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Comment sauver les abeilles

Published by FasQI, 2017-01-30 07:28:01

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Les tests génétiques en vente libre : quels risques ?Mai 2009 - n° 379 www.pourlascience.fr Édition française de Scientific AmericanComment sauverles abeilles ?Les multiples causesde leur raréfactionLa formation de l’embryonSous le contrôle des gènes,mais aussi de la pressionlEainpshtyesiniqeute quantiqueComment les réconcilier ?àLepslamsomtaeursLe futur dela propulsion spatiale M 02687 - 379 - F: 6,20 E3:HIKMQI=\U[WU^:?a@d@r@j@k; Francemétro:6,20€-DOM:7,30€-BEL:7,20€ -CH:12FS-CAN:9,45$-LUX:7,20€ Italie : 7,20 € - PORT : 7,20 € AND : 6,20 € - ALL : 9,30 € - MAR : 57 dh - REU : 9,30 € - TOM surface : 980 XPF - TOM Avion : 1770 XPF



POUR LA ÉDITO www.pourlascience.fr de Françoise Pétry rédactrice en chef 8 rue Férou, 75278 PARIS CEDEX 06 Oxymore scientifique? Standard : Tel. 01 55 42 84 00 L ’oxymore,juxtapositiondedeuxmotscontradictoires,inter- POUR LA SCIENCE pelle. C’estle«Hâtez-vouslentement»deBoileau,l’« obscure Directricedelarédaction-Rédactriceenchef : Françoise Pétry clarté » de Corneille, le « silence assourdissant » d’Aragon, Pour la Science : le « soleil noir » de Baudelaire, ou encore les « tendresses Rédacteurs en chef adjoints : Maurice Mashaal, Loïc Mangin bestiales » de Rimbaud. Cette alliance de mots dont les sens s’oppo- Rédacteurs : François Savatier, Philippe Ribeau-Gésippe, sent réunit des inconciliables. Bénédicte Salthun-Lassalle, Jean-Jacques Perrier Dossiers Pour la Science : C’est également ce que tentent les physiciens qui s’interrogent tou- Rédactrice en chef adjointe : Bénédicte Leclercq jours sur la compatibilité – ou l’incompatibilité – de la relativité res- Rédacteur : Guillaume Jacquemont treinte et de la physique quantique : l’une semble requérir des interactions Génies de la Science : locales, alors que la seconde est non locale. La pomme de discorde, c’est Rédactrice : Marie-Neige Cordonnier l’intrication, cette propriété de la physique quantique où deux particules Cerveau & Psycho : éloignées présentent un comportement synchrone alors qu’aucun inter- Rédacteur : Sébastien Bohler médiaire ne les relie (voir Menace quantique sur la relativité res- Directrice artistique : Céline Lapert treinte, page 50). Cette antinomie dérangeante a stimulé l’imagination Secrétariat de rédaction/Maquette : Annie Tacquenet, des physiciens qui explorent ces théories. Sylvie Sobelman, Pauline Bilbault, Raphaël Queruel, Ingrid Leroy Site Internet : Philippe Ribeau-Gésippe Juxtaposer des termes dont les sens Marketing: Philippe Rolland, assisté de Heidi Chappes s’opposent stimule l’imagination. Direction financière : Anne Gusdorf Direction du personnel : Marc Laumet Réunir des inconciliables encore quand il s’agit de développe- Fabrication : Jérôme Jalabert, assisté de Marianne Sigogne Presse et communication : Susan Mackie mentembryonnaire.L’embryon– c’estadmis –s’élaboresouslecontrôle Directeur de la publication et Gérant: Marie-Claude Brossollet Conseillers scientifiques : Philippe Boulanger et Hervé This des gènes du développement. Mais les embryologistes découvrent que Ont également participé à ce numéro : Laurent Berger, Jean-Pierre Bourguignon, Christophe les contraintes mécaniques dans l’organisme en devenir jouent un Bonnal, Pierre Césaro, Ruth Anne Eatock, Jérôme Euzenat, Catherine Fiévet, Thierry Léveillard, Jean Martinez, Stéphane rôle essentiel dans la mise en place correcte des organes. Les gènes Mazouffre, Jean-François Mouscadet, Serge Palacin, Christophe Pichon, Daniel Tacquenet, Olivier Teytaud. nesontplusomnipotentsaucoursdel’embryogenèse :leurexpression PUBLICITÉ France estcontrôlée– entreautres –parlapression(voirL’embryonsousl’em- Directeur de la Publicité : Jean-François Guillotin ([email protected]), assisté de Nada Mellouk prise des gènes et de la pression, page 42). Tél. : 01 55 42 84 28 ou 01 55 42 84 97 • Fax : 01 43 25 18 29 Peut-on réunir les inconciliables quand on aborde la question de la SERVICE ABONNEMENTS Ginette Grémillon. Tél. : 01 55 42 84 04 disparition des abeilles ? Les inconciliables sont ici les faits – la dimi- Abonnements pour la Belgique: EDIGROUP Belgique Sprl- 5 place du Champs de Mars - 20th floor - 1050 Bruxelles - tel 070/233 304 - abo- nution du nombre des abeilles, pollinisatrices indispensables à la cul- [email protected] Abonnements pour la Suisse: EDIGROUP SA - 39 rue Peillonnex CH 1225 ture des fruits et légumes – et les causes. Souvent, une multitude de Chene Bourg - Tel 022/860 84 01 - [email protected] causes laisse supposer que la « vraie » n’a pas encore été identifiée. Commande de dossiers ou de magazines : 08 92 68 11 40 (de l’étranger, (+33) 2 37 82 06 62) Les résidus de pesticides, une nourriture appauvrie, un virus : chacun DIFFUSION DE POUR LA SCIENCE de ces éléments est en partie responsable du constat, mais les biolo- Canada : Edipresse : 945, avenue Beaumont, Montréal, Québec, H3N 1W3 Canada. gistes continuent de rechercher les causes de la surmortalité de ces Suisse: Servidis: Chemin des châlets, 1979 Chavannes - 2 - Bogis Belgique: La Caravelle: 303, rue du Pré-aux-oies - 1130 Bruxelles. insectes (voir Sauvons les abeilles, page 28). Autres pays: Éditions Belin: 8, rue Férou - 75278 Paris Cedex 06. À l’instar du bétail, les abeilles transhument, c’est-à-dire qu’elles SCIENTIFIC AMERICAN Editor in chief: John Rennie. Editors: Mariette Di-Christina, Ricky Rusting, Philip Yam, Gary Stix, Mark Alpert, Steven sont transportées par les apiculteurs selon les saisons, les cultures Ashley, Peter Brown, Graham Collins, Mark Fischetti, Steve Mirsky, George Musser, Christine Soares, Kate Wong. et les nécessités de la pollinisation. La transhumance des abeilles... President : Steven Yee. Managing Director, International : Kevin Hause. Vice President : Frances Newburg. presque un oxymore pour le béotien ! ■■■ Toutes demandes d’autorisation de reproduire, pour le public français ou Édito [1 francophone, les textes, les photos, les dessins ou les documents conte- nus dans la revue « Pour la Science », dans la revue « Scientific Ameri- can », dans les livres édités par « Pour la Science » doivent être adressées par écrit à « Pour la Science S.A.R.L. », 8, rue Férou, 75278 Paris Cedex 06. © Pour la Science S.A.R.L. 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SOMMAIRE À LA UNE1 ÉDITO 28 ENVIRONNEMENT abeilles4 BLOC-NOTES Sauvons les Didier Nordon Diana Cox-Foster et Dennis vanEngelsdorp Actualités Un mal mystérieux, le syndrome6 Mikhaïl Gromov, d’effondrement des colonies, tue lauréat du prix Abel 2009 les abeilles, des insectes qui sont essentiels à la pollinisation8 Traquée dans l’espace des cultures de fruits et sur Terre et de légumes.8 Sauvegarder 36 GÉOLOGIE les cônes de la rétine L’origine des laves sous-marines9 Un poisson psychédélique Peter Kelemen10 Deux formes pour un noyau Des laves jaillissent en permanence des chaînes11 Muscles artificiels volcaniques sous-marines et donnent naissance à de la croûte océanique. Les géologues à nanotubes comprennent de mieux en mieux leur production et leur acheminement. ...et bien d’autres sujets.14 ON EN REPARLE 42 EMBRYOLOGIE L’embryon, sous l’emprise Opinions des gènes et de la pression Emmanuel Farge17 COURRIER DES LECTEURS Dans un embryon, sous le contrôle de gènes,18 VRAI OU FAUX des forces sont impliquées dans le mouvement des cellules et la formation des organes. Les savons On découvre que ces contraintes peuvent modifier « antibactériens » l’expression de gènes du développement. sont-ils utiles ? 50 PHYSIQUE THÉORIQUE Coco Ballantyne Menace quantique sur la relativité restreinte20 POINT DE VUE David Albert et Rivka Galchen Comme beaucoup de phénomènes quantiques, La vulgarisation, l’intrication va à l’encontre de certaines le chercheur et le citoyen de nos intuitions les plus profondes. Mais surtout, son caractère non local semble en conflit Pablo Jensen avec la théorie de la relativité restreinte d’Einstein.21 DÉVELOPPEMENT DURABLE © Pour la Science - n° 379 - Mai 2009 Les oiseaux, révélateurs du réchauffement Frédéric Jiguet24 QUESTIONS OUVERTES Tests génétiques : quels sont les enjeux du libre accès ? A. Cambon-Thomsen, E. Rial-Sebbag et P. Ducourneau L’offre de tests génétiques sur Internet, en dehors de tout cadre médical, place les usagers face à des situations difficiles.Sur la totalité des numéros : deux encarts d’abonnement pages 24 et 25.Encarts commande de livres et abonnement pages 76 et 77.En couverture : © Shutterstock/Studio Araminta (abeille au premier plan) ;© Shutterstock/Horatiu Bota (abeille au second plan). 2] Sommaire

58 MÉDECINE n° 379 - Mai 2009 Les statines : de la moisissure aux médicaments Regards Philip Rea Les statines sont parmi les médicaments 80 HISTOIRE DES SCIENCES les plus vendus au monde. Leurs bénéfices pour la prévention des maladies cardio-vasculaires Henry de Varigny : sont avérés. Tout est parti de la passion que vouait un journaliste contre un jeune chercheur japonais aux... moisissures. l’antidarwinisme66 TECHNOLOGIE SPATIALE Yves Carton L’essor des moteurs à plasma 84 LIMITES DE LA SCIENCE Edgar Choueiri La propulsion électrique, déjà en usage sur Les limites certains satellites, est aujourd’hui mise en œuvre de la thérapie génique dans des missions spatiales plus ambitieuses. Elle s’imposera sans doute pour les futures Entretien avec Marina Cavazzana-Calvo missions lointaines. 88 LOGIQUE & CALCUL74 INFORMATIQUE L’émergence Mille collections de nombres de la science du Web Nigel Shadbolt et Tim Berners-Lee Jean-Paul Delahaye L’étude scientifique d’Internet s’impose pour prévoir son développement, 94 ART & SCIENCE pour améliorer l’accès à l’information, pour lutter contre la cybercriminalité John Martin et la comète ou pour mieux gérer nos vies en ligne. Alexis Drahos© Pour la Science - n° 379 - Mai 2009 96 IDÉES DE PHYSIQUE Les perversions du cordon de téléphone Jean-Michel Courty et Édouard Kierlik 99 SCIENCE & GASTRONOMIE La vanille a un goût... de velours Hervé This 100 SAVOIR TECHNIQUE Des ascenseurs plus compacts François Savatier 102 À LIRE fr Sur www.pourlascience.fr PLUS D'INFORMATIONS 8 Retrouvez l'intégralité de votre magazine en ligne 8 Découvrez l'actualité scientifique au quotidien 8 Recherchez les articles qui vous intéressent 8 Visitez notre banque d’images À VOUS LA PAROLE 8 Réagissez aux articles publiés 8 Posez vos questions à nos experts LES SERVICES EN LIGNE 8 Consultez nos offres d'emploi 8 Abonnez-vous et gérez vos abonnements en ligne Rendez-vous sur www.pourlascience.fr

BLOC-NOTES de Didier Nordon➜ MON TEXTE D’UN SEUL MOT 22 modèlesnumériques,cequilesaconduits vite oublié. On est émerveillé quand un NE DÛT ÊTRE CHANGÉ... à diviser la Terre en trois zones. Une zone sur philosophe expose de façon magistrale les laquelleaumoins16 modèlesprévoientune pensées de Kant, de Spinoza ou de Des-D ansL’Illusioncomique,acteIII,scène IX, augmentation des précipitations, une zone cartes. Seulement, le problème est ailleurs. Corneille fait prononcer à Matamore surlaquelleaumoins16 modèlesprévoient Vivre est une aventure d’un tout autre ordre le vers suivant : « Il s’est fait vaillant une diminution et une zone sur laquelle qu’interpréter les grands auteurs. Quand ild’avoir suivi tous mes pas » (édition Pléiade, aucune tendance ne se dessine. s’agit de sonder l’incompréhensible, l’excel-1950). Vers stupéfiant ! La césure, cette lence consiste à aller plus loin que les autresrespiration située entre les six premiers Cette dernière zone a une surface du dans la non-compréhension ! Ne trouvantpieds et les six derniers, tombe en plein même ordre de grandeur que chacune des jamais de réponse, nous sommes voués auxmilieu du mot avoir. Du coup, on n’entend deux premières. Dans ces conditions, le mauvaises notes. Les bons élèves n’appren-plus l’alexandrin. Une telle façon de malme- fait qu’une majorité nette se dégage quant nent pas à se débrouiller face à une ava-ner les vers est inouïe chez un classique. à l’avenir climatique des deux premières est- lanche de mauvaises notes. Nul ne sera bon il probant ? Une majorité n’est pas un argu- philosophe s’il n’a d’abord été mauvais élève. Avant de l’admirer pour son étonnante ment scientifique ! Ne devrait-on pas plutôtmodernité, toutefois, ouvrons l’édition 2003 admettre que, puisque les modèles entrent ➜ COMBINATOIRE LINGUISTIQUEde la Pléiade. Même pièce, même acte, en contradiction sur une zone étendue, c’estmêmescène.EtlemêmeMatamoredit :«Il qu’on n’a pas bien saisi l’ensemble du phé- D e l'âne au zèbre, les animaux sonts’est fait tout vaillant d’avoir suivi mes pas. » nomène dont on tente de rendre compte ? souvent chargés d’aider les enfantsCette fois, le rythme de l’alexandrin s’en- Tant qu’on ignore quel modèle est fiable, il à repérer les lettres de l'alphabet.tend parfaitement. Inutile d’aller je ne sais faut s’efforcer de mieux cerner le problème Pourtant, les hommes pourraient accompliroù solliciter auprès de je ne sais qui l’auto- et, en attendant, s’abstenir de conclusion. cette tâche. Rien qu’en énumérant les façonsrisation de consulter le manuscrit de Cor- de désigner les hostilités entre eux, on estneille. Conforme aux canons impeccables S’abstenir?Malheureux!Ceseraitcontre- proche du compte : algarade, altercation,du classicisme, la version 2003 est sûre- venir à la déontologie en trois points du bagarre, bisbille, brouille, castagne, clash,ment correcte, et la version 1950 fautive. chercheur moderne: publier à tout prix, faire combat, conflit, contestation, démêlé, dif- des prévisions alarmistes et obtenir un écho férend, dispute, empoignade, engueulade, Comme les mathématiques, la versifi- médiatique. friction, grabuge, guerre, gueulante, heurt,cation classique a ceci de souverain, qu’on lutte, mêlée, prise de bec, pugilat, querelle,peut trancher certains problèmes sans avoir ➜ LE CANCRE EST PHILOSOPHE rififi, rixe, tirage, zizanie (29 termes).à se soumettre aux embarras d’une enquêtede terrain. P our un chercheur scientifique, avoir Quefontlesgenslorsdesentrevuesainsi été bon élève peut aider. Pas toujours, désignées ? Ils peuvent s'alpaguer, se battre,➜ ALARMER POUR SÉDUIRE certes : les connaissances et les tech- se castagner, se chamailler, se chercher noise niques acquises, l’aptitude à maîtriser les (ou des crosses), se colleter, se crêper le chi-L es Proceedings of the National Aca- problèmes, tendent parfois des pièges (des gnon, en découdre, etc. (21 termes). demy of Sciences (10 février 2009, routines de pensée, par exemple, ou un p.1704)publientdesprévisions– por- excès d’assurance) ; néanmoins, elles res- La monnaie d'échange a nom avoinée,tantsurleprochainmillénaire,pasmoins! – tent plus souvent utiles que nuisibles. On baffe, baston, beigne, bourrade, branlée,des « changements imposés par l’homme est émerveillé quand un scientifique expose calotte, châtaigne, claque, coquard, coup,au climat ». Les chercheurs ont utilisé de façon magistrale une question compli- crochet du gauche (du droit), dégelée, direct quée, dégage les grandes lignes là où un du droit (du gauche), gifle, etc. (34 termes). esprit ordinaire ne perçoit que fouillis. Il est au cœur du problème. Pour un philosophe, au contraire, la maî- trise n’est pas un atout véritable. Un philo- sophe s’intéresse aux questions sur lesquelles nous échouons tous depuis toujours : nul ne sait dire ce qu’est le sens de la vie, ce que l’homme fait sur terre, etc. Vivre, c’est patauger de solution bancale en solution bancale, jusqu’à l’instant final qui enverra tous ces efforts dans un passé4] Bloc-notes © Pour la Science - n° 379 - Mai 2009

Cette façon de familiariser les enfantsavec les lettres présente l’avantage de lesfamiliariser aussi avec la combinatoire.Observer qu’on peut construire 29x21x34,soit 20 706, phrases différentes sur lemodèle « Ils se sont alpagués, ont eu unealgarade et se sont mis une avoinée » estformateur. Mieux, on peut décrire l’hostilitéentre individus en employant des termesgentils. « Ils se sont rencontrés, ont eu desmots et en sont venus aux mains. » Il faudrait inciter les enfants au calme,objectera-t-on. Soit. Mais les initier aux infi-nies nuances de la langue n’est pas moinsimportant. Je doute que le vocabulaire paci-fique soit assez riche pour offrir 20 706façons d’appeler à la concorde.➜ L’ABUS DE POUVOIRI EST NOCIF POUR LA SANTÉ l fut un temps où les fumeurs avaient le pouvoir. Et ils en abusaient. Pour la plu- part, ils n'imaginaient pas le désagré-ment que leurs émanations créaient autourd'eux ou, s'ils l'imaginaient, s'en fichaient.Maintenant que les non-fumeurs ont lepouvoir, ils en abusent à leur tour. Pourquoi,par exemple, interdire de fumer dans lestrains ? Il n'y aurait aucun mal à concéderune voiture aux fumeurs. Si on la met en boutde rame, les non-fumeurs n’auront pas à latraverser lorsqu’ils se déplacent dans le train.L'ensemble des fumeurs et des non-fumeurs étant égal à l'humanité toutentière, la morale de l'affaire dépasse laquestion du tabac. Elle confirme que, quandquelque fraction de l'humanité en dominequelque autre, elle est incapable de nepas abuser de son pouvoir. ■© Pour la Science - n° 379 - Mai 2009 Bloc-notes [5

ACTUALITÉS Mathématiques Mikhaïl Gromov, lauréat du prix Abel 2009 Le mathématicien franco-russe est récompensé par l’Académie norvégienne pour ses « contributions révolutionnaires à la géométrie ». G éomètre : ce qualificatif qui vise à compenser l’absence d’un concepts novateurs et théorèmes « invariants de Gromov-Witten », convient bien à Mikhaïl Gro- Nobel en mathématiques. D’ori- en géométrie riemannienne et en des nombres rationnels liés aux mov, l’un des cinq profes- gine russe, M. Gromov en est le troi- géométrie symplectique. Il s’agit propriétés topologiques de ces seurs permanents du prestigieux sième lauréat français, après de domaines où l’on étudie des variétés et qui jouent un rôle clef Institut des hautes études scienti- Jean-Pierre Serre en 2003 et Jacques « variétés » – espaces dont, loca- en théorie des cordes. fiques (IHÉS), situé à Bures-sur- Tits en 2008. lement, les points peuvent être Yvette près de Paris. L’Académie décrits par n coordonnées, n étant Parmi ses autres travaux, norvégienne des sciences et des L’œuvre de M. Gromov, riche la dimension de la variété (une M. Gromov a conçu des approches lettres vient de lui attribuer le prix et variée, concerne principalement surface, par exemple, est une géométriques pour étudier les Abel, prix annuel créé en 2003 et les aspects globaux de la géomé- variété de dimension deux). groupes (ensembles où l’on peut trie. Il a introduit de nombreux définir le produit de deux élé- En géométrie riemannienne, ments, où existe un élément unitéJean-François Dars les variétés sont munies en chaque et où chaque élément a un inverse). point d’un « tenseur métrique » Ces approches ont conduit à une Mikhaïl Gromov, né en 1943, a quitté l’Union soviétique en 1974 permettant de définir et calculer compréhension nouvelle de la et est citoyen français depuis 1992. Professeur permanent à l’IHÉS distances, angles, courbure, etc. En classification des groupes. depuis 1982, ce mathématicien a été plusieurs fois distingué : géométrie symplectique, les varié- prix Kyoto (2002), prix Balzan (1999), prix Wolf (1993), etc. tés, de dimension paire, sont Depuis une dizaine d’années, munies d’une structure mathéma- M. Gromov s’est impliqué dans le tique particulière, héritée du for- développement des interactions des malisme dit hamiltonien de la mathématiques avec la biologie et mécanique classique. la médecine. Actuellement, il éla- bore des modèles géométriques du L’une des contributions de fonctionnement électrophysiolo- M. Gromov a été de réussir à défi- gique du cœur, modèles qui per- nir une distance dans l’espace mettront peut-être d’identifier à constitué par toutes les variétés l’avance des anomalies cardiaques. riemanniennes possibles ; cela a donné un accès inespéré au com- C’est « l’un des mathémati- portement de variétés se défor- ciens les plus créatifs de notre mant de façon globale. époque », concluait le mathéma- ticien danois Vagn Lundsgaard Une autre a été le développe- Hansen dans sa conférence de pré- ment d’une théorie de courbes sentation du prix Abel le 26 mars. dites pseudoholomorphes dans les variétés symplectiques. Elle a .➜ Maurice Mashaal. notamment conduit à définir les http://www.abelprisen.no/en/ prisvinnere/2009/hansen/index.html en bref en bref en bref en bref en QUEUE DE LÉZARD ANTIVENIN L’ORIGINE DES SUPERNOVAE OXYGÈNE ET PÉNURIE DE NICKEL Beaucoup de lézards échappent Les manuels sont formels : les supernovae Il y a 2,4 milliards d’années, l’atmosphère s’est à leurs prédateurs en abandonnant leur queue. de type II correspondent à l’explosion d’étoiles appauvrie en méthane et enrichie en oxygène. Panayiotis Pafilis, de l’Université du Michigan, supergéantes rouges. Mais à vrai dire, on n’a On a notamment invoqué le succès écologique aux États-Unis, et ses collègues ont montré jamais surpris une de ces étoiles en train de micro-organismes réducteurs de sulfates que le facteur déterminant de ce phénomène d’exploser ! La filiation vient cependant d’être par rapport à ceux qui produisaient du méthane. est la présence de vipères. En effet, confirmée. En comparant des images de deux Des mesures géologiques suggèrent autre chose : se débarrasser rapidement de la partie supernovae récentes aux vues de la même région par refroidissement du manteau supérieur, le flux de son corps qui a été mordue prises avant leur apparition, des chercheurs de nickel – un élément essentiel au métabolisme est un avantage certain: le venin n’a pas ont repéré les étoiles qui avaient disparu : des micro-organismes producteurs de méthane – le temps de parvenir aux organes vitaux. ce sont bien deux supergéantes rouges. parvenant aux océans s’est réduit. 6] Actualités © Pour la Science - n° 379 - Mai 2009

