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_Les_ Générations des Soufis Ṭabaqāt Al-ṣūfiyya de Abū ʻAbd Al-Raḥmān, Muḥammad B. Ḥusayn Al-Sulamī (325937-4121021) by Thibon, Jean-Jacques (z-lib.org)

Published by Auhammud Zeyd, 2021-08-12 15:35:54

Description: _Les_ Générations des Soufis Ṭabaqāt Al-ṣūfiyya de Abū ʻAbd Al-Raḥmān, Muḥammad B. Ḥusayn Al-Sulamī (325937-4121021) by Thibon, Jean-Jacques (z-lib.org)

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36 Introduction Générale son principal informateur pour les biographies des soufis des époques an- ciennes. L’importance des Ṭabaqāt dans l’histoire du soufisme justifierait d’entre- prendre un vaste travail de comparaison pour mieux cerner les apports spéci- fiques de chacun des recueils de Ṭabaqāt et relever l’empreinte de Sulamī dans la littérature postérieure hagiographique ou historiographique. 7 Les manuscrits et le titre Pedersen a présenté avec force détails les neuf manuscrits utilisés pour réaliser son édition des Ṭabaqāt et désignés par les lettres A à I. Il le reconnaît : « Tous les manuscrits ont leurs fautes », ce qui souligne l’ampleur de la tâche accom- plie pour parvenir à présenter le texte qu’il nous a offert. Il faut saluer l’érudi- tion et la précision de son travail qui ont abouti à un texte tout à fait satisfaisant. Nous ne suivons pas toujours les choix de l’éditeur mais justement, l’apparat critique, étoffé et précis, constitue un outil particulièrement précieux nous permettant de choisir d’autres lectures. Même si le manuscrit D est le plus soi- gné, Pedersen s’est basé sur le manuscrit A, le plus ancien du groupe princi- pal139, complété par D140. Dans celui-ci, Ḏū l-Nūn est placé en deuxième position et Ibrāhīm b. Adham en troisième, tandis que les autres manuscrits inversent cet ordre. F et G, qui dépendent de D et forment avec lui un groupe à part, suivent le même ordre pour les notices 2 et 3 et pour l’ordre des sentences. A, B et E sont apparentés, ainsi que H et I et ces deux sous-groupes suivent A dans l’ordre des personnages et de leurs sentences141. En 1953, quand Šurayba publia sa première édition des Ṭabaqāt al-ṣūfiyya142, Pedersen n’avait publié qu’un seul fascicule, en 1938, contenant les quatre pre- mières notices de la première génération. Il n’avait alors connaissance que des manuscrits A à E et, agurâCceaiàreŠu(Graypboau,raPpepdreitrsl’eenx,is�t‫ق‬epnoceurdŠeutrraoyisban)o ;ulv’aeuaturxe manuscrits : un localisé PàeIdstearnsebnu,l‫ب�(ر‬HpopuoruŠruPraeydbears)e. nL,a‫ر‬c‫�م‬opnocuorrdŠaunrcaeybpao)uertleles dernier à Bursa (I pour autres manuscrits est la 139 Staatsbibliothek Berlin, 134 folios, achevé le 9 janvier 1384. Il y a une lacune des notices 5 à 10, soit les pages 45 à 76. 140 Sulaimaniyya Istanbul (anc. ʿAshir Effendi), achevé en décembre 1442. 141 Le manuscrit C, plus tardif, terminé le 25 juin 1627, est abrégé et son écriture négligée, mais il présente des variantes intéressantes, selon Pedersen. 142 Dans la suite de l’ouvrage, les références renvoient à la deuxième édition, Maktabat al- Ḫānǧī, Le Caire, 1389/1969.

Introduction Générale 37 sDu=iLv’Šaéundrti.te i: o :‫ع‬Pn;erPdée.a d:liA. s:é=EeŠ=puaŠrru. :Šr.�u :‫ب‬r� a;‫ت‬y: ;bPPaeeded.s .:t :BbEa==sŠéŠueurs.r u.:  :r‫م‬nPleoenmd.u a:tnCilui=ssécŠ1ru4it3r. G: n14o4n. Eultleilissuéi t; Ped. : donc l’ordre inverse de Pedersen pour les notices 2 et 3. Nous avons choisi de suivre cette édition pour la présentation des sentences car elles sont numérotées et qu’il est dès lors plus facile de se reporter au texte arabe. Par souci de cohé- rence nous avons également adopté l’ordre de présentation des personnages dans cette édition. Malheureusement, Pedersen n’a pas numéroté les sentences et les présente en continue, sans aller à la ligne à chaque nouvelle sentence, ce qui donne au texte une densité qui empêche de s’y repérer rapidement , c’est l’un des seuls défauts que l’on puisse trouver à son travail d’éditeur. Il faut rendre hommage également au travail accompli par Šurayba qui a produit une édition critique de qualité et a enrichi son ouvrage de nombreuses notes qui aident à identifier les transmetteurs, ou à préciser un lieu, une origine etc. Et souligner également la pertinence de ses choix de lecture, en présence de va- riantes145. Autant la méthodologie suivie que la qualité du travail réalisée par Šurayba peuvent servir de modèle à de futurs éditeurs de textes arabes, autant l’édition de Muṣṭafā ʿAbd al-Qādir ʿAṭāʾ représente l’exemple de ce qu’il faudrait bannir146. Un autre problème se pose entre les deux éditions : la divergence de certains isnād. Pedersen, s’est penché sur cette question147. Il y a selon lui deux ordres différents dans les isnād qui introduisent les sentences de chaque soufi biogra- phié : l’ordre du manuscrit A (et celui des manuscrits H et I qui suivent le même ordre) et l’ordre du groupe DFG. Pour les manuscrits B, C et E la question ne se 143 Šurayba mentionne dans sa liste un huitième manuscrit (Köprülü, 1603, le dixième d’un recueil factice, ff 219b à 253a). Incomplet, il s’agit d’un abrégé dont les isnād et l’intro­ duction ont été supprimés. 144 Voir l’opinion de Pedersen sur l’édition de Šurayba qui nous paraît sévère même si elle n’est pas sans fondement, « Quelques remarques au sujet du texte des Ṭabaqāt al-ṣūfiyya d’al-Sulamī », p. 193–4. 145 Nous signalons en général ces variantes dans notre traduction. 146 L’éditeur, Muṣṭafā ʿAbd al-Qādir ʿAṭāʾ, a adjoint aux Ṭabaqāt al-ṣūfiyya, le Ḏikr al-niswa al- mutaʿabbidāt al-ṣūfiyyāt. Cette édition, aux dires de l’auteur, est basée sur trois manuscrits qui correspondent aux C et H de Pedersen et au huitième de Šurayba. Ce n’est pas une édition critique, et elle ne fait même pas mention des éditions existantes. Elle comporte des index, l’éditeur se contentant d’indiquer les références aux sentences équivalentes de la Ḥilya, parfois le Ṭabaqāt al-awliyāʾ de Ibn Mulaqqin ainsi que les références des hadiths cités, et encore pas systématiquement. Voir Ṭabaqāt al-ṣūfiyya, Beyrouth, Dar al-kutub al-ʿilmiyya, 1e éd. 1998, 2e éd. 2003/1424. 147 Voir l’introduction, p. 45–9. Selon Pedersen, ces divergences ne proviennent pas des co- pistes, mais sont inhérentes à « un défaut de système », peut-être dû au fait que Sulamī a sans doute plus d’un isnād pour chaque sentence consignée.

38 Introduction Générale pose pas car dans ce groupe de manuscrits, les isnād sont fragmentaires, in- complets voire supprimés. Chacune de nos éditions se réfère donc à un manus- crit principal appartenant à deux groupes différents quant à l’ordre des sentences et partant des isnād qui les introduisent. Pour les raisons que nous avons indiquées, nous suivons Šurayba pour les isnād également. Mais il faut reconnaître que, dans de nombreux cas, une certaine incertitude demeure dans l’établissement de la connexion entre l’isnād et la sentence, en particulier lorsqu’il y a des groupes de sentences relevant du même isnād. Il est difficile de dire si la faute en incombe aux copistes ou à Sulamī lui-même. En l’absence d’un manuscrit olographe, il est impossible de savoir comment se présentait exactement le texte définitif de l’auteur. Quant à la différence sur le nombre de notices, Pedersen ayant pris le parti d’établir une notice par personnage arrive au chiffre de 105, tandis que Šurayba, conformément aux manuscrits, conserve à deux reprises deux frères dans une seule notice, à savoir Muḥammad et Aḥmad, fils de Abū l-Ward148 ainsi que Muḥammad et Ǧaʿfar, fils de Aḥmad al-Muqrī149, et en dénombre ainsi 103. Quant aux trois personnages de la dernière génération, réunis artificiellement dans les manuscrits en une seule notice150, les deux éditeurs ont compté une notice pour chacun d’eux. En ce qui concerne le titre de l’ouvrage, beaucoup de manuscrits indiquent Ṭabaqāt al-ṣūfiyya (A, E, F, H, I), mais il y a aussi Ṭabaqāt al-mašāʾiḫ (B), Kitāb al-ṭabaqāt (D, G), Ṭabaqāt a⁠ʾimmat al-ṣūfiyya (à la fin des manuscrits H et D) et même Ṭabaqāt al-nīsābūrī (C)151. Nous suivons le choix des deux éditeurs de Sulamī qui, à raison, ont conservé Tabaqāt al-ṣūfiyya. 148 Notice 19 de la deuxième génération, correspondant aux notices 39 et 40 de Pedersen dont la numérotation est continue de la première à la dernière génération. 149 Notice 21 de la cinquième génération, correspondant aux notices 102 et 103 de Pedersen. 150 18, 19 et 20 de la cinquième génération de Šurayba, et 99, 100 et 101 de Pedersen, voir Š, p. 62 de l’intro. 151 Il est difficile d’accorder à ce titre un quelconque crédit, compte tenu de la qualité du manuscrit que nous avons signalée.

Introduction Générale 39 Traduction des Ṭabaqāt al-ṣūfiyya de Abū ʿAbd al-Raḥmān, Muḥammad b. Ḥusayn al-Sulamī ∵

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Introdu Icnttiornoduction 41 Introduction Au Nom de Dieu, le Tout-Miséricordieux, le Très-Miséricordieux Mon Dieu facilite, O Généreux, un écrit contenant Les générations des Soufis colligé par l’imam, l’ascète Abū ʿAbd al-Raḥmān, Muḥammad b. Ḥusayn b. Muḥammad b. Mūsā al-Sulamī que Dieu lui fasse miséricorde et nous fasse bénéficier de ses bénédictions1. Louange à Dieu qui a manifesté les marques de Sa Puissance et les lumières de Sa Majesté en tout temps, à toute époque, à tout moment et en tout. Il a donné à chaque période un prophète envoyé pour guider les créatures et les conduire à Lui, jusqu’à clore ce cycle de prophètes et d’envoyés par le prophète le plus noble et le plus sublime des envoyés, Muhammad, que Dieu fasse des- cendre sa grâce sur lui et sur tous les prophètes et envoyés. Puis, il fit suivre ces prophètes par des saints (awliyāʾ) qui leur succédent dans leur pratique2, et incite leurs communautés à suivre leur voie (des Pro- phètes) et leur modèle (sunan)3. Dieu n’a laissé aucune époque sans (une per- sonne) qui appelle à Lui selon la Vérité ou guide vers Lui par la preuve et l’éloquence. Génération après génération, à toute époque, le saint succède à un autre, en suivant ses traces et en se conformant à sa conduite. Par eux, les aspi- rants sont éduqués et les réalisateurs de l’unité (al-muwaḥḥidūn) éprouvent réconfort4. Dieu a dit : « N’eussent été des croyants, hommes et femmes, (mê- lés aux Infidèles) inconnus de vous et que vous auriez pu piétiner, endossant ainsi, à votre insu, une réprobation à cause d’eux ; afin que Dieu introduise qui Il veut en sa miséricorde. Si (les croyants) s’étaient tenus à l’écart, nous aurions châtié … le verset5). Et le Prophète a dit : « Les meilleurs des hommes sont ceux de mon temps, puis leurs suivants, puis leurs suivants … le hadith6 ». Il a dit 1 Ce paragraphe est dû au copiste, il n’est pas mentionné par Š. 2 Pratique des prescriptions de la Tradition (sunan). 3 Š : samti-him : leur conduite. 4 Pour P qui ne propose pas de variante : yaʾ⁠ nasu ; Š : yaʾ⁠ tasī (sic), peut-être yataʾ⁠ asā : les prenant comme modèle. 5 Notation pour indiquer que le verset n’est pas mentionné en totalité, ici Cor. 48, 25. La citation du verset dans ce contexte conduit à se demander comment Sulamī l’interpréte. Y voit-il une allusion aux saints cachés ? Dans les Ḥaqāʾiq, il rapporte sous ce verset une citation de Sahl Tustarī décrivant les authentiques croyants comme « ceux par lesquels Dieu repousse les épreuves des gens de la terre », voir Ḥaqāʾiq, 2, p. 257. 6 Même remarque que pour le Coran. Ce hadith est mentionné dans les recueils canoniques, plusieurs occurrences chez Buḫārī en particulier, Ṣaḥīḥ, šahādāt, 9 ; faḍāʾil aṣḥāb al-nabī, 1 ; riqāq, 7, īmān, 10 et 27 ; pour l’ensemble des références, voir Concordance, 5, p. 372a. © koninklijke brill nv, leiden, 2019 | doi:10.1163/9789004396760_003

42 introduction encore : « Ma communauté est comparable à la pluie, nul ne sait si le meilleur est au début ou à la fin7 ». Le Prophète savait8 que la fin de sa communauté ne manquerait pas de saints et de substituts9 qui maintiendraient10 pour la communauté le sens ex- térieur de Sa loi (šariʿa) et la signification intérieure de sa Réalité essentielle (ḥaqīqa11), les incitant à observer ses règles de bon comportement (ādāb) et leurs exigences (mawāǧib), en paroles ou en actes. Ils sont, pour les commu- nautés successives, les lieutenants (ḫulafāʾ) des prophètes et des envoyés, les maîtres (parvenus) aux réalités fondamentales de l’unicité (haqāʾiq al-tawḥīd), les hommes auxquels Dieu parle (muḥaddaṯ), détenteurs de dévoilements vé- ridiques et du beau comportement, suivant la pratique des prophètes jusqu’à la venue de l’Heure. Aussi a-t-on rapporté du Prophète : « Il y aura toujours dans ma communauté quarante (hommes) dôtés du caractère12 (ʿalā ḫuluq) d’Abraham, l’Ami intime, sur lui la Paix, et quand viendra l’Ordre (al-amr), ils seront enlevés. » J’ai mentionné dans Le Livre du renoncement (Kitāb al-zuhd) les Compa- gnons, les Suivants et les Suivants des Suivants, siècle après siècle, génération après génération, jusqu’à ce que j’arrive au tour des maîtres des états spirituels, parlant selon le langage de l’esseulement (tafrīd), et des réalités fondamentales de l’unicité, employant les voies du dénuement volontaire (taǧrīd). Aussi ai-je voulu composer sur la vie des saints ultérieurs un livre que j’ai intitulé Les générations des soufis. Je l’ai ordonné selon cinq générations com- prenant les imams des gens de Dieu (aʾ⁠ immat al-qawm), leurs maîtres et leurs savants. Dans chaque génération, je mentionnerai vingt maîtres, pris parmi leurs imams, appartenant à la même époque ou proches dans le temps. Pour chacun d’eux, je rapporterai les propos, les vertus et les faits de sa vie (sīrati-hi) qui indiquent sa voie, ses états et sa science, à la mesure de ma capacité. Ceci (je l’entrepris), après avoir consulté Dieu le Très-Haut, comme je le fais en toute chose, renonçant à m’attribuer la moindre once de pouvoir. J’implore 7 Hadith mentionné dans les recueils de Tirmiḏī, al-Ǧāmiʿ al-ṣaḥīḥ, adab, 81 et de Ibn Ḥanbal, Musnad, 3, p. 130 et 148 ; 4, p. 319. 8 Pour P : ʿalima ; Š : ʿallama : il enseigna. 9 Voir le hadith rapporté par Sulamī dans le Kitāb al-futuwwa qui dit : « Certes, les Substi- tuts (abdāl) de ma communauté n’entreront pas au Paradis par leurs œuvres mais par la miséricorde de Dieu, la générosité de l’âme et l’intégrité du cœur. », Kitāb al-futuwwa, p. 21–2. Sur ces saints, voir Massignon, Lexique, p. 132–4 et Chodkiewick, Le Sceau des saints, p. 116–7. 10 Pour P : yuṯbitūna ; Š : yubayyinūna : ils explicitent. 11 Dans certains manuscrits les termes šarīʿa et ḥaqīqa sont au pluriel. Š a fait ce choix. 12 Ou : possédant la vertu d’Abraham, ou : comparables par la vertu/ le caractère à Abraham. Sur ce hadith et ses variantes, voir Tirmiḏī, Nawādir al-uṣūl, p. 167–70.

Introduction 43 Son secours pour cela et pour tout ce qui est de bien, en Lui demandant qu’Il m’assiste à cette fin, et qu’Il fasse de moi l’un de ses Gens. Que Dieu prie sur Muhammad, l’Elu, sur sa famille, ses Compagnons et ses épouses et le salue abondamment.

