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LUANG POU WAT PAKNAM หลวงปู่วัดปากน้ำ (French)

Published by kittivara.namwaan, 2021-01-11 03:47:22

Description: LUANG POU WAT PAKNAM หลวงปู่วัดปากน้ำ (French)

Keywords: หลวงปู่วัดปากน้ำ

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Fondation Dhammakaya La vie et l’œuvre de LUANG POU WAT PAKNAM Traduction, notes et glossaire Didier Treutenaere ASIA Religion www.kalyanamitra.org

Autres ouvrages du même auteur : • Didier Treutenaere, « 100 questions sur le bouddhisme Theravāda » Soukha éditions Paris (2017) Commandes Amazon, Fnac • Didier Treutenaere, « Bouddhisme et re-naissances dans la tradition Theravāda » (2009) Commandes sur le site : www.theravadapublications.com Site Web www.theravadapublications.com • Présentation et vente de livres • Articles téléchargeables • Bibliographie en langue française www.kalyanamitra.org

Ce livre est dédié à la mémoire de Kuhn Yay Mahāratana Upāsikā Chandra Kohn.nok.yoong A travers son exemple nous apprécions toute la valeur des enseignements de Luang Pou Wat Paknam Bhasicharoen www.kalyanamitra.org

Edition originale A Dhammakaya Foundation paperback First edition 1996 Second (revised) edition 1998 Third (revised) edition 2003 Published by the Dhammakaya Foundation Department of International Relations Khlong Luang, Pathumthani 12120 Thailand Copyright © 1996-2003 by the Dhammakaya Foundation Edition française Illustration de couverture : © Portait de Luang Pou Wat Paknam © ASIA 2009 [email protected] Dépôt légal : juin 2009 ISBN : 978-2-9534056-1-3 Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproduc- tions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayant cause, est illicite et constitue une contrefaçon aux termes des articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. www.kalyanamitra.org

TABLE DES MATIERES TABLE DES MATIERES ................................... 7 PROLOGUE ....................................................... 9 UNE VIE SIMPLE ............................................ 21 L’ORDINATION .............................................. 33 L’ETUDE DES TEXTES................................... 41 L’ETUDE DE LA MEDITATION ..................... 49 A LA TETE DU WAT PAKNAM ...................... 63 L’ENSEIGNEMENT DE LA TRADITION ....... 85 L’ATELIER DE MEDITATION .....................115 UN TEMPLE EN TEMPS DE GUERRE.........137 ORDINATIONS ET PREMIERES EXPERIENCES INTERNATIONALES..........143 LE DECES – UN NOUVEL ESPOIR...............159 EPILOGUE ..................................................... 167 REMERCIEMENTS .......................................171 COMMENT MEDITER ? ...............................173 GLOSSAIRE ................................................... 183 INDEX ............................................................203 www.kalyanamitra.org

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Prologue Le Siam1, au tournant du siècle dernier, était un pays vert et luxuriant, un pays de rizières aux cours d’eau miroitants encombrés par les barges char- gées du riz destiné à la capitale royale. La société était pacifique, le peuple doux, tolérant et profondément enraciné dans l’héritage bouddhiste, pilier de la socié- té siamoise depuis le treizième siècle. A cette époque, le Siam était, matériellement, pauvre. La simplicité matérielle préservait les vertus simples de l’existence. Au Siam, l’ordre social reposait sur le foyer, sur les liens familiaux, faits de chaleur et d’obligations entre père et fils, mère et fille, frère et sœur, bien plus pro- ches que tout ami ou relation. Le foyer était le cœur de la société. Dans les autres pays, les routes venaient en premier et les maisons étaient ensuite construites le long des routes ; pas au Siam : les maisons venaient en premier et les routes devaient se conformer aux emplacements des maisons. Dans les autres pays, les gens naissaient avec des droits. Mais dans la société siamoise, où l’accent était mis avec tant de force sur l’accumulation de la plus grande quantité possible de mérites* au cours de la brève durée de l’existence, les gens naissaient surtout 1 Le Siam a pris le nom de Thaïlande en 1939. 9 www.kalyanamitra.org

avec des devoirs à respecter. Un jeune garçon n’était pas simplement un jeune garçon, mais le fils de son père, l’élève de son maître, le frère aîné de sa fratrie. Individuellement, il était insignifiant ; il n’existait qu’en tant que membre de sa famille et qu’à la condi- tion de remplir les devoirs qui, sous toutes les formes, lui permettraient d’apporter sa contribution à la socié- té. La société bouddhiste étant comprise comme le sol qui permet la culture des vertus de ses membres, le temple bouddhiste est conçu comme le cœur de chaque communauté. Au tournant du siècle précédent, le wat2 était effectivement au centre de toutes les acti- vités sociales. C’était, en particulier, l’unique lieu d’instruction à une époque où les écoles publiques n’existaient pas encore. L’enseignement était dispensé par les moines et la fibre morale était mêlée à la trame des connaissances transmises aux enfants. Les moines étaient les plus lettrés, capables pour la plupart de lire les alphabets thaïs et khmers et aptes à traduire les sermons du Bouddha pour un public qui, seul, n’aurait pu avoir accès aux Ecritures* bouddhistes. Dans les faits, d’ailleurs, les seuls examens existant alors dans le pays étaient les examens de qualification monasti- ques. 2 Le wat est bien plus qu’un simple lieu de culte : il s’agit souvent d’un vaste ensemble comprenant, pour les moines, salles de prières et de méditation, bibliothèque et logements, mais également, pour la communauté laïque environnante, école, salle de réunion, dispensaire, crématorium etc. 10 www.kalyanamitra.org

Le déroulement même de la vie quotidienne dans le royaume était rythmé par le tambour et le gong des temples ; à onze heures du matin, le son du tambour, qui signalait le repas des moines, marquait la seule pause journalière strictement observée par le peuple siamois. Les wat étaient toujours considérés comme des sanc- tuaires pour la vie sauvage : la chasse et la pêche, parties intégrantes de la culture siamoise, étaient in- terdites dans l’enceinte et le pourtour des temples. Il existait deux sortes de temples : les temples urbains et les temples de la forêt. Les premiers étaient au cen- tre de la vie laïque. Les moines y avaient de nom- breux devoirs envers la communauté, en particulier l’enseignement. Les moines des villes étaient toujours placés sous le regard du public et, de ce fait, bien que soumis à plus de tentations, ils se trouvaient contraints de se comporter plus strictement encore que leurs condisciples de la forêt, isolés et soumis à de moin- dres exigences de la part de leurs soutiens laïcs. Les relations avec les autres et l’obligation d’enseigner étaient au cœur de la progression personnelle des moines des villes. La pierre de touche de la progres- sion des moines de la forêt était tout simplement la nature. Au Siam, la majorité des moines étaient citadins, même si dans les villes, y compris au temps de Luang Pou Wat Paknam3, le soutien aux moines s’était gran- 3 Les thaïs marquent leur respect et leur affection envers les moines en les appelant, en fonction de leur âge, Luang Pou (vénérable grand-père), Luang Pauw (vénérable père) ou 11 www.kalyanamitra.org

dement affaibli. En province et dans les forêts les moines vivaient souvent dans de meilleures condi- tions que leurs homologues des villes. Les moines des villes, en revanche, avaient bien plus d’opportunités de poursuivre leur éducation monastique et de rece- voir des titres officiels de reconnaissance. Depuis le déplacement de la capitale à Bang- kok4, sous le règne de Sa Majesté le roi Rama I5, l’éducation monastique avait été standardisée dans un système appelé Pahrean. Le programme d’éducation de la période d’Ayutthaya avait été intégré dans un cursus plus ambitieux, sanctionné par trois niveaux d’examens au cours desquels les moines devaient faire la preuve de leur capacité à traduire le Vinaya*, les Suttā* et les Réalités ultimes*. Sous le règne de Sa Majesté le roi Rama II6, le Su- prême Patriarche révisa de nouveau le système d’éducation afin de créer un cursus de neuf degrés7 sanctionnés par des examens annuels. Sous le règne de Sa Majesté le roi Rama III8, les exa- mens intégrèrent une épreuve orale durant laquelle les moines devaient prouver leur aptitude à traduire en Luang Pi (vénérable frère). Ce premier titre est ici suivi du nom du wat que dirigeait ce Vénérable. 4 En 1782. La précédente capitale était Ayutthaya, située à 88 km au nord de Bangkok. 5 Phrabuddha-yodfa-chulalok (R.1782-1809) 6 Phrabuddha-loetla-naphalai (R.1809-1824) 7 Le nombre 9 fut choisi en référence au nombre des types d’exposés utilisés dans les Suttā. 8 Nang Klao Chaoyuhua (R.1824-1851) 12 www.kalyanamitra.org