Actualités© David Hall / Seaphotos.com Zoologie Un poisson psychédélique U ne tête large à face plate de couleur orange, un motif complexe de lignes blanches et bleues... : Histiophryne psychedelica mérite bien son nom. Ce nouveau poisson-grenouille, décrit par Theo- dore Pietsch, de l’Université de Washington, et ses collègues, a été repéré par des pêcheurs au large de l’Indonésie. Il est étrange à plus d’un titre. Outre sa robe, il se déplace de façon étonnante. Plutôt que de nager, il rebondit de rocher en rocher à l’aide de ses nageoires pectorales char- nues qui ressemblent à de petites pattes. Et sa queue, un peu excentrée, rend ses déplacements chaotiques. Enfin, ses yeux situés sur le même plan de sa face (autre caractéristique de l’animal) autorisent sans doute une vision binoculaire utile pour apprécier les distances. Son statut de nouvelle espèce a été confirmé par une étude génétique. .➜ Loïc Mangin. Th. Pietsch et al., Copeia, vol. 2009(1), pp. 37-45, 2009 Neurobiologie Cortex moteur Du nouveau pour lutter contre Noyau sous-thalamique la maladie de Parkinson L a maladie de Parkinson se la stimulation exerce ses effets thé- niens. Cette technique fait actuel- Le circuit moteur relie caractérise par des tremble- rapeutiques. Cette technique per- lement l’objet d’un essai clinique la substance noire, les ganglions ments au repos, une rigidité met de stimuler par la lumière des chez l’homme. musculaire et l’incapacité de faire gènes spécifiques de certains types de la base, dont le noyau certains mouvements. Elle touche de neurones, et de visualiser quels Enfin, Romulo Fuentes de sous-thalamique (le rond blanc) environ 100 000 personnes en circuits s’activent chez le rat éveillé. l’Université Duke, aux États-Unis, et le cortex moteur, responsable France. Elle est due à une perte Or il est difficile de déterminer et ses collègues, viennent de mon- sélective des neurones dits dopa- les conséquences de la stimulation trer que la stimulation électrique des mouvements (en bleu). minergiques dans une région cen- sur la motricité, car le noyau sous- de la moelle épinière de rongeurs trale du cerveau: la substance noire. thalamique est hétérogène et les ayant des symptômes proches de On en ignore la cause. Un traite- neurones cibles réagissent de façon ceux de la maladie supprime les ment, la L-dopa, compense le imprévisible. Les neurobiologistes anomalies motrices. Dans la mala- manque de dopamine. Il existe ont reproduit les effets de l’élec- die, les neurones moteurs s’acti- aussi un traitement chirurgical qui trode profonde en stimulant par la vent simultanément en raison des consiste à implanter une électrode lumière chaque type de neurones dysfonctionnements des ganglions dans une autre région cérébrale, le et chaque région du circuit moteur: de la base; la stimulation permet- noyau sous-thalamique, pour sti- la stimulation cérébrale profonde trait un découplage des aires muler électriquement cette zone. correspond à une activation directe motrices, plus propice à des mou- des neurones du cortex moteur se vements normaux. La stimulation cérébrale pro- connectant au noyau sous-thala- fonde du noyau sous-thalamique mique. Comprendre ce mécanisme .➜ Bénédicte Salthun-Lassalle. réduit, voire élimine, les symp- devrait permettre de développer tômes moteurs de la maladie. Mais des traitements moins invasifs. Sciencexpress, mars 2009 ; elle ne compense pas la perte de Science, vol.323, pp. 1578-1582, mars 2009 dopamine liée à la mort des neu- Ainsi, en 2004, une équipe rones dopaminergiques. Viviana de chercheurs et cliniciens du Ser- Gradinaru, de l’Université Stan- vice hospitalier Frédéric Joliot au ford aux États-Unis, et ses col- CEA avait montré que la stimula- lègues ont utilisé une nouvelle tion électrique du cortex moteur technique d’imagerie, l’optogéné- peut aussi corriger les troubles tique, pour comprendre comment moteurs des patients parkinso- © Pour la Science - n° 379 - Mai 2009 Actualités [7

ActualitésEn bref Astronomie LE FLAIR DU PAPILLON Traquée dans l’espace et sur Terre Chez les papillons, les soies sen- Une météorite a été suivie jusqu’à sa chute, puis retrouvée au sol. sorielles des antennes sont reliées à des structures céré- Ce caillou noir de quatre centimètres est brales nommées glomérules. l’un des 280 fragments de la météorite. Des chercheurs ont analysé le comportement du sphinx du La traînée de l’astéroïde 2008 TC3, Mohamed Elhassan Abdelatif Mahir (Noub NGO) tabac en présence d’effluves à l’aube dans le désert nubien. Muawia H. Shaddad (Univ. Khartoum) de sa fleur favorite, le datura Peter Jenniskens (SETI Institute/NASA Ames) sacré. Le papillon se met à L e 6 octobre 2008, un petit astéroïde qui se dirige rechercher la fleur dès qu’il droit vers la Terre est repéré, et suivi jusqu’à L’analyse préliminaire de l’un d’eux a révélé que détecte une combinaison de neuf sa désintégration dans l’atmosphère au-des- la météorite était composée d’un matériau très poreux types de molécules, parmi la sus du Soudan le lendemain. De quelques mètres et fragile, et qu’elle a été soumise à de très hautes soixantaine qui composent de diamètre, 2008 TC3 – c’est son nom – n’avait a priori températures. Elle appartient à la famille des uréilites. l’odeur du datura. Cette odeur rien d’exceptionnel. Mais il a pourtant suscité la curio- est associée à la stimulation de sité des astronomes : c’est le premier astéroïde à être Plus important, cette découverte devrait permettre neurones de certains glomérules détecté et suivi dans l’espace avant sa chute sur Terre. d’étalonner les observations astronomiques. La com- selon une séquence temporelle Qui plus est, des fragments en ont été retrouvés, ce position des astéroïdes est en effet déterminée de deux particulière. qui permettra de calibrer les observations astrono- façons distinctes : soit en analysant le spectre de la miques. On pensait en effet que 2008 TC3 s’était entiè- lumière réfléchie par leur surface, lorsqu’elles sont ARCHÉODENTISTERIE rement désintégré, mais une expédition dans le désert dans l’espace, soit en analysant les fragments retrou- nubien, conduite par Peter Jenniskens, de l’Institut vés sur Terre. En croisant les observations spatiales L’équipe de Karen Hardy, de SETI en Californie, a permis de récolter près de de 2008 TC3 avec les analyses de ses fragments, on l’Université de Barcelone, vient 280 fragments de la météorite. pourra enfin relier ces deux types de mesures. d’inventer la première méthode d’étude du régime végétal .➜ Philippe Ribeau-Gésippe. préhistorique. Elle a mis au point une méthode d’extraction des P. Jenniskens et al., Nature, vol. 458, pp. 485-488, 2009 microgranules d’amidon piégés dans les plaques dentaires, ces Médecine dépôts calcifiés qui se forment sur les dents. La plaque dentaire Sauvegarder les cônes de la rétine semble l’un des seuls endroits C ertaines maladies géné- où subsistent des traces des Y. Yang et al., The Am. Soc. of Gene Therapy tiques, les rétinopathies courte, l’autre longue. Les scien- laire dont le dysfonctionnement végétauxmangésparles hommes pigmentaires, sont dues à tifiques ont injecté à trois reprises est impliqué dans la mort cellu- du Néolithique, voire par les la dégénérescence des photoré- une dose de la forme courte sous laire. Il est donc possible que la chasseurs-cueilleurs. cepteurs de la rétine, les bâton- la rétine ; la densité des cônes a forme longue du RdCVF inhibe la nets puis les cônes. À l’Institut alors augmenté de 20 pour cent. mort cellulaire, en aval de l’ac-Photorécepteurs à cônes de rats de la vision, à Paris, l’équipe de Par ailleurs, la protéine permet tion qu’exerce sa forme courtenon traités par le facteur Thierry Léveillard et José-Alain une vision due à l’activité des cel- sur la survie et le fonctionnementde survie des cônes RdCVF Sahel a montré chez un modèle lules à cônes deux fois supérieure des cônes.(à gauche) et de rats traités animal qu’une protéine, le facteur à celle des animaux non traités.(à droite) : les cônes des rats de viabilité des cônes dérivé des Cela indique que la forme courte Plusieurs dosages et diversestraités ne dégénèrent pas. bâtonnets, ou RdCVF, inhibe la du RdCVF sauvegarde les cônes méthodes d’administration du fac- dégénérescence des cônes. et préserve leur fonctionnement. teur de survie des cônes vont être testés chez l’animal. En fonction Identifiée en 2004 chez la sou- La même équipe a montré des résultats, des essais cliniques ris, cette molécule a ensuite été que la forme longue protège une pourraient ensuite être lancés. retrouvée chez l’homme. Elle se protéine nommée Tau. Or cette présente sous deux formes, l’une molécule est un facteur de sta- .➜ Jean-Jacques Perrier. bilité du cytosquelette cellu- Y. Yang et al., Molecular Therapy, mars 2009; R. Fridlich et al., Mol. Cell Proteomics, mars 20098] Actualités © Pour la Science - n° 379 - Mai 2009

ActualitésPhysique NeurobiologieDes pentagones glacés Une oreille multisensorielleL a symétrie hexagonale des flocons de neige reflète celle de La mouche a une oreille qui entend, l’assemblage des molécules d’eau à l’intérieur. Qu’en est-il à mais qui perçoit aussi le vent et la gravité. des niveaux plus fins ? En voulant le savoir, Javier Carrasco,LCNde l’Institut Fritz-Haber, à Berlin, en Allemagne, et ses collègues ont L a mouche émet des sons mais comment détectent-elles ces Jack Scott, University of Alberta/Pour la Sciencemis en évidence une structure étonnante, une chaîne de pentagones.en faisant vibrer ses ailes,deux paramètres? En supprimant notamment quand elle les aristas des antennes, les biolo- AntenneLa naissance des cristaux de glace est un phénomène essentiel cherche à s’accoupler. Elle les per- gistes ont montré que la mouchedans la dynamique atmosphérique, car c’est ainsi que se forment les çoit avec des « oreilles », nommées ne réagit plus à la gravité, ni augouttes d’eau ou les flocons de neige. Selon l’hypothèse qui préva- organes de Johnston, logées entre vent. Pour visualiser l’activité deslait, les germes sont dotés d’une symétrie hexagonale. les deuxième et troisième seg- neurones des organes de Johnston, ments de ses antennes. Mais ces ils ont observé les variations des Cependant, les physiciens ont observé un autre motif de glace oreilles ne font pas qu’entendre : concentrations intracellulaires ensur une surface de cuivre : une chaîne de pentagones adjacents, Suzuko Yorozu, de l’Institut de calcium, et constaté que les sonslarge de un nanomètre. Cette structure serait favorisée par le métal, technologie de Californie, et ses activent certains neurones ciliésdont les interactions avec l’eau seraient maximales tout en stabili- collègues ont montré que ces – qui se connectent au centre méca-sant les liaisons hydrogène entre les molécules d’eau. Ces résultats organes réagissent aussi au vent, nosensoriel – tandis que la gra-seront utiles aux faiseurs de pluie. et Azusa Kamikouchi, de l’Uni- vité et le vent en stimulent d’autres. versité de Cologne en Allemagne, .➜ L. M.. et ses collègues ont prouvé qu’ils Ainsi, tout dépend de la façon sont sensibles à la gravité. dont les aristas sont mis en mou- J. Carrasco et al., Nature Materials, prépublication, mars 2009 vement: les neurones sensibles aux L’organe de Johnston des dro- sons sont activés par des déplace- Sur une surface plane sophiles est constitué de centaines ments faibles et rapides des aris- de cuivre (en marron), de neurones équipés d’un cil. Les tas, ceux spécifiques du vent et une chaîne unidimensionnelle différents cils sont reliés au troi- de la gravité sont stimulés par de glace est constituée sième segment de l’antenne qui des déflexions importantes et de pentagones formés porte un type de poil ramifié, lentes. De plus, les neurones sen- par les molécules d’eau nommé arista. Cet appendice vibre sibles au vent et à la gravité sont (en rouge, les atomes sous l’effet des variations de pres- aussi spécifiques d’une direction d’oxygène, et en blanc, sion de l’air que provoque un chant, de déplacement des aristas, ce ceux d’hydrogène). de sorte que le troisième segment qui n’est pas le cas des autres (sen- tourne par rapport au deuxième sibles à deux directions). Ainsi, lesMicrobiologie segment des antennes (voir la figure). drosophiles, comme les vertébrés, Cette rotation est captée par les cils sont équipées d’une « oreille » effi-Bactéries... stratosphériques des neurones qui transmettent alors cace qui les renseigne sur le son, l’information au centre mécano- le vent et la gravité.D ans les geysers, au fond des océans, dans l’espace... Les bacté- sensoriel des antennes. ries prolifèrent dans les milieux extrêmes. C’est aujourd’hui .➜ B. S.-L.. dans la stratosphère, entre 12 et 60 kilomètres d’altitude, que Les drosophiles réagissent auJayant Narlikar, de l’Organisation de recherche spatiale indienne (ISRO), vent et sont sensibles à la gravité, Azusa Kamikouchi et al., et Suzuko Yorozuet ses collègues ont découvert de nouvelles espèces bactériennes. et al., Nature, vol. 458, mars 2009 À l’aide d’un ballon stratosphérique, des échantillons d’air Organe de Johnstonont été collectés à différentes altitudes entre 20 et 41 kilomètres, Cildans des tubes refroidis au néon liquide. Ces tubes ont ensuite étéparachutés et récupérés au sol. Leur analyse a révélé la présence 21 Aristade six colonies de champignons et de 12 colonies bactériennes. Parmi 3 Ventces dernières, neuf affichent, sur la base de l’analyse d’une séquence Gravitédu gène codant l’ARN 16S, une similitude à 98 pour cent avec dessouches déjà connues. 2 Neurone Son En revanche, trois souches sont nouvelles. Elles ont une résis-tance aux rayons ultraviolets plus élevée que leurs plus proches voi- 3sines phylogéniques. La première, du genre Janibacter, a été nommée Segment 2 de l’antenneJanibacter hoylei en hommage à l’astrophysicien britannique FredHoyle. La deuxième a été désignée Bacillus aryabhata, d’après le nom Segment 3 de l’antenned’un astronome de l’Inde antique, et enfin, la dernière, Bacillus isro- Chez la drosophile, un organe de Johnston est situé sur chaque antenne.nensis, pour saluer la contribution de l’ISRO dans cette découverte. Il est formé de centaines de neurones dotés d’un cil. Ces cils sont liés à l’arista, un long poil ramifié. Les sons engendrent des déplacements .➜ Ph. R.-G.. rapides des aristas ; le vent et la gravité créent des mouvements lents.© Pour la Science - n° 379 - Mai 2009 Actualités [9

ActualitésÉthologie PhysiqueLa ola des harengs Deux formes pour un noyauQ u’est-ce qui déclenche la formation des bancs de poissons ? Jon Witman/NOAA D ans le modèle classique des pas exclusivement dans son état L’équipe de Nicholas Makris, de l’Institut de technologie du atomes, les électrons évo- fondamental comme attendu, Massachusetts, a utilisé un sondeur à guide d’ondes acous- luent autour du noyau sur mais qu’il survit aussi dans untiques pour étudier le cas du hareng, dont les rassemblements sont des couches, ou orbites. De même, état faiblement excité ayant uneles plus grands connus dans le monde marin. les constituants d’un noyau – les demi-vie très longue. En mesurant nucléons – se répartissent sur les caractéristiques de spin du Cette espèce forme en quelques heures des bancs de 250 mil- des orbites : c’est le modèle en noyau (son moment magnétique)lions d’individus dont les mouvements sont synchronisés. Le déclen- couches. Chacune de ces orbites lorsqu’il se trouve dans cet étatcheur semble être un seuil de densité de 0,2 individu par mètre n’accueille qu’un nombre limité excité, nous avons montré qu’ilcarré, associé à une baisse de luminosité, au crépuscule. De petits de nucléons. Les noyaux dont les correspond à la forme sphériquegroupes convergent alors, créant des ondes comparables à celles d’une couches sont pleines sont dits du noyau normalement attendu« ola » dans un stade. Elles se propagent à des vitesses de l’ordre de magiques et ont des propriétés pour l’état fondamental, tandis que20 kilomètres par heure, soit beaucoup plus vite que la vitesse de nage particulières : ils sont par exemple ce dernier est déformé comme undes poissons. Un banc s’étire bientôt sur une quarantaine de kilo- sphériques et ne se déforment que ballon de rugby.mètres et migre ensuite en direction des zones de frai. Le lendemain, très difficilement.lorsque la luminosité augmente, le banc se désagrège. Ce résultat est contraire à l’in- Notre équipe a réalisé une tuition – et au modèle en couches –, .➜ J.-J. P.. expérience au Grand accélérateur car la forme sphérique devrait être national d’ions lourds, le GANIL, la plus stable. Cette apparente N. C. Makris et al., Science, vol. 323, pp. 1734-1737, 2009 laboratoire commun CEA-CNRS, à contradiction est expliquée par le Caen ; elle montre que le noyau fait que les nucléons du soufre 43 Un banc de harengs de soufre 43, que l’on pensait sphé- ne remplissent pas uniquement (Clupea harengus) rique dans le cadre du modèle en l’orbite normalement disponible, couches, se trouve dans une forme ce qui aurait donné une formeChimie allongée de ballon de rugby, mais sphérique au noyau, mais qu’au qu’il peut aussi adopter très faci- contraire ils remplissent partielle-Créer des peptides lement une forme sphérique. ment les orbites supérieures. Par ailleurs, l’état sphérique et l’étatL es protéines, molécules essentielles à la vie, sont de grands pep- Le soufre 43 est un noyau rare déformé sont très proches : nous tides, des enchaînements d’acides aminés reliés par des liai- qui n’est pas présent à l’état natu- en déduisons que les deux formes sons peptidiques (entre un atome de carbone d’un acide aminé rel sur Terre, sa demi-vie n’étant coexisteraient.et un atome d’azote d’un autre acide aminé). Un acide aminé est de la que de quelques dixièmes deforme -NH-CR-CO-, et ce squelette se répète plusieurs fois. La chimie seconde. Il est dit exotique, car il Alors, faut-il pour autantclassique ne permet pas de modifier le groupe R d’un acide aminé a beaucoup plus de neutrons que remettre en cause le modèle enparticulier. Liang Zhao et ses collègues, à l’Université McGill à Mont- son isotope stable (des isotopes couches ? Non, mais ces étudesréal, ont développé un procédé de chimie « douce » qui y parvient. ont le même nombre de protons, indiquent que son domaine de 16 pour le soufre, mais un nombre validité est plus restreint que Actuellement, la fabrication d’un peptide suppose l’enchaîne- différent de neutrons). Nous prévu et qu’il devra être complétément un à un des acides aminés. Mais les chimistes canadiens ont l’avons produit en laboratoire pour mieux décrire les noyauxréussi à fabriquer un « squelette » peptidique sur lequel ils peuvent en bombardant une cible par un exotiques.greffer des groupes -R- à la demande, notamment des groupes alkyle, noyau stable accéléré. Nous avonsindole ou vinyle, des groupes saturés ou non, cycliques ou linéaires. tout d’abord observé que le .➜ Stéphane Grévy, GANIL.On obtient ainsi des acides aminés qui n’existent pas dans la nature. soufre 43 ainsi créé ne se trouveLa réaction, catalysée par le cuivre, est capable de cibler l’atome de L. Gaudefroy et al., Physical Review Letters,carbone du squelette peptidique sur lequel on cherche à fixer le groupe vol. 102, 092501, 6 mars 2009choisi. De plus, elle se déroule sans solvants toxiques ou produitspétrochimiques, et à des températures faibles (de l’ordre de 100 °C). Pour le noyau atomique Énergie du soufre 43, le niveau .➜ B. S.-L.. d’énergie fondamental Premier niveau excité correspond à une forme Niveau fondamental PNAS, en ligne, février 2009 oblongue, tandis que 0 le premier niveau excité correspond à une forme Paramètre de déformation sphérique. L’écart d’énergie étant faible, les deux formes coexisteraient.10] Actualités © Pour la Science - n° 379 - Mai 2009

ActualitésNanotechnologies Ruban de nanotubesMuscles artificiels à nanotubesDes rubans ultralégers, rigides dans une direction A. E. Aliev et al.et élastiques dans les deux autres, ont été réalisés. 12 nanomètres et sont constitués d’en- viron 9 tubes emboîtés. Ils sont souventL es nanotubes de carbone conti- gamme de températures, de celle de groupés en fagots plus ou moins orien- nuent de passionner les physiciens l’azote liquide (–200 °C environ) à plus tés dans le sens de la longueur du ruban. et les ingénieurs. Dernier exemple de 1 600 °C. Et dans la troisième direc-en date, Ray Baughman et son équipe, à tion, celle de leur longueur, les rubans La structure formée par les nano-l’Université du Texas (à Dallas) et à l’Uni- sont aussi solides et rigides que de l’acier! tubes est enchevêtrée, mais est dans l’en-versité d’État de Floride (à Tallahassee), semble orientée selon la longueur duont fabriqué à partir de ces éléments struc- R. Baughman et ses collègues ont ruban, ce qui expliquerait la forte ani-turaux des rubans minces et ultralégers obtenu leurs rubans par tirage de « forêts » sotropie des propriétés mécaniques.qui, commandés par une haute tension de nanotubes de carbone à parois mul- Dans le sens de la longueur, qui corres-électrique, se comportent comme des tiples, synthétisées par dépôt chimique pond en moyenne à l’axe des nanotubes,muscles artificiels. Soumis à quelques en phase vapeur, la source de carbone le matériau est très rigide; dans les deuxcentaines de volts, ces rubans doublent étant de l’acétylène gazeux. La densité autres directions, au contraire, les nano-de taille dans le sens de leur largeur et de ces feuillets longs de quelques centi- tubes peuvent bien plus facilementde leur épaisseur, et ce en quelques mètres est très faible: de l’ordre de un à s’écarter les uns des autres, et il en résultemillisecondes (les charges électriques trois microgrammes par centimètre carré, un matériau quelque 30 fois plus élas-apportées par la mise sous tension se ce qui en fait l’un des plus légers solides tique que les caoutchoucs ordinaires.répartissent sur les nanotubes, qui se connus. La microscopie électroniquerepoussent alors mutuellement). Et ce montre par ailleurs que les nanotubes .➜ M. M..comportement est observé dans une large sont longs d’une fraction de millimètre, ont un diamètre externe d’environ A. E. Aliev et al., Science, vol. 323, pp. 1575-1578, 2009

