour gagner sa vie, voir Risālat ­al-malāmatiyya, p. 87 et Lucidité, p. 41–2. Tandis que certains, comme Šaqīq ­al-Balḫī, considèrent que cela est incompatible avec la pratique du tawakkul. 286 Chez les soufis, le terme riǧāl désigne les spirituels accomplis.

118 Première Génération 21 On interrogea Ḥamdūn sur le renoncement. Il répondit : – Pour moi, le renon- cement c’est que ton cœur ne soit pas plus confiant dans ce que tu possèdes287 que dans ce que ton Maître t’a garanti. 22 C’est une distraction de la part du serviteur qu’il se consacre à la conduite (siyāsa) de son âme au détriment du commandement de son Seigneur. 23 N’est affligé par l’épreuve (qu’il subit) que celui qui suspecte son Seigneur ! 24 L’intelligence (kiyāsa) peut provoquer de la vanité (ʿuǧb). 25 Personne n’est plus méprisable que celui qui se pare pour une demeure péris- sable et se montre sous un bel aspect288 envers celui qui ne peut ni lui nuire ni lui être utile289. 26 Dédaigne ce bas monde afin que ne soit pas magnifié à tes yeux, les mondains et ceux qui le possédent290. 27 La beauté du pauvre (en Dieu) réside dans son humilité. Si, à cause de sa pau- vreté, il fait preuve d’arrogance, celle-ci est pire que celle des riches. 28 Ne dévoile pas de quelqu’un ce que de toi tu souhaites conserver caché.  Qušayrī K, p. 43 ; 29 Lorsque tu trouves chez un homme une vertu de bien, ne le quitte pas car tu profiteras de sa baraka. J’ai entendu Muḥammad b. Aḥmad a­ l-Šibhī291 : j’ai entendu Aḥmad b. Ḥamdūn dire : 30 J’ai entendu mon père, interrogé sur la voie du blâme, dire : – C’est la crainte des Qadarites et l’espérance des Murǧites292.  Lucidité, p. 67 ; Somme spirituelle , p. 90 ; 31 Prenez garde à ne pas être aveugle aux déficiences (nuqṣān) de votre âme ! 287 Lit. : ce qui est dans tes mains. 288 Š : yataǧammal (qui fait pendant à yatazayyan : se parer, mentionné juste avant) ; P : yataḥammad : rechercher l’éloge, que l’on trouve aussi chez Abū Nuʿaym. 289 Expression que l’on trouve dans de très nombreux versets coraniques, par exemple Cor. 5, 76 ou Cor. 20, 89. 290 Ou : ceux qui le gouvernent ( man yamliku-hā). 291 P : a­ l-Šibhī ; Š : a­ l-Tamīmī. Dans la Risāla a­ l-Malāmatiyya : a­ l-Bihmī (p. 104), rectifié par ʿAfīfī en a­ l-Sahmī, reprit par Deladrière dans sa traduction p. 67. 292 Les Qadiriyya, ancêtres des Muʿtazilites, ne croient pas à la prédestination et considèrent l’homme comme totalement responsable de ses actes, la foi étant mise en cause par les fautes commises. À l’inverse, les Murjites dissocient complètement les œuvres de la foi, ramenée à la connaissance de Dieu. Voir le commentaire de cette sentence, Somme spiri- tuelle, p. 90–1 ;

17 Manṣūr b. ʿAmmār 119 Bibliographie : Ta⁠ʾrīḫ a­ l-ṣūfiyya, 145–7 ; Ḥilya, 10, 231–2 ; Qušayrī, 114–5 ; Qušayrī K, 42–3 ; Qušayrī G, 65–6 ; Anṣārī, 103–7 ; Ibn a­ l-Ǧawzī, 4, 122–3 ; Siyar, 13, 50–1 ; ʿAṭṭār, 401–4 ; Mémorial, 259–60 ; Kašf, 125–6 ; Somme spirituelle, 156–7; Alte Vorbilder des Sufitums 2, 155– 74 ; Islamic Mysticism, 94–6 ; M. Smith, « Ḥamdūn ­al-Ḳaṣṣār », EI2 ; Sulamī, « Mustaḫraǧ min ḥikāyāt Ḥamdūn a­ l-Qaṣṣār », 331–46. 17 Manṣūr b. ʿAmmār Manṣūr b. ʿAmmār293. Sa kunya est Abū Sarī. Habitant à Marv, ville dont il est originaire, d’un village appelé Dandānaqān. J’ai entendu Abū l-ʿAbbās Aḥmad b. Saʿīd a­ l-Maʿdānī mentionner cela. Mais d’après ce que m’a indiqué Abū l-Faḍl a­ l-Šāfiʿī ­al-Aḫbārī, on a dit aussi qu’il habitait à Abīward, ou à Būšanǧ d’après Muḥammad b. a­ l-ʿAbbās a­ l-ʿUṣmī. Il résida à Baṣra. Il faisait partie des prédicateurs qui excellaient dans l’exhorta- tion294 et il était l’un des Sages parmi les maîtres295. Il a transmis le hadith. Mon grand-père Ismāʿīl b. Nuǧayd ­al-Sulamī nous a informés : Abū ʿAbdallāh Muḥammad b. Ibrāhīm b. Saʿīd ­al-ʿAbdī nous a rapporté : Sulaym b. Manṣūr b. ʿAmmār nous a rapporté à Bagdad, dans la cour de son père : mon père (Manṣūr b. ʿAmmār) nous a rapporté, d’après a­ l-Munkadir b. Muḥammad b. a­ l-Munkadir, d’après son père, d’après Ǧābir : 1 Un jeune des Ansars, appelé Ṯaʿlaba b. ʿAbd ­al-Raḥmān vivait dans l’entourage du Prophète et le servait. Un jour, passant à côté de la porte de la maison d’un Ansar, il jeta un coup d’œil à l’intérieur et vit la femme de ce dernier en train de se laver (nue). Il resta un moment à l’observer. Tout à coup, il eut peur qu’une révélation ne descende sur le Prophète, l’informant de ce qu’il venait de faire. Quittant Médine, il prit la fuite, se dirigea vers les montagnes situées entre La Mecque et Médine et s’y cacha, ayant honte face au Prophète. Ce dernier de- manda après lui quarante jours durant, à propos desquels on a dit : « Son 293 Baġdādī précise : Manṣūr b. ʿAmmār b. Kaṯīr ­al-Sulamī, le Prédicateur, voir Baġdādī, 13, p. 71. Pour Huǧwirī, qui privilégie Marv comme lieu d’origine, a­ l-Marwazī, voir Somme spirituelle, p. 157. 294 Muḥāsibī s’étonne de voir Šuǧāʿ b. Maḫlad, Abū l-Faḍl a­ l-Baġawī (m. 235/849–50), un tra- ditionniste, assister au cours de Manṣūr dans une mosquée de Bagdad. Dans les milieux savants, ce type d’enseignement ne devait pas être très prisé. Que Sulamī l’intègre dans sa généalogie du soufisme est d’autant plus remarquable voir Baġdādī, 13, p. 72. 295 Mort à Bagdad en 225/839. Son fils Sulaym, qui fut son disciple et transmis ses paroles, fut enterré à côté de lui, voir Baġdādī, 13, p. 79.

