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Description: 947 Khun Yay Chandra Khonnokyoung (1)

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Khun Yay mettait une bonne heure pour effectuer un tour complet. Elle arrivait au bâtiment administratif aux environs de 9 h. Son inspection n’était pas ache- vée pour autant : la visite du bâtiment Purohita durait parfois plus longtemps que prévu car Khun Yay avait l’habitude d’examiner l’intérieur mais aussi l’extérieur des lieux ! Et elle s’interrompait fréquem- ment pour parler aux moines et aux laïques. Elle ren- dait fréquemment visite à l’administration, surtout lorsqu’elle avait constaté un problème dans le tem- ple ; elle s’empressait d’en informer immédiatement les responsables afin qu’une solution soit trouvée. Quittant Purohita, elle retournait à son kuti peu après 9 h. La matinée était déjà avancée mais la température restait encore agréable. Passant par l’ancien bureau des relations publiques, elle s’entretenait avec le Vénérable Suvijjabho, en charge des bâtiments, et lui faisait part de la façon dont elle avait réglé tous les petits problèmes ren- contrés en chemin. Comme il était l’un de ses anciens étudiants, elle s’ouvrait à lui franchement : « Vénéra- ble, je dois toujours m’occuper de ceux qui causent du désordre. Vous savez à quel âge les gens prennent leur retraite… Moi, j’ai déjà quatre-vingt trois ans mais je dois continuer encore et encore. » En plus de ses tournées à travers le temple, Khun Yay avait pour activité favorite d’inspecter la cuisine et ses environs. Elle était particulièrement concernée par la cuisine parce qu’elle se sentait responsable des esto- macs d’une véritable armée ; elle faisait fréquemment le vœu suivant : « puissent les mérites que j’ai accu- mulés m’aider à nourrir tous ces gens, quel que soit 153 www.kalyanamitra.org

leur nombre. Puissé-je avoir les moyens d’assurer leur subsistance. S’ils sont une centaine, puissé-je être capable d’en nourrir une centaine. S’ils sont un mil- lion, puissé-je être capable d’en nourrir un million. » Il n’était pas rare que Khun Yay inspecte la cuisine deux fois dans la même journée, tout simplement par- ce que le Vénérable le lui avait demandé. Jamais elle ne refusait une tâche que le Vénérable lui avait confiée. Khun Yay était un exemple vivant de perfection, que ce soit dans la pratique de la méditation la plus subtile ou dans l’accomplissement des simples travaux de maintenance du temple. Elle était le véritable contre- maître des cuisines, s’assurant que les assiettes et les couverts étaient correctement rangés. Elle apprenait à tout le monde à aligner impeccablement la vaisselle le long des égouttoirs, d’une façon qui ne manquait ja- mais d’impressionner les visiteurs du temple. Péné- trant dans la cuisine, Khun Yay la parcourait à pied et en profitait pour enseigner : « tous les ustensiles doi- vent être correctement rangés. De même, ce n’est qu’en mettant en ordre nos propres vertus que nous serons capable de donner ces vertus en exemple aux autres. Si nous faisons tout proprement et correcte- ment, nous ne rencontrerons qu’ordre et propreté dans notre prochaine existence. » Chaque ustensile de cuisine était scrupuleusement trié et rangé. La vaisselle des moines et celle des laïques étaient soigneusement séparées. Rien n’échappait aux yeux de Khun Yay. D’un simple regard, elle repérait la moindre petite trace de saleté ou de désordre. Les gens ordinaires doivent généra- 154 www.kalyanamitra.org

lement s’y prendre à plusieurs fois avant de distinguer ce que Khun Yay percevait, elle, d’un seul coup d’œil. Dans la cuisine Yāma*, les ustensiles étaient rangés dans de hauts placards d’acier inoxydable, alignés à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de la salle à manger. Khun Yay expliquait : « auparavant, nous utilisions des buffets en bois mais il est arrivé que des chiens errants viennent se soulager sur les ustensiles et les meubles. C’est pourquoi j’ai demandé à des laïques de nous offrir des buffets en métal inoxydable. » Compte tenu du très grand nombre de buffets, il arri- vait qu’une de leurs portes ne soit pas correctement fermée. Khun Yay inspectait donc tous les buffets pour voir si des portes étaient bien fermées. Elle insis- tait auprès du personnel : « si vous laissez des portes entrouvertes, cela finira par arracher les charnières. Assurez-vous que toutes les portes soient correcte- ment fermées, sinon des insectes viendront faire leur nid à l’intérieur et saliront les ustensiles que nous uti- lisons pour nos repas. Faites donc bien attention lors- que vous ouvrez ou fermez les buffets. » Elle rajoutait que claquer trop vivement les portes les userait pré- maturément. Si elle trouvait des rayures sur un buffet métallique, elle sermonnait tout le personnel et lui demandait de faire un peu plus attention à l’avenir. Afin d’éviter les rayures, elle demandait que les us- tensiles de métal ne soient pas glissés mais posés sur les surfaces métalliques et que les étagères soient pro- tégées par des pièces de tissu. La nourriture, enfin, ne devait être jamais être préparée sur le dessus des buf- fets. 155 www.kalyanamitra.org

Khun Yay voulait être un vivant exemple de la façon dont les biens du temple devaient être utilisés et entre- tenus. Elle disait toujours : « si vous jetez votre argent par les fenêtres vous devenez esclave de l’argent. Si vous gaspillez l’électricité, vous devenez esclave de l’électricité. Si vous gaspillez l’eau, vous devenez esclave de l’eau. » Khun Yay ne négligeait jamais rien. Elle faisait de son mieux pour préserver tous les biens du temple, suivant en cela les règles simples données par le Bouddha pour la survie des communautés : retrouver les biens perdus, réparer les biens endommagés, être modéré dans ses dépenses et ne pas confier la gestion de ses ressources à des gens sans scrupule. Khun Yay était toujours attentive et prudente quand elle utilisait des ressources, quelles qu’elles soient. En plus de ses démonstrations pratiques, elle continuait inlassablement à donner des conseils autour d’elle. Lorsque les moines avaient fini leur repas, manger ce qu’ils avaient laissé dans les plats était considéré comme portant bonheur. Leurs assiettes et leurs cou- verts étaient lavés séparément de ceux des laïques. Après lavage, ils étaient soigneusement alignés sur des séchoirs métalliques. Tout était rangé par catégo- rie. Une fois sèche, la vaisselle était immédiatement replacée dans les buffets. Khun Yay passait un temps infini à enseigner l’essentiel comme l’accessoire à la communauté gran- dissante ; mais elle faisait parfois état de ses craintes concernant les générations à venir : « je suis contente de vivre si longtemps ; je ne suis pas certaine que la 156 www.kalyanamitra.org