44 Première génération Première Génération Première génération 1 Al-Fuḍayl b. ʿIyāḍ Al-Fuḍayl b. ʿIyāḍ b. Masʿūd b. Bišr al-Tamīmī puis al-Yarbūʿī, originaire du Ḫurāsān, de la région de Marv, d’un village nommé Fundīn. Ainsi l’a rapporté son serviteur Ibrāhīm b. al-Ašʿaṯ d’après ce que nous a trans- mis Yaḥyā b. Muḥammad al-ʿIkrimī à Kūfa. Il a dit :  J’ai entendu al-Ḥusayn b. Muḥammad b. al-Farazdaq en Égypte dire : j’ai en- tendu Ahmad b. Ḥammūk dire : j’ai entendu Naṣr b. al-Ḥusayn al-Buḫārī dire : j’ai entendu Ibrāhīm b. al-Ašʿaṯ mentionner cela.  Ibrāhīm b. Šammās rapporte qu’il naquit à Samarqand et grandit à Abīward. De même, j’ai entendu Aḥmad b. Muḥammad b. Rumayḥ dire : j’ai entendu Ibrāh­ īm b. Naṣr al-Ḍabbī à Samarqand dire : j’ai entendu Muḥammad b. ʿAlī b. Ḥasan b. Šaqīq dire : j’ai entendu Ibrāhīm b. Šammās dire : J’ai entendu al-Fuḍayl b. ʿIyāḍ dire cela1. Ibrāhīm b. Šammās a dit : j’ai entendu al-Fuḍayl b. ʿIyāḍ dire : Je suis né à Samarqand et j’ai grandi à Abīward où on vendait 10 000 noix pour un dirham. J’ai entendu Abū Muḥammad al-Simmarī2 dire : j’ai entendu al-Sarrāǧ dire : j’ai entendu al-Ǧawharī dire : Abū ʿUbayda b. al-Fuḍayl b. ʿIyāḍ m’a dit : Fuḍayl3 b. ʿIyāḍ b. Masʿūd b. Bišr, sa kunya4 est Abū ʿAlī, il appartient aux Banū Tamīm et aux Banū Yarbūʿ dont il est issu ; il naquit à Samarqand et grandit à Abīward, mais son origine remonte à Kūfa.  Abdallāh b. Muḥammad b. al-Ḥārith a dit : Fuḍayl b. ʿIyāḍ est originaire de Buḫārā.  Et Dieu est le plus savant. Il est mort en muḥarram en l’an 187/8035. 1 Phrase absente chez Š qui passe directement à la suivante. 2 Š : Samarqandī. 3 Š : mon père, Fuḍayl… 4 Nom de paternité : il s’agit d’un prénom toujours précédé de Abū ou Umm pour les femmes. 5 Qušayrī précise : à La Mecque. © koninklijke brill nv, leiden, 2019 | doi:10.1163/9789004396760_004

1 Al-Fuḍayl b. ʿIyāḍ 45 Il a transmis le hadith. Abū Ǧaʿfar Muḥammad b. Aḥmad b. Saʿīd al-Rāzī nous a informés : al-Ḥusayn b. Dāwud al-Balḫī6 nous a rapporté7 : Fuḍayl b. ʿIyāḍ nous a informés : Manṣūr nous a informés, d’après Ibrāhīm, d’après ʿAlqama, d’après ʿAbdallāh b. Masʿūd qui a dit : 1 L’Envoyé de Dieu a dit : « Dieu dit à ce monde : Sois amer envers Mes saints, ô monde, et ne sois pas doux et beau afin de les séduire. » Abū Muḥammad, Abdallāh b. Muḥammad b. ʿAbd al-Raḥmān al-Rāzī nous a informés : j’ai entendu Muḥammad b. Naṣr b. Manṣūr al-Ṣāʾiġ dire : j’ai enten- du Mardawayh al-Ṣāʾiġ8 dire : j’ai entendu al-Fuḍayl b. ʿIyāḍ dire : 2 Qui s’assied en compagnie d’un innovateur ne recevra pas la sagesse. 3 À la fin des temps, il y aura des groupes (aqwām) qui seront frères en appa- rence, mais ennemis dans leur for intérieur. 4 Les hommes les plus à même de réaliser la satisfaction à l’égard de Dieu sont les Gens de la connaissance (Ahl al-maʿrifa) par Dieu. 5 Il ne convient pas que le porteur du Coran9 ait besoin des créatures, que ce soit le Calife ou ses sujets, mais il convient au contraire que toutes les créatures se tournent vers lui pour leurs besoins. 6 Ceux qui, selon nous, sont parvenus (adraka), ne le sont pas par le nombre de leur prière ou de leur jeûne, mais par la générosité de l’âme, l’absence de res- sentiment envers quiconque (salāmat al-ṣadr), et le bon conseil envers la com- munauté. 7 Rien n’embellit mieux les hommes que la sincérité (ṣidq) et la recherche de ce qui est licite (ṭalab al-ḥalāl)10. 8 Le fondement du renoncement (zuhd) est la satisfaction (riḍā) envers Dieu. Dermenghem, p. 71 (formulé différemment) ; 9 Qui connaît les hommes, vit en paix (istarāḥa). 10 Je ne crois pas à la fraternité d’un homme lorsqu’il est satisfait, mais c’est dans la colère, si j’en suis la cause, que j’ai foi en sa fraternité. 6 Comme l’ont remarqué les traditionnistes, ce transmetteur mort en 282/895–6, ne peut avoir entendu directement Fuḍayl, voir Baġdādī, 8, p. 45. 7 Š : nous a informés. 8 Abū ʿAbdallāh al-Ṣāʾiġ (m. 235/849–50), serviteur de Fuḍayl, voir Baġdādī, 11, p. 40. Trans- metteur absent chez P. 9 C’est-à-dire ceux qui ont mémorisé l’intégralité du texte coranique. 10 Pour cette période, cette quête du licite concerne principalement la nourriture acquise honnêtement.

46 Première Génération J’ai entendu ʿUbaydallāh b. Muḥammad b. Muḥammad b. Ḥamdān al-ʿUqbarī à-ʿUqbarā11 dire : Abū Muhammad b. al-Rāǧiyān12 nous a rapporté : Fatḥ b. Šaḫraf nous a rapporté : ʿAbdallāh b. Ḫubayq nous a rapporté : al-Fuḍayl b. ʿIyāḍ a dit : 11 Écarte-toi des qurrāʾ13 car s’ils t’estiment ils te loueront pour ce que tu n’es pas et s’ils te détestent, ils témoigneront contre toi et seront entendus. J’ai entendu Muḥammad b. al-Ḥasan b. Ḫālid al-Baġdādī à Nishapur dire : j’ai entendu Aḥmad b. Muḥammad b. Ṣāliḥ dire : mon père nous a rapporté14, Mu- hammad b. Ǧaʿfar nous a rapporté, il a dit : 12 On interrogea15 al-Fuḍayl b. ʿIyāḍ sur l’humilité et il répondit : – Que tu te sou- mettes humblement à la Vérité et que tu acceptes la Vérité de tous ceux dont tu l’entends. J’ai entendu ʿUbaydallāh b. ʿUṯmān dire : j’ai entendu Muḥammad b. al-Ḥusayn dire : j’ai entendu al-Marwazī dire : j’ai entendu Bišr b. al-Ḥāriṯ dire : al-Fuḍayl b. ʿIyāḍ a dit : 13 J’aspire à une maladie sans visiteurs16. Abū Muḥammad ʿAbdallāh b. Aḥmad b. Ǧaʿfar al-Šaybānī m’a informé : j’ai entendu Zanǧawayh b. al-Ḥasan al-Labbād dire : ʿAlī b. al-Ḥasan al-Hilālī nous a rapporté : Ibrāhīm b. al-Ašʿaṯ nous a rapporté : j’ai entendu al-Fuḍayl b. ʿIyāḍ dire : 14 Il y a en vous deux attitudes qui relèvent de l’ignorance : rire sans étonnement17 et le sommeil du matin sans avoir veillé la nuit. Dermenghem, p. 72 (variante) ; 11 Absent chez Š ; bi-hā chez P. 12 P : al-Rāḫiyān. Voir cette chaîne de transmission mentionnée dans Baġdādī, 10, p. 124. 13 Terme qui désigne des groupes qui ont évolué au fil du temps, et recouvre des ensembles très différents, difficiles à identifier, depuis les lecteurs du Coran, en passant par un groupe des Kharijites, ou un groupe pratiquant une forme d’ascèse. Dans le contexte de cette sentence, ils apparaissent comme sectaires et dotés d’une influence certaine auprès de la population. Voir l’article de T. Nagel, EI2, 5, p. 502–3 et Pellat, Le milieu basrien, p. 45. Sur l’avidité des qurrāʾ, voir Ḥilya, 2, p. 32, cité par Pellat. Sur les préventions des soufis envers les Qurrāʾ, voir al-Sirǧānī, Kitāb al-Bayāḍ wa-l-Sawād, p. 401–3. 14 Chaînon manquant chez Šurayba. La fin de la chaîne des transmetteurs varie également, Š l’ayant complété avec celle de la Ḥilya. 15 Š : sa⁠ʾaltu. 16 Ou : qui ne me vaudra pas de visite. 17 La version de Dermenghem est plus explicite : il est étrange de rire en ce monde comme il le serait de pleurer au paradis.

1 Al-Fuḍayl b. ʿIyāḍ 47 15 Qui manifeste envers son frère affection et amitié sincère par la parole tout en dissimulant haine et inimitié sera maudit par Dieu. Il le rendra sourd et sa vi- sion intérieure (baṣīra qalbi-hi) sera aveuglée. 16 Commentant le verset du Coran : « Il y a en cela un message clair pour un peuple d’adorateurs18 » : ceux qui sont assidus aux cinq prières. 17 On a dit : le mal (šarr) tout entier a été placé dans une maison et la clef en est le désir (raġba) de ce monde ; de même l’ensemble du bien (ḫayr) est à l’inté- rieur d’une maison et la clef d’accès est le renoncement (zuhd) à ce monde. Attar, p. 109 ; 18 Qui s’est retenu de commettre le mal, il n’a pas dilapidé ce qui le réjouira (dans l’autre monde). 19 Trois comportements endurcissent le cœur : manger beaucoup, dormir beau- coup et parler beaucoup. Attar, p. 110 ; Dermenghem, p. 72 ; La meilleure des œuvres est la plus secrète car elle est la plus inaccessible à 20 Satan et la moins portée à l’ostentation (riyāʾ). On manifeste de la gratitude envers le bienfait en le mentionnant19. 21 Dieu ne pourvoit à la subsistance des Pieux (muttaqūn) que d’une manière 22 qu’ils n’escomptent pas20. Il n’y a point d’œuvre pour qui n’a pas d’intention, ni de récompense pour celui 23 qui ne l’a pas recherchée. Heureux celui qui fuit la compagnie (istawḥaša) des hommes, trouve l’intimité 24 (anisa) auprès de son seigneur et pleure sur ses fautes. Bibliographie : Taʾ⁠ rīḫ al-ṣūfiyya, 268–70 ; Ḥilya, 8, 84– 140 ; Qušayrī, 62–4 ; Qušayrī K, 20–1; Qušayrī G, 38–9 ; Anṣārī, 28–34 ; Ibn al-Ǧawzī, 2, 237–47 ; Siyar, 8, 421–42 ; ʿAṭṭār, 89–101 ; Muslim Saints and Mystics, 52–61 ; Mémorial, 100–12; Kašf, 97–100 ; Somme spirituelle, 127–30 ; Dermenghem, 63–83 ; J. Chabbi, « Fuḍayl b. ʿIyāḍ, un pré- curseur du hanbalisme (187/803) » ; D. Tor « God’s Cleric: Fuḍayl b. ʿIyāḍ and the Transition from Caliphal to Prophetic Sunna » et « Fuḍayl b. ʿIyāḍ », EI3 ; F. Rādmihr, Fuḍayl-i ʿIyāḍ : az rahzanī tā rahravī ; Islamic Mysticism, 23–4 ; Il Sufismo, 312–3 . 18 Cor. 21,106. 19 Référence à Cor. 93, 11. 20 Référence à Cor. 65, 3.

48 Première Génération 2 Ḏū l-Nūn al-Miṣrī21 Ḏū l-Nūn b. Ibrāḥīm al-Miṣrī, Abū l-Fayḍ. On dit aussi Ṯawbān b. Ibrāhīm et que Ḏū l-Nūn est un surnom ; ou encore al-Fayḍ b. Ibrāhīm.  J’ai entendu ʿAlī b. ʿUmar b. Aḥmad b. Mahdī al-Ḥāfiẓ22 à Bagdad dire : al- Ḥusayn23 b. Aḥmad b. ʿAlī al-Māḏarāʾī24 m’a informé : Abū ʿUmar al-Kindī a lu en ma présence son livre Les Mawālī25 célèbres dans lequel il est mentionné : « Et parmi eux, (les Mawāli) Ḏū l-Nūn b. Ibrāhīm al- Aḫmīmī, mawlā de Qurayš. Son père était nubien. » Il est mort en 245/860 ;  ʿAlī b. ʿUmar m’a informé : al-Ḥasan b. Rašīq al-Miṣrī m’a informé, par autori- sation écrite : Ǧabala b. Muḥammad al-Ṣadafī m’a rapporté :  – ʿUbaydallāh b. Saʿīd b. Kuṯayr b.-ʿUfayr nous a rapporté cela. On dit aussi qu’il est mort en 248/863. Il a transmis le hadith. ʿAbdallāh b. al-Ḥusayn b. Ibrāhīm al-Ṣūfī nous a informés : Muḥammad b. Ḥamdūn b. Mālik al-Baġdādī nous a informés : al-Ḥasan b. Aḥmad b. al- Mubārak nous a informés : Aḥmad b. Ṣulayḥ al-Fayyūmī nous a informés26 : Ḏū l-Nūn al-Miṣrī nous a informés : d’après al-Layṯ b. Saʿd, d’après Nāfiʿ, d’après Ibn ʿUmar qui a dit : 1 L’Envoyé de Dieu a dit : « Ce monde est la prison du croyant et le paradis des mécréants27. » J’ai entendu Manṣūr b. ʿAbdallāh dire : j’ai entendu al-ʿAbbās b. ʿAbdallāh al- Wāsiṭī dire : j’ai entendu Ibrāhīm b. Yūnus dire : j’ai entendu Ḏū l-Nūn dire : 21 Les versions de Š et de P divergent sur l’ordre d’apparition de Ḏū l-Nūn et de Ibrāhīm b. Adham. Nous suivons ici l’ordre de Š. 22 Il s’agit du grand traditionniste Dāraquṭnī (m. 385/995). 23 P : al-Ḥasan. 24 Š : ʿAlī est omis, puis al-Māḏirāʾī (seule la vocalisation de ce nom change). 25 Mawāli pluriel de mawlā est un terme qui posséde des significations qui ont évolué avec le temps et le contexte de son emploi. De manière générale, il s’agit d’un système de pa- tronage permettant à des individus non-Arabes, libres ou affranchis, de s’insérer dans la société arabe tribale par un lien de ‘clientèle’, que ce soit ou non à la suite d’une conver- sion à l’islam. Nous n’avons pas trouvé pour ce titre d’autres références que GAL, Suppl. 1, p. 231, attribué à Abū Bakr al-Rāzī (m. 273/886 en Espagne). Massignon, cite un Tārīḫ al- mawālī al-miṣriyyīn de Kindī mais sans référence, voir Lexique, p. 206. 26 Š : aḫbara-nā ; P : ḥaddaṯa-nā. Ce genre de variantes étant d’un faible intérêt dans le cadre d’une traduction, nous ne les indiquerons plus par la suite. 27 Hadith mentionné dans les recueils canoniques, voir par exemple Muslim Ṣaḥīḥ, zuhd, 1.

2 Ḏū l-Nūn al-Miṣrī 49 2 Prends garde à ne point revendiquer la connaissance (maʿrifa), à faire du re- noncement (zuhd) un métier ou à être attaché à tes œuvres d’adoration (ʿibāda). Ibn ʿArabī, La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l’Egyptien, p. 186 ; 428 On l’interrogea : « Quel est le voile le plus subtil et le plus épais ? » Il répondit : « la complaisance (ruʾya) envers l’âme et ses manigances (tadbīr). » 28 Ibn ʿArabī, La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l’Egyptien, p. 171 ; Al-Ḥasan b. Rašīq nous a informés, par autorisation écrite : ʿAlī b. Yaʿqūb b. Suwayd al-Warrāq nous a rapporté : Muḥammad b. Ibrāhīm al-Baġdādī nous a rapporté : Muḥammad b. Saʿīd al-Ḫuwārazmī nous a rapporté : 5 Interrogé sur l’amour (maḥabba), j’ai entendu Ḏū l-Nūn répondre : « Que tu aimes ce que Dieu aime, que tu détestes ce qu’Il déteste, que tu fasses le bien sans restriction, que tu refuses ce qui te détourne de Dieu, que tu ne craignes pas d’encourir pour Dieu le blâme de quiconque29, te montrant bienveillant (ʿaṭf) envers les croyants, rude envers les mécréants et te conformant (ittibāʿ) à l’Envoyé de Dieu dans la religion. Ibn ʿArabī, La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l’Egyptien, p. 151 ; J’ai entendu Abū Bakr Muḥammad b. ʿAbdallāh b. Šāḏān al-Rāzī dire : j’ai en- tendu Yūsuf b. al-Ḥusayn, dire : j’ai entendu Ḏū l-Nūn dire : 6 Dieu dit : « Celui qui m’obéit, Je suis son protecteur (walī), qu’il ait donc confiance en Moi et me confie ses affaires. Par ma toute-puissance, s’il Me de- mandait de faire disparaître ce monde, Je le ferai pour lui. » Ibn ʿArabī, La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l’Egyptien, p. 134 ; Muḥammad b. Aḥmad b. Yaʿqūb m’a informé, par autorisation écrite, que ʿAbdallāh b. Muḥammad b. Maymūn leur a rapporté : 7 J’ai interrogé Ḏū l-Nūn sur le soufi. Il m’a répondu : « Celui qui, lorsqu’il parle, expose clairement par ses paroles les vérités essentielles (ḥaqāʾiq) et s’il se tait ses membres expriment à sa place qu’il a rompu toute attache (avec les créa- tures, bi-qaṭʿi l-ʿalāʾiq)30 ». Ibn ʿArabī, La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l’Egyptien, p. 173 ; 28 Erreur dans la numérotation de Š qui passe de 2 à 4. Nous le suivons afin de conserver la correspondance avec sa numérotation pour la suite de la notice. 29 Référence au verset coranique Cor. 5, 54. 30 Il est aussi possible de traduire ʿalāʾiq par gagne-pain, ce qui signifierait alors l’interruption de toute activité lucrative dont les conséquences seraient visibles à la maigreur ou la pâleur de la personne.