120 Première Génération Seigneur l’a abandonné et pris en aversion296 ». L’ange Gabriel descendit et dit : – Muḥammad, Ton Seigneur t’adresse Son salut et t’informe que le fugitif de ta communauté est entre ces montagnes. Il cherche refuge auprès de Moi contre Mon feu. L’Envoyé de Dieu envoya alors ʿUmar b. ­al-Ḫaṭṭāb et Salmān (­al-Fārisī), leur demandant : – Partez et ramenez-moiṮaʿlaba b. ʿAbd ­al-Raḥmān. À la sortie de Médine, ils prirent les chemins de montagne et rencontrèrent un des bergers de la cité appelé Ḏufāfa. ʿUmar s’adressa à lui : – Ḏufāfa, as-tu connaissance d’un jeune homme qui se trouverait dans ces montagnes ? Celui- ci lui répondit : – Tu veux peut-être parler de celui qui fuit la Géhenne ? Surpris ʿUmar lui demanda : – Qu’est-ce qui t’a appris qu’il fuit la Géhenne ? – C’est parce que, dit-il, au milieu de la nuit il vient par ce chemin en pleurant, les mains posées au sommet de sa tête, et implore : – Si seulement Tu avais pu emporter mon corps et mon esprit avec ceux que tu as emportés et que Tu ne m’exposes sans défense à un destin irrémédiable ! ʿUmar s’exclama :– C’est bien lui que nous cherchons ! Ḏufāfa partit alors avec eux. La nuit suivante, il leur apparut, implorant : – Si seulement Tu avais pu emporter mon corps et mon esprit avec ceux que tu as emportés! ʿUmar se précipita vers lui afin de l’attraper. Entendant du bruit, Ḏufāfa s’écria : – Votre protection ! Votre protec- tion ! Quand serai-je débarrassé du feu ! ʿUmar s’adressa à lui : – je suis ʿUmar b. ­al-Ḫaṭṭāb. Il lui demanda : – Le Prophète est-il au courant de ma faute. – Je ne sais pas, répondit-il. Mais il nous a parlé de toi, hier, et m’a envoyé jusqu’à toi. Il lui demanda alors :- ʿUmar, ne m’introduit auprès de lui que s’il est en prière ou si Bilāl fait l’appel (qui précède immédiatement la prière). – C’est entendu, lui répondit-il. Arrivés à Médine, ʿUmar l’amena à la mosquée, alors que le Prophète était en prière. Entendant la récitation (du Coran) par le Pro- phète, il tomba évanoui. ʿUmar et Salmān se joignirent à la prière tandis qu’il restait à terre. Après avoir accompli la salutation finale (de la prière), le Pro- phète demanda : – ʿUmar, Salmān, qu’est devenu Ṯaʿlaba b. ʿAbd a­ l-Raḥmān ? – Le voici, Envoyé de Dieu, répondirent-ils. Le Prophète se dirigea vers lui et le secoua un peu afin qu’il reprenne connaissance, puis il lui demanda : – Pour- quoi as-tu disparu ainsi ? – À cause de ma faute, répondit-il. –Voudrais-tu que je t’enseigne un verset (du Coran) qui efface les fautes et les péchés ? – Bien sûr, Envoyé de Dieu ! – Dis : mon Dieu, notre Seigneur, accorde-nous un bienfait dans ce bas monde et un bienfait dans l’autre monde et préserve-nous du châti- ment du feu297. Mais il objecta : – Ma faute est bien plus importante que cela ! 296 Référence au verset Cor. 93,3, dans lequel la même expression est à la forme négative et s’adresse au Prophète. 297 Cor. 2, 201.

17 Manṣūr b. ʿAmmār 121 – C’est la Parole de Dieu qui est la plus importante. Puis, il lui demanda de rentrer chez lui, ce qu’il fit. Trois jours durant, il fut souffrant et Salmān vint prévenir le Prophète que Ṯaʿlaba était tombé malade à cause de ce qui le rongeait. Le Prophète décida : – Allons lui rendre visite. Il entra chez lui, lui prit la tête et la posa dans son giron, mais Ṯaʿlaba écarta sa tête et le Prophète lui demanda la raison de son geste. Il répondit : – Parce que ma tête est pleine de péchés. – Que ressens-tu, lui demanda le Prophète ? – Comme si des fourmis se déplaçaient entre ma peau et mes os ! – Et que désires-tu ? – Le pardon de mon Seigneur. Alors, Gabriel se manifesta au Prophète et lui annonça : – Mon frère ! Mon Sei- gneur t’adresse Son salut et te fait dire : – Si Mon serviteur Me rencontrait avec des fautes couvrant la terre entière, J’irais à lui avec un pardon équivalent. Le Prophète informa Ṯaʿlaba de ce qu’il venait d’entendre. Celui-ci poussa un cri déchirant et rendit l’âme. Le Prophète procéda au lavage rituel, lui passa le linceul et fit la prière mortuaire, puis on le porta vers la tombe. L’Envoyé suivit le cortège, marchant sur la pointe des pieds. Les Compagnons l’ayant remarqué lui en demandèrent la raison. Il expliqua :– Je ne pouvais pas poser le pied à terre, à cause de la multitude d’anges qui ont suivi son cortège funéraire. Manṣūr b. ʿAmmār a dit298 : 2 La joie que te procure un péché lorsque tu l’as accompli est pire que de le com- mettre. 3 Qui ne supporte pas les malheurs de ce monde, le malheur finit par atteindre sa religion.  Qušayrī K, p. 42 4 Qui est occupé à évoquer les hommes se coupe de l’invocation de Dieu. 5 (Manṣūr b. ʿAmmār a dit) à un homme qui était retombé dans la désobéissance après s’être repenti : – La raison pour laquelle, je pense, tu as fait demi-tour sur la voie de l’au-delà, c’est le sentiment de solitude (waḥša) lié au petit nombre de ceux qui l’empruntent. 6 (Manṣūr b. ʿAmmār a dit) à un homme : – Cesse donc d’accuser ce monde, tu sera débarrassé des soucis ! Garde ta langue, tu n’auras plus à t’excuser299. 298 Il y a un certain flou dans la transmission, car on ne sait pas si les sentences reposent sur la même chaîne que celle du long hadith mentionné en tête. Dans tous les cas, il n’y a qu’une chaîne passant par le grand-père de Sulamī, Ibn-Nuǧayd. Sulamī ne mentionne ni ses maîtres ni ses disciples, mais le relie aux Sages (ḥukamāʾ), peut-être à cause de ses origines. 299 Excuses qu’il faut présenter pour réparer les dégâts commis par la langue.