ActualitésClimatologieLe pourquoi de la chaleur médiévaleD u XIe au XIVe siècle, l’Eu- Cette équipe a étudié les cernes aux marges de la zone où se fait © Jan Esper rope et les régions de l’At- de croissance de cèdres marocains sentir l’oscillation. lantique Nord ont connu ainsi qu’une stalagmite écossaise, Des cèdres marocains ontune période de réchauffement, deux enregistrements naturels Les climatologues ont montré enregistré le climat des sièclesnommée optimum climatique du climat passé. L’idée était de que cet indice est resté élevé lors passés dans leurs cernesmédiéval, durant laquelle, par reconstituer le comportement de de l’optimum climatique médié- de croissance.exemple, les Vikings colonisèrent l’oscillation nord-atlantique, phé- val, correspondant à des condi-le Groenland et la culture de la nomène météorologique qui se tra- tions climatiques clémentes, etvigne s’étendit jusqu’en Grande- duit par un va-et-vient d’air entre, qu’il a chuté au moment de la tran-Bretagne. Pourquoi les tempé- d’une part, les régions arctiques et sition vers le Petit Âge glaciaireratures augmentèrent-elles de islandaises et, d’autre part, les qui lui a succédé. Les raisons defaçon aussi notable ? C’est ce zones subtropicales près des la persistance des deux types dequ’ont voulu savoir Valérie Açores. Un indice (noté NAO) rend conditions sont encore à éluci-Trouet, de l’Institut fédéral de compte de la différence de pres- der, mais on peut imaginer que lesrecherches sur la forêt, la neige sion entre ces deux parties du eaux de surface du Pacifique et deet le paysage, à Birmensdorf, en globe. Les régions choisies (le l’océan Indien ont joué un rôle.Suisse, et ses collègues. Maroc et l’Écosse) correspondent .➜ L. M.. V. Trouet et al., Science, à paraître, 20096 ÉTUDIANTS SUR 10 se déclarent stressés par les mathématiques, au pointque nombre d’entre eux évitent les filières où ils savent qu’ils y seront confrontés. Biologie cellulaire Le VIH, de cellule en cellule précisés par Wolfgang Hübner, de Les enregistrements vidéo l’École de médecine du Mont mettent en évidence des sortes Sinaï, à New York, et ses collègues. de « boutons », de taille micro- La synapse virologique est un métrique, où la protéine gag s’ac- processus de rapprochement de cumule. De là, elle traverserait la deux cellules qui favorise leurs synapse et pénétrerait dans la cel- échanges. Celle qui est infectée lule non infectée, vraisemblable- expose la protéine virale d’enve- ment au moyen de vésicules Benjamin Chen loppe, nommée env, à sa surface, d’endocytose (des petites invagi- ce qui favorise le rapprochement nations de la membrane cellulaire). avec une autre cellule non infec- L e virus du sida, ou VIH, est tée pourvue du récepteur et Ce mécanisme constitue une Vue tridimensionnelle connu pour se propager de ses corécepteurs. CD4 différence notable avec ceux mis d’une cellule infectée par rapidement dans l’orga- en jeu lors de l’infection par un le VIH (en vert) au contact nisme. Le plus souvent, la cellule Les biologistes ont utilisé des virus libre, où la membrane du qu’il a infectée produit de mul- virus dont la protéine gag a été virus fusionne avec celle de la de trois autres cellules tiples copies virales qu’elle libère, rendue fluorescente, de façon à cellule. Ici, le virus serait ingéré(en rouge) via des synapses notamment, par bourgeonnement. suivre leurs mouvements dans la tout entier, sans fusion des mem- Cependant, le VIH utilise aussi un branes. Ce processus de trans- virologiques. autre moyen, en passant directe- mission, qui accroît la propagation ment d’une cellule infectée à une du virus, ouvre la voie à des types autre qui ne l’est pas via une cellule. Cette molécule est le pré- inédits de traitements qui pour- synapse dite virologique. Les curseur des protéines de structure raient limiter l’infection. mécanismes de ce transfert ont été du virus: elle s’assemble au niveau de la membrane de la cellule et .➜ L. M.. recrute les autres facteurs viraux de façon à fabriquer les virions qui W. Hübner et al. Science, vol. 323, pp. 1743-1747, 2009 seront relâchés.12] Actualités © Pour la Science - n° 379 - Mai 2009

ActualitésArchéologieLa plus ancienne vigne de... BourgogneOn cultivait la vigne en Bourgogne dès le Ier siècle de notre ère.A u Ier siècle de notre ère, Pline mentionnait le vignoble du champ remonterait au Ier siècle Lyonnais; pour cette raison, de notre ère. Chaque fosse est longue de 130 centimètres et largeil est réputé être l’un des plus d’un peu moins de 60. Dans cha-anciens de France. Le vignoble cune d’elles, on peut observer l’em-bourguignon ne l’est pas moins, preinte laissée par un arbuste etcomme l’indique la découverte à ses racines. Une vigne ? La dispo-Gevrey-Chambertin, non loin de sition de la plantation ne laisseDijon, d’une vigne plantée à la guère de doute : elle rejoint cellemême époque. des autres vignes gallo-romainesAu lieu-dit « Au-dessus de connues. Pline ne mentionne pas INRAPBergis », une zone pavillonnaire les Éduens, mais son commen-va être agrandie. Son exploration taire suggère que ceux-ci, comme liers d’amphores massaliotes quearchéologique menée par l’INRAP tous les voisins des Allobroges, ont les vignes grecques découvertes Vue aérienne de la vignea révélé plus de 300 fosses alignées adopté l’allobrogica, le cépage gau- non loin de Marseille montrent découverte en Côte-d’Oren rangs régulièrement espacés lois que l’on cultivait dans le « Vien- que, dès leur arrivée au VIe siècle et datant du Ier siècleet séparés par une distance mul- nois » (le Lyonnais) au Ier siècle. avant notre ère, les Phocéens ont de notre ère. Les fossestiple de un pied romain (29,6 cen- Quoi qu’il en soit, ni les vignes commencé à cultiver la vigne, puis où étaient plantéestimètres). Le tout est entouré d’un du Lyonnais, ni celles de Côte-d’Or ont considérablement développé les vignes sont parfaitement alignées.fossé. D’après les débris de pote- ne peuvent prétendre être les plus la viticulture.ries que l’on y a découverts, le anciennes de France. Tant les mil- .➜ François Savatier.© Pour la Science - n° 379 - Mai 2009 Actualités [13

ON EN REPARLERetour sur des sujets déjà traités dans nos colonnes➜ PRÉDIRE LA SCHIZOPHRÉNIE une région cérébrale profonde, le striatum; « chef d’orchestre », car il reçoit des infor- c’est aussi le cas des schizophrènes avé- mations de nombreuses autres zones (voirL es schizophrènes représentent près rés, mais pas des personnes saines. En outre, Mobilité du regard et troubles de la lecture, Pour de un pour cent de la population et plus la quantité de dopamine est élevée, la Science, mai 2004). Des neurobiologistes dix pour cent d’entre eux se suicident, plus les symptômes sont graves. Ce serait californiens et français précisent les méca-généralement au début de la maladie. Ils peut-être une façon d’identifier de façon nismes neuronaux des microsaccades: l’ac-souffrent d’une maladie psychiatrique com- précoce les patients à risque de schizo- tivité des neurones du colliculus supérieurplexe et invalidante, aux multiples symp- phrénie afin d’améliorer la prise en charge. augmente juste avant et pendant les micro-tômes. Les traitements antipsychotiques saccades ; quand on les inhibe temporai-ont une efficacité limitée puisqu’ils ne ➜ LES MÉCANISMES rement, la fréquence des mouvementspermettent pas à tous les patients de retrou- diminue sans perturber la fixation du regardver une vie normale. En outre, les méca- DES MICROSACCADES (Science, février 2009). Ainsi, le colliculusnismes cérébraux de la maladie se précisent, supérieur contrôle aussi les microsaccades,mais restent incertains (voir Décrypter la Q uand on fixe un objet du regard, les ce qui suggère que ces dernières partici-schizophrénie, Pour la Science, février 2004). yeux ne sont pas immobiles: ils effec- peraient à l’attention visuelle, comme lesOn sait depuis les années 1950 que les tuent des mouvements impercep- saccades et la vergence.concentrations d’un neurotransmetteur, tibles, très rapides et involontaires, que l’onla dopamine, sont modifiées dans diverses nomme des microsaccades. Leur rôle dans ➜ LE CODE DE L’ODEURrégions cérébrales des schizophrènes – bien la vision reste controversé, notammentque ces anomalies n’expliquent pas tous parce qu’on ignore comment elles sont D ’où vient la réaction de plaisir pro-les symptômes. Oliver Howes et ses col- produites. En revanche, on connaît les fonc- voquée par l’odeur d’une rose ?lègues, de l’Institut de psychiatrie à Londres, tions et les mécanismes des autres mou- Avant de pouvoir répondre à cetteont mesuré les concentrations cérébrales vements des yeux, dits volontaires, que sont question, il faudrait savoir quels récepteursde dopamine chez des personnes hospita- la vergence et la saccade. D’ailleurs, parmi olfactifs – situés dans le nez – les cen-lisées, car elles présentaient des signes les régions cérébrales commandant ces taines de molécules composant le parfumavant-coureurs de schizophrénie (Archives mouvements oculaires volontaires, le col- de la rose activent. Or cette question est loinof General Psychiatry, janvier 2009). La liculus supérieur est considéré comme le d’être résolue (voir De la molécule à l’odeur,concentration de dopamine est élevée dans Pour la Science, décembre 1995). Chaque récepteur olfactif (il en existe plus de➜ MOGO, PLUS FORT QUE L’HOMME 300 chez l’homme) reconnaît une caracté- ristique physico-chimique d’une moléculeCertains jeux sont résolus : l’ordinateur ne perd plus odorante, un groupe chimique ou la taille d’un site moléculaire par exemple. Cettecontre l’homme et fait – au pire – match nul. Aux Bruno Bourgeois information est transformée en signal élec-échecs, l’homme est incapable de gagner contre les trique, lui-même transmis au système olfac- tif. Des chercheurs américains et chinoismeilleurs programmes informatiques à moins de viennent de dresser le code odorant d’un répertoire de récepteurs olfactifs de mam-bénéficier d’un avantage en début de partie. mifères (Science Signaling, février 2009) ; en d’autres termes, ils ont testé 93 groupesMais il reste un jeu de réflexion où l’homme odorants sur 464 récepteurs humains et murins. Ils ont ainsi identifié les molé-domine encore les meilleurs programmes : cules qui se lient spécifiquement à 52 récep- teurs de souris et à 10 récepteurs humains.le jeu de go qui se joue sur une grille de Ils ont ensuite développé un modèle pré- dictif liant les propriétés physico-chimiques19 x 19 intersections. Sa richesse com- d’une molécule odorante à la séquence qui code chaque récepteur. L’objectif est de pré-binatoire est gigantesque : il existe voir les informations neuronales déclen- chées par une odeur.361 possibilités pour poser la première .➜ Bénédicte Salthun-Lassalle.pierre, 360 pour la deuxième, etc., soit au total,10170 positions possibles ! Les programmes, à partir d’une posi-tion donnée, examinent un échantillon des coups possibles. Des chercheursfrançais de l’INRIA ont développé un tel programme: MoGo (voir L’ordinateur, cham-pion de go ?, Pour la Science, avril 2007). En 2007, ce dernier avait battu un joueurprofessionnel. Mais la consécration de MoGo est plus récente : au tournoi TaiwanOpen 2009, MoGo a battu un joueur professionnel avec seulement six pierres dehandicap (sur le grand goban 19 x 19), et le joueur Zhou Junxun, un des meilleursjoueurs mondiaux, avec seulement sept pierres de handicap.14] On en reparle © Pour la Science - n° 379 - Mai 2009



FAITES L’EXPÉRIENCEdePour la Science +Les Dossiers76 €seulement, au lieu de 102,50 €lesoDfSfooeisrttssie!rsBULLETIN D’ABONNEMENT À retourner accompagné de votre règlement à : Service Abonnements • Pour la Science 8, rue Férou • 75278 Paris cedex 06❑ Oui, je m’abonne à Pour la Science (12 numéros) + les Dossiers (4 numéros) pour 1 an * prix de vente au numéro76 € au lieu de 102,50* € Participation aux frais de port : Europe (hors France) 12 € par an, autres pays 25 € par an.❑ Oui, je m’abonne à Pour la Science seul (12 numéros) pour 1 an56 € au lieu de 74,70* € Participation aux frais de port : Europe (hors France) 12 € par an, autres pays 25 € par an.❑ J’accepte de recevoir par e-mail des informations de Pour la Science.❑ J’accepte de recevoir par e-mail des informations des partenaires commerciaux de Pour la Science.Mes coordonnées (à remplir) : Je règle par :Nom, prénom : ❑ Chèque à l’ordre de Pour la Science ❑ Carte bancaireAdresse :Code postal : Ville : Numéro de la cartePays : Date d’expiration Code de sécurité***E-mail**: Signature obligatoireTéléphone**: PLS379Date de naissance**:En application de l’article 27 de la loi du 6 janvier 1978, les informations ci-contre sont indispensables au traitement de votre commande. Elles peuvent donner lieu à l’exercice du droit d’accès et de rectification auprès de Pour la Science. Par notre intermé-diaire, vous pouvez être amené à recevoir des propositions d’autres organismes. En cas de refus de votre part, il vous suffit de nous prévenir par simple courrier. **facultatif *** Merci d’inscrire les 3 chiffres figurant au dos de vitre carte

COURRIER DES LECTEURSPour nous écrire : [email protected].✔ CLAIR DE LUNE. parallèle à ⌸ passant par ⍀, par rapport à irréaliste. Après tout, la « bonne » science laLune,enparticulierleSoleil,n’admetaucune n’est pas indispensable pour faire unJ’ai quelques remarques concernant image visuelle, autrement dit aucune pro- « bon » film de science-fiction. Il faut aussil’article Vers le haut ou vers le bas (Pour jection conique sur ⌸, puisqu’un tel objet se une part de fantaisie, de parodie ou dela Science n° 378, avril 2009). L’auteur trouve derrière le champ visuel de l’observa- rêve. Pourtant, si les consultants scienti-dit que le cercle C’ est plus petit que teur. C’est la raison pour laquelle la demi-droite fiques n’étaient plus considérés commele cercle C. Sur un plan strictement Lune-Soleil n’admet une projection que sur un des arguments marketing, il y aurait plusthéorique, cela est vrai, mais en pratique, segment fini partant de la Lune, et ce seg- souvent des films de science-fiction cré-c’est si minime que cela ne peut justifier ment se projette bien sur la demi-droite por- dibles et la physique de Hollywood nela phrase : « Cette différence de rayons tée par ⑀ et orientée vers le haut. serait plus extraterrestre !fait que (...) la Lune apparaît parfaitementpleine. » En effet, le rayon de la Lune est .✔ LA SCIENCE ET LA FICTION. .✔ ET SI ON AVAIT LA SOLUTION....de 1 738 kilomètres. Sa distance à laTerre étant de 385 000 kilomètres environ Concernant Les limites de la science dans J'ai lu avec intérêt l’article sur L'hypothèse(presque l’infini !), un calcul simple la science-fiction (Pour la Science n° 377, de Riemann (Pour la Science n° 377,montre que le rayon du cercle C' est mars 2009), le niveau déprimant mars 2009). Supposons que l'hypothèsede 1 737,98 kilomètres. Concernant des connaissances scientifiques de Riemann soit prouvée formellement,la figure 5, l’auteur dit à juste titre des réalisateurs de films de science-fiction quel impact aurait cette démonstration ?qu’elle est symétrique par rapport ne tire-t-il pas sournoisement vers le bas Est-ce la démonstration elle-même quià la droite ⑀. C’est exact, mais la droite est le niveau scientifique des spectateurs serait une innovation telle qu'elle ouvriraitdirigée dans le mauvais sens, ce qui et n'accrédite-t-il pas des contre-vérités ? la porte à la résolution d'un grand nombreà mon sens conduit à une conclusion Le son, par exemple, voyage très bien d'autres problèmes mathématiques ?erronée. En effet, l’auteur dit que dans le vide spatial dans la majorité Et si oui lesquels? Y aurait-il des retombées« le Soleil est très bas derrière des histoires... concrètes ? Si oui, dans quels domaines ?l’observateur », mais ce n’est pas ce qui Christian Cusset, par www.pourlascience.fr Michel Zelvelder, par courrielest représenté sur la figure 3et les suivantes : la droite ⑀ ne doit pas ➜ RÉPONSE DE ROLAND LEHOUCQ ➜ RÉPONSE DE PETER MEIERaboutir en haut à droite, mais en bas Les réalisateurs de films de science-fiction ET DE JÖRN STEUDINGà droite. Avec la droite ⑀ telle que l’auteur l’a privilégient le spectacle à la science, cela ne Comme on ignore de quelle branche destracée, il est certain que la partie fait aucun doute. Parfois, leur contourne- mathématiques une (!) solution pourraitéclairée est au-dessus de la partie sombre. ment des lois scientifiques relève des besoins venir, on ne peut que spéculer sur les réper-Pierre Frappe, Lyon de l'intrigue. Ainsi, voyager dans l'espace cussions de cette solution sur d’autres pro- plus vite que la lumière est « nécessaire » blèmes. Mais peut-être doit-on mentionner➜ RÉPONSE DE FRANÇOIS APÉRY pour rendre crédible la possibilité d'un empire ici quelques autres aspects. L’édifice théo-Effectivement la différence de rayon entre C galactique. Cependant, le niveau scientifique rique qu’ont construit les mathématicienset C’ est minime. Néanmoins, dans la confi- des films de science-fiction pourrait souvent en supposant vraie l’hypothèse de Rie-guration évoquée où la Lune vient « tangen- être sensiblement amélioré sans remettre mann est si immense que la preuve deter » la position d’éclipse, cet écart, aussi en cause l'intrigue principale. cette hypothèse fournirait un fondementminime soit-il, fait que la Lune est effective- solide à tous ces travaux. Et à partir d’eux,ment pleine, et pas seulement visuellement Certains films bénéficient pourtant de de nombreuses connexions avec d’autresà la précision de l’observation près. Pour le l’avis d’un consultant scientifique. Holly- domaines sont déjà connues, avec la théo-deuxième point, il faut tenir compte du fait wood a bien compris que le jargon scienti- rie quantique ou la géométrie fractale pourque tout ce qui est de l’autre côté du plan ⌸1 fique crée l’illusion d’une authenticité, d’une n’en citer que deux exemples exotiques. vérité, même si elles sont maltraitées dans Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu’en Lune C Plan ⌸ le film. Cela vaut peut-être le prix d’un consul- mathématiques, la résolution est en géné- tant scientifique, même s’il n’est pas réel- ral plus importante que le problème cor- C’ Soleil lement nécessaire pour créer cette illusion. respondant, parce qu’elle conduit à une Son nom au générique permet surtout d’ob- compréhension plus profonde des choses. ⑀ tenir la respectabilité nécessaire pour Ainsi, avec une démonstration de l’hypo- balayer les étincelles de doutes qui pour- thèse de Riemann, on espère que s’éclair-Horizon raient s’allumer dans l’esprit du public. ciront certains des mystères qui entourent Observateur ⍀ les nombres premiers. Attendre des scénaristes qu’ils soient loyaux avec la science est probablement© Pour la Science - n° 379 - Mai 2009 Opinions [17

OpinionsVRAI OU FAUXLes savons « antibactériens » sont-ils utiles ?Non, ils ne font qu’augmenter la résistance des bactéries aux médicaments.Ils sont pourtant indispensables quand le système de défensed’une personne est affaibli.Coco BALLANTYNEL essavons,lesproduitsménagers, sées). Ainsi, ce phénomène dit de résis- © Shutterstock/Kirill Kleykov les soins du corps – les déodo- tance croisée a été mis en évidence pour rantsparexemple –,certainspro- le triclosan, un des antibactériens les plus vées dans l’organisme soient dangereuses. duits de beauté et les lingettes communs. Des mutations génétiques appa- Mais des études récentes suggèrent quepour bébés sont estampillés de la mention raissent dans des bactéries exposées au de telles doses perturbent les systèmes«antibactériens ».Autrementdit,ilscontien- triclosan pendant de longues périodes : elles hormonaux des grenouilles et des rats.nent un agent qui tue les bactéries. À quoi sert rendent alors les micro-organismes résis-l’addition de ce produit? Est-il bénéfique? tants à l’isoniazide, un antibiotique utilisé ...mais aucun avantage pour traiter la tuberculose. On élimine les bactéries en utilisant En conséquence, la présence de ces addi-du savon et de l’eau chaude, de l’alcool ou D’autres mutations permettent aux bac- tifs antibactériens est douteuse. Un comitéde l’eau de Javel. Le savon décolle la saleté, téries de stimuler leurs pompes moléculaires d’experts convoqué par l’Administrationles corps gras et les microbes des surfaces qui expulsent les antibiotiques; en effet, un américaine des denrées alimentaires et desqui sont alors éliminés par de l’eau. L’alcool, des mécanismes de résistance aux antibio- médicaments (la Food and drug adminis-quant à lui, détruit des composants des cel- tiques des bactéries est d’empêcher le médi- tration) a conclu qu’il n’y a pas assez delules (de la peau et des bactéries), puis il cament d’atteindre sa cible bactérienne en preuves montrant un quelconque bénéfices’évapore. Il en va de même de l’eau de Javel. l’expulsantdelacellule.C’estlecasparexemple de ces savons antibactériens.Au contraire, les produits utilisant des anti- de la résistance à la ciprofloxacine, utiliséebactériens tuent les bactéries, mais lais- pour traiter la maladie du charbon. On a Quelques scientifiques affirment toutsent des résidus. montré ces effets des savons antibactériens de même que l’utilisation de produits anti- en laboratoire, mais il est probable qu’ils aient bactériens est justifiée dans les familles oùDes inconvénients... lieu dans des environnements naturels. des personnes ont un système immunitaire affaibli et dans les hôpitaux où de nom-Or ces traces d’antibactérien posent pro- Quiplusest,onretrouvedegrandesquan- breuses souches bactériennes pathogènesblème. Si quelques bactéries résistent à titésdetriclosanoudesonanaloguechimique, sont souvent présentes. Mais en général,ce produit, elles se développent sans le triclocarban, dans les cours d’eau et les le meilleur moyen de rester en bonne santéentraves et prennent le dessus sur les autres rivières. Ces deux produits polluent aussi est de se laver les mains au moins trois foisbactéries non résistantes : la nouvelle popu- les stations d’épuration, car ils sont souvent par jour à l’eau savonneuse.lation bactérienne résistera à une deuxième utilisés dans les engrais. Ce qui laisse penserattaque du même agent antibactérien. « Ce qu’ils pourraient contaminer l’alimentation. Coco Ballantyne est journaliste scientifiquequi ne tue pas rend plus fort » ; en d’autres Tout cela ne fait qu’augmenter la résistance à New York.termes, ces savons sélectionnent les bac- des bactéries à leur environnement.téries qui leur résistent et sont donc sou-vent inefficaces, du moins à long terme. On a aussi trouvé du triclosan dans le lait maternel, bien que ce soit à des concen- En outre, quand les bactéries deviennent trations considérées comme inoffensivesrésistantes à ces savons, elles sont parfois pour les bébés. Il en existe aussi dans lemoins sensibles à certains antibiotiques (aux- sang humain.quels elles n’ont pourtant jamais été expo- Pour l’instant, il n’existe aucune preuve que les concentrations de triclosan retrou-18] Opinions © Pour la Science - n° 379 - Mai 2009



