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Published by malalbastru, 2016-02-12 14:43:17

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REVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNE N° 0/2016 jpeg design – freepick.com 1

S Y G N E : …signe que non REVUE DE PSYCHANALYSEL’énigmatique négation qui signe la tragédie moderne, ce tic qui auxyeux de beaucoup défigure et rend méconnaissable le sujet, il revient àl’éthique de la psychanalyse de continuer à le supposer signifiant. Danscette optique, le CIAP a choisi le nom de Sygne, une manière pour notregroupe, non pas de rendre hommage à son vain sacrifice au nom duPère, mais au contraire de reconnaître sa valeur d’otage dans la tragédiegénéralisée du Verbe. Fidèles à la filiation freudo-lacanienne et àl’orientation du CIAP, les pages numériques de la revue SYGNE serontdédiées au renouvellement de l’analyse du malaise dans la culture et deses formes variables d’expressions. Signe que non, nunca es triste laverdad lo que no tiene es remedio…. Membres du Comité de Rédaction Markos Zafiropoulos (rédacteur en chef) Sandra Berger (secrétariat de rédaction) Corinne Garcia Themis Golegou Sarah Guerineau Elisa dos Mares Guia-Menendez Isabelle Guillamet Lionel Le Corre (secrétariat de rédaction) Kevin Poezevara Paul Robe Maria Otero Rossi (secrétariat de rédaction) René Sarfati (secrétariat de rédaction) Maria Jesus Toba Correspondants à l’étranger Didier Mavinga (Afrique Sub-Saharienne) Norma Najt (Argentine) Renato Sarriedine (Brésil) Maria Luiza Deleur (Brésil) Olivier Masson (Canada) Xiao Xiaoxi (Chine) Laura Suarez (Espagne) Veronica Valencia Bano (Equateur) Maria Antonopoulou (Gréce) Emmanouil Konstantopoulos (Grèce) Vicenzo Rapone (Italie) Maria Karzanova (Russie) Irina Suciu-Davis (Roumanie) Daniela Voica (Roumanie) Design : Ruxandra Popescu

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNE La Communauté des lecteurs de Sygne Sygne est une revue liée au Cercle International d’Anthropologie Psychanalytique (CIAP), et si sa vocation première est de transmettre ce qu’il en est des travaux du Cercle vers le plus grand nombre, en retour elle est en attente de l’apport de ses lecteurs qui voudront s’inscrire dans ce projet, dont le modèle est encore largement à construire puisque sa nature comme son succès dépendront du désir qu’il pourra motiver comme des moyens qu’il pourra réunir pour poursuivre. D’où l’idée de proposer la formation d’une communauté de lecteurs prête à soutenir le fonctionnement de la revue tant par le moyen d’une association, dont la forme est encore à définir, que par un apport économique qu’il revient au lecteur qui le veut bien d’honorer. Je soutiens le développement de SYGNE et de sa communauté de lecteurs Nom Prénom Mail Montant 3

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNE SYGNE N° 0/2016 4

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNE SYGNE – REVUE DE PSYCHANALYSE – N ° 0 / 2016 « Editorial : lire, voir entendre… » Markos ZAFIROPOULOS __________________ 7 Pouvoir des femmes et femmes de pouvoir « Pour une généalogie psychanalytique du pouvoir » Gérard POMMIER ___ 10 « Les leçons de Sygne de Coûfontaine: Le pouvoir des femmes et les femmes de pouvoir » Markos ZAFIROPOULOS _____________________________________ 14 « Wonder-Woman ou la Séduction des Innocents » Kevin POEZEVARA _____ 25 photo : Johan POEZEVARA ____________________________________________ 25 « La puissance de la mère, son désir, son emprise, quel pouvoir ? » Isabelle GUILLAMET _____________________________________________________________ 31 « La femme, le pouvoir et le phallus » Elisa DOS MARES GUIA-MENENDEZ ___ 41 « Amour du pouvoir et desir du souverain : la jouissance de la favorite » Paul-Laurent ASSOUN ___________________________________________________ 50 Varia « Economie de marché et inconscient : d’un Autre à l’autre » Jan Horst KEPPLER ________________________________________________________________ 66 « Le mythe de la parenté hétérosexuelle » Lionel LE CORRE _______________ 84 « Le sujet et la physique quantique » François JAEGLÉ ____________________ 91 Encore « Les pouvoirs dans Léviathan : du comique au féminin » Maria KARZANOVA _______________________________________________________________________ 102 « The Lobster ou être en koople à tout prix » Themis GOLEGOU___________ 106 « Mémoire collective et trauma » Aris TSANTIROPOULOS, Emmanouil KONSTANTOPOULOS ___________________________________________________ 108 « He’s my baby » Johan POEZEVARA____________________________________ 110 Bibliothèque de Sygne La Terreur de retour à Saint Denis – Kevin POZEVARA_____________________ 119 Markos ZAFIROPOULOS, Le symptôme et l'esprit du temps : Sophie la menteuse, la mélancolie de Pascal… et autres contes freudiens. Essais d’anthropologie psychanalytique II. De la clinique du cas à celle de la culture, Paris, PUF, 2015. - Maria OTERO ROSSI ___________________________ 121 5

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNE La psychanalyse et les mondes contemporains. Numéro 30 – Revue semestrielle -Alain VANIER, Markos ZAFIROPOULOS______________________ 123 Patrick LANDMAN Tous hyperactifs ? Albin Michel , 2015 _________________ 124 Emmanuelle LOYER Claude Lévi-Strauss Flammarion , 2015 ______________ 124 Érik PORGE, Le ravissement de Lacan , érès , 2015 _______________________ 125 Guénaël VISENTINI, Pourquoi la psychanalyse est une science, 2015_____ 125 L’agenda du CIAP Le séminaire __________________________________________________________ 127 La journée du 16 Janvier 2016 _________________________________________ 128 Les vidéos de Sygne Sur La radicalisation(10/12/2015) Fethi Benslama ________________________ 129 Les auteurs Paul-Laurent ASSOUN : Professeur de psychopathologie à l’Université Paris-7 Diderot, Analyste Praticien adhérent d’Espace Analytique (APaEa). Fethi BENSLAMA: Professeur de psychopathologie clinique à l’université Paris-7 Diderot, psychanalyste. Thémis GOLEGOU : Psychanalyste praticien, psychologue clinicienne. Isabelle GUILLAMET : Psychanalyste praticien, psychologue clinicienne, docteur en psychopathologie et psychanalyse. François JAEGLE : Ingénieur. Maria KARZANOVA : Psychologue clinicienne. Emmanouil KONSTANTOPOULOS : Psychanalyste praticien, psychologue clinicien, docteur en anthropologie psychanalytique. Aris TSANTIROPOULOS: Anthropologue. Jan Horst KEPPLER : Professeur d’économie à l’Université de Paris-Dauphine. Lionel LE CORRE : Psychanalyste praticien, docteur en anthropologie psychanalytique. Elisa dos MARES GUIA : Psychologue clinicienne, doctorante en psychopathologie et psychanalyse à l’Université Paris-7 Diderot. Maria OTERO ROSSI : Psychologue clinicienne, docteur en psychopathologie et psychanalyse. Gérard POMMIER : Professeur émérite de psychopathologie, Analyste Membre d’Espace Analytique (aMEa). Johan POEZEVARA : photographe. Kevin POEZEVARA : Psychologue clinicien, docteur en psychopathologie et psychanalyse. Markos ZAFIROPOULOS : Directeur de recherches au CNRS, Analyste Membre d’Espace Analytique (aMEa). 6

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNE Ce premier numéro de « EDITORIAL : LIRE, VOIR Sygne est l’événement ENTENDRE… » inaugural frappant les MARKOS ZAFIROPOULOStrois coups de la naissance d’unenouvelle Revue de psychanalyse dont la place majeure de l’empire desl’ambition est de donner à lire mythologiques inconscients dans la(articles), à voir et à entendre (photos, modernité.vidéos) ce qu’il en est de l’élucidationde l’actualité du symptôme qui se Et ceci est urgent, car autrouve être du point de vue de Freud moment même où j’écris ces lignes onla voie royale d’accès vers la mise au aperçoit avec la vague d’attentatsjour des ressorts inconscients de la qui a frappé Paris, ce que j’appelleraipsychologie des masses et donc du la nocivité foncière de l’idéal religieuxmalaise dans la culture. que quelques « innocents » ont cru pouvoir déclarer cliniquement mort. Ce premier numéro consacre Or, c’est bien toujours au Nom duson dossier à la question fémininepuisque c’est bien elle qui, pour toutessortes de raisons, hante le champfreudien et se trouve être un deschantiers majeurs de l’actualisation dumalaise, étant entendu quel’évolution historique de la situationfaite aux femmes constitue une desmodifications morphologiques les plusévidentes de la culture occidentale,voire de sa mise en récit ou en mythe. De l’Oedipe au féminin à Sygnede Coûfontaine, l’héroïne de Claudel,ou à Wonder Woman, on comprendqu’il est urgent pour le champpsychanalytique de mettre à jour cequi se déboîte de la situation desfemmes dans la mythologieoccidentale. Car il y a bel et bien unemythologie polymorphe dans lamodernité tardive et bien entenduune mythologie religieuse. D’où le choix de Sygne élevéeici à la dignité d’une figure majeurepropre à non seulement nous mettreavec Lacan sur la piste de la formepeut être la plus actuelle de lacastration, mais aussi et plusgénéralement sur le sentier d’unecondensation polymorphe de tout cequ’il faut bien passer enfin en Revuepour que la psychanalyse rejoignel’esprit du temps. Pour Freud, la vierge fait coupleavec le père mort, et prendre notredépart de l’idéal virginal ne viseévidement pas à nous conduire versune relance du catholicismeclaudélien mais bien plutôt à restituer 7

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNEpère mort que sont perpétrés les causé par le surmoi à l’usage decrimes de masse par ceux que Freud méthamphétamines et in fine à una appelé les criminels sans remords. idéal religieux qui n’en est donc pasOui, il y a bien un envers morbide du en vérité la cause.symbolique qui émerge avecl’élaboration idéale du sacré. Mais Si le désarroi des catégoriesceci relève de la conscience et tous sociales relève en particulier despeuvent maintenant s’accorder là- mécanismes de la ségrégation qui lesdessus tandis que ce qu’il revient à la frappe et que ces mécanismespsychanalyse de désigner, c’est moins doivent être lus dans la longue duréele travail de l’idéal au nom duquel se avec le savoir des sciences socialesfait l’acte criminel que ce qui pousse (histoire, économie, anthropologieà l’acte et en constitue donc la urbaine, etc.), reste que seule lavéritable cause inconsciente : le psychanalyse peut nous aider à nous ysurmoi. retrouver quant à la clinique de l’acte, car la relative pauvreté de laCette question sera théorie du sujet dans les sciences sociales constitue une sorte d’impassedéveloppée ailleurs, mais ce que je que seule la théorie du sujet de l’inconscient permet de surclasser.veux simplement ajouter ici, c’est que Et c’est donc elle qui sera aule travail morbide du surmoi n’est pas cœur de l’élucidation portée par Sygne comme par sa communautésans condition sociale et qu’il est de lecteurs qui sera formée par tous ceux qui voudront s’inscrire dans led’autant plus puissant qu’il émerge au projet de Sygne en soutenant le développement de cette revue qui,cœur des catégories sociales en parce qu’elle n’est la revue d’aucune école, est d’une certaine manièredésarroi. Désarroi qui pour le dire vite celle de tous ceux dont le désir se trouve marqué par celui de Freud etmotive la férocité du surmoi et donc la de ses héritiers.force relative de la mélancolie, mais La suite dira bientôt ce que deviendra cette communauté etaussi son envers inconscient cette nouvelle revue elle même.facilement reconnaissable dans ceque j’ai appelé par exemple la maniedes toxiques mais aussi dans ce queje nomme maintenant la manie de laterreur, manie par laquelle le sujetpréalablement persécuté par lesurmoi dans ses nuits de cauchemars’engage dans un renversement de laterreur chez l’autre. L’acte pouvant àl’occasion capitonner le meurtre Markos Zafiropoulos Paris, décembre 2015 8

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNE Pouvoir des femmes et femmes de pouvoir Les textes qui suivent sont issus de Conférences données lors de la Journée « Pouvoir des femmes, femmes de pouvoir » organisée par le Cercle International d'Anthropologie Psychanalytique le 17 janvier 2015 à Paris. 9

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNE« POUR UNE GENEALOGIE PSYCHANALYTIQUE DU POUVOIR » GERARDPOMMIERLe féminisme a prospéré outre-Atlantique dans les s’affirme toujours dénégativement par rapport à sa famille et à sadépartements de français des universités. Il a trouvé son Culture, ou même par rapport àmiel dans l’âge d’or du structuralisme : Lévi-Strauss, son anatomie. A moins de plaiderFoucault, Lacan, Derrida, Deleuze, Bourdieu… bien pour une innocence toujoursd’autres. Pour une raison obscure, ces french studies soulageante, l’histoire a progresséont la réputation d’avoir mis ces auteurs à leur sauce. et progressera encore grâce àCes appréciations rejettent à l’avance des critiques - cette capacité de révoltepar exemple celles de Lévi-Strauss ou de Lacan – qui subjective.sont pourtant fécondes. Ce féminisme de combat estparti d’un état de fait, celui d’un pouvoir « masculin Un coup de phare enhétérosexuel, phallocentrique et patriarcal ». Ce diagonale donne une vuepouvoir s’est illustré par l’oppression d’un genre, et il a simplifiée de la question: établir laété étudié selon la méthode généalogique de Foucault généalogie du pouvoir revient àet de Bourdieu : ce n’est pas l’imposition simpliste d’une examiner ce qui pousse lespolice des sexes, mais l’exercice d’une « violence hommes à le prendre. C’est diresymbolique intériorisée » – n’est-ce pas une façon de aussitôt qu’ils se battent pour undire qu’elle est inconsciente ? Si cette oppression pouvoir qu’ils n’ont justement pas.symbolique « intériorisée » est devenue inconsciente, Ils en sont privés, et tant qu’ilsne lui manque-t-il pas une définition psychanalytique ? luttent pour sa conquête, ils se rangent d’eux-mêmes du côté Les processus de cette causalité psychique féminin. Cette diagonale initialeméritent donc d’être éclaircis - et cela d’autant que la donne le motif d’une généalogie,sexualité n’est plus un prétexte d’oppression, mais unmoteur de liberté. Suffit-il de dire que le genre estdéterminé par la culture ? Non, car la culture n’a pastoujours été déjà là et il vaudrait mieux éclaircir sagénéalogie sous le jour de la causalité psychique, en seservant de la méthode de Freud - ou s’il le faut d’unemeilleure, purgée de ses scories d’époque. ●●● Le pouvoir masculin n’est pasun fait brut « naturel » dont lesconséquences psychiques se seraientensuite auto-reconduites via laCulture. Une seule courte phrase lemet en lumière : seule la causalitépsychique est « contre déterminée ».La causalité des déterminationsculturelles ne bouge jamais seule. Lepoids des déterminations familiales nevarie guère pendant les quelquesannées où elles influent sur un enfant.Seule la subjectivité contre-détermineces chapes de plomb. Un sujet 10