122 Première Génération 7 Les cœurs des serviteurs sont tous de nature spirituelle. Mais quand le doute ou l’impureté300 s’y insinuent, l’esprit refuse d’y rester. 8 La sagesse s’exprime dans le cœur des connaissants par le langage de l’adhé- sion (taṣdīq301) ; dans le cœur des renonçants, elle s’exprime par celui de la préférence302 ; dans le cœur des dévots par celui de l’assistance divine (tawfīq) ; dans le cœur des aspirants par celui de la méditation et dans le cœur des sa- vants par celui de la remémoration (taḏakkur). 9 Les hommes se divisent en deux catégories : Ceux qui sont nécessiteux (mufta- qir) envers Dieu ; ce groupe représente le degré le plus élevé, selon le langage de la Loi divine303. L’autre groupe ne perçoit plus cette nécessité (envers Dieu), sachant très bien que Dieu en a terminé avec la création, la subsistance, le terme (des créatures) ou la félicité. Celui-là demeure dans sa dépendance à Lui, mais s’est rendu par Lui, indépendant de tout le reste.  Somme spirituelle, p. 158 (avec commentaire). 10 Gloire à Celui qui a fait des cœurs des connaissants les réceptacles de Son invo- cation, tandis que les cœurs des gens de ce monde sont le réceptacle de la convoitise, ceux des renonçants sont le réceptacle de l’abandon confiant à Dieu, ceux des pauvres en Dieu le réceptacle de la tempérance (qanāʿa) et les cœurs de ceux qui s’abandonnent en confiance à Dieu (mutawakkilūn) sont le réceptacle de la satisfaction (riḍā).  Somme spirituelle, p. 157 (avec commentaire). 11 Les hommes se divisent en deux catégories : celui qui se connaît lui-même, celui-là est occupé à l’effort et à la discipline spirituelle (riyāḍa) ; et celui qui connaît Son Seigneur, et lui est occupé à Le servir, à L’adorer et animé du désir de Lui plaire (marḍāti-hi).  Somme spirituelle, p. 157–8. 12 Le meilleur des vêtements pour le serviteur est l’humilité et un cœur brisé. Pour le connaissant, c’est celui de la crainte pieuse (taqwā), car Dieu a dit (dans le Coran) : « Le vêtement de la piété, celui-là vaut mieux »304!  Qušayrī K, p. 42 13 Le salut (salāma) de l’âme s’obtient en la contrariant, tandis qu’en se soumet- tant à elle, on récolte les épreuves. 300 Š. : ḫabaṯ ou ḫubṯ : vilenie, débauche ; P. : ḥadaṯ. 301 Adhésion au message divin et prophétique. 302 Préférence donnée à l’autre monde sur l’ici-bas. 303 Voir Cor. 35, 15. 304 Cor. 7, 26.

18 Aḥmad b. ʿĀṣim ­al-Anṭākī 123 Bibliographie : Ta⁠ʾrīḫ a­ l-ṣūfiyya, 339–41 ; Ḥilya, 9, 325–31 ; Qušayrī, 112–3 ; Qušayrī K, 42 ; Qušayrī G, 64 ; Baġdādī, 13, 71–9 ; Ibn ­al-Ǧawzī, 2, 308–9 ; Siyar, 9, 93–8 ; ʿAṭṭār, 405–9 ; Mémorial, 260–2 ; Kašf, 126–7 ; Somme spirituelle, 157–8 ; Essai, 230 ; 18 Aḥmad b. ʿĀṣim a­ l-Anṭākī Aḥmad b. ʿĀṣim a­ l-Anṭākī. Sa kunya est Abū ʿAlī. Mais on dit aussi Abū ʿAbdallāh, ce qui est plus exact. Il fait partie de la génération des Bišr b. ­al-Ḥāriṯ (­al-Ḥāfī, n° 4), d’a­ l-Sarī (­al-Saqāṭī, n°5) ou encore d’a­ l-Ḥāriṯ a­ l-Muḥāsibī (n° 6). On dit qu’il a vu a­ l-Fuḍayl b. ʿIyāḍ (n° 1)305. J’ai entendu Abū l­-ʿAbbās, Muḥammad b. ­al-Ḥasan b. ­al-Ḫaššāb : j’ai entendu Ǧaʿfar a­ l-Ḫuldī : j’ai entendu a­ l-Ǧunayd : j’ai entendu Ibn Masrūq et ­al-Ǧurayrī dire : Abū ʿAbdallāh Aḥmad b. ʿĀṣim a­ l-Anṭākī a dit : 1 La consolation, la magnanimité306, le repos du cœur et la bonté de l’âme pro- viennent de quatre choses : la reconnaissance de l’évidence de la preuve, l’inti- mité avec les bien-aimés, la confiance dans la promesse et le regard fixé sur le terme. J’ai entendu Abū l-Qāsim, Ibrāhīm b. Muḥammad b. Maḥmawayh al-Naṣrā­ bāḏī : j’ai entendu Abū Muḥammad ʿAbd a­ l-Raḥmān b. Muḥammad b. Idrīs a­ l-Ḥanẓalī a­ l-Rāzī : j’ai entendu ʿAlī b. ʿAbd ­al-Raḥmān a­ l-Zāhid : Aḥmad b. ʿĀṣim ­al-Anṭākī a dit : 2 L’intellect (ʿaql) le plus profitable est celui qui te fait reconnaître les bienfaits dont Dieu t’a comblé, t’assiste dans la gratitude dont tu témoignes en retour, et s’oppose à la passion. 3 On interrogea Aḥmad b. ʿĀṣim sur la sincérité totale (iḫlāṣ). Il répondit : – C’est, lorsque tu accomplis une œuvre pieuse, que tu ne cherches pas à ce qu’on te l’attribue ou que l’on t’honore à cause d’elle et que tu n’en demandes pas la 305 Ḏahabī ajoute, en indiquant que sa source est Sulamī, qu’on l’appelait « l’espion des cœurs », information probablement puisée dans le Tārīḫ puisqu’elle ne figure pas dans les Ṭabaqāt, voir Siyar, 11, p. 409. Qušayrī précise que ce surnom lui avait été donné par Abū Sulaymān ­al-Dārānī, voir Qušayrī, p. 111. Il serait l’auteur de plusieurs traités, mais ces at- tributions restent incertaines, voir Essai, p. 226–8, A. Knysh, Islamic Mysticism, p. 38–9 et GAS, 1, 638. Mort autour de 220/835 pour Massignon et en 239/853–4 pour Deladrière, voir Essai, p. 223 et Anthologie, p. 275. 306 Lit. : l’ampleur de la poitrine (saʿat a­ l-ṣadr).