langue thaïe les manuscrits pāli*, alors conservés sur des feuilles de palmier. Pour réussir, le candidat n’avait pas droit à plus de deux erreurs. Le passage à traduire était choisi au hasard par le Suprême Patriar- che, chaque candidat recevant par conséquent un texte différent. Après avoir reçu le passage à traduire, le moine disposait de très peu de temps pour en prendre connaissance et surmonter sa nervosité avant d’entrer dans la salle d’examen. Là, il lui fallait traduire le manuscrit face aux examinateurs. A l’origine, le can- didat, quelque soit le niveau de l’examen, devait tra- duire trois feuilles (une feuille comportant en général dix lignes d’écriture) sans faire plus de deux erreurs. Plus tard, le nombre de feuilles fut réduit à un pour le premier degré et à deux pour les degrés suivants. Ce type d’examen correspondait parfaitement à la voie traditionnelle de délivrance des sermons : traduire et commenter un manuscrit face à l’assemblée des moi- nes. Les études monastiques devinrent plus institutionnel- les encore sous le règne de Sa Majesté le roi Rama V9 avec la construction de deux universités dédiées à l’étude des Ecritures, Mahamongkut (1893) et Maha- chulalongkorn (1911). Le système d’études écrites qui avait la faveur du roi Chulalongkorn et de la lignée réformée Thammayut10, introduit sur une petite 9 Chulalongkorn (R.1868-1910) 10 Sous l’égide du roi Mongkut (Rama IV – R.1851-1868) le Saṅgha siamois vit la création d’un nouvel ordre (nikāya), « Le gardien du Dhamma » (dhamma-yutika) ; la majorité des moines maintinrent toutefois leur appartenance à l’ordre ancien, « La grande lignée » (mahā-nikāya). 13 www.kalyanamitra.org

échelle à l’université Mahamongkut à partir des an- nées 1894-1900, n’était pas parvenu à gagner les fa- veurs de la majorité des moines de la lignée Mahani- kay qui préféraient les examens oraux tenus dans le temple du Grand Palais11. Il fallut attendre le règne de Sa Majesté le roi Rama VI12 pour que Son Altesse Royale le Prince Vajirañanavarorasa13, Suprême Pa- triarche, remplace le système d’examens oraux par des épreuves écrites standardisées ; à cette époque, Luang Pou Wat Paknam était encore étudiant au Wat Phra Chetuphon14. Dés lors, l’accent mis auparavant sur la technique birmane du développement du sens du texte à partir du sens de son titre et de quelques mots essentiels fut mis sur une traduction véritable faisant appel à la grammaire rédigée par le Prince Vajirañanavarorasa lui-même. La très forte croissance du nombre de diplômés dans le nouveau système permit au Saṅgha, institutionnali- sé15 par une loi de 1902, d’établir son influence sur tout le royaume jusqu’à ce que chaque monastère soit hiérarchiquement relié au Conseil des Anciens16. Les titres honorifiques et administratifs se multiplièrent ; 11 Wat Phra Kheo 12 Mahavajiravudh (R.1910-1925) 13 (1860-1921). Fils du roi Mongkut et demi-frère du roi Chulalongkorn, créateur du mode d’organisation du Saṅgha siamois, du système d’éducation monastique et de ses textes de références, tous encore en vigueur aujourd’hui. 14 Temple jouxtant le Wat Phra Kheo et le palais royal, il est également connu sous le nom de Wat Bodhi ou Wat Pho. 15 Le bouddhisme est, en Thaïlande, religion d’Etat. 16 Organe consultatif du Saṅgha. 14 www.kalyanamitra.org

de tels honneurs pouvaient paraître bien éloignés des idéaux ascétiques, mais il n’était guère possible de faire de la nation un pilier du bouddhisme sans hiérar- chie ; la hiérarchie et l’ancienneté monastiques per- mettaient d’agir plus efficacement. Au bas de la py- ramide des grades monastiques, des titres comme Phra Kru17 sanctionnaient une influence au sein du pouvoir religieux local. En haut de la hiérarchie, les titres étaient attribués par le monarque lui-même et tout moine recevant de tels titres acquérait la possibi- lité de jouer un rôle au delà de son propre temple, d’influencer la situation du bouddhisme au niveau de toute la nation. Les titres monastiques signifiaient par conséquent bien plus que la reconnaissance de la re- nommée d’un moine particulier, même s’ils étaient parfois compris ainsi. La tradition de la méditation* est, en Thaï- lande, aussi ancienne que le bouddhisme lui-même. A l’époque de Luang Pou Wat Paknam, il existait à la fois de multiples textes relatifs à la méditation rédigés en thaï et des maîtres capables de les expliquer. Tou- tes les techniques de méditation valables en ce temps présentaient cependant les mêmes inconvénients : elles avaient des résultats limités et quittaient fré- quemment la voie de la recherche de la sagesse expé- rimentée par le Bouddha pour s’égarer dans celle de la recherche de pouvoirs surnaturels. 17 Vénérable Maître ; Phra est un terme de respect que l’on peut traduire par « vénérable » ; Kru est issu du terme in- dien gourou, désignant un maître spirituel. 15 www.kalyanamitra.org

Des éléments de la technique de méditation Dham- makāya*, la technique ultérieurement redécouverte par Luang Pou Wat Paknam, étaient bien présents dans certaines formes de méditation pratiquées à cette époque, mais aucune de celles-ci ne permettait à sa- matha* de se développer naturellement en vipas- sanā* sans l’aide d’une conceptualisation. L’apport de Luang Pou Wat Paknam fut précisément de dédier sa vie à la renaissance de la méditation et, à travers elle, du bouddhisme en Thaïlande. Dans les vers : Tamo tamaparāyano Tamo jotiparāyano Joti tamaparāyano Joti jotiparāyano18 le Bouddha identifie quatre voies possibles s’ouvrant aux êtres nés dans notre monde. Certains êtres naissent de l’obscurité et y replongent. Par « obscurité », il faut entendre les conséquences des actes négatifs de leurs vies passées, conséquences auxquelles ils ne peuvent échapper qu’à l’issue de centaines de milliers de renaissances dans des plans d’existence* inférieurs19. Lorsqu’ils parviennent à 18 Saṅgīti-sutta (S/DĪG III/10/n°314) – tamo = l’obscurité, joti = la lumière, parāyano = ayant pour destinée. 19 Les textes canoniques reconnaissent l’existence de trente et un plans d’existence, dont quatre défavorables. L’existence humaine est, selon les termes du Bouddha, « une rare opportunité ». Aucune de ces existences n’est, ultimement, désirable, l’objectif du bouddhiste étant préci- sément de ne plus renaître. 16 www.kalyanamitra.org