50 Première Génération 8 J’ai entendu Ḏū l-Nūn dire : « l’intimité (uns) avec Dieu vient de la pureté du cœur avec Dieu, et l’esseulement (tafarrud) en Dieu du détachement de toute chose, excepté Dieu. Ibn ʿArabī, La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l’Egyptien, p. 145 . J’ai entendu Abū ʿUṯmān, Saʿīd b. Aḥmad b. Ǧaʿfar dire : j’ai entendu Muḥam­ mad b. Aḥmad b. Muḥammad b. Sahl dire : j’ai entendu Saʿīd b. ʿUṯmān al- Ḫayyāṭ dire : j’ai entendu Ḏū l-Nūn dire : 9 Celui qui recherche l’humilité, qu’il oriente son âme vers la grandeur (ʿaẓama) divine car alors l’âme fondra et se purifiera. Qui observe le pouvoir divin oublie celui de son âme car toutes les âmes face à Sa majesté se trouvent indigentes. Ibn ʿArabī, La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l’Egyptien, p. 128 ; 10 Je ne connais pas pire ignorant qu’un médecin tentant de soigner un ivrogne en état d’ivresse. Il n’y aura de remède à son ivrognerie que lorsqu’il aura repris ses esprits, on le traitera alors (en l’invitant) au repentir (tawba)31. 11 Je ne connais rien qui incite plus à rechercher la sincérité totale (iḫlāṣ) que la solitude (waḥda). Celui qui se retrouve tout seul ne perçoit rien d’autre que Dieu et dans cet état, il ne se meut plus que selon l’ordre divin. Qui aime la re- traite s’attache à l’un des supports de la sincérité et se tient (istamsaka)32 à l’un des piliers majeurs de la véridicité (ṣidq). Ibn ʿArabī, La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l’Egyptien, p. 141 ; 12 L’un des signes (qui révèlent) l’amoureux de Dieu, c’est l’imitation (mutāb­ aʿa) de l’Aimé de Dieu dans ses vertus (aḫlāq), dans ses actes, dans ses prescriptions (awāmir33) et dans le détail de sa règle de vie (sunan).  Qušayrī K., 20 ; Ibn ʿArabī, La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l’Egyptien, p. 148 ; 13 Lorsque la certitude dans le cœur est authentique (ṣaḥḥa), la peur (qu’il re- cèle) l’est également. J’ai entendu Manṣūr b. Abdallāh al-Iṣbahānī34 dire : j’ai entendu al-ʿAbbās b. Yūsuf dire : j’ai entendu Saʿīd b. ʿUṯmān dire : Ḏū l-Nūn a déclamé (mètre ṭawīl ) : 31 Š : tawba ; P : tuwala. 32 Probable allusion à Cor. 2, 256 et 31, 22. 33 Š a préféré le singulier : amr. 34 Al-Iṣbaḥānī omis par Š, bien qu’il figure dans l’un de ses manuscrits.

2 Ḏū l-Nūn al-Miṣrī 51 14 Je meurs alors que ma passion envers Toi n’est pas morte,  Sans avoir réalisé35 la véridicité de mon amour pour Toi. Mon espoir, tous mes espoirs, Tu représentes pour moi (tous) mes espoirs.  Tu es la richesse, toute la richesse, dans ma misère36. Tu es le but de ma supplique et le terme de mon aspiration  Le lieu de mes espérances37, le secret de mes pensées. Mon cœur a supporté pour Toi ce que je ne saurais divulger Malgré la persistance de mon mal, à cause de Toi, et le tort qu’il me cause. Entre mes côtes, venant de Toi, ce qui pour toi38 s’est manifesté.  Rien ne parut au grand jour, à ma famille ou mon voisin. En moi, venant de Toi, dans les entrailles, un mal envahissant  A fait s’effondrer mon assise, et dispersé mes secrets. N’es-tu pas le guide de la caravane, lorsqu’elle est désorientée ? Sauvant celui qui s’approche d’un escarpement instable39. Tu as éclairé la bonne direction pour ceux qui sont guidés, alors qu’il n’y avait Dans leurs mains que bien peu de lumière. Accorde-moi indulgence venant de Toi, je reprendrai vie dans son intimité, Secours-moi par une facilité venant de Toi qui chassera mes difficultés.  Dermenghem, 146 (les deux premiers vers) ; Ibn ʿArabī, La vie merveilleuse de Dhû-l- Nûn l’Egyptien, p. 87–9 (plus complet mais sans les deux derniers vers) ; Propos d’Amour, p. 49–51 ; 15 Je tendrais les mains vers toi, t’implorant, alors que tu me donnes à suffisance, malgré ma négligence! Cesserais-je d’espérer en Toi40 à cause de ce que j’ai commis ? Il me suffit comme demande que Tu connaisses mon état. 16 Quiconque revendique un état spirituel est privé par ses prétentions de la contemplation de la Vérité ; car celle-ci est témoin pour les Gens de la Vérité : 35 P : quḍḍiyat qui signale une autre lecture : qaḍaytu, peut-être réminiscence de Cor. 33, 37. On pourrait alors traduire : Ni que j’ai assouvi mon désir d’un amour véridique pour toi. Š : qaṣṣaytu ( ?). 36 P : iqṣārī : impuissance ; Š : iqtārī. 37 P : šakwāya : doléances ; Š : āmālī. 38 Š : mā laka ; P : lawmu-ka : ton reproche. 39 Expression coranique, Cor. 9, 109. 40 Š choisit la lecture avec l’interrogatif devant le verbe, au contraire de P ; dans un manu- scrit il y a la négation lā devant ce verbe aqṭaʿu. Chez Abū Nuʿaym : fa-lā aqṭaʿu, Ḥilya, 9, p. 395.

52 Première Génération Dieu est la Vérité, Sa Parole est Vérité et nul besoin de prétention pour celui à qui la Vérité se manifeste. Si, par contre, elle est absente, alors surviennent les prétentions spirituelles, car seuls ceux qui en sont privés les revendiquent. Ibn ʿArabī, La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l’Egyptien, p. 172 ; 17 Qui éprouve de l’intimité (anisa) avec les créatures est prêt à occuper le tapis des Pharaons. Qui est rendu sourd41 aux attentes de son âme a la capacité (d’ar- river) à la sincérité parfaite (iḫlāṣ). Qui ne prend des choses que « Lui », ne se préoccupe plus que lui échappe ce qui n’est pas Lui. Ibn ʿArabī, La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l’Egyptien, p. 165 (partiel) ; J’ai entendu Abū l-Ḥasan, ʿAlī b. Muḥammad al-Qazwīnī dire : j’ai entendu ʿAlī b. Aḥmad b. Muḥammad al-Buznānī dire : j’ai entendu Muḥammad b. Ḥusayn dire : j’ai entendu Fāris dire : j’ai entendu Yūsuf b. al-Ḥusayn dire : j’ai entendu Ḏū l-Nūn dire : 18 La véridicité (ṣidq) est l’épée de Dieu sur Sa terre ; tout ce qu’elle touche, elle le tranche.  Somme spirituelle, p. 131 ; Ibn ʿArabī, La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l’Egyptien, p. 138 ; 19 Qui se pare de ses œuvres (ʿamal), ses bonnes actions deviennent mauvaises actions. J’ai entendu Aḥmad b. ʿAlī b. Ǧaʿfar dire : j’ai entendu Fāris dire : j’ai entendu Yūsuf b. al-Ḥusayn dire : j’ai entendu Ḏū l-Nūn dire : 20 Par le premier pas fait à Sa recherche, tu Le perçois et42 tu Le trouves. Ibn ʿArabī, La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l’Egyptien, p. 167 ; 21 La plus infime des demeures (manāzil) de l’intimité (avec Dieu) est que l’on soit jeté dans le feu sans que l’aspiration spirituelle (hamm) perde de vue l’ob- jet de son espérance. Ibn ʿArabī, La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l’Egyptien, p. 146 ; J’ai entendu Abū Saʿīd Aḥmad b. Muḥammad b. Rumayḥ le traditionniste dire : j’ai entendu Abū Yaʿlā b. Ḫalaf dire : j’ai entendu Ibn al-Barqī dire : j’ai entendu Ḏū l-Nūn dire : 41 Litt. : qui a été rendu absent. 42 P : ou.

2 Ḏū l-Nūn al-Miṣrī 53 22 L’intimité avec Dieu est une lumière éclatante, l’intimité avec les créatures n’est que soucis (ġamm). Ibn ʿArabī, La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l’Egyptien, p. 146 ; J’ai entendu Naṣr b. Muḥammad b. Aḥmad b. Yaʿqūb al-ʿAṭṭār dire : j’ai entendu Abū Muḥammad al-Balāḏurī dire : j’ai entendu Yūsuf b. Ḥusayn dire : j’ai en- tendu Ḏū l-Nūn dire :  23 Dieu a des serviteurs qui ont abandonné les fautes, ayant honte de Sa généro- sité, après y avoir renoncé par crainte de son châtiment. Si Dieu te disait : « Fais ce que tu veux, je ne te tiendrai pas rigueur de tes fautes », Sa générosité devrait accroître ta honte envers Lui, te conduisant à renoncer à la désobéissance, si du moins tu es un homme libre, généreux et un serviteur reconnaissant43 ; à plus forte raison puisqu’Il ta mis en garde44 ! Ibn ʿArabī, La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l’Egyptien, p. 137 ; 24 La peur (ḫawf ) est le gardien des œuvres et l’espérance (raǧāʾ) l’intercesseur des épreuves (miḥan). Ibn ʿArabī, La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l’Egyptien, p. 125 ; 25 Sollicite tes besoins avec le langage de l’indigence (faqr), non avec celui de la raison (ḥukm)45. Ibn ʿArabī, La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l’Egyptien, p. 194 ; J’ai entendu Aḥmad b. ʿAlī b. Ǧaʿfar dire : j’ai entendu al-Ḥasan b. Sahl b. ʿAṣim dire : j’ai entendu ʿAlī b. ʿAbdallāh al-Karaǧī dire : j’ai entendu Ḏū l-Nūn dire : 26 La clef de l’adoration (ʿibāda) est la méditation (fikra) ; le signe de la passion (hawā) c’est la soumission aux désirs sensuels (šahawāt) et le signe de la re- mise confiante à Dieu (tawakkul), se détacher de l’avidité (maṭāmiʿ) Ibn ʿArabī, La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l’Egyptien, p. 116 et 121 ; J’ai entendu Aḥmad b. ʿAlī b. Ǧaʿfar dire : j’ai entendu Fāris dire : j’ai entendu Yūsuf b. Ḥusayn dire : j’ai entendu Ḏū l-Nūn dire : 27 J’avais un ami pauvre ; lorsqu’il mourut, je le vis en rêve et lui demandai : – Quel sort Dieu t’a-t-Il réservé ? Il me répondit : – Il m’a dit : – Je te pardonne en 43 Expression coranique, voir Cor. 17, 3. 44 Référence à Cor. 3, 28 et 30. 45 Le terme est vague et susceptible de plusieurs compréhensions, comme : jugement, auto- rité.

54 Première Génération raison de l’insistance (qui t’a été nécessaire) pour obtenir un pain auprès de ces misérables, les Gens du monde, avant qu’ils ne te le donnent. Attar, p. 151 (variante) ; Ibn ʿArabī, La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l’Egyptien, p. 131 ; J’ai entendu Abū Ǧaʿfar, Muḥammad b. Aḥmad b. Saʿīd al-Rāzī dire : j’ai en- tendu Abū l-Faḍl al-ʿAbbās b. Ḥamza dire : j’ai entendu Ḏū l-Nūn dire : 28 Autrefois, un homme de science, du fait de sa science, sa détestation de ce monde ne cessait de croître et il y renoncait encore plus ; mais aujourd’hui, sa science accroît son amour de ce monde et il le recherche toujours plus. Autre- fois, l’homme dépensait ses biens pour sa science, mais aujourd’hui, grâce à sa science, il s’enrichit. Avant, on observait sur le détenteur de science un surcroît (de vertu) (ziyāda), intérieurement et extérieurement, mais de nos jours, on constate sur beaucoup de Gens de science les effets de leur corruption inté- rieure et extérieure. Ibn ʿArabī, La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l’Egyptien, p. 176 ; J’ai entendu Abū l-Ḥusayn Muḥammad b. Aḥmad b. Ibrāhīm46 al-Fārisī dire : j’ai entendu Fāris dire : j’ai entendu Yūsuf b. Ḥusayn dire : j’ai entendu Ḏū l-Nūn dire : 29 La componction du connaissant est chaque jour plus grande (aḫšāʿ), car à chaque instant, il est plus proche.  Somme spirituelle, p. 131 ; Ibn ʿArabī, La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l’Egyptien, p. 166 ; 30 Ô assemblée des aspirants, celui d’entre vous qui aspire à la Voie, qu’il aborde les savants comme un ignorant, les renonçants avec un désir intense (raġba) et les Gens de connaissance en silence. Ibn ʿArabī, La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l’Egyptien, p. 194 ; J’ai entendu Abū Ǧaʿfar, Muḥammad b. Aḥmad b. Saʿīd al-Rāzī dire : j’ai en- tendu al-ʿAbbās b. Ḥamza dire : j’ai entendu Ḏū l-Nūn dire : 31 Le connaissant ne s’attache pas à un seul état, mais il s’attache à son Seigneur dans la totalité de ses états. Ibn ʿArabī, La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l’Egyptien, p. 165 ; 46 Omis par Š.

3 Ibrāhīm b. Adham 55 Bibliographie : Taʾ⁠ rīḫ al-ṣūfiyya, 150–6 ; Ḥilya, 9, 331–395 ; Qušayrī, 59–6147 ; Qušayrī K, 19–20 ; Qušayrī G, 37–8 ; Anṣārī, 11–28 ; Baġdādī, 8, 393–97 ; ʿAṭṭār, 137–59 ; Ibn al- Ǧawzī, 4, 315–21 ; Siyar, 11, 532–6 ; Kašf, 100–3 ; Somme spirituelle, 130–33 ; ʿAṭṭār, 137–59 ; Muslim Saints and Mystics, 87–99 ; M. Smith, The Way of the Mystics, 230-6 ; Mémorial, 140–54 ; Ibn ʿArabī, La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l’Egyptien (traduc- tion R. Deladrière) ; Essai, 206–13 ; Dermenghem, 105–56 ; A. Schimmel, Le Soufisme, 64–70 ; Islamic Mysticism, 39–42 ; Sufi Inquiries, 55, § 219 ; M. Ebstein, « Ḏū l-Nūn al-Miṣrī and Early Islamic Mysticism » p. 559–612 ; F. Sobieroj, « The Muʿtazila and Sufism », 68–92 ; J. Mojaddedi, “Dhū l-Nūn Abū l-Fayḍ al-Miṣrī”, EI3 ; F. Chiabotti et B. Orfali, « An Encounter of al-ʿAbbās b. Ḥamza (d. 288/901) with Dhū l-Nūn al-Miṣrī (d. ca. 245/859–60) », p. 90–127. 3 Ibrāhīm b. Adham Ibrāhīm b. Adham48, Abū Isḥāq, originaire de Balḫ, il faisait partie des fils de rois49 et des riches (vivant dans l’opulence). Alors qu’il était parti chasser, il entendit une voix qui le tira de son insouciance et le conduisit à abandonner sa voie basée sur les apparences mondaines pour rejoindre la voie (ṭarīqa) des gens de renoncement et de scrupule. Il se rendit à La Mecque et y fut le com- pagnon de Sufyān al-Ṯawrī (97–161/716–78) et de al-Fuḍayl b. ʿIyāḍ (n° 1). Puis il vint en Syrie et y travailla, vivant du produit de ses mains ; il y resta jusqu’à sa mort. Il transmit le hadith. ʿAbdallāh b. Mūsā b. al-Ḥasan al-Sallāmī m’a informé à Merv : Lāḥiq b. al- Hayṯam al-Lāḥiqī nous a rapporté : al-Ḥasan b. ʿĪsā al-Dimašqī nous a rap- porté : Muḥamm­ ad b. Fayrūz al-Miṣrī nous a rapporté : Baqiyya50 nous a 47 Une seule des sentences rapportées par Sulamī est reproduite dans la Risāla de Qušayrī. Dans cette dernière, figure le récit de la conversion de Ḏū l-Nūn, d’après le récit de Sulamī, que l’on ne retrouve pas ici. Cela nous montre que ce dernier a fait des choix dans les matériaux à sa disposition pour composer chacune des notices des Ṭabaqāt. Relevons aussi qu’il n’y aucune mention de ses maîtres ou de ses disciples pourtant nombreux et connus. 48 Sur ce personnage, voir l’article de D. Gril qui aborde la question du compagnonnage spi- rituel et du sens à donner à la racine ṣaḥiba, D. Gril, « Compagnons ou disciples ? La ṣuḥba et ses exigences : l’exemple d’Ibrāhīm b. Adham d’après la Ḥilyat al-awliyāʾ », p. 35– 53. 49 L’expression témoigne du caractère déjà légendaire du personnage. D’après la Ḥilya, (Ḥilya, 7, p. 373) sa famille appartenait aux Banū-ʿIǧl (voir EI2, 3, p. 1048), il s’agit sans doute de l’aristocratie arabe qui gouvernait la région. 50 P : Baqīh.