124 Première Génération ­récompense si ce n’est à Dieu seul, voilà la sincérité totale dans les œuvres de piété.  Mémorial, p. 262 4 L’humilité la plus profitable est celle qui élimine ton orgueil et éradique ta co- lère.  Mémorial, p. 262 5 La sincérité totale la plus profitable est celle qui élimine l’ostentation, le pa- raître (tazayyun) et l’affectation (taṣannuʿ). 6 La pauvreté la plus profitable est de ne plus avoir ce par quoi tu t’embellissais et ce dont tu étais satisfait307.  Somme spirituelle, p. 158 ; 7 Les œuvres les plus profitables sont celles qui sont exemptes des maux qui les affectent et que tu acceptais308. 8 Un signe de la méconnaissance que le serviteur a de lui-même est le manque de pudeur et le manque de crainte (de Dieu). 9 La plus néfaste des désobéissances est d’accomplir les œuvres d’obéissance avec ignorance. Cela t’est plus préjudiciable que les désobéissances commises par ignorance. 10 La justice est double : une extérieure, entre toi et les hommes, et une autre in- térieure, entre toi et Dieu. La voie de la justice est celle de la rectitude et la voie de la grâce (faḍl) est celle de la vertu (faḍīla). 11 La certitude est une lumière que Dieu dépose dans le cœur du serviteur, afin que, par elle, il contemple ce qui doit survenir pour lui dans l’au-delà et que, grâce à sa puissance, il déchire tous les voiles qui s’interposent entre lui et ce qui est dans l’au-delà, afin qu’il ait connaissance de cela comme s’il le contem- plait. 12 Si tu recherches l’intégrité (ṣalāḥ) du cœur, aide-toi en maîtrisant ta langue.  Qušayrī K, p. 41 307 Ou en extrapolant : La pauvreté (spirituelle) la plus profitable est (que tu délaisses) ce par quoi tu embellissais (tes œuvres) et ce qui te donnait satisfaction. 308 Les sentences 4 à 7, dont les énoncés sont construits selon le même schéma, appartien- nent sans doute à une même unité de discours qui pourrait être un fragment de l’un de ses sermons mettant l’accent sur la notion de profit spirituel (anfaʿ šayʾ). Chez Ibn a­ l-Ǧawzī, elles sont de fait agrégées dans un même ensemble qui contient des éléments supplémen- taires, voir Ṣifa, 4, p. 278.

19 ʿAbdallāh b. Ḫubayq ­al-Anṭākī 125 13 Œuvre comme s’il n’y avait personne d’autre que toi sur cette terre et personne d’autre que Lui dans le ciel.  Essai, p. 228 14 L’homme intelligent (ʿāqil) est celui qui a l’intelligence des exhortations que Dieu lui adresse et sait distinguer ce qui lui nuit de ce qui lui est profitable. 15 L’imam309 de chaque œuvre (pieuse) est une science, et l’imam de chaque science est une Providence (ʿināya). Abū Ǧaʿfar, Muḥammad b. Aḥmad b. Saʿīd a­ l-Rāzī ­al-Mukattib310 nous infor- més Abū l-Faḍl ­al-ʿAbbās b. Ḥamza [­al-Zāhid]311 nous a rapporté : Aḥmad b. Abī l-Ḥawārī a­ l-Dimašqī nous a rapporté : j’ai entendu Aḥmad b. ʿĀṣim ­al-Anṭākī dire : 16 Voici un butin facile : réforme ce qui te reste (à vivre), on te pardonnera ton passé.  Anthologie, n° 493 17 Dieu a dit : « Vos enfants et vos biens ne sont qu’une épreuve »312. Et nous, nous cherchons à accroître cette épreuve.  Qušayrī K, p. 41 Bibliographie : Ḥilya, 9, 280–97 ; Qušayrī, 111 ; Qušayrī K, 41 ; Qušayrī G, 63–4 ; Anṣārī, 107–10 ; Ibn ­al-Ǧawzī, 4, 277–9 ; Siyar, 10, 487–8 § 11, 410–1 ; ʿAṭṭār, 410–3 ; Mémorial, 262–3 ; Islamic Mysticism, 38–9 ; Kašf, 127 ; Somme spirituelle, 158–9 ; Essai, 223–8 ; GAS, 1, 638. 19 ʿAbdallāh b. Ḫubayq a­ l-Anṭākī ʿAbdallāh b. Ḫubayq b. Sābiq ­al-Anṭākī, sa kunya est Abū Muḥammad. Il a été le disciple de Yūsuf ­b. Asbāṭ et, parmi les soufis, il fait partie des renonçants (min zuhhād ­al-ṣūfiyya)313 qui se nourrissent de nourritures licites et font preuve de scrupule en toutes circonstances. 309 Chez P amām : devant et chez Š imām. 310 Š : Muktib. 311 Š : omis. 312 Cor. 8, 28. 313 L’expression « zuhhād a­ l-ṣūfiyya », utilisée pour qualifier la spiritualité de ce maître, sig- nale la volonté de Sulamī d’insérer sous le terme soufisme des formes de spiritualité dif- férentes et variées. Par ailleurs, le rattachement, du point de vue de la méthode spirituelle,

126 Première Génération Originaire de Kūfa, il s’installa à Antioche314. Sa méthode (ṭarīqatu-hu) en sou- fisme est celle d’­al-Ṯawrī315 car il a fréquenté ses disciples. Il a transmis le hadith. ʿUmar b. Aḥmad b. ʿUṯmān ­al-Wāʿiẓ nous a rapporté, à Bagdad : Aḥmad b. Muḥammad b. Saʿīd nous a rapporté : Yūsuf b. Mūsā nous a rapporté : ʿAbdallāh b. Ḫubayq nous a rapporté : Yūsuf b­ . Asbāṭ nous a rapporté : Ḥabīb b. Ḥassān nous a rapporté : d’après Zayd b. Wahb, d’après ʿAbdallāh b. Masʿūd, l’Envoyé de Dieu, qui est le véridique dont la véracité est attestée, a dit : 1 (Les éléments de) la création de chacun d’entre vous sont réunis dans le ventre de sa mère pendant quarante jours… puis il mentionna la suite du hadith316. Abū ʿAmr b. Maṭar nous a informés : Abū Ḥafṣ ʿUmar b. ʿAbdallāh b. ʿUmar ­al-Baḥrānī nous a rapporté : ʿAbdallāh b. Ḫubayq : nous a rapporté : Yūsuf­ b. Asbāṭ nous a rapporté : Sufyān ­al-Ṯawrī nous a rapporté, d’après Muḥammad b. Ǧuḥāda, d’après Qatāda, d’après Anas : 2 L’Envoyé de Dieu faisait le tour de ses épouses, l’une après l’autre, puis il ne faisait qu’une seule grande ablution pour les relations qu’il avait eues avec elles. Abū l-Faraǧ, ʿAbd ­al-Wāḥid b. Bakr, ­al-Waraṯānī nous a informés : Abū ­l-Azhar a­ l-Mayyāfāriqīnī nous a rapporté : Fatḥ b. Šaḫraf nous a rapporté : Abū Mu­ ḥammad, ʿAbdallāh b. Ḫubayq ­al-Anṭākī, rencontré pour la première fois à Aḏana317 m’a dit : 3 Ḫurāsānien, il y a quatre choses, pas une de plus : ton œil, ta langue, ton cœur et ton désir (hawā). Surveille ton œil et ne t’en sers pas pour regarder ce qui ne t’est pas licite. Surveille ta langue et ne t’en sers pas pour dire une chose dont Dieu sait parfaitement que ton cœur la contredit. Surveille ton cœur et qu’il ne à Ṯawrī, plus connu pour ses positions juridiques que pour ‘son soufisme’ va dans le même sens, même s’il était aussi lié à Ibrāhīm b. Adham. 314 On sait assez peu de choses sur ce personnage, la date de sa mort n’est pas mentionnée dans les sources. R. Deladrière pense que ce doit être autour de 240/854, voir Anthologie, p. 278, sans fournir de sources. 315 Š a conservé a­ l-Nūrī au lieu de (Sufyān) ­al-Ṯawrī, ce qui chronologiquement est impossi- ble. Yūsuf b. Asbāṭ était un disciple de ­al-Ṯawrī comme cela apparaît dans la chaine de transmission du deuxième hadith. 316 Le hadith étant bien connu, l’auteur peut se dispenser de le mentionner dans son inté- gralité, car ici l’essentiel n’est pas le contenu du hadith mais sa transmission. Voir par ex- emple Buḫārī, Kitāb ­al-tawḥīd 28, et pour les autres recueils, Concordance, vol. 1, p. 192. 317 Š : Adana.