renaître en tant qu’êtres humains, ils gaspillent cette rare opportunité et, faute d’accumuler des actes posi- tifs, ils retournent vers leurs anciens états. D’autres êtres émergent de l’obscurité pour rejoindre la lumière. Avec cette vie humaine, ils mettent un point final à leurs anciennes actions négatives et, ac- complissant uniquement des actions profitables, pro- gressent vers des plans d’existence élevés. D’autres encore quittent la lumière pour l’obscurité, comme le font par exemple ceux qui gaspillent leur renaissance humaine et n’utilisent leur force et leur intelligence que pour mieux exploiter ceux qui les entourent ; le kamma* négatif qu’ils accumulent ainsi les fait renaître dans des plans d’existence inférieurs pour des centaines de milliers de vies. D’autres enfin, le petit nombre de ceux qui compren- nent le fonctionnement du cycle des existences*, nais- sent, meurent et renaissent sans quitter la lumière. A la croisée des chemins représentée par une naissance humaine, ils utilisent le poids des actes profitables qu’ils ont accumulés durant un nombre immense de vies pour se rapprocher du nibbāna* et cesser en fin de renaître. Luang Pou Wat Paknam appartenait à cette catégorie- là, lui dont la vie jamais ne dévia de la recherche de la perfection. Dés la naissance, personne n’échappe à la question du sens de son existence ; tôt ou tard, chacun s’interroge : « pourquoi suis-je né ? ». Nombre de personnes répondent avec désinvolture qu’ils sont nés pour gagner confortablement leur vie 17 www.kalyanamitra.org

et prendre soin de leur famille, pour avoir autant d’enfants qu’il sera nécessaire pour consolider l’héritage familial. D’autres sont nettement moins scrupuleux et peu re- gardants sur la façon de gagner leu vie. Ils évoluent au milieu de ceux qui évitent de fréquenter les temples. En règle générale, lorsqu’ils pénètrent dans un temple, il est déjà trop tard : c’est qu’ils y sont transportés pour leur crémation. D’autres encore s’efforcent de réussir à la fois au bé- néfice de cette vie et de la suivante. Ils accumulent des richesses pour eux-mêmes et pour leur famille mais en font également bénéficier la communauté des moines. Ils fréquentent les temples, respectent les Préceptes* bouddhistes de base et pratiquent la médi- tation enseignée par les moines. Ils entrent dans la vie monastique pour la durée d’une saison des pluies20, comme une contribution à leur propre progression et comme une façon de montrer de la gratitude envers les parents qui leur ont donné la vie et les ont élevés. Quelques uns n’accomplissent des actions profitables que durant une partie de leur existence. Certains du- rant leur jeunesse, en entrant au temple pour servir les moines et étudier le bouddhisme ; d’autres durant leur âge mur, passant leur enfance et leur vieillesse à dor- 20 La pratique de l’ordination temporaire est une caractéris- tique du bouddhisme thaï. Avant d’entrer dans la vie active et de fonder une famille, il est bien vu que les jeunes gens fassent l’expérience de la vie monastique ; cette expérience peut être renouvelée à tous les âges. La période adéquate est celle de la saison des pluies, trois mois durant lesquels les moines se retirent dans les temples. 18 www.kalyanamitra.org

mir, manger et boire ; d’autres encore ne s’éveillent qu’avec la vieillesse et la maladie aux valeurs de la vie et de la religion mais ils n’ont plus grand-chose à apporter à celle-ci ; ils lui demandent son soutien au lieu de lui apporter le leur. Il existe, en revanche, quelques êtres rares, nés avec la vocation de mettre fin aux fermentations mentales*, qui décident que cette existence-ci sera la dernière. Ils entrent au temple à un âge précoce, écartant la vie de famille, consacrant leur existence à promouvoir le bouddhisme et à progresser dans les pas du Bouddha. Ces moines-là sont ordonnés pour la vie et non pour une courte période. Luang Pou Wat Paknam était l’un de ces êtres. 19 www.kalyanamitra.org

20 www.kalyanamitra.org

Une vie simple Ils sont nés pour chercher des joyaux… mais, lorsqu’ils les trouvent, ils les gaspillent ! Les désirs insatiables nous trompent, l’illusion nous induit en erreur et prend au piège nos esprits agités et perturbés. Mettez fin à la soif du désir, échappez à l’illusion, retirez-vous de la sensualité, suivez le triple khandha*, accomplissez les seize tâches*, jusqu’à ce que la souffrance* ne vous atteigne plus. Vous pouvez appeler cela le nibbāna*. Phramongkolthepmuni21 Cette nuit de septembre 1914 est une nuit de pleine lune ; sa face claire est suspendue, immobile, dans un décor d’étoiles étincelantes. La surface bril- lante d’un cours d’eau est doucement troublée par la brise nocturne et les rides capturent l’image de la lune qu’elles poussent vers la digue du canal. En ce début de soirée, dans les environs de Bangkok, la pluie vient tout juste de cesser ; les gouttes restent suspendues 21 Phramongkolthepmuni fut le dernier titre monastique de Luang Pou Wat Paknam. 21 www.kalyanamitra.org

aux feuilles comme de précieuses larmes scintillant à la lumière de l’astre nocturne. Tout est calme au sein du Wat Bangkuvieng22, hormis le grincement des criquets et le chant des insectes. Les sons de l’extérieur du temple y sont apportés par la brise, tout comme la chaude odeur du sol détrempé. Un rayon de lune traverse la fenêtre du bâtiment prin- cipal, illuminant une gigantesque statue du Bouddha en position de méditation profonde. Un moine se tient seul face au Bouddha, immobile, assis dans la posture de la statue, méditant. Bien qu’il soit assis là depuis longtemps, son corps demeure parfaitement droit. La lune s’élève lentement vers son zénith, toujours plus lumineuse. Le moine, vêtu d’une robe jaune, est âgé d’une trentaine d’années. Son front dénote une détermination, une intelligence et une force de caractère peu communes. Un courant d’air traverse le hall et rabat le coin de sa robe. A ce moment, le moine expire très profondément. Un demi-sourire apparaît sur son visage épanoui, tandis qu’il murmure pour lui-même : Ah ! Comme c’est difficile ! Voilà pourquoi personne n’y parvient. Les sensations, les sou- venirs, les pensées, la connaissance : tout cela doit être concentré en un seul point. Une fois l’esprit apaisé, il cesse d’être. Une fois qu’il a cessé d’être, le nouveau peut naître. Ce murmure s’éteint aussi vite qu’il est apparu. Pour un méditant, le ravissement* est l’ennemi du succès. 22 Dans la province de Nonthaburi. 22 www.kalyanamitra.org

Il doit être très attentif à ce point. Même pour ce moine pratiquant la méditation depuis plus de dix ans, il est difficile de contenir le ravissement né de l’accomplissement. Il referme ses yeux en silence. Sans cesse, ce soir, il revit sa découverte, revenant sur sa méditation et la poursuivant, la poursuivant et re- venant sur elle. L’expérience de ce jour est le point culminant de onze années de piété et de culture men- tale*. Nombre de grandes personnalités spirituelles sont nées pauvres, dans des villages éloignés : la na- ture y favorise l’harmonie avec l’univers et peut conduire les êtres à se poser les questions ultimes de l’existence. Ce vendredi 10 octobre 1885, dans le village de Songpinong, dans la province thaïlandaise de Supan- buri, Sodh Mikaewnoi est simplement un petit être sans défense qui vient au monde. Sa naissance ne dif- fère de celle des autres enfants que sur un seul point : lorsqu’il apparait, Sodh Mikaewnoi ne pleure pas. Pas même un soupir ne passe ses lèvres ; sans doute parce qu’il est né pour sécher les larmes de l’humanité… La demeure familiale se situe au nord de la commune de Songpinong. La maison est placée sur un curieux bout de terrain en forme de feuille de lotus, entouré d’eau de tous côtés, situé au sud du temple de Song- pinong, de l’autre côté du canal. Son père s’appelle Ngeun et sa mère Sutjaï. C’est le commerce du riz qui apporte à sa famille une certaine renommée dans la région desservie par le canal de Songpinong : la famille possède deux grandes barges 23 www.kalyanamitra.org