56 Première Génération rapporté : Ibrāhīm b. Adham nous a rapporté, d’après son père Adham b. Manṣūr, d’après Saʿīd b. Ǧubayr, d’après Ibn ʿAbbās : Le Prophète se prosternait sur les plis de son turban. J’ai entendu Abū l-ʿAbbās Muḥammad b. al-Ḥasan b. al-Ḫaššāb : Abū l-Ḥasan ʿAlī b. [Muḥammad] b. Aḥmad al-Miṣrī nous a rapporté : Abū Saʿīd Aḥmad b. ʿĪsā al-Ḫarrāz nous a rapporté : Ibrahīm b. Baššār nous a rapporté : 1 J’ai été le compagnon d’Ibrāhīm b. Adham en Syrie avec Abū Yūsuf al-Ġasūlī et Abū ʿAbdallāh [al-Sinǧārī] et je lui ai demandé : – Abū Isḥāq, informe-nous sur tes débuts, comment cela s’est-il passé ?  Il répondit : – Mon père faisait partie des rois du Ḫurāsān. J’étais alors un jeune homme, épris de chasse. Je partis un jour sur l’une de mes montures avec un chien et levai un lapin ou un renard. Lancé à sa poursuite, j’entendis une voix invisible qui me dit : – Ibrāhīm, est-ce pour cela que tu as été créé ? Ou est-ce cela qui t’a été ordonné ? Effrayé, je m’arrêtai puis repartis reprenant ma course. La voix se manifesta trois fois, puis m’interpella depuis le pommeau de ma selle : – Par Dieu ! Ce n’est pas pour cela que tu as été créé ni cela qui t’a été ordonné !  Il poursuivit : – je mis pied à terre, croisai un berger de mon père qui gardait des moutons ; je lui empruntai sa tunique (ǧubba) de laine et la revêtis, lui laissant ma monture et tout ce que j’avais avec moi. Puis je me dirigeai vers La Mecque. Tandis que je traversai le désert, je rencontrai un homme marchant sans provision ni ustensile. Le soir, après avoir accompli la prière du coucher du soleil, il remua les lèvres prononçant des paroles incompréhensibles. Je me retrouvai devant un récipient contenant de la nourriture et un autre de la bois- son ; je mangeai et me désaltérai. Il en alla ainsi pendant les nombreux jours que je passais avec lui ; il m’enseigna le Nom suprême de Dieu puis disparut, me laissant seul. Un jour, souffrant de la solitude, j’invoquai Dieu par ce nom. Aussitôt un homme apparut qui me prit par la ceinture, me disant : – De- mande, tu recevras. Son intervention m’effraya, mais il me rassura : – Ne crains rien et ne t’afflige point. Je suis ton frère al-Ḫiḍr ; mon frère Daoud t’a enseigné le Nom suprême. Mais ne l’invoque pas contre quelqu’un envers qui tu entre- tiens de l’inimitié car tu causerais inéluctablement sa perte en ce monde et dans l’autre. Invoque plutôt Dieu que, par lui, il inspire du courage à ta lâcheté, te donne de la force dans tes moments de faiblesse, te procure intimité dans la contrariété (waḥša) et renouvelle à chaque instant ton désir (raġba) de Dieu. Puis il me laissa et disparut51. 51 Une version abrégé de ce récit est rapporté par Qušayrī qui indique le tenir de Sulamī. L’auteur de la Risāla se contente de cela dans la notice qu’il lui consacre et ne cite aucun

3 Ibrāhīm b. Adham 57 J’ai entendu Muḥammad b. al-Ḥasan al-Baġdādī : j’ai entendu ʿAlī b. [Muḥammad] b. Aḥmad al-Miṣrī : j’ai entendu Abū Saʿīd Aḥmad b. ʿĪsā al- Ḫarrāz dire : plus d’un de nos compagnons m’ont rapporté, dont Saʿīd b. Ǧaʿfar al-Warrāq, Harūn al-Adamī et ʿUṯmān al-Tammār52 disant : ʿUṯmān b. ʿImāra nous a rapporté : 2 Ibrāhīm b. Adham m’a parlé d’un habitant d’Alexandrie nommé Aslam b. Yazīd al-Ǧuhanī et m’a dit : – Je l’ai rencontré à Alexandrie. Il m’a demandé : – Qui es-tu mon garçon ? – Un jeune homme du Ḫurāsān – Et qu’est-ce qui t’a conduit à quitter ce monde ? – Le désir d’y renoncer et l’espoir de la récom- pense divine. Mais il objecta : – Cet espoir n’est parfait que lorsque le serviteur s’astreint à la patience. L’un des hommes qui l’accompagnaient lui demanda : – Qu’est-ce que la patience ? Il répondit : – Le plus accessible des degrés de la patience est d’exercer son âme à supporter ce qu’elle a en aversion. Et ensuite quoi, demandai-je ? – Cela fait, Dieu octroiera à son cœur une lumière. – Et qu’est donc cette lumière ? Il répondit : – Un flambeau qui sera dans son cœur grâce auquel il discernera le vrai du faux, l’abrogeant et l’ambigu. Je m’excla- mai : – Ce sont les caractéristiques des Amis (awliyāʾ) du Seigneur des mondes ! – Je demande pardon à Dieu, poursuivit-il, Jésus fils de Marie a dit vrai en dé- clarant : – Ne donnez pas la sagesse à ceux qui n’en sont pas dignes car vous la dilapideriez mais n’en privez pas ceux qui y sont aptes car vous seriez iniques envers elle. J’entrouvris les yeux, lui lançant un regard interrogateur et ses dis- ciples en firent autant. Il poursuivit alors : – Jeune homme, prends garde à toi si tu fréquentes l’Élite spirituelle (al-aḫyār) ou si tu t’adresses aux Justes (al- abrār) de ne pas susciter leur colère envers toi, car Dieu est en colère quand ils le sont, tout comme leur agrément entraîne aussi le Sien. Et cela parce que les Sages ce sont eux les savants, eux sont satisfaits de Dieu quand les gens sont en colère ; ils seront demain les Familiers (ǧulasāʾ) de Dieu après des Prophètes et des Véridiques. Jeune homme, retiens ce que je te dis et comprends-le ; sup- porte et ne t’empresse pas car la lenteur comporte longanimité et pudeur ; mais la stupidité voisine avec la maladresse et l’infortune. Les larmes coulèrent de mes yeux et je lui déclarais : – Par Dieu, seule la ferveur avec laquelle je donne la préférence à Dieu m’a incité à quitter mes parents et à me défaire de mes biens et aussi le renoncement à ce monde et le désir de la proximité divine. – Prends garde à l’avarice (buḫl), poursuivit-il. – Qu’est-ce que l’avarice, lui demandai-je ? – Pour les gens du monde, c’est que l’homme soit avare de ses biens, mais pour ceux qui ont en vue l’autre monde, c’est celui de ses enseignements. Par contre il précise comme activité la moisson et la garde des verg- ers, Qušayrī, p. 12. 52 P : al-Naǧǧār.

58 Première Génération qui est avare de sa personne envers Dieu le Très haut. Certes, qui paie de sa personne sans compter pour Dieu recevra en retour dans le cœur la guidance et la crainte de Dieu. Il lui sera donné la paix et la modestie, une science de poids et une intelligence parfaite. De surcroît, les portes du ciel lui seront ou- vertes et il verra par son cœur comment elles s’entrouvrent, même s’il est dé- daigné dans ce monde. L’un de ses compagnons lui suggéra : – Soit plus explicite (sans craindre de) lui faire mal, car nous voyons en lui un jeune homme prédisposé à la sainteté. Le maître se réjouit de la parole de ses compagnons (percevant) sa prédisposition à la sainteté. Celui qui parlait53 poursuivit : Jeune homme, lorsque tu fréquenteras l’Élite soit pour eux une terre qu’ils fou- leront et s’ils te frappent, t’injurient, te chassent ou t’adressent des paroles dé- sagréables, même s’ils font tout cela avec toi, examine en ton fors intérieur d’où tu viens. Si tu fais cela, Dieu te secourra de Son aide et orientera leur cœur vers toi. Sache que lorsque l’Élite spirituelle prend en aversion un serviteur, que les Gens de scrupules se détournent de lui, que les Renonçants le détestent, tout cela indique que Dieu cherche à le réprimander, afin qu’ensuite il Le contente. Et s’il contente Dieu, alors Il dispose leur cœur à lui témoigner de la bien- veillance. Mais s’il se rebelle contre Dieu, son cœur en retour plongera dans l’égarement, il sera privé de subsistance, traité avec dureté par les siens, en- courra la colère des anges et les envoyés détourneront de lui leur face. Aussi, Dieu ne se préoccupera pas de savoir dans quel ravin il le fera périr. Je lui dis alors : – Étant plus jeune, j’ai fréquenté un homme entre La Mecque et Kūfa. Je l’ai vu, le soir venu, accomplir deux longues unités de prière, en mar- mottant. Une écuelle de soupe se retrouvait alors à sa droite avec une jarre d’eau. Il en mangeait et me nourrissait. A cet instant, le maître se mit à pleurer suivi par tous ceux qui l’entouraient puis il dit : – Mon fils – ou : mon frère – Celui-ci est mon frère Daoud qui réside au-delà de Balḫ, dans un village appelé al-Bārida al-ṭayyiba et cela parce que la contrée s’est honorée54 de la présence de Daoud. Jeune homme, que t’a-t-il dit, que t’a-t-il appris ? Je lui répondis : – Il m’a enseigné le Nom suprême de Dieu. Le maître demanda : – Quel est-il ? Je déclarai : – C’est pour moi une chose grave que de le prononcer. Il m’est ar- rivé une fois d’invoquer par ce nom. Aussitôt un homme apparut qui me prit par la ceinture, me disant : – Demande, tu recevras. Je fut saisi de frayeur mais il me rassura : – Ne crains rien, je suis ton frère al-Ḫiḍr ; mon frère Daoud te l’a 53 Mutakkalim : absent chez Š. 54 Verbe au present chez P.

3 Ibrāhīm b. Adham 59 enseigné. Mais prends garde à n’invoquer par lui qu’en bien. Puis il poursuivit : – Jeune homme, ceux qui renoncent à ce monde ont pris pour vêtement la sa- tisfaction de Dieu et ils se sont enveloppés dans son amour, prenant pour ban- nière la préférence qu’ils Lui accordent. La faveur que Dieu leur confère est sans équivalent. Puis il me quitta. Le maître fut séduit par mes propos. Il ajouta : – Dieu fera parvenir ceux qui te ressemblent et ceux qui te suivent au rang des bien guidés (muhtadīn). Il poursuivit : – Jeune homme, tu as tiré profit de notre présence, nous t’avons préparé et t’avons enseigné une science. Puis, un des leurs ajouta : – N’espère pas veiller en étant rassasié, ni connaître l’affliction en dormant à satiété, ni parvenir à la crainte pour Dieu en recherchant ce monde. N’espère pas obtenir l’intimité par Dieu si tu la partages avec les créatures ; ni que te soit inspirée la sagesse si tu délaisses la crainte pieuse. N’aspire pas à voir tes af- faires saines si tu cautionnes l’injustice, ni à l’amour de Dieu55 en aimant l’ar- gent et la gloire, ni à avoir un cœur sensible en étant dur avec l’orphelin, la veuve ou le nécessiteux ; n’espère pas la délicatesse en étant bavard, la Miséri- corde de Dieu si tu la refuses aux créatures ou être dans le droit chemin tout en délaissant la fréquentation des savants ; n’espère pas l’amour pour Dieu en ai- mant les éloges, ni le scrupule en étant avide des biens de ce monde ni la satis- faction et le contentement en manquant totalement de scrupule. L’un d’eux dit alors : – Mon Dieu, voile-le à nos yeux et voile-nous à lui. Ibrāhīm dit alors : – Je ne sais pas où ils disparurent. J’ai entendu Aḥmad b. ʿAlī b. Ḥasan al-Muqrī : j’ai entendu Muḥammad b. Ġālib al-Tamtām dire : 3 Ibrāhīm b. Adham écrivit à Sufyān al-Ṯawrī : – Il est facile de sacrifier quelque chose lorsque l’on sait pourquoi ; celui qui laisse traîner son regard le regrettera durablement ; qui s’en remet à de vains espoirs agit mal et qui laisse libre court à sa langue cause sa propre mort. J’ai entendu Abū l-ʿAbbās al-Baġdādī : ʿAlī b. Muḥammad b. Aḥmad al-Miṣrī56 nous a rapporté : Yūsuf b. Mūsā nous a rapporté : ʿAbdallāh b. Ḫubayq nous a rapporté : Ḫalaf b. Tamīm nous a rapporté : j’ai entendu Abū l-Aḥwaṣ dire : 4 J’ai rencontré cinq personnes qui n’ont pas leur pareil : Ibrāhīm b. Adham, Yūsuf b. Asbāṭ, Ḥuḏayfa b. Qatāda, Hušaym al-ʿIǧlī et Abū Yūnis al-Qawī. 55 P : ḥubb Allāh la-ka : l’amour de Dieu envers toi … 56 P : Aḥmad b. ʿAlī b. Ḥasan al-Muqrī.

60 Première Génération ʿAlī b. Bundār nous a informé : Muḥammad b. Šarīk nous a informé : Ibn Abī Dunyā nous a rapporté57 : Muḥammad b. Isḥāq m’a informé : mon père m’a in- formé : 558 Je demandais à Ibrāhīm b. Adham : – Donne-moi un conseil. Il me répondit : – Prends Dieu pour compagnon et laisse les gens de côté. 58 J’ai entendu Manṣūr b. ʿAbdallāh : j’ai entendu Muḥammad b. Ḥāmid : j’ai en- tendu Aḥmad b. Ḫaḍrawayh dire : 6 Ibrāhīm b. Adham dit à un homme en train d’accomplir les tournées rituelles (à La Mecque) : Sache que tu n’atteindras pas le degré des Vertueux (al-ṣāliḥīn) tant que tu n’ac- cepteras pas six difficultés : la première est de refermer la porte du bienfait pour ouvrir59 celle de l’adversité (šidda). La deuxième est de renoncer à la gloire et de se préparer à l’humiliation. La troisième est de bannir le repos au profit de l’effort, et le sommeil au profit de la veille, pour la quatrième. La cin- quième, de troquer la richesse pour la pauvreté et enfin, la dernière, de renon- cer à l’espoir et de se préparer à la mort. Bibliographie : Ḥilya 7, 367–8, 58 ; Qušayrī, 54–7 ; Qušayrī K, 18–9 ; Qušayrī G, 35–7 ; Anṣārī, 56–67 ; Ibn al-Ǧawzī, 4, 152–8 ; Siyar, 7, 387–96 ; Kašf, 103–5 ; Somme spiri- tuelle, 133–5 ; ʿAṭṭār, 102–27 ; Muslim Saints and Mystics, 62–79 ; Mémorial, 112–35 ; H. Beveridge, « Ibrāhīm b. Adham », JRAS, (Jul., 1909), 751–752 ; Islamic Mysticism, 18– 20 ; J. Russel, EI2, 3, 1010–1 ; M. Bonner, Aristocratic violence and holy war, 125–31 ; D. Gril, « Compagnons ou disciples ? La ṣuḥba et ses exigences : l’exemple d’Ibrāhīm b. Adham d’après la Ḥilyat al-awliyāʾ » ; J. Russell, Hikayat Sultan Ibrahim. The Short Version of the Malay text Hikayat Sultan Ibrahim ibn Adham ; Alte Vorbilder des Sufi- tums, 1, 135–282 ; A. Khalil, « A Note on Interior Conversion in Early Sufism and Ibrāhīm b. Adham’s Entry into the Way », p. 189–198. 57 Nous ne signalons pas les variantes entre les deux éditions concernant l’emploi des verbes qui indiquent les modalities de transmission comme ḥadaṭṭa-nā et aḫbara-nā, ce qui ar- rive parfois, comme dans cette chaîne de transmission. 58 Erreur de numérotation que nous corrigeons (le numéro 4 répété deux fois). 59 L’expression arabe est identique pour les six difficultés mentionnées : an tuġliqa bāb … wa taftaḥa bāb … (que tu fermes la porte … et que tu ouvres la porte).

4 Bišr al-Ḥāfī 61 4 Bišr al-Ḥāfī Bišr b. al-Ḥāriṯ b. ʿAbd al-Raḥmān b. ʿAṭāʾ b. Hilāl b. Māhān b. ʿAbdallāh al- Ḥāfī60. Son nom complet est mentionné par ʿAbd al-Raḥmān b. ʿAlī b. Ḫašram, d’après Aḥmad b. Manṣūr61 al-Nūšarī, d’après Ibn Maḫlad qui le tenait de Bišr lui-même. Sa kunya62 est Abū Naṣr. Originaire de Merv, du village de Bakird ou Mābarsām, il a habité Bagdad et y est mort. C’est le neveu de ʿAlī b. Ḫašram63 et le compa- gnon (ou le disciple) d’al-Fuḍayl b. ʿIyāḍ. Il était savant et d’un scrupule exem- plaire (wariʿ). D’après Yaḥyā b. Akṯam : – Al-Ma⁠ʾmūn (le calife abbasside) m’a dit : – Dans ce pays, il n’y a plus personne pour nous faire honte si ce n’est ce cheikh, Bišr b. al-Ḥāriṯ.  J’ai entendu Abū Muḥammad ʿAbdallāh b. Aḥmad b. Ǧaʿfar : j’ai entendu al- ʿAbbās b. ʿAbdallāh b. Aḥmad b.-ʿIṣām al-Baġdādī : j’ai entendu Ǧaʿfar b. ʿAbdallāh b. Aḥmad al-Baradānī64 dire : – Ce même Yaḥyā b. Akṯam a dit : Bišr b. al-Ḥāriṯ est mort le mercredi 20 de muḥarram 227 (9 novembre 841)65. Il a transmis le hadith66. Saʿīd b. Qāsim b. al-ʿUlāʾ, Abū ʿAmr al-Barḏaʿī nous a informés : Abū Ṭalḥa Aḥmad b. Muḥammad b. ʿAbd al-Karīm nous a informés : Muḥammad b. Muḥammad b. Abū l-Ward al-ʿĀbid nous a informés : j’ai entendu Bišr b. al-Ḥāriṯ al-Ḥāfī dire : al-Muʿāfā b. ʿImrān nous a informés, d’après Isrāʾīl, d’après Muslim al-Mulāʾī, d’après Ḥabbat al-ʿUranī, d’après ʿAlī [b. Abī Ṭālib]67 : 60 Sur lui, voir la notice de F. Meier, EI2, 1, p. 1282–4. 61 P : Naṣr, sur ce personnage voir Baġdādī, 5, p. 155. 62 Nomen, élément onomastique désignant une personne comme père de ou mère de, suivi d’un nom propre. 63 Fils de la sœur de ʿAlī b. Ḫašram (165–258/781–872) qui comme lui était traditionniste. D’après Baġdādī (Baġdādī, 7, p. 67) repris par Ḏahabī (Siyar, 10, p. 469), ce serait son oncle paternel. 64 P : al-Bardādī. Nous suivons Š, sur ce personage voir Baġdādī, 7, p. 189. 65 Bišr b. al-Ḥāriṯ est né en 150 ⁄ 767 ou 152 ⁄ 769. 66 Sulamī a interrogé al-Dāraquṭnī à son sujet. Il lui a répondu : « C’est un renonçant (zāhid), une montagne. Il est fiable et ne transmet que des hadiths authentiques. Il se peut qu’il y ait eu des problèmes venant de ceux qui ont transmis sur son autorité. » Voir Suʾālāt al- Sulamī li-l-Dāraquṭnī, p. 132, n° 75. 67 Absent chez Š.