prochaine génération sera capable de prendre soin de tout comme je le fais. » Khun Yay ne se contentait pas d’insister sur la propre- té, l’ordre et le parfait entretien des biens du temple. Elle mettait en garde contre les bruits inutiles, en par- ticulier contre tout bavardage et toute manifestation dénuée de discrétion. Elle réprimandait sans détour ceux qui faisaient trop de bruit. Chaque fois qu’elle entrait dans les cuisines, le personnel se taisait immé- diatement et se concentrait en silence sur son travail ; l’habitude s’instaura progressivement de travailler avec plus d’attention et de concentration. Les cuisines étaient séparées en deux zones. La cui- sine Yāma était utilisée pour la préparation d’un petit nombre de repas103 ; la seconde cuisine servait à la préparation des repas de toute la communauté, forte d’un millier de membres. Une large porte coulissante métallique séparait les deux cuisines. Près de la porte se trouvait un petit réduit utilisé pour stocker les in- grédients comme les oignons, l’ail, ou certains fruits et légumes. Si jamais Khun Yay voyait que l’un d’eux était tombé par terre, elle s’empressait de le ramasser avant qu’il ne soit définitivement abîmé. Elle expli- quait : « nous devons être très attentifs dans notre utilisation des ingrédients qui ont fait l’objet d’un don motivé par la foi. Nous ne pouvons pas les utiliser avec négligence parce que des fidèles ont accompagné leur don d’un vœu ; sinon, nous resterons redevables 103 Jusqu’en 2003, essentiellement pour les moines ensei- gnants. 157 www.kalyanamitra.org

envers eux d’une dette que nous emporterons jusque dans nos prochaines existences ! » Un temple, en effet, ne peut exister sans les dons. Chaque centime compte. Les donateurs ont travaillé durement pour offrir quelque chose au temple, emplis de l’espoir que leur générosité* produira des mérites leur permettant d’avoir une vie meilleure. Ils renou- vellent leurs dons et leurs vœux et attendent que le temple en face l’usage le plus profitable possible. Voilà pourquoi le personnel doit être particulièrement responsable dans l’utilisation de tout ce qui est donné avec foi. On apercevait fréquemment Khun Yay assise devant la cuisine, un petit groupe de laïques assis à ses pieds. Ces laïques appartenaient à trois catégo- ries : la première était la catégorie de ceux qui ve- naient chercher une aide spirituelle ; la seconde était composée de ceux qui venaient remercier Khun Yay pour l’aide qu’elle leur avait précédemment apportée ; la troisième était celle des visiteurs réguliers, venus avec des offrandes ou tout simplement pour saluer Khun Yay. La plupart de ces fidèles se contentaient de s’asseoir dans la pièce pour écouter les conseils que leur guide donnait aux autres. En général, Khun Yay rencontrait ses visiteurs dans le bâtiment Yāma chaque dimanche après-midi et par- fois, en semaine, à l’heure du déjeuner. Les visiteurs pouvaient également méditer en sa compagnie dans la vaste salle Tusitā, chaque troisième samedi du mois, 158 www.kalyanamitra.org

juste avant la cérémonie de libération des poissons104. Les visiteurs appartenaient à toutes les couches de la société et à toutes les tranches d’âge, depuis les jeunes parents accompagnés de leur bébé jusqu’aux vieil- lards en chaise roulante. Khun Yay avait l’art de tous les satisfaire. Elle s’adressait à chacun avec gentil- lesse, sans égard pour son statut social, son sexe ou son âge. Et ses mots répondaient toujours aux ques- tions ou aux états d’âme de ses visiteurs, comme si elle lisait parfaitement dans leurs pensées. Khun Yay conseillait à chacun d’avoir une conduite profitable et d’éviter tout acte non profitable : « la naissance en tant qu’être humain est déjà une chance. Vous devez tous apprendre comment agir de manière profitable et être généreux. A notre mort, nous n’emportons rien avec nous, à l’exception de nos mérites et de nos dé- mérites105. Si vous agissez de manière profitable, vous emportez des mérites ; si vous n’agissez pas de ma- nière profitable, vous emportez des démérites. Mérites et démérites ne s’effacent pas avec la mort ; nous les emportons dans nos vies suivantes. » Souvent, Khun Yay s’adressait ainsi aux nouveaux visiteurs : « c’est 104 Rendre la liberté à des animaux est une jolie coutume thaïe et un acte méritoire. Cette pratique donne hélas lieu, aux alentours de bien des temples, à des dérives commercia- les finalement nuisibles aux animaux. 105 Tel est l’enseignement du Bouddha : « la naissance en tant qu’être humain étant très rare et difficile à obtenir, qu’y a-t-il d’autre à faire sinon vivre selon la droiture, selon la justice et faire des actes bons et méritoires qui donnent des résultats positifs ? » Pabbatūpama-sutta (S/SAṂ I/3/3/5/ n°136) 159 www.kalyanamitra.org

une bonne chose que vous veniez au temple dès main- tenant. Il aurait été dommage d’effectuer votre pre- mière visite allongé dans un cercueil ! » Khun Yay avait une compassion particulière pour les enfants ; elle caressait leur visage de ses deux mains. Parfois, elle demandait aux parents si elle pouvait devenir la grand-mère d’adoption de leurs enfants. Khun Yay disait : « certains enfants ont hérité de grands mérites de leurs vies antérieures. Les parents ne peuvent pas toujours leur apporter le soutien spiri- tuel dont ils ont besoin. Je leur offre de prendre moi- même la responsabilité de la progression spirituelle de leurs enfants. » Certains enfants pleuraient en enten- dant Khun Yay dire qu’elle souhaitait les adopter ; elle souriait avec tendresse et les rassurait : « je ne vous adopte pas vraiment, vos parents continueront à s’occuper de vous comme avant ! » Lorsque des jeunes gens venaient la voir, Khun Yay leur demandait : « avez-vous déjà été ordonné ? » Si ce n’était pas le cas, elle leur conseillait : « en tant 160 www.kalyanamitra.org