à riz et emploie plusieurs membres d’équipage. Deux ou trois fois par mois, le riz est convoyé entre Song- pinong et Rong Si, Bangkok ou Nakorn Chaisri. La bonne réputation de la famille Mikaewnoi est la clef de ses succès commerciaux : le marchand de riz de Songpinong leur fait d’ailleurs crédit, acceptant de n’être payé qu’au retour des barges. Sodh Mikaewnoi est le second d’une fratrie de cinq, avec une sœur aînée, Dha, et trois jeunes frères, Saï, Phouk et Samruan. Lorsqu’on l’interrogeait, Dha se souvenait que depuis sa plus tendre enfance Sodh Mikaewnoi avait été un enfant intelligent : lorsque Luang Pou Wat Paknam était encore dans son plus jeune âge, il était toujours en éveil et intéressé par ce qui l’environnait. Un jour, par exemple, il put apprendre l’origine du mensonge. La bonne d’enfant, le portant sur la han- che, l’avait conduit au-delà de l’auvent de la maison ; dressant la tête, il montrait la lune et gazouillait : « heu, heu… ». La bonne, voyant le geste de l’enfant et comprenant qu’il réclamait la lune, le taquina : « oh ! Tu veux la lune, c’est ça ? Attends une se- conde, je vais la faire descendre pour toi ». Le bébé entendit la réponse de la bonne et comprit en un ins- tant à quoi ressemble un mensonge, ce que signifie faire une promesse que l’on sait ne pas pouvoir tenir. C’était une habitude pour les proches parentes que de se saisir des bébés pour les câliner. Conséquence, peut-être, de multiples existences antérieures vécues en tant que moine, Sodh, même tout jeune, n’appréciait pas d’être pris dans les bras des femmes. 24 www.kalyanamitra.org

Il avait une manière bien à lui d’exprimer son déplai- sir d’être ainsi manipulé : chaque fois qu’une femme voulait se saisir de lui, Sodh attrapait un coin de son chemisier et refusait de le lâcher jusqu’à ce qu’on le laisse. Au début, la protestation de l’enfant prit les gens par surprise. Nombreuses furent celles qui, ten- tant de porter l’enfant sur leur hanche, se retrouvèrent, bien gênées, à moitié déshabillées ! Un jour, il devait avoir un an, Sodh commença à pleu- rer pour avoir des gâteaux, tout en réclamant sa mère. La personne qui s’occupait de lui essaya de le ré- conforter en lui expliquant que sa mère était partie travailler dans les champs. Cela provoqua l’arrêt im- médiat des pleurs. Sa maman, comprit-il, devait aller travailler dans les champs ; cela signifiait qu’il était né dans une famille pauvre. A compter de ce jour, jamais plus il ne pleura pour demander des gâteaux. En grandissant, il montra qu’il était un enfant très déterminé : quoi qu’il ait décidé d’achever, il persévé- rait toujours jusqu’au moment où son but était plei- nement atteint. Il avait l’habitude d’aider sa mère à garder les bœufs et, malgré son âge et sa taille, il se lançait sans crainte au milieu des troupeaux voisins pour aller récupérer ses bœufs, quel que soit le lieu où ils avaient pu vagabonder. L’obscurité était souvent tombée avant qu’il n’ait achevé sa quête, ramenant les bœufs dans le noir. Jamais il n’aurait accepté de reve- nir les mains vides. Une fois sa tâche achevée, il pou- vait rentrer, triomphant, sur le dos d’un buffle, diri- geant, tout en chantant, l’animal vers son abri. Comme la responsabilité, la compassion faisait éga- lement partie du caractère inné de Sodh Mikaewnoi. 25 www.kalyanamitra.org

Une autre de ses tâches quotidiennes consistait à aider chaque matin ses parents à labourer les champs. Lors- que l’on s’approchait de onze heures, il contemplait le ciel pour repérer la position du soleil et déterminer l’heure exacte. Comme la nouvelle génération n’était plus aussi assidue dans l’accomplissement de ses tâ- ches, sa sœur le réprimandait souvent, l’accusant de guetter le moment de la pause. Et pourtant, les anciens savaient que telle n’était pas la pensée de l’enfant, qu’il n’avait à l’esprit que le vieux proverbe : « onze heure tue les buffles ». Pour lui, comme pour l’ancienne génération, il était d’une impensable cruau- té, pour un animal, que d’être encore au labour au moment où le son du tambour marquait les onze heu- res. Il avait pour principe de ne pas s’occuper de ce que disaient les autres. S’il voyait que les bœufs avaient trop travaillé et montraient des signes de fati- gue, il les conduisait au bain avant de les mener paî- tre. Ayant grandi, il commença à voyager avec son père, l’aidant à faire avancer la barge. C’est ainsi qu’il travailla avec ses parents jusqu’à l’âge de neuf ans. Un jour, la barge passa devant une maison des es- prits23, comme il en existe tant à travers tout le pays. La renommée faisait de ce petit édifice-là un lieu sa- 23 Appartenant aux cultures prébouddhiques, ces répliques miniatures de maisons ou de temples peuvent servir d’habitat aux esprits, les phi, ce qui les dissuade de venir hanter les demeures des humains et permet éventuellement d’obtenir leur aide ou leur non hostilité dans la vie quoti- dienne. 26 www.kalyanamitra.org

cré et toute personne passant à proximité devait y dé- poser une offrande ou, au minimum, lui marquer son respect24. Sodh pensa en lui-même que tout cela n’avait rien à voir avec le Bouddha, le Dhamma* ou le Saṅgha*, que tout cela était étranger aux Trois joyaux*. « Pourquoi les gens se croient-ils obligés de présenter leurs respects à cette maison des esprits ? », pensa-t-il, « quoi que les autres puissent en penser, je ne serai certainement pas de ceux qui rendent un tel hommage ». Un tel discernement est rare chez la plu- part des enfants ; et dans le cas de Sodh Mikaewnoi, il est intéressant de noter qu’il était déjà ancré dans sa certitude, bien avant d’avoir compris la signification réelle des Trois joyaux. Quand Sodh atteignit l’âge de neuf ans, il eut la chance de commencer son éducation scolaire après que son oncle soit devenu un bhikkhu*, c'est-à-dire un moine. La mère de Sodh l’envoya étudier auprès de son oncle, de l’autre côté du canal, au Wat Songpi- nong. En ce temps-là, avant la mise en place des éco- les publiques, les bhikkhū étaient les seuls ensei- gnants. La coutume voulait qu’un bhikkhu ne réside pas trop longtemps au même endroit ; de ce fait, après quel- ques mois seulement, son oncle se déplaça vers un autre temple ; et Sodh le suivit. Le bhikkhu se déplaça encore et s’installa dans un temple de Thonburi, de l’autre côté de la rivière25 qui borde Bangkok ; mais, 24 En se prosternant légèrement, les deux mains jointes. 25 La Mae Nam Chao Phraya. 27 www.kalyanamitra.org

parce que ce temple se situait à une trop grande dis- tance de son village natal, le jeune garçon ne put le suivre cette fois-ci. A la place, il fut envoyé au Wat Bangpla, à Banglain, dans la province de Nakorn Pa- thom (le berceau de sa famille paternelle), où il étudia avec assiduité le Thaï et le Khom26, sous la tutelle de Phra Ajahn27 Sap. Luang Pou était un véritable autodidacte et n’avait guère besoin d’apprendre de qui que ce soit. Une telle aptitude ne s’acquiert pas en une seule vie : elle est le fruit visible d’une recherche de la sagesse poursuivie à travers de multiples existences. C’est ce même don qui lui permit bien plus tard de redécouvrir Vijjā* Dhammakāya*, perdu depuis plus de deux millénai- res, sans instruction et sans instructeur ; et, mirabile dictu, d’instruire et d’initier les autres à Vijjā Dham- makāya, le sentier de la pratique menant à la sagesse du Bouddha. Sodh avait quatorze ans lorsque son père mou- rut. Dés que la nouvelle lui parvint, il quitta Banglain pour retourner à Songpinong. En tant que fils aîné, la conduite des affaires et le soutien de sa mère comme de sa famille retombèrent sur ses jeunes épaules. Ce- 26 Langue des habitants de l’ancien empire khmer, dont l’influence s’était étendue jusqu’au pays des thaïs ; nombre de textes religieux utilisaient cette langue ou seulement son alphabet. 27 Le titre d’Ajahn (Ajaan, Acharn) provient du pāli ācariya signifiant « enseignant » ; il est généralement porté en Thaï- lande par les moines de la Tradition de la Forêt ayant une ancienneté minimale de dix ans. 28 www.kalyanamitra.org