OPINIONSPOINT DE VUELa vulgarisation, le chercheur et le citoyenParce que la science et ses applications sont omniprésentes dans le monded’aujourd’hui, les efforts de vulgarisation que font les chercheursdevraient être mieux valorisés.Pablo JENSENL a recherche française est en tié des actions de vulgarisation du CNRS ! La le public, mais sans avoir de comptes à lui ébullition. Profitons de ces débats vulgarisation n’est donc pas l’activité la mieux rendre. Cette image de la recherche n’est pour aborder un aspect négligé partagée parmi les chercheurs. plus tenable dans nos sociétés modernes, et pourtant important pour les immergées dans les produits de la science. Pour mieux caractériser les vulgarisa-relations entre la science et la société : la teurs,nousavonscomplétécesstatistiques Commentfaireévoluerlasituation ? Notonsvulgarisation. Qui sont les vulgarisateurs ? par des critères reflétant leur activité aca- que les sciences tirent leur force d’un fonc-S’agit-il de l’élite scientifique, ou de ceux démique. Notre étude montre que ce sont tionnement en deux étapes. D’abord unqui n’ont pas (ou plus) le talent pour faire les chercheurs-vulgarisateurs qui publient nécessaire isolement dans les laboratoires,de la « vraie » science, comme on l’entend le plus d’articles scientifiques et que leurs où les chercheurs travaillent sur des objetsparfois ?Lesactivitésdevulgarisationsont- articles sont les plus cités par les autres simplifiés, loin de la complexité du mondeelles valorisées par les institutions ou, au chercheurs. Ce sont donc les meilleurs cher- réel. Ensuite, la confrontation des résultatscontraire, pénalisées comme une perte de cheurs qui font de la vulgarisation. Enfin, obtenusauxobjectionsdespairs,desautrestemps ? Certains vulgarisateurs le experts du domaine. La fiabilité descraignent et cachent à leurs tutelles LES RÉSULTATS DE RECHERCHE résultats scientifiques dépend cru-cette activité « honteuse »... doivent être soumis cialement de cette seconde étape, de nature collective, mais aujourd’hui Avec des collègues de diffé-rentes disciplines, nous avons voulu à la critique des chercheurs, limitée à la communauté savante.en avoir le cœur net. Nous avons dis- mais aussi à celle des citoyens. À partir du moment où les objetsséqué quatre années de statistiques de la science se répandent dans ladu CNRS. Cela nous a permis d’ana- société, il faudrait étendre le pouvoirlyser, pour la première fois, les pratiques de si la vulgarisation figure (dans les textes d’objectionauxcitoyens,pourgarantirlafia-vulgarisation, de valorisation, d’enseigne- officiels) comme une mission des cher- bilité des résultats scientifiques en dehorsment de quelque 10 000 chercheurs de cheurs CNRS, les statistiques montrent deslaboratoires.L’exempledesOGMestrévé-toutes les disciplines. Nous avons compta- quel’activitédevulgarisationn’estpasrecon- lateur : c’est de la recherche de pointe déve-bilisécommeactionsdevulgarisation,toutes nueentermesdepromotions.L’avancement loppéeenlienavecl’industrie,maisinadaptéecelles dirigées vers le grand public : confé- reste dominé par le nombre d’articles et la socialementfautedemiseàl’épreuveauprèsrence, interview, site Internet, participation renommée des revues où ils sont publiés, des citoyens. Des débats précoces auraientà des journées portes ouvertes, etc. ainsi que par l’âge des candidats. Le mes- peut-êtrepermisdeprivilégierdestechniquesQu’avons-nous appris ? D’abord, que la sage adressé par l’institution aux vulgari- de sélection classique des semences, gui-moitié des chercheurs font régulièrement sateurs semble donc être le suivant : dées par la génétique, mais sans manipu-de la vulgarisation, et que cette proportion échangez avec le public si cela vous amuse, lationgénétiquedirecte.Cestechniques,quivarieselonladiscipline.Ainsi,leschercheurs mais en dehors de votre temps de travail, bénéficient aujourd'hui d'un regain d'inté-en sciences humaines et en astrophy- qu’il faut réserver à la publication d’ar- rêt, ont été initialement délaissées par lessique sont très actifs (plus d’une action ticles dans les revues internationales. chercheurs qui les considéraient peupar an en moyenne), alors que les chimistes Lesinstitutionsscientifiquesperpétuent «modernes »...etpeususceptiblesdefaireet les biologistes communiquent très peu ainsi l’image de la recherche fondamentale la une de la revue Nature !(une action tous les trois ans). Ainsi, cinq commeuneactivitérelativementisolée,dans Si l’on admet l’importance de promou-pour cent des chercheurs assurent la moi- laquelle les chercheurs sont financés par voir les échanges avec le public, comment20] Point de vue © Pour la Science - n° 379 - Mai 2009

Opinionsprocéder en pratique pour les valoriser ? cheursdes«sciencesdures » àprendre du demeure inaccessible, voire un peu magique.D’abord, il est important – au plan symbo- recul et à réfléchir sur leur travail quoti- Elle reste cantonnée aux aspects purementlique – d’inclure les activités de vulgarisa- dien. Pour ce faire, chaque discipline serait scientifiques, en la présentant comme untion des chercheurs et des laboratoires dans tenue de consacrer une proportion minime « savoir hors-sol », privé de son terroir social.les critères d’évaluation. On objectera que de ses propres crédits au financement de Pour que le public puisse s'approprier lesces activités sont difficiles à évaluer. Sans projets de recherche proposés par des cher- sciences, la vulgarisation doit relier les avan-doute, mais un comité composé de cher- cheurs en sciences sociales. De telles inter- cées scientifiques à leur contexte socio-cheurs en sciences sociales et de vulgari- actions permettraient aux chercheurs des historique. Ainsi, les citoyens pourrontsateurs pourrait suggérer des indicateurs sciences dures de mieux comprendre l'im- exercer leur esprit critique, ingrédient indis-et des instances capables d’évaluer la vul- brication profonde des savoirs scientifiques pensableàla démocratisationdessciences.garisation. Ensuite, il conviendrait que les avec les mondes technique, politique et éco-appels d’offres exigent, comme c’est le nomique, d'apprécier les bénéfices de leurs Pablo Jensen est chercheur CNRScas au Royaume-Uni, d’intégrer des travaux pour la société ou les risques poten- au Laboratoire de physique, École normaleéchanges avec le public dans les projets tiels. Cette ouverture devrait bien sûr s'amor- supérieure de Lyon. Il dirige l’Institutproposés, activités dont on tiendrait compte cer dès la formation, en incluant des cours rhônalpin des systèmes complexes.dans les rapports finaux. d'histoire et de sociologie des sciences dans les cursus scientifiques. P Jensen et al., Scientists who engage with Plus ambitieuse est la suggestion faite society perform better academically, Sciencepar Baudouin Jurdant, professeur en sciences Ce travail de réflexion renouvellerait éga- and Public Policy, vol. 35, pp. 527-541, 2008.de la communication et de l’information à lement la vulgarisation. On a trop connu laParis VII. Son objectif est de pousser les cher- vulgarisation « vitrine », qui attire mais Réagissez en direct à cet article sur www.pourlascience.frDÉVELOPPEMENT DURABLELes oiseaux, révélateurs du réchauffementL’observation des oiseaux par le grand public a conduit à l’élaborationdu premier indicateur des effets du changement climatique sur la biodiversité.Frédéric JIGUETL es causes des changements cli- turels, à travers les représentations socié- L’institution a également initié un projet, matiques sont encore discutées, tales de la biodiversité. nommé Vigie-Nature, qui continue de déve- notamment pour déterminer la lopper, en collaboration avec divers parte- responsabilité des activités Depuis 20 ans, en France, des natura- naires, des observatoires citoyens suranthropiques. En revanche, le réchauffement listes passionnés comptent les oiseaux d’autres composants de la biodiversitéglobal de la planète ne fait plus de doute. chaque printemps, accumulant progressive- (plantes, escargots, papillons, batraciens,Selon les prévisions les plus récentes publiées ment une grande quantité de données stan-par le Groupe d'experts intergouvernemen- dardisées et quantifiées. Ces informations chauves-souris...).tal sur l'évolution du climat (le GIEC), les tem- permettent aujourd’hui d’étudier les effetspératures terrestres pourraient augmenter des changements globaux sur la biodiversité. © Shutterstockjusqu’à quatre degrés d’ici 2100, avec desmodifications importantes des régimes de L’exemple des oiseaux nicheurs est inté- Un pipit farlouzeprécipitations. Ces changements auront un ressant : ce groupe d’êtres vivants, bienimpact certain sur la biodiversité, et donc sur connu du grand public, intéresse de nom-les différents services que la nature rend à breux amateurs et a fait l’objet de plusieursl’homme : production alimentaire, régulation travaux de recherches en écologie. Ledu carbone et de l’oxygène, mais aussi cul- Muséum national d’histoire naturelle, à Paris, coordonne et la valorise ce Suivi tem- porel des oiseaux communs (le STOC).© Pour la Science - n° 379 - Mai 2009 [21Développement durable

Opinions L’idée est de mobiliser le public afin qu’il pays européens. La mise en commun du © Charlie Fleming quête de migrateurs rares, la communautécollecte des informations sur l’ensemble du même type de données STOC à l’échelle euro- d’oiseaux nicheurs a notablement changéterritoire. Il devient ainsi un acteur essen- péenne, à travers la collaboration de plus au cours du XXe siècle. L'île a été coloniséetiel des études d’impact des changements de 20 pays, a conduit à l’élaboration d’un peu à peu par des espèces généralistesglobaux. Lavertupédagogiqueestindéniable, indicateur d’impact des changements cli- banales, tels la mésange charbonnière, leet c’est aussi l’occasion de montrer que la matiques sur les oiseaux à l’échelle conti- pouillot véloce, la corneille noire... venusnature ordinaire, celle qui nous entoure au nentale, le premier du genre. du continent. À l’inverse, les espèces plusquotidien, a un rôle important dans les éco- typiques des landes se sont raréfiées, tan-systèmes. La biologie de la conservation Dans ces travaux, nous avons combiné dis que le bruant proyer et le cochevis huppé,ne s’intéresse pas qu’aux espèces rares ! les résultats de modèles prédictifs d’aire de spécialistes des milieux agricoles ouverts, distribution future selon les scénarios cli- ont disparu au début des années 1980. Après 20 ans de comptages d’oiseaux, matiques publiés par le GIEC, et les donnéeseffectués par plus de 1 200 observateurs de suivis d’oiseaux de 1980 à 2005. Nous Cependant, ces modifications ne sontrépartis dans tous les départements métro- avons obtenu des modèles de l’évolution pas imputables aux changements clima-politains, l’analyse des informations possible de l’aire de distribution des oiseaux tiques. Elles résultent surtout de l’abandonrecueillies a mis en évidence les effets, déjà nicheurs en Europe, pour la fin duXXIe siècle. progressif des activités agricoles, du déve-visibles, du réchauffement climatique sur loppement des friches, de la disparition desles communautés d’oiseaux nicheurs en Un bruant zizi troupeaux, ce qui a peu à peu uniformiséEurope. De quelle façon ? les habitats de l’île. Certaines espèces devraient voir leur zone Sur un site donné, une communauté d'oi- de repartition s’agrandrir, d’autres diminuer. Cet exemple illustre un phénomèneseaux est constituée d'individus de diffé- Les premières sont souvent des espèces nommé homogénéisation biotique, un pro-rentes espèces. Pour chacune d’elles, on méditerranéennes qui pourraient coloni- cessus par lequel les communautés vivantesestime la moyenne des températures (de ser le Nord de l'Europe (le bruant zizi, la huppe s’uniformisent sous l’effet de la dégrada-mars à août) de toute la zone qu’elle occupe fasciée, le guêpier d'Europe...), tandis que tion ou de la perturbation des milieux. Lesen Europe. Cette valeur est l’indice thermique les secondes, plutôt nordiques, disparaî- mêmes espèces très répandus sont lesde l'espèce. Pour un site, on calcule l'indice traientdeleurszonesderepartitionlesplus gagnantes d’une compétition évolutive dansthermique de la communauté, qui est la méridionales (le pipit farlouse, le tarier des l’exploitation des ressources. Et les espècesmoyenne des indices des espèces présentes prés, le bruant jaune...) spécialistes, d’un habitat ou d’un climat, souf-pondérée par leur abondance. Depuis 20 ans, frent les premières des changements glo-cet indice thermique augmente et l’on en Ces prédictions sont confirmées par baux, laissant la place aux généralistes quidéduit que les communautés d'oiseaux ras- l’étude de l’abondance actuelle de ces s’adaptent sans doute plus vite.semblent de plus en plus des espèces qui espèces, à l’échelle du continent. Ainsi, on« aiment » le chaud. peut relier sans ambiguïté les changements Alors, que restera-t-il de ce que cer- observés dans les communautés d’oiseaux tains nomment la sixième crise d’extinction ? Ensuite, nous avons regardé comment au réchauffement climatique. Les scientifiques s’efforcent de le prédire,l’indice thermique varie dans l'espace selon notamment grâce à diverses techniques deun gradient Nord-Sud en France, et nous en Localement, les changements d’occu- modélisation. Desurcroît, les observatoiresavonsdéduitunecorrespondanceentrevaria- pation des sols jouent un rôle dans l’évolu- participatifs de biodiversité comme ceuxtion de l'indice thermique et distance, en fai- tion de cette biodiversité. Par exemple, sur développés par Vigie-Nature montrent quesant l'hypothèse que la variation temporelle l’île d’Ouessant, isolée au large de la Bre- les citoyens sont également conscients dessur un site est similaire à la variation spa- tagne et très prisée des ornithologues en changements en cours. En outre, ils sonttiale en un temps donné. Qu’observe-t-on? volontaires pour participer aux études qui éclaireront les mécanismes en jeu et qui, En France, l’augmentation récente des partant, aideront à mettre en place des stra-températures correspond à un déplacement tégies d’adaptation et de protection de lathermique d’environ 275 kilomètres vers le nature. C’est d’autant plus urgent que cesNord. Les communautés d’oiseaux se sont travaux le révèlent, les effets du change-déplacéesdeseulement90 kilomètresvers ment climatique se font déjà sentir.le Nord : si les oiseaux réagissent au réchauf-fement et semblent suivre le climat, ils sont Frédéric Jiguet est maître de conférencesen retard et n’ont fait que le tiers de la dis- et travaille dans le Laboratoire (UMR 7204,tance qui leur permettrait de rester à l’équi- MNHN-CNRS-UPMC) Conservationlibre climatique. des espèces, restauration et suivi des populations, au Muséum national Des travaux similaires sont en cours d’histoire naturelle, à Paris.sur les papillons diurnes dans différents22] Développement durable © Pour la Science - n° 379 - Mai 2009



OpinionsQUESTIONS OUVERTESTests génétiques :quels sont les enjeux du libre accès ?L’offre de tests génétiques sur Internet, en dehors de tout cadre médical,place les usagers face à des situations difficiles.Anne CAMBON-THOMSEN, Emmanuelle RIAL-SEBBAG et Pascal DUCOURNAUE n France, sur les 12 000 mala- sité, la plupart des cancers, maladies neu- essentiellement nord-américaines. Réali- dies héréditaires d’origine géné- rodégénératives telles celles d’Alzheimer sables souvent à partir d’un simple prélè- tique recensées, près de 1 000 et de Parkinson, maladies psychiatriques, vement de salive ou de cellules de la peuvent aujourd’hui faire l’ob- etc. – , les facteurs génétiques ne sont qu’un muqueuse buccale, cette offre commercialejet d’un test de dépistage. Ces tests ne élément parmi de nombreux autres impli- connaîtunsuccèsmondialgrâceàInternet :sont accessibles que sur prescription médi- qués dans le déclenchement de la maladie toute personne peut commander son testcale et dans les seuls cas prévus par le Code et dans son évolution. en ligne, envoyer un prélèvement biologiquede la santé publique : diagnostic, y compris par la poste et recevoir le résultat par le mêmeprénatal, d’une pathologie génétique ; C’est pourquoi un récent rapport d’ex- canal. L’offre diagnostique par Internetmise en évidence d’un ou plusieurs gènes pertise collective de l’INSERM, publié en jan- échappe de facto au cadre juridique natio-de prédisposition (ou susceptibilité) à une vier 2009, demande notamment que les tests nal et au système de santé.maladie ; et adaptation de la prise en charge génétiques restent des actes de biologiemédicale en fonction des caractéristiques effectués sur prescription médicale. Leur uti- Imaginons ainsi une personne prenantgénétiques d’une personne. lité clinique et sociale doit être évaluée : on connaissance du résultat d’un test de pré- doit examiner, pour chaque test, ce qu’il diction de la maladie d’Alzheimer – une Dans ce contexte, la réalisation de tests apporte précisément à la prise en charge des société d’Honolulu propose un tel test pourvisant à détecter des prédispositions géné- patients et en quoi il est bénéfique pour les 280 dollars. En cas de résultat « positif »,tiques à diverses maladies multifactorielles individus et pour la société. elle se trouve brutalement confrontée à unepose de nombreux problèmes humains et information complexe : le gène testé (iciéthiques. En effet, dans ces pathologies Toutefois, ce vœu se heurte à la multi- ApoE) n’étant qu’un facteur de risque parmi– maladies cardio-vasculaires, diabète, obé- plication des tests génétiques proposés d’autres, le résultat lui indique une cer- directement au public par des entreprises, taine probabilité d’être atteinte dans un futur plus ou moins éloigné. Psychologiquement,1.DESENTREPRISESCOMMERCIALISENTDESTESTSGÉNÉTIQUES surInternet.Cettepaged’ac- la nouvelle peut être difficile à assumer.cueil du site des Laboratoires CyGene, à Coral Springs, en Floride, résume bien leurs argumentscommerciaux. Selon elles, les tests seraient innovants, permettraient à chacun de découvrir le risque Dans le cas d’une maladie due à l’ano-de maladie caché dans son génome, ou inversement des capacités insoupçonnées ; de plus, ils malie d’un seul gène et susceptible de seseraient exacts, anonymes, personnalisés et financièrement accessibles. déclarer plus tard, comme l’hémochroma- tose héréditaire (caractérisée par une sur- charge des tissus en fer), la prédiction peut être profitable parce qu’elle permet une prévention efficace – ce qui ne signifie pas que tous les tests de maladies monogéniques proposés sur Internet soient fiables. Lors- qu’ils’agitdemaladiesmultifactorielles,la pré- diction du risque varie d’un test à un autre, etd’unepersonneàuneautre.Si la personne24] Questions ouvertes © Pour la Science - n° 379 - Mai 2009

Opinionsrecherche une certitude qui lui permettrait Dans bien des cas, les tests proposés aujour-Montage Pour la Science avec des images Shutterstock LES AUTEURSde prendre des mesures de prévention ou de d’hui n’ont fait l’objet d’aucune validationtraitement, ce type de test se révèle dépourvu montrant qu’ils sont capables de déceler Anne CAMBON-THOMSENde pertinence. les modifications moléculaires qu’ils sont est directrice de recherche supposés détecter ; aucune publication ne au CNRS, à l’INSERM U558 Mais que vendent précisément les socié- permet de vérifier la relation entre leurs et à l’Université de Toulouse.tés de tests génétiques ? Des données de résultats et la survenue d’une mala- Emmanuelle RIAL-SEBBAGséquences d’ADN ? Une information person- die chez un individu ; aucune n’éta- est juriste au sein du mêmenelle ? Une information de santé ? blit leurs éventuels bénéfices pour laboratoire. les patients et leurs conséquences Pascal DUCOURNAU, sociologue,Une logique pour la société en termes de prise est maître de conférencescommerciale en charge des malades et de coût, à l’Université d’Albi. par exemple. Ils sont membresSchématiquement, on distingue trois grands de la plateforme « Génétiquetypes d’offres commerciales de tests géné- Mais alors, comment les entre- et société » de la Génopoletiques. D’abord, des tests qui établissent prises qui vendent des tests géné- Toulouse Midi-Pyrénées.avec certitude la présence d’une mutation tiques justifient-elles leur offre ?dans un gène pouvant causer une maladie ; Essentiellement par un discours ✔ SUR LE WEBet des tests recherchant des marqueurs de nature publicitaire. Ainsi, le pre-de prédisposition à une pathologie ou un mier argument mis en avant http://www.ccne-ethique.fr/autre trait multifactoriel, par exemple une est la notion d’autonomie : le http://infodoc.inserm.fr/test_gesensibilité particulière à la nicotine, censée droit à l’information génétique netiques/accentuer le risque de dépendance au tabac. permettrait, selon les promo- http://www.cite-sciences.fr/ teurs des tests, de devenir le francais/ala_cite/evenements/ Le deuxième type d’offres propose des « gestionnaire éclairé » de medecine_predictive/diagnostics anténatals de pathologies soi, de contrôler sa santémonogéniques. Ces tests, qui exigent et sa vie en toute liberté. [25Questions ouvertesactuellement l’assistance d’une équipe Un deuxième argumentmédicale (elle prélève les cellules embryon- aiguillonne la curiositénaires ou fœtales) pourraient bientôt des clients potentiels,s’en affranchir ; en effet, plusieurs travaux leur souhait d’être àont montré qu’il est possible de détecter la pointe de la techno-des mutations de gènes sur de l’ADN fœtal logie, et celui de leprélevé dans le sang maternel. montrer ; on met en avant lecôtéludique Le troisième type d’offres ne concerne et convivial qu’il ypas les maladies. Il s’agit de tests de pater- aurait à partager sesnité, de filiation, de détermination de l’origine informations géné-ou de l’appartenance à un groupe ethnique, tiques, en constituantd’identification de personnes par empreintes ainsi de nouveaux groupesgénétiques, ou de la détermination du sexe sociaux. Dans la société de l’information,du fœtus. Par ailleurs, certaines entre- cette « génétique récréative » devient uneprises n’hésitent pas à proposer de détec- source d’information supplémentaire.ter les bases génétiques de caractèrescomme la couleur des yeux et la taille, la sen- Ces arguments commerciaux soulèventsibilité à la douleur, voire les aptitudes spor- de sérieuses questions sociales et éthiques,tivesou,plusproblématique,l’« intelligence ». qui s’ajoutent aux conséquences psycho- logiques posées par la mise en évidence Or, en ce qui concerne la prévision des de prédispositions génétiques.maladies multifactorielles, les tests, mêmefiables et reproductibles – ce qui est loin d’être Pour des raisons psychologiques etactuellement le cas – n’offrent aucune cer- sociales, le fait de connaître une informa-titude. Ainsi,surlapopulationdespersonnes tion sur soi n’implique pas que l’action detestées, une proportion importante recevra prévention appropriée ou qu’un traitementdes résultats faussement positifs, d’autres soit mis en place. Par exemple, un testfaussement négatifs (voir l’encadré page 26).© Pour la Science - n° 379 - Mai 2009