qu’homme, vous devez faire l’expérience de l’ordination, sinon vous resterez immature. Vous de- vez être au moins ordonné durant une saison des pluies.106 » Certains visiteurs venaient avec des photos de leurs parents décédés, de leurs frères et sœurs ou d’autres membres de leur famille. Ils demandaient à Khun Yay si elle pouvait aider ces défunts dans leur lieu de re- naissance. Un jour, par exemple, un jeune homme lui tendit une très vieille photo de son père et lui deman- da : « Khun Yay, je voudrais tellement savoir où se trouve maintenant mon père. Il est mort quand j’étais tout jeune. Je m’inquiète de son devenir. » Il remit la photo entre les mains de Khun Yay, lui donna quel- ques détails, puis reprit sa photo. Une semaine plus tard, il revint et lui tendit de nouveau la photo ; Ari- pan la prit pour la remettre à Khun Yay. Celle-ci, re- voyant la photo, la rendit en disant qu’elle avait déjà apporté son aide à cet homme.107 Un autre jour, une fidèle vint trouver Khun Yay avec à la main le titre de propriété d’un terrain. Après l’avoir placé sur le bureau de Khun Yay, elle lui dé- clara : « j’ai des problèmes financiers en ce moment. Je souhaiterais que vous m’aidiez à vendre cette terre. 106 Les lignées bouddhistes thaïlandaises permettent l’ordination provisoire : tout jeune homme se doit d’avoir été moine durant, au moins, les trois mois d’une saison des pluies (vassa). 107 Les réponses en ce domaine sont toujours laconiques car les règles monastiques déconseillent de donner des détails de réalisations paranormales, afin d’éviter toute vanité ou dérive prosélyte. 161 www.kalyanamitra.org

Si j’y parviens enfin, je règlerai ma dette envers vous en faisant une donation. » Khun Yay répondit sim- plement : « je vais vous aider ». Quelques temps plus tard, la fidèle revint avec une enveloppe. Sur l’enveloppe, on pouvait lire : « je suis venue deman- der votre aide pour vendre mon terrain ; maintenant que j’ai pu réaliser ce souhait, ma famille et moi vou- drions exprimer notre gratitude sous la forme d’une donation d’un montant de … à l’occasion de la céré- monie de Kaṭhina108. Avec notre respect. » La nou- velle se répandit par le bouche à oreille et de plus en plus de visiteurs se présentèrent avec leur titre de pro- priété… Khun Yay accepta bien volontiers de les ai- der et de nombreux récits de résultats extraordinaires commencèrent à circuler. Beaucoup d’autres personnes venaient la voir pour divers soucis mineurs ou dans un état de véritable souffrance. Une femme vint par exemple à Khun Yay avec une photo : « voici ma mère qui souffre d’un cancer en phase terminale. » Khun Yay regarda la photo et murmura : « il est très difficile de guérir d’un cancer ; dites à votre mère de prier, de réciter les tex- tes et de pratiquer la générosité ; elle emportera ces mérites avec elle. Si elle ne peut réciter les textes ri- tuels elle-même, faites-le tandis qu’elle les écoutera. » Et Khun Yay ajouta : « il est impossible de l’aider dans cette vie-ci, mais il reste possible de l’aider pour son existence future. » Confrontée au cancer, Khun 108 Importante fête bouddhiste durant laquelle, à la fin de la retraite de la saison des pluies, les laïques viennent offrir aux moines le tissu de leurs robes. 162 www.kalyanamitra.org

Yay reconnaissait que les malades avaient très peu de chance de survivre ; elle joignait alors les mains dans un geste de prière et faisait ce vœu : « puissent les autres comme moi-même être épargnés par cette ma- ladie ; puisse-t-elle disparaître de ce monde. » D’autres visiteurs venaient la voir en urgence ; ainsi de cette femme : « Khun Yay, ma mère va être opérée du cœur aujourd’hui. Elle est déjà âgée et je crains qu’elle ne coure un risque. Je suis venue vous deman- der de la sauver par le pouvoir de vos mérites. » Khun Yay répondit : « dites à votre mère de se concentrer sur ses actions méritoires. Il y a dans la vie des fac- teurs physiques et des facteurs spirituels. Les méde- cins s’occupent des facteurs physiques. Pour ce qui est du spirituel, votre mère doit penser à tous les méri- tes qu’elle a pu accumuler jusqu’à maintenant. De mon côté, je l’aiderai aussi. » Réconfortée, cette femme, s’empressa de rejoindre l’hôpital. Certains visiteurs souhaitaient rencontrer Khun Yay pour leur propre maladie. Une femme vint par exem- ple se plaindre à Khun Yay : « je souffre de douleurs lombaires. Cela fait des années que je cherche de l’aide auprès des médecins, mais aucun n’a pu me soulager. Je suis finalement venue vous voir et vous avez bien voulu passer vos mains dans mon dos. Re- venue à la maison, la douleur avait définitivement disparu. Je reviens vous voir pour que vous fassiez la même chose en massant mes bras. » Khun Yay lui répondit en riant qu’elle n’était pas spécialiste des massages. Malgré tout, la femme s’avança vers Khun Yay et lui présenta son dos en la suppliant : « pouvez- vous juste me toucher ? » Khun Yay rit de nouveau et 163 www.kalyanamitra.org