62 Première Génération 1 Le Prophète a dit : – Mangez l’ail cru, si ce n’était la visite de l’ange j’en mange- rais aussi68. Ubaydallāh b. ʿUṯmān nous a informés : Abū ʿAmr b. al-Sammāk nous a in­formés : al-Ḥasan b. ʿAmr al-Sabīʿī nous a rapporté : j’ai entendu Bišr b. al-Ḥāriṯ dire : 2 Viendra un temps où le sage ne connaîtra plus la joie ; viendra un temps où les imbéciles auront le pouvoir sur les homme intelligents. 3 Voir un imbécile est affligeant ; voir un avare endurcit le cœur. 4 Emploie-toi à renoncer à l’affectation et n’œuvre pas avec affectation. 5 La ‘belle patience’69 est celle qui ne comporte aucune doléance auprès des hommes. 6 Tu n’atteindras la perfection que lorsque que ton ennemi pourra te faire confiance. Comment pourrait-il y avoir un bien en toi alors que même ton ami ne le peut pas ! 7 Tu ne connaîtras pas la douceur de l’adoration tant que tu n’auras pas érigé entre toi et tes penchants un mur de fer70. 8 L’invocation, c’est de renoncer au péché. Abū l-ʿAbbās Muḥammad b. al-Ḥasan b. al-Ḫaššāb nous a rapporté : Aḥmad b. Muḥammad b. Ṣāliḥ nous a informés : Muḥammad b. ʿAbdūn nous a rapporté : Ḥasan al-Musūḥī nous a rapporté : 9 Par une journée glaciale, Bišr b. al-Ḥāriṯ me trouva grelotant ; Il me fixa du re- gard et déclama (mètre basīṭ) : Passer les nuits et les jours en guenilles Et dormir sous le dais du chagrin et de l’anxiété M’est plus convenable et plus digne que l’on dise de moi demain Que j’ai recherché la richesse auprès de mains bien pourvues. Ils s’écrièrent : cela t’a contenté ! J’ai répliqué : contentement est richesse La richesse n’est pas abondance de biens et d’argent. Je suis satisfait de Dieu, dans l’aisance et l’adversité Et je ne chemine que sur la plus évidente des voies. 10 Celui que tourmente la faim est comme celui qui baigne dans son sang, mort dans la voie de Dieu. Sa récompense est le paradis. 11 Admettons : tu n’as pas peur (de Dieu) ! Mais alors, que ne Le désires-tu ardem- ment ! 68 Voir une version similaire dans Suyūṭī, al-Ǧāmiʿ al-ṣaġīr, 2, p. 291 qui indique que ce h­ adith est aussi mentionné dans la Ḥilya. 69 Référence coranique, voir Cor. 12, 18 et 83. 70 Attribuée à un moine chrétien dans Ḥilya, 6, p. 155.

4 Bišr al-Ḥāfī 63 Ubaydallāh b. ʿUṯmān b. Yaḥyā nous a informés : Abū ʿAmr b. al-Sammāk nous a rapporté : Aḥmad b. Muḥammad al-Fazārī nous a rapporté : Abdallāh b. Ḫubayq nous a rapporté : Bišr a dit : 12 Dieu a élevé quatre personnes grâce à la pureté71 de leur nourriture : ­Wuhayb b. al-Ward72, Ibrāhīm b. Adham, Yūsuf b. Asbāṭ73 et Sālim al-Ḫawwāṣ74. Ubaydallāh b. ʿUṯmān nous a informés : Abū ʿAmr b. al-Sammāk nous a rapporté : Muḥammad b. Ḥafṣ nous a rapporté : Muḥammad b. al-Muṯannā b. Ziyād nous a rap­porté : j’ai entendu Bišr dire : 13 Je préfère un mauvais garçon (šāṭir) généreux à un lecteur de Coran75 avare. Ubaydallāh nous a informés : Abū ʿAmr nous a rapporté : Muḥammad b. ʿAbbās nous a rapporté : Abū Bakr b. Bint Muʿāwiya nous a rapporté : j’ai entendu Abū Bakr b. ʿAffān dire : j’ai entendu Bišr b. al-Ḥāriṯ dire : 14 Depuis quarante années, j’ai envie de viande grillée mais je n’ai jamais possédé des dirhams dont je sois suffisamment sûr pour cela76. Anthologie, n° 378 Ubaydallāh nous a informés : Abū ʿAmr nous a rapporté : ʿUmar b. Saʿīd al- Qarāṭīsī nous a rapporté : Ibn Abī l-Dunyā77 nous a rapporté : 15 Un homme dit à Bišr : – Je ne sais pas que manger avec mon pain. Il lui conseilla : – Rappelle-toi ce dont Dieu t’a préservé (al-ʿāfiya), et fais-en ton accompagne- ment. Ubaydallāh nous a informés : Abū ʿAmr nous a rapporté : al-Qāsim b. Munabbih a dit : j’ai entendu Bišr dire : 16 Si tu n’obéis pas, au moins ne désobéis pas. 17 Moi, je déteste la mort, et seul celui qui n’est pas sûr de lui la déteste. 71 Ṭīb al-maṭʿam : pureté rituelle, mais également licéité de la provenance ou de l’obtention de cette nourriture. Pour ceux qui pratiquaient la voie du renoncement (zuhd), ce point était important. Cette sentence montre l’attachement de Bišr à ce courant. 72 Abū ʿUṯmān al-Makkī (m. 153/770), voir Ḥilyāʾ, 8, p. 140–61. 73 Yūsuf b. Asbāṭ (m. 196/811–2), sur lui, voir Ḥilyāʾ, 8, p. 237–53. 74 Sālim b. Maymūn al-Ḫawwāṣ, sur lui, voir Ḥilyāʾ, 8, p. 277–81. Il fait partie de ascètes de Syrie et transmettait le hadith en 213/828–9. 75 Dans une autre version : « qu’un soufi avare », Siyar 10, p. 472. 76 Sûr quant à la licéité de leur acquisition. 77 Signalons le rôle d’un personnage comme Ibn Abī l-Dunyā, intermédiaire entre le milieu des ascètes et celui des hommes de lettres (udabāʾ).

64 Première Génération 18 Aimer être connu des hommes est l’origine de l’amour de ce monde78. J’ai entendu ʿAlī b. ʿUmar al-Ḥāfiẓ : j’ai entendu Abū Sahl b. Ziyād dire : Ibrāhīm al-Ḥarbī a dit : j’ai entendu Bišr b. al-Ḥāriṯ dire : 19 N’est-ce pas suffisant que des morts revivifient les cœurs par leur évocation et que des vivants endurcissent les cœurs par leur simple vue. 20 Le licite ne supporte pas l’excès. J’ai entendu Muḥammad b. al-Ḥasan al-Baġdādī : j’ai entendu Abū ʿAmr b. al- Sammāk : j’ai entendu al-Ḥasan b. ʿAmr al-Sabīʿī : j’ai entendu Bišr b. al-Ḥāriṯ dire : 21 Je suis affligé d’un mal : tant que je ne l’ai pas soigné, je ne peux me consacrer à autrui, mais si je me soigne, je m’occuperai d’autrui. Si quelqu’un m’apportait une aide contre ce mal, il ne me montrerait pas où est le mal ni où est la guéri- son. Puis il lança : – Vous êtes ce mal ! Je vois les visages d’hommes qui ne res- sentent pas la peur et prennent à la légère l’avènement de l’au-delà. J’ai entendu Abū Bakr Muḥammad b. ʿAbdallāh b. Šāḏān : j’ai entendu Abū Ḥamza al-Bazzāz : j’ai entendu ʿAbbās b. Dihqān dire : 22 J’étais chez Bišr alors qu’il parlait de l’acceptation du destin (riḍā) et de la re- mise confiante (taslīm). Il y avait là un homme, se prétendant soufi, qui l’apos- tropha : – Abū Naṣr, tu évites de prendre les aumônes des mains des créatures pour asseoir ta réputation. Si tu as réalisé un renoncement authentique et t’es dé- tourné de ce monde, prends ce que leurs mains te tendent afin que ton prestige auprès d’eux s’efface et distribue aux pauvres ce qu’ils te donnent. Pratique l’abandon à Dieu (tawakkul) et tu tireras ta subsistance du monde caché (al- ġayb). Les disciples de Bišr en furent très affectés, mais celui-ci répliqua : – Hé, l’homme, écoute ma réponse. Les pauvres se répartissent en trois catégo- ries : celui qui ne demande rien et qui, lorsqu’on lui donne, n’accepte rien. Il fait partie des esprits célestes (rūḥāniyyūn). S’il demande à Dieu, Il lui donne et s’il prête serment, prenant Dieu à témoin, Il l’exauce79. Il y a le pauvre qui ne demande rien et qui, lorsqu’on lui donne, accepte. Celui- là occupe, chez les spirituels (qawm), une position médiane. Son engagement 78 Variante chez Qušayrī : « Ne trouvera pas la douceur de l’autre monde celui qui aime être connu des hommes ». 79 Référence explicite à un hadith bien connu, voir par exemple, Buḫārī, ǧihād, 12.

5 Sarī al-Saqaṭī 65 c’est l’abandon à Dieu, s’en remettant à Lui. Pour des gens tels que lui on dres- sera des tables dans l’enceinte de la Sainteté (ḥaẓīrat l-qudṣ). Enfin, un pauvre qui professe la patience et la préservation de l’instant80. Lorsque la nécessité le frappe, il va trouver les serviteurs de Dieu, mais dans son cœur, sa demande s’adresse à Dieu et l’expiation de sa mendicité repose sur la sincérité de sa demande. L’homme répondit alors :– Je suis satisfait. Que Dieu soit satisfait de toi81. Bibliographie : Taʾ⁠ rīḫ al-ṣūfiyya, 94–100 ; Ḥilya 8, 336–60 ; Qušayrī, 18–20 ; Qušayrī K, 25–7 ; Qušayrī G, 43–5 ; Anṣārī, 71–4 ; Baġdādī 7, 67–70 ; Ibn al-Ǧawzī , 2, 183–90 ; Kašf, 105–6 ; Somme spirituelle, 135–6 ; ʿAṭṭār, 128–36 ; Muslim Saints and Mystics, 80–6 ; Mémorial, 135–40 ; Siyar, 10, 469–77 ; F. Meier, art. « Bišr b. al-Ḥāriṯ », EI2, 1, 1282–4 ; GAS, 1, 638 ; M. Cooperson, « Ibn Ḥanbal and Bishr al-Ḥāfī » ; M. Sirry, « Pious Muslims in the Making: A Closer Look at Narratives of Ascetic Conversion », 445–6. 5 Sarī al-Saqaṭī Sarī b. al-Muġallis al-Saqaṭī. Sa kunya est Abū l-Ḥasan. On dit qu’il était l’oncle maternel de Ǧunayd et son précepteur. Il fut le disciple de Maʿrūf al-Karḫī (n° 10) et le premier, à Bagdad, à parler de la doctrine de l’unité divine et des réali- tés fondamentales attachées aux états spirituels (ḥaqāʾiq al-aḥwāl). Il est l’imam et le cheikh des Bagdadiens à son époque ; la plupart des maîtres de la deuxième génération mentionnés dans cet ouvrage se rattachent à lui. 80 Mudāfaʿat al-waqt, autre traduction possible, plus littérale « la résistance à l’instant ». Nous aurons l’occasion de retrouver cette expression, ou d’autres qui lui sont équivalen- tes, par la suite. 81 Les enseignements que Sulamī a rassemblés sous le nom de Bišr le font apparaître comme une figure de transition entre la période ascétique et celle du soufisme. Cela conduit à relativiser la distance qui les séparerait. Les pratiques de Bišr, et notamment l’ascèse pro- longée au plan alimentaire (voir les sentences n°10, 12, 14, 15) ainsi que la recherche de la nourriture licite (sentence n° 12), l’inscrivent dans la tradition ascétique. Mais nous avons aussi l’ébauche d’une typologie de la sainteté, organisée autour de la notion de pauvreté spirituelle (faqr), dans cette dernière anecdote. Celle-ci est par ailleurs révélatrice des débats qui se déroulaient autour de la question de la mendicité à laquelle certains oppo- saient la pratique du tawakkul et que Bišr tente de concilier, par la hiérarchisation qu’il propose. De même, ce passage du zuhd au taṣawwuf se retrouve dans une sentence qui montre Bišr agacé par les prétentions des ascètes affirmant avoir dépassé l’étape de la crainte du feu et du désir du paradis (sentence n°11).

66 Première Génération J’ai entendu à Bagdad Abū l-Ḥasan Ibn Miqsam al-Muqrī dire : Sarī al-Saqaṭī est mort en 251/86582. Il a transmis le hadith. Muḥammad b. ʿAbdallāh b. al-Muṭallib al-Šaybānī nous a informés à Kūfa : al- ʿAbbās b. Yūsuf al-Šiklī nous a rapporté : Sarī al-Saqaṭī nous a rapporté : Muḥammad b. Maʿn al-Ġifārī nous a rapporté : Ḫālid b. Saʿīd nous a rappor- té d’après Abū Zaynab mawlā de Ḥāzim b. Ḥarmala : Ḥāzim b. Ḥarmala al-Ġifārī, Compagnon de l’Envoyé de Dieu, a dit : 1 Je croisais un jour l’Envoyé de Dieu qui, me voyant, me dit : – Ḥāzim, répète fréquemment “Il n’y a de force et de puissance que par Dieu“ car elle est l’un des trésors du paradis. [ J’ai entendu Muḥammad b. al-Ḥasan b. al-Ḫaššāb :]83 j’ai entendu Ǧaʿfar b. Muḥammad b. Nuṣayr : j’ai entendu Ǧunayd : j’ai entendu Sarī dire : 283 Je84connais un raccourci qui conduit au paradis85. – Quel est-il ? Lui deman-­ dai-je. Il me répondit :– Ne demande rien à personne ; ne prends rien de per- sonne et n’aie avec toi rien que tu ne pourrais partager avec quelqu’un86.  Qušayrī K, p. 24 ; Dermenghem, p. 171–2 ; Propos d’Amour, p. 57 ; 3 Je ne me trouve aucun mérite sur quiconque. On lui dit : – Même pas sur un efféminé ! – Même pas sur un efféminé ! répliqua-t-il. 4 Si je manque une partie de mes récitations quotidiennes (wird87), il m’est im- possible de les rattraper88. 82 La date de sa mort varie selon les auteurs, pour l’essentiel dans cette décennie : 257/870–1 pour Qušayrī, qui indique par ailleurs qu’il serait mort à 98 ans, voir Qušayrī, p. 70. D’après une information rapportée par Baġdādī, le mardi 6 de ramadan 253/9 septembre 867. Selon cet auteur, il a été enterré au cimetière de Šūniziyya, sa tombe est bien connue et Ǧunayd sera enterré à ses côtés, voir Baġdādī, 9, p. 192, repris par Ṣifa, 2, p. 385. 83 Cet informateur est absent chez Š. Il y a manifestement un oubli de sa part, car Ǧaʿfar b. Muḥammad b. Nuṣayr désigne al-Ḫuldī (m. 348/959), transmetteur de hadith et maître soufi bagdadien réputé pour ses anecdotes. Or, Sulamī ne transmet jamais directement ses paroles car il n’a sans doute jamais rencontré ce disciple de Ǧunayd 84 La numérotation de l’édition de Š est fautive : elle passe de 1 à 3. Nous la corrigeons. 85 Qui rappelle la phrase de Ḥasan al-Baṣrī : « Chaque itinéraire possède un raccourci. Celui qui conduit au paradis est le ǧihād », voir Ḥilya, 6, p. 157. 86 Š : šayʾ final omis. 87 À cette époque, le terme a un sens général et désigne toute pratique surérogatoire que s’impose le cheminant vers Dieu. Ce n’est que plus tard qu’il acquerra un sens technique matérialisant le rattachement à un maître et à une confrérie particulière. 88 Ǧunayd explique cela par le fait qu’il était toujours occupé, voir Ṣifa, 2, p. 382.

5 Sarī al-Saqaṭī 67 J’ai entendu Abū Bakr Muḥammad b. ʿAbdallāh al-Rāzī : j’ai entendu Abū ʿAmr al-Anmāṭī : j’ai entendu Ǧunayd : j’ai entendu Sarī dire : 5 Qui veut préserver sa religion, trouver la quiétude du cœur et du corps et allé- ger ses soucis, qu’il se tienne à l’écart des gens car cette époque est celle de l’isolement et de la solitude. J’ai entendu Muḥammad b. al-Ḥasan al-Baġdādī : Aḥmad b. Muḥammad b. Ṣāliḥ nous a rapporté : Muḥammad b. ʿAbdūn nous a rapporté : ʿAbdūs b. al- Qāsim89 nous a rapporté : j’ai entendu Sarī dire : 6 Tout dans ce monde est superflu, à l’exception de cinq choses : le pain qui ras- sasie, l’eau qui désaltère, le vêtement qui couvre (la nudité), la maison qui abrite et une science mise en pratique. Anthologie, n° 284 7 L’abandon confiant à Dieu (tawakkul) : se dépouiller de sa force et de sa puis- sance. 8 Cinq choses90 font parties des vertus des Substituts (abdāl)91 : aller jusqu’au bout du scrupule, rendre authentique92 son aspiration spirituelle, l’intégrité du cœur (salāmat al-ṣadr)93, la compassion (šafaqa)94 envers les créatures et exercer envers elles le devoir de bon conseil95. J’ai entendu Abū l-ʿAbbās al-Baġdādī, d’après Ǧaʿfar al-Ḫuldī, d’après Ǧunayd : j’ai entendu Sarī dire : 9 Mon Dieu, si Tu m’infliges un châtiment, que cela ne soit pas l’humiliation du voile96.  Qušayrī K, p. 24. 89 Chez Š : ʿAbd al-Quddūs b. al-Qāsim. Nous n’avons rien trouvé qui nous permette de trancher entre ces deux personnages. Toutefois, on trouve cette même chaîne, avec ʿAbdūs b. al-Qāsim, dans le Ādāb al-ṣuḥba de Sulamī, p. 34. 90 Quatre dans la version de Š qui ne mentionne pas le point 4. 91 Pour les sources scripturaires de ce terme, voir le hadith cité par al-Ḥakīm al-Tirmiḏī, Nawādir al-uṣūl, n• 1314, p. 469 et Concordance, 1, p. 153, ainsi que les références citées par M. Chodkiewicz, Le Sceau des saints, p. 111 et sq et note 1, p. 116. 92 Ou : chercher à parfaire son aspiration spirituelle. 93 Intégrité est ici à prendre au sens de virginité. Il s’agit de n’avoir, dans le cœur, aucun res- sentiment envers quiconque. 94 On trouve aussi dans un manuscript : al-tawāḍuʿ (l’humilité). 95 Voir une version abrégée, dans le Ādāb al-ṣuḥba de Sulamī, p. 33–4. Dans le Kitāb al-Futu- wwa, du même auteur, est rapporté un hadith qui mentionne ‘l’intégrité du cœurʿ parmi les caractéristiques des abdāl, voir p. 21–2. 96 C’est-à-dire : voiler Sa présence. Selon la version de Qušayrī : « Mon Dieu, punis-moi de toutes les manières, mais non par l’humiliation du voile. »