OpinionsL’information génétique : un malentenduD ans les maladies, souvent graves et sans les promoteurs de tests sur Internet réutilisent tistique fournit des informations peu utiles pour traitement, dues à la mutation d’un seul habilement cette croyance à l’autonomie per- l’individu, comparables à ce qu’apporte lagène, l’anomalie mise en évidence est déter- mise par la technique. prise en compte des antécédents familiaux,minante, ou du moins hautement prédictive : par exemple.elle indique l’évolution probable de la santé de En réalité, l’information génétique permetl’individu, avec un risque d’erreur très faible. rarement de prédire le déclenchement et l’évo- Une bonne interprétation du résultat d’unElle signifie aussi que d’autres membres de sa lution d’une maladie où plusieurs facteurs sont test dépend de la connaissance d’informationsfamille pourront être concernés. Cette approche mis en jeu. En effet, elle ne prend pas en compte biologiques et médicales, de l’environnement,reflète la réalité, mais elle a fait le lit d’un nou- les interactions variées, biologiques, environ- du mode de vie, du contexte social, etc., toutesveau mythe : l’information génétique serait tou- nementales, mais aussi sociales, qui jouent sur choses impossibles à obtenir dans le cadre d’unejours prédictive, et les tests capables de la révéler ce déclenchement. Pour caractériser les gènes offre effectuée par Internet.seraient porteurs d’une nouvelle « politique de qui contribuent avec d’autres facteurs à unla vie », pour reprendre l’expression proposée trait particulier, les tests s’appuient sur des études Pour cette raison, le progrès technique, notam-par le sociologue britannique Nikolas Rose ; cha- qui tentent de mettre en évidence, dans des ment du séquençage de l’ADN, ne doit pas fairecun pourrait maîtriser sa santé, développer échantillons de population, une association sta- illusion : la plus grande fiabilité de l’informationune « technologie du soi ». Dans leurs messages, tistiquement significative entre des facteurs génétique qu’il devrait permettre d’obtenir au génétiques et une pathologie. Or une telle sta- niveau individuel ne garantira pas que l’inter- prétation médicale qui suivra sera solide.✔ BIBLIOGRAPHIE révélant une sensibilité exarcerbée à la nico- nées génétiques ou des échantillons bio- tine ne conduit pas forcément les sujets logiques. Le consommateur n’a pas la pos-S. Hogarth et al., The current concernés à cesser de fumer. Aucuneétude sibilité de demander la destruction deslandscape for direct-to-consumer en sciences sociales ne laisse penser que données qui le concernent. En se réservantgenetic testing : Legal, ethical, lesinformationsacquises poussentlesgens la possibilité d’utiliser ce matériel pour n’im-and policy issues, Ann. Rev. à changer effectivement de comportement porte quelle recherche future, les presta-Genomics Hum. Gen., vol. 9, ou de mode de vie ; le caractère génétique taires de tests font un investissement depp. 161-182, 2008. de l’information n’y change rien. recherche partiellement supporté par lesR. Geransar et E. Einsiedel, Evaluating consommateurs. Il existe déjà de grandesonline direct-to-consumer marketing Abus de pouvoir biobanques, des collections d’échantillonsof genetic tests: Informed choices et de données associées organisées dansor buyers beware?, Genet Test., Une des conséquences du libre accès aux le cadre de la recherche ou de la santévol. 12, pp.13-23, 2008. tests est que l’on peut pratiquer un test publique. Mais contrairement aux principesETC Group, Direct-to-consumer sur une personne sans son accord. Il est d’organisation de ces banques, des basesDNA testing and the myth of facile de se procurer de la salive, quelques de données se constituent insidieusement,personalized medicine, 2008. cellules, un cheveu et de tester quelqu’un sans être soumises à un quelconquehttp://www.etcgroup.org/en/mate- à son insu. Au contraire, dans un cadre médi- contrôle, sans avis éthique et sans règlesrials/publications.html?pub_id=675 cal, la procédure de consentement écrit et de gestion transparente.Tests génétiques : questions éclairé, c’est-à-dire reposant sur une infor-scientifiques, médicales mation préalable, garantit que les personnes Ajoutons que dans les contrats de pres-et sociétales, Expertise collective acceptent le test. tations qu’ils transmettent à leurs clients,de l’INSERM, 2008. les entreprises de tests s’engagent à gar-http://lara.inist.fr/ handle/ Ce risque est encore plus net lorsqu’il der secrètes les informations personnelles.2332/1444 concerne des enfants. Parmi les mesures Mais elles se déchargent en même temps établies dans un contexte médical, on ne de toute responsabilité en cas d’utilisation26] Questions ouvertes teste les enfants que s’ils peuvent en reti- des données par des tiers qui serait dom- rer unbénéficepoureux-mêmesavantl’âge mageable pour l’usager. Or ce risque existe : adulte. Or certains promoteurs de tests pra- à l’aide de certains logiciels, qui croisent tiquent des analyses sur mineurs sans four- des bases théoriquement anonymes, il est nir de garantie sur ce qu’ils leur apporteront. désormais possible d’identifier des don- nées personnelles. De surcroît, la plupart des contrats proposés par les sociétés du secteur Face à ces dérives, les solutions passent contiennent une clause de cession des don- par des mesures internationales d’encadre- © Pour la Science - n° 379 - Mai 2009

Opinionsment du marché des tests génétiques. Cette Tous tests génétiques 11 23 8question est débattue depuis plusieurs reliés à la santéannées dans certaines instances. En 2008, Types de tests génétiques proposésle Conseil de l’Europe a ainsi adopté un pro- Tests diagnostiques 7 24tocole additionnel à la Convention sur les D’après R. Geransar et E. Einsiedel, Genet Test., vol. 12, pp.13-23, 2008de maladiesdroits de l’homme et la biomédecine, relatifaux tests génétiques à des fins médicales. monogéniquesCependant, il n’aborde pas la question de l’uti-lisation des tests pour la recherche et celle Tests d'évaluation 9 4 Médecin généralistede leur libre accès en dehors d’un cadre médi- d'un risque associé ou spécialiste requiscal, ni celle de leur utilisation par les assu- Médecin sous contratrances et les employeurs. Le Comité directeur à une maladie avec l’entreprise requisde bioéthique du Conseil de l’Europe a orga- multifactorielle Médecin employénisé des conférences sur ces sujets, mais par l'entreprise requisaucun consensus ne s’est encore dégagé. Tests visant à améliorer 3 2 1 4 Pas de médecin requis En France, le Comité consultatif natio- un caractèrenal d’éthique (CCNE) s’est prononcé en 2004sur les « autotests ». À propos des mala- 0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20 22 24dies multifactorielles, il stipule que « la pra-tique des autotests dans ce domaine paraît Nombre d'entreprisesêtre de nature à générer de faux espoirsou de fausses inquiétudes, à donner accès 2. SELON UNE ÉTUDE RÉALISÉE AUPRÈS DE 24 ENTREPRISES aux États-Unis, bon nombreà des informations inutiles au plan cli- d’entre elles vendent des tests génétiques qui n’exigent pas l’assistance d’un médecin (en jaune).nique ou pour éclairer des choix de mode C’est surtout le cas pour les tests dits d’amélioration (ligne du bas), qui évaluent comment les varia-de vie. Ils risquent au contraire de confor- tions individuelles de certains gènes influent sur un aspect physiologique (profil cardio-vascu-ter l’idée d’un déterminisme génétique ou laire, réponse à l'alimentation, aux médicaments, etc.). Les chiffres représentent le nombreau contraire de l’absence de risque pour cer- d’entreprises qui déclarent commercialiser tel ou tel type de test (requérant ou non un médecin).taines pathologies qui entraînerait plus de Les usagers peuvent ainsi se trouver face à des résultats qu’ils ne peuvent correctement interpréterconfusion que d’éclairage ». Cependant, cet et qui sont parfois difficiles à assumer psychologiquement.avis prend acte des évolutions technolo-giques et sociétales et appelle à être recon- que l’interdiction des tests serait en contra- libre accès. De plus, les informations quesidéré en fonction de ces évolutions. diction avec l’article 10 sur la vie privée et le droit à l’information de la Convention sur fournissent les agences et les profession-Une validation les droits de l’homme et la biomédecine dupar les professionnels 4 avril 1997, et, en France, avec la loi du nels ne correspondent pas nécessairement 4 mars 2002 sur les droits des malades.Plus récemment, dans le cadre d’un rap- Elle propose que soit instaurée « une veille à celles que souhaite le grand public etport sur le bilan d’application de la loi de permanente sur les produits disponiblesbioéthique du 6 août 2004, l’Agence de la sur le marché ». Une commission recen- aux questions qu’il se pose. Cela signifie quebiomédecine a mis en exergue les pro- serait les examens en libre accès, les éva-blèmes posés par la disponibilité des tests luerait et diffuserait l’information auprès des espaces d’échanges placés sous la res-sur Internet. Elle déplore « que la liberté du grand public en rappelant les bonnesde faire réaliser à l’étranger et à ses frais pratiques : pas de test génétique sans ponsabilité conjointe des médecins, desdes tests génétiques (tests de paternité, utilité médicale démontrée et sans suivirecherche d’une pathologie à révélation tar- médical individualisé. scientifiques et des usagers seraient cer-dive, tests de prédisposition à une mala-die), via Internet notamment, s’exerce en L’expertise collective de l’INSERM ajoute tainement utiles pour les compléter.dehors du cadre légal ». L’agence souligne un autre principe qui devrait, à notre sens,donc l’urgence d’une concertation inter- contribuer à réguler le développement des L’une des questions centrales poséesnationale sur ces tests. tests génétiques : « Le statut et la place des tests génétiques doivent être discutés par le libre accès aux tests génétiques est Parmi les professionnels, la Fédération avec les patients et les personnes concer-française de génétique humaine rappelle nées. » Les associations de patients et donc de concilier l’autonomie des citoyens les individus ne partagent pas forcément l’opinion des professionnels de santé sur dans la prise en charge de leur santé et leur les tests génétiques. On peut parier que nombre d’entre eux apprécient l’autonomie protection face à des dérives potentielle- vis-à-vis du corps médical que permet le ment néfastes. Quelques mesures per- mettraient sans doute d’y parvenir. Un système de veille analyserait les caracté- ristiques techniques des nouveaux tests et leurs conséquences éthiques. Tout test ferait l’objet d’une validation technique et médi- cale par les professionnels compétents, et un contrôle de l’information associée au test et fournie au public serait organisé ou renforcé. En outre, les professionnels et le public bénéficieraient de formations adap- tées sur les enjeux des tests génétiques et leur interprétation. ■© Pour la Science - n° 379 - Mai 2009 [27Questions ouvertes

Environnement Sauvons les ABEILLES Diana Cox-Foster et Dennis vanEngelsdorpUn mal mystérieux, le syndrome d’effondrementdes colonies, tue les abeilles, des insectes qui sont essentielsà la pollinisation des cultures de fruits et de légumes.L’E S SENTIEL A ux États-Unis, Dave Hackenberg d’effondrement des colonies d’abeilles ». Charles Krebs gagne sa vie en transportant par Au printemps suivant, seules 800 de ses✔ Des millions camion ses ruches d’abeilles, de 3000 colonies avaient survécu. champ en champ, pour polliniser diversesde colonies d’abeilles cultures – on parle de transhumance –, D. Hackenberg n’est pas la seule vic-meurent dans celles de melons en Floride, les pommiers time (voir la figure 2). Au printemps 2007,le monde : les cultures de Pennsylvanie, les cultures de myrtilles nous avons montré qu’un quart des api-risquent d’en pâtir. du Maine et celles des amandes en Cali- culteurs des États-Unis ont souffert de fornie. En France aussi, beaucoup de pertes semblables et que plus de 30 pour✔ Diverses combinaisons professionnels transhument leurs ruches cent de toutes les colonies ont disparu. selon les cultures à polliniser. L’hiver suivant, l’hécatombe reprit etde facteurs rendraient s’étendit, frappant 36 pour cent des api-les abeilles vulnérables À l’automne 2006, D. Hackenberg culteurs américains. On rapporta des pertesaux virus, en affaiblissant émigre avec sa famille et ses abeilles de importantes en Australie, au Brésil, auleur système immunitaire. sa résidence d’été en Pennsylvanie à sa Canada, en Chine, en Europe et dans résidence d’hiver en Floride, comme il le d’autres régions du monde. On ne dispose✔ Bien entretenir fait chaque année depuis 42 ans. Quand pas de données plus récentes, mais cer- il vérifie ses colonies, il constate qu’elles tains apiculteurs disent qu’ils ont aussi vules ruches et réintroduire « débordent » d’abeilles. leurs colonies se dépeupler l’hiver dernier.des plantes sauvageset des mauvaises herbes Une ville fantôme La disparition des abeilles est inquié-limiteraient le risque de tante, car un tiers de la production agricolesyndrome d’effondrement. Mais lorsqu’il revient un mois plus tard, du monde dépend de l’abeille européenne, de nombreuses colonies ont perdu un grand Apis mellifera, l’espèce adoptée par les api-✔ On pourrait développer nombre d’ouvrières, et seules de jeunes culteurs des pays occidentaux. Une étude ouvrières et la reine semblent en bonne récente a évalué l’activité des insectesdes médicaments santé. Plus de la moitié des 3 000 ruches pollinisateurs à 153milliards d’euros, soitantiviraux pour les abeilles. sont désertes. Mais il ne découvre aucun près de dixpour cent de la valeur de la pro- cadavre d’abeille. Il nous a alors contactés duction alimentaire mondiale. De nom- et nous avons aussitôt constitué une équipe breuses exploitations agricoles, fondées sur de travail interdisciplinaire ; en décem- la monoculture, nécessitent une importante bre 2006, nous avons décrit ce phénomène, activité de pollinisation. Or les autres pol- puis nous l’avons nommé « syndrome linisateurs, telles les abeilles sauvages ou les chauves-souris aux États-Unis, ne28] Environnement © Pour la Science - n° 379 - Mai 2009

1. L’ABEILLE EST EN DANGER :il faut la protéger si l’on veutsauvegarder les cultures de fruitset de légumes.

David Yellen tiquées aux États-Unis, soit moitié moins qu’en 1949. Mais les pertes hivernales de2. DAVE HACKENBERG a été le premier peuvent remplir ce rôle. Seule A. melli- 2007 et de 2008 ont été les plus importantes.apiculteur à alerter les entomologistes fera déploie des armées de pollinisateursaméricains à la fin de l’année 2006 : plus de pendant presque toute l’année, là où le Le syndrome d’effondrement des colo-60 pour cent de ses quelque 3 000 colonies temps est suffisamment doux et où il y a nies d’abeilles ne provoquera probablementd’abeilles ouvrières étaient mortes. des fleurs à butiner. pas l’extinction des abeilles, mais il pour- rait obliger de nombreux apiculteurs à aban- Les abeilles Nous avons rapidement exclu plu- donner leur métier. Si les compétences et sont toutes malades, sieurs causes possibles du syndrome d’ef- le savoir-faire des apiculteurs se raréfient, mais chaque colonie fondrement des colonies d’abeilles, et une centaine de plantes cultivées se retrou- avons découvert plusieurs facteurs pro- veraient sans pollinisateurs, et la produc- semble souffrir bablement impliqués. Mais nous n’avons tion à grande échelle de certaines cultures d’une combinaison trouvé aucun coupable unique. deviendrait impossible. Nous aurionsdifférente de pathologies. encore du blé, du maïs, des pommes de terre Différents pathogènes, notamment un et du riz. Mais de nombreux fruits et virus récemment découvert, infestent sou- légumes– parexemplelespommes,lesmyr- vent les abeilles souffrant du syndrome tilles, les brocolis et les amandes – devien- d’effondrement, mais ces infections draient des mets de luxe (voir la figure 3). seraient secondaires ou opportunistes. Aujourd’hui, nous pensons que le syn- Quand D. Hackenberg nous a parlé de drome est une maladie complexe, déclen- la disparition de ses abeilles, nous avons chée par diverses causes. Il ne sera sans d’abord pensé au varroa, un acarien para- doute pas facile de le traiter. Cela néces- site de l’abeille. Ce dernier est en grande sitera peut-être de prendre davantage en partie responsable d’une diminution de compte l’environnement et de changer les 45 pour cent du nombre des colonies pratiques apicoles et agricoles. d’abeilles dans le monde, entre 1987 et 2006. Les femelles adultes varroa se nourris- Avant l’apparition de ce phénomène, sent de l’hémolymphe, le sang des abeilles. les abeilles avaient déjà souffert d’un grand Ces acariens portent aussi des virus et dimi- nombre de maux qui réduisaient leurs nuent les réactions immunitaires de l’hôte. populations. En 2006, il y avait environ Mais D. Hackenberg affirmait que, cette 2,4 millions de colonies d’abeilles domes- fois, les symptômes étaient différents. Autopsier les abeilles Nous avons autopsié des insectes et avons découvert de nouveaux symptômes, notamment la présence de tissu cicatriciel dans les organes internes. Nous avons aussi trouvé certaines des maladies habituelles de l’abeille. Dans l’intestin, étaient présents des spores de nosema, un champignon uni- cellulaire qui cause la nosémose, une mala- die de l’appareil digestif. Mais la quantité de spores n’était pas assez grande pour expliquer les pertes observées. L’analyse moléculaire des abeilles a aussi révélé plusieurs types d’infections virales. Mais aucun pathogène n’expli- quait à lui seul l’étendue des disparitions. En d’autres termes, les abeilles étaient toutes malades, mais chaque colonie sem- blait souffrir d’une combinaison différente de pathologies. Nous avons supposé que « quelque chose » avait affaibli le sys- tème immunitaire des abeilles, le ren- dant sensible à tout type d’infections. Mais les suspects principaux, les acariens var- roa, n’étaient pas suffisamment nombreux pour expliquer cette hécatombe.30] Environnement © Pour la Science - n° 379 - Mai 2009

Au printemps 2007, nous avons étu- sédentaires et les itinérants. Même les api- LES AUTEURSdié, dans tous les pays, tous les aspects culteurs « bio » sont concernés. Diana COX-FOSTERde la gestion des colonies; nous avons inter-rogé les apiculteurs qui avaient été confron- Quand les médias ont parlé de cette est professeur d’entomologietés au syndrome d’effondrement, ainsi que hécatombe, le grand public a aussitôt à l’Université d’Étatceux qui y avaient échappé. Cette étude, exprimé son inquiétude, mais les hypo-et celles qui ont suivi, nous ont permis thèses de cette disparition étaient géné- de Pennsylvanie aux États-Unis,d’exclure plusieurs causes possibles. ralement sans fondements. où Dennis vanENGELSDORP travaille. Trouver le facteur Selon une de ces hypothèses, le pol- déclenchant len provenant de cultures génétiquement modifiées aurait empoisonné les abeilles.Aucune méthode de gestion des ruches Certaines de ces cultures contiennent unne serait seule responsable. Les apicul- gène codant un insecticide produit par lateurs industriels ont autant de pertes bactérie Bacillus thuringiensis. Quand desque les petits exploitants ou que les ama- chenilles se nourrissent de plantes pro-teurs. Les symptômes du syndrome d’ef- duisant ces toxines, elles meurent. Maisfondrement touchent les apiculteurs les chercheurs avaient déjà montré que la toxine n’est efficace que dans l’intestin des chenilles, des moustiques et de certainsLA MORT DES ABEILLES EST AUSSI UN PROBLÈME EUROPÉENS i en 2007 et 2008, les États-Unis ont perdu d’abeilles. Le quatrième groupe caractérise la estimations (voir la carte) ne soient pas toujours 36 pour cent de leurs colonies d’abeilles, vitalité et la diversité des colonies d’abeilles pour parfaitement représentatives de la situation dansles apiculteurs européens ont aussi eu à faire mieux les sélectionner. certains pays, elles montrent que le phéno-face à des pertes importantes de colonies mène est inquiétant.d’abeilles. Effondrements des colonies, intoxi- Dans l’ensemble, les experts européenscations par les pesticides et durée de vie des considèrent aussi que le syndrome d’effondre- Les mortalités sont souvent supérieuresreines anormalement courte sont d’actualité et ment des colonies est dû à une combinaison de à la limite maximale annuelle admise deplacent les apiculteurs dans des situations sou- multiples facteurs. Le manque de protéines ou dix pour cent. En France, une étude rigoureusevent préoccupantes. les pesticides affaibliraient le système immuni- réalisée par le Centre national de développe- taire des abeilles qui seraient alors plus sensibles ment apicole (le CNDA), sur un échantillon de À partir de ce constat, un groupe de cher- à un agent pathogène (un virus ou un parasite 168 exploitations professionnelles (1 358 ru-cheurs, animé par Peter Neumann, du Centre par exemple). Ils cherchent cependant à préci- chers et 62 408 ruches), a permis d’estimerde recherche sur l’abeille à l’agroscope Liebe- ser les causes de ces mortalités. les pertes de colonies d’abeilles à 29,3 pourfeld-Posieux en Suisse, a obtenu une enve- cent entre 2007 et 2008.loppe financière européenne pour créer un réseau Lors du dernier colloque qui s’est tenu àeuropéen et international d’échanges et de Zagreb en mars 2009, les scientifiques ont Yves Le Contecollaborations sur le thème des pertes de colo- réactualisé les pertes d’abeilles. Bien que ces Directeur de recherche à l’INRAnies d’abeilles domestiques. Ce réseau, nomméCOLOSS, comprend plus de 125 chercheurs, répar- MORTALITÉS DES COLONIES D’ABEILLES en 2007 et 2008 (pour l’Allemagne, l’Espagne,tis en quatre groupes et travaillant sur les mor- la Grèce, Israël et le Royaume-Uni, ces estimations ont été calculées respectivement entre 2004talités des colonies d’abeilles. COLOSS permet et 2008, 2006 et 2007, 2006 et 2008, en 2008 et durant l’hiver 2008).l’échange d’informations entre les chercheurs. Le premier groupe de travail s’intéresse auxméthodes d’estimation des pertes de colonieset de leurs causes, et aux méthodes de diagnostic.Il tente de mettre en place des techniquesstandardisées pour l’estimation des pertes decolonies afin d’avoir une vision claire de l’étatdu « cheptel » en Europe. Puis il cherche à esti-mer les causes des pertes d’abeilles à l’aide dequestionnaires et d’enquêtes de terrain, des outilsque l’apiculteur ou le scientifique pourront uti-liser. Enfin, ce groupe œuvre à l’optimisation destechniques de diagnostic. Le deuxième groupeconcerne les parasites et les pathogènes del’abeille. Il étudie leur virulence et leur trans-mission et les synergies des infections multiples.Le troisième groupe s’intéresse à l’effet del’environnement (nutrition et intoxications) etdes techniques apicoles sur les mortalités© Pour la Science - n° 379 - Mai 2009 Environnement [31