lui pressa doucement l’épaule en disant simplement : « va mieux ! ». La femme était ravie ; elle se proster- na devant Khun Yay et quitta la pièce joyeusement. D’autres visiteurs encore étaient trompés par des amis proches ou par des parents. Ils venaient prendre conseil auprès de Khun Yay. Elle écoutait patiemment leur mésaventure et leur répondait : « vous pouvez écouter ce que disent ces personnes, mais surtout ne leur faites pas confiance. » Khun Yay devait vraiment rencontrer toutes sortes de visiteurs ; elle parlait à tous avec sincérité et gentil- lesse. Et tous s’en retournaient le cœur plein d’espoir, avec un moral retrouvé. Khun Yay leur enseignait de ne penser qu’à leurs actions méritoires et à de bonnes choses parce que là se trouvait l’unique source de succès dans la vie. Elle les bénissait en général par ces mots : « puissent vos vœux se réaliser grâce au pou- voir de vos propres mérites. » Le regard de Khun Yay ne montrait que compassion et gratitude, même pour les cadeaux les plus infimes. Parfois, quand les gens la saluaient les mains jointes, en un geste de prière, elle prenait leurs mains dans les siennes, leur transférant un peu de sa chaleur et de sa bienveillance. Ses yeux reflétaient la sympathie, la sincérité et la chaleur et touchaient tous les cœurs. Elle était la personne âgée que toutes et tous auraient voulu avoir pour parente. L’infusion brûlante placée à côté d’elle refroidissait souvent sans être bue : malgré la fatigue, Khun Yay ne cessait de prodiguer ses conseils et de remplir ses obligations avec un sourire joyeux. Elle ne montrait jamais aucun signe de fatigue et partait toujours très 164 www.kalyanamitra.org

tard. Tel était le devoir d’un grand guide spirituel sur le chemin du Dhamma. Quelques visiteurs venaient également voir Khun Yay en dehors des week-ends. Il s’agissait des cas les plus urgents. Ces fidèles-là l’attendaient indifféremment dans la cuisine ou en un point de son itinéraire. Khun Yay ne les évitait pas : elle ne refusait jamais son aide et ses conseils. Il y eut ainsi une jeune femme qui se précipita un jour vers Khun Yay tandis qu’elle traver- sait la route pour entrer dans son bureau. Khun Yay lui demanda gentiment : « que se passe-t-il ? » La jeune femme, avec un regard triste, lui répondit : « pouvez-vous me consacrer un moment ? Pouvons- nous parler à l’intérieur ? » Bien qu’elle ne soit elle- même pas très en forme, Khun Yay accepta de la re- cevoir. La jeune femme avait des problèmes fami- liaux. Elle pleurait en contant son histoire. Khun Yay l’écouta longuement et lui dit : « la vie en tant qu’être humain est difficile. Notre vie présente est condition- née par notre kamma passé, par les actes de nos vies antérieures. Il nous faut donc être patients et ne jamais cesser d’accumuler les bonnes actions. S’il vous plait, soyez patiente. Nous ne vivons pas très longtemps et nous devons tous mourir. » La jeune femme lui dit qu’une ascète bouddhiste lui avait affirmé qu’elle avait été un singe dans l’une de ses vies précédentes. Khun Yay lui répondit : « cela importe peu de savoir ce que nous avons été dans nos vies antérieures. Maintenant nous sommes humains et nous devons en profiter pour accumuler les actions méritoires. Vous devez obtenir un diplôme et trouver un travail pour subvenir à vos besoins sans avoir à 165 www.kalyanamitra.org

dépendre des autres. Telle que vous me voyez, je ne peux même pas lire un mot, mais j’ai été capable de bâtir un temple. Je progresse sans cesse. Avant de rejoindre le Wat Paknam, j’étais une domestique au service d’une grande famille. Je devais balayer, net- toyer le sol, repasser le linge, accomplir une multitude de corvées ; mais je n’ai jamais renoncé. Qu’importe ce que les autres disent de nous, nous devons le sup- porter. » Khun Yay lui donna ainsi toute une série de conseils pour améliorer sa vie. Chaque troisième samedi du mois, Khun Yay ensei- gnait la méditation dans le pavillon Tusitā et condui- sait une cérémonie de libération de poissons. Son en- seignement de la méditation était fait de courtes phra- ses, chacune riche de sens. Elle parlait de quinze à trente minutes durant la session de méditation. Elle commençait toujours par ces mots : « asseyons-nous pour méditer. Maintenant pensons aux mérites et aux bonnes actions que nous avons accumulés. Ajoutons-y le mérite créé par la libération des poissons. » Puis, Khun Yay ajoutait : « répétez simplement les mots sammā arahaṃ qui résument les mérites conférés par la méditation. Il n’est pas facile d’atteindre Dham- makāya parce que notre esprit ne cesse de parcourir le monde ! Nous devons ramener notre esprit au centre de notre corps, à deux doigts d’épaisseurs au dessus du niveau de notre nombril109. Ne pensons plus à rien. Lorsque notre esprit s’apaise, notre intérieur s’illumine. Cessons de penser. Visualisons un Boudd- ha lumineux en nous. Méditons attentivement. Si nous 109 Cf. en annexe : « comment méditer ? » 166 www.kalyanamitra.org

n’atteignons pas notre but dans cette vie, nous l’atteindrons dans la suivante. Tout cela doit nous devenir familier. Pour atteindre le Dhamma, nous devons pratiquer avec persévérance. » Khun Yay concluait chaque session par ces mots : « maintenant, utilisons le mérite acquis à travers cette méditation ; faisons des souhaits pour que la fortune puisse nous sourire, pour que nous restions en bonne santé, pour notre prospérité, pour notre protection lorsque nous voyageons, pour que les gens sans intérêt restent loin de nous, pour que notre méditation débouche sur une expérience intérieure. Maintenant, restons-en à ces souhaits. Je me réjouis de vos mérites. Puisse chacune et chacun d’entre vous en acquérir un grand nombre ; puissent vos vœux se réaliser grâce au pouvoir de vos mérites. Bonne chance à toutes et à tous ! » Tous les visiteurs répondaient alors « sadhu ! » à hau- te voix. Si un participant s’était endormi durant sa méditation, Khun Yay disait à tous : « j’évite de m’assoupir du- rant la méditation. Si je sens la torpeur m’envahir, je me lève pour aller passer de l’eau sur mon visage. Je reviens méditer lorsque la torpeur est passée. Ceux qui s’endorment durant la méditation ne peuvent en retirer aucune expérience intérieure. » Khun Yay demeurait particulièrement strict concernant les flirts et les caresses de couples venus se rencontrer dans l’enceinte du temple. Un jour qu’elle procédait à son inspection du temple avec le Vénérable Dattajivo (il n’y avait à cette époque aucun laïque résidant dans le temple), elle aperçut un couple de jeunes paysans qui jouaient à se lancer de la terre, 167 www.kalyanamitra.org