pendant, la sagesse de Sodh, la sûreté de son jugement et de sa direction lui permirent très vite de gagner l’amitié et le respect de ses proches comme de ses employés. Un jour que son bateau était ancré à Bangkok, un em- ployé de son beau-frère déroba un millier de bahts28. Sodh se rendit au poste de police et, en bateau, avec les policiers, poursuivit son voleur durant toute la nuit ; apercevant soudain le voleur à la fenêtre d’une maison, il en informa l’officier mais, avant que le bateau ne puisse être amarré, le voleur s’échappa. Ayant noté que l’homme laissait des traces de pieds humides, Sodh dit à la police d’attendre tandis qu’il se lançait à sa poursuite. Il découvrit le fugitif caché derrière une meule de foin. En voyant Sodh, le voleur plongea dans la paille. La police les ayant rejoints, le voleur fut tiré de là et menotté. Ils parvinrent à retrou- ver chaque baht. Sodh était toujours avide de progrès, ne se satisfaisant jamais de son niveau de développement. Il voulait imiter le succès des autres et intégrer leurs vertueuses qualités. Si le succès d’un proche ou d’un compagnon dépassait le sien, il le félicitait très chaleureusement et tentait de voir quelles leçons il pourrait en tirer. La jalousie ne faisait pas partie de la mentalité de Sodh. A l’inverse, si des personnes traversaient une période difficile, il disait de leur style de vie qu’il s’agissait d’une « vie de poulet » et tentait de leur prodiguer des conseils sur la meilleure façon de conduire leur vie. 28 La monnaie thaïlandaise est le baht. 29 www.kalyanamitra.org

Le sérieux de Sodh lui apporta la fortune. Ses affaires prospéraient et ses finances augmentaient. Pourtant, le château de sable de la richesse montra un jour sa fragilité. Sodh, alors âgé de dix-huit ans, ayant sur lui les gains d’une pleine cargaison de riz, remontait la rivière avec deux grandes barges vides. Le cours d’eau était à la fois entrecoupé de rapides et infesté de pirates. Lors- que le niveau de la rivière était au plus haut, les bar- ges étaient contraintes de faire un détour par le canal de Bang Ee Taen, un nid notoire de pirates, un pas- sage étroit redouté par les marins. Rapides et étroi- tesse du canal, se dit-il, c’est là que les pires bandits ont leur repaire. Seuls quelques bateaux parvenaient à franchir Bang Ee Taen sans être dévalisés. D’habitude, on se regroupait pour constituer un convoi plus sûr. Mais ce jour-là, le bateau de Sodh était le seul en vue. Alors qu’il pénétrait dans la cri- que, les premières craintes l’agitèrent. L’ombre de la mort dansa devant ses yeux. Sodh ordonna à son équipage de prendre position, en manœuvrant la barge depuis l’arrière. Sodh connaissait la stratégie des pira- tes. Ils allaient s’en prendre en premier au capitaine ou au barreur. S’il se cachait à la proue du bateau, il pourrait augmenter ses chances de survie. Sodh avait un fusil. Il l’arma et se glissa vers l’avant, tandis que le bateau s’enfonçait dans la zone la plus éloignée du canal. Il prit les rames, mais fut tourmenté par la culpabilité : « tous ces marins que j’emploie pour s’occuper de cette misérable barge gagnent dix ou onze bahts par mois. Pourquoi devraient-ils être les premiers à mourir alors que moi j’en suis le proprié- 30 www.kalyanamitra.org

taire ? Si un désastre se produit, il faut avant tout pen- ser à leur vie parce qu’ils ont des femmes et des en- fants à nourrir ». Il demanda à l’équipage de venir ramer à l’avant et partit s’installer à la barre avec le fusil sur ses genoux. Dans l’intervalle, par chance, le bateau avait avancé et s’était rapproché de l’embouchure du canal, où étaient ancrées de nom- breuses barges attendant de franchir l’écluse. Les em- barcations étaient si rapprochées que personne ne pouvait plus avancer, et les marchands s’appelaient les uns les autres. Le risque d’une attaque avait dispa- ru. Même si tout s’était finalement passé sans dommage, l’épisode lui laissa un profond sentiment de tristesse pour ses fidèles marins, contraints de traverser de tel- les épreuves dans le seul but de gagner leur maigre paye quotidienne : « mon père n’a-t-il pas navigué sur la même rivière avec les mêmes marchandises et les mêmes dangers ? N’est-il pas tombé mortellement malade justement au cours d’un tel voyage ? Ne dois- je pas apprendre de la vie quelque chose de plus que lui ? Ne peut-on s’extraire un instant des obligations de la vie quotidienne pour faire une pause et savourer l’existence ? La société méprise-t-elle à ce point l’homme en situation d’échec qu’elle l’écarte jusqu’à ce qu’il devienne riche ? La richesse matérielle est si bien intégrée à nos valeurs qu’elle n’a plus ni début ni fin. Tous ceux qui se sont lancés avant moi dans la recherche de valeurs matérielles sont morts depuis longtemps – et se portent-ils mieux dans leur tombe grâce à leurs richesses ? Tous sont morts. Mon père 31 www.kalyanamitra.org

est mort. Je serai mort, moi aussi, dans un futur pas si lointain… » 32 www.kalyanamitra.org

L’ordination La majorité des êtres humains ont les yeux clos ; ils sont en permanence endormis. Si les êtres humains pouvaient atteindre Dhammakāya, ils s’éveilleraient. Mais, s’ils n’atteignent pas Dhammakāya, s’ils ne peuvent faire qu’un avec Dhammakāya ils sont condamnés à dormir éternellement. Phramongkolthepmuni Ayant échappé au danger, Sodh resta sou- cieux, son sang était glacé. Il se sentait si troublé qu’il s’allongea à l’arrière de la barge et s’imagina mort, son esprit désincarné errant à la recherche de ses aïeux décédés et des proches qu’il avait aimés ; mais ceux-ci l’ignoraient car ils ne le voyaient pas : il n’était qu’un fantôme. Il prit de la terre et des brindil- les qu’il leur jeta, mais, ne pouvant voir l’auteur de ces jets, ils crurent avoir affaire à un esprit de la forêt. Tandis qu’il errait ainsi en quête de ses proches, nul ne pouvait le voir ou nul ne lui portait un quelconque intérêt. Le spectre de la mort inévitable le força à examiner les possibilités qui s’ouvraient à lui : 33 www.kalyanamitra.org

Je suis ici. Je ne sais même pas si je serai en- core là demain pour voir le lever du soleil. Et pourtant, comme les autres, je continue à m’agiter pour des richesses éphémères. Sur mon lit de mort, même le plus proche parent, le meilleur ami, ne pourront que m’assister en vain. C’est seul que l’on doit poursuivre sa des- tinée. Il alluma trois bâtonnets d’encens, les serra entre les paumes de ses mains et formula le vœu suivant, son cœur empli de détermination : Que je ne meure pas maintenant ! Que je puisse au moins mourir vêtu de la robe orange. Si je parviens à être ordonné, je resterai moine jus- qu’à la fin de mes jours ! Ce jour-là, il avait échappé, sans dommage, au dan- ger, mais le vœu qu’il avait formulé ne devait plus quitter son esprit. Au début, il garda ses intentions pour lui-même29. Puis il commença à discuter de ses plans. Il envisa- geait d’être ordonné mais ne pouvait négliger sa res- ponsabilité de soutien de famille. Il lui fallait laisser à celle-ci suffisamment de biens pour qu’elle puisse à l’avenir subsister sans son assistance. Il calcula le taux prévisible de l’inflation à l’aide de l’indicateur le plus sûr : l’augmentation du prix des bananes ! Il se mit au travail avec ardeur, dans le but d’accumuler 29 Nous connaissons ces intentions parce qu’elles furent couchées par écrit et retrouvées dans ses archives personnel- les. 34 www.kalyanamitra.org