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNEou plutôt d’un moteur constant et Butler, en imposant à chaque sujetactuel d’une « protestation virile » de une « performance » qui sechaque instant. Le « pouvoir » n’est « naturaliserait » pas plus tôt effectuée.pas un état : il résulte d’une lutte pour Un sujet se performerait commele prendre. Aucun homme ne naît homme ou comme femme, etavec lui, et un Roi lui-même reste s’imaginerait ensuite qu’il l’esttributaire des coups du sort. Vouloir « naturellement », alors qu’il s’agit« prendre le pouvoir » fuit une d’une imitation.féminisation menaçante et fait partied’un plan d’identification au père qui L’argument majeur de cetteen est l’agent. Ces quelques lignesd’introduction mettent en avant deux démonstration ne prête guère àmots : celui de « père » et celui« d’homme ». Ce pouvoir convoité est discussion : il rend compte d’unedonc bien « patriarcal et masculin ».Son programme sera la domination réalité sociale massive : le « choix » dud’un féminin parmi lequel sont comprisles hommes qui n’ont pas ou plus le genre ne dépend pas de l’anatomie.pouvoir. Quant au qualificatif de« phallocentrique » n’est-il pas La notion de « performance » supposesurnuméraire ? Car il n’existe pas plusd’essence de « l’homme » qui aurait le en effet un tel choix… mais encorephallus, que de « femme » qui en seraitprivée. Si le phallus est le pénis en faut-il éclaircir ce qui le détermine !érection, un homme ne l’a que s’ildésire une femme, qui en est donc Car, si choix il y a, il dépend d’uneaussi propriétaire. A peine présentablesans érection, le pénis au repos ne élection subjective ! Son gestesaurait prétendre à la titulaturephallique. transcende donc le culturel. Une Comment s’est installé ce « performance » suppose un librepouvoir hétérosexuel patriarcal, etcela d’autant mieux qu’il s’est établi arbitre qui procède d’autresdans l’inconscience ? Parmi lesnombreuses pistes qu’elle ouvre, déterminations ou contre-Judith Butler1 suppose qu’une fois miseen place la chape de plomb d’un tel déterminations qu’une simplepouvoir, le choix du genre s’est imposéselon un processus « imitatif ». Une imitation. A regarder les résultats dupression symbolique – dont le moteurest laissé de côté – obligerait à processus de sexualisation, lel’imitation d’un genre. Comme ellel’écrit, nous ne ferions que « nous « semblant », ou la mascarade destravestir »… et nous serions tous prisdans une mascarade « masculine » genres ont, il est vrai, une forte réalitéaussi bien que « féminine », et celaavec d’autant plus de facilité qu’il culturelle. Mais leur choix resten’existerait pas d’original dans unmonde de copies. La subordination incompréhensible sans uned’un genre à l’autre serait doncfondée sur une imitation, subjectivité préalable, contre-accompagnée et renforcée par unejouissance de cette obéissance, ou déterminée par une puissancepour le dire dans les termes de Judith psychique initiale. Ainsi de la1 généalogie de ce pouvoir « masculin » Cf. J. BUTLER, Trouble dans le genre,Editions La Découverte. qui s’est imposé « inconsciemment ». S’il existe une performance évidente, c’est bien celle des hommes, de leur course haletante, sans trêve ni répit pour le pouvoir - et cela en une lutte acharnée entre eux. Mais surtout, en une lutte contre la culture qui les précède ! Loin de les déterminer comme des marionnettes, elle est la cible excitante de leurs performances. C’est la foire d’empoigne, la meute. Les chiens courants mordent à gauche, à droite. Les athlètes, les stratèges, les rebelles tapent sur tout ce qui bouge avec joie. Ça démolit, ça déconstruit, en mieux, en pire, mais en tout cas toujours plus loin. La « culture » n’est pas un majestueux édifice de pensées et de coutumes, mais plutôt ce mouvement, cette sorte de halètement, de guerre joyeuse, de mise à bas des raisons et des croyances, de construction d’échafaudages raisonnables ou 11

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNEinsensés, de prorogations d’un conflit par la faute de la quitter. A l’ombre deperpétuel dont les musiques, la cette faute naît un fort désir delittérature, les arts, suivent le tempo. punition, destiné à garder son amour.L’orchestre court à la traîne. Les L’enfant invente donc une tierceactivités qui passent pour « culturelles » personne, un loup, un ogre : … unne sont que ses retombées pensives, père punisseur, dont les coupsartistiques, oisives, destinées aux l’enfoncent dans ce masochisme dontdistractions du Week-end, laïques ou la sexualité humaine porte ensuite lereligieuses. Nul ne nie la puissance de sceau. C’est un masochisme jouissif,cet édifice culturel, ni qu’il façonne puisque ces coups accompagnent laceux qui y grandissent et s’en masturbation 3 . Le choix du genrenourrissent. Mais c’est tout juste un psychique (indépendamment defond passif, que les rêves de chaque l’anatomie) se décide en fonction deenfant dépassent dès qu’il accomplit la position rebelle ou consentante quela moindre performance. chaque sujet prend à l’égard de ce père. Celles qui acceptent jusqu’à un En dépit de sa prodigalité et de certain point cette violente séductionson oppression si visible, cette culture paternelle choisissent le genrereste au second plan, matière « féminin ». Ceux qui refusent cettepremière des déterminations familiales séduction et entrent en guerre optentet psychiques. Dans les cultures les plus pour le genre « masculin ». Mais alorsbrutales, comme celles qui prévalent ce refus des garçons les prive enencore dans les tribus du désert même temps du phallus, et ils entrentaustralien, ou dans un village du fond en guerre pour l’avoir. Telle est lade la Prusse luthérienne, un homme généalogie de la lutte pour le pouvoir,peut toujours risquer sa vie s’il aime masculine à outrance en effet.une femme proscrite par son Totem ouson Pasteur. L’espace culturel n’est L’érotisme de la guerre pour lequ’un énorme amplificateur, puis une phallus débute sur l’arrière monde debase de répétition contre laquelle les l’invention d’un père primitif, brasperformances jouent leur partie. En armé du fantasme d’être puni, àune seule navigation, Christophe l’heure coupable de la masturbation.Colomb bouleversa les croyances de La bisexualité psychique répartitson temps. Grâce à sa lunette ensuite dans l’espace l’Être du Phallusastronomique, le bouillant Galilée qui n’appartient plus à personne,confirma les timides calculs de sinon à celui qui se bat pour l’avoir.Copernic, faisant en quelques saisons C’est une lutte « politique » bizarre,table rase du vénérable univers de puisque le phallus n’apparaît (sous saPtolémée2. forme érectile) que pendant la lutte elle-même. Il surgit dans une mise en Je vais rappeler en quelques tension entre deux pôles : ou bienmots l’arrière monde psychique qui vouloir le donner – du côté masculin.propulse la course au pouvoir. Tout Ou bien vouloir le prendre – du côtésujet – garçon ou fille – naît d’abord féminin. C’est par exemple souventtransgenre, et il n’a le phallus qu’en se lorsque deux amants se disputent quemasturbant, tout en mettant son désir l’excitation apparaît. Leurs genresen fantasme. Cet onanisme est psychiques varient en fonction de leuraussitôt coupable puisqu’il cherche à masochisme, de leur culpabilité et defuir l’emprise maternelle. C’est un leurs griefs réciproques, c'est-à-dire demoyen de se séparer de sa mère, en leur rapport au même père mythique,se faisant jouir plutôt que d’être joui qui continue de décider de leurpar elle. Ce plaisir est aussitôt scellé genre. Un homme n’est pas toujours un homme, ni une femme une2 Si la culture déterminait la subjectivité, 3ses performances pourraient se contenter derectifier le langage, comme s’il était la source De nombreux adultes ne s’excitentde l’oppression, ou d’espérer que les que lorsqu’ils sont au moins moralementhappenings de Drag Queen vont subvertir les frappés, ou injuriés, ou seulement maltraitésrapports de genre de la société. (alors là, ça fait du monde). 12

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNEfemme ! Dans ces circonstances régime de croisière patriarcale qui luihouleuses, quelle est la bouée de a donné des allures franches etsauvetage la plus pratique pour un naturelles, fondées sur l’interdictionhomme, sinon de s’identifier au père ? faite aux femmes de faire de laUn rôle paternel le rassure souvent. Il politique (en France jusqu’en 1945).surmonte ainsi son angoisse devant laféminité, et se libère de son oppression La même démonstration peutde fils. se faire en remontant cette cascade hiérarchique : chaque homme Comment jouer au père, sinon cherche à contrer son angoisse, et àen imitant 4 un de ses traits, purger sa culpabilité parricide selon un« symbolique » ? Mais il faut voir la mouvement d’abord autonome,dynamique de cette imitation : son relatif à son seul désir. Chaque fils n’enobjectif est aussi bien meurtrier peut plus d'être féminisé et il veut(prendre la place de quelqu’un en devenir père lui aussi : il parricide doncl’imitant) que destiné à préserver ce le sien en ayant un enfant. Et c’est auqui est imité. Le premier mouvement nom d’un amour de ce père ensuitede ce symbolique est révolutionnaire immortalisé - sous le nom de Dieu, ouavant de rencontrer la limite de sa du « Symbolique » - qu’il prétendradette. Le « symbolique » n’est pas un exercer son pouvoir : une montée enappareillage statique : il résulte d’un escalier s’initie à partir d’un conflitgeste guerrier. C’est une conquête sur psychique privé et se projette dansle passé, une vague qui vient battre l’espace public, lui-même légitimé auce qu’établirent les générations dernier étage par un père d’outre -antérieures. Il vit et meurt en chaque tombe.époque. L’invention religieuseuniverselle d’un « père éternel » fut la Où commence la lutte pour leconséquence d’un acte guerrier, pouvoir ? Dans l’espace privé. Und’une iconoclastie parricide. Mais il se homme cherche à dissiper sontransforma ensuite en étouffoir, il angoisse en se déguisant en père. Ildevint le justificatif de ceux qui légitime ce coup de force au nom dus’adonnent à la direction d’autrui. « symbolique », de la « loi », du Souverain qui lui aussi se prend pour Une conquête d’abord positive un père, et qui d’ailleurs domine et féminise quiconque se réclame de lui.du pouvoir masculin, se transforma Ce souverain, aussi tyrannique soit-il, et même s’il s’impose par la forceensuite en oppression, à commencer brute, se réclame toujours d’un Idéal, religieux ou laïque : il agit au nompar celle exercée par le Souverain. En d’un père éternisé. Cette cascade de pères qui s’épaulent mutuellement, dudessous de lui et selon une cascade vif au mort, définit le pouvoir masculin patriarcal. Cette hiérarchie qui sehiérarchique, le fils ordinaire prétendra légitime en remontant jusqu’aux cieux surpasse de haut la mascaradetenir son Aura paternelle du Souverain féminine décrite par Joan Rivière5 !… Cette mascarade masculine quiqui la légitime. Il affirmera même que consiste à jouer au père donne son ossature au patriarcat, à la conditionc’est La Loi ou le « symbolique » ! Le de mettre le féminin en minorité.Souverain de la cité joue la 5mascarade d’un père unique qui Cf. J. RIVIERE, La féminité en tant que mascarade, (1929), La Psychanalyse, vol. VII,justifie des prétentions viriles des Paris, PUF.hommes et leur domination duféminin. La foule se hiérarchise encascade grâce à ce rejet de laféminité, qui cimente l’ensemble : lafemme a été et est encore un inférieurhiérarchique à chaque étage etjusqu’en bas de l’échelle sociale.Cette mascarade masculinepyramidale s’est installée dans son4 Ce genre d’imitation est juste un cranau dessous de l’imitation de Butler (il resteinconscient) mais il s’en distingue car il a unobjectif meurtrier. 13

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNE« LES LEÇONS DE SYGNE DE COUFONTAINE: LE POUVOIR DES FEMMES ET LESFEMMES DE POUVOIR » MARKOS ZAFIROPOULOS ●●●Avant de proposer une sorte de deschéma directeur propre à ordonner notre L’otage 6point de vue sur les relations complexesrépartissant dans le champ sociopolitique le s’ouvre sur lesdestin de la femme, je voudrais d’abordnous conduire au cœur de l’exemple retrouvailles desclinique qui nous mettra une nouvelle fois,avec Lacan, sur la piste des traits peut-être Coûfontaine. Dans cetteles plus distinctifs de ce que j’appellerai lasituation de la femme au regard du pouvoir première scène, Sygne raconte àpolitique et social de la modernité. Situationqui fut incarnée de manière son cousin revenu de guerreparadigmatique par celle que Lacan aurachoisi dans le Livre VIII du Séminaire intitulé comment, après l’assassinat de leursLe transfert1, comme analyseur de ce qu’ilen est de l’actualité du mythe d’Œdipe parents et le démembrement dupolarisant l’inconscience du sujet de lamodernité ; sujet ici au féminin, à savoir la domaine familial, elle s’est acharnée àsublime Sygne de Coûfontaine dontClaudel situe le destin tragique dans redonner son unité moi-idéal typiquel’ambiance du drame postrévolutionnairedurant lequel la France change de Nom- au domaine, de la même manièredu-Père (sur le contenu) et où le pouvoirnapoléonien s’installe, quoique déjà qu’elle s’est acharnée à recomposerbousculé par la Restauration qui verra LouisXVIII transitoirement récupérer le trône de le crucifix, l’homme de bronze, uneFrance. nouvelle fois supplicié par la haine des ●●● révolutionnaires, ayant ajouté au Bref, sous la plume du poète rédigeant une trilogie – qui au massacre des moines cisterciens que passage dément l’idée de l’absence de tragédie dans la modernité – les 6 P. CLAUDEL, L’otage (1911 - première mâles de France s’étripent pour le pièce de La Trilogie des Coûfontaine), Paris, service des biens et la première scène Gallimard, coll. La pléiade, 1965, p. 219-307. 14

SYGNE ses enfants, mortellement emportés par une fièvreREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNE étrangère. la famille abritait sur son domaine, le D’emblée, on comprend donc martyr du Christ, dont elle a que l’aventure guerrière de la patiemment réuni le corps morcelé. destruction des biens (au loin) a privé le mâle des Coûfontaine de ses avoirs « Et maintenant le grand (sa femme et ses enfants), de même bon-dieu noir rongé par que de près, la Révolution l’a privé de le soleil et la pluie, le l’unité de sa terre, de l’unité de son scandaleux supplicié, Le corps, de l’unité de son Dieu et qu’il voici entre ces murs revint au patient ouvrage de Sygne (la caché des hommes fille) d’avoir remembré la figure divine avec nous et nous de l’homme de bronze à laquelle elle recommençons avec lui se voue pour garantir la stabilité du comme des exilés miroir domanial, dont le nom capitonne au régime symbolique de Qui se refont un foyer de la noblesse chrétienne, les héritiers de deux tisons mis en cette terre ; capitonnage dont la travers»7, vierge Sygne s’est faite la garante, comme Antigone se fit il y a vingt-cinq dit-elle, pour clore le récit qu’elle fait à siècles, selon Lacan, la garante du son cousin. Récit par lequel on vérifie signifiant même incarné par l’unicité que dans cette interprétation de son frère. chrétienne de l’axiome de Marx – « la terre hérite du fils de paysan » – le Dans le malheur de la domaine comme bien se trouve élevé destruction radicale des biens, où se à la dignité du sacré, ce qui remet précipitent volontiers les mâles au dans le bon ordre la conception que Nom-du-Père, il revient étrangement l’on doit se faire de l’organisation du donc à l’héroïne tragique de garantir régime des relations entre l’homme et le régime symbolique du langage et les biens : pour ce qu’il en est de ce des Noms. Ce qui nous porte du nouage, les biens sont premiers. D’où même coup au régime de l’ordre se déduit que se mettre à leur service sacré de l’au-delà des biens où le est, d’une certaine manière, l’ordre père, même mort ou démembré par naturel de l’aliénation de l’homme à les fils, se trouve en l’occasion soutenu laquelle Lacan cherche une issue par par la fille, se faisant vestale, voire la psychanalyse. cariatide de l’ordre symbolique où se fomente le renouvellement des « Comme la terre échanges, des biens et des nous donne son nom, je générations. lui donne mon humanité [...] C’est pourquoi Bref, il y a un au-delà des biens précédé du de, je suis et un au-delà du bien de la cité. Voilà, l’homme qui porte son selon moi, ce que nous contraignent à nom par excellence » 8 , penser aussi bien Sygne qu’Antigone confirme George de ou Médée, réunies ici sous les rapports Coûfontaine, revenant qu’elles entretiennent au choix de guerre avec ce seul qu’elles font prévaloir pour le régime nom comme trésor, de l’être, du sacré et du particulier puisque sans son épouse contre le régime des avoirs, de la cité qui l’aura déshonoré et de la politique des mâles. avec le Dauphin et sans Et vous comprenez qu’en ce 7 P. CLAUDEL, L’otage, op. cit., p. 232. sens déjà j’essaie d’articuler une sorte de dysharmonie relative opposant le 8 Idem, p. 227-228. pouvoir des mâles qui s’affrontent pour les biens, au pouvoir que je ne 15