puis à se taquiner avec des petites branches. Khun Yay observa leur manège puis se tourna vers le Véné- rable : « il ne faut pas laisser des couples jouer com- me ça, sinon cela finira par avoir des répercussions sur toute notre communauté. Ils commencent par se jeter de la terre, puis ils passent aux brindilles ; ils vont bientôt passer aux caresses de la main, puis ils vont s’attraper et bientôt finir l’un sur l’autre. La pro- chaine fois que vous assistez à cela, mettez le couple à la porte du temple. Si vous ne le faites pas, nous fini- rons par devenir un refuge pour les couples adultè- res. » Le Wat Phra Dhammakāya est en effet conçu comme un sanctuaire pour la méditation. La méditation est fondée sur la pureté du corps, de la parole et de l’esprit ; et elle nécessite un environnement favorable. Si des rumeurs de flirt ou d’adultère commencent à se répandre, l’esprit des fidèles en sera perturbé et l’harmonie au sein de la communauté subira d’irrémédiables préjudices. Telle était la raison de l’extrême rigueur de Khun Yay concernant ces com- portements. Elle alla même jusqu’à faire élaguer les branches basses des arbres pour éviter qu’ils ne ser- vent à abriter quelques cachettes favorisant les rap- prochements ! Khun Yay était sans indulgence sur ce point. Si des femmes seules pénétraient dans l’enceinte du temple ou venaient rendre visite à un moine, elles devaient trouver une autre femme pour les accompagner. Khun Yay mettait en avant l’inconvénient d’être ma- rié et l’avantage d’être célibataire. Elle faisait le vœu de toujours rester célibataire et de renaître dans une famille vertueuse ayant la Vue correcte. Khun Yay, 168 www.kalyanamitra.org

seule depuis son enfance, se faisait l’avocate des avantages du célibat. Nombre de ses disciples restè- rent seuls toute leur vie parce qu’elle leur avait donné ce conseil : « il est bon de ne pas se marier. Célibatai- res, nous sommes comme des oiseaux libres de voler où bon nous semble. Les personnes mariées sont tou- jours très occupées, elles doivent nourrir leur famille et en prendre soin. » De manière simple, elle se contentait de gentiment réprimander les femmes céli- bataires : « ne faites pas les yeux doux aux hom- mes ! » ou « avez-vous fait les yeux doux à quel- qu’un ? Hommes et femmes peuvent se connaître d’un seul regard. S’ils se regardent, un coup de foudre peut se produire et les rapprocher de manière irrévo- cable. » Le Wat Phra Dhammakāya a de très nombreuses rè- gles encadrant la pratique du célibat pour les moines, les employés et les laïques des deux sexes. Mais per- sonne ne peut édicter de lois sur les regards que peu- vent se jeter les femmes et les hommes : chacun doit donc prendre ses responsabilités. Le regard est aussi un moyen de communication, les yeux étant « la fenê- tre de l’esprit ». Un simple coup d’œil peut avoir plus de signification qu’une centaine de mots ! A la fin de la journée, avant d’aller dormir, Khun Yay « faisait ses devoirs ». Ces « devoirs » consistaient à aider ceux qui étaient venus la voir et lui demander son appui. Khun Aripan apportait les photos et les petits mots laissés par ceux qui étaient venus solliciter Khun Yay. Celle-ci regardait les pho- tos et lisait attentivement les messages. 169 www.kalyanamitra.org

Elle étudiait chaque demande avec la même attention de la première à la dernière. Si elle avait un doute quelconque, elle demandait des précisions à Aripan. Ensuite, elle commençait à méditer en silence, les détails manquant lui venant à travers sa méditation. Khun Yay s’efforçait d’aider avec impartialité, sincé- rité et détermination toutes les personnes en souf- france. Elle ne faisait aucune distinction entre les gens ; peu importait qu’il s’agisse d’un disciple de longue date ou d’un nouveau fidèle : elle faisait de son mieux pour les aider, qu’elle les connaisse ou non. Allongée silencieusement sur son lit, Khun Yay mur- murait tout doucement ce vœu dans l’obscurité, les mains unies en un geste de prière : « puissent tous ceux qui sont venus me demander de l’aide obtenir satisfaction à travers la grâce des mérites. » Après un bref instant, elle ajoutait : « puissent tous ceux qui sont venus me demander de l’aide voir leurs souhaits exaucés. » Un matin de novembre 1987, alors que le Vé- nérable Dhammajayo était en train de prendre son petit déjeuner, Khun Yay se présenta humblement devant lui les mains jointes. Elle lui dit : « Vénérable, cela fait deux ou trois ans que je pense à quelque cho- se. Je souhaiterais tellement guider moi-même la cé- rémonie de Kaṭhina. J’ai déjà quatre-vingt ans et cela pourrait être ma dernière cérémonie. S’il vous plaît, laissez-moi guider la cérémonie de Kaṭhina ! » Comprenant l’intention de Khun Yay et voyant son humilité, le Vénérable répondit : « Khun Yay, vous 170 www.kalyanamitra.org

avez ma bénédiction. Je suis heureux de savoir que vous guiderez la cérémonie Kaṭhina de 1988. » Quelques jours plus tard, elle revint sur sa demande en expliquant : « je n’ai pas le droit de faire cela, c’est contre les règles du temple. En principe, c’est une personne extérieure au temple qui doit avoir l’honneur de conduire la cérémonie de Kaṭhina. » Jusque là, en effet, cette cérémonie avait toujours été placée sous la responsabilité d’une importante personnalité laïque. Le Vénérable intervint : « allons, Khun Yay, vous êtes la fondatrice de ce temple ! Si vous dirigez la cérémo- nie de Kaṭhina, tout le monde sera enthousiaste. Soyez le guide de cette cérémonie. Tout le monde sera fier de vous. » Alors seulement Khun Yay accepta et répondit par le mot « sadhu !» A compter de ce jour, Khun Yay encouragea toutes et tous à partager sa cérémonie en faisant des dons. Elle demanda à ses assistants de la conduire dans toutes les provinces, du nord au sud du pays, afin qu’elle puisse rendre visite à ses vieux amis. Elle encouragea tous ceux qu’elle rencontra. Et tous voulaient absolument participer au moyen d’une donation parce qu’ils connaissaient son haut degré de réalisation du Dham- ma et estimaient que le mérite acquis à travers cette cérémonie-là serait certainement très particulier. Re- venue au temple, depuis son rickshaw, elle interpelait toutes les personnes qu’elle croisait afin de les encou- rager à partager ses mérites à l’occasion de Kaṭhina. Son cœur était empli de l’idée de mérites. Elle propo- sait à chacun de les partager avec elle. Un jour, elle demanda aux moines : « Vénérables, s’il vous plaît, aidez-moi à convaincre les laïques. En tant qu’êtres humains, nous devons pratiquer une générosité abso- 171 www.kalyanamitra.org