Scientific American3. SANS ABEILLES, fruits, confitures, coléoptères. Elle est sans effet dans celui pelouses débarrassées de toutes mau-gelées et amandes disparaîtraient de des abeilles et d’autres insectes. vaises herbes, tels le trèfle et le pissenlit.nos assiettes. Le lait également, Même les bords de routes et les parcscar les vaches en laiterie se nourrissent Une autre théorie, plus crédible, rend reflètent ce désir de maintenir l’envi-surtout de luzerne qui doit être pollinisée. responsables des poisons synthétiques. ronnement sans mauvaises herbes. Les deux principaux suspects sont les aca-Protéger les abeilles ricides – des produits chimiques utilisés Mais pour les pollinisateurs, des par les apiculteurs pour détruire les aca- pelouses bien soignées ressemblent à✔ Rétablir un équilibre riens – et les pesticides. des déserts ! Les abeilles pollinisant de vastes superficies de monocultures pour-dans l’habitat des pollinisateurs En 2006, de nouveaux pesticides ont raient manquer de nutriments importants,améliorerait leur bien-être remplacé des agents plus anciens. En comparées aux pollinisateurs qui se nour-et préviendrait l’effondrement France et ailleurs, les apiculteurs ont tenu rissent de multiples sources, comme dansdes colonies. Il faudrait morceler un type de pesticides, les néonicotinoïdes, un environnement naturel. Les apiculteursles vastes étendues pour responsables des dégâts causés aux ont essayé de compenser ces carences ende monocultures par insectes pollinisateurs. Ces insecticides développant des compléments alimen-des prairies et des haies, riches imitent la nicotine – une molécule natu- taires pour nourrir leurs colonies, mais cesen mauvaises herbes. relle produite par les plants de tabac pour produits à eux seuls n’ont pas empêchéDes plantes fleurissant lutter contre les nuisibles qui mangent le syndrome d’effondrement des colonies.à différentes périodes les feuilles ; ils sont plus toxiques pourde l’année apporteraient les insectes que pour les vertébrés. Nous avons donc centré nos recherchesplus de variété au régime sur ces deux sujets – les pesticides etalimentaire des pollinisateurs. Mais les néonicotinoïdes sont aussi l’alimentation – sans négliger une autre présents dans le pollen et le nectar de la possibilité : un nouveau pathogène, ou un✔ La stérilisation des ruches plante – pas seulement dans les feuilles. pathogène ayant récemment muté. La véri- Des recherches antérieures ont montré fication de ces trois hypothèses nécessi-avec des rayons gamma qu’ils diminuent la capacité des abeilles tait la collecte de nombreux échantillonsdétruisant l’ADN diminue à s’orienter pour revenir à leur ruche, un peu partout dans le monde. C’est enle risque de syndrome preuve que ces pesticides pourraient collaboration avec Jeff Pettis, du Dépar-d’effondrement, peut-être parce participer au syndrome d’effondrement. tement américain de l’agriculture, à Belts-qu’elle tue les micro-organismes ville dans le Maryland, que nous avonsqui contribuent à cette maladie. Une nourriture mené cette étude. Ne disposant d’aucune mal équilibrée ? abeille morte, nous avons récupéré des32] Environnement abeilles vivantes qui provenaient de Nous pensons aussi qu’une mauvaise ali- ruchers en « plein effondrement », pos- mentation peut affaiblir les défenses natu- tulant que les abeilles survivantes relles des abeilles. Les abeilles domestiques devaient déjà être contaminées. Nous – et les pollinisateurs sauvages – n’ont plus avons placé des abeilles dans de l’alcool à leur disposition le même nombre ni la pour rechercher la présence du champi- même variété de fleurs qu’autrefois, parce gnon nosema et du parasite varroa, et que les hommes ont modifié leur envi- nous avons congelé sur de la neige car- ronnement. Par exemple, nous avons bonique des abeilles, du pollen et de la planté d’immenses étendues de cul- cire de rayons pour réaliser des ana- tures sans bordures, ni haies, ni herbes, lyses moléculaires et chimiques. ni fleurs. Nous entretenons de vastes © Pour la Science - n° 379 - Mai 2009

Nous n’avons décelé aucune différence Mais dans la métagénomique, les gènes du champignon nosema, deux autres dede concentrations entre les protéines des appartiennent à différents organismes : champignons et plusieurs virus de l’abeille.abeilles issues des ruchers qui présentent le séquençage fournit un instantané desle syndrome d’effondrement et celles des séquences de nombreux organismes, Mais un virus de l’abeille se distingue,ruchers apparemment sains. Ces résultats notamment des individus microscopiques, car il n’a jamais été identifié aux États-suggèrent que l’état nutritionnel des abeilles dans un écosystème donné. Unis: le virus israélien de la paralysie aiguë– à lui seul – n’explique pas le syndrome. de l’abeille (IAPV pour Israeli acute paraly- On a utilisé la métagénomique pour sis virus). En 2004, c’est Ilan Sela, de l’Uni- Le résultat de la recherche de pesti- étudier l’eau de mer et le sol, ce qui a révélé versité hébraïque de Jérusalem, qui décrivitcides est tout autre. En analysant les insec- une surprenante diversité de micro-orga- pour la première fois ce pathogène, alorsticides, les herbicides et les fongicides nismes. Mais on peut aussi s’en servir pour qu’il cherchait à savoir pourquoi desdans les échantillons, on a trouvé plus de détecter des micro-organismes abrités par abeilles meurent d’attaques de paralysie.170 produits chimiques différents. La plu- un organisme plus grand et vivant soit en Nous avons trouvé ce virus dans presquepart des échantillons de pollen contien- symbiose avec leur hôte, soit infectant l’hôte. toutes les colonies présentant les symp-nent au moins cinq molécules différentes, tômes du syndrome d’effondrement etet certains jusqu’à 35. Mais si les concen- Bien sûr, dans nos échantillons, la plu- dans une seule colonie qui n’en souffraittrations et la diversité des produits chi- part des séquences de gènes proviennent pas. Mais cela n’est pas une preuve quemiques sont inquiétantes, aucun de ces des abeilles. Mais nous pouvions les éli- l’IAPV soit la cause de la maladie. Le syn-paramètres ne peut expliquer le syndrome miner, car le génome de l’abeille venait drome d’effondrement peut simplementd’effondrement : les colonies saines pré- d’être séquencé. Nous avons alors comparé avoir rendu les abeilles plus vulnérablessentent parfois des concentrations de cer- les séquences génétiques n’appartenant pas à l’infection par ce virus.tains produits plus élevées que les à l’abeille à celles d’organismes connus.colonies malades. Il existe au moins trois souches diffé- Ce travail a amélioré notre connais- rentes de ce virus et deux d’entre ellesLa piste des pesticides sance générale des abeilles. D’abord, infectent les abeilles aux États-Unis. L’une tous les échantillons (ceux atteints du syn- de ces souches serait arrivée avec des colo-En outre, nous n’avons trouvé aucun néo- drome d’effondrement et les sains) ren- nies d’abeilles importées d’Australienicotinoïde dans les échantillons. Pourtant, ferment huit bactéries, déjà décrites dans en 2005. L’autre souche serait apparue plusnous ne pouvons pas disculper ces com- deux études antérieures. Ces bactéries tôt, mais on ignore sa provenance. Onposés ni les autres pesticides. Les colonies pourraient être des symbiotes, jouant peut- sait en outre que le virus a existé chez lesd’abeilles sont dynamiques, alors que notre être un rôle essentiel dans la biologie de abeilles dans d’autres parties du monde,échantillonnage ne l’est pas – nous avons l’abeille, par exemple faciliter la digestion. donnant plusieurs souches différentes.prélevé des échantillons une seule fois. Il Nous avons aussi trouvé deux espècesest probable que des abeilles atteintes dusyndrome d’effondrement aient été infec- Les pollinisateurs sauvages souffrent aussitées par un produit chimique ou unmélange de produits absents au moment L es abeilles domestiques ne un micro-organisme fongique biologistes recommandent laoù nous avons recueilli les échantillons. sont pas les seuls pollinisa- unicellulaire, qui l’a tué. Ce préservation de « corridors de teurs à mourir de façon anor- champignon proviendrait des nectar », où ces animaux peu- Qu’en est-il d’une nouvelle maladieinfectieuse – ou d’une ancienne maladie male depuis quelques années. bourdons européens, importés vent trouver des fleurs le longqui aurait évolué ? Aucune des patholo-gies connues de l’abeille (bactériennes, En 2006, l’équipe de l’entomo- par les agriculteurs américains de leurs routes migratoires.fongiques ou virales) ne rend compte despertes dues au syndrome d’effondrement. logiste May Berenbaum, de pour polliniser des tomates et Mais les biologistes ne C’est alors qu’avec l’équipe de Ian l’Université de l’Illinois aux États- d’autres cultures maraîchères peuvent pas surveiller tous lesLipkin, à l’Université Columbia, nousnous sommes tournés vers une méthode Unis, montre que certaines en serres. pollinisateurs (il y en auraitcomplexe de chasse aux micro-organismes,nommée métagénomique. Dans cette espèces de pollinisateurs sau- 200 000 dans le monde) et ontechnique, les acides nucléiques (l’ADNet l’ARN) sont récupérés dans un envi- vages, comprenant certains ignore dans quel état de santéronnement contenant plusieurs orga-nismes. Le matériel génétique est mélangé insectes, mais aussi les chauves- ils sont. Plusieurs équipes fontet coupé en morceaux suffisamment petitspour que l’on puisse déchiffrer leurs souris et les colibris, souffrent appel aux internautes. Desséquences de lettres. également. Les causes possibles volontaires prennent des pho- Dans le séquençage génétique clas-sique, les chercheurs utilisent un logiciel seraient les mêmes que celles tographies de pollinisateurspour rassembler tous ces morceaux etreconstruire le génome de l’organisme. qui ont rendu les abeilles vul- et les publient en ligne, où les nérables au syndrome d’effon- chercheurs identifient les drement : l’introduction de La diminution de popula- espèces et leur lieu de vie. nouvelles maladies, l’empoi- tion de quelques espèces de En 2008, le Congrés amé- sonnement par des pesticides et chauves-souris et de colibris ricain a modifié pour la pre- l’appauvrissement des habitats. pollinisateurs – au point que mière fois sa politique agricole Ainsi, on a montré que le certaines espèces de chauves- pour inclure des mesures de bourdon a disparu d’une région souris sont menacées d’ex- protection de la pollinisation, s’étendant de la Californie cen- tinction – serait liée à des par exemple en prévoyant des Derrick Ditchburn trale à la Colombie-Britannique modifications de l’habitat. terres où des fleurs sauvages (dans l’Ouest du Canada); c’est Beaucoup de ces animaux pas- peuvent pousser et fournir du probablement Nosema bombi, sent l’hiver au Mexique, et les nectar, toute l’année.© Pour la Science - n° 379 - Mai 2009 Environnement [33

PLUSIEURS SUSPECTS, AUCUN COUPABLE Heidi & Hans-Jurgen Koch, Minden PictureSuspect : LES PRODUITS CHIMIQUESLes chercheurs ont On a découvert jusqu’àétudié presque tous 170 produits chimiquesles aspects de la vie différents dans les ruchesde l’abeille pour trouver de colonies maladesun coupable du syndrome et de colonies saines.d’effondrement des colonies. Certains échantillonsIls ont ainsi disculpé certains de pollen emmagasinéssuspects, mais trouvé dans les alvéoles enles combinaisons de facteurs contiennent jusqu’àqui peuvent engendrer le syndrome 35 types. Bien qu’aucunou y contribuer. produit chimique à lui seul ne semble être la cause du syndrome, A. Syred, Photoresearchers les pesticides affaibliraient les abeilles. Suspect : LE VARROA Cet acarien, représenté ci-dessous en train de sucer le sang d’une nymphe (le stade intermédiaire entre la larve et l’adulte), est le nuisible le plus commun et le plus destructeur pour l’abeille. Mais les colonies malades ne présentent pas d’infections suffisantes pour expliquer le syndrome d’effondrement. Central science Laboratory Photo researchers Suspect : DES PARASITES Barton Smith, Jr. Usda, Bee Research Laboratory Des champignons unicellulaires, tel le Nosema apis (ci-dessous), infectent les abeilles des colonies souffrant du syndrome d’effondrement. Ce parasite envahit le tube digestif et provoque une dysenterie. Mais l’infection est trop faible pour être létale à elle seule. Suspect : LE VIRUS ISRAÉLIEN DE LA PARALYSIE AIGUË Ce virus engendre des symptômes semblables à ceux du syndrome d’effondrement et il est présent dans la plupart des colonies malades. Il pourrait être la cause du syndrome d’effondrement ou une complication qui entraînerait la mort. Jen Christiansen Jen Christiansen

U N M É D I C A M E N T P O U R L’ A B E I L L E ?Beeologics, une société de biotechnologie à Miami, développe pour bloquer la formation de protéines virales ; ici, des ARNun médicament antiviral fondé sur un mécanisme immuni- interférents conçus pour cibler le virus israélien de la paralysietaire nommé interférence à ARN. Les cellules de la plupart des aiguë seraient donnés comme « médicament » aux coloniesanimaux et des plantes utilisent de petits ARN interférents d’abeilles sous forme d’ARN double brin mélangé dans un sirop. SANS TRAITEMENT, LE VIRUS SE MULTIPLIE AVEC LE TRAITEMENT, LE VIRUS EST BLOQUÉ Virus Cellule ➊ L’ARN fabriqué pour d’abeille reconnaître les séquences ➊ L’IAPV pénètre du virus est donné à l’abeille et il rentre dans une cellule. dans une cellule ➋ Les enzymes d’abeille. ➌ Les ribosomes de la cellule transforment l’ARN en ARN interférent. ➋ L’ARN viral traduisent l’ARN en protéines Complexe Médicament est libéré. virales. RISC ARN viral Ribosome ARN ➍ Les protéines virales interférent permettent au virus de se multiplier. Protéine Pas de ➌ L’ARN Ce dernier infecte l’hôte et se propage virale protéine à d’autres abeilles. virale interférent forme avec des enzymesJen Christiansen ➍ Le complexe RISC un complexe nommé RISC. se fixe sur l’ARN viral et bloque la traduction. Dans des serres, nous avons alors teurs spécifiques en réponse à un vaccinnourri des abeilles saines avec de l’eausucrée riche en IAPV. L’infection présente comme cela se passe chez les mammifères.certains symptômes du syndrome d’ef-fondrement. Après une ou deux semaines, On commence à développer d’autresles abeilles commencent à mourir, en secontractant sur le sol, victimes de paraly- approches, dont l’une est fondée sur l’in-sie. De surcroît, comme c’est le cas dansle syndrome d’effondrement, elles meu- terférence à ARN (voir l’encadré ci-dessus)rent loin des ruches. Ainsi, ce virus peutprovoquer le syndrome d’effondrement qui empêche un virus de se reproduireou au moins y contribuer. dans une abeille. L’objectif à plus long Tuées par un virus terme est d’identifier et d’élever desToutefois, d’autres équipes ont montréque l’IAPV est répandu aux États-Unis et abeilles résistant au virus. Cependant,que les colonies infectées ne présententpas toutes les symptômes du syndrome ; un tel travail pourrait prendre des années,soit le virus ne peut à lui seul causer lesyndrome, soit certaines abeilles sont plus peut-être trop pour éviter que la majoritérésistantes à l’IAPV. En 2007, nous avonsmontré que des colonies infectées par des apiculteurs n’abandonnent leur métier.l’IAPV peuvent se débarrasser elles-mêmes du virus. En attendant des solutions thérapeu- Aujourd’hui, un consensus se dégage: tiques, plusieurs apiculteurs ont réussi àde multiples facteurs – dont la malnutri-tion et l’exposition aux pesticides – inter- protéger leurs abeilles du syndrome d’ef-agissent pour affaiblir les colonies d’abeilleset les rendre sensibles à un syndrome d’ef- fondrement en améliorant leur régime ali-fondrement faisant intervenir un virus. mentaire, en éliminant les infections et les Un vaccin contre les virus de l’abeille,notamment contre l’IAPV, serait souhai- parasites, et en assurant une bonnetable. Mais les vaccins ne fonctionnent passur les abeilles, car leur système immu- hygiène. Notamment, en stérilisant lesnitaire ne produit pas les agents protec- ruches avec des rayons gamma, on dimi- ✔ BIBLIOGRAPHIE nue le risque de syndrome. Et des modi- J. Tautz, L’étonnante abeille, de Boeck, mars 2009. fications simples des pratiques agricoles, J. Grixti et al., Decline of bumble bees (Bombus) in the North comme morceler les vastes étendues de American Midwest, Biological Conservation, vol. 142, pp. 75-84, monocultures avec des haies, permet- janvier 2009. Y. Le Conte et M. Ellis, Mortalités traient de rétablir l’équilibre alimentaire et dépopulations des colonies d’abeilles domestiques : le cas des abeilles, tout en procurant de la nour- américain, Biofutur, n° 284, pp. 49-53, 2008. riture aux pollinisateurs sauvages. National Research Council, Status of pollinators in North America, On doit agir vite pour sauver les National Academies Press, 2007. abeilles et donc sauvegarder nos ressources alimentaires et protéger notre environ- nement. Ces efforts permettront aux abeilles d’assurer la pollinisation : c’est ainsi que nous continuerons à trouver dans nos assiettes les fruits et les légumes dont la consommation nous semble aujour- d’hui aller de soi. ■© Pour la Science - n° 379 - Mai 2009 Environnement [35

Géologie Peter Kelemen Des laves jaillissent en permanence des chaînes volcaniques sous-marines et donnent naissance L’E S SENTIEL à de la croûte océanique. Les géologues comprennent ✔ Environ 85 pour cent de mieux en mieux leur production et leur acheminement. des éruptions volcaniques O ù sont les volcans actifs de la Ces dernières années, la compréhen- ont lieu au sommet Terre ? Pour la plupart sous l’eau ! sion de ce phénomène a progressé. D’une des dorsales océaniques, En effet, 85 pour cent des érup- part, on comprend mieux l’interaction longues chaînes tions sont sous-marines. Leur formidable entre la fraction fondue de la roche et sa de volcans sous-marins activité crée en permanence un tapis fraction solide; d’autre part, les ophiolites, qui produisent le plancher rocheux de sept kilomètres d’épaisseur : d’anciens fonds océaniques aujourd’hui océanique. la croûte océanique. exposés sur les continents, autorisent l’ob- servation en surface d’anciennes roches ✔ On commence Au début des années 1960, la bathy- mantelliques. De ces travaux a émergé métrie (mesure des profondeurs) au son- une théorie détaillée de la naissance de à comprendre comment deur acoustique a révélé que le milieu des la croûte océanique, dont nous présen- du magma remonte des océans recèle de longues chaînes volcaniques tons ici l’essence. profondeurs du manteau qui, telles les coutures à la surface d’un bal- jusque sous les dorsales. lon de football, ceignent la planète entière. Une très longue Ce sont les «dorsales océaniques ». migration ✔ Le processus Une fois identifiée la nature basaltique Les processus décrits par cette théorie commencerait par de la croûte créée par les dorsales, les sont différents de l’idée simpliste que la la formation de minuscules scientifiques ne purent que s’interroger sur roche en fusion remplit une énorme cavité gouttelettes de liquide leur alimentation en magma. Une dorsale sous un volcan avant de s’infiltrer dans des basaltique, nées de la étant un lieu où deux plaques océaniques fissures pour déboucher en surface. Ils débu- fusion partielle des roches s’éloignent l’une de l’autre, du matériau teraient, à des dizaines de kilomètres sous du manteau terrestre, en fusion doit remonter des profondeurs le plancher océanique, par la lente migra- jusqu’à 150 kilomètres pour éviter qu’une fente dans la croûte tion de microgouttelettes de liquide basal- de profondeur. terrestre ne s’y forme. Toutefois, tant l’ori- tique à travers les pores de la roche. gine du magma que le mécanisme précis de36] Géologie son ascension restaient mystérieux. © Pour la Science - n° 379 - Mai 2009

1. LA DORSALE MÉDIO-ATLANTIQUE(ennoir), est une chaîne de volcans de 10 000 kilomètres de long située au milieu de l’océan Atlantique. Elle constitue la plus longue chaîne de mon- tagnes du monde. Les fausses couleurs indi- quent l’âge de la croûte océanique, qui est d’autant plus jeune (en rouge) qu’elle est proche de la dorsale. E.Lim et J. Varner CIRES (www.ndc.noaa.gov/mgg) Roche volca- mètres, entoure le fait apparaître de minuscules gouttesnique, le basalte est consti- noyau métallique de la de liquide aux joints des cristaux consti-tué de 50 pour cent de plagioclases Terre. Une fois parvenues en surface et tuant la roche.(silicates doubles d’aluminium, de potas- refroidies, les roches mantelliques pren-sium, de sodium ou de calcium), de 25 à nent des tons vert sombre, mais si l’on pou- Du liquide exsudé40 pour cent de pyroxènes (des silicates vait les observer en profondeur, on les par les rochesorganisés en rubans), de 10 à 25 pour cent verrait rouges, voire blanches, car ellesd’olivine (un silicate ferromagnésien) et sont incandescentes. D’environ 1 300 °C Restait à expliquer comment tant de micro-de deux à trois pour cent de magnétite juste sous la croûte, la température du man- scopiques gouttelettes de matériau man-(oxyde de fer). teau augmente d’environ 0,3 °C par kilo- tellique fondu, disséminées partout dans mètre de profondeur. Quant à la pression la roche, parviennent en surface. La frac- Les gouttelettes de liquide basaltique au sein du manteau, elle augmente de tion fondue de la roche étant moins densemigreraient d’une dizaine de centimètres quelque 1 000 atmosphères tous les trois que la roche solide qui l’exsude, elle ten-par an, ce qui correspond à la vitesse de kilomètres de profondeur. drait à migrer vers les régions où règnecroissance des ongles. Près de la surface, Dans les années 1960, les chercheurs une pression plus faible, donc vers le haut.elle s’accélérerait et finirait par produire ont pris conscience des températures etdes flots de lave se déversant sur le plan- des pressions qui règnent dans le man- Mais la composition chimique descher océanique à la vitesse d’un cheval teau et ont émis l’hypothèse que la croûte liquides produits en laboratoire ne concor-au galop. Afin de mieux comprendre la océanique résulte de la fusion partielle dait pas avec celle des laves de dorsales.formation du plancher océanique, il des roches mantelliques. Plus précisé- Grâce aux cellules expérimentales capablesimporte d’expliquer comment le liquide ment, quand certaines de ces roches, plus de chauffer et de comprimer des cristauxbasaltique monte vers la surface. chaudes et donc moins denses que les de roches mantelliques, les chercheurs ont autres, montent sous l’effet de la pous- appris que la composition chimique du Sous la croûte faite de basalte et les sée d’Archimède, la pression qu’elles matériau fondu varie avec la pression,volcans des dorsales océaniques, se trouve subissent diminue. Cette décompression donc avec la profondeur, et qu’elle estle manteau terrestre. Cette couche de modifiée par ses échanges avec la rocheroches brûlantes, épaisse de 3 200 kilo-© Pour la Science - n° 379 - Mai 2009 Géologie [37