SYGNE remembré, comme par la logique de l’alliance à relancer. Ils s’avouentREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNE donc leur amour tout en se faisant promesse de mariage. reculerai pas à designer comme spirituel de l’engagement Tout irait donc au mieux dans le sociopolitique de la vraie femme ou meilleur des mondes tragiques de la des femmes comme femmes. Ceux noblesse de France, si ce n’est que le qui suivent mon travail apercevront ici cousin n’a rien trouvé de mieux que une sorte de relance de l’opposition de ramener dans ses bagages le que je promeus depuis ma Question Pape, préalablement retenu dans une féminine 9 pour distinguer au plan citadelle napoléonienne, et qu’il s’est heuristique le style d’enfoulement des mis en tête de l’exfiltrer vers les mâles qui se fait au Nom des avoirs, territoires du Roi de France pour tandis que celui des femmes comme relancer le parti de l’alliance entre femmes se fait volontiers au Nom de l’Eglise et le Roi. l’être, et donc au Nom du rien qui motive le désir contre le régime des Patatras ! La politique où avoirs où s’impose la satisfaction et s’exténue le pouvoir des mâles s’est, par conséquent la fin du désir. par la faute du garçon, installée d’abord en clandestine dans la J’y reviendrai. Car si j’ai déjà dit demeure de Sygne et, s’il faut pour y que cette opposition entre l’être et voir clair différencier l’homme de la l’avoir exige des freudiens en femme pour ce qui concerne particulier qu’ils complètent le l’analyse du registre complexe du chantier de recherches concernant pouvoir, ils sont, les deux sexes, et sous ce que j’appellerai la socialisation ce regard, pas sans relation puisque différentielle des sexes, j’ajoute que les actes des uns – ici la prise d’otage cette socialisation n’est pas sans des mâles - ont une incidence variation socio-historique. Autrement évidente sur le destin des autres – ici le dit, si je dis qu’il manque au texte de destin de la femme, ravalée d’abord Freud Psychologie des masses 10 son au service des biens, puis élevée dans répondant quant à la mise en foule ce drame au niveau de la crucifixion des femmes et si je dis que ce et donc du sacré, comme nous le répondant est au moins esquissé dans verrons aussi. le beau texte de Freud, Le tabou de la virginité11, ce n’est pas, de mon point Bon, j’avance : le Pape est de vue, encore suffisant, car tant au dans la place et voilà qu’à l’acte II, le regard de l’être qu’au regard des rideau se lève sur le baron Turelure, un avoirs (dans les enjeux homme grand au nez étroit et très sociopolitiques), c’est un fait que la busqué, un préfet de la République situation des femmes évolue dont la discrète boiterie introduit le historiquement, au moins en Occident frisson chez le spectateur, d’autant (et du coup, aussi bien celle des plus qu’il s’agit du rejeton d’une hommes). cuisinière (autrefois au service des Coûfontaine) et d’un rebouteux, Mais, revenons-en à Sygne, là précipitant l’horreur de Sygne lorsqu’il où je l’ai laissée. Car, comme vous avoue avoir lui-même ordonné le l’avez compris et sur le fond des meurtre de masse des moines et des retrouvailles de l’unité sacrée de la nobles parents de Sygne. Mais « Ce Terre, les cousins se trouvent ressaisis qui est vrai est bien assez. Je les ai fais par l’attraction du domaine tuer par amour de la patrie dans le pur enthousiasme de mon cœur ! » 9 M. ZAFIRPOULOS, La question féminine, s’exclame-t-il, comme pour nous faire de Freud à Lacan, Paris, PUF, 2010. vérifier une nouvelle fois – ce qui est ma thèse de longue date – que les 10 S. FREUD , « Psychologie des masses et crimes de masse se font au Nom du analyse du moi » (1921) Œuvres complètes ,vol. père (ici la patrie), crimes de masse XVI, Paris, PUF,1991. toujours perpétrés par des criminels sans remords, et cet aveu de Turelure 11 S. FREUD, « Le tabou de la virginité » (1917), Œuvres complètes ,vol. XV, Paris, PUF,1996. 16

SYGNE Je l’épouserai à la face de Dieu en troisREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNE personnes, et je lui jurerai fidélité et nous nous dans le drame indique également à mettrons l’alliance au Sygne qu’elle doit tout de suite doigt. apprécier correctement l’ampleur de son pouvoir politique de destruction, Il sera la chair de ma comme l’ampleur de sa cruauté chair, et l’âme de mon préfectorale. Ce que Turelure articule âme, et ce que jésus- d’emblée, pour indiquer ensuite qu’il christ est pour l’Eglise, sait la présence du Pape dans la Toussaint Turelure le sera demeure des Coûfontaine. En pour moi indissoluble. conséquence de quoi il s’annonce naturellement prêt à la capture du Lui, le boucher de 93, chef de l’Eglise, sauf à ce que la noble tout couvert du sang des Sygne ne consente à l’épouser. miens, « Sygne, sauve ton Dieu et ton Il me prendra dans ses Roi »12, murmure à voie basse l’infâme bras chaque jour et il n’y Turelure, avant d’indiquer son vouloir : aura rien de moi qui ne « Je prendrai la terre, et la femme, et soit à lui, le nom »13. Et de lui me naîtront des Voilà situés les enjeux politiques enfants en qui nous quant aux avoirs côté mâles. Côté serons unis et fondus. Sygne, le piège s’est refermée sur elle puisqu’elle est maintenant acculée à Tous ces biens que j’ai un dégradant mariage pour sauver le recueillis non pas pour Pape, l’Eglise, Dieu et le Roi, c’est-à- moi, dire pour sauver tout ce en quoi elle croit. Mais… différence des sexes Ceux de mes ancêtres, oblige, offrir son corps au service de la celui de ces saints politique des biens ne va pas de soi moines, pour l’héroïne. « Dois-je sauver le Pape au prix de mon âme »14 se demande Je les lui porterai en dot, la noble pucelle qui aime Georges de et c’est pour lui que Coûfontaine, tient Turelure en horreur, j’aurai souffert et etc. Mais… ne faisons pas durer le travaillé. suspense, la vierge consent pourtant – La foi que j’ai promise, je sous les assauts répétés de son la trahirai, directeur de conscience, le curé Badillon – à épouser le fils de la Mon cousin trahi de tous servante et du sorcier – Je cède. et qui n’a plus que moi Sygne consent : seule,« Ainsi donc moi, Sygne,comtesse deCoûfontaine , Et moi aussi, je lui manquerai laJ’épouserai de ma dernière ! »15.propre volonté ToussaintTurelure, le fils de ma Voyez l’importance du progrèsservante et du sorcier dans la mythologie occidentale quantQuiriace. à l’histoire ! A la différence de l’héroïne tragique Antigone ou de12 P. CLAUDEL, L’otage, op. cit., p. 262. Médée, Sygne trahit. Elle trahit tout ce13 Id., p. 263. qui constitue ses valeurs pour sauver le14 Id., p. 269. Pape ou, mieux dit, l’alliance politique 15 Id., p. 273-274. 17

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNEde l’Eglise et de la royauté. Sygne est l’envoie sur le marché oùportée aux extrêmes de l’abjection il passe dans l’encanpar et pour le pouvoir politique des général [...] N’est-ce pasmâles. De ce point de vue et pour ce qui se passe aualler vite je relèverai que Sygne ne niveau de Sygne ? »16s’exempte d’aucun des devoirs dumariage, puisque ayant consenti à Alors, oui, il y a bien dans levenir occuper cette place d’objet départ du destin de Sygne uned’échange que lui ont désignée les formidable illustration de cette formehommes de son propre milieu : moderne de la castration qui propose à la vraie femme de troquer sa 1) il lui vient de Turelure un posture sacrée d’intraitable cariatide enfant et elle devient donc du désir contre une incarnation où elle mère, consent à être offerte comme objet 2) mais il y a plus, car aux d’échange et de jouissance dans le règles du mariage, Sygne champ du politique opposant ici les fils ajoute même une compliance de la République à ceux du Roi et de au devoir de l’amour puisque, l’Eglise. Mais il y a aussi dans ce très alors que George de beau drame de Claudel illuminé par le Coûfontaine veut en finir avec simple fait que Sygne occupe la place son ignoble mari, Sygne se de l’unique personnage au féminin de précipite au-devant de la balle cette pièce, un formidable coup de destinée à Turelure et qui la théâtre, puisqu’alors que jusque là si blesse mortellement. c’est bien au refus de tout ce qui lui fut le plus cher que Sygne semblait Du point de vue de ce qui nous s’être littéralement abandonnée en seintéresse, à savoir la place précipitant dans la mort, elle sesociopolitique faite à la femme dans déprend finalement de la placela culture occidentale, il y a donc à d’objet d’échange à laquelle elle futlire dans la trilogie des Coûfontaine contrainte comme épouse et comme(que je ne fais ici qu’effleurer), une mère dans ces temps troublés de lasorte de déboîtement historique de la reproduction sociopolitique où les filssituation de l’héroïne tragique que hétérosexuels l’ont enrôlée au serviceLacan ne manque de relever, en de leurs biens. Service ou registre desmettant l’accent sur le fait que c’est biens où elle a consenti d’abord àmaintenant d’être portée au refus, venir se ranger.d’être portée à la trahison de tout ceen quoi elle croit et pour le service des Alors oui, Sygne refuse. Ellebiens que caractérise le destin de trahit les valeurs les plus précieuses deSygne et donc pour une part, au son être, pour se mettre au service desmoins, le destin inconscient du sujet de biens, c’est entendu, mais d’un autrela modernité au féminin. côté – je le souligne – Sygne se refuse à son refus et elle quitte la scène par Et il en tire cette leçon que nous le suicide, créant l’effroi parmi lesaurons à méditer selon laquelle hommes, puisque près de son litémerge une forme moderne de la d’agonie les mâles maintenant secastration qui s’énonce comme suit : pressent, au premier rang desquels le curé Badillon et même, selon les« On soustrait à versions, le Roi de France.quelqu’un son désir, et, Les mâles lui demandent à la fois le pardon – preuve qu’ils ne sonten échange, c’est lui pas sans gravité – et ils lui demandent de voir une dernière fois son enfant.qu’on donne à 16 J. LACAN, Livre VIII du Séminaire, Lequelqu’un d’autre – dans transfert, Paris, Seuil, 1991, p. 380.l’occasion, à l’ordresocial [...] Vous avez bienentendu, je pense, ceque j’ai dit, insiste Lacan,on retire au sujet sondésir et, en échange, on 18

SYGNE quant au désir, spécialement bien incarnée par ce fils non voulu etREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNE littéralement forclos par sa Médée de mère. Mais Sygne se fait alors inflexible et femme entre les femmes, vraie Bon, Sygne se suicide pour rien femme, elle refuse de pardonner, et cet acte est réussi pour notre comme elle refuse de voir son enfant recherche en ce qu’il doit nous faire ou son être-mère. En cela, elle rejoint apercevoir que si l’ordinaire du Médée. féminin s’enrôle comme épouse, mère ou courtisane, dans le régime Puis, sur son lit de mort, elle « se politique de la reproduction du lien redresse tout à coup et tend social, la femme comme femme, elle, violemment les deux bras en croix au- objecte au service des biens ou la dessus de sa tête ; puis, retombant sur femme se perd. Et se perd avec elle le l’oreiller elle rend l’esprit avec un flot désir qui ne se motive que du de sang. Et monsieur Badillon lui essuie manque. pieusement la bouche et la face. Puis éclatant en sanglot, il tombe à Et si l’on veut situer la place de genoux au pied du lit »17. la femme au regard de l’ordre du pouvoir, il ne suffit donc pas Nous sommes, là, portés « au- d’évoquer la généralité d’une delà de toute valeur de la foi » 18 , hétérotopie où elle perdrait toute conclut Lacan. Et, en effet, Sygne à la consistance à ne pas exister. différence d’Antigone ne soutient pas le désir des Dieux, ce qui fait le pouvoir Qui, parmi les plus matérialistes de la femme comme femme, Sygne a d’entre nous, croirait en effet pertinent trahi pour le service des biens des de déduire de son inexistence frères, elle a cédé à Badillon comme à l’inconsistance de Dieu ? Turelure, elle a sacrifié son être pour les enjeux des avoirs de l’alliance soudant Pour la femme, c’est pareil : elle les intérêts du Pape à ceux du Roi. Elle n’existe pas, assure Lacan, mais ceci est devenue l’épouse de l’abjection ne veut pas dire qu’elle soit sans et la mère d’un enfant non voulu. Mais consistance. Et ce qui nous conduit elle échappe à ce funeste destin maintenant à méditer en suivant les d’être l’objet de la domination traces de Sygne, c’est que dans la masculine par cette sorte de suicide modernité, toute femme peut-être se conduisant les mâles – mais trop tard - trouve plus que jamais conduite à à chercher auprès d’elle leur pardon prendre position par rapport à cette devant Dieu. Sygne – in fine – forme de castration lui proposant dans échappe donc aux mâles, à la la modernité de trahir clairement son domination masculine, au prix de son désir ou son être de désir, ou encore être et se rejoint au-delà du service de trahir le désir tout court, en des biens, sans pourtant que quoi que échange de quoi elle est enrôlée au ce soit de l’ordre de la Cité ne soit service des avoirs ou des biens. Et de restauré, ni à sa génération, ni à celle ce point de vue, il n’est pas tout à fait de son fils (on verra pourquoi). Autant faux de dire que l’évolution de dire qu’elle se suicide pour rien. Ou l’histoire des femmes en Occident mieux dit, qu’elle se suicide pour le semble bien désigner une sorte de rien qui est, répétons-le, l’inverse des réorganisation de ce choix, voire un avoirs pour lesquels les tenants virils de élargissement massif de l’enrôlement la domination masculine ont fomenté des femmes au service des biens, et son destin. Ou encore, elle se suicide ceci au-delà même de l’ordre familial pour un rien qui objecte à la logique où la domination masculine a su en des avoirs, gouvernant ce pouvoir jouir de longue date pour en obtenir politique auquel Sygne a pourtant des enfants qui furent, depuis toujours, consenti d’abord, jusqu’à en indiquer des avoirs de l’homme, comme il en l’impasse… quant au désir. Impasse est de leurs épouses qui ne le furent pas moins. 17 P. CLAUDEL, L’otage, op. cit., p. 297. 18 J. LACAN, Livre VIII du Séminaire, Le transfert, op. cit., p. 326 19

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNE Pour le dire en deux mots, si projette à la limite pour nousAntigone repousse la solution par le empêcher d’aller plus loin au cœur demariage et les enfants pour garantir le la Chose ».19désir des Dieux, l’ordre du signifiant etla particularité de son frère qui est La Chose, il y a toutes sortes delogiquement irremplaçable, la choses. Et cette figure fascinante depremière version féminine de Sygne la beauté féminine devra attendreconsent à la dégradation du mariage dans la trilogie de Claudel la troisièmeentièrement déterminé par la logique génération pour qu’une autre femme,des biens et des enjeux politiques. devenue à son tour une figure de femme divinisée et crucifiée (la belleMais il y a plus, dans notre Pensée), arrache, dans cette filiation, le désir à la malédiction où laactualité, puisqu’il arrive aussi bien jouissance ordinaire du père (Turelure) l’aura mis en impasse, comme je l’aiqu’au-delà même de la logique de suffisamment indiqué.l’échange des femmes qui dans les Alors, si je vous dis cela, c’est pour bien nous faire apercevoir,structures complexes de la parenté combien, pour Lacan, ce sont les femmes qui sont les garantes du désirassurent encore largement la – c’est leur pouvoir de femme comme femme – et c’est un pouvoir qui,reproduction des familles, les femmes comme il le précise, érige la beauté contre la jouissance de la Chose donts’élèvent par exemple au on trouve chez Claudel une version paternelle dans la jouissance decommandement de vastes Turelure, devenue chez Lacan la figure paradigmatique du « pèreorganisations où elles se font, par humilié » et qui apparaît plutôt, de mon point de vue, comme un pèreexemple, entrepreneurs et donc que je dirai plutôt humiliant.femmes de pouvoir. Femmes de Figure obscène en tout cas de la jouissance plaçant le désir enpouvoir fort modernes mais au service impasse. Et j’ajoute que s’il a fallu trois générations pour que le désir trouvedes biens. Et vous voyez que la son issue dans la trilogie de Claudel, c’est aussi parce qu’il a fallu attendrequestion que je tarde à poser pour la troisième génération pour qu’émerge sur la scène la beautétoutes sortes de raisons est celle du d’une femme juive et aveugle, étant entendu que Sygne laisse au monderemaniement de la situation un garçon non désiré dont le père, Turelure, convoite la fiancée, tout ensociopolitique faite à la femme dans l’incluant dans sa propre jouissance du fait que ce fils se trouvera conduitla modernité. Situation qui exprime, à copuler avec sa maîtresse (celle de Turelure) dont le jeune Lacan de 1938voire anticipe ou même se déduit de a fait l’archétype du père humilié, et la cause de la grande névrosecette évolution de la mythologie contemporaine qu’il croyait alors apercevoir, comme il croyaitoccidentale par laquelle la plume de apercevoir alors le fameux déclin de l’imago paternelle dont le diagnostic,Claudel aura capitonné le destin de la de mon point de vue – voyez mesfemme à celui du crucifié, nous 19 J. LACAN, Livre VIII du Séminaire, Le transfert, op. cit., p. 362-363conduisant d’une certaine manière àmoins imaginer la fin de la femmecomme femme, (femme qui n’existepas mais quand même…), quel’affaiblissement corrélatif del’hystérique, militante du rien etcariatide du monument paternelqu’elle sait, par ailleurs, délabrédepuis toujours.Affaiblissement social donc del’hystérie, à questionner avec sonéventuelle obsessionnalisationcorrélative. Mais pour en rester à cetévénement mythologique par lequella plume de Claudel capitonne d’uninévitable point de croix l’image de lafemme venue se superposer à celledu crucifié dans la mythologieoccidentale, j’ajoute que, ce qui estlà indiqué, selon Lacan, n’est riend’autre qu’une « figure fascinante, dela beauté érigée, telle qu’elle se 20