lue. Nous allons tous mourir et emporter avec nous le mérite et le démérite accumulés durant notre exis- tence. S’il vous plaît, aidez-moi à en convaincre les laïques. » C’est ainsi que le 6 novembre 1988 Khun Yay conduisit la cérémonie de Kaṭhina. Ce jour-là, le tem- ple fut empli de monde comme jamais auparavant. Et ce ne fut pas la seule cérémonie ainsi menée par Khun Yay : elle eut ensuite l’occasion de diriger plusieurs dizaines de cérémonies d’offrande des robes monaca- les. Lorsqu’en 1994 le Vénérable Dhammajayo annonça qu’il souhaitait rendre hommage à Luang Pou Wat Paknam en réalisant sa statue en or pur, Khun Yay s’exclama : « sadhu ! J’ai déjà rendu hommage à Luang Pou en consacrant ma vie à l’enseignement de la tradition Dhammakāya et en travaillant durant vingt ans à la construction de notre temple. Mais j’ai gardé cet hommage en moi. J’ai toujours souhaité pouvoir un jour exprimer ouvertement ma dévotion. Je me réjouis de partager le mérite né de votre volonté de réaliser cette statue d’or pur. Je vais vous aider à ras- sembler pour ce projet tous ceux ayant acquis une parcelle de perfection. » Le moment arriva donc où le Vénérable Dhammajayo et Khun Yay parvinrent à rassembler autour d’eux les disciples de Luang Pou Wat Paknam venus de toute la Thaïlande afin de lui rendre hommage en réalisant sa statue avec une tonne d’or pur. C’était le 25 février 1994 et Son Excellence Phra Mahā Rājamaṅgala- charn, Vénérable du Wat Paknam, présidait la céré- monie. 172 www.kalyanamitra.org

Peu de temps après, lorsque le Vénérable Dhamma- jayo proposa de construire le Maha Dhammakāya Cetiya110, centre de leur foi pour les bouddhistes du monde entier, Khun Yay fut enthousiaste à cette idée et y contribua de toutes ses forces, bien que sa santé ait alors commencé à sérieusement décliner. Khun Yay réalisait l’ampleur de la tâche et pensait que cela pouvait momentanément ralentir la recherche de la perfection de Dhammakāya menée par le Vénérable, mais elle réalisait également le rôle que pouvait jouer un tel projet dans le développement mondial de la religion du Bouddha. A cette époque, la parcelle de 400 hectares destinée à la construction du Cetiya n’était encore qu’un terrain vague. L’emplacement n’était utilisé qu’à l’occasion de certaines grandes cérémonies comme la Māgha Pūjā111 ou les tournées d’aumônes matinales. Durant la mise en place du chantier de construction du Ce- tiya, le terrain se couvrit de monticules de terre et un mât orné d’un drapeau rouge fut planté à l’endroit où allait se trouver le centre du monument. Khun Yay inspectait le site avec impatience. Le soir, lorsque la chaleur diminuait enfin, Khun Yay venait se proster- ner devant la grande statue blanche du Bouddha située à cet endroit : « puissé-je rassembler les fonds néces- saires à la cérémonie d’offrande des robes ; puissé-je recevoir de nombreuses contributions à la construc- tion du Cetiya. Puisse aussi ma santé se maintenir ; je me sens si faible maintenant. » Lorsque l’on com- 110 Le cetiya (chedi) est un monument-reliquaire, synonyme de thūpa (stupa). 111 Cf. note n°82 173 www.kalyanamitra.org

mença à enfouir les piliers de fondation, l’impatience de Khun Yay redoubla : « creuser encore et encore. Quand va-t-on commencer à bâtir le Cetiya ? Je ne sais pas si je verrai un jour l’achèvement du Cetiya. Je souhaite que nous recevions suffisamment de contri- butions pour qu’il puisse être terminé rapidement. Je détiens de nombreuses reliques bouddhistes qui m’ont été léguées par Khun Yay Thongsuk. Je les ai offertes au Vénérable Dhammajayo qui m’a dit qu’il les place- rait au cœur du Cetiya. Mais je ne sais pas quand sa construction sera achevée. Je ne sais pas si je survi- vrai à ce chantier. Puissions-nous recevoir toutes les contributions nécessaires à un achèvement rapide. » Lorsque le Cetiya fut enfin inauguré, le 22 avril 2000, le site était couvert de la couleur safran des robes mo- nastiques et de la couleur blanche des tenues laïques. Et Khun Yay, bien qu’elle n’ait presque plus la force de se déplacer, assistait à la cérémonie en présence de toute la congrégation des moines, des novices et des fidèles laïques venus de toute la Thaïlande et de l’étranger. Il semblait que l’attente de l’achèvement du Cetiya était ce qui avait permis à Khun Yay de tenir bon durant ses dernières années. D’une manière générale, Khun Yay était en bonne santé pour quelqu’un de son âge. A quatre- vingt-trois ans, elle était encore pleine d’énergie. Son dos était bien droit, sa vue et son audition encore aler- tes. Sa peau restait fraîche. Sa mémoire ne présentait aucun signe de faiblesse. Derrière son apparente bonne santé, toutefois, Khun Yay n’échappait pas aux difficultés de la vieillesse, comme les vertiges ou l’énurésie. Elle avait également 174 www.kalyanamitra.org