LE PLANCHER OCÉANIQUE, UNE TRANSPIRATION DU MANTEAU TERRESTRELe fond de l’océan est une couche de roches basaltiques de sus nommé écoulement poreux canalisé, ces innombrables Dorsale océaniquesept kilomètres d’épaisseur. Cette massive croûte océanique gouttelettes finiraient par former les fleuves de lave quitrouverait son origine dans de minuscules gouttelettes de roche émergent au niveau des dorsales océaniques. À mesure quefondue formées au sein de vastes régions du manteau ter- s’élève ce matériau neuf, la croûte plus ancienne lui laisse larestre, la couche intermédiaire de la planète. Par un proces- place et s’éloigne du sommet de la dorsale (flèches). Croûte océanique Barrières cristallines ➊ LA ROCHE TRANSPIRE. La lente ascension de ➍ certaines roches au sein du manteau fait chuter la pression qui comprime les roches profondes, ce Canaux qui y provoque une fusion partielle. La fraction ➌ de dissolution liquide ainsi produite (en jaune) s’accumule dansles pores microscopiques, entre les cristaux solides (en marron) qui constituent la roche. Manteau ➋ DES CANAUX SE FORMENT. Le matériau fondu s’élève peu à peu vers les régions de pression inférieure. Ce faisant, les bords des cristaux solides se dissolvent en partie. Les capillaires ainsi formés s’agrandissent, puis se rejoignent pour former des passages, nommés canaux de dissolution.➌ LE LIQUIDE BASALTIQUE SUINTE LENTEMENT. ➍ DES BARRIÈRES BLOQUENT L’ÉCOULEMENT. ➎ DES FISSURES S’OUVRENT.Le magma ne s’élève que de quelques centimètres Dans le manteau supérieur, une partie du liquide Sous la dorsale océanique, les barrièrespar an, les canaux de dissolution étant basaltique qui remonte se refroidit assez pour cristallines bloquent complètement l’écoulementcongestionnés par les minéraux que le liquide cristalliser et former des barrières. Ces obstacles vers le haut. Le liquide basaltique s’accumulene peut pas dissoudre. Progressivement, naissent d’autant plus en profondeur dans des poches lenticulaires où la pressiondes millions de fils de magma se rejoignent que l’on s’éloigne de la dorsale, de sorte devient assez forte pour fracturer les rocheset forment des canaux plus larges. qu’ils guident le liquide basaltique vers la dorsale. froides qui les surmontent. traversée. Les expériences montrent qu’à mesure que posait, sa composition devrait refléter celles des roches le magma s’élève, il dissout de plus en plus d’ortho- composant les dix derniers kilomètres du manteau, pyroxène (un pyroxène particulier), tandis qu’il voire moins. Or la composition de la plupart des laves précipite de l’olivine. prélevées sur les dorsales océaniques suggère que le matériau fondu a migré à travers une couche rocheuse Ainsi, plus le liquide monte, plus il contient de d’au moins 45 kilomètres d’épaisseur sans dissoudre l’orthopyroxène et moins il comporte d’olivine. Tenant l’orthopyroxène de la roche environnante. Com- compte de ce phénomène, l’analyse de la composi- ment cela est-il possible ? tion des échantillons de lave de dorsales océaniques a révélé que la plupart correspondent à des frac- Au début des années 1970, les spécialistes ont pro- tions de roche liquide formées à plus de 45 kilomètres posé une explication proche de la vision que se fait de profondeur. le profane de la formation des dorsales : le liquide effectuerait la dernière étape de sa longue ascension Cette conclusion a suscité un vif débat à propos à l’intérieur d’énormes fissures. Ces voies de passage du mystérieux moyen par lequel du matériau fondu lui permettraient de monter si rapidement qu’il n’au- en profondeur s’élève à travers des dizaines de kilo- rait pas le temps d’interagir avec la roche environ- mètres de roches tout en préservant sa composition. nante ; la matière circulant au cœur des fissures ne Si une gouttelette de roche liquide remonte à travers toucherait même jamais les parois. les minuscules pores de la roche, comme on le sup-38] Géologie © Pour la Science - n° 379 - Mai 2009

Volcans et les a étudiés systématiquement. Elle a conclu de dorsales qu’il s’agit de fracturations de la roche mantellique où le liquide basaltique a cristallisé avant d’avoir ➏ atteint le plancher océanique.Fissure Le problème de cette interprétation est que cesremplie filons sont remplis de cristaux formés à partir d’unde liquide matériau fondu formé tout en haut du manteau, etbasaltique non à une profondeur de 45 kilomètres et plus, d’où proviennent la plupart des laves de dorsales océa- ➎ niques. Du reste, la théorie du brise-glace semble mal fonctionner sous la croûte des dorsales océaniques, Canal de Liquide puisque vers dix kilomètres de profondeur, le man-dissolution basaltique teau chaud y est ductile : il tend à s’écouler comme cristallisé un caramel laissé au soleil, plutôt qu’à se craqueler comme le fait le caramel solide.➏ LE LIQUIDE BASALTIQUE S’ÉCOULE RAPIDEMENT. Kevin Hand Pour résoudre la difficulté, j’ai travaillé sur uneLes fissures ouvertes permettent au liquide hypothèse alternative de transport de la lave dansde s’échapper rapidement vers le haut, la zone où apparaît la roche liquide. À la fin desce qui vide les poches en dessous. Une partie années 1980, j’avais développé une théorie chimiquedu liquide jaillit sous forme de lave au sommet proposant que le matériau fondu qui remonte pré-des volcans des dorsales, mais sa plus grande cipite moins d’olivine qu’il ne dissout de cristauxpartie se solidifie au sein de la croûte. d’orthopyroxène. Un accroissement du volume du liquide basaltique en résulterait, et par-là de la L’explication est plausible, mais à condition de pression qu’il exerce sur la roche solide.comprendre comment se sont formés ces canaux. Cer-tains géologues ont suggéré que la force d’Archimède Un écoulementqui pousse le matériau fondu vers le haut suffit à frac- dans un milieu poreuxturer la roche solide qui le bloque, et lui ouvre un pas-sage, exactement comme un brise-glace casse la glace Dans les années 1990, Jack Whitehead, de l’Institutqui l’empêche d’avancer. océanographique de Woods Hole, Einat Aharonov, aujourd’hui à l’Institut Weizmann, en Israël, Marc Adolphe Nicolas, de l’Université de Montpel- Spiegelman, de l’Université Columbia, et moi-même,lier, et ses collègues ont exploré les ophiolites, des for- avons modélisé ce processus. Nos calculs ont confirmémations rocheuses formées de vieille croûte océanique que la maturation chimique progressive de la frac-et de morceaux du manteau sous-jacent, que la ren- tion liquide est à même de développer les forces néces-contre de deux plaques tectoniques a hissées sur un saires pour élargir les interstices microscopiques decontinent. Dans le sultanat d’Oman, se trouve l’une la roche et ainsi former des voies de circulation pourdes ophiolites les plus remarquables du monde : elle le liquide basaltique.mesure 500 kilomètres de long et jusqu’à 100 kilo-mètres de large (voir la figure 2). L’équipe d’A. Nico- À mesure que les pores s’agrandissent, ils selas y a découvert des filons de composition basaltique connectent et forment des canaux. Puis la réaction de la roche aux forces exercées par le magma pro- voque la jonction de plusieurs canaux, qui créent ainsi des passages plus larges. Nos modèles numériques suggèrent que plus de 90 pour cent du matériau fondu finissent ainsi par se concentrer dans moins de dix pour cent de l’espace disponible ; cela signifie que des millions de capillaires remplis de roche fondue ali- menteraient quelques dizaines de canaux très poreux larges de 100 mètres ou plus. Même dans les canaux les plus larges, de nom- breux cristaux de la roche d’origine du manteau res- tent intacts, ce qui congestionne les conduits et entrave l’écoulement. C’est pourquoi le matériau fondu ne s’élève que de quelques centimètres par an seulement. Mais avec le temps, les grands canaux ont été par- courus par une telle quantité de matériau fondu que tous les cristaux d’orthopyroxène se sont dissous, ne laissant que des cristaux d’olivine et d’autres miné- raux que le matériau fondu ne peut emporter. Par© Pour la Science - n° 379 - Mai 2009 Géologie [39

D’autres théories sur l’ascension des lavesP our remarquable qu’elle soit par sa simpli- De ces observations, nous concluons que les Dans un modèle datant de1986, je propose cité, la théorie de l’écoulement poreux cana- dunites ne sont pas des chenaux perméables. pour ma part que près de la source de fluide basal-lisé des fluides basaltiques de P. Kelemen ne tique, le système roche mère-fluide devient instableconvainc pas tous ses collègues. Du reste, pour mettre la progression des idées à cause de la différence de densité entre le liquide sur le transport des fluides basaltiques dans sa et la roche encaissante, ce qui, par poussée d’Ar- Pour notre part, nous y voyons deux diffi- véritable perspective, rappelons que l’hypothèse chimède et fracturation hydraulique sous lacultés principales, l’une géochimique et l’autre de l’écoulement poreux fut proposée par Dan Mac- pression du fluide, conduit à l’ouverture d’étroitsgéologique. À partir de mesures récentes de Kenzie, de Cambridge, dès 1982. Il envisageait un conduits : les futurs filons. À partir de donnéesdéséquilibres radioactifs dans les fractions d’élé- écoulement distribué, et non canalisé comme le de terrain, nous avons estimé que la vitesse dements à courtes durées de vie des basaltes de proposera P. Kelemen en 1995. Physicien, D. Mac- montée dans les fractures est comprise entre undorsales, les géochimistes estiment que la durée Kenzie s’était intéressé à cette hypothèse parce à dix centimètres par seconde, ce qui impliquede transport de ces basaltes a duré des semaines qu’elle se prêtait au traitement numérique et à un temps de transit de l’ordre du mois, en accordet non des milliers d’années comme le pro- l’obtention de chiffres pour les vitesses de trans- avec ce que suggèrent les mesures géochimiques.pose P. Kelemen. port des fluides sous les plaques tectoniques. Exploitant ensuite l’idée de corrosion chimique Pour d’autres, dont James Connolly de l’ETH L’autre principale réserve provient de l’ob- des pyroxènes de la roche-mère, P. Kelemen pro- à Zurich, c’est la décompression qui draine leservation sur le terrain de l’épaisseur des veines posa que cet écoulement poreux soit canalisé dans liquide basaltique en migration vers les zones plusde dunites. Dans la théorie de P. Kelemen, ces des chenaux d’abord étroits, puis plus larges. mouillées, donc à moindre viscosité, avant queveines sont interprétées comme autant de che- celles-ci ne tendent à évoluer en conduits ouverts.naux perméables (ses canaux de dissolution). Or Mais cette idée ne fait pas l’unanimité : denos mesures et celles de l’équipe de P. Kele- nombreux géologues sont partisans d’une extra- Toutefois, avant de se fixer sur un méca-men, d’ailleurs plus systématiques que les nôtres, ction rapide des liquides basaltiques par l’in- nisme ou une combinaison de mécanismes, lesconcordent pour montrer que la plupart des termédiaire de conduits ouverts et étroits qui, géologues doivent encore explorer nombre d’as-dunites mesurent moins du mètre, tandis que les une fois refroidis, deviennent les filons obser- pects. En particulier, ils aimeraient savoir si ladunites larges de dix mètres ou plus, requises vés dans les ophiolites. Ces géologues accep- zone du manteau à la source des fluides basal-dans le modèle de P. Kelemen pour alimenter tent aussi le concept de l’écoulement poreux, tiques recèle des réservoirs « gardant au chaud »les dorsales, sont très rares. Par ailleurs, notre mais restreignent son importance au voisinage des volumes de basalte liquide se mesurant encartographie systématique de l’ophiolite oma- de la source de fluide basaltique, à 50 ou 60 kilomètres cubes, lesquels, épisodiquement,naise a montré que ces très grosses dunites étaient kilomètres sous la dorsale et dans un horizon s’épancheraient par des filons.horizontales et proches du Moho, c’est-à-dire de de dunites horizontales épaisses de 400 mètresla limite entre le manteau supérieur et la croûte. juste sous le Moho. Adolphe Nicolas, Université de Montpellier II L’ A U T E U R conséquent, le magma circulant dans les terrestre. La partie de l’ophiolite omanaisePeter KELEMEN est professeur canaux finit par ne plus réagir à la décom- qui correspond à un morceau d’ancienà l’Observatoire terrestre pression en dissolvant davantage d’or- manteau est de couleur rouille. Elle estLamont-Doherty de l’Université thopyroxène, et la composition chimique parcourue par des milliers de filons d’unColumbia, à New York. n’enregistre alors que la profondeur à roux plus clair. Les géologues savaient laquelle le liquide basaltique a été pour la depuis longtemps que ces veines sont en✔ BIBLIOGRAPHIE dernière fois en contact avec des cristaux dunite, une roche contenant plus de95 pour d’orthopyroxène. cent d’olivine (non dissous par le liquideM. G. Braun et P. B. Kelemen, basaltique) et de petites quantités deDunite distribution in the Oman Les conduits où la fraction liquide se pyroxène et de chromite (oxyde deophiolite: implications for melt flux charge en orthopyroxène sont nommés magnésium et d’aluminium de couleurthrough porous dunite conduits, canaux de dissolution (voir l’encadré page 38), noire ou rouge). Toutefois, ils n’avaientGeochemistry, Geophysics, et on désigne l’écoulement particulier qui pas mesuré précisément la compositionGeosystems, vol. 3, n° 11, 2002. s’y produit par l’expression «écoulement des roches environnantes.M. W. Spiegelman et al., Causes and poreux canalisé », parce que, comme nousconsequences of flow organization allons le voir, il canalise le matériau fondu En montant,during melt transport : the reaction vers les dorsales. le liquide se satureinfiltration instability, Journal en orthopyroxèneof Geophysical Research, vol. 106, Les modèles mis au point à partir dun° B2, pp. 2061-2077, 2001. concept d’écoulement poreux canalisé Or, comme on s’y attendait s’agissant deP. B. Kelemen et al., Extraction suggèrent que le liquide basaltique se roches issues du manteau supérieur, laof mid-ocean ridge basalt from fraye un chemin vers le haut en dissol- roche voisine des filons est riche à la foisupwelling mantle by focused flow vant une partie de la roche plutôt qu’en en olivine et en orthopyroxène. Ces consta-of melt in dunite channels, Nature, la fracturant. tations sont en accord avec l’idée qu’auvol. 375, pp. 747-753, 1995. moment où le liquide basaltique atteint Nous avons étayé cette idée par des40] Géologie observations de terrain, qui confirment qu’un écoulement poreux a existé dans les roches d’ophiolites provenant du manteau © Pour la Science - n° 379 - Mai 2009

le manteau supérieur, il a déjà dissous du liquide basaltique qui s’élève se refroi- croûte océanique, dans des poches enbeaucoup d’orthopyroxène. Il semble bien dit assez pour cristalliser dans le manteau forme de lentilles hautes de quelquesque les nombreuses veines de dunite conte- supérieur, formant ainsi de part et d’autre mètres et larges de quelques dizaines ànues dans l’ancien manteau supérieur de de la dorsale un barrage cristallin en forme quelques centaines de mètres. Pour expli-l’ophiolite omanaise sont bien ce qui reste de toit (voir l’encadré page 38). Cette bar- quer les processus physiques en jeu, mesdes canaux où circulait le liquide basal- rière de cristaux se forme à une profon- collègues et moi avons dû considérer lestique de la roche mantellique profonde. deur d’autant plus grande que l’on est loin différences de comportement des rochesNous avions sous les yeux des canaux de de la dorsale océanique et de sa chaleur. mantelliques juste sous la base de la croûte Ce mécanisme explique très bien comment et à plus grande profondeur.dissolution figés. le matériau fondu en profondeur de part Au-dessous d’une dorsale en expan-Un barrage cristallin en forme de toit ? et d’autre de la dorsale converge vers sion active, telle que la dorsale médiopa- elle à mesure de son ascension. cifique ou celle à l’origine de l’ophiolite Ainsi, les deux énigmes majeures qui omanaise, les roches du manteau peu pro-Pour excitantes que soient ces découvertes, chagrinaient les géologues – le transport fond (moins de 2 000 mètres sous la baseelles laissent dans l’ombre un autre mys- du matériau fondu en profondeur et sa de la croûte) cèdent de la chaleur au plan-tère des dorsales océaniques. Les méca- convergence vers les dorsales – semblent cher océanique froid qui les recouvre.nismes évoqués éclairent la genèse et résolues : le matériau fondu qui remonte Par conséquent, une partie du liquide basaltique se refroidit et cristal-l’ascension du magma, mais n’ex- lise. Le matériau fondu qui conti-pliquent pas pourquoi celui-ci nue à monter s’accumule doncn’émerge qu’à l’intérieur d’une dans des poches lenticulaires au-bande large de cinq kilomètres seu- dessous des barrages cristallins.lement. Les relevés sismiques, qui À mesure qu’il arrive davantagepermettent de distinguer entre de matériau fondu, la pressionroche solide et roche partiellement dans les réservoirs lenticulairesfondue, attestent de la présence augmente. À plus grande pro-d’une fraction liquide de la roche fondeur, les roches seraient assezjusqu’à 100 kilomètres de profon- chaudes pour subir des défor-deur au moins, et ce sur plusieurs mations, ce qui relâcherait la pres-centaines de kilomètres autour de sion, mais ici le liquide basaltiquela dorsale. Dès lors, pourquoi le est surmonté par des roches refroi-matériau fondu se concentre-t-il Bradley Hacker dies par le plancher océanique, quivers l’étroite bande constituée ont trop durci, et ne le laisse paspar les volcans de dorsale ? passer. Sous l’effet de la pres- En 1991, David Sparks et Mark 2. DES MORCEAUX DE CROÛTE OCÉANIQUE et de manteau sion, les roches situées au-dessusParmentier, à l’Université Brown, supérieur ont été hissés sur les terres arides du sultanat d’Oman par des poches lenticulaires se frac-aux États-Unis, ont proposé une la rencontre, toujours en cours, de deux plaques tectoniques. Dénom-explication fondée sur le fait que mée ophiolite, cette massive formation rocheuse brune est veinée turent périodiquement, ce quila croûte océanique est plus froide de multiples filons brun clair : les supposés canaux de dissolution. forme des conduits débouchant sur la jeune croûte océanique.que le manteau supérieur. De part Une partie du matériau fondu s’ac-et d’autre d’une dorsale, la lave qui jaillit ne serait pas chimiquement influencéajoute du matériau aux plaques de croûte par les roches mantelliques qui l’entou- cumule et se solidifie près de la base deocéanique. À mesure que les parties plus rent parce qu’il serait isolé dans de larges la croûte ; de nouvelles roches se consti-anciennes s’écartent de la dorsale et lais- conduits de dunite. Par ailleurs, ces tuent alors, sans qu’il y ait éruption. Maissent de la place à la lave brûlante qui conduits seraient orientés vers les dorsales parfois, le matériau fondu se fraye un che-débouche, elles se refroidissent. Plus la océaniques par la cristallisation d’une par- min jusqu’en haut et jaillit d’un volcan.croûte est froide, plus elle devient dense, tie du matériau fondu dans le manteau Il forme alors des coulées de lave qui peu-et plus, du fait de son poids, elle s’enfonce supérieur. Mais une nouvelle question se vent atteindre dix mètres d’épaisseurdans le manteau chaud. Ce phénomène posa bientôt : si la remontée de matériau sur dix kilomètres de long, et qui recou-implique que loin des crêtes d’une dor- fondu est un processus lent et continu, vrent peu à peu le plancher océaniquesale océanique, le plancher océanique et comme nous le prédisons, pourquoi les de roches volcaniques. Cette vision des réseaux de transportla base de la croûte océanique sont en laves des dorsales océaniques jaillissent- du matériau fondu dans les profondeursmoyenne deux kilomètres plus bas qu’au elles par intermittence ? Là encore, les observations de terrain des fonds marins fait penser à ce que l’onsommet de la dorsale. De plus, la croûtefroide refroidit le haut du manteau supé- ont guidé nos réflexions. Dans l’ophio- sait par ailleurs à propos des réseaux flu- lite omanaise, A. Nicolas et sa collègue viaux couvrant la surface de la Terre. « Lesrieur qui s’enfonce.Partant de ce raisonnement, D. Sparks Françoise Boudier ont montré au milieu petits ruisseaux font les grandes rivières »,et M. Parmentier ont modélisé l’écoule- des années 1990 que le liquide basaltique dit-on; de même, les microcanaux remplisment au sein du manteau. Leurs simula- s’accumule au sein d’un horizon de dunites de liquide basaltique font les fleuves detions numériques montrent qu’une partie situé juste au-dessous de la base de la lave des dorsales océaniques. ■© Pour la Science - n° 379 - Mai 2009 Géologie [41

Embryologie Emmanuel Farge aa bDans un embryon, sous le contrôle de gènes,des forces sont impliquées dans le mouvement des celluleset la formation des organes. On découvre que ces contraintespeuvent modifier l’expression de gènes du développement.D ans son ouvrage De la généra- 1910, le naturaliste écossais d’Arcy www.illustrer.fr tion des animaux, datant du Thompson et le médecin français IVe siècle avant notre ère, Aris- Stéphane Leduc ont supposé que latote écrit, à propos de la formation des morphologie d’une étape du déve-organismes vivants : « Toutes les par- loppement déterminait, par les seulesties ne se forment pas simultané- lois de la mécanique et de l’hydrody-ment […]. En effet, certaines existent namique, la morphologie de l’étapemanifestement déjà quand d’autres suivante.n’existent pas encore. » Le philosophegrec est ainsi le précurseur de l’ap- Avec l’essor de la génétique, dansproche « épigénétique » du dévelop- les années 1920, puis de la biologiepement de l’embryon. Selon cette moléculaire, depuis les années 1960,acception du terme, un embryon ne cette conception a fait place à l’idéese construit pas selon un plan qui pré- d’une embryogenèse essentiellementexiste – comme le pensait Platon avant contrôlée par l’expression de gènesAristote –, mais par adjonction suc- spécifiques, les « gènes du dévelop-cessive de diverses structures, chacune pement ». Dans la conception géné-étant nécessaire au développement de tique la plus classique, l’embryon sela structure suivante. développerait par l’application d’un « programme de construction » pré- Cette approche épigénétique du établi contenu dans ces gènes, pré-développement a perduré jusqu’au sents dans la cellule œuf fécondée,XXe siècle. Ainsi, dans les années 1900- l’ovocyte.1. DANS UN EMBRYON, les cellules subissent des mouvements dits morphogénétiques,responsables des changements de forme et de la mise en place des organes. Des bio-logistes ont récemment montré qu’une pression exercée sur un embryon de droso-phile en croissance (a) agit sur l’expression de certains gènes, par l’intermédiaire demolécules situées sous les membranes cellulaires (b). Les produits de ces gènes sontindispensables à la mise en place correcte de certains organes de la drosophile, ici l’avantdu tube digestif (c, en vert). Qui plus est, sans ces contraintes mécaniques, l’embryonne se développe pas correctement.42] Embryologie

cL’E S SENTIEL✔ Un embryonse forme sousle contrôle des gènesdu développement.✔ Certains gènes, teltwist, contrôlentla localisationde protéines impliquéesdans le mouvementdes cellules.✔ Inversement,les déformationsmécaniques peuvententraîner l’expressionde gènesdu développementet, par suite,la mise en placedes organes. Embryologie [43