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNEderniers ouvrages20 – est un des ressorts de jouissance humiliante etles plus puissants de ce que je ségrégative que les filles doivent à leurconsidère comme la déviation engendrement paternel.majeure qui risque aujourd’huid’emporter la psychanalyse vers une L’avenir me démentira peut-sorte d’orthopédie du père où elle (la être d’ailleurs en montrant que lapsychanalyse) se refuserait à son tour mécanique du désir causée par lesà ses propres valeurs ou à son être filles aura, en l’occasion, surclassé lamême ; mais où aussi, politique oblige, jouissance morbide du père ouelle pourrait concourir, même à son encore – limite des cariatides – oncorps défendant, et de manière, verra que le dégoût ou la hainedisons, affreuse, à cette sorte de inconsciente de la fille pour larévolution nationale qui menace jouissance du père pourrait venir àd’être aujourd’hui à portée de main bout de cette jouissance enet que l’on voit se dessiner via la promouvant notamment aux pluspromotion au plan des masses d’un hautes charges de ce Front devenuidéal nationaliste passant par la bien très étrange, une sorte de jouissancenommée « dédiabolisation » de la homosexuelle mâle – une sorte dejouissance d’un père qui, en l’espèce, lobby gay – dont on attend de voirvaut aussi bien comme incarnation comment et jusqu’où elle pourraitmoderne de la chose humiliante et voisiner (sans dégât majeur) avecségrégative polarisant notre champ cette sorte de père qui, à lapolitique. différence de Turelure, aura sur la scène politique et donc publique, Turelure, Président ! Comment accouché cette fois de quelquesest-ce possible ? cariatides propres à voiler de leur masque de beauté blonde la volonté Eh bien, c’est un fait qu’ici, à la de jouissance d’une organisationseconde génération de cette famille paternelle qui, pour devoir êtrepolitique, de même qu’à la troisième dédiabolisée, s’authentifie donc, enqui apporte à la seconde le renfort après-coup, comme simplementd’un catholicisme militant, on voit se diabolique21.former sous nos yeux, dans notrechamp politique, une sorte d’alliance 21 Huit mois après mon interventiondes filles, propre à masquer de leur l’histoire s’accélère et « Le bureau exécutif duêtre la diabolique jouissance Front national, réuni en formation disciplinaire,nationaliste que le père humiliant a délibéré et a décidé, à la majorité requise,porte au front. Et j’ajoute que si l’exclusion de M. Jean Marie Le Pen commej’aborde ici cette question, c’est membre du Front national » annonce unparce que l’enjeu politique est majeur, communiqué diffusé le jeudi 20 Aout 2015,qu’il s’agit donc de la clinique des comme pour non seulement confirmer le bienmasses et que seule, peut-être, la fondé de l’hypothèse que j’avançais le 7psychanalyse peut aider à mettre à janvier 2015, mais surtout démontrer que lavue le mécanisme par lequel la psychanalyse « est une science sociale »beauté des filles en politique, leur être, (comme le soutenait déjà Lévi-Strauss) et icileur pouvoir, peut ici contribuer à une science politique sans laquelle il serait bienpolariser le désir des innocents qui, difficile de s’y retrouver quand à ce quecroyant porter la pucelle aux plus j’appellerai l’incidence des complexeshautes charges de la République, familiaux au cœur même du champ politique.n’aperçoivent plus, ou mal, la volonté Du coup les spécialistes ou plus simplement le lecteur intéressé aura peut être moins de20 M. ZAFIROPOULOS, Du mythe du Père prévention à se rapporter à l’usage que je faismort au mythe du déclin du père de famille… de l’expérience psychanalytique pour rendreoù va la psychanalyse ? Essais d’Anthropologie compte des pratiques politiques, voir despsychanalytique I, Paris, PUF, 2013 et Le guerres comme j’en ai rendu compte – maissymptôme et l'esprit du temps. Sophie la en après coup – dans le premier volume dementeuse, la mélancolie de Pascal, et autres mes essais d’Anthropologie Psychanalytiquecontes freudiens - Essais d’Anthropologie Du Père mort au déclin du père de famille : oùpsychanalytique II, Paris, PUF, 2015. va la psychanalyse ? et il se pourrait aussi que mon point de vue sur le funeste destin de 21

SYGNE apparaît à l’évidence d’abord comme une fille.REVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNE Enfin et puisque j’ai dit que Turelure, moins heureux, n’aura, j’évoquerai le schéma directeur de lui, donné le jour qu’à un garçon dont l’anthropologie psychanalytique qui le prénom de Louis n’aura pu suffire à surplombe nos travaux, je dirai au total lui donner ce manteau de beauté que ce qui s’aperçoit mieux qu’il revient aux femmes d’incarner à maintenant, au moins je l’espère, c’est l’occasion pour recouvrir une sorte que la femme comme femme, la vraie d’hideuse jouissance paternelle d’où femme dans son entièreté de femme procède leur vie. est située du côté de l’être et que ceci a d’importantes incidences pour Quelque chose est pourrie au ce qui concerne sa situation au champ de l’Autre (à écrire S (Ⱥ)). regard du pouvoir, au regard du champ sociopolitique de la clinique Oui, voilà sûrement une des du cas et de celle des masses. formules constitutives de la subjectivité moderne, qu’il s’agit de méditer avec Le pouvoir des mâles se situe, lui, plus Lacan, mais j’ajoute à des fins nettement du côté des avoirs. d’analyse politique que le genre du sexe engendré par la chose paternelle D’où se déduit une n’introduit pas au même destin dysharmonie entre les deux sexes sans sociopolitique donc, qu’il s’agisse rapport sexuel sûrement, mais pas sans d’une fille ou d’un garçon, de Turelure relation, puisqu’on l’a vu du point de ou du père du Front. Ce que seule vue du champ politique, l’être sublime peut-être, je l’ai dit, la psychanalyse de Sygne se fait avoir dans tous les pourrait aider à apercevoir, comme sens du terme par les mâles auxquels notre discipline apparaît donc peut- elle se trouve socialement reliée. être incontournable pour ce qu’il en est de l’analyse de ce qui émerge Ce qui en fait d’abord la figure sous nos yeux dans notre champ emblématique de la femme politique d’aujourd’hui, démentant confrontée à cette forme moderne de aussi le fait que le pouvoir politique est la castration par laquelle, je le répète, parfaitement séparé des complexes son désir est retiré au sujet qui se familiaux et que le pouvoir, dans ce trouve ensuite donné à l’ordre social, champ comme ailleurs, échapperait un ordre, ici, abhorré. Sygne devient aux effets de la différence sexuelle. donc un bien au service des biens de la domination masculine. Mais, pour D’où la nécessité aujourd’hui mon bref schéma directeur, je ne situe d’engager une recherche qui là rien d’autre que ce qui, de la esquisserait une sorte de reprise femme, consent depuis toujours à se déboîtée du texte de Freud (de 1925) mettre au service des biens pour et qui pourrait être intitulée « Quelques assurer du même coup la production conséquences politiques de la de ce que Lévi-Strauss appelait Les différence anatomique entre les structures élémentaires de la parenté sexes ».22 qui sont, naturellement, polymorphes. La femme, dans ce tissage du lien Conséquence politique donc et non social, devient épouse, mère et, le cas plus simplement psychique. échéant, maîtresse. D’où mon imprudence à On rappelle donc que, dans ce évoquer pour ce jour la figure majeure registre des avoirs, les mâles d’une femme de pouvoir de notre échangent des femmes comme bien champ politique qui naturellement parmi les biens. Et pourquoi donc le pouvoir de l’échange des biens l’orientation de la psychanalyse motivé par comme le pouvoir politique revient-il l’idée du déclin du père ne soit pas totalement donc, traditionnellement, aux mâles, non plus totalement dénué de lucidité. se demandera-t-on ? 22 Le titre du texte de Freud de 1925 est « Quelques conséquences psychiques de la différence anatomique entre les sexes » , La vie sexuelle, Paris, PUF,1969. 22

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNE Je réponds clairement : parce avoirs où se situe largement le reste duque ! champ politique, mais du côté de l’être (être français), tandis que c’est Parce que quoi ? le registre économique des biens qui, de manière dominante, mobilise Eh bien, il n’y a pas d’autre largement le reste des partis de notreraison que ce que j’appellerai la champ politique, faisant du discoursraison sexuelle du pouvoir des avoirs, politique ce qu’il est largementun pouvoir à la fois arbitraire, c’est-à- devenu aujourd’hui : un discoursdire fondé sur l’imaginaire du corps économique.viril ; pouvoir qui est donc arbitraire etpourtant universel. D’où le fait que, Alors, il y a bien un pouvoircomme je l’ai déjà indiqué23, il n’y a politique de la fille dans le champpas de trace du matriarcat dans politique qui est le nôtre. Il y a unl’histoire des civilisations, ni pouvoir de l’être recouvrant ce vouloird’idéalisation de la mère. C’est donc d’un père ayant eu le génieun fait arbitraire et universel que d’apercevoir dans l’être de la pucellel’idéalisation dans toutes les le manteau du rituel propre à recouvrircivilisations est pour l’homme et qu’il y sa diabolique volonté de ségrégation.a une sorte donc de complaisancesomatique au principe universel du Voilà donc un rapide rayon depouvoir des avoirs de la domination lumière analytique sur la femme demasculine, aujourd’hui pour une part pouvoir peut-être la plus puissante deentamée au moins en Occident. notre champ politique et qui, de conduire de son être une révolution Mais disons que, du point de nationale maintenant, je l’ai dit, àvue de la psychanalyse, celui qui a portée de sa main, doit être sans plusc’est le père et même le père mort, et attendre prise en compte pour notrequi a quoi ? Eh bien, pour Freud, c’est clinique des masses qui voudraitlui qui possède les vierges. élucider pour une part au moins l’incidence du pouvoir au féminin Ce qui explique pourquoi en dans l’actualité du malaise.particulier du côté des femmes, c’estbien la vierge qui est idéalisée et pas Sygne, elle, ne voilait pas lela mère. Mais la vierge est vouloir de Turelure. Certes, mais il étaitnaturellement du côté du rien, du son mari et pas son père.côté de l’être. Ce qui fait que lecouple idéal, c’est bien le père mort Bref, du côté de l’être, du côtéou délabré et la fille ou la pucelle. de la femme comme femme, il y a donc des usages différentiels du Il est donc peu surprenant du pouvoir de l’être dont l’incidencepoint de vue freudien, d’observer majeure est, répétons-le, trèsl’incroyable puissance de polarisation généralement de causer le désir.dans notre champ politique de cecouple constitué d’une fille que je Mais il s’agit donc là des usagesdirai d’abord mariée avec son père du pouvoir de la femme complète, lemais aussi polarisée par ses amis pouvoir des femmes qui reste du côtéhomosexuels mâles. de l’être et naturellement, pour notre schéma, il reste que la femme Et il n’est pas non plus décomplétée, celle qui se fait mère,incohérent d’observer dans cette épouse ou courtisane, quitte le registrelogique que cette fille mène une de l’être pour celui des avoirs et lepolitique, non pas dans le registre des service des biens où elle exerce d’autres modalités de pouvoir que23 Voir M. ZAFIROPOULOIS, « Qu’est ce nous allons également élucider. Queque le matriarcat? » Essai N° VIII in Du mythe l’on songe par exemple – pour ce quidu Père mort au déclin du père de famille… où concerne le pouvoir de la courtisane -va la psychanalyse ?, op. cit et La question à l’influence sur la cour du Roi deféminine de Freud à Lacan ou la femme France de la belle Madame decontre la mère, op. cit. Montespan, la favorite de Louis XIV dont elle eut sept enfants sans jamais 23

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNEaccéder au statut d’épouse, puisque,  bien entre les biens, c’est l’infanted’Espagne qui fut choisie commeépouse du jeune Roi par sa propremère et dans la louable ambition demettre fin à vingt-cinq ans de guerreentre la France et l’Espagne. Ici l’on vérifie que le régime del’échange des biens ou des femmesse fait pour le bien de la cité et que,s’il faut pour des raisons d’analysedistinguer être et avoir, ce n’est pas àdes fins d’idéalisation, mais à des finsde progrès de l’analyse clinique pourlaquelle j’indique enfin qu’au-delà dela vraie femme logée dans le registrede l’être, l’épouse ou la courtisanesont à ranger dans le champ dupolitique du côté des avoirs et commedes avoirs. Et je ne pourrai conclure cebref schéma sans évoquer lachampionne incontestée des femmesde pouvoir, à savoir la mère dont lepouvoir fétichiste est lui aussi à situerdans le registre des avoirs. Pouvoir dela mère dont on peut dire qu’ildemande à être sans cesse réduit, aupoint que je pourrais dire pour fairemoderne que la gestation pour autruiest bien le processus majeur qu’exigela culture de chaque mère. Fin donc de ce schémadirecteur où l’on voit que la femmecollabore comme mère, épouse oucourtisane à la jouissance mâle desbiens et qu’il y a un au-delà du servicedes biens où la femme commefemme, la vraie femme dans sonentièreté de femme, dirait Lacan,excelle à exercer de manièrepolymorphe un pouvoir de l’être,comme celle qui se fit soldat de cepère qui l’aura reconnue commepropre à incarner l’idéal nationalisted’une Jeanne dont le programmepolitique vise in fine à réduire d’autantla logique des échanges comme àdénier la responsabilité des actes dusujet pour retenir contre lui saresponsabilité d’être, être juif,musulman, étranger, etc. Sygne, elle, refuse de se faire lesoldat de Dieu et indique, par là, uneautre issue.  24

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNE« WONDER-WOMAN OU LA SEDUCTION DES INNOCENTS » KEVIN POEZEVARAPHOTO : JOHAN POEZEVARA ●●● On connaît tous la sublime Ce texte a ceci de particulier qu’il est lebrunette – pour beaucoupéternellement incarnée par Lynda résultat d’un travail de commande.Carter – avec son slip bleu étoilé, soncorsage généreux, son diadème, son On connaît la tradition qui veut que l’onfameux lasso et ses bracelets pare- consacre quelques centimètres de toile à laballes. On connaît moins l’histoire de représentation de l’heureux mécène desa naissance. J’ai fait grand cas, ces l’œuvre ; je n’aurai pour ma part nullement àdernières années, de la « trouvaille forcer le trait pour que se dégagent quelques-carrément géniale » – le mot est unes des facettes de l’intérêt de mond’Umberto Eco – qu’est le mythe de commanditaire. Je crois, ça lui arrive parfois,Superman, évoquant notamment les qu’il sera heureusement surpris de sa propreorigines juives des membres de la pertinence, lorsque au-delà de l’associationpetite horde de fils à l’origine du presque anecdotique – le pouvoir au féminin,panthéon super-héroïque. Aujourd’hui Wonder Woman elle a ça dans le nom – au-delàje me dois d’intégrer à cette loi un de l’association presque anecdotique donc, lainfime bémol : Contrairement à super héroïne s’avancera et, sublime du haut del’ensemble de ses collègues de ses 74 ans, elle lui accordera un bon point pourl’époque, l’auteur de Wonder Womanétait on ne peut plus goy. Contre Csa question féminine. Puis viendra la deuxièmetoute attente, William MoultonMarston, né aux Etats-Unis en 1893, partie de cet article, là où je tenterai deétait docteur en psychologie, diplômé reprendre la main et de traiter le sujet qui auraitde l’Université d’Harvard puis certainement trouvé à s’exprimer quelle que soitprofesseur à Boston et à Washington. Il la commande. Il est, comme toujours, contenuest notamment l’inventeur du test de dans le sous-titre : Après donc la Wonder Womanpression artérielle systolique et donc de Markos Zafiropoulos, il sera question d’unecrédité comme créateur de la certaine Séduction des innocents, d’après le titretechnologie du détecteur de le plus fameux du très méconnu Fredric Werthammensonges ! ●●● Théoricien du féminisme, il aimait tellement les femmes qu’il vivait avec deux d’entre- elles, deux femmes qui continuèrent de vivre ensemble après son décès en 1947, Elizabeth Holloway Marston, femme active et bardée de diplômes et Olive Byrne, une de ses anciennes étudiantes, nièce notamment de Margaret Sanger, célèbre militante à l’origine de ce 25