19 ʿAbdallāh b. Ḫubayq ­al-Anṭākī 127 contienne ni rancune ni haine envers un musulman318. Surveille ton désir et ne désire rien qui soit un mal. Si tu ne possèdes pas ces quatre qualités, [verse de la cendre sur ta tête]319, car tu es parmi les réprouvés.  Mémorial, p. 263 (variante) ; Qušayrī K, p. 41 ; Anthologie, n° 401 ; 4 Si un lecteur du Coran s’apprête à commettre une désobéissance, le Coran pro- teste à l’intérieur de lui : – Ce n’est pas pour cela que tu me portes320 ! 5 Dieu a créé les cœurs comme réceptacle pour le souvenir (de Dieu), mais ils sont devenus les réceptacles de la concupiscence (šahawāt). Et seule peut l’ef- facer une peur tenace ou un désir (de Dieu) qui les tourmentent.  Somme spirituelle, p. 159 (avec commentaire) ; J’ai entendu Muḥammad b. ʿAlī b. a­ l-Ḫalīl : j’ai entendu Ǧaʿfar b. Muḥammad b. Sawwār : j’ai entendu ʿAbdallāh b. Ḫubayq dire : 6 Chaque commerçant a un capital et celui du transmetteur de hadiths est la véridicité (ṣidq). 7 Aucun état spirituel ne peut se dispenser de la sincérité (ṣiḍq)321, mais celle-ci ne dépend pas des états, quels qu’ils soient. Si le serviteur était parfaitement sincère dans sa relation à Dieu, il aurait accès aux trésors du monde du Mystère et serait considéré comme un homme de confiance (amīn) sur terre et dans les cieux. 8 Qui veut vivre riche322, que la convoitise n’élise pas domicile en son cœur.  Somme spirituelle, p. 159 ʿAlī b. Muḥammad b. Luʾluʾ ­al-Warrāq ­al-Baġdādī nous a informés, par autori- sation écrite : ʿUmar b. ʿAbdallāh a­ l-Baḥrānī nous a rapporté : j’ai entendu ʿAbdallāh b. Ḫubayq dire : 9 Si tu peux n’être devancé par personne auprès de ton Maître, fais-le ! Et ne pré- fère rien à ton Maître. 10 Ne t’afflige que de ce qui peut te causer du tort demain et ne te réjouis que d’une chose dont tu seras heureux demain.  Mémorial, p. 263 ; Qušayrī K, p. 41 ; 11 Tous ceux qui restent à la surface de la terre sont objet d’aversion (mustawhaš min-hu), moi le premier. 318 Voir Cor. 59, 10. 319 Š : omis. 320 Lit. : que tu m’as appris par cœur (ḥamalta-nī). 321 Le terme ṣiḍq recouvre les deux sens de sincérité et de véridicité. 322 Š : ġanī ; P : ḥayy et dans un manuscrit : ḥurr : libre.

128 Première Génération 12 La marque de l’intimité (ulfa) : l’absence de divergence et la prodigalité (baḏl ­al-maʿrūf ) . 13 La plus profitable des craintes est celle qui te retient de commettre des déso- béissances, qui prolonge tes regrets pour ce que tu as manqué et t’appelle à réfléchir sur ce qui te reste à vivre.  Mémorial, p. 263 (variante) ; Qušayrī K, p. 41 ; 14 Parce que les serviteurs se détournent de la Vérité, les cœurs se détournent d’eux. S’ils étaient dans l’intimité de leur Seigneur et s’étaient attachés à la Vé- rité, chacun ressentirait de l’intimité auprès d’eux.  Qušayrī K, p. 41 15 La plus profitable des espérances (raǧāʾ) est celle qui te facilite les œuvres d’adoration (ʿamal) afin d’obtenir ce que tu espères.  Qušayrī K, p. 41 16 On demanda à ʿAbdallāh : – Comment m’attacher à la Vérité, dans mes états spirituels ? Il répondit : – En te montrant équitable envers les hommes et en acceptant la vérité de celui qui t’est inférieur323. 17 La sincérité dans les œuvres est plus difficile que les œuvres elles-mêmes, et une telle œuvre, même les hommes de Dieu (­al-riǧāl) en sont incapables. 18 Écouter en permanence des futilités (bāṭil) fait disparaître (yuṭfī) du cœur la douceur de l’obéissance.  Qušayrī K, p. 41 ; Bibliographie : Ta⁠ʾrīḫ ­al-ṣūfiyya, 206 ; Ḥilya, 10, 168– 71 ; Qušayrī, 110 ; Qušayrī K, 41 ; Qušayrī G, 63–4 ; Ibn ­al-Ǧawzī, 4, 280–1 ; ʿAṭṭār, 414–5 ; Mémorial, 263 ; Kašf, 128 ; Somme spirituelle, 159 ; Essai, 223 ; 20 Abū Turāb a­ l-Naḫšabī Abū Turāb a­ l-Naḫšabī, son nom est ʿAskar b. Ḥuṣayn. On dit aussi : ʿAskar b. Muḥammad b. Ḥuṣayn. Il a été le disciple de Abū Ḥātim ­al-ʿAṭṭār a­ l-Baṣrī et de Ḥātim a­ l-Aṣamm ­al-Balḫī (n° 11). L’un des maîtres éminents du Ḫurāsān, connu pour sa science, sa fu- tuwwa, sa remise confiante à Dieu, son renoncement et sa piété scrupuleuse. 323 Au plan spirituel.