sans délai une richesse suffisante pour permettre à sa mère et aux siens de subvenir eux-mêmes à leurs pro- pres besoins, pour le reste de leur vie. Six mois plus tard, en 1903, il chargea ses barges de sacs de riz pour la dernière fois. Il dit à l’équipage de faire le voyage à Bangkok à sa place. Et il confia au plus fiable de ses employés le soin de gérer le commerce du riz. Sodh quitta le quai en homme libre et entra au Wat Songpinong en tant que novice, ou nag30. Il étudia avec Phra Palad « Yang31 », le Vénérable du temple, afin de se préparer à l’ordination. Sodh étudia avec diligences les stances devant être récitées durant l’ordination et l’abrégé de discipline* des moines. En juillet 1903, avec sept autres postulants, Sodh reçut l’ordination au Wat Songpinong et le nom monastique de Candasaro32 bhikkhu. Peu avant l’ordination, quel- qu’un avait été envoyé au Wat Pratusarn, dans la pro- vince de Suphanburi, afin d’inviter Phra Ajahn « Dee » à être le précepteur de Candasaro. Phra Kru 30 Selon la tradition, un nāga, serpent mythique, s’était pré- senté au Bouddha sous la forme d’un être humain pour re- cevoir l’ordination ; la supercherie découverte, il fut expulsé mais demanda s’il pouvait néanmoins faire une offrande au Bouddha ; sa requête fut acceptée et depuis cet événement les candidats à l’ordination sont appelés nāgā (nag). 31 En plus de leur nom et de leur prénom, les thaïs se voient attribuer un surnom simple, couramment et familièrement employé. Nous le plaçons entre parenthèses lors de sa pre- mière occurrence. 32 Le mot pāli candasaro signifie « celui qui rayonne comme la lune ». 35 www.kalyanamitra.org

Vinyanuyok (Nieng Indajoto) était son kammavā- cāriya* et Phra Ajahn « Nong » Indasuvaṇṇo était son anusāvanācāriya*. Tous deux résidaient au Wat Songpinong. Candasaro bhikkhu débuta son apprentissage dés le lendemain de son ordination. Il commença à étudier les textes pāli*. Il mémorisa les récitations rituelles et le Pātimokkha*. A l’inverse de nombreux moines, il étudiait sérieusement à la fois la méditation et les tex- tes. Phra Ajahn Nong fut son premier maître. Durant sa première retraite de la saison des pluies (vassa) au temple, il apprit les termes pāli par cœur jusqu’au mot avijjā-paccaya*. Eprouvant de la curio- sité pour ce mot, il en demanda le sens à un moine qui avait été ordonné depuis trois saisons33 ; mais il se vit répondre : Frère, ici nous ne traduisons pas les textes, nous ne faisons que les réciter. Si tu veux en savoir plus, il faut que tu ailles étudier à Bang- kok. Il retourna à sa chambre, rendu perplexe par le man- que de connaissance textuelle des bhikkhū. Sept mois après son ordination, Candasaro prit la décision d’aller poursuivre sa formation dans la capitale. Pour autant, les études textuelles n’étaient pas pour lui une fin en soi mais un moyen, celui qui permet de mieux maîtriser la connaissance du Bouddha acquise par la méditation. Il emprunta au Wat Songpinong un exem- 33 L’ancienneté des moines se calcule en nombre de vassā. 36 www.kalyanamitra.org

plaire du Mahāsatipaṭṭhāna-sutta34 avec l’intention, une fois capable de traduire couramment ce texte, d’interrompre ses études scripturales à Bangkok pour se consacrer entièrement à la méditation. Il sollicita de sa mère la permission de se rendre dans la capitale. Elle n’accueillit pas cette idée avec en- thousiasme mais il parvint finalement à la persuader. Il lui demanda de lui fournir tout ce qui était néces- saire à son voyage, mais il se promit de ne plus jamais exiger d’elle un tel soutien. A la fin de la saison des pluies, les moines étant de nouveaux autorisés à se déplacer, Candasaro bhikkhu quitta le Wat Songpinong pour rejoindre le Wat Chetuphon de Bangkok. Là, il se consacra à l’étude du Vinaya*, le recueil des règles de discipline monastique. Son frère Phouk l’accompagna à Bangkok, lui aussi pour étudier et pratiquer le bouddhisme. Une nuit − il était moine depuis quatre années −, Candasaro eut une vision. Un homme mystérieux lui apparut et lui offrit une coupe remplie de sable. Il en prit une pincée. Son frère, lui, en prit deux pleines poignées. Quelques jours après cette vision, Candasaro tomba soudaine- ment malade et fut déplacé vers un autre temple pour y recevoir des soins. Au début, son frère, âgé de dix- huit ans, prit soin de lui ; mais, en peu de temps, il tomba lui aussi gravement malade. Candasaro se réta- 34 Le « Grand sutta sur l’établissement de l’attention » (S/DĪG II/9/n°402), l’un des principaux exposés du Boudd- ha sur la méditation. 37 www.kalyanamitra.org

blit bientôt. Dés qu’il eut surmonté la maladie, il s’empressa de ramener son frère au Wat Songpinong pour y être soigné. Mais le jeune homme ne recouvra pas la santé et mourut peu de temps après. A l’issue de la crémation, c’est donc seul que Candasaro re- tourna au Wat Chetuphon. Séjourner au Wat Chetuphon était pour Candasaro bhikkhu la source de multiples difficultés, celles-ci risquant de le distraire dans ses études. En particulier, la nourriture était insuffisante pour alimenter tous les moines. Certains jours, son alimentation pouvait consister en une simple orange. D’autres jours, il pouvait ne recevoir absolument aucune nourriture. La première fois que Candasaro bhikkhu sortit pour sa tournée d’aumônes35, il revint avec un bol vide. Le second jour ne fut pas différent. Il s’en étonna : Lorsqu’un homme a sacrifié tous les plaisirs mondains pour pratiquer les Préceptes* et per- pétuer le bouddhisme, est-il donc condamné à mourir de faim pour sa cause ? Des pensées funestes envahirent son esprit mais ne parvinrent pas à le bouleverser. Il pensa : Au moins, si je dois mourir de faim à cause de la dureté de cœur de ces citadins, je serai un martyr suscitant leur pitié au point que le reste 35 Un bhikkhu accomplit chaque matin une tournée d’aumônes à l’extérieur du temple. Il ne peut en effet se nourrir, se vêtir, s’abriter, se soigner qu’avec les dons des fidèles. 38 www.kalyanamitra.org

de mes condisciples pourra à l’avenir obtenir une nourriture suffisante. Le troisième jour, il reprit sa tournée d’aumônes. Cette fois-ci, il reçut une pleine louche de riz et une banane. Affaibli et épuisé par son jeûne de deux jours, Candasaro bhikkhu retourna à sa chambre. Ce jour-là, il s’assit sur le seuil pour prendre son repas. Tandis qu’il pensait à sa nourriture, un chien errant, un bâtard galeux, passa à portée de vue, si émacié que ses os semblaient pouvoir transpercer sa peau. Il n’avait vi- siblement, lui non plus, pas mangé depuis plusieurs jours. Ce jour pouvait d’ailleurs être son dernier. Candasaro jeta au chien le résultat des aumônes et fit le vœu solennel : Par le pouvoir de cette générosité, face à une telle adversité, puisse la faim ne plus jamais croiser ma route. Grâce à la pureté de mes Pré- ceptes et à ces mots pleins de vérité, puissé-je ne jamais revenir d’une tournée d’aumônes avec un bol vide. Alors seulement il se préoccupa des aliments : bien que le chien soit maigre et qu’il n’ait probablement rien mangé depuis des jours, celui-ci n’avait avalé que le riz et avait délaissé la banane. Quelque peu consterné, Candasaro pensa à récupérer la banane, mais se rappela qu’un bhikkhu n’a pas le droit de reprendre quelque chose qu’il a déjà aban- donné. Il n’était donc pas correct d’agir ainsi, sauf si, bien entendu, quelqu’un lui offrait de nouveau, les mains jointes, comme le veut la coutume. Malheureu- sement, personne n’apparut. 39 www.kalyanamitra.org