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNEqui deviendra le planning familial erreur sur les terres prohibées desaméricain. Suite à une interview vierges invincibles.durant laquelle le psychologue vantaitle potentiel éducatif des comics Que raconte le premier épisodebooks, il fut engagé par l’éditeur Max de Wonder Woman, publié en 1941 ?Gaines en qualité de consultant, Un aviateur, officier de l’US Air Force,mesure prophylactique destinée à s’écrase sur une île perdue au milieuapaiser le grondement de bien des de l’océan. Paradise Island, refugeéducateurs de l’époque. Marston est secret des mythiques Amazones ayantconvaincu qu’il faudrait opposer à fuit le joug d’Hercule et la violence duSuperman et Batman un autre type de monde des hommes. Malgré lahéros qui triompherait du mal grâce à protection d’Aphrodite, un hommel’amour et non à la seule force de ses s’écrase donc sur l’île interdite et il estpoings. C’est Elizabeth qui lui suggère secouru par rien de moins que laalors de faire de ce héros la première princesse des environs, la fillesuper-héroïne. L’idée est soumise à d’Hippolyte, reine des Amazones.Gaines qui accepte à condition que Remise de ses émotions (« Ciel ! Unce soit Marston lui-même qui assure le homme sur Paradise Island ! »), lascénario de la série. Le consultant jeune femme soulève l’aviateurdevient donc auteur, et Wonder inconscient et le porte tel un pouponWoman (un temps appelée Suprema) jusqu’à l’hôpital. Apprenant laprend vie. nouvelle, la reine décide que l’homme recevra les meilleurs soins Voilà rapidement pour la avant d’être réexpédié chez lui, àgenèse éditoriale (avec, vous l’aurez l’expresse condition que ses yeuxrelevé, son contexte féministe) – qu’en restent bandés tout au long de sonest-il maintenant de la genèse séjour… Si l’ouverture d’Œdipe àproprement narrative de l’héroïne ? Colone insiste sur le fait qu’il faut êtreC’est sur ce point, je crois, que l’on au moins aveugle pour fouler sans lepeut envisager quelque chose de savoir le territoire des viergesl’intéressement de Markos Zafiropoulos invincibles, l’utilisation moderne de ceau dossier Wonder Woman. En effet, qui semble être le même fondon se souviendra de son débat, mythique renverse quelque peu leslongtemps entretenu avec la choses et fait de la condition àpersonne de Paul-Laurent Assoun, l’origine de la transgression, uneconcernant la virginité de la Grande condition dans le sens de laDiane des Éphésiens. On se rappelle prescription : Exceptionnellement onl’enjeu de la discussion : Peut-on laissera un homme fouler l’île secrètetrouver des exemples de Déesses- des vierges invincibles, à conditionMères ou bien a-t-on toujours affaire à qu’il ne puisse ni voir, ni savoir, où ilde divines vierges, comme autant de met les pieds.filles inconscientes du Père mort ? Pourêtre témoin du dernier relent en date Bien entendu, la jeunede ce sempiternel débat, il fallait être princesse tombe éperdumentà Athènes en novembre 2014, lorsque amoureuse de cet homme, le premierZafiropoulos pointant du doigt qu’il lui a été donné de voir etl’Acropole, y désignait le point s’acharne à le ramener d’entre lesd’achoppement de la visée morts. Alertée par tant de déférence,freudienne quant à la question Hippolyte convoque sa fille uniqueféminine, proposant une nouvelle afin de la mettre en garde contre leinterprétation du bien connu vertige genre masculin. Elle lui conte l’histoirede Freud, soit, non pas une de leur peuple, leur combat contreidentification au jeune Œdipe foulant Hercule, leur asservissement et la fuitele marchepied paternel, mais à sur Paradise Island. La leçon d’histoirel’Œdipe vieillissant, l’Œdipe aveugle terminée, la princesse insiste pour quede Colone, celui dont la faute n’est Trevor soit raccompagné aux Etats-pas d’avoir (pour reprendre son Unis d'Amérique afin qu’il puisse menerterme) « labouré le corps de la Divine à bien sa mission : l’arrestation d’unMaman » mais d’avoir pénétré par dangereux espion nazi. La reine consulte alors Athéna et Aphrodite qui 26

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNEl’enjoignent en effet de dépêcher la petite statue Aphrodite dit : « Je teplus puissante et la plus sage des nomme Diane, d’après la déesse deamazones afin qu’elle accompagne la lune et de la chasse ! » Et la voilà quile retour de Trevor et qu’elle défende s’élance et, depuis l’atelier de potier,les United States of America, dernière saute dans les bras de la Reinecitadelle de la liberté et de la Amazone. Après la Grande Diane desdémocratie. Un tournoi est donc Éphésiens, figure virginale adoréeorganisé afin d’établir qui sera cette entre autres des vendeurs deambassadrice amazone, tournoi dont statuettes, voici venir, pour le plusla jeune princesse se voit interdire grand bonheur des vendeurs del’entrée par sa mère, qui refuse de voir bandes dessinées, Wonder Woman,son enfant renoncer à son immortalité. soit l’histoire d’une petite statuetteLa compétition s’ouvre donc, et est devenue la Merveilleuse Diana dessurvolée par une mystérieuse Américains.participante, surnommée The MaskedMaiden, soit la vierge masquée. J’ouvre maintenant le secondL’inconnue remporte le tournoi haut la mouvement de mon exposé. J’aimain et se révèle être, bien entendu, consacré une bonne part de ces troisla jeune princesse amoureuse. Malgré dernières années à la rédaction d’uneses réticences la reine reconnaît alors Etude sur l’héroïsme. J’y ai adopté unela victoire éclatante de sa fille : « Tu as méthode qui, par certains côtés,gagné et je suis fière de toi. En s’éloigne de la pure prescriptionAmérique tu seras en effet une structuraliste d’un Lévi-Strauss. En effet,Wonder Woman… Fais-y toi connaître j’ai suivi une certaine tendancesous le nom de Diana, d’après ta freudienne, que l’on retrouve il memarraine, la déesse de la lune ! Et semble chez Lacan à partir de sonvoilà un costume que j’ai créé pour la invention de l’objet a, soit unegagnante, afin qu’elle le porte en tentation presque esthétique, partantAmérique ! ». Le premier numéro de la prise en considération de l’effets’achève donc sur une image de la jusqu’à la retrouvaille d’avec un objetprincesse ayant endossé son costume cause.de Wonder Woman ; la vignette estaccompagnée de ces mots : « C’est L’exemple princeps d’une telleainsi que Diana, la Wonder Woman, visée peut être trouvé dans lerenonça à son héritage, à son droit à témoignage que nous offre Freud dela vie éternelle, qu’elle quitta Paradise son face-à-face sensible avec laIsland pour raccompagner l’homme statue de Moïse. Cette appréhensionqu’elle aimait en Amérique – Une terre déçue de ne pas la voir s’animer etqu’elle apprendra à aimer, à protéger s’élancer (telle la petite Diana) de sonet à adopter comme étant la sienne. » socle, puis ce vif sentiment d’Unheimliche en sentant tomber le Arrivé au terme de ce récit regard courroucé du héros tandis qu’ilgénésique, les plus perspicaces semble se figer de plus en plus…s’interrogeront : Si la jeune princesse Exemple princeps dis-je puisqu’il ane connaît rien du monde des donné le « La » de mon commentairehommes, ni même l’histoire de son du texte d’Umberto Eco, consacrépeuple, c’est qu’elle est née sur aux coordonnées mythopoétiques deParadise Island… Seulement voilà, sur Superman, lorsque le célèbrel’île justement, nulle trace d’aucun sémiologue décrit un héros traditionnelhomme et donc d’aucun géniteur… du mythe, opposé au héros de laComment dès lors expliquer cette civilisation du roman en cela qu’il senaissance miraculeuse ? La bande présente sous la forme d’une figuredessinée nous apprend qu’Hippolyte, définitivement statufiée, résultatsouffrant de solitude, s’est vue instruite indéboulonnable en pointe d’un récitpar Aphrodite l’art de modeler une toujours déjà advenu. Pour Eco, lestatuette d’enfant, à laquelle la héros du mythe ou l’image religieusedéesse a ensuite insufflé vie ! Et pas traditionnelle se présente sous les traitsn’importe comment : par un heureux d’une figure pétrifiée… Je crois, queeffet de nomination ! S’adressant à la c’est cette même figure jusque-là impassible, que l’on retrouve comme 27

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNEun des leitmotives les plus prégnants radical : l’êtrification phallique dudu romantisme, sous les traits d’une corps de la vierge. Sans pouvoirsurfemelle au regard de marbre, développer plus avant, je crois queprenant vie face au regard médusé l’on touche ici à une certained’un pauvre héros suprasensible. On communauté de structures, àpense bien évidemment à la Vénus à retrouver tant dans l’affre desla fourrure, j’ai pour ma part un petit symptômes névrotiques que dans lefaible pour sa prédécé-sœur, la Vénus dédale de l’histoire de l’art, et quid’Ile de Mérimée. implique cette convocation régulière d’une figure de vierge invincible J’ai proposé de désigner ces chaque fois qu’il s’agit pour l’hommefigures impassibles plus ou moins bien de la culture d’échafauder unepacifiées, par le terme représentation du point d’équilibred‘OMPHALLIQUE. D’après la reine ultime, coordonnée inimaginable delégendaire de Lydie, celle qui eut l’aboutissement de sa quête. Je croisHercule comme esclave, mais surtout que cela n’est pas sans lien avec lad’après le fameux Omphalos tentative toujours répétée et jamaisdelphique, cette pierre de la ruse qui définitive de représenter ce qu’il enprit la place du fils dans l’estomac est de la représentation, moteur s’il enpaternel, recrachée par Cronos, et est de cette joyeuse féticherie qu’estrejetée sur terre par un Zeus la culture.visiblement embarrassé par laproximité de ce signe du manque Dissertant à propos de ladans l’Autre. Rejetée certes mais pas question d’une coordonnée centrale,n’importe où ; deux aigles partis un du jubilatoire et interdite, Lacan introduitNord et un du Sud en indiquèrent dans son séminaire de 1969 la figurel’idéal point de chute : l’Omphalos d’une Vénus préhistorique, qui àconservé dans le temple d’Apollon, l’inverse de nos Vénus romantiquessurmonté (ainsi que l’a montré n’a pas d’yeux mais, dit-il, del’archéologue Jane Ellen Harrison) de « formidables fesses ». Lacan proposedeux têtes de Gorgones, devait de considérer cette énième statuetteindiquer le centre interdit, le nombril de femme, comme mise en forme parspirituel du monde grec… nos ancêtres préhistoriques de ce qu’était pour eux le représentant de la Cette pierre, que Lacan dans représentation. Je cite : « Pour eux lesa leçon sur l’Agalmatique désignait représentant de la représentation étaitcomme un évident fétiche, acquiert, assurément comme ça. Cela vousdepuis sa prise dans le mythe, la prouve que le représentant de lavaleur d’un objet a mutualisé, offert représentation peut différer selon lescomme cause collective de désir – âges. » Voilà l’idée : de la Vénusnon pas fuyant comme le sont la préhistorique à la Vénus d’Ile, autantplupart des Graals, mais habilement de tentatives de composer avec lecirconscrit, durablement phallicisé caractère insaisissable de la Chose engrâce aux rigides prescriptions du essayant de représenter une énigmerituel. C’est à cette rigidité me semble- par une autre. Le corps de la femmet-il que réagissent les romantiques de et sa jouissance, érigéstoutes époques, comme autant imaginairement en lieu et place de lad’incertains rebelles du fétiche. Chose. En rapportant l’angoisse de Vous me voyez venir. Aprèsleurs héros confrontés aux Vénus de avoir établi une certaine généalogiemarbre, Masoch et Mérimée entre la grande Diane des Éphésiensperpétuent en quelque sorte le geste et la Diana de Marston, il est tempsde Paul à Ephèse lorsqu’il pointait d’un pour moi de tenter un pas de plus etdoigt accusateur le caractère d’essayer de vous faire envisagerfétichiste du culte d’une déesse vierge Wonder Woman comme pouvant êtrestatufiée. Chacun leur tour ils semblent une version 1942 du représentant de lavouloir désigner une certaine affiliation représentation aux Etats-Unisdu registre culturel omphallique au d'Amérique. Si, à suivre Lacan, ongenre féminin dans ce qu’il a de plus peut considérer l’existence d’une 28

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNEsorte d’affinité élective entre de proposer une nouvelle version de la Neurotica avec, pour séducteur, lel’imagination d’un idéal féminin médium BD Comme il l’écrit : « Je suis convaincu […] que les enfants sontfétichisé et la tentative répétée de bons et les comics mauvais. » Selon son expérience, les bandes dessinéesreprésenter la représentation, il y a constituent « la racine de la délinquance moderne de masse » etbien chez Marston, et avec Wonder du développement des perversions sexuelles précoces, elles « stimulentWoman, la volonté de toucher à sexuellement les enfants » dans une « répétition de violence et de sexualitéquelque chose d’une figuration de La que ni Freud, Krafft-Ebing ou Havelock Ellis auraient imaginé qu’elle puisse unfemme suprême. Comme il le dit lui- jour leur être offert. » Il nous explique que « parmi le stock desmême : « Pour être franc, Wonder aphrodisiaques mentaux dont disposent les comics books, il y a uneWoman est une propagande certaine façon de dessiner les poitrines des filles pour qu’elles soientpsychologique pour le nouveau type excitantes sexuellement. » Les seins des héroïnes de BD font grossede femmes qui devrait un jour, je crois, impression au bon docteur qui pointe (sans mauvais jeu de mot), pagesdominer le monde. » Seulement, et après pages leur opulence : « Dès qu’elles le peuvent [les poitrines]pour être tout à fait en accord avec s’avancent, elles s’imposent. » Il y a un autre motif que Wertham s’évertue àla méthode que je vous présentais repérer inlassablement et qui, associé au déluge d’adjectifs faisant état decomme étant la mienne, il faudrait la protubérance des poitrines, nous donne une bonne idée de l’impactque je puisse, à côté de cet évident qu’avait cette littérature sur le psychiatre lui-même : « the injury-to-adorateur qu’était Marston, the-eye motif », que nous traduirons en « motif de la-blessure-aux-yeux », ouconvoquer aussi bien un énième de l’obsession de Wertham à retrouver dans la majorité des BD la figure d’unedescendant de Paul, le rebelle du pointe aiguisée menaçant de venir se loger dans une rétine écarquillée parfétiche Éphésien. l’effroi. C’est là qu’intervient le Docteur Cela commence avec lesFredric Wertham et sa Séduction des poitrines et trouvera son acmé dans sainnocents. description de la figure de la super- héroïne, comme figure horrifique par Juif Allemand né en 1895 à excellence. « La super-femmeMunich, ayant immigré aux Etats-Unis (Wonder woman) est toujours unedans les années 20, élève d’Emil figure horrifique. » La plus célèbre desKraepelin, ayant au moins une fois super-héroïnes (avec sa « super-rencontré Freud, Wertham est un des poitrine » !) représente pour legrands noms de la psychiatrie new- psychiatre ce qui se fait de pire dansyorkaise. Directeur de nombreux les comics, exemple paradigmatiqueservices hospitaliers, populaire pour de la tentation et de la séduction duêtre intervenu en qualité d’expert lors médium. Wonder Woman « est unede procès très médiatisés, c’est sa figure terrifiante pour les garçons et uncroisade contre les comics books, idéal indésirable [il dira aussi morbide]menée dans les années 50, qui le fera pour les filles. » Surpuissantedéfinitivement passer à la postérité. physiquement, entretenant un rapportSon best-seller, intitulé Seduction of theInnocent fut en effet utilisé commepièce à conviction lors d’un procèsmené en plein maccarthysme contreles éditeurs de comics books, suiteauquel ils durent mettre en place unerigide instance d’autocensure.Plusieurs journaux mirent la clef sous laporte et on dénombra partout auxEtats-Unis un grand nombre d’auto-dafe de comics… Triste destin d’untexte qui se voulait, à la suitenotamment de notre Henri Wallonnational, dénoncer, je cite, lapromotion du mythe Nietzschéo-Nazidu surhomme, et que l’on retrouveaujourd’hui régulièrement surnommerle Mein Kampf des comics. La visée de Wertham, commel’indique le titre de son ouvrage, était 29

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNElesbien avec sa suite de filles visage le plus fouettard… Du Père-laadoptées (en compagnie desquelles pudeur au Père-lapideur il n’y a qu’unelle se plait à rire des hommes faibles), pas… Et si l’actualité la plus vibrantel’amazone des comics est, pour doit nous rappeler quelque chose,Wertham, une « cruelle femme c’est que ce sont au final toujours lesphallique », une figure « fasciste et mêmes ceux qui visent les dessinateursfuturiste » « définitivement anti- et ceux qui résistent au dévoilementmasculine » et dont « l’amour maternel des femmes.est totalement manquant » (lepsychiatre nous explique qu’elle netravaille pas, qu’elle ne s’occupe pasde la maison, ni n’élève de famille).« S’il était possible » conclut Wertham,« de transposer une figure de papiertelle que Wonder Woman dans lavraie vie, n’importe quel jeune hommementalement équilibré reconnaîtraitque quelque chose ne tourne pasrond chez elle. » Si l’on peut reconnaître unechose à Wertham c’est d’avoir sucapter une certaine valeur fétichiquechez Wonder Woman. Fétichique etnon pas fétichiste comme il le pensaitlui-même. En fait, sans même s’enrendre compte, Wertham sepositionne à la suite de Paul,reconnaissant depuis son angoisse laprégnance d’un lien établi entre cestrois faits que sont le féminin,l’imaginaire et l’économique. Lorsqu’ilégraine les occurrences du motif de lablessure aux yeux, il dit bien ce qui asauté aux siens : la marque de lacastration que dissimule toujoursimparfaitement les tentativessublimatoires et fétichiques deproduction d’un représentant de lareprésentation aux allures de pouleaux yeux d’or.Ce n’était pas franchement monobjectif au départ mais maintenantque cet article touche à sa fin, etmalgré la légèreté apparente de monsujet, me voilà sur le point d’enappeler à la plus grande vigilance.Quand on incrimine les vendeurs destatuettes et de BD, qu’on les accused’être la cause d’une prétendueperversification du fait social, quandon s’inquiète de voir les femmesrevendiquer la place qui leur revient etque l’on tremble pour l’avenir dumonopole masculin, quand au final onpleure la disparition du père ensupposant qu’il ait déjà été dans lecoin, vous pouvez être sûr quechaque fois il fait retour sous son 30