68 Première Génération J’ai entendu Aḥmad b. Muḥammad b. Zakariyyā : j’ai entendu ʿAlī b. ʿAbdallāh : j’ai entendu Abū l-Ḥasan al-Sayrawānī : j’ai entendu Ǧunayd dire : 10 On interrogea Sarī sur la raison (ʿaql)97. Il répondit : – Ce par quoi on établit la preuve de ce qui est ordonné et interdit. J’ai entendu Aḥmad b. ʿAlī b. Ǧaʿfar98 : j’ai entendu Ǧaʿfar al-Ḫuldī : j’ai entendu Ǧunayd : j’ai entendu Sarī dire : 11 Quatre qualités élèvent le serviteur : la science, le bon comportement (adab99), la loyauté (amāna) et la continence. J’ai entendu Abū l-Faḍl Aḥmad b. Muḥammad b. Ḥamdūn al-Šarmaqānī : j’ai entendu ʿAlī b. ʿAbd al-Ḥamīd al-Ġaḍāʾirī100 : j’ai entendu Sarī dire : 12 Celui qui ne reconnaît pas la valeur du bienfait en sera privé à son insu. 13 Qui endure facilement les malheurs, veille précieusement sur leurs récom- penses101. Abū l-ʿAbbās Aḥmad b. ʿAbdallāh [b. Yūsuf ]102 al-Qirmīsīnī m’a informé, selon une transmission orale et écrite, que son père lui a rapporté : ʿAlī b. ʿAbd al- Ḥamīd al-Ġaḍāʾirī nous a rapporté : j’ai entendu Sarī dire : 14 Peu accompli selon la sunna vaut mieux que beaucoup avec une innovation (blâmable). Comment pourrait être de peu (de valeur) une œuvre accomplie avec piété (taqwā)! Bayhaqī, n° 927 15 Il y a trois situations : dans l’une, la rectitude est claire, suis-là ! Dans la se- conde, l’égarement est manifeste, évite-là! La troisième te pose problème, 97 Terme toujours difficile à traduire : opposé à hawā, c’est la raison mais, dans un sens plus philosophique et opposé à qalb, il désigne l’intellect, faculté de connaissance, voir Nwyia, Exégèse, n. 1, p. 170. Il faudrait replacer cette question adressée à Sarī dans le cadre des débats avec les Muʿtazilites sur le statut du ʿaql dans la religion. Il est alors opposé à naql : la tradition. 98 D’après Š, il s’agit de Abū l-Qāsim al-Qazzāz al-Ǧurǧānī, voir p. 23 note a. Transmetteur n°28 chez P qui indique seulement ceux dont il transmet. Présent chez Qušayrī, voir in- dex de Knysh. 99 Le terme adab est, du point de vue sémantique, particulièrement riche, il est donc diffi- cile à rendre par un seul terme ou une expression unique : il désigne tout à la fois les régles de comportement, le respect des convenances et même dans des cas spécifiques les règles de la discipline spirituelle. Sans compter de nombreux autres sens en dehors du domaine de la spiritualité. Dans bien des cas, il est préférable de ne pas le traduire afin de ne pas restreindre sa valeur polysémique. 100 Al-Ḥalabī, d’après Ḥilya, 10, p. 117. 101 C-à-d. : il ne dilapide pas ses récompenses par de mauvaises actions qui les annuleraient. 102 Absent chez Š.

5 Sarī al-Saqaṭī 69 abstiens-toi et remet-là à Dieu ! Que Dieu soit ton guide ; que ton indigence (faqr) soit envers Lui, Il te dispensera d’avoir recours à autre que Lui. Bayhaqī, n° 928 16 L’adab est l’interprète de l’intelligence. 17 Qu’ils sont nombreux ceux qui décrivent la vertu (al-ṣifa) ! Mais bien peu ac- cordent leurs actes à leurs paroles103. 18 La plus forte des forces est ta victoire sur toi-même. Qui est incapable de s’édu- quer lui-même est plus impuissant encore à éduquer autrui. Qui obéit à celui qui lui est supérieur sera obéi par celui qui lui est inférieur104. Anthologie, n° 350 19 Celui qui craint Dieu, toute chose le craint. 20 Ta langue est l’interprète de ton cœur et ton visage en est le miroir, car sur le visage apparaît ce que les cœurs recèlent. 21 Les cœurs sont de trois sortes : un cœur inébranlable comme une montagne ; un autre semblable au palmier : son tronc est solide mais il ploie sous le vent ; enfin un cœur semblable à une plume qui va, au gré du vent, à droite et à gauche. 22 Ne romps pas avec ton frère à cause d’un soupçon et ne le laisse pas avant de lui avoir donné satisfaction. 23 Si tu es tourmenté par ce qui amenuise tes biens, alors pleure sur ce qui rac- courcit ta vie. 24 Est une marque de la connaissance de Dieu de s’acquitter de ses devoirs envers Lui et de Lui donner la préférence sur sa propre âme, à la mesure de ses facul- tés. Anthologie, n° 351 25 Le manque de sincérité105 conduit à avoir de multiples fréquentations. 26 Le beau caractère (ḥusn al-ḫuluq) c’est s’abstenir de nuire aux gens, tout en supportant leurs nuisances, sans haine ni (espoir de) contrepartie106. 27 Il est victime de la ruse divine (istidrāǧ) celui qui est aveugle aux défauts de l’âme. Anthologie, n° 352 103 Lit. : Ceux dont l’acte coïncide avec la qualité (ṣifa) sont bien peu nombreux. 104 Cette dernière sentence constitue une unite à part chez P. Pour Š. aussi, mais il l’a accolé à la n° 18. 105 Dans l’engagement envers Dieu. 106 Ou : sans attendre que l’on vous rende la pareille (mukāfaʾ⁠ a).

70 Première Génération 28 La meilleure des subsistances (rizq) est celle qui est exempte de cinq choses : les fautes commises dans son acquisition, l’humiliation et la soumission dans la mendicité, la tromperie dans le métier, l’usage de moyens prohibés107 et la transaction avec les oppresseurs. 29 Les meilleures choses sont au nombre de cinq : pleurer sur ses fautes, corriger ses défauts, obéir à Celui qui connaît les mystères, nettoyer les cœurs de leur rouille, et de ne pas courir après tout ce qu’on désire108. Anthologie, n° 353 30 Le cœur qui contient ces cinq choses ne peut rien abriter d’autre : la crainte de Dieu seul, l’espoir en Dieu seul, l’amour pour Dieu seul, la honte devant Dieu seul109 et l’intimité (uns) procurée par Lui seul. J’ai entendu Abū l-Ḥusayn Muḥammad b. Aḥmad b. Ibrāhīm al-Fārisī : j’ai en- tendu Muḥammad b. al-Ḥusayn : j’ai entendu ʿAlī b. ʿAbd al-Ḥamīd al-Ġaḍāʾirī à Alep : j’ai entendu Sarī dire : 31 Le plus fort des hommes est celui qui maîtrise sa colère. 32 Celui qui se pare aux yeux des hommes de ce qu’il n’a pas, déchoit du regard de Dieu. 33 Un homme n’atteindra pas la perfection110 tant qu’il n’aura pas donné la préfé- rence à sa religion sur ses passions et il ne courra pas à sa perte tant qu’il ne choisira pas ses passions avant sa religion. J’ai entendu Abū l-Naṣr al-Ṭūsī : j’ai entendu Ǧaʿfar al-Ḫuldī : j’ai entendu Ǧunayd dire : 34 Un homme demanda à Sarī al-Saqaṭī : – Comment vas-tu ? Il répondit (mètre kāmil) : Qui n’a pas le cœur pétri d’amour, le soir venu Ne peut comprendre le déchirement des entrailles J’ai entendu Abū l-Ḥasan b. Miqsam à Bagdad : j’ai entendu Ǧaʿfar al-Ḫuldī : j’ai entendu Ǧunayd : j’ai entendu Sarī dire : 35 Si un homme commence par se consacrer à l’adoration (nusk) puis se met à écrire le hadith, il se relâche mais s’il procède à l’inverse, il parvient au but111. 107 Variante dans Ḥilya, 10, p. 124 : iṯbāt et non aṯmān. 108 P : yuhwā ; Š : tahwā. : ce que tu désires. 109 Segment de phrase absent chez Š. 110 Variante dans Ḥilya, 10, p. 125 yuḥmad (digne d’éloges). 111 Dans cette sentence, la relation établie entre ascèse et compilation du hadith pourrait surprendre. L’attitude de Sarī lui-même contribue à expliciter la chose. En effet, Abū

6 Al-Ḥāriṯ al-Muḥāsibī 71 Bibliographie : Taʾ⁠ rīḫ al-ṣūfiyya, 164–8 ; Ḥilya, 10, 116–27 ; Qušayrī, 69–72 ; Qušayrī K, 23–5 ; Qušayrī G, 41–3 ; Anṣārī, 81–2 ; Baġdādī, 9, 187–92 ; Ibn al-Ǧawzī, 2, 371–86 ; Siyar, 12, 185–7 ; ʿAṭṭār, 330–41 ; Mémorial, 239–42 ; Muslim Saints and Mystics, 166– 72 ; Kašf, 110–1 ; Somme spirituelle, 141–2 ; B. Reinert, art. « Sarī al-Saḳaṭī », EI2, 9, 59b–62a ; Dermenghem, 157–75 ; 6 Al-Ḥāriṯ al-Muḥāsibī Al-Ḥāriṯ b. Asad al-Muḥāsibī ; sa kunya est Abū ʿAbdallāh. Il fait partie des maîtres soufis savants dans les sciences exotériques et dans les sciences des comportements spirituels et des indications allusives. Il a écrit des ouvrages célèbres comme Le livre de l’observance des droits de Dieu et d’autres encore. Il fut le maître (ustāḏ) de la majorité des Bagdadiens112. Il est originaire de Basra et est mort à Bagdad en 243 / 857. Il a transmis le hadith. ʿAlī b. ʿUmar b. Aḥmad al-Ḥāfiẓ113nous a rapporté : Aḥmad b. al-Qāsim Aḫū Abī l-Layṯ nous a rapporté : al-Ḥāriṯ b. Asad al-ʿAnazī al-Muḥāsibī nous a rapporté : Yazīd b. Hārūn nous a rapporté : Šuʿba nous a rapporté : d’après al- Qāsim b. Abī Bazza, d’après ʿAṭāʾ al-Kayḫārānī, d’après Umm al-Dardāʾ, d’après Abū l-Dardāʾ114 le Prophète a dit : 1 Ce que l’on pose de plus lourd dans la balance (au Jour du jugement) est la noblesse de caractère. Nuʿaym précise que Sarī a entendu les autorités de son temps dans la science du hadith, mais il s’est abstenu de le dicter, si bien qu’il n’est le transmetteur que d’un nombre limité de hadiths, voir Ḥilya, 10, p. 127. Ce qui laisse penser qu’il encourageait ses disciples, une fois engagés dans la vie spirituelle, à se détourner de cette activité. La compilation du hadith, rappellons-le, permettait d’accéder à une certaine notoriété et à des avantages matériels. Dans la Ḥilya, une sentence indique qu’il répondit à quelqu’un qui lui citait un hadith : « Cela ne fait pas partie des provisions de la tombe », ibid. 112 Sulamī ne fait aucune allusion aux divergences entre Muḥāsibī et Ibn Ḥanbal, notam- ment sur des questions de théologie. Pourtant Baġdādī rapporte un récit transmis par Sulamī qu’il tient de Naṣrābāḏī dans lequel il indique que Ibn Ḥanbal, à la suite de posi- tions théologiques qui ne sont pas précisées, coupa tout lien avec Muḥāsibī et que ce dernier resta reclus dans sa maison jusqu’à sa mort, voir Baġdādī, 8, p. 215–6. 113 Il s’agit du grand traditionniste Dāraquṭnī (m. 385/995). 114 Hadith transmis également sous la notice de Muḥāsibī par Baġdādī, 8, p. 212. La chaîne des garants est commune mais ne passe pas par Sulamī.

72 Première Génération J’ai entendu Abū Bakr Muḥammad b. ʿAbdallāh al-Rāzī : j’ai entendu Abū ʿUmar al-Anmāṭī : j’ai entendu Ǧunayd : j’ai entendu al-Ḥāriṯ al-Muḥāsibī dire : 2 L’examen de conscience et l’évaluation (des œuvres) s’exercent dans quatre do- maines : entre la foi et l’incroyance ; entre la sincérité et le mensonge ; entre l’unicité divine et l’associationnisme et enfin entre la pureté d’intention (ṣidq) et l’ostentation. 3 Qui fait des efforts en son for intérieur, Dieu le rétribuera par de beaux com- portements extérieurs. Et qui parfait son comportement extérieur tout en maintenant ses efforts intérieurement, Dieu le rétribuera par la guidance vers Lui, conformément à Sa parole : « Ceux qui auront mené combat pour Nous, assurément Nous les dirigerons sur Nos chemins115 ». J’ai entendu ʿAbdallāh b. ʿAlī al-Ṭūsī116 : j’ai entendu al-Ḫuldī : j’ai entendu Abū ʿUṯmān al-Baladī : il m’est parvenu que al-Ḥāriṯ al-Muḥāsibī a dit : 4 La science génère la crainte, le renoncement engendre le repos et la connais- sance la conversion. 5 Les meilleurs de cette communauté sont ceux que l’autre monde ne détourne pas de ce monde, ni celui-ci de celui-là. 6 Ce qui pousse le serviteur au retour à Dieu c’est la persistance (dans la faute) et ce qui le pousse à y renoncer c’est l’assiduité dans la crainte. 7 Il n’est pas convenable que le serviteur recherche le scrupule par l’abandon de ce qui est obligatoire. 8 La principale préoccupation du sage qui doit s’imposer à lui est l’instant pré- sent (waqt)117, et ce qui, dans celui-ci, est le plus indiqué pour lui. 9 La caractéristique de la condition servile est que tu ne te sentes propriétaire de rien et que tu saches que tu ne possèdes pas la faculté de t’être profitable ou nuisible. 10 La soumission c’est l’impassibilité lorsque survient l’épreuve, sans changement ni apparent ni intérieur. 11 On interrogea al-Ḥāriṯ sur l’espérance. Il répondit : – Désirer la faveur et la mi- séricorde de Dieu118 et, lorsque la mort survient, la sincérité de la bonne opi- nion (envers Dieu). 115 Cor. 29, 69. 116 Il s’agit de Sarrāǧ (m. 378/988), l’auteur du Kitāb al-lumaʿ fī l-taṣawwuf. 117 Terme dont la signification peut varier d’un auteur à l’autre et qui a un caractère poly- sémique. 118 Ces deux termes (faḍl et raḥma) sont liés dans de nombreux versets du Coran, par exem- ple Cor. 10, 58 ; 2, 64 ; 4, 83 ; 4, 113 ; 24, 10 ; 24, 14 ; 24, 20 ; 24, 21.

6 Al-Ḥāriṯ al-Muḥāsibī 73 12 Le regret comporte plusieurs aspects : causé par la perte d’une chose dont on souhaite la présence ; ou par la crainte d’un fait à venir ; ou pour un projet dont on a espéré la réussite mais dont la réalisation tarde ou enfin parce qu’on se souvient de ses désobéissances à la Vérité, et on les regrette. 13 La noblesse de caractère consiste à endurer les nuisances (d’autrui), sans plus d’une once de colère, [à afficher] un visage avenant et [à prononcer] de belles paroles. 14 Toute chose a son joyau : celui de l’homme est son intelligence, qui elle-même trouve son acmé dans la patience119. 15 Les œuvres produites par les mouvements du cœur pour accéder aux mystères sont plus nobles que celles produites par l’action des membres120. 16 Qui est enclin aux innovations blâmables, quand pourra-t-il porter la vérité ? 17 Si toi tu n’entends pas l’appel de Dieu, comment peux-tu répondre à Son hé- raut121 ? Quiconque croit s’enrichir en se passant de Dieu ignore la valeur de Dieu. 18 L’oppresseur regrettera même si les gens le courtisent et l’oppressé n’a rien à craindre même si les gens le blâment. Qui se contente de ce qu’il a est riche, quand bien même il aurait faim, mais l’homme cupide est pauvre, même s’il possède (des biens). 19 Qui amende son for intérieur par la vigilance et la sincérité totale, Dieu le pare extérieurement de la discipline corporelle (muǧāhada) et de l’imitation de la sunna. J’ai entendu Abū Bakr Muḥammad b. ʿAbdallāh al-Rāzī, d’après Abū ʿUṯmān qui a dit : 20 Un chanteur a déclamé devant al-Ḥāriṯ al-Muḥāsibī les vers suivants (ramal) : Dans l’exil, moi je pleure ce que pleure l’œil de l’étranger. Je n’étais pas, le jour de mon départ du pays, souffrant. Mystère pour moi d’avoir quitté un lieu, demeure de mon bien-aimé. Il se leva, saisi par l’extase et pleura si bien que tous les présents invoquèrent sur lui la Miséricorde de Dieu. 21 On interrogea Ḥāriṯ : – Qui contraint le mieux son âme ? Il répondit : – Celui qui est satisfait de ce qui lui est destiné. 22 Il ne sera pas tenu rigueur aux créatures dans leur ensemble de leur raison, mais ils rendront des comptes sur les statuts légaux (ḥukm)122. 119 « L’assistance divine » dans la version de Baġdādī, 8, p. 213. 120 Voir le commentaire de Huǧwirī, Somme spirituelle, p. 138–9. 121 Expression coranique, voir Cor. 46, 31–32. 122 Cela renvoie probablement à des débats théologiques sur les rapports entre ʿāql et šarʿ.