20 Abū Turāb a­ l-Naḫšabī 129 J’ai entendu Abū Ḥasan ­al-Qazwīnī : j’ai entendu ʿAlī b. ʿAbdak : j’ai entendu Abū ʿImrān a­ l-Ṭabaristānī : j’ai entendu Ibn a­ l-Faraǧī dire : 1 J’ai vu autour de Abū Turāb cent vingt de ses disciples portant chacun une outre324, assis autour de colonnes. Aucun d’eux ne mourut dans un état de pau- vreté spirituelle (ʿalā l-faqr) sauf Abū ʿUbayd a­ l-Busrī et Ibn a­ l-Ǧallāʾ. J’ai entendu ʿAbdallāh b. ʿAlī a­ l-Ṭūsī : j’ai entendu Muḥammad b. Dāwud ­al-Duqqī ­al-Dīnawarī : j’ai entendu Abū ʿAbdallāh Ibn ­al-Ǧallāʾ dire : 2 J’ai rencontré 600 maîtres mais quatre étaient incomparables et le premier d’entre eux est Abū Turāb a­ l-Naḫšabī.  Qušayrī K, p. 40325 ; Mémorial, p. 247 (variante) ; Il est mort dans le désert en 245/859–60, on dit qu’il a été dévoré par les bêtes sauvages. Il a transmis le hadith. Muḥammad b. Aḥmad b. Fāris ­al-Ḥāfiẓ a­ l-Baġdādī nous a informés à Bagdad : ʿAbdallāh b. Muḥammad b. Ǧaʿfar ­al-Iṣbahānī nous a informés : Muḥammad b. ʿAbdallāh b. Muṣʿab nous a informés : Abū Turāb ʿAskar b. Ḥuṣayn nous a informés : Ibn Numayr nous a informés : Muḥammad b. Ṯābit nous a infor- més : Šarīk nous a informés, d’après a­ l-Aʿmaš, d’après Abū Sufyān, d’après Ǧābir, l’Envoyé de Dieu a dit326 : 3 Ne forcez pas vos malades à boire et à manger car leur Seigneur les nourrit et les abreuve. ʿAbdallāh b. Muḥammad b. Ǧaʿfar a­ l-Iṣbahānī nous a informés, par autorisa- tion écrite : j’ai entendu Manṣūr b. ʿAbdallāh ­al-Iṣbahānī : j’ai entendu Abū Ġaʿfar b. Turkān : j’ai entendu Yaʿqūb b. ­al-Walīd : j’ai entendu Abū Turāb a­ l-Naḫšabī dire : 4 Vous, les hommes, vous aimez trois choses qui ne sont pas à vous : vous aimez votre âme alors qu’elle appartient à Dieu, vous aimez l’esprit qui, lui aussi Lui appartient et vous aimez les biens qui reviennent aux héritiers. Et vous recher- 324 Ou une écuelle, voir introduction de P, p. 25. Sachant que Naḫšabī est mort en 245/859, ce récit est intéressant pour la datation qu’il fournit concernant les cours de soufisme dans une mosquée autour d’un maître. Intéressant aussi le résultat de cet enseignement qui semble plonger le rapporteur dans le dépit. 325 Avec une légère variante : Quand il est dit chez Sulamī : laqītu, j’ai rencontré, il y a chez Qušayrī : ṣaḥibtu, j’ai été le disciple de… 326 La numérotation de Š est fautive, nous l’avons corrigée.

130 Première Génération chez deux choses que vous ne trouvez pas : la joie327 et le repos qui sont au paradis.  Mémorial, p. 249 ; J’ai entendu Abū l­-Naṣr ʿAbdallāh b. ʿAlī :[ j’ai entendu Ibn Ḫalaf ʿUlwān b. ʿUlwān]328 : j’ai entendu ʿAlī b. a­ l-Ḥusayn dire : 5 J’ai dit à Abū Turāb, alors qu’il prenait la route du désert : – Il faut des provi- sions ! Mais il me répondit : – Il faut Celui dont on ne peut se dispenser ! 6 Abū Turāb a dit : – Le plus noble des cœurs est celui qui est vivifié par la lu- mière de l’intellection de Dieu. 7 Abū Turāb a dit : – Le moyen de parvenir à Dieu passe par 17 étapes, la moindre d’entre elles est de répondre (à Son appel) et la plus élevée l’abandon confiant à Dieu, avec tout ce que cela exige (bi-ḥaqīqati-hi). 8 Abū Turāb a dit : – Il n’y a rien dans les actes d’adoration (ʿibādāt) qui soit plus profitable que de corriger (iṣlāḥ) les pensées qui surviennent dans les cœurs. 9 Abū Turāb a dit : – Le pauvre (en Dieu), sa nourriture, c’est ce qu’il trouve, son vêtement, ce qui recouvre (la nudité) et son toit, là où il se trouve.  Qušayrī K, p. 40 ; Somme spirituelle, p. 152 ; 10 Abū Turāb a dit : – Si le serviteur est sincère dans ses œuvres, il en goûte la douceur avant même de commencer et s’il est totalement sincère, il la goûte au moment même où il entreprend de l’accomplir329.  Qušayrī K, p. 40 ; 11 Qui distrait de Dieu celui qui est occupé par Dieu s’expose à la colère (de Dieu) sur le champ. J’ai entendu ʿAlī b. Saʿīd a­ l-Ṯaġrī : j’ai entendu ʿAbd a­ l-Salām b. Muḥammad ­al-Muḫarrimī : j’ai entendu Ibn Abī a­ l-Šayḫ : j’ai entendu ʿAlī b. ­al-Ḥusayn ­al-Tamīmī : j’ai entendu Abū Turāb dire : 12 L’abandon confiant à Dieu, c’est l’apaisement (ṭumānīna) du cœur en Dieu. 13 Un homme demande à Abū Turāb : – As-tu besoin de quelque chose ? Il lui répondit : – Le jour où j’aurai besoin de toi ou de l’un de tes semblables, je n’au- rai plus besoin de Dieu ! 327 P. : a­ l-faraḥ ; Š. : ­al-faraǧ (le soulagement). 328 Š : omis. 329 La version de P, que nous reproduisons, est plus développée car il a pris en compte des annotations marginales portées sur certains manuscrits, ce que n’a pas fait Š. Elle corre- spond à celle que l’on trouve chez Qušayrī, à un mot près.