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNE« LA PUISSANCE DE LA MERE, SON DESIR, SON EMPRISE, QUEL POUVOIR ? »ISABELLE GUILLAMETPHOTO: Al Hansen (New-York 1927, Cologne 1995) – Lick Me! Venus, NY City, 1969, 36 x 28 cm. Collage demorceaux d’emballage de barre chocolatée Hershey sur une planche en bois peinte en argent. Collectionparticulière Q● ● ● ue peut dire la psychanalyse du pouvoir des femmes ou des femmes de pouvoir ? J’ai souhaité conjuguer cette question au maternel afin d’examiner le pouvoir des mères du point de vue de l’inconscient et plus spécifiquement le pouvoir des mères sur les filles. Ainsi ma proposition va concerner le lien à la mère et les conséquences cliniques de son pouvoir sur la fille. Pourtraiter cette question, je propose de partir d’une vignette clinique extraite de ma thèse de recherche en psychanalyse et psychopathologie1 sur la grossesse du point de vue de l’inconscient. Pour traiter cette question, je propose de partir d’une vignette clinique extraite de ma thèse de recherche en psychanalyse et psychopathologie24 sur la grossesse du point de vue de l’inconscient. 24 I. GUILLAMET, « Psychopathologie psychanalytique de la périnatalité. Envers inconscient et destins cliniques du devenir mère », février 2013, Thèse de Doctorat en Psychanalyse et psychopathologie – Paris 7 - CRPMS, sous la direction de M. ZAFIROPOULOS. Il s’agit d’une recherche sur la femme enceinte, dont la démarche consiste à partir des symptômes périnataux afin d’en extraire, à partir de leur logique de production et leurs destins cliniques, un certain « savoir » sur la grossesse du point de vue de l’inconscient. 31

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNEVanina C’est alors qu’elle formule tout haut ce que ce doute impliquait : « FinalementVanina est une jeune femme que je ce n’est pas sûr que ce soit lui le pèrerencontre en service gynécologique de mon bébé ».alors qu’elle est hospitalisée à 12semaines de grossesse pour douleurs Elle fréquentait à la mêmepelviennes et menace époque un autre homme, « und’accouchement prématuré. Elle français, un blanc » me précise t-elle.inquiète les équipes puisqu’elle dit Lequel des deux hommes est le pèreavoir des « visions » depuis qu’elle est de l’enfant qu’elle porte ? Elle dit : « Jeenceinte alors qu’elle n’avait jusque-là le saurai à la naissance en fonction deprésenté aucun « signe » de psychose. la couleur du bébé ».Elle raconte l’épisode qui inaugure lesmultiples hallucinations qu’elle aura Après cet entretien-là Vanina adurant cette grossesse : un homme d’autres « visions ». « Ça anoir lui était apparu et de cet homme recommencé mais cette fois ce n’estprovenait une voix lui ordonnant de se pas pareil », « cette fois, c’est unrendre sur le périphérique si elle homme grand et tout blanc… c’est unvoulait sauver son bébé. Elle avait homme flou, je ne vois pas son visage,« obéi » à cette voix et risqué sa vie en il me regarde… ça fait très peur, etc. »se rendant sur les lieux. Elle futrapidement repérée par la Les épisodes se répètent au filgendarmerie et a ainsi évité l’accident de cette grossesse. Elle raconte : « Ilmortel. arrive parfois que les hommes soientElle associe l’homme noir de cette plusieurs. L’autre nuit ils étaient plein,hallucination au père présumé de des tout noir et des tout blanc cettel’enfant. Un ami africain avec lequel fois. Ils parlaient entre eux, j’entendaiselle aurait eu une relation sexuelle peu que les chuchotements mais pas ceavant d’être enceinte. En fait Vanina qu’ils disaient ».se souvient mal, cela avait eu lieu lorsd’une soirée où elle avait trop bu. Elle Au fil des entretiens, Vanina mese rappelle avoir passé du temps ce raconte son adolescence difficile, lesoir-là avec cet homme mais la scène divorce de ses parents, la cohabitationreste floue. A son réveil elle avait infernale avec sa mère. Durant cetteconstaté qu’elle ne portait plus tous période adolescente Vanina tente deses vêtements et en avait déduit qu’ils se suicider. Une première fois enavaient eu une relation sexuelle. A vrai avalant de l’eau de javel, unedire elle n’avait qu’un souvenir confus seconde en ingérant plusieursde cette soirée et rien n’était bien sûr. médicaments. Elle parle peu de cetteAu fil de cet entretien, alors qu’elle période qu’elle souhaite « oublier ».s’entendait reprendre le déroulement « Maintenant je vais être une mère, ildes faits, elle en vint à douter ne faut pas que je pense à tout ça ».fermement d’avoir couché avec lui. En fin de grossesse, elle exprime son impatience d’avoir son fils. Elle dit : « Je sais que quand il sera là tout ira 32

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNEmieux, il n’y aura plus tous ces une psychose sans doute jusque-làproblèmes, je sais qu’il me protégera ». compensée. En effet, ce serait le fait d’être confrontée à la question de la L’accouchement se déroule procréation dont Lacan spécifiebien d’après Vanina. Le géniteur était qu’elle n’a pas d’équivalentle deuxième compagnon, l’homme symbolique qui la précipiterait dansblanc. Durant les quelques mois où cette solution hallucinatoire : « Le faitnous restons en contact, elle me dit ne qu’un être sorte d’un être, rien neplus avoir d’hallucinations. Elle l’explique dans le symbolique. » 26s’explique cette « amélioration » : « Ça « Rien n’explique la création. »27 « Rienva mieux, maintenant je sais que je ne n’explique non plus qu’il faille que desserai plus jamais seule, c’est comme s’il êtres meurent pour que d’autres[l’enfant] me protégeait (…) ». naissent. »28 Cette vignette clinique met À propos de Schreber, Lacanselon moi en exergue la question des indique que la fonction d’être pèredestins cliniques du pouvoir de la mère n’est pas pensable sans la catégorieinconsciente sur la fille/sur la femme du signifiant dans le symbolique. « Etre(ici sur Vanina en l’occurrence) et je père » est une notion dont Lacanvais essayer de le développer précise en 1956 qu’il faut qu’elle aitprogressivement. été portée à l’état de « signifiant premier et que ce signifiant ait sa« Les visions ont commencé depuis consistance et son statut. »29que je suis enceinte » Ainsi, la naissance, donner« Aller sur le périphérique pour sauver naissance, comme la mort, n’auraientl’enfant », voilà l’injonction qui pas de correspondant symboliqueinaugure les épisodes hallucinatoires dans l’inconscient et n’existeraientque Vanina associe à sa pour le sujet qu’en passant par lagrossesse puisqu’elle dit « ça a question du père. En effet, chezcommencé depuis que je suis l’homme comme chez la femme, laenceinte ». procréation échappe à la trame symbolique, elle est dans l’ordre symbolique « couverte par l’ordre A la question de la conjoncture 26 J. LACAN, Le Séminaire, livre IV, Lade déclenchement de cette psychose relation d’objet (1956-1957), Paris, Editions duqui n’est pas le point central que je Seuil, 1994, p. 202.souhaite développer ici 25 , jereprendrais rapidement l’idée selon 27 Ibid., p. 202.laquelle c’est bien la grossesse deVanina qui déclenche sa psychose, 28 Ibid., p. 202. Ibid., p. 329. 25 Cette question fait l’objet, dans ma 29thèse, d’un chapitre consacré au rôle de lagrossesse dans les psychoses. Cette question fait l’o 33

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNEinstauré de cette succession entre les le défaut du Nom-du-Père qu’elleêtres. »30 trouve à cette place-là qui la précipiterait vers cette solution Lacan formule « […] la question hallucinatoire, tentative pour elle dede savoir ce qui lie deux êtres dans trouver d’autres points d’accrochagesl’apparition de la vie ne se pose pour pour tenter de stabiliser son monde.34le sujet qu’à partir du moment où il estdans le symbolique, réalisé comme On s’aperçoit d’ailleurs que lahomme ou comme femme, mais pour première vision et la voix qu’elleautant qu’un accident l’empêche d’y entend mettent en scène la silhouetteaccéder. »31 de celui qu’elle présume comme géniteur de l’enfant qu’elle attend : La procréation pose donc l’homme noir. Après l’entretien à l’issuimmanquablement la question de la duquel elle se rend compte enreconnaissance des sexes pour le sujet.Chez l’homme comme chez la 34 Dans « D’une question préliminaire àfemme, l’énigmatique question de la tout traitement possible dans la psychose »,naissance, de la mort et de la Lacan se rapporte au cas Schreber et àprocréation, dont Lacan indique l'absence de l’opération symbolique dequ’elles n’ont justement pas de métaphore paternelle qu’il note Po dans lesolution dans le signifiant 32 renvoient schéma I. Lacan illustre dans cenécessairement le sujet à la question schéma l’absence de signification phalliquede sa position dans la reconnaissance qui aurait permis un ancrage de la chaînede l’Autre symbolique par rapport à signifiante et ses conséquences sur le registreson sexe. imaginaire. Il y décrit notamment le bouleversement du sujet sous les aspects du Concernant Vanina, ce serait crépuscule du monde qui précède ladonc cette rencontre avec la question perplexité qui inaugure le déchaînement dudu père « qu’est-ce qu’un père ? »33 et signifiant et la délocalisation de la jouissance. Autrement dit, là où « est appelé le Nom-du-30 Ibid., p. 202. Père, peut donc répondre dans l'Autre un pur et simple trou, lequel par la carence de l'effet31 Ibid., p. 202. métaphorique provoquera un trou correspondant à la place de la signification32 J. LACAN, Le Séminaire, livre III, Les phallique ». Ainsi, depuis l’Autre, surgit l’appelpsychoses (1955-1956), Paris, Editions du Seuil, d’un signifiant qui ne peut être reçu par le sujet1981, p. 215. faute d’avoir été symbolisé. C’est donc le défaut du Nom-du-Père à cette place-là et le33 On comprend dès lors que pour un trou qu’il ouvre dans le signifié qui amorce lasujet dont le Nom-du-père est forclos, si ce n’est « cascade des remaniements du signifiant »de le contraindre à trouver d’autres points d’où procède le désastre de l’imaginaire,d’accrochage, une grossesse peut le précipiter « jusqu’à ce que le niveau soit atteint oùdans une décompensation. C’est pourquoi, je signifiant et signifié se stabilisent dans lasoutiens que le moment de la grossesse et du métaphore délirante. » Voir : J. LACAN, Ecrits I,devenir mère constitue l’un des moments Paris, Edition du Seuil, coll. Points Essais, 1999, p.propices aux décompensations de psychoses 49.préexistantes et jusque-là compensées. 34

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNEreconstituant les choses que volontiers le surmoi sous la figure d’unfinalement « rien n’est sûr », l’homme Autre maternel. Dès 1938, il seblanc entre sur la scène des démarque de la tendance à figurer lahallucinations comme répondant à la mère comme douce et bienveillante. Ilpossibilité que le copain blanc soit le dresse plutôt un portrait inquiétant etpère. C’est quand elle dit « cette fois obscur de la mère comme un autrec’est pas pareil, c’est un homme mortifère dont le désir est vorace etblanc… », « il y a des hommes blancs dont le petit sujet doit s’extraire.et des hommes noirs, ils chuchotententre eux, etc. » C’est un Autre qui va aussi s’avérer terrifiant par sa puissance En bref, à mesure qu’elle revient dans La relation d’objet 35 . Lacan ysur ce qui avait fait énigme pour elle décrit la toute dépendance du petit(la relation sexuelle qui avait lieu ou sujet à cette mère qui peut très bienpas), dès lors qu’elle aperçoit que rien répondre comme ne pas répondre àn’est sûr en ce qui concerne le ses besoins.géniteur du bébé, on voit l’hommedes hallucinations « changer de « Lorsqu’elle ne répond plus, lorsqu’ellecouleur ». ne répond plus qu’à son gré, dit Lacan, elle devient réelle »36, elle est L’image du géniteur « glisse » de une puissance. Lacan utilisera aussi lal’homme de la relation sexuelle qui figure de la mère comme ce granddemeure énigmatique pour elle, vers crocodile dans la bouche duquel nousla représentation d’un père qui sommes — « C’est ça, la mère - ditmarquerait de sa couleur l’enfant à Lacan - et on ne sait pas ce qui peutnaître. lui prendre tout d’un coup, de refermer son clapet. »37 J’ai distingué les hallucinationsoù elle voit des hommes en noir et Il mettra surtout en évidence aublanc de sa première hallucination qui fil de son enseignement ce qu’ilapparaît sous la forme de cette voix désigne comme étant le désir de laqui l’exhorte à aller sur le périphérique, mère, un désir vorace, celui deautrement dit cette voix surmoïque quila pousse à aller se tuer. Du Surmoi maternel à l’appel au 35 J. LACAN, Le Séminaire, livre IV, Lapère relation d’objet (1956-1957), Paris, Editions du Seuil, 1994.Les voi(e)x mortelles de l’Autrematernel 36 Ibid., p. 68-69. Cette notion de voix surmoïque 37 J. LACAN, Le Séminaire, livre XVII,me permet d’arriver à la question du L'envers de la psychanalyse (1969-1970), Paris,pouvoir de la mère. Rappelons Editions du Seuil, 1991, séance du 11 mars 1970.brièvement que le surmoi lacanienn’est pas issu de la figure paternellecomme chez Freud. Lacan représente 35

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNEréintégrer son produit dit Lacan et où allusion « à une dimension surgissant àl’enfant est un fétiche pour la mère. l’arrière-plan du destin féminin »40, celle Il convient à chaque fois derépéter qu’il ne s’agit pas de d’une relation primordialeconfondre cet Autre maternelle avecla mère elle-même, la personne, la ambivalente à la mère dévoilant, enmaman, mais plutôt de faireapparaître la figure inconsciente de la deçà de la fixation œdipienne aumère. Soulignons néanmoins queVanina ne cesse d’évoquer son besoin père, une fixation antérieure à l’objetde vivre loin de sa mère tout enexigeant la continuelle présence de maternel.celle-ci. Je suis témoin à plusieursreprises de la relation particulière entre En 1925, avec Quelquesles deux femmes. Des scènes conséquences psychiques de laexplosives ont lieu régulièrement, leurs différence anatomique entre lesconflits témoignant toujours d’un lien sexes41 puis en 193142 et 193343 dans sespétri d’ambivalence. Quel est ce lien ? textes consacrés à la sexualitéCette question du lien mère/fille féminine, Freud fait la découvertem’amène maintenant à Freud. proprement dite d’une « préhistoire de la relation œdipienne chez la petiteLe lien préœdipien à la mère et le fille »44 selon l’expression de Freud, àravage savoir l’attachement préœdipien à la mère.45 Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1978. 40 Ibid., p. 123.En 1915, dans Communication d’un 41 S. FREUD, « Quelques conséquencescas de paranoïa contredisant la psychiques de la différence anatomique entrethéorie psychanalytique38, Freud met les sexes (1925)\", La vie Sexuelle, Paris, PUF,en évidence la puissance du lien 2005.d’amour entre la fille et la mère,capable, dans ce cas de détourner la 42 S. FREUD, « Sur la sexualité fémininefille de son amour pour l’homme par (1931) », La vie sexuelle, Paris, PUF, 2005.un type de défense paranoïaque. 43 S. FREUD, « La féminité (1933) »,En 1920, dans Psychogenèse d’un cas Nouvelles conférences d’introduction à lad’homosexualité féminine39, Freud fait psychanalyse, Paris, Gallimard, Folio essais, 1984.38 S. FREUD, « Communication d’un cas 44 Ibid., p. 126.de paranoïa contredisant la théorie 45 « La pénétration dans la périodepsychanalytique (1915) », Névrose, psychose et préœdipienne de la petite fille nous surprendperversion, Paris, PUF, 2005. comme, dans un autre domaine, la39 S. FREUD, « Sur la psychogenèse d’un découverte de la civilisation minéo- mycénienne derrière celle des Grecs. - Tout cecas d’homosexualité féminine, (1920) », qui touche au domaine de ce premier lien à la 36