74 Première Génération 23 Qui n’exprime pas sa gratitude envers Dieu (šukr) pour un bienfait, s’expose à sa disparition. 24 La suprême intelligence est celle qui reconnaît son impuissance à atteindre la perfection de sa connaissance. Bibliographie : Ta⁠ʾrīḫ al-ṣūfiyya, 121 ; Ḥilya, 10,73–110 ; Qušayrī, 73–7 ; Qušayrī K, 27–9 ; Qušayrī G, 45–7 ; Anṣārī, 74–6 ; Baġdādī, 8, 211–6 ; Ibn al-Ǧawzī, 2, 367–9 ; ʿAṭṭār, 270–5 ; Muslim Saints and Mystics, 143–5 ; Mémorial, 216–8 ; Essai, 241–55 ; R. Arnaldez, « Muḥāsibī », EI2, 7, 466a–67b ; Kašf, 108–9 ; Somme spirituelle, 138–40 ; M. Smith, An Early Mystic of Bagdad ; J. van Ess, Die Gedankenwelt des Hariths al- Muhāsibī ; Islamic Mysticism, 43–8 ; P. Gavin, Spiritual Purification in Islam, The life and works of al-Muḥāsibī. 7 Šaqīq al-Balḫī Šaqīq b. Ibrāhīm, Abū ʿAlī al-Azdī123. Originaire de Balḫ. Il eut un élan (ǧary) remarquable dans la voie de l’abandon confiant (à Dieu) (ʿalā sabīl al-tawakkul), et il eût sur ce sujet des paroles admirables. Il fait partie des maîtres éminents du Ḫurāsān. Je pense qu’il est le premier à avoir parlé des sciences des états spirituels dans les cités du Ḫurāsān. Il fut le maître de Ḥātim al-Aṣamm (n° 11) et le disciple d’Ibrāhīm b. Adham (n° 3) et de lui il prit la voie spirituelle124. Il a transmis le hadith. Ibrāhīm b. Aḥmad b. Ibrāhīm [b. Dāwud]125 Al-Mustamlī, nous a informés par autorisation écrite : Aḥmad b. Uḥayd b. Nūḥ b. Ayyūb al-Bazzāz al-Balḫī leur a rapporté : Abū Ṣāliḥ Muslim b. ʿAbd al-Raḥmān al-Balḫī nous a rapporté : Abū ʿAlī Šaqīq b. Ibrāhīm al-Azdī m’a rapporté : ʿAbbād, c’est-à-dire Ibn Kaṯīr, nous 123 La date de sa mort, en 194/810, n’est pas donnée par Sulamī. 124 Sulamī ne donne aucune information sur sa conversion. Qušayrī donne trois versions dif- férentes dont une, transmise par Sulamī, qui le décrit comme appartenant à un milieu aisé et fréquentant les fityān. Ce qui l’avait conduit à se porter, à la légère, garant de son voisin auprès du gouverneur de Balḫ. Il se sortit de ce mauvais pas miraculeusement, se repentit et « suivit la voie de l’ascèse », voir Qušayrī, p. 85–6. Autre version de sa conver- sion dans Somme spirituelle, p. 142–3. Abū Nuʿaym le qualifie de « renonçant authen- tique » et rapporte de nombreuses sentences liées à l’ascèse, voir Ḥilya, 8, p. 58 et sq. ; cette facette du personnage est gommée par Sulamī qui insiste sur la notion de tawakkul et sur celle de « pauvreté spirituelle » (faqr) abordée par de nombreuses sentences, si bien qu’un lien étroit est établi entre les deux. Sur le tawakkul, voir Benedikt Reinert, Die Lehre vom Tawakkul in der klassischen Sufik. 125 Absent chez Š.

7 Šaqīq al-Balḫī 75 a rapporté, d’après Hišām b. ʿUrwa, ʿUrwa ‘a dit, d’après ʿĀʾiša, le Prophète di- sait : 1 Mon Dieu, le bien est le bien de l’autre monde. Muḥammad b. Aḥmad b. Saʿīd al-Rāzī, nous a informés : al-Ḥusayn b. Dāwud al-Balḫī nous a rapporté : Šaqīq b. Ibrāhīm nous a rapporté : Abū Hāšim al- Ubullī nous a rapporté, d’après Anas, le Prophète a dit : 2 Qui a pris de ce monde des choses licites, Dieu lui en demandera compte et qui en a pris ce qui est illicite, Dieu pour cela lui infligera un châtiment. Fi de ce monde et de ses calamités ! Le licite est compté et l’illicite est châtiment. J’ai entendu Abū ʿAlī Saʿīd b. Aḥmad al-Balḫī : j’ai entendu mon père : j’ai en- tendu Muḥammad b. ʿAbd : [ j’ai entendu mon oncle Muḥammad b. al-Layṯ : j’ai entendu Ḥāmid al-Lifāf :]126 j’ai entendu Ḥātim al-Aṣamm : j’ai entendu Šaqīq b. Ibrāhīm dire : 3 L’homme doué d’intelligence ne sort pas de ces trois attitudes : premièrement manifester la crainte pour ses fautes passées, deuxièmement l’ignorance de ce qui lui adviendra au fil du temps ; il doit troisièmement craindre l’incertitude de la fin dernière car il ignore ce sur quoi s’achèvera sa vie. 4 Méfie-toi de ne pas courir à ta perte par ce monde et ne te fais pas de souci car ta subsistance ne peut échoir à un autre que toi127. 5 Prépare-toi lorsque la mort viendra à ne pas demander à revenir en arrière. 6 L’abandon confiant (à Dieu) : que ton cœur trouve la sérénité dans la promesse divine. 7 On reconnaît la piété de l’homme à trois choses : dans la manière dont il prend, dans celle dont il refuse et dans ses propos.  Qušayrī K, 31 ; 8 On l’interrogea : – Comment l’homme sait-il qu’il est parvenu à la frugalité (al- qilla) ? Il répondit : – Parce que tout ce qu’il prend de ce monde, il le prend dans la crainte, s’il ne le faisait, de commettre une faute. 9 On l’interrogea : – Comment le pauvre en Dieu sait-il qu’il a obtenu de Dieu le maintien dans (l’état) de pauvreté ? Il répondit : – Parce qu’il redoute la ri- chesse et recherche la pauvreté128. 10 J’ai mis en application le Coran pendant vingt ans pour établir la distinction entre ce monde-ci et l’autre. Elle tient en deux mots, dans la parole de Dieu : « Toute chose qui vous est octroyée n’est que jouissance et parure de la vie 126 Ajout de Š. 127 Variante : « et ne crains pas que ta subsistance échoit à un autre que toi. » 128 Nous suivons l’édition de P : yaġtanim al-faqr ; Š : yaġtam ?

76 Première Génération d’ici-bas, tandis que ce qui est auprès de Dieu est meilleur et plus durable129 ». 11 Le renonçant est celui qui fonde son renoncement sur ses actes, tandis que celui qui fait le renonçant l’impose par sa langue. 12 Qui ne connaît Dieu par la puissance, de fait ne le connaît pas. On lui deman- da : – Comment le connaît-Il par la puissance ? Il répondit : – Il doit savoir que Dieu est tout puissant : soit de lui retirer quelque chose qu’il possède pour le donner à quelqu’un d’autre, soit de lui octroyer quelque chose qu’il ne possède pas. 13 Celui qui veut connaître son degré de connaissance de Dieu, qu’il observe ce que Dieu lui promet et ce que les gens lui promettent et détermine dans lequel des deux son cœur a le plus confiance.  Qušayrī K, 31 ; 14 Distingue entre ce que tu donnes et ce que tu reçois. Si celui de qui tu reçois t’est plus cher, alors tu aimes ce monde, tandis que si t’est plus cher celui à qui tu donnes, tu es de ceux qui aiment l’autre monde. 15 Qui sort de l’abondance de biens pour tomber dans la frugalité et ne trouve pas celle-ci plus éminente (aʿẓam) que celle-là s’enfonce dans un double tourment, dans ce monde et dans l’autre. Mais celui qui apprécie la frugalité plus que l’abondance qu’il a quittée connaîtra une double joie : une dans ce monde puis une dans l’autre. 16 Crains les riches ! Quand ton cœur se sera attaché à eux et qu’en eux tu auras placé tes espoirs, tu les auras pris de fait pour seigneurs en place de Dieu130. 17 On interrogea Šaqīq : – De quelle manière sait-on que le serviteur a choisi la pauvreté plutôt que la richesse ? Il répondit : – Il redoute de devenir riche et préserve sa pauvreté dans la crainte, de la même manière qu’il le faisait aupa- ravant quand il craignait de devenir pauvre, veillant sur sa richesse avec appré- hension. 18 On interrogea Šaqīq : – De quelle manière sait-on que le serviteur a une entière confiance en son Seigneur ? Il répondit : – On le sait parce que si une chose de ce monde lui échappe, il la considère comme un butin ; et il préfère que (les biens de) ce monde tardent à venir à lui plutôt que de les obtenir sur le champ. 19 Préserver ta pauvreté suppose que tu la considères comme une grâce que Dieu t’accorde, car Il ne t’a pas garantie (l’octroi de) la subsistance d’autrui pas plus qu’il n’a amputé ce qu’Il t’a imparti. 129 Cor. 28,60. 130 Formule coranique, voir par exemple Cor. 3, 64, 80 ; Cor. 9, 31.

8 Abū Yazīd Ṭayfūr b. ʿĪsā (al-Bisṭāmī) 77 20 Le sens du retour à Dieu (tawba) est que tu perçoives ton audace vis-à-vis de Dieu et Sa longanimité envers toi. 21 Rien ne m’est plus agréable que la présence d’un invité, car sa subsistance et ses provisions incombent à Dieu, tandis qu’il me revient la récompense. 22 Purifie ton cœur de l’amour des biens de ce monde afin que l’amour de l’au- delà et la récompense divine puissent s’y loger. 23 Qui n’a avec lui trois choses n’échappera pas au feu : la protection, la crainte, le trouble /l’agitation (iḍtirāb). 24 La patience et le contentement sont deux choses ressemblantes (šaklān) : lorsque tu te décides à œuvrer, le début exige patience et la fin engendre le contentement. 25 Si tu recherches la quiétude, mange ce que tu reçois, revêts ce que tu trouves et satisfais-toi de ce que Dieu a décrété pour toi. 26 Qui tourne autour des honneurs, tourne en réalité autour du feu. Qui tourne autour des passions y tourne au détriment de ses propres degrés au Paradis qu’il engloutit, car il les réduit dans ce monde. 27 les Gens de l’obéissance, Dieu les conserve vivants dans la mort tandis que les Gens de la désobéissance sont des morts, même durant leur vie. Somme spirituelle, p. 142 (commentaire de Huǧwirī) Bibliographie : Taʾ⁠ rīḫ al-ṣūfiyya, 194–5 ; Ḥilya, 8, 58–73 ; Qušayrī, 85–7 ; Qušayrī K, 30–1 ; Qušayrī G, 49–50 ; Ibn al-Ǧawzī, 4, 159–60 ; ʿAṭṭār, 232–9 ; Mémorial, 195–200 ; Muslim Saints and Mystics, 133–7 ; Attār Ilāhī-nāma-i, éd. H. Ritter, 145 ; Kašf, 111–2 ; Somme spirituelle, 142–3 ; P. Nwyia, Trois œuvres inédites de mystiques musulmans131, 13–22 ; P. Nwyia, Exégèse coranique et langage mystique, 213–31 ; Alte Vorbilder des Sufitums 2, 13–62 ; Islamic Mysticism, 32–5 ; Dermenghem, 157–75 ; J. Mojaddedi, “Shaqīq al-Balkhī”, Encyclopaedia of Islam 3 ; 8 Abū Yazīd Ṭayfūr b. ʿĪsā (al-Bisṭāmī) Abū Yazīd, Ṭayfūr b. ʿĪsā b. Surūšān (al-Bisṭāmī132). Ce Surūšān, son grand-père, était zoroastrien et se convertit à l’islam. Ils étaient trois frères : Ādam, Ṭayfūr et ʿAlī, et tous trois étaient des ascètes, des dévots et doués d’états spirituels133. 131 Édition de deux courts textes Manāzil al-ṣidq et Ādāb al-ʿibādāt dont la traduction est donnée dans les Mélanges Pareja 2, voir p. 16. 132 Ajouté par Š. On trouve les deux vocalisations : Basṭāmī ou Bisṭāmī 133 Comme pour Muḥāsibī, Sulamī ne mentionne aucun de ses maîtres et n’indique aucune filiation. Son maître serait Abū ʿAlī al-Sindī, mystique ignorant l’arabe, voir EI2, 1, p. 167 ; Qušayrī, p. 284. Dermenghem dit, d’après Qušayrī, qu’il lui enseigna “la science du fanāʾ

78 Première Génération Il est originaire de Bisṭām. Il est mort en 261/874–5, D’après ce que j’ai entendu de ʿAbdallāh b. ʿAlī : j’ai entendu Ṭayfūr b. ʿĪsā le Jeune : j’ai entendu Umayy134 al-Bisṭāmī : j’ai entendu mon père dire : Abū Yazīd est mort en 261/874–5. J’ai entendu al-Ḥusayn b. Yaḥyā dire : Abū Yazīd est mort en 234/848–9135. Et Dieu est le plus savant. Il a transmis le hadith. Abū l-Ḥasan Manṣūr b. ʿAbdallāh al-Dīmartī (ou Daymartī) nous a informés à Bagdad : Abū ʿAmr ʿUṯmān b. Ǧaḥda b. Darāhim al-Kāzarūnī nous a rapporté à Bagdad : Abū l-Fatḥ Aḥmad b. [Ḥasan]136 b. Muḥammad b. Sahl al-Miṣrī, connu sous le nom de Ibn al-Ḥimṣī, prédicateur à Baṣra, nous a informés : ʿAlī b. Ǧaʿfar al-Baġdādī nous a rapporté : Abū Mūsā [al-Daybulī]137 a dit : Abū Yazīd al-Bisṭāmī nous a rapporté : Abū ʿAbd al-Raḥmān al-Suddī nous a rap- porté, d’après ʿAmr b. Qays al-Mulāʾī, d’après ʿAṭiyya al-ʿAwfī, d’après Abū Saʿīd al-Ḫudrī, le Prophète a dit : 1 Est signe de faiblesse de la certitude (intérieure) de satisfaire les hommes au prix de la colère divine, de faire leur éloge pour la subsistance (qui ne vient que) de Dieu, ou encore de les blâmer pour ce que Dieu ne t’a pas octroyé. La subsistance n’est pas arraché à Dieu par une avidité sans bornes, comme ne peut la réduire l’aversion de ceux à qui elle inspire répugnance138. Dieu, dans Sa sagesse et Sa magnificence, a placé l’esprit et la joie dans la certitude et le contentement, et il a mis les soucis et le regret dans le doute et la colère139. bi-l-tawḥīd, de l’annihilation par l’unification, voir Vies des saints musulmans, p. 200, n. 3. Il aurait refusé l’initiation de Ḏū l-Nūn, p. 201. 134  Mūsā b. ʿĪsā, principal transmetteur et fils de Abū Mūsā, lui-même fils de Ādam, frère aîné de Abū Yazīd qui, comme disciple, recueillit et transmit beaucoup de ses paroles, voir EI2, 1, p. 166–7. 135 Il serait mort à 73 ans selon Ibn al-Ǧawzī, voir Ṣifa, 4, p. 114. 136 P : Ḥusayn. 137 En raison de la disparité des graphies, Pederen omet les points diacritiques. Selon les manuscrits : Nābulī, Danbulī, Dabīlī, etc.. 138 Par jalousie. 139 Sur ce hadith, voir les remarques rapportées par Ibn al-Ǧawzī, Ṣifa, 4, p. 113. Notamment Sulamī qui indique avoir trouvé trois autres hadiths de Abū Yazīd mais qu’il n’a pas con- servés car il ne les a pas retrouvés dans d’autres sources. Notons que, malgré le faible nombre de hadiths transmis, Sulamī indique qu’ “il a transmis le hadith“, ce n’est donc pas pour l’auteur affaire de quantité, mais le signe d’un “privilège“ que la transmission d’un seul hadith suffit à obtenir.

8 Abū Yazīd Ṭayfūr b. ʿĪsā (al-Bisṭāmī) 79 J’ai entendu al-Ḥasan b. ʿAlī b. Ḥanawayh140 al-Dāmaġānī : j’ai entendu al- Ḥasan Ibn ʿAlawayh dire : Abū Yazīd a dit : 2 Je m’assis une nuit dans mon oratoire et allongeait les jambes. J’entendis alors une voix qui m’apostrophait :– Qui fréquente les rois doit le faire en respectant les règles de convenance. Meddeb, Les dits de Bistami, n° 437 ; Propos d’Amour, p. 69 ; 3 On interrogea Abū Yazīd sur le rang occupé par le connaissant. Il répondit : – Il n’y a pas de rang, le profit spirituel suprême du connaissant est la présence de Celui qu’il connaît. 4 Le dévot l’adore selon son état spirituel (bi-l-ḥāl), tandis que le connaissant accompli l’adore dans l’instant présent (fī l-ḥāl). 5 On interrogea Abū Yazīd: – Par quoi s’aider à l’adoration ? Il répondit : – Par Dieu141, si toutefois vous le connaissez. 6 Le minimum exigé du connaissant est qu’il Lui fasse don (à Dieu) de ce qu’Il avait mis en sa possession. 7 Qui prétend parvenir à l’union par les épreuves de la Vérité, a besoin d’as- treindre son âme (à pallier) aux déficiences de la condition servile. Meddeb, Les dits de Bistami, n° 438 (variante) J’ai entendu Manṣūr b. ʿAbdallāh : j’ai entendu Abū ʿImrān Mūsā b. ʿĪsā connu sous la nom de ʿUmayy : j’ai entendu mon père dire : 8 Un jour Abū Yazīd fit l’appel à la prière, puis il voulut faire l’iqāma142, regarda le rang et vit un homme qui portait sur lui les marques du voyage. Il s’approcha de lui et lui dit quelque chose. Aussitôt, l’homme sortit de la mosquée. L’un des présents l’interrogea (par la suite pour savoir ce qu’ Abū Yazīd lui avait dit). L’homme répondit : – J’étais en voyage et, ne trouvant pas d’eau, je fis une ablu- tion sèche. Je l’avais oubliée en entrant dans la mosquée. Abū Yazīd est venu me dire que l’ablution sèche n’était pas permise pour un résident. Je m’en suis alors souvenu et suis sorti (refaire mes ablutions). Meddeb, Les dits de Bistami, n° 439 ; Mojaddedi, The Biographical Tradition in Su- fism, p. 25 ; 9 Je me suis appliqué à la discipline spirituelle pendant trente ans et rien n’a été plus éprouvant pour moi que la science (exotérique) et sa mise en pratique. 140 Š : Ḥayyawayh. 141 Qui reprend les paroles de Moise dans Cor. 7, 128. 142 Appel fait à l’intérieur de la mosquée juste avant le début de la prière.