A compter de ce jour, en tout cas, grâce la pureté de ses Préceptes et à sa rectitude, jamais plus Candasaro ne revint le bol vide de ses tournées d’aumônes. Il obtenait même assez de nourriture pour pouvoir la partager avec ses fidèles condisciples. Candasaro réfléchit aux difficultés que lui-même et les autres moines rencontraient par manque de nourri- ture. Cela le conduisit à formuler également le vœu suivant : Un jour, lorsque je recevrai un soutien suffisant de la part de donateurs, je construirai une cui- sine afin que la communauté monastique puisse mobiliser son énergie pour l’étude des textes et la méditation, sans avoir à se préoccuper de son prochain repas ! Dix années devaient s’écouler avant que ce souhait ne devienne réalité. 40 www.kalyanamitra.org

L’étude des textes L’éducation peut changer en bien toute l’existence de l’étudiant − la connaissance est un héritage royal − ; accessible à l’homme ordinaire, c’est un bienfait pour toute la vie. Phramongkolthepmuni En ce temps-là, l’éducation des moines et des novices commençait par la mémorisation des suttā* dans leur langue originelle, le pāli*. Une fois cet ap- prentissage acquis, les moines devaient mémoriser la grammaire des textes canoniques, c'est-à-dire princi- palement les mots racines (mūlakaccāyanā) en pro- gressant à partir de leur combinaison. Candasaro poursuivit ses études scripturales en respectant ce programme, prolongeant l’étude des racines par celle des noms (nāmā), des dérivés secondaires (taddhitā), des indéclinables (ākhayātā) et des dérivés primaires (kitā). A cette condition seulement les moines pou- vaient réellement commencer l’étude des textes cano- niques. 41 www.kalyanamitra.org

Candasaro mémorisa donc les ouvrages de base et commença à étudier son premier texte, le Dhammapada36. Lorsqu’il eut fini d’étudier la se- conde partie du Dhammapada, il en étudia la première partie. A cette époque, en effet, les textes ne se pré- sentaient pas sous forme de livres, mais étaient rédi- gés, en lettres de l’alphabet khom, sur des feuilles de palmier. Les étudiants n’abordaient pas les textes dans l’ordre des pages mais prenaient les chapitres au ha- sard parce que les manuscrits sur feuilles de palmier se présentaient sous forme de feuillets séparés. En fonction de la disponibilité des recueils, certains étu- diants lisaient donc le Dhammapada à partir de ses premiers chapitres, d’autres à partir des derniers. Une autre conséquence de l’utilisation de ces parche- mins était que plus le nombre d’étudiants assistant à un cours était important, plus le nombre de manuscrits qu’il devait apporter était imposant. En effet, si un étudiant suivait individuellement les instructions d’un maître, il n’avait besoin que de ses propres textes (ceux qu’il avait choisis). En revanche, s’il y avait dix étudiants dans un cours, chacun devait apporter non seulement ses propres volumes de textes mais égale- ment ceux choisis par les autres étudiants. Une large assistance aux cours se traduisait donc pour l’étudiant par l’augmentation du poids des manuscrits ! Canda- saro se mit à étudier deux autres textes très populaires parmi les moines de son temps, le Maṅgaladīpanī et le 36 « Les stances du Dhamma » (S/KHU II/20/n°277-279) ; sa forme poétique et vivante en fit l’un des ouvrages cano- niques les plus répandus. 42 www.kalyanamitra.org

Sārasaṅgaha37 ; il les maîtrisa si bien qu’il fut capable de les enseigner aux autres. La vie académique était loin d’être facile. Les étu- diants devaient tout d’abord se mettre à la recherche d’un enseignant. Les leçons n’étant pas prodiguées dans une salle mais dans les quartiers du maître, si celui-ci résidait dans un temple éloigné, cela contrai- gnait les étudiants à parcourir chaque jour de longues distances. Après son petit déjeuner, Candasaro, par- tant du Wat Chetuphon, devait traverser la rivière pour rejoindre le Wat Arun (Wat Rajavaram). A onze heures, il devait être revenu au Wat Chetuphon pour le repas. Dans l’après-midi, il devait assister à un cours au Wat Mahathat. Pour les cours suivants, il devait parfois voyager jusqu’au Wat Suthat, parfois même jusqu’au Wat Samphleum. Le soir, enfin, il devait assister à son dernier cours dans son propre temple, le Wat Chetuphon. Heureusement, ce pro- gramme n’était pas quotidien ! Sans se préoccuper des distances, ni du poids des ma- nuscrits, ni de la fatigue qu’il pouvait éprouver, Can- dasaro ne manquait jamais un cours. Ses manuscrits sur l’épaule, il était un passager très assidu du ferry qui traverse la rivière Chao Phraya depuis la jetée du Pont du Paon jusqu’au Wat Arun, au point que même le responsable de la jetée avait remarqué sa persévé- rance dans les études. Cette persévérance avait aussi conforté la foi de plusieurs passagers réguliers du 37 Deux anthologies, datant respectivement du XIIIe et du XVIe siècle, utilisées pour l’éducation des moines thaïs et laos. 43 www.kalyanamitra.org

ferry. Nombreux furent ceux qui l’invitèrent chaque matin à recevoir leurs aumônes. D’autres lui offrirent de payer ses dépenses quotidiennes. Le plus généreux de ses donateurs était un colporteur nommé Nuam qui entreprit de lui fournir chaque jour son petit déjeuner et son déjeuner. Durant des années, Candasaro visita ainsi diverses écoles afin d’étudier les textes. De plus en plus de gens étaient inspirés par son assiduité et tentaient de trouver des moyens de l’aider. La nourriture du moine s’améliora grandement. Le soutien dont il bénéficiait était si important que Candasaro parvint à établir son propre centre d’études textuelles au Wat Phra Chetu- phon, en utilisant ses propres quartiers comme salle de cours. Il invita Phra Mahapee Vasuttamo, un talen- tueux moine du cinquième niveau38 qui, en tant que professeur permanent, avait suivi le Vénérable Som- dej39 Phraputhacharn (Khem Dhammasaro) depuis le Wat Mahathat de Nakorn Pathom. Candasaro nourris- sait à ses frais au moins dix étudiants et enseignait le pāli jusqu’au cinquième niveau. L’époque, cependant, était au changement en matière d’éducation monastique. Le Conseil des Anciens émit une directive basant l’étude du pāli sur la grammaire, en lieu et place de la pratique des libres traductions à partir des mots racines. Afin de se plier à cette direc- 38 Le cursus d’étude du pāli comprend 9 niveaux. Les exa- mens des niveaux I à V portaient alors sur les 3 ouvrages précités. Ce cursus est difficile ; en deux siècles, 1000 per- sonnes seulement sont parvenues au dernier niveau. 39 Somdej est une appellation honorifique, religieuse ou laïque, pouvant se traduire par « Excellence ». 44 www.kalyanamitra.org