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNE Freud note durant cette période Une fois avoir indiqué toute l’intensitépréœdipienne « l’activité sexuelle siétonnante de la fille en relation avec de ce lien à la mère, Freud dit aussisa mère. » 46 Il décrit le caractère« particulièrement riche et varié »47 de que « la femme n'atteint la situationce lien mère-fille, « l’amour infantile [y]est sans mesure ; il réclame l’exclusivité d’œdipe normale » 52 qu’après avoiret ne se contente pas de fragments».48 surmonté cette période Il conclut que ce lien à la mère d’attachement à la mère, autrementexplique bon nombre de phénomènesde la vie sexuelle féminine. Il s’avère dit après qu’elle se sera détournée demême impossible d’après Freud decomprendre la femme si l’on néglige la mère pour se tourner vers le père.la phase de fixation préœdipienne àla mère49 qui constitue un lien exclusif Comment va-t-elle surmonter,« intense et passionné » 50 dont ilreconnaît avoir jusque-là fortement s’extraire et se détourner de ce lien sisous-estimé l’importance et la durée. puissant ? La sexualité féminine se trouvedès lors à penser avec le lien Après avoir insisté sur lepréœdipien à la mère, un lien intense, caractère exclusif, intense etsans mesure, passionné, un lien démesuré de ce lien, Freud expliquepuissant qui persiste longtemps et que : « L’amour puissant ne manquelaisse, dit Freud « tant d’occasions à jamais de s’accompagner d’une fortedes fixations et à des dispositions. »51 tendance agressive » 53 . Ce serait justement par cette haine, une hainemère m'a paru difficile à saisir analytiquement, elle aussi démesurée, que la filleblanchi par les ans, semblable à une ombre à s’expulse de ce lien et qu’elle rejettepeine capable de revivre, comme s'il avait été la mère. Voilà comment la fille s’extraitsoumis à un refoulement particulièrement de ce lien à la mère : par la haine et leinexorable. », S. FREUD, (1931), op. cit., p. 140. rejet de la mère.46 Ibid., p. 149. Quelle haine ? Devant tous les motifs de haine qui constituent la longue liste des griefs contre la mère, bien au-delà du reproche du manque d’amour, du sevrage et des frustrations orales, le motif le plus important réside dans le fait que la fille « rend sa mère responsable de son manque de pénis ». Elle la fait naître femme et « ne lui pardonne pas ce désavantage »54 dit Freud.47 S. FREUD, (1931), op. cit., p. 140. En outre, le désir avec lequel la48 Ibid., p. 144. fille se tourne vers son père serait49 Ibid., p. 157. 52 S. FREUD, (1931), op. cit., p. 140.50 Ibid., p. 139. 53 S. FREUD, (1933), op. cit., p. 162.51 S. FREUD, (1933), op. cit., p. 159. 54 Ibid., p. 167. 37

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNEinitialement le désir du pénis dont la revenir sous la modalité de ce qui n’estmère l’a frustrée et qu’elle attend donc pas symbolisé » 59 . J’ajoute ici :maintenant de son père 55 : « Sous par des voix par exemple, des voixl’influence de l’envie du pénis la petite hallucinées qui font retour dans le réel,fille est expulsée de la liaison à sa mère des voix du ravage.et elle se hâte d’entrer dans lasituation œdipienne comme dans un Cette thèse me paraît trèsport. »56 éclairante pour la clinique des filles. Pour le cas de Vanina, je ferais On l’aura compris, le lien volontiers ce rapprochement entre lemère/fille et un lien puissant, si puissant rejet de la mère que doit opérer la filleque la fille devra « se trouver pour s’en détourner et le rejet opérantdétournée par force de la mère (…) »57 dans le phénomène hallucinatoire.dit Freud. C’est un éloignement qui sefait sous le signe de l’hostilité, par la En effet, Lacan indique quehaine, une haine très frappante qui dans l’hallucination, « tout ce qui estpeut persister toute la vie et par le rejet refusé dans l'ordre symbolique, aude la mère. centre de la Verwerfung, (de la forclusion) reparaît dans le réel. »60 Il a Mais cette haine et ce rejet de l’idée que dans l’hallucination, le sujetla mère ne confèrent-ils pas d’autant a affaire à ce qui n’advient pas auplus de pouvoir et de puissance à cet symbolique ce qui est donc rejeté duAutre maternel ? Sans doute, car cette symbolique fait retour dans le réel soushaine rend cet Autre d’autant plus les aspects de ces voix hallucinées quinocif pour la fille qui devient ainsi une vocifèrent, exhortent le sujet à uneproie pour cette figure surmoïque jouissance.maternelle. Voilà selon moi où situer lepouvoir de la mère inconsciente. Ceci nous ramène aux hallucinations de Vanina et à cette Markos Zafiropoulos58 va jusqu’à sorte d’affinité entre la figureradicaliser cette haine et ce rejet de la surmoïque maternelle dans sa versionmère pour en faire une forclusion lacanienne et les voix hallucinées.laissant ainsi « en plan », dit-il, « dans leregistre imaginaire et réel cette figure Ici je reprendrai cette thèse dematernelle » qui par là, « ne cesse de la forclusion de la mère qui se déduit de ce rejet haineux que la fille doit55 Ibid., p. 171. effectuer pour s’extraire du lien préœdipien à la mère.56 Ibid., p. 173 ; je souligne.57 S. FREUD, (1931), op. cit., p. 148 ; je 59 M. ZAFIROPOULOS, Séminaire dusouligne. Cercle International d'Anthropologie58 M. ZAFIROPOULOS, La questionféminine, de Freud à Lacan. La femme contre Psychanalytique, séance du 12 février 2009.la mère, Paris, PUF, 2010. 60 J. LACAN, (1955-1956), op. cit., p. 21. 38

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNE Dès lors, « stagnant dans ce Ainsi, la manière dont la paroleréel » 61 , la mère reviendrait, entre de Vanina est prise dans le réseau desautres formes, sous la modalité de couples et des oppositionscette voix qui convoque le sujet à ce symboliques noir/blanc et lespoint et qui le pousse à incarner cet modifications qui émergent duêtre phallique de la jouissance contenu des visions constitueraient lesmaternelle. En bref, la mère indices du questionnement interne surconstituerait ce pousse à la jouissance « qu’est-ce qu’un père ? » et lespour la fille. tentatives pour elle de faire du père dans ce monde qui compte désormaisLes visions comme tentatives de un enfant.capitonnage Autrement dit, cette Si la première hallucination prolifération d’images (en noir etcorrespond à cette sorte de vocalise blanc) constituerait les indices de sesmaternelle stagnant dans le réel et qui tentatives d’accrocher, de bouclermenace toujours de faire retour chez dans cette nouvelle configuration (lala fille, une voix du ravage maternelle grossesse) l’élément qui permettraitnon épinglée à la métaphore de sauver l’enfant dans le registrepaternelle, en revanche, j’ai considéré phallique.la suite des hallucinations de Vaninacomme tentative de capitonnage En bref, après la voi(e)x mortellevisant à faire exister le père au titre de de l’Autre maternel comme pousse àmétaphore. la jouissance qui l’exhorte à aller mourir, (première hallucination) En effet, la première vision et la émergerait rétroactivement cettevoix qu’elle entend mettent en scène nouvelle signification, celle de sauverla silhouette de celui qu’elle présume ce bébé en allant sur le périphériquecomme géniteur de l’enfant qu’elle (puisque je rappelle qu’elle dit qu’elleattend : l’homme noir. Après doit aller sur le périphérique pourl’entretien à l’issue duquel elle se rend sauver son bébé). Ainsi, lescompte que « rien n’est sûr », l’homme hallucinations semblent indiquer lablanc entre sur la scène des voie qui pourrait sauver ce monde quihallucinations comme répondant à la menace de s’effondrer pour elle : ilpossibilité que le copain blanc soit le s’agirait en l’occurrence de sauverpère. Ce doute convoque le dialogue l’avoir phallique (son bébé) par la voieinterne de Vanina sur la scène (métaphorique) du père -iphérique.hallucinatoire : « Cette fois c’est paspareil, c’est un homme blanc(…) », « Il Pour Vanina, concernant lay a des hommes blancs et des puissance, le pouvoir de la mère et seshommes noirs, ils chuchotent entre destins, je fais l’hypothèse que cetteeux, je n’entends pas ce qu’ils disent. » voix qui inaugure ces hallucinations est une voix du ravage maternel. Il est là61 M. ZAFIROPOULOS, op. cit. selon moi l’effet clinique de la puissance de la mère : une voix qui convoque à incarner cet être 39

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNEphallique dans une pente morbide à En conclusionaller mourir. J’ai voulu mettre au cœur de la Je pense que c’est cette même réflexion la puissance du lienfigure de l’Autre maternel comme préœdipien à la mère dont la fille apousse à la jouissance chez la fille, qui sans cesse affaire. Un lien puissant etavait conduit Vanina adolescente à insistant.ses deux tentatives de suicide dont jerappelle le caractère éminemment On aperçoit combien la fille,oral : une première tentative en dans sa constitution subjective, dansavalant de l’eau de javel et une son trajet est bien celle qui va devoirseconde, des médicaments, ces déployer une énergie folle pourformes cliniques que Lacan évoque en s’extraire, s’expulser de cet Autre1938 dans Les complexes familiaux62. maternel, un Autre d’autant plusDans ce texte, Lacan décrit une puissant qu’il a fait l’objet d’un rejet etimago maternelle qui doit être sublimé si on va jusqu’à appréhender le lien àsans quoi « l’imago, salutaire à la mère du côté du rejet radical voirel’origine, devient facteur de mort. »63 de la forclusion de la mère, onDu fait de sa prématurité, le petit comprend mieux me semble-il ce quid’homme est entièrement dépendant donne à la mère son statut de figurede l’Autre nourricier qu’est la mère. persécutrice (dans la paranoïa féminine notamment) et de pousse àC’est pourquoi, face au jouir chez la fille.sevrage, dans une sorte de nostalgie Ainsi, le lien préœdipien à la mère tel qu’il est mis en évidence parmorbide maternelle, le sujet Freud, va assez bien avec cette instance psychique surmoïquechercherait à retrouver l’imago de la représentée par l’Autre maternel mortifère de Lacan si l’on tient comptemère. Lacan compare cette pente au de cette dimension du rejet par la haine et du statut particulièrementretour au sein de la mère à une puissant et nocif qu’il confère à la mère pour une femme.tendance psychique à la mort (à se laisser mourir dans la mère) quis’effectue, selon lui, sous la formeoriginelle que lui donne le sevrage etqui se révèle dans les suicides « nonviolents », les grèves de la faim del’anorexie mentale, lesempoisonnements lents de certainestoxicomanies par la bouche, et lesrégimes de famine des névrosesgastriques.62 J. LACAN, « Les complexes familiauxdans la formation de l’individu (1938) », AutresEcrits, Paris, Editions du Seuil, 2001.63 Ibid. 40

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNE« LA FEMME, LE POUVOIR ET LE PHALLUS » ELISA DOS MARES GUIA-MENENDEZPHOTO Francesca Woodman (1958 – 1981) – sans titre, Rome, Italie, 1977-78. Photographie argentique surgelatine 14.9 x 14.5cmIntroductionSi c’est bien la domination signalé que le chemin vers la masculine qui caractérise réalisation du sexe féminin était plus une bonne part des compliqué que celui qui tend à la relations entre les sexes réalisation du sexe masculin. Cette dans la civilisation, nous question devient plus flagrante en interrogeons ici la position des 1923, lorsqu’avec sa théorie du primat femmes de pouvoir, ainsi que le du phallus, il soutient que pour les deux pouvoir des femmes sous sexes seul l’organe génital mâle joue l’optique de l’anthropologie psychanalytique. C’est un champ de recherche qui interroge la dimension de la culture, mais surtout celle de l’inconscient. Dans le champ analytique le phallus correspond à un terme investi de puissance, et dans le discours social une position phallicisée correspond à celle du pouvoir. C’est pourquoi nous allons traiter la question du pouvoir et de la femme sous l’optique du phallus. Freud a toujours mis l’accent sur le fait que chez la femme la relation au phallus se fait autrement que chez l’homme. En effet, Freud a toujours 41

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNEun rôle, et annonce le primat du devenir femme. Ainsi, pour accéder àphallus. Pour Lacan le sujet, homme ou la féminité la fille devrait surmonterfemme, ne dispose que du phallus quelques étapes, tels que lepour s’orienter, c’est-à-dire que dans changement de zone érogène, lel’inconscient nous ne trouvons que la changement d’objet d’amour mère-référence phallique. père, entre autres étapes à traverser pour achever ladite attitude féminine C’est à partir de cette lecture normale, qui était également associéede Freud et de l’enseignement de au mariage et à la maternité.Lacan que nous allons souleverquelques questions : sous l’optique du Cette question est relancéephallus comment penser la question avec la théorie du primat phalliquedu pouvoir chez les femmes ? Posséder dans laquelle Freud parle d’un seulle phallus ou s’y identifier correspond-il organe génital, pas de l’organe mâleau seul moyen de prendre une à proprement parler, mais de sonposition de pouvoir ? La femme absence. Bref, il parle du phallus etsaurait-elle prendre une place de non du pénis, il ne s’agit pas depouvoir, tout en sachant porter le l’organe anatomique, mais de samasque de la féminité ? Ou encore, la valeur symbolique. Cette conceptionrelation de la femme au pouvoir met en cause la réalisation du sexepourra-t-elle se faire à travers une féminin dans l’inconscient, de ce faitinvention – qui ne passe pas Freud attribue à la réalisationforcément par l’identification subjective chez la femme une positionphallique – et d’un savoir faire avec essentiellement problématique. Et toutson manque ? indique qu’il cherche des solutions pour cette impasse à partir de laQuelques remarques concernant la logique d’une compensation aurelation de la femme au phallus manque du pénis. Freud s’est toujours intéressé à la Lacan a identifié le caractèreféminité. Dans son mouvement de inassimilable de la réalisation du sexerecherche pour trouver une réponse à féminin dans l’inconscient où nous nela question Qu’est-ce qu’une trouvons que la référence phallique.femme ?, alors qu’il était également Dans les années cinquante ilconfronté à la difficulté de annonce : « il n’y a pas à proprementcomprendre comment se passe la fin parler, dirons-nous, de symbolisationdu complexe d’Œdipe chez la fille, il du sexe de la femme comme tel. Enétablit le chemin vers ce qu’il appelait tous les cas, la symbolisation n’est pasla féminité accomplie 64 – un chemin la même, n’a pas la même source, n’apar lequel il faudrait passer pour pas le même mode d’accès que la symbolisation du sexe de l’homme »65.64 S. FREUD, « Sur la sexualité féminine », 65La vie sexuelle, Paris, PUF, 1973. 42

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNED’après lui, « là où il n’y a pas de à l’homme, porteurmatériel symbolique, il y a obstacle,défaut, à la réalisation de du pénis, lui est enl’identification essentielle à laréalisation de la sexualité du sujet. Ce cette occasion undéfaut provient du fait que, sur unpoint, le symbolique manque de moyen d’approchermatériel – car il lui en faut un. Le sexeféminin a un caractère d’absence, de cette définition qui luivide, de trou » 66. échappe. Le pénis lui Lacan explique encore quec’est « la prévalence de la Gestalt sert littéralementphallique qui, dans la réalisation ducomplexe œdipien, force la femme à d’instrumentemprunter un détour parl’identification au père, et donc à imaginaire poursuivre pendant un temps les mêmeschemins que le garçon » 67 . appréhender ceL’identification imaginaire passant parle père se fait « en raison de la qu’elle n’arrive pas àprévalence de la forme imaginaire duphallus », c’est une phase inhérente au symboliser » 69.complexe d’Œdipe de la fille (ainsique pour le garçon)68. Pour illustrer la Lacan nous rappelle que Freudquestion nous pensons au cas Dora. insiste sur le fait que le phallus n’a pas,Selon Lacan, dans le moment où Dora pour une bonne raison, la mêmes’interroge sur Qu’est-ce qu’une valeur pour celui qui le possèdefemme ? réellement, c’est-à-dire le garçon, et pour l’enfant qui ne le possède pas70. « Elle tente de Cependant dans son enseignement il symboliser l’organe signale que c’est par la question féminin comme tel. d’avoir ou de n’avoir pas le phallus Son identification que la fille entre dans le complexe d’Œdipe, tandis que dans la logique freudienne le garçon, ce n’est pas par là qu’il y entre, c’est par là qu’il en sort. Lacan explique qu’« à la fin du complexe d’Œdipe, (…) ce qu’elle n’a pas (le phallus), elle a à le trouver dans le complexe d’Œdipe »71. Mais l’identification phallique, ou position d’équivalent du phallus, J. LACAN, Le Séminaire livre III Les 69Psychoses, Paris, Seuil, 1981, p. 198. Id., p. 200.66 70 Id., p. 199. J. LACAN, Le Séminaire livre IV La67 relation d’objet, Paris, Seuil, 1994, p. 123. Id., p. 198. 7168Ibid. Ibid. 43