20 Abū Turāb a­ l-Naḫšabī 131 14 La vraie richesse est que tu puisses te dispenser de celui qui est semblable à toi. Et la véritable indigence est d’être dépendant de qui est semblable à toi. 15 Ce qui a empêché les hommes sincères de se plaindre à un autre que Dieu, est la crainte de Dieu. J’ai entendu Aḥmad b. Muḥammad b. Zakariyyā a­ l-Nasawī : j’ai entendu ʿAlī b. Ibrāhīm a­ l-Šaqīqī : j’ai entendu Ibrāhīm b. a­ l-Muwallad : j’ai entendu Muḥammad b. Aḥmad ­al-Rāfiqī330: j’ai entendu ʿAlī b. ­al-Ḥusayn ­al-Tamīmī : j’ai entendu Abū Turāb a­ l-Naḫšabī dire : 16 Le bon ouvrier (ʿummāl) de Dieu, est celui qui garde sa limite avec Dieu et laisse la science suivre son cours. 17 Dieu fait parler les savants de chaque époque d’une manière qui s’accorde avec les œuvres des hommes de leur temps. 18 Préserve ce à quoi tu aspires (hamma-ka), car c’est le prélude de toute chose. Celui dont l’aspiration est authentique (ṣaḥḥa), ce qui vient après, œuvres ou états, est authentique. 19 Le contentement, c’est prendre ses moyens d’existence directement de Dieu. 20 Qui cherche à ouvrir les portes des moyens de subsistance (maʿāš) avec autre chose que les clefs de ce qui est destiné à chacun (aqdār), est abandonné à ses propres force et pouvoir. On lui demanda : – Que sont les clefs de ce qui est destiné à chacun? Il répondit : – L’acceptation (riḍā), à chaque instant, de ce qu’il reçoit, en provenance du (monde du) Mystère. Bibliographie : Ta⁠ʾrīḫ a­ l-ṣūfiyya, 226–8 ; Ḥilya, 10, 45–51 ; Qušayrī, 108–9 ; Qušayrī K, 40–1; Qušayrī G, 61–2 ; Anṣārī, 76–8 ; Baġdādī, 12, 315–7 ; Ibn ­al-Ǧawzī, 4, 172–4 ; Siyar, 11, 545–6 ; ʿAṭṭār, 356–60 ; Mémorial, 247–9 ; Alte Vorbilder des Sufitums 1, 325–44 ; Islamic Mysticism, 33–4 ; Kašf, 121–2 ; Somme spirituelle, 152–3 ; 330 Š. : ­al-Rāfiʿī.

132 Deuxième génération Deuxième Génération Deuxième génération 21 Abū l-Qāsim ­al-Ǧunayd A­ l-Ǧunayd b. Muḥammad [b. ­al-Ǧunayd]1, Abū l-Qāsim a­ l-Ḫazzāz. Son père vendait de la verrerie et c’est pour cela que l’on dit aussi : ­al-Qawārīrī (mar- chand de bouteilles). Il était originaire de Nihāwand, mais il naquit et grandit en Irak, voilà ce que j’ai entendu Abū l-Qāsim a­ l-Naṣrābāḏī dire. Il était juriste, avait appris le droit sous la tutelle de Abū Ṯawr2, et il donnait des avis juri- diques pendant les cours de ce dernier3. Il fut le disciple de Sarī al-Saqaṭī (n° 5), d’a­ l-Ḥāriṯ ­al-Muḥāsibī (n° 6), de Muḥammad b. a­ l-Qaṣṣāb ­al-Baġdādī4 et d’autres maîtres encore. Il est un des imams et des grands maîtres de la Voie (­al-qawm), agréé par tous. Il est mort en 297/910, le jour de Nayrūz a­ l-Ḫalīfa5, un samedi. On dit qu’il est mort la dernière heure du vendredi et fut enterré le samedi, j’ai entendu Abū l-Ḥasan b. Miqsam le dire. Il a transmis le hadith. Muḥammad b. ʿAbdallāh ­al-Ḥāfiẓ nous a rapporté : Bakr b. Ḫalaf nous a rap- porté : Bukayr b. Aḥmad a­ l-Ḥaddād ­al-Ṣūfī nous a rapporté, à la Mecque a­ l-Ǧunayd b. Muḥammad Abū l-Qāsim a­ l-Ṣūfī nous a rapporté : ­al-Ḥasan b. ʿArifa nous a rapporté : Muḥammad b. Kuṯayyir ­al-Kūfī nous a rapporté, d’après ʿAmr b. Qays ­al-Malāʾī, d’après ʿAṭiyya, d’après Abū Saʿīd, l’Envoyé de Dieu a dit : 1 Prenez garde à la vision perspicace (firāsa) du croyant, car il regarde par/avec la lumière divine. Puis il récita le verset : Il y a certes en cela des signes pour qui sait les déchiffrer (Cor. 15, 75). Et il commenta : ce sont ceux doués de perspica- cité6. 1 Š : omis. 2 Il est mort à Bagdad en 240/854, voir l’article de J. Schacht sur Abū Ṯawr dans EI2, 1, p. 159. 3 En présence de son maître et alors qu’il avait à peine vingt ans, ajoute Qušayrī, voir Qušayrī, p. 116. 4 Il ne possède pas de notice dans les Ṭabaqāt, sur lui voir Baġdādī, 3, p. 62, qui transmet de Sulamī une information dans laquelle Ǧunayd affirme que son maître (ustāḏ) est Qaṣṣāb alors que les gens le rattachent à Sarī. 5 Voir les explications apportées par Mojaddedi sur ce jour, The Biographical Tradition in Sufism, n. 57, p. 187. Pourtant, on retient généralement 298/910 comme date de sa mort, voir Arberry, EI2, 2, p. 615a et Deladrière, Junayd, p. 13 6 Voir a­ l-Ǧāmiʿ ­al-ṣaġīr, 1, p. 42. © koninklijke brill nv, leiden, 2019 | doi:10.1163/9789004396760_005

21 Abū l-Qāsim ­al-Ǧunayd 133 J’ai entendu Muḥammad b. ʿAbdallāh b. Šāḏān : Ǧunayd a dit : 2 La proximité atteinte dans l’extase (waǧd) est union et l’occultation (ġayba) dans l’humanité ordinaire est discernement (tafriqa). Enseignement spirituel, n° 41, p. 194 ; J’ai entendu ʿAbd a­ l-Wāḥid b. Bakr : j’ai entendu Hammām b. a­ l-Ḥāriṯ : j’ai en- tendu Ǧunayd dire : 3 On accède à la porte de toute science noble et précieuse par le zèle dans l’effort (baḏl a­ l-maǧhūd). Mais qui recherche Dieu par ce moyen n’est pas comme ce- lui qui Le recherche en empruntant la voie de la générosité divine. Anthologie, n° 731 ; Mojaddedi, The Biographical Tradition in Sufism, p. 32–3 ;  J’ai entendu Abū l-Fatḥ, Yūsuf b. ʿUmar ­al-Zāhid à Bagdad : j’ai entendu Ǧaʿfar b. Muḥammad b. Nuṣayr : j’ai entendu Ǧunayd dire : 4 Dieu dispense son bienfait aux cœurs à la mesure de la pureté de ces cœurs dans Son invocation7. Regarde donc ce qui habite (ḫālaṭa) ton cœur. J’ai entendu Abū Bakr Muḥammad b. ʿAbdallāh b. Šāḏān : j’ai entendu Ǧaʿfar ­al-Ḫuldī : j’ai entendu Ǧunayd s’adresser ainsi à Dieu : 5 Ô Toi qui te souviens de ceux qui se souviennent de Toi par ce par quoi ils se sont souvenus deToi8 ; ô Toi qui t’adresses en premier aux connaissants par ce qu’ils ont connu de Toi, par Toi ; ô, Toi qui a permis aux adorateurs d’accomplir leurs œuvres vertueuses, qui donc pourrait intercéder auprès de Toi, si ce n’est avec Ta permission et qui donc pourrait Te mentionner si tu ne lui accordais pas cette faveur9 ? J’ai entendu Muḥammad b. a­ l-Ḥasan a­ l-Baġdādī : j’ai entendu Ǧunayd répon­ dre à la question : 6 Qui est le connaissant ? – Celui qui exprime ce qu’il y a au tréfonds de ton être, alors que tu es silencieux10. Qušayrī K, p. 43 ; Mojaddedi, The Biographical Tradition in Sufism, p. 35 ;  7 Ou : à la mesure de ce que les cœurs lui consacrent comme remémoration. 8 Ou : ô Toi qui mentionne ceux qui te mentionnent par la mention qu’ils font de Toi. Ré- férence à Cor. 2, 152. 9 Dans cette invocation, il n’est pas possible de conserver la valeur des pronoms possessifs, l’arabe pouvant sans difficultés passer de la deuxième à la troisième personne, ce qui n’est pas le cas du français. 10 À mettre en relation avec l’anecdote rapportée par Somme spirituelle, p. 160.