tive, le Wat Phra Chetuphon n’eut pas d’autre choix que de fusionner ses différents centres d’études en un seul. De ce fait, le centre d’étude du pāli de Candasaro cessa d’exister. Candasaro bhikkhu, cependant, ne fut pas perturbé par ces changements de programmes. Bien que les examens soient passés de l’oral à l’écrit, il parvint à s’adapter et resta une source d’inspiration. Bien que très occupé par les études textuelles, Candasaro bhikkhu parvint toujours à trouver le temps de méditer. A cette époque, il suivait la technique enseignée par son anusāvanācāriya*, Phra Ajahn Nong. Les jours lunaires40, il se rendait dans les diffé- rents temples renommés pour leurs maîtres de médita- tion. Il étudia ainsi avec Phra Ajahn Eam (Phrasangavara- nuwongse) du Wat Rajasiddharam de Bangkok ; Phra Kru Nyanavirat (Po) du Wat Phra Chetuphon de Bangkok ; Phra Ajahn Singh du Wat Lakorn Thaam de Thonburi (derrière le Wat Rakhangkositaram) ; Phramongkolthepmuni (Muy), le Vénérable du Wat Chakrawat de Bangkok ; Phra Ajahn Pleum du Wat Kao Yai de Kanchanaburi (district de Thamaka). Tous ces maîtres célèbres étaient considérés comme les plus avancés de leur époque dans le domaine de la méditation bouddhiste. Compte tenu de leur haut ni- veau de discipline, tous avaient de très nombreux étu- diants. Candasaro parvint au bout des enseignements 40 Les rituels et fêtes bouddhistes suivent le calendrier des lunaisons. 45 www.kalyanamitra.org

de ces maîtres dans un délai exceptionnellement court. « Vénérable, y-a-t-il encore quelque chose que je doive savoir ? » demandait Candasaro à la fin des exposés de ses maîtres. Et tous répondaient : « je ne peux rien t’enseigner de plus. Tu es maintenant mon égal. Reste donc à mes côtés pour enseigner ! ». Phra Kru Nyanavirat et Phra Ajahn Singh, en particulier, conscients de la réussite de Candasaro, lui proposèrent d’enseigner ; lui, ce- pendant, n’était pas satisfait de son propre niveau de connaissance. Il pensait : « ma connaissance est trop superficielle pour me qualifier en tant que maître de méditation ». Il refusa humblement d’enseigner à qui que ce soit. Il quitta ses maîtres pour voyager seul, à la recherche de plus de connaissance ; il se rendit dans chaque site de Thaïlande où résidait un maître réputé. Dans l’un de ces centres, au cours de l’une de ses ex- périences méditatives, il parvint à percevoir une sphère lumineuse et brillante, de la taille d’un jaune d’œuf, placée exactement au centre de son dia- phragme ; cela démontrait qu’étaient encore présents, de manière fragmentaire, dans la tradition méditative de l’ancien Siam, les éléments du chemin de la prati- que que Candasaro devait ultérieurement approfondir et développer. Ses voyages le ramenèrent au Wat Songpinong, son ancien temple. En ce temps-là, les moines âgés n’y prêtaient guère d’attention aux études. Les plus jeunes moines, que cela aurait pu intéresser, sans aucune aide de leurs aînés, ne savaient pas par où commencer. En 46 www.kalyanamitra.org

général, les plus motivés étaient envoyés à Bangkok. Ainsi, lorsque Candasaro vint résider au Wat Songpi- nong durant sa onzième année monastique, il fut le premier à y établir une école, en dépit de nombreux obstacles ; cette école existe encore de nos jours, telle qu’il l’avait fondée. Tandis qu’il était au Wat Songpinong, il se souvint du volume du Mahāsatipaṭṭhāna-sutta qu’il avait emprun- té à l’issue de son ordination. Moine depuis mainte- nant onze années, il réalisa qu’il avait atteint le terme qu’il s’était fixé pour ses études scripturales. Il était maintenant capable de traduire couramment ce vo- lume ; conformément à ses intentions originelles, il lui fallait interrompre ses études textuelles et donner en- fin la priorité à l’étude de la méditation… 47 www.kalyanamitra.org

Luang Pou Wat Paknam Bhasicharoen, Phramongkolthepmuni (Sodh Candasaro) 1885-1959 48 www.kalyanamitra.org

L’étude de la méditation La cessation de l’esprit est l’essentiel, c'est-à-dire à la fois le sentier menant au nibbāna* et son fruit. Ceux qui pratiquent le don* et suivent les Préceptes* ne sont pas aussi proches du nibbāna que ceux dont l’esprit a atteint l’apaisement. Phramongkolthepmuni Ce n’est que rétrospectivement que Candasaro réalisa que s’il avait continué à étudier et atteint un haut niveau d’érudition, les autorités du Saṅgha* l’auraient certainement recruté pour mettre à profit ses capacités académiques, au détriment de sa pratique de la méditation. En tout état de cause, à partir de ce moment-là, Candasaro se consacra entièrement à l’étude de la méditation. Il devint un bhikkhu errant41, laissant derrière lui le confort d’une résidence fixe et pratiquant dhutaṅga* pour sa purification. 41 Le Siam dénommait ces moines errants Phra thudong (« vénérable ascète ») ou Phra thudong kammathan (« véné- 49 www.kalyanamitra.org

Il reçut de sa tante une ombrelle klod42, sous laquelle il pourrait dormir, et refusa d’en accepter une autre de qui que ce soit. Il émit le souhait que sa tante bénéfi- cie pleinement du mérite s’attachant à un tel don, une façon de payer avec gratitude ses dettes envers elle43. Il partit pour la province, revint peu de temps après et remit son ombrelle à un autre bhikkhu. Il fit plus tard un autre voyage, et reçut de nouveau une ombrelle des mains de sa tante. Finalement, après plusieurs mois d’une telle pratique, il conclut qu’il devait certainement y avoir une meilleure voie pour acquérir la vérité* enseignée par le Bouddha, une voie, encore manquante en ce temps-là, qui permet- trait de rendre la méditation plus facile à apprendre et accessible à tous. Il commença à être son propre maître en suivant le grand manuel bouddhiste, le Chemin de la pureté44 du célèbre commentateur du Ve siècle, Buddhaghosa. Un jour qu’il était en dhutaṅga dans la région de Su- phanburi et se préparait à installer son klod dans un temple abandonné près du Wat Phrasri Ratana Maha- that, il vit des enfants qui conduisaient un troupeau de bœufs en ce lieu. Il les avertit : « ne laissez pas ces animaux aller plus loin, sinon vous en tirerez un grave rable ascète méditant »), thudong étant la déformation de dhutaṅga, la pratique ascétique. 42 Ombrelle dotée d’une moustiquaire. 43 Le don bénéficie au donateur plus qu’au bénéficiaire. Pour un moine, accepter un don est une façon d’offrir au donateur l’opportunité d’accomplir une action profitable, d’acquérir des « mérites ». 44 Visuddhimagga 50 www.kalyanamitra.org

démérite ». « Ne faites pas attention à lui », répondi- rent les enfants, « le moine ne sait pas ce qu’il ra- conte ; il veut probablement toute la place pour lui tout seul ». « Ne savez-vous pas qu’il y a, ici, sous la terre, des statues de Bouddha ? » leur demanda Can- dasaro. « Si vous ne me croyez pas, essayez de creu- ser à cet endroit ». La curiosité des enfants étant éveil- lée, ils creusèrent là où il l’avait dit et, précisément à l’endroit qu’il avait indiqué, trouvèrent plusieurs sta- tues de Bouddha. La précision de la connaissance de ce moine avait attiré le respect des enfants et ils s’excusèrent auprès de lui d’avoir été si présomp- tueux. En fait, le temple était à moitié en ruine. On y trouvait plus d’une centaine de grandes et de petites statues du Bouddha laissées en piètre état par le vandalisme ou tout simplement par les effets du temps. Certaines statues n’avaient plus de tête ou plus de bras. Canda- saro sentit qu’il devait y remédier et commença à en- seigner la méditation aux villageois ; il encouragea les fidèles à contribuer aux réparations en leur enseignant le caractère méritoire de tels actes. Les restaurations progressèrent tandis qu’augmentait le nombre de ceux qui offraient leur soutien. Le grand nombre de fidèles et leur dévouement sincère à la restauration du temple en ruine était un événement peu commun dans la pro- vince de Suphanburi. Au point, finalement, que cette vaste assemblée attira l’attention des autorités qui prirent ce rassemblement pour une révolte naissante. Le gouverneur du district vint en discuter avec le gouverneur monastique de la zone, qui à cette époque, était justement Somdej Phra Wanarat (Pearn Tissadat- to) du Wat Phra Chetuphon. Les autorités accusaient 51 www.kalyanamitra.org


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