des douleurs musculaires et des ankyloses. Il lui était devenu pénible de lever les bras et de s’asseoir les jambes croisées ou même sur le côté. Elle avait de fréquents vertiges. Les médecins lui avaient expliqué que cela était dû à un faible volume sanguin. Elle utilisait la médecine par les plantes pour atténuer ses vertiges et le massage des pieds et des mains pour ses douleurs musculaires. Des massages traditionnels lui étaient parfois prodigués. Peu de temps après l’inauguration du Cetiya, il devint nécessaire de prendre beaucoup plus soin de la santé de Khun Yay. Son dos si droit commença à se voûter et ses jambes s’engourdissaient lorsqu’elle méditait. Cela ne lui était plus aussi facile qu’autrefois de s’asseoir les jambes croisées. Elle avertissait les jeu- nes : « vous qui êtes jeunes, vous ne savez pas ce que c’est que d’être ankylosé ou d’avoir des douleurs dans le dos. Lorsque j’étais jeune, je pouvais méditer six heures d’affilée le jour et six heures la nuit. Vous qui êtes jeunes, profitez en car vous ne pourrez sans doute plus méditer aussi aisément en position assise lorsque vous serez devenus vieux. » Khun Yay ne cessa pas de méditer mais changea tout simplement de posture, abandonnant la méditation assise pour la méditation allongée. Ce changement de posture n’eut bien évi- demment aucune influence sur l’acuité de sa vision intérieure. Bien qu’il soit impossible d’échapper à la détériora- tion du corps, Khun Yay ne laissa jamais cette dété- rioration faire obstacle à la pureté de son esprit. « Je ne peux plus m’asseoir longtemps pour méditer », disait-elle, « mais je m’allonge pour méditer et penser à mes actes méritoires. » 175 www.kalyanamitra.org

Eminemment patiente, Khun Yay conserva ses horai- res habituels et continua de rencontrer ses visiteurs chaque dimanche, sauf en de très rares occasions. Elle demandait toujours : « combien de temps ces visiteurs m’ont-ils attendue ? Je ne veux pas qu’ils repartent déçus. Je vais au moins me montrer afin qu’ils puis- sent me voir. » Par périodes, Khun Yay reprenait un peu de poids et apparaissait de nouveau fraîche et joyeuse en perma- nence. Ceux qui l’entouraient pouvaient profiter de sa chaleur et de ses sourires. Et pourtant, sa santé se détériorait. Parfois très anky- losée, elle devait annuler ses tournées d’inspection en rickshaw. Elle les reprenait dès que les choses allaient mieux ; elle disait : « j’aime bien rouler en rickshaw ; cela ne remue pas comme les autres véhicules. » Elle aimait bien ce mode de locomotion car il lui permet- tait de se rendre absolument partout, y compris dans les zones inaccessibles par la route. Lorsqu’à cause de son âge on remplaça le rickshaw par un caddy électri- que, celui-ci, adapté uniquement aux routes bitumées, ne put lui permette de visiter comme avant tous les recoins du temple. L’ankylose se faisait plus forte lorsqu’il pleuvait. Bien que son kuti fût entouré de nombreux arbres, sa chambre était très humide. Elle déménagea alors tem- porairement dans le bâtiment Tāvatiṃsa, dans les lo- caux qui abritaient l’atelier audio. Ils étaient encom- brés d’équipements techniques, mais il y avait suffi- samment de place pour loger Khun Yay. Durant ce temps, les Vénérables firent tout leur possible pour l’aider, y compris en bâtissant un nouveau kuti. 176 www.kalyanamitra.org

Elle emménagea dans le Dhammabarn kuti en 1990, un pavillon qui lui permit enfin d’échapper à l’environnement humide qui caractérisait la quasi- totalité de l’emplacement originel du temple. Ce nou- veau kuti avait été construit sur la parcelle de terrain de 400 hectares située entre l’Ecole Pariyatti Dham- ma et le village de méditation. Les disciples qui contribuèrent à l’édification du kuti espéraient qu’il permettrait à Khun Yay de mieux profiter de ses dernières années. Le kuti était en effet conçu pour faciliter sa vie quotidienne et ses activités. Il comprenait deux petits bâtiments de deux étages, construits en béton et liés entre eux par un passage couvert. L’entrée permettait d’y accéder en fauteuil roulant. Le parking se trouvait juste en face de l’entrée. Le kuti était entouré d’une clôture et d’un bassin, tous deux destinés à préserver son intimité. Face au kuti, une mare avait été aménagée et dotée de quelques marches, ce qui permettait à Khun Yay de nourrir ou de relâcher des poissons. Une petite route et un jardin faisaient le tour de tout le périmètre et une pelouse entourait le bâtiment. Le jardin était empli de plantes aromatiques. Le Dhammabarn kuti étant proche de l’Ecole Pariyat- ti Dhamma, des groupes de moines et de novices pas- saient donc par le nouveau kuti de Khun Yay. Celle-ci pouvait les voir depuis sa chambre et même sortir pour leur remettre des aumônes. En 1996, l’épuisement de Khun Yay se fit plus sensible. Il semblait parfois qu’elle pouvait mourir. Elle dut régulièrement être hospitalisée en 1996 et 1997, particulièrement de septembre à novembre 177 www.kalyanamitra.org

1997. Elle passait quelques nuits à l’hôpital, le temps de subir des examens. L’information concernant ses séjours n’était pas divulguée afin qu’elle ne soit pas fatiguée par des visiteurs. Lorsqu’elle fut un peu rétablie et put enfin être rame- née à son kuti et à son temple, on remarqua qu’elle ne cessait de dire : « je veux retourner chez moi. » Elle évoquait alors le quatrième plan de renaissance para- disiaque, Tusitā*, où elle savait avoir vécu dans sa vie précédente. Même si elle paraissait extérieurement en bonne san- té, fraîche et enjouée, son assistante était encline, plu- sieurs fois par jour, à la supplier : « s’il vous plaît, restez en bonne santé et en vie jusqu’à l’inauguration du Cetiya ! » Et à l’issue de cette cérémonie, Khun Aripan commença à supplier Khun Yay de rester en bonne santé et en vie jusqu’à la prochaine cérémonie annuelle de célébration du Cetiya… 178 www.kalyanamitra.org