134 Deuxième Génération J’ai entendu Muḥammad b. ʿAbdallāh a­ l-Rāzī : j’ai entendu Abū Muḥammad ­al-Ǧurayrī : j’ai entendu Ǧunayd dire : 7 Nous n’avons pas appris le taṣawwuf des propos des uns et des autres, mais par la faim, le renoncement à ce bas monde, le rejet des choses usuelles (ma⁠ʾlūfāt) et agréables, car le taṣawwuf c’est la pureté (ṣafāʾ) du comportement avec Dieu, fondé sur le détachement (taʿazzuf ) du monde, comme l’a dit Ḥāriṯa11 : – Mon âme s’est détachée du monde, j’ai imposé la veille à mes nuits et la soif à mes journées (par le jeûne). Qušayrī K, p. 43 (partiel) ; Essai, p. 17 (partiel).  J’ai entendu Naṣr b. Abī l-Naṣr ­al-ʿAṭṭār : j’ai entendu Aḥmad b. ­al-ʿAlāʾ : j’ai entendu Abū Bakr ­al-Malāʿiqī : j’ai entendu Ǧunayd dire : 8 Ce terme – c’est-à-dire le taṣawwuf- est un attribut dans lequel le serviteur est établi. Je lui dis : – Maître, est-ce un attribut (naʿt) du serviteur ou bien un attri- but de la Vérité ? Il répondit : – En réalité, c’est un attribut de la Vérité dont le serviteur n’emprunte que la forme (rasm)12. Enseignement spirituel, n° 14, p. 189 J’ai entendu Abū Bakr a­ l-Rāzī : j’ai entendu Abū ʿUmar ­al-Anmāṭī : j’ai entendu Ǧunayd dire : 9 Tu ne seras pas envers Lui réellement un serviteur, tant que quelque chose d’autre que Lui t’asservira13. Et tu n’accèderas pas à une totale délivrance (ṣarīḥ a­ l-ḥurriyya) tant qu’il te restera de la réalité de ta servitude envers Lui quelque chose (à accomplir). Quand tu seras à son service exclusif, tu seras libre de tout ce qui est autre que Lui. Anthologie, n° 753 ; Enseignement spirituel, n° 46, p. 195. J’ai entendu Abū Bakr : j’ai entendu Abū Muḥammad a­ l-Ǧurayrī : j’ai entendu Abū l-Qāsim ­al-Ǧunayd dire à un homme qui évoquait la connaissance (en di- sant) : 11 Š : Ḥāriṯ. Š a commis une erreur en croyant qu’il s’agissait de ­al-Ḥāriṯ a­ l-Muḥāsibī, (voir n° 6), alors qu’il s’agit d’un hadith bien connu, bien que ne figurant pas dans les recueils canoniques et que sa chaîne de transmission soit discutée, et dans lequel le Prophète de- mande à Ḥāriṯā : « Comment vas-tu ce matin, Ḥāriṯa ? » La réponse rapportée par Sulamī ne représente qu’une partie de la réponse de Ḥāriṯa telle qu’elle figure dans le hadith. 12 À rapprocher de l’expression a­ l-ṣūfī lam yuḫlaq : le soufi n’est pas (un être) créé. 13 Rappelons que le terme ʿAbd signifie esclave, d’où, en contrepoint les termes ḥurr (hom- me libre) et ḥurriyya (liberté).

21 Abū l-Qāsim ­al-Ǧunayd 135 10 Ceux qui connaissent Dieu (ahl ­al-maʿrifa) en viennent à abandonner toute action, par piété (birr) et abstention scrupuleuse (taqwā) envers Dieu. Ǧunayd répliqua : – Voilà la parole de gens (qawm) qui prônent l’abandon des œuvres, et ceci est pour moi une immense faute. Celui qui vole ou commet l’adultère vaut mieux que celui qui tient ce discours. Les connaissants ont pris de Dieu les œuvres et, par elles, ils retournent à Lui. Si je vivais mille ans, je ne diminue- rais pas de la moindre chose (ḏurra) les œuvres de piété, sauf à en être empê- ché, car cela renforce ma connaissance et affermit mon état spirituel. Qušayrī K, p. 43–4 ; J’ai entendu Abū ­l-Ḥusayn a­ l-Fārisī : j’ai entendu Abū Isḥāq ­al-Dīnawarī dire : – On demanda à Ǧunayd : 11 Qui est le connaissant? Il répondit :– Celui que n’asservit pas un seul de ses regards ni un seul de ses propos. Mojaddedi, The Biographical Tradition in Sufism, p. 35 ;  12 Être distrait de Dieu est pire que d’entrer dans le feu. J’ai entendu Abū ­l-ʿAbbās Muḥammad b. ­al-Ḥasan b. a­ l-Ḫaššāb : j’ai entendu Ǧaʿfar b. Muḥammad : j’ai entendu a­ l-Ǧunayd dire : 13 Si les ustensiles de ta maison peuvent n’être que de la poterie, c’est bien ! Et il en allait ainsi dans sa maison. Qušayrī K, p. 44 ;  14 Toutes les voies sont fermées aux créatures hormis pour celui qui suit les traces (iqtafā) du Prophète14, se conforme à sa sunna (ittabaʿa sunnata-hu) et s’at- tache à sa voie (lazima ṭarīqata-hu), car toutes les voies du bien lui sont ou- vertes. Enseignement spirituel, n° 1, p. 187 ; Qušayrī K, p. 44 ; J’ai entendu ­al-Ḥusayn b. Yaḥyā : j’ai entendu Ǧaʿfar : j’ai entendu ­al-Ǧunayd dire : 15 Les connaissants ont besoin de la sauvegarde de Dieu et de Sa protection, car Il a dit : « Qui vous préserve, nuit et jour, du Miséricordieux ? » Cor. 21, 42. Enseignement spirituel, p. 64. 14 Réf à une expression coranique, voir Cor. 5, 46 et 57, 27.