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNEn’est-elle pas une « fausse solution » que son texte a été écrit dans lespour la sortie de l’Œdipe de la années soixante. En effet Riviere parlefemme ? Si une position phallique est aussi de la place de la femme dans laassociée à une identification à la civilisation. C’est tout une autrefigure masculine, nous pensons la question, mais ici ce que nousquestion de la femme dans ses intéresse c’est le fait qu’elle interrogerapports au pouvoir et à la féminité. la féminité de ces femmes.Est-ce que le pouvoir se trouve lié àune manifestation de cette Riviere se demande : « sont-ellesidentification imaginaire au phallus ? manifestement masculines ? ». NousOu existerait-il un pouvoir des femmes, pensons à l’Œdipe de la fille, surtout àqui consisterait en un savoir-faire avec l’identification à l’homme, porteur dule défaut de la réalisation de son pénis, en tant qu’un moyensexe ? d’approcher cette définition qui lui échappe – la signification de saLa mascarade ou les femmes de féminité. Riviere explique quepouvoir beaucoup de ces femmes semblent répondre à « tous les critères d’une Nous allons donc aborder la féminité accomplie » 74 . Ainsi quequestion de la femme de pouvoir et Freud, elle utilise le terme féminitéde l’identification phallique dans ses accomplie pour parler d’unerapports à la féminité à travers la supposée féminité achevée. Lamascarade. La féminité est-elle psychanalyste explique que lesincompatible avec la position de « femmes masculines » correspondentpouvoir ? Ou s’agit-il d’une à celles qui ne cachent pas leur désirconstruction sociale ? En 1964 Joan d’être un homme ou leurRiviere dans son texte « La féminité en revendication vis-à-vis des hommes.tant que mascarade » 72 interroge la Tandis que celles qui répondent auxféminité des femmes de pouvoir, ou, critères de la féminité accomplie sont «selon ses mots, la féminité « des de bonnes épouses, d’excellentesfemmes manifestement masculines ». mères (…) elles manifestent desRiviere souligne qu’il n’y a pas si intérêts spécifiquement féminins et selongtemps certaines carrières étaient préoccupent de leur apparence » 75 .presque exclusivement l’apanage Elle se tient aux signes visibles de lad’un certain genre de femmes, féminité, et les prend en tant quemanifestement masculines 73 . Il est repères pour représenter le sexeimportant de prend en compte le fait féminin. Pour elle des activités féminines correspondent aux activités72 passives, à la maternité, au mariage, à J. RIVIERE, « La féminité en tant que 74mascarade », in Féminité Mascarade : Étudespsychanalytiques réunies par Marie-Christine Id., p. 198-199.Hamon, Paris, Seuil, 1994. 7573Id., p. 198. Id., p. 199. 44

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNEl’entretien de la maison. Tandis que femme avait montré que sonles activités masculines correspondent comportement après ces réunionsà l’engagement professionnel, aux était destiné à provoquer des avancesfigures et position de pouvoir. Sa de la part d’un type d’hommereprésentation de la féminité est particulier et que son attitude lui posaittraversée par le discours social. un véritable problème. Dans son texte, Riviere évoque Dans son texte Joan Riviere décritle cas d’une femme qui selon elle quelques rêves de sa patiente, et« correspond à la description d’une raconte qu’« elle en eut d’autres [desfemme d’une féminité accomplie ». rêves] où des personnages mettaientElle raconte que cette femme avait des masques pour éviter un désastreune excellente relation avec son mari, (…) ils mettaient des masques sur leurqu’elle était « très fière d’être une visage et échappaient ainsi à laparfaite maîtresse de maison. De plus, catastrophe » 78 . Riviere dit que « laelle avait remarquablement réussi féminité pouvait être assumée etdans sa profession. » Mais sa stabilité portée comme un masque »79, c’est-à-n’était pas aussi parfaite qu’elle le dire utilisée pour « dissimuler l’existenceparaissait au premier abord 76 . La de la masculinité et éviter lesfemme en question était représailles qu’elle redoutait si l’onprofessionnellement engagée dans venait à découvrir ce qui était en saune carrière que l’obligeait possession ; tout comme un voleur quiessentiellement à parler et à écrire. retourne ses poches et exige qu’on leMais elle avait souffert d’une certaine fouille pour prouver qu’il ne détientangoisse toute sa vie et parfois cette pas les objets volés »80 - qu’elle n’a rienangoisse était intense, et se manifestait volé.surtout après chacune de sesapparitions devant un public ; elle Pour Moustapha Safouan, laavait une « crainte d’avoir commis un crainte dont parle la patiente d’avoirimpair ou une maladresse, et ressentait commis un impair ou une maladresseun besoin obsédant de se faire ne correspond pas à une crainte derassurer », dit-elle77. n’avoir pas assez réussi, mais à la crainte d’avoir trop réussi, d’avoir D’après Riviere, ce besoin de se dépassé la limite, dit-il. « Dès lors, on conçoit que la même inclusion dans lafaire rassurer l’amenait classe des hommes puisse être pour lacompulsionnellement à solliciter 78l’attention ou à provoquer des Id., p. 202.compliments de la part des hommes. 79Elle explique que l’analyse de cette76 Ibid. Ibid.77 80 Id., p. 200. Ibid. 45

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNEfille chose ‘permise’ (…) Le sujet ne partir de la relation ausaurait adjoindre le phallus à sonimage sans avoir les plus grands ennuis phallus. Maintenant nous allonsavec la loi » 81 . Sa « double action »,serait donc une façon de chercher à approfondir la question du pouvoir desfaire disjonction de cette placephallique. Pour Safouan elle se déguise femmes : est-ce que la femme pourraen femme castrée, elle porte lemasque de l’innocence, pour se constituer sa relation au pouvoir parmontrer moins menaçante. Elle cacheson phallus et l’attribue à l’Autre. ailleurs, c’est-à-dire à travers une À notre avis la féminité et le invention qui ne passe pas que parpouvoir ne sont pas incompatibles,certes il peut y avoir un discours social l’identification phallique, mais surtoutdominant, mais en ce qui concerne lapsychanalyse, la relation doit être par son savoir faire ?toujours pensée dans le un par un. Et lemalaise de la femme de pouvoir ne Nous avons vu que Freud parlaittrouve pas ses sources dans la relation du primat du phallus pour désigner leentre la femme et le pouvoir à passage par une seule organisation deproprement parler, il faut plutôt la libido. Dans ce sens Pickmanninterroger la façon dont le sujet habite explique que l’inconscient ne reprendcette place : si la femme en question pas à son compte cette réalitéjouit de la place de pouvoir, de la biologique, l’existence de deux sexesposition phallique, interroger le rapport anatomiques, il la « néglige » 82 . Pourdu sujet au phallus et à la castration. Lacan, le savoir inconscient ne dit rienEst-ce que le « pouvoir des femmes » du sexe féminin. Et si le sexe féminin enconsisterait à savoir transiter entre une tant que tel échappe au signifiant ouposition phallique et une position « en encore si, selon le fameux aphorisme,femme » qui consisterait à porter La femme n’existe pas... comment lele masque de la féminité quand cela représenter ? Freud a bien cherché enconvient ? se demandant Qu’est-ce qu’une femme ?L’invention ou le pouvoir desfemmes Depuis les années cinquante, Lacan a constaté qu’il n’existe pas de Nous avons interrogé la symbolisation du sexe de la femmequestion des femmes de pouvoir à comme tel. Il soutient que dans l’inconscient nous ne trouvons que la référence phallique, de ce fait le sujet, homme ou femme, ne dispose que du phallus pour s’orienter. Dans cet ordre d’idées la loi est déterminée, spécifiée par le phallus, ce qui fait de la loi phallique une sorte de règle universelle, totalisante. Dans les 8281M. SAFOUAN, La Sexualité C.-N. PICKMANN, « L’hystérique et le ravage » in « Actualité de l’hystérie »,féminine dans la doctrine freudienne », Ramonville Saint-Agne, Éditions Erés, 2001, p.Paris, Seuil, 1976. 160. 46

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNEannées soixante, lors de son séminaire lequel il faut passer pour achever lasur l’Angoisse il a même interrogé les féminité, ne cherchait-il pas à signifieranalystes femmes dans l’espoir que, le sexe féminin, à remplir la place nonpeut-être, il y avait quelque chose occupée concernant le savoir sur lequ’elles seules étaient capables de sexe féminin, en le mettant du côté detransmettre à propos des femmes. la logique du tout ?Dans ce contexte il parle des « facilités La théorie analytique et la cliniquede la position féminine quant au témoignent de la façon dont lesrapport au désir », à partir de la femmes sont confrontées àperspective d’une position de la recherche de leur substance desouplesse. Dans cet ordre d’idées la femme. C’est pourquoi la questionposition féminine fait allusion à un Qu’est-ce qu’une femme? ne cesseespace non rempli, dans le sens qu’il pas de s’inscrire. Par exemple, dans len’est pas forcément nécessaire de cas Dora, au moment où elle interrogechercher à le représenter. C’est dans le savoir sur son sexe, c’est sace contexte qu’il propose une recherche qui motive son idolâtrieanalogie entre la position féminine et pour Madame K. ou encore sa longuecelle de l’analyste83. Dans ce sens la méditation devant la Madone. Elleparticularité du féminin c’est justement interroge les figures de femme dansla possibilité d’occuper cette place son entourage et cherche à constituersans forcément la remplir. La position sa féminité.féminine dont parle Lacan, qui n’estréservée qu’aux femmes entraîne Dans cet ordre d’idées onl’idée de mettre la fonction phallique interroge l’inexistence de La femme.au deuxième plan, dans la mesure où Existe-il une substance de la féminité ?la femme ne s’occupe pas de montrer Y a-t-il un signe visible de féminité quisa puissance. Elle n’est pas dans la caractérise La femme ou quilogique du tout phallique. Plus tard, démarque la féminité? En ce quedans les années soixante-dix, Lacan concerne la psychanalyse noussystématise le pas-tout, que n’est pas- touchons la question à partir de deuxtout inscrit dans la logique phallique, il perspectives : celle de la féminité, tellepropose une autre logique que Freud la conçoit et le champ duconcernant la relation au phallus. féminin. Si la féminité peut être pensée Nous avons vu que lorsque comme ce qui « fait la femme », ce quiFreud propose l’idée d’une féminité la représente (caractéristiques,accomplie et établit le chemin par comportements, discours social…), le féminin est la façon dont on incorpore83 les modèles, il fait allusion à une essence cachée. La psychanalysteQuestion que j’ai développé au cours Sylvie Sésé-Léger le traduit bien: « Lade la journée d’étude du CIAP 2012 « La féminité, dans ses atours, en est la facequestion féminine en débat ». Voir E. dos Mares manifeste. Le féminin est réceptacle »Guia « L’analyste en femme ? De la place del’analyste à la question féminine », in M.Zafiropoulos (dir.), La question féminine endébat, PUF, Paris, 2013. 47

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNE84. Le féminin se joue dans la relation à féminité 87 . La femme va inventer sal’Autre, au tout. Il est toujours en train féminité à partir d’une copie sansde se constituer et de s’inventer, c’est modèle.pourquoi le féminin n’a pas demodèle, d’où l’impossibilité de le Il n’y pas de substance de laréduire à une seule vérité. féminité, mais l’essence du féminin. Le pas-tout, tel que Lacan le conçoit, ne Mais l’illusion d’une consistance porte pas une connotation négativede la féminité se fait très présente. Par du phallus, il ne fait pas allusion àexemple, dans le cas du ravage, une l’incomplétude, il ne s’oppose pas aumère pourra utiliser sa fille pour donner phallus… car il n’est pas-tout dans laconsistance à son être-femme, signale logique phallique. Il va prendre appuiPickmann85, dans le sens où elle croit sur le phallique en donnant lieu à saavoir Le savoir sur le sexe féminin et limite, explique Patricia Léon. Enqu’elle est capable de transmettre proposant une ouverture à unela bonne féminité à sa fille. Pour logique autre que celle de laLacan, si une femme entre dans le complétude du tout, en ouvrant unravage c’est parce que le pas-tout est espace pour l’invention de la féminité.masqué, englobé dans un régime du Et c’est justement l’impossibilité,tout-phallique, donnant l’illusion d’une l’acceptation de l’impossibilité, qui va« possible transmission de la féminité ouvrir le chemin vers le féminin. C’esten se passant du phallus ». Patricia peut-être dans ce sens que LacanLéon explique que le ravage est disait que chercher la réponse àjustement l’enfermement dans la Qu’est-ce qu’une femme? est ledemande d’une transmission d’une contraire de l’être88 - elle n’a pas à lequelconque « essence de la trouver. Elle a peut -être à l’inventer.féminité » 86 , cette aliénation dans lalogique du Un, du tout-phallique. En 1933, lorsque Freud parle deTandis que le pas-tout dit l’ouverture la technique du tressage et du tissagevers le féminin pour une femme, il en tant qu’une invention féminine, ilouvre une issue différente à la semble prendre distance avec l’idéal de la féminité et de la complétude.84 Pour Freud, cette invention est due aux effets du manque du pénis sur la S. SESE-LEGER, L’Autre féminin, Paris, structuration de la féminité. Freud neÉditions Campagne Première, 2008, p. 196. semble-t-il pas évoquer quelque chose de l’ordre du savoir-faire avec le85 manque ? Est-ce que la voie de C.-N. PICKMANN, « L’hystérique et le 87ravage », op. cit., p. 15.86 Ibid. P. LEON, « Pas toutes les femmes 88veulent ne pas ressembler à leur mère » in Pas-toutes les femmes, Association de Psychanalyse J. LACAN, Les Psychoses, Paris, Seuil,Jacques Lacan, Ajaccio, 2005. 1981, p. 199-200. 48

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNEl’invention consiste en une solution question Qu’est-ce qu’une femme ?, ilpour répondre à l’impossibilité de finissait par ouvrir d’autres questions.signifier le sexe féminin? Et au moment où il « laisse tomber » et S’il existe un pouvoir des annonce que sa question est restéefemmes, j’oserais dire que c’est ouverte à l’élucidation90, c’est commejustement celui de se libérer de la s’il avait finalement trouvé la réponse :pensée de l’Un, de renoncer à la « Qu’est-ce qu’une femme ? », lalogique du tout phallique pour question reste toujours ouverte. Il n’y aavancer sans modèle sur le chemin de pas de représentation de la femme,sa propre féminité, du côté de elle n’est pas inscrite dans la logiquel’invention. du tout phallique – comme le signale Lacan, elle n’a pas à trouver leConclusion phallus. Ainsi, s’il existe un pouvoir des femmes, mais qui n’est pas réservé aux Si la dimension de la culture est femmes, c’est celui de s’inventer sanstraversée par la domination masculine modèle, de jouer avec le pas-toutainsi que par la logique phallique, le phallique… ou La femme n’a qu’àpouvoir ne se trouve pas forcement être tisseuse de sa propre robe.associé à la femme. Néanmoins en ceque concerne la psychanalyse il ne Pour finir, quelques mots dus’agit pas de mettre une étiquette ou poète brésilien Manoel de Barros :de dicter ce qui relève du masculin oudu féminin – mais d’interroger la « Com pedaços de mim eu monto umrelation du sujet, homme ou femme, ser atônito/ Tudo que não invento éau pouvoir – s’il jouit de cette place de falso » 91 : « Avec des morceaux depouvoir, interroger son rapport au moi-même je fais un être étonné / Toutphallus et à la castration. ce que je n’invente pas est faux ».Nous avons vu que lorsque Freud établit le chemin par lequel il faut 90passer pour arriver à la « féminitéaccomplie »89, il cherche à remplir la « La grande question restée sansplace non occupée concernant le réponse et à laquelle moi-même n’ai jamais pusavoir sur le sexe féminin, en le répondre malgré mes trente années d’étudeslocalisant du côté de la logique du de l’âme féminine : Que veut la femme ? » (S.tout. Il a revisité sa théorie de la Freud cité in E. Jones, La vie et l’œuvre deféminité plusieurs fois, a changé d’avis Sigmund Freud, T. II, PUF, Paris, 1961, p. 445).et à mesure qu’il cherchait uneréponse pour sa grande 9189 M. de BARROS, Livro sobre o nada, Rio S. FREUD, « Sur la sexualité féminine » in de Janeiro, Record, 1996La vie sexuelle, Paris, PUF, 1973. 49

SYGNEREVUE DE PSYCHANALYSE EN LIGNE« AMOUR DU POUVOIR ET DESIR DU SOUVERAIN : LA JOUISSANCE DE LAFAVORITE » PAUL-LAURENT ASSOUNFrançois Boucher–Portrait de la marquise de Pompadour, 1757. Huile sur toile  onne idée que celle jusqu’au zèle à agir la passion pour le père qu’elle s’excite à aimer93. Et toutBd’aborder la femme cela se rejoue dans la (longue) directement dans son dernière ligne (pas si) droite, dans le rapport au pouvoir. Cela évite de patauger dans les lieux communs d’exclusion unilatérale du pouvoir, quiserait le lot fatal de la féminité, cequi l’inscrirait dans un tragique quiempêche de penser au-delà. Laquadrature du cercle, pour lafemme, c’est celle du masculin et duféminin92 et de ses effets de retourdes plus concrets au cœur de sacondition sociale. Ce que récapitulel’idée de « condition féminine », enses coulisses inconscientes. Lafemme est tout sauf passive, elle aun « cahier de charges » qui lapousse en avant – ce qui caractérisele « devenir-femme », avec, commedouble ressort, la crainte phobiquede la passivité envers l’amourterrassant de la mère et l’envie dupénis, qu’elle aborde d’ailleurs àl’origine « sans complexe » et qui va92 93 P.-L. ASSOUN, Leçons psychanalytiquessur le masculin et le féminin, Paris, Economica, P.-L. ASSOUN, Freud et la femme, Paris,2005. Payot, 5e éd., 2003. 50


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