L’adieu à Khun Yay Nous sommes tous déjà vieux. Ne pensez pas que vous êtes encore jeune. Depuis ma jeunesse, je me consi- dère comme « vieille » : cela confère un sentiment d’urgence à ma recherche de la perfection.112 Cela faisait longtemps que Khun Yay ne s’était pas rendue dans un hôpital. La dernière visite remontait au 22 novembre 1997. Cette fois encore, lorsque Khun Yay fut admise à l’hôpital Kasemrat de Bangkok, le 6 septembre 2000, tout le monde s’attendait à ce qu’elle se rétablisse et revienne rapi- dement au temple. Hélas, le 9 septembre 2000, elle se trouvait encore en soins intensifs. Elle était étendue les yeux clos. Com- me son apparence paisible ne correspondait pas au diagnostic des médecins, tout le monde espérait une sorte de miracle. On rapporta du temple ses meilleures robes blanches, celles qu’elle n’utilisait que le dimanche ou à l’occasion des principales cérémonies. Un ensemble de robes monacales fut également apporté ainsi que la 112 Khun Yay, 24 mars 1981 179 www.kalyanamitra.org

plus grande boule de cristal113 utilisée par Khun Yay, qui faisait environ dix centimètres de diamètre. Ces objets étaient destinés à être offerts par Khun Yay à la communauté monastique. Ils furent remis à Khun Yay afin qu’elle puisse les accompagner de ses vœux avant de les remettre en offrande au Vénérable Dham- majayo. Le visage de Khun Yay ne reflétait aucune émotion particulière. La nuit fut paisible. Au matin, un sac fut ajouté aux offrandes. Il contenait tous les billets de banque que Khun Yay avait récemment reçus en donation. Elle demanda à son assistante de le préparer pour l’offrir au Vénérable. Dans le sac se trouvaient des piles de légères enveloppes en kraft. Chacune contenait des liasses de billets soigneusement arrangées. Cela avait toujours été l’habitude de Khun Yay de précieusement classer et ranger les billets en les entourant d’un élas- tique. Telle fut la dernière action méritoire de Khun Yay. Elle décéda à trois heures du matin, à l’âge de 92 ans. A l’aube du 10 septembre 2000, la chambre devint totalement silencieuse, illustrant sa future épitaphe : « j’ai passé mon existence à surmonter l’adversité. Tant que nous vivons, nous devons avancer. Nous nous reposons à notre mort. Si nous tournons le dos à la vie, nous sommes défaits par Māra. » L’après-midi, le Vénérable Dattajivo, des moines an- ciens et Khun Tavorn vinrent avec un cercueil qui avait été fabriqué suivant les instructions du Vénéra- ble Dhammajayo. Il avait été conçu spécialement pour 113 Cf. note 41 180 www.kalyanamitra.org

Khun Yay afin de rendre hommage à ses mérites : il était sculpté dans du tek massif de cinq centimètres d’épaisseur. Sa surface était entièrement tapissée de feuilles d’or ; l’intérieur était lambrissé de panneaux de bois de santal de trois centimètres d’épaisseur. Khun Yay, sur son lit, était revêtue d’une robe blan- che, symbole de son renoncement. Sur son visage on voyait un léger sourire. Son corps, enroulé dans qua- rante-trois plis d’étoffe blanche, avait été aspergé d’huile de jasmin. Durant tous ces préparatifs, des textes étaient récités en son honneur. Le corps fut déposé dans le cercueil et de nouveau aspergé d’huile de jasmin. Le cercueil fut ensuite fermé et scellé. Ce cercueil de bois fut ensuite recouvert d’un coffrage fait d’or pur et d’argent. A l’intérieur du coffre, des feuilles d’argent formaient comme une boîte ; l’exté- rieur était constitué de fines feuilles d’or entrelacées, œuvre d’un orfèvre traditionnel. Un peu plus tard, les proches disciples de Khun Yay se cotisèrent pour lui offrir un linceul tissé de fils d’or pur appelé Maha Suvaṇṇa Ratana Bhusa. Il fut utilisé pour envelopper le cercueil d’or. Les bords de ce lin- ceul étaient ornés de différentes sortes de pierres pré- cieuses. Y étaient brodés les mots suivants : « En mémoire de Mahāratana Upāsikā Chandra Khonno- kyoung ». A l’image du respect que Khun Yay avait montré envers ses propres maîtres, tous ces prépara- tifs furent effectués par ses disciples avec un respect et un amour immenses. Les récitations rituelles se déroulèrent du 17 septem- bre 2000 au 2 février 2001. Des moines de tous les ordres monastiques et de tous les temples de Thaï- 181 www.kalyanamitra.org

lande se succédèrent pour réciter l’Abhidhamma*. Une centaine de moines récitaient en permanence ; leur nombre était porté à deux cents les dimanches et ils étaient alors accompagnés de milliers de disciples laïques. Les derniers rites furent accomplis le 3 février 2001, en accord avec le souhait d’une crémation exprimé par Khun Yay. Des Vénérables venus de trente mille temples de Thaïlande, auxquels s’étaient joints des Vénérables de vingt autres nations, assistaient à la crémation. Cent mille moines conduisirent la cérémonie devant plus de cent mille laïques : ce fut là l’une des plus grandes réunions de moines de l’histoire du bouddhisme. 182 www.kalyanamitra.org

Epilogue « Ecoutez-moi attentivement : naître en tant qu’humain est la plus grande des chances ; aucune autre forme de naissance n’excelle la naissance en tant qu’humain. D’autre part, cette vie passe vraiment très vite, l’addition des jours et des nuits se transformant rapidement en une addition d’années ; la vie n’attend pas après nous. Ayant eu l’opportunité de naître hu- mains, nous devons donc sans attendre cultiver tout ce qui est profitable, pratiquer la générosité, multiplier les bonnes actions. A l’issue de cette existence, nous n’emporterons rien avec nous, à l’exception des méri- tes et des démérites que nous aurons accumulés. Nous devons donc tout faire pour n’avoir finalement que des mérites à emporter. C’est ce qui nous permettra de continuer à approfondir notre perfection à travers tou- tes nos existences ultérieures. En n’accomplissant que des actes profitables et en évitant tous les actes non profitables, nous n’aurons pour héritage que les fruits des actions méritoires nées de notre volonté114 . Nous n’avons à craindre aucune conséquence négative si nous n’avons jamais mal agi. Lorsque nous mourons, nous laissons derrière nous le mal que nous n’avons jamais fait pour n’emporter que le fruit de toutes nos actions profitables. 114 Il n’est d’action méritoire que volontaire. 183 www.kalyanamitra.org

La recherche de la perfection n’est pas chose facile. Vous devez être patients et surmonter bien des obsta- cles. Toute ma vie, je me suis efforcée de faire pour le mieux. Maintenant, je vous remercie tous et vous dis à tous au revoir. Puissent d’immenses mérites revenir à vous tous qui