80 Première Génération N’étaient les divergences entre savants, j’aurais continué143, car elles sont une miséricorde sauf dans le dépouillement absolu en vue du tawḥīd144. Voir Les dits de Bistami, n° 364 ; Mojaddedi, The Biographical Tradition in Su- fism, p. 26 ; Qušayrī K, p. 32. 10 Qui a ses passions pour compagnon ne peut connaître son âme. Meddeb, Les dits de Bistami, n° 365 (variante) 11 Le paradis ne jouit d’aucune considération particulière auprès des Gens de l’amour, car ceux-ci sont aveuglés par leur amour145. Meddeb, Les dits de Bistami, n° 366 J’ai entendu Abū ʿAmr Muḥammad b. Aḥmad b. Ḥamdān : j’ai trouvé écrit de la main de mon père : j’ai entendu Abū ʿUṯmān Saʿīd b. Ismāʿīl : Abū Yazīd a dit : 12 Qui écoute la Parole (divine) pour en parler avec les hommes, Dieu lui accorde une compréhension par laquelle il s’adresse aux hommes. Quant à celui qui l’écoute pour, par elle, faire œuvre d’adoration (li-yuʿāmila Allāh bi-hi) de Dieu dans ses actes, il reçoit de Celui-çi une compréhension par laquelle il s’adresse à Lui dans l’intimité. Meddeb, Les dits de Bistami, n° 424 et 375 (peut-être une version amputée ou défor- mée) 143 La version de Ibn al-Ǧawzī qui indique : “je me serais épuisé“ (soit taʿibtu et non baqītu), paraît mieux adapté au contexte, voir Ṣifa, 4, p. 108, mais aucun des manuscrits ne l’atteste. Le Kitāb al-bayāḍ wa-l-sawād présente deux variantes intéressantes : la-šaqitu : j’aurais fait partie des réprouvés et la-tafattattu : j’aurais été réduit en miettes, voir § 48, p. 26. 144 Exigence de dépouillement absolu et total, matériel et ontologique. La formulation du dépouillement absolu (esseulement) en vue du tawḥīd (al-taǧrīd fī l-tawḥīd) qui débouche sur une confrontation de l’âme avec l’Essence divine, apparaît comme un point capital de cette expérience. Massignon a relevé le caractère novateur de cette formulation, voir Es- sai, p. 276. Sur cette expression voir aussi J. A. Mojaddedi, The Biographical Tradition in sufism, n. 93, p. 188–9. 145 Lit. : voilés, c’est-à-dire qu’ils ne sont réceptifs à aucune autre réalité. Si Abū Yazīd est souvent considéré comme le représentant d’un soufisme « ivre », par opposition au sou- fisme sobre, celui de Ǧunayd en particulier, il faut remarquer que les sentences proposées par l’auteur laissent peu de place à cette ʿivresse’. Les locutions théophaniques qui ont contribué à sa célébrité sont absentes, et aucune des sentences de cette notice n’y fait al- lusion. Par contre, il ressort de cet ensemble un souci pédagogique manifeste, lié à l’enseignement de disciples, car Abū Yazīd signale, à de multiples reprises, les pièges que les gnostiques peuvent trouver au cours de leur cheminement et qui les détournent de leur quête, voir par exemple les sentences n° 20, 21, 23, 24, 28, 29.

8 Abū Yazīd Ṭayfūr b. ʿĪsā (al-Bisṭāmī) 81 13 Dieu a scruté les cœurs de Ses saints et certains n’étaient absolument pas aptes à porter la gnose, Il les a alors employés à l’adoration146. Mojaddedi, The Biographical Tradition in Sufism, p. 33 ; 14 L’ingratitude des Gens de l’aspiration spirituelle est plus saine (aslam) que la foi des Gens de la grâce divine. Meddeb, Les dits de Bistami, n° 464 15 On a interrogé Abū Yazīd : – Comment ont-ils obtenu la connaissance ? Il ré- pondit : – En dispersant ce qui leur appartenait pour rester avec ce qui Lui ap- partient. Meddeb, Les dits de Bistami, n° 32 J’ai entendu Abū Naṣr al-Harawī : j’ai entendu Yaʿqūb b. Isḥāq : j’ai entendu Ibrāhīm al-Harawī147 : j’ai entendu Abū Yazīd dire : 16 (Vois) comme je me réjouis de Toi alors que je Te crains. Quelle serait ma joie si je n’avais rien à redouter de Toi ! 17 Mon Dieu, permets-moi de Te comprendre, car je ne le peux que par Toi ! Meddeb, Les dits de Bistami, n° 376 18 J’ai connu Dieu par Dieu et j’ai connu tout le reste par la lumière de Dieu. Meddeb, Les dits de Bistami, n° 341 19 On a interrogé Abū Yazīd148 : – Quelle est la marque distinctive du connais- sant ? Il répondit : – Qu’il ne faiblisse pas dans la mention de Son nom, n’éprouve lassitude envers Ses droits, et ne recherche l’intimité en dehors de Lui. 20 Dieu a fixé à ses serviteurs commandements et interdits. Ils Lui ont obéi et Il leur a offert quelques cadeaux. Ceux-ci les ont occupés, les détournant de Lui. Quant à moi, je ne veux de Dieu que Dieu. 21 Á mes débuts, j’ai commis quatre erreurs : je me suis imaginé que je L’invo- quais, que je Le connaissais, que je L’aimais et que je Le recherchais. Parvenu 146 Mojaddedi a signalé la parenté de cette sentence avec une parole attribuée à Abū Bakr al-Kattānī (n° 67, 15) et une autre attribuée à Abū l-ʿAbbās al-Dīnawarī (n° 92, 9). 147 Voir sa notice dans Š., p. 71. Abū Iṣḥāq, disciple d’Ibrāhīm b. Adham, voir Ḥilya, 10, p. 43–4. 148 Š indique une autre chaîne des transmetteurs (isnād). Nous ne le suivons pas, pensant que Manṣūr b. ʿAbdallāh et Abū l-Naṣr al-Harawī désignent un même personnage, la suite de l’isnād étant par d’ailleurs identique, voir L’œuvre, p. 547 et sq. Dans ce cas, il faut corriger P qui indique Abū Manṣūr b. ʿAbdallāh et non Manṣūr b. ʿAbdallāh, ou choisir, selon un autre manuscrit cité par l’éditeur, Abū Naṣr b. ʿAbdallāh qui désigne aussi al-Harawī.

82 Première Génération au terme (de la voie), j’ai compris que Son invocation avait précédé la mienne, que Sa gnose devançait la mienne, que Son amour était antérieur au mien et qu’Il m’avait, en premier, demandé avant qu’à mon tour je ne le fasse. J’ai entendu ʿAbd al-Wāḥid b. Bakr, Abū l-Faraǧ al-Waraṯānī : al-Ḥasan b. Ibrāhīm al-Dāmaġānī a dit : ʿĪsā b. Mūsā nous a rapporté : j’ai entendu mon père : j’ai entendu Abū Yazīd dire : 22 Mon Dieu, Tu as créé ces créatures sans qu’elles en soient informées ; Tu les as chargées d’un dépôt149 (sacré) sans qu’elles le veuillent ; sans Ton secours qui donc les secourt ?  Essai, p. 282 ; Dermenghem, p. 241 J’ai entendu ʿAlī b. Muḥammad Abū l-Ḥasan al-Qazwīnī al-Ṣūfī : j’ai entendu Abū l-Ṭayyib al-ʿAkkī : j’ai entendu Ibn al-Anbārī dire : l’un des disciples de Abū Yazīd a dit : 23 Abū Yazīd al-Bisṭāmī m’a dit : – Si quelqu’un te prend pour compagnon mais se comporte mal envers toi, présente-toi à lui avec tes nobles caractères, tu vivras en paix150. Si par contre il se montre généreux, commence par rendre grâce à Dieu, car c’est Lui qui a suscité dans les cœurs la bienveillance à ton endroit. Si tu es éprouvé, empresse-toi de Lui demander pardon, car Il a le pouvoir de t’en délivrer, mais pas les autres créatures. Mojaddedi, The Biographical Tradition in Sufism, p. 24 ; J’ai entendu ʿAbd al-Wāḥid b. Bakr : j’ai entendu al-Qannād : Abū Mūsā al- Daybulī151 a dit : j’ai entendu Abū Yazīd al-Bisṭāmī dire : 24 Dieu octroie à ses serviteurs la douceur (de la foi) mais à cause de la joie qu’elle suscite en eux, Il les prive des réalités de la Proximité. J’ai entendu Aḥmad b. Alī b. Ǧaʿfar : j’ai entendu al-Ḥasan Ibn ʿAlawayh : Abū Yazīd a dit : 25 La connaissance de l’Essence divine est ignorance, et la science qui porte sur la réalité de la gnose plonge dans la perplexité. Qui utilise le langage symbolique 149 En référence à Cor. 3, 72. Ce dépôt (amāna) a été interprété de multiples manières, de la foi à l’amour. 150 Š que nous suivons : yaṭību ʿayšu-ka ; P : bi-taybi ʿayši-ka. 151 Ou moins vraisemblablement al-Dabīlī. P a omis les points diacritiques. D’après Samʿānī, al-Dabīlī, en référence au village de Dabīl dans les environs de Ramlé, Ansāb, 2, p. 457, tandis que Daybul est un village dans le Sind au bord de la mer, Ansāb, 2, p. 523. Ce person- nage est le neveu de Abū Yazīd, le fils de sa sœur, voir Ṣifa, 4, p. 113. Il a transmis les récits de son maître à Qannād.

8 Abū Yazīd Ṭayfūr b. ʿĪsā (al-Bisṭāmī) 83 (pour parler de l’Essence) s’expose à l’associationnisme dans le symbole. Les créatures qui sont le plus éloignés de Dieu sont celles qui utilisent le plus le langage symbolique pour parler de Lui152. J’ai entendu Abū l-Ḥusayn al-Fārisī : j’ai entendu al-Ḥasan Ibn ʿAlawayh dire : 26 On a interrogé Abū Yazīd : – Par quel moyen as-tu trouvé cette connaissance ? Il répondit : – par un ventre affamé et un corps dénudé. Mojaddedi, The Biographical Tradition in Sufism, p. 21 ; Qušayrī K, p. 32 27 Abū Yazīd a dit : – Le gnostique se préoccupe de ce en quoi il espère et l’ascète de ce qu’il mange. Mojaddedi, The Biographical Tradition in Sufism, p. 21 ; 28 Abū Yazīd a dit : – Bienheureux ceux qui n’ont qu’un seul souci ! Et dont le cœur n’est pas préoccupé par ce qu’ont vu ses yeux ou entendu ses oreilles153. Mojaddedi, The Biographical Tradition in Sufism, p. 21 ; 29 Abū Yazīd a dit : – Qui connaît Dieu renonce à toute chose qui peut le détour- ner de Lui. Mojaddedi, The Biographical Tradition in Sufism, p. 21 ; 30 On a interrogé Abū Yazīd sur les actes qui relèvent de la pratique prophétique (sunna) et ceux de l’obligation légale (farīḍa). Il répondit : – La sunna c’est d’abandonner ce monde, l’obligation, d’être dans la compagnie du Maître. Car tout dans la sunna conduit à l’abandon de ce monde, tandis que le Livre (Le Coran) dans Sa totalité conduit à la compagnie du Maître. Qui apprend la sun- na et l’obligation parvient à la perfection154. Mojaddedi, The Biographical Tradition in Sufism, p. 21 ; 31 Abū Yazīd a dit : – Le bienfait est éternel, aussi exige-t-il une gratitude éter- nelle. 152 Le terme employé, išāra, pourrait aussi être traduit par allusion, langage allusif ou ésoté- rique. Il est souvent opposé à la ʿibāra, le langage clair. Il faut probablement voir dans cette sentence une critique de Abū Yazīd, sans que l’on sache vraiment qui elle vise. Mais il s’agit assurément de débats théologiques sur l’essence divine. 153 Allusion à un hadith célèbre qui parle du paradis et de ce qu’il contient comme inacces- sible à l’entendement humain. 154 Formulation originale pour présenter le nécessaire dépassement du zuhd, sans en aban- donner pour autant la pratique.

84 Première Génération Bibliographie155 : Taʾ⁠ rīḫ al-ṣūfiyya, 198–9 ; Ḥilya, 10, 33–42 ; Qušayrī, 23–4 ; Qušayrī K, p. 32–3 ; Qušayrī G, p. 50–52 ; Anṣārī, 87–95 ; Ibn al-Ǧawzī, 4, 107–14 ; ʿAṭṭār, 160–210 ; Sufi Inquiries, 56–7, § 229 ; Mémorial, 154–84 ; Muslim Saints and Mystics, 100–23 ; Badawī, Šaṭaḥāt al-ṣūfiyya ; H. Ritter « Abū Yazīd », EI2,1, 166b–67b ; Dermen- ghem, 197–245 ; A. Meddeb, Les dits de Bistami ; Tortel, Kharaqânî, Paroles d’un ­soufi, (index) ; M. Smith, The Way of the Mystics, 236-43 ; R. Deladrière, « Abû Yazid al-Bis- tami et son enseignement spirituel » ; A. J. Arberry, « Bistamiana » ; Massignon, Es- sai, 273–86 ; J. Nūrbakhsh, Bāyazīd ; Islamic Mysticism, 68–72 ; C. W. Ernst, « The man without attributes. Ibn ʿArabī’s interpretation of al-Bisṭāmī », 1–18 ; J. Mojadde- di, The Biographical Tradition in Sufism, 18–39 ; J. Mojaddedi, « al-Bisṭāmī, Abū Yazīd (Bāyazīd) », EI3 ; J. Mojaddedi, « Getting drunk with Abū Yazīd or staying sober with Junayd ». 9 Abū Sulaymān al-Dārānī Abū Sulaymān al-Dārānī, ʿAbd al-Raḥmān b. ʿAṭiyya. Mais on a dit aussi : ʿAbd al-Raḥmān b. Aḥmad b. ʿAṭiyya. Originaire de Dārayyā, village des environs de Damas156. Il était ʿansite157. Abū Ǧaʿfar Muḥammad b. Aḥmad b. Saʿīd al-Rāzī m’a informé de cela : j’ai en- tendu al-ʿAbbās b. Ḥamza : j’ai entendu Ahmad b. Abū l-Ḥawārī158 dire : J’ai entendu Abū Sulaymān, ʿAbd al-Raḥmān b. Aḥmad b. ʿAṭiyya al-ʿAnsī, origi- naire de Dārayyā, village des environs de Damas. Abū Sulaymān est mort en 215/830159. Il a transmis le hadith. ʿAbd al-Raḥmān b. ʿAlī al-Bazzāz al-Ḥāfiẓ nous a informés à Bagdad : Muḥammad b. ʿUmar b. al-Faḍl nous a rapporté : ʿAlī b. ʿĪsā nous a rapporté : Aḥmad b. Abī l-Ḥawārī nous a rapporté : Abū Sulaymān al-Dārānī nous a rapporté : ʿAlī b. Ḥasan b. Abī al-Rabīʿ al-Zāhid nous a rapporté, d’après 155 La bibliographie concernant Bisṭāmī étant importante, nous renvoyons pour la compléter à l’article recent de J. Mojaddedi dans EI3. 156 Il avait deux sœurs, ʿAbda et Āmina auxquelles Sulamī a consacré une courte notice dans son ouvrage dédiée aux femmes pieuses. Il dit d’elles qu’elles occupaient en matière de religion et d’intellection une place majeure (ʿaẓīm), voir Ḏikr al-niswa, p. 89. Repris par Ibn al-Ǧawzī, Ṣifa, 4, p. 300. Et également un frère nommé Dāwud, voir Baġdādī, 8, p. 366. 157 En référence à un ancêtre éponyme originaire du Yémen, voir, Ansāb, 4, p. 252. 158 Pas de maîtres ni de disciples signalés par Sulamī, mais les isnāds montrent que Aḥmad b. Abī l-Ḥawārī (n° 12) fut l’un de ses disciples les plus importants dans la transmission de son enseignement. 159 D’autres sources donnent 205/820–1 comme date de sa mort, voir Baġdādī, 10, p. 250.

9 Abū Sulaymān al-Dārānī 85 Ibrāhīm b. Adham, d’après Muḥammad b. ʿAǧlān, mentionnant d’après son père, d’après Abū Hurayra, que le Prophète a dit : 1 Qui se fait humble pour Dieu, Il l’élèvera160. Abū Ǧaʿfar Muḥammad b. Aḥmad b. Saʿīd al-Rāzī nous a informés : j’ai enten- du al-ʿAbbās b. Ḥamza : Aḥmad b. Abī l-Ḥawārī nous a rapporté : j’ai entendu Abū Sulaymān al-Dārānī dire : 2 Lorsque l’espérance l’emporte sur la crainte, l’instant présent (waqt) est gâché. 3 Plût à Dieu que mon cœur fût, comparé à celui de mes semblables, comme mes vêtements parmi les leurs ! (On dit que) il portait des vêtements ordinaires161. 4 Qui cherche à terrasser ce monde sera par lui mis à terre. Anthologie, n° 273 ʿAbdallāh b. Muḥammad b. ʿAbdallāh b. ʿAbd al-Raḥmān al-Rāzī nous a infor- més : Isḥāq b. Ibrāhīm b. Abī Ḥassān al-Anmāṭī nous a informés : j’ai entendu Aḥmad b. Abī l-Ḥawārī : j’ai entendu Abū Sulaymān al-Dārānī dire : 5 Qui a bien agi au cours de sa journée se verra rétribuer au cours de la nuit, et le bon comportement de la nuit sera rétribué le jour. Celui qui renonce à une passion162 avec sincérité, Dieu l’effacera de son cœur. Dieu est trop généreux pour tourmenter un cœur à cause d’une passion à laquelle on a renoncé pour Lui.  Qušayrī K, 35 6 La meilleure générosité (saḫāʾ) est celle qui coïncide au besoin. 7 Si ce monde s’implante dans un cœur, (le souci de) l’autre monde le quitte. Anthologie, n° 253 ; Qušayrī K, 35 ; 8 Si l’homme sincère avait voulu déclarer véridique ce qu’il a dans le cœur, il ne l’aurait pas exprimé par la langue163. 9 Qui est sincère sera récompensé (kūfiʾa) et qui fait le bien sera préservé (ʿūfiyā). J’ai entendu al-Ḥusayn b. Yaḥyā : j’ai entendu Ǧaʿfar b. Muḥammad b. Nuṣayr : j’ai entendu Ǧunayd : Abū Sulaymān al-Dārānī a dit : 10 Parfois, des jours durant, survient dans mon cœur l’un des aphorismes (nukta) des spirituels (al-qawm). Je ne l’accepte qu’après (l’avoir confronté à) deux té- moins équitables : le Livre et la sunna.  Qušayrī K, 35 ; 160 Voir al-Ǧāmiʿ al-ṣaġīr, 2, p. 591, n° 8605 qui indique qu’il est mentionné dans la Ḥilya. 161 Lit. ‘moyen’, c’est-à-dire qui ne se remarquent pas et passent inaperçus 162 P : šahwati-hi. 163 Version de P. Celle de Š diffère sensiblement : « L’inspiration sincère est que ce qui est dans le cœur confirme ce que la langue a exprimé ».