G A S T R U L AT I O N E T P O L A R I S AT I O N D E L’ E M B R Y O NL e développement de l’embryon (segments) apparaîtront juste après De même, le gradient du mor- croît du dos vers le ventre de l’em- met en jeu des déplacements sur la bande germinale. phogène Nanos caractérise la par- bryon. Quand Dorsal active l’ex-et des changements de forme des tie postérieure. Ces gradients de pression de ses gènes cibles, lescellules de l’épithélium qui entoure Ces mouvements morphogé- polarité antéro-postérieure assu- protéines produites ont un gradientle vitellus central. Au tout début, au nétiques se déroulent selon l’axe rent la mise en place des premiers croissant de concentration de la par-cours d’une phase nommée gas- antéro-postérieur et l’axe dorso- éléments de segmentation du corps tie dorsale vers la partie ventrale ;trulation, la partie de l’épithélium ventral de l’embryon. Ceux-ci sont de la larve. D’autres gènes de seg- inversement, quand elle les inhibe,correspondant au futur mésoderme guidés par des gradients (des dif- mentation, tels ceux de la famille le gradient produit est décroissant.(a, en rouge), au centre de la par- férences de concentrations) de pro- Pair-rule, affineront ensuite cettetie ventrale, s'invagine (le méso- téines, les morphogènes, qui mise en forme. Ainsi, dans les noyaux des cel-derme donnera les organes internes activent ou inhibent l’expression lules ventrales, où la concentrationà l’exception du système nerveux, de gènes cibles (b). Parallèlement à la polarisa- de Dorsal est la plus élevée, la trans-issu de l’ectoderme, et du système tion antéro-postérieure, s’amorce la cription des gènes twist et snail estdigestif, dérivant de l’endoderme ). Ainsi, le gradient du morpho- polarisation dorso-ventrale (b, en activée, tandis que celle des gènesUn sillon ventral se forme alors. gène Bicoid contrôle la partie anté- coupe) : le signal est donné par la dpp et zen est inhibée. L’expression rieure de l’embryon dont dériveront protéine Dorsal, présente dans tout combinée de twist et de snail déter- Le mésoderme s'étend et la tête et le thorax. Bicoid active l’embryon, mais qui n’est activée mine la nature ventrale des tissus,constitue la « bande germinale », l’expression d’un gène nommé que dans les cellules ventrales. Elle qui forment le mésoderme. Dans laqui s'enroule du côté dorsal de l'em- hunchback, qui lui-même régule active ou inhibe l’expression de partie dorsale, la faible concen-bryon. Puis, à l'avant et à l'arrière, l’expression d’autres gènes (krup- gènes codant divers facteurs de tration de Dorsal permet l’expres-le futur endoderme (a, en jaune) pel, knirp, etc.). Les protéines qu’ils transcription, dont twist, snail ou sion de dpp et de zen, ce qui imposes'invagine aussi en deux poches. codent ont une concentration encore zernüllt (zen). Sa concen- la nature dorsale des tissus, quiPuis les ébauches des structures variable le long de l’axe antéro- tration dans les noyaux cellulaires donneront l’ectoderme. postérieur (b).a b FACE DORSALE Endoderme ARRIÈREVitellus Nanos Bicoid Mésoderme AVANT Vitellus FACE VENTRALE Zen www.illustrer.fr Dpp Rhomboid Twist et Snail Les travaux scientifiques des 40 dernières années déformations mécaniques subies par les tissus de l’em- ont confirmé cette conception de l’embryogenèse. Elle bryon peuvent influer sur l’expression de certains a été reconnue par l’attribution du prix Nobel de méde- gènes du développement et, par conséquent, sur le cine 1995 à Christiane Nüsslein-Volhard, Eric Wies- contrôle génétique du développement d’un organisme chaus et Edward Lewis pour leurs découvertes du en devenir (voir la figure 1). Ces résultats réintrodui- « contrôle génétique du développement embryon- sent certains paramètres mécaniques au cœur des pro- naire précoce ». cessus actifs de développement embryonnaire, sans le réduire à sa seule composante physique. Il s’agit Les forces au cœur plutôt de coupler ces paramètres à la composante de l’embryon génétique et moléculaire du développement. Or, depuis quelques années, la conception purement Pour comprendre comment s’opère un tel cou- génétique du développement embryonnaire se trouve plage, nous décrirons d’abord les grandes lignes de à son tour remise en question. Elle n’est pas fausse, la mise en place des structures de l’embryon de dro- mais elle doit être complétée. En particulier, diverses sophile. Puis nous examinerons le contrôle génétique recherches, dont celles que nous avons conduites à de cette mise en forme, et les mécanismes qui com- l’Institut Curie, ont établi que les contraintes et mandent les mouvements cellulaires responsables de la morphogenèse mécanique. Enfin, nous montre-44] Embryologie © Pour la Science - n° 379 - Mai 2009

rons comment les contraintes mécaniques qui s’exer- centrale de l’embryon manquaient. En 1975, il fit l’hy-cent sur les cellules du tissu embryonnaire déclenchent pothèse que des « déterminants » du développementl’expression de gènes du développement, et partici- étaient produits selon un double gradient de concen-pent ainsi au contrôle de l’embryogenèse. tration par des « centres organisateurs » postérieur et antérieur. Dans les années qui suivirent, ces recherches, Un animal est doté d’une partie antérieure, géné- reprises notamment à Tübingen chez la drosophile parralement nommée la tête, et d’une partie postérieure, l’équipe de Christiane Nüsslein-Volhard, ont établid’un ventre et d’un dos, d’une partie gauche et d’une que ces déterminants, dits maternels, car déjà pré-partie droite initialement symétriques. Cette organi- sents dans l’ovocyte, sont des facteurs biochimiques :sation polarisée s’amorce très tôt, avant même la fécon- les morphogènes. En rapprochant ces travaux desdation, ou juste après. Ainsi, des cellules se positionnent résultats de la génétique de la drosophile, on s’estdans la partie avant, d’autres dans la partie arrière de aperçu que les morphogènes sont des protéines dontl’embryon, etc. (voir l’encadré page ci-contre). QUEL EST LE « METTEUR EN SCÈNE » Autre caractéristique, les tissus qui constitueront DE LA MORPHOGENÈSE ?les organes changent très tôt de forme, en suivant cesaxes de polarisation. Chez la drosophile, dans les Ce sont des gènes du développement,heures qui suivent la fécondation, l’embryon appa- mais ces derniers peuvent eux-mêmes être activésraît formé d’un tissu périphérique, un épithélium fait par des contraintes mécaniques.de milliers de cellules, et d’une partie centrale conte-nant des réserves nutritives, le vitellus. Puis certains la concentration varie dans l’embryon selon des gra-domaines de l’épithélium périphérique se courbent dients, le long de l’axe antéro-postérieur ou le long– s’invaginent – vers l’intérieur de l’embryon. La de l’axe dorso-ventral. Ce sont des facteurs demorphologie change. C’est la gastrulation, durant transcription : en se fixant à l’ADN, ils activent, enlaquelle se forment les trois feuillets dont dériveront fonction de leur concentration, l’expression des dif-les tissus de la larve : le feuillet extérieur, l’ectoderme, férents gènes qui gouvernent la mise en place desle feuillet intérieur, l’endoderme, et le feuillet inter- segments dont dériveront les parties du corps et lesmédiaire, le mésoderme. L’ectoderme produira l’épi- organes de la larve.derme et le système nerveux ; l’endoderme le tubedigestif, et le mésoderme les muscles, le squelette et Par exemple, la polarisation dorso-ventrale estles vaisseaux sanguins. amorcée par l’activation asymétrique de la protéine Dorsal (voir l’encadré page ci-contre). Présente dans tout La gastrulation commence avec l’invagination du l’embryon, Dorsal n’est pourtant activée, par un signalmésoderme, le long d’une ligne ventrale. Dix minutes maternel, que dans les cellules du pôle ventral deaprès, le mésoderme ventral s’allonge fortement vers l’embryon. En réponse à cette activation, elle est trans-l’arrière, et moins nettement vers l’avant, en une « bande portée dans le noyau de ces cellules, où elle stimulegerminale » (ou bande germinative), dont dérivera la l’expression de deux gènes spécifiques, twist etmajeure partie de l’embryon. Encore dix minutes, et les snail. Ces derniers déclenchent la fabrication des pro-futurs tissus digestifs s’invaginent à l’avant et à l’ar- téines correspondantes, Twist et Snail, uniquementrière. Dans le même temps, des segmentations se des- dans les cellules ventrales. Ils en déterminent ainsisinent, prélude à la mise en place des segments de la la nature ventrale. Les autres cellules, par défaut,tête, du thorax et de l’abdomen, et des différentes struc- deviendront dorsales.tures de la larve et de l’insecte adulte. ab c Avec l’aimable autorisation de E. Wieschaus et À l’évidence, cette succession d’événements de Development, 2005morphogenèse – dont nous n’avons esquissé que latrame – est l’objet d’un contrôle et d’un guidage, indis-pensables au bon déroulement des mécanismes dedifférenciation cellulaires et des mouvements mor-phogénétiques des cellules. Quel en est le « metteuren scène » ? C’est là que les gènes entrent en scène. Le contrôle génétique 2. LA GASTRULATION de l’embryon de drosophile est pilotée par la redistribution d’un de la morphogenèse moteur moléculaire, la myosine. Sur ces coupes d’embryons, elle est marquée par un anticorps fluorescent (en blanc). Avant la gastrulation (a), la myosine est localiséeEntre la fin des années 1950 et les années 1970, du côté « basal » des cellules, près du centre de l’embryon. Au début de la gastrula-Klaus Sander, à Fribourg, a réalisé d’étonnantes expé- tion (b), elle apparaît aussi à l’opposé, du côté « apical » des cellules, sur la partieriences d’embryologie. Il déplaçait vers l’avant une ventrale de l’embryon (flèche blanche). À un stade plus avancé (c), elle reste locali-portion du cytoplasme postérieur d’œufs d’un insecte sée du côté apical. Cette évolution est contrôlée par le gène twist.(une cicadelle), ce qui provoquait la formation d’unabdomen antérieur. Ou il ligaturait de jeunes embryonsen leur milieu à différents stades de développe-ment. Il observait alors que les segments de la partie© Pour la Science - n° 379 - Mai 2009 Embryologie [45

a b cd Institut Curie3. L’INVAGINATION DU MÉSODERME d’un embryon de drosophile a été points rouges (b). Cette augmentation, conséquence de l’accumulation api-simulée par l’équipe de l’auteur. Un anneau de cellules, vues en coupe, est cale de la myosine, suffit à entraîner l’invagination caractéristique de la gas- trulation (c et d). La tension et le mouvement des cellules créent des courants,immergé dans un liquide visqueux non compressible (a). On augmente les dont l’intensité est symbolisée par les zones et les lignes colorées.tensions au niveau de la périphérie apicale des cellules, repérée par des L’ A U T E U R Ainsi, la polarisation de l’embryon et myosine est sensible aux morphogènes pré- la genèse des domaines de différenciation sents dans les cellules du mésoderme, TwistEmmanuel FARGE, directeur tissulaires sont sous le contrôle d’une série et Snail. Le rôle de Twist est le mieux connu.de recherche INSERM à de gènes et de protéines du développe- Cette protéine active indirectement unel’Institut Curie, à Paris, ment. Mais comment déduire d’un tel enzyme capable de provoquer la concen-est responsable contrôle génétique les mécanismes com- tration apicale et la contraction de la myo-de l’Équipe mécanique mandant les mouvements cellulaires sine. La protéine Snail participe aussi à ceet génétique du développement nécessaires à la morphogenèse ? Durant mécanisme. Or l’augmentation de tensionembryonnaire et tumoral, au sein les 20 dernières années, les équipes de Eric des membranes apicales du mésoderme,de l’unité mixte 168 du CNRS. Wieschaus, à Princeton, et de Maria Lep- conséquence de la redistribution de la myo- tin, à Tübingen, puis à Cologne, ont mis sine, suffit à provoquer l’invagination duLe lamarckisme revisité en évidence les gènes et les protéines qui mésoderme, et l’ensemble des mouvements contrôlent le déclenchement des mouve- morphogénétiques in vivo. C’est ce que nous✔ Supposons que la sensibilité ments morphogénétiques lors de la gas- avons confirmé en 2008 grâce à une simu- trulation. Toutefois, leur action n’expliquait lation sur ordinateur (voir la figure 3).des embryons à la déformation soit pas comment se déroule ce processus.apparue quand il n’existait encore que Ainsi, bien que la nature des interac-des amas de cellules sans fonction Depuis le début des années 1990, plu- tions entre les protéines Twist et Snail etphysiologique. Une pression sur un tel sieurs équipes ont découvert que la mor- la myosine soit en cours d’investigation,amas aurait provoqué une invagination. phogenèse embryonnaire met en œuvre des il est avéré que ces deux morphogènesCet amas ingérant tout ce qui contraintes mécaniques, dont on commence sont responsables de l’invagination amor-le touchait, une bouche-intestin à comprendre l’origine moléculaire. Ainsi, çant la gastrulation, parce qu’ils contrô-primitive aurait pu apparaître. De tels lors de la gastrulation, l’invagination du lent la localisation apicale et la contractionamas cellulaires, adaptés à des milieux futur mésoderme provient d’un change- de la myosine.riches en substances ingérables, ment de morphologie des cellules de ceauraient donné naissance à feuillet qui, d’une forme cylindrique, pren- La myosinedes organismes capables de former nent une forme plus conique. La surface sous contrôleune bouche-intestin sous l’effet de externe des cellules diminue par rapport àmouvements morphogénétiques leur surface interne, ce qui produit la cour- Au cours de la gastrulation, l’autre phé-internes. Cette interprétation fait un lien bure nécessaire à l’invagination. Mais com- nomène morphogénétique est l’extensionentre la théorie du précurseur ment ces cellules changent-elles de forme? de la bande germinale. En 2004, Thomasde l’évolution, Jean-Baptiste En 1991, l’équipe de Daniel Kierhart, alors Lecuit et Pierre-François Lenne et leurs col-de Lamarck, et la théorie darwinienne : à Harvard, a montré qu’une molécule, la lègues de l’Institut de biologie du déve-l’environnement n’aurait pas seulement myosine-II, est très concentrée sous la mem- loppement et de l’Institut Fresnel, àun rôle de sélection, mais il induirait brane apicale des cellules, la partie de la Marseille, ont montré qu’elle découle deaussi certains changements, lesquels membrane située au « sommet » de la cel- la réorganisation des contacts des cellulesseraient soumis à la sélection naturelle lule, à l’opposé de la membrane basale (voir de l’épithélium embryonnaire ventral, auavant d’être transmis par l’hérédité. la figure 2). La myosine est un « moteur molé- cours d’un processus nommé intercalation culaire » qui entraîne une contraction de la cellulaire. La myosine s’accumule, sous surface là où elle est concentrée. contrôle génétique, dans les parois per- pendiculaires à l’axe antéropostérieur. Elle Comment les cellules « savent-elles » provoque alors la contraction de ces sur- lesquelles doivent concentrer la myosine faces cellulaires, ce qui déplace les cel- au niveau de leur surface externe et chan- lules selon l’axe dorsoventral. Si bien que, ger de morphologie ? C’est le rôle du progressivement, les cellules changent de contrôle génétique : la localisation de la46] Embryologie © Pour la Science - n° 379 - Mai 2009

position et s’intercalent les unes entre les Institut Curiea à des contraintes mécaniques liées au fluxautres, induisant donc l’extension de l’axe sanguin, ils voulaient savoir si l’expres-antéropostérieur du mésoderme. b sion des gènes en était modifiée. Ils ont effectivement montré que l’expression du De ce qui précède, retenons un pre- c gène PDGF-B peut être modulée par unemier enseignement : c’est la répartition force hydrodynamique subie par les cel-intracellulaire hétérogène de la myosine d lules endothéliales. Puis d’autres équipesqui donne naissance aux mouvements ont mis en évidence que diverses protéinesmorphogénétiques des tissus, par le biais e sont « mécanosensibles » ; par exemple,soit de changements de forme (dans le cas sous l’effet d’une contrainte appliquée àde l’invagination du mésoderme), soit 4. LA SYNTHÈSE DE LA PROTÉINE TWIST une cellule, des facteurs de transcrip-de mouvements des cellules (pour l’ex- est limitée aux cellules antérieures, ventrales tion, c’est-à-dire des protéines qui régu-tension de la bande germinale). Cette et postérieures de l’embryon de drosophile (zone lent l’expression des gènes, sont transférés« mécanique » de la morphogenèse ani- fluorescente en a). Elle s’étend à la zone dor- du cytoplasme jusque dans le noyau, oùmale met en lumière un mode de régula- sale quand on exerce une légère pression ils stimulent l’expression de certains gènes.tion du développement que la génétique latérale sur tout l’embryon (b). Twist est syn-n’avait abordé que très rarement. Pour thétisée entre autres dans les cellules stomo- Or les expériences que nous avons réa-autant, le génome n’est pas absent du jeu déales (zone entre les flèches rouges, en c) lisées ont montré que ce type d’interactionspuisque deux morphogènes, Twist et Snail, lorsqu’elles sont comprimées par l’extension de existe aussi chez l’embryon de drosophilesont nécessaires au contrôle du compor- la bande germinale. Des mutations qui bloquent pour certains gènes « maîtres » du déve-tement de la myosine, le moteur des mou- ce mouvement inhibent sa synthèse (d). Mais loppement (qui contrôlent l’activationvements cellulaires. Il y a donc un contrôle cette dernière est rétablie (e) quand on com- d’autres gènes). L’expression de gènes dupar la génétique de la production des forces prime à nouveau les cellules du mutant. développement peut être déclenchée paret des déformations. une déformation mécanique du tissu embryonnaire. Une étape de « mécano- Mais cette conclusion est-elle suffisante? transduction » convertit le signal méca-Peut-on imaginer qu’un embryon puisse nique en un signal biochimique qui activese développer correctement et de façon cette expression. En d’autres termes, il estreproductible en réponse aux « instruc- possible de « reprogrammer » mécani-tions » données par le génome sans que ce quement la génétique du développement.dernier ne soit jamais en mesure de « véri-fier » l’état morphologique dont il a la Notre première expérience a consistécharge ? Autrement dit, n’est-il pas rai- à appliquer une déformation artificiellesonnable de supposer que l’ADN, qui code faible et uniforme à un embryon de droso-les morphogènes, est informé des étapes phile juste avant ses premiers mouvementsclefs du développement morphologique morphogénétiques, lors de la gastrula-de l’embryon? tion. L’embryon était placé entre une mem- brane semi-perméable, qui permettait les Le rôle essentiel échanges d’oxygène avec l’extérieur, et une de la pression petite plaque de verre très mince dont la position était contrôlée par un micromani-Puisque les changements de forme de l’em- pulateur mécanique et piézo-électrique.bryon créent en permanence de nouvelles Ainsi, l’embryon pouvait être déformé laté-contraintes mécaniques, nous avons fait ralement, et sa dimension dorsoventralel’hypothèse que certains gènes du déve- augmentait de l’ordre de dix pour cent,loppement embryonnaire sont « méca- durant dix minutes, ces valeurs étant lesnosensibles » : leur expression serait ordres de grandeur des mouvements déve-modifiée par les pressions et déformations loppés au cours de la gastrulation.mécaniques subies par les cellules du tissuembryonnaire. En 2003, nous avons L’expression des gènes et la concen-confirmé pour la première fois ce scéna- tration des protéines correspondantesrio. Voyons comment. étaient évaluées par différentes méthodes, dont l’utilisation d’anticorps fluorescents. En premier lieu, est-il possible de Nous avons alors observé que la défor-moduler l’expression de gènes en réponse mation provoque une production homo-à des contraintes mécaniques appliquées gène, en périphérie de l’embryon, de lasur des cellules vivantes ? En 1993, des protéine Twist, alors qu’elle n’est norma-chercheurs de Boston ont étudié in vitro lement présente que sur la face ventralel’expression des gènes dans des cellules (voir la figure 4). Comme Twist est une pro-endothéliales en culture cellulaire, pro- téine essentielle de la polarisation dorso-venant de la paroi de vaisseaux sanguins. ventrale et de la gastrulation, la déformationCes cellules étant normalement soumises peut être considérée comme un moyen de© Pour la Science - n° 379 - Mai 2009 Embryologie [47

ab changer mécaniquement le cours génétiquecd du développement embryonnaire dès les stades les plus précoces. Institut Curie Toutefois, la question essentielle est de savoir si la propriété de mécanosensibilité activant la synthèse de la protéine Twist a un rôle fonctionnel au cours du dévelop- pement embryonnaire. Des déformations naturelles subies par certains tissus de l’em- bryon en réponse aux mouvements mor- phogénétiques sont-elles susceptibles de déclencher mécaniquement l’expression du gène twist? Nous avons étudié cette ques- tion en examinant les cellules dites stomo- déales du pôle antérieur de l’embryon (voir la figure 4). Destinées à former le tube diges- tif antérieur de l’embryon, elles sont com- primées par la bande germinale qui s’étend au début de la gastrulation.5. LA COMPRESSION DES CELLULES DU STOMODEUM, une région antérieure de l’embryon L’induction(flèches jaunes), a été suivie in vivo. En haut, les noyaux cellulaires sont marqués en violet par mécanique de twistune protéine fluorescente. Deux états de compression (a et b) sont séparés de 350 secondes ;en b, les cellules sont comprimées. L’ablation par laser d’un fragment de tissu dorsal élimine la En 2008, nous avons achevé de démontrercompression (c) : l’expression du gène twist (marquée par une fluorescence verte) est alors que la protéine Twist est synthétisée eninhibée dans ces cellules (entre les flèches rouges). On peut rétablir la compression (b) et l’ex- abondance dans les cellules stomodéalespression de twist (d) en injectant un fluide magnétique dans les cellules voisines (au niveau des sous l’effet de leur compression (voir laflèches vertes en a et b, de la zone noire en d), puis en exerçant une pression sur les cellules de figure 5). Si l’on élimine cette pression, enl’intérieur du tissu à l’aide d’un champ magnétique. supprimant par ablation laser quelques cel- lules du tissu dorsal contre lesquellesLES GÈNES DE CANCERS SOUS PRESSION bute la bande germinale lorsqu’elle s’al- longe (collaboration avec E. Beaurepaire, àL a surexpression du gène Les expressions des gènes rence des cellules cancéreuses l’École polytechnique), la protéine Twist twist a été observée dans twist et APC seraient liées : on entre elles, augmentant ainsi cesse d’être synthétisée dans les cellulesplusieurs cancers, tels ceux de sait que la protéine bêta-caté- le risque de leur dissémination. stomodéales. En revanche, une compres-la prostate et du sein. L’équipe nine se décroche de la mem- Ce constat rejoint des obser- sion artificielle la rétablit. Ainsi, nous avonsde l’auteur et celle de Sylvie brane cellulaire, sous l’effet vations qui mettent en cause mis au point une méthode qui reproduitRobine, à l’Institut Curie, ont d’une pression, pour activer les mutations de la cadhérine E, quantitativement les déformations phy-montré en 2008, chez la sou- twist. Or la protéine APC parti- protéine d’adhérence, dans la siologiques internes subies par les cel-ris, que twist s’exprime aussi cipe à la dégradation de la bêta- formation de métastases. lules stomodéales dans l’embryon normal.en réponse aux contraintes caténine dans le cytoplasme. On applique un gradient de champ magné-mécaniques dans un tissu de La mutation du gène APC lais- Il est donc possible que les tique sur un fluide magnétique injecté danscôlon dont un gène (APC) est serait donc une plus grande contraintes mécaniques liées les cellules voisines des cellules stomo-muté (voir ci-dessous ; en b, le quantité de bêta-caténine pas- soit au transit intestinal, soit à déales, ce qui permet de moduler de façontissu comprimé) ; en revanche, ser dans le noyau. Cette der- la pression des tissus due à la très précise la force exercée sur ces cellules.il ne l’est pas dans le tissu sain. nière suractiverait le gène twist, croissance tumorale, déclen-Chez l’homme, le gène APC est mais aussi le gène myc, lesquels chent l’expression du gène La différenciation de la partie anté-muté dans 80 pour cent des favorisent la progression tumo- twist. Celui-ci contribuerait rieure du tube digestif de l’embryon à par-tumeurs de côlon ; c’est un rale. Le tout aurait pour effet alors au pouvoir invasif des tir des cellules stomodéales est la principaleimportant facteur de risque de stimuler la prolifération cel- tumeurs dans les tissus où les conséquence connue de l’activation dude cancer. lulaire et de diminuer l’adhé- cellules portent une mutation gène twist par les contraintes mécaniques. du gène APC. Lorsque l’on réduit, à l’aide de manipu- lations génétiques, l’expression de ce gèneab dans les cellules stomodéales, le tube diges- tif est malformé: dans toute sa partie anté- Institut Curie rieure, les cellules différenciées capables de réaliser la digestion manquent. L’in- testin ne fonctionne pas correctement, et les larves meurent au bout de quatre à cinq jours de développement. La forte expres-48] Embryologie © Pour la Science - n° 379 - Mai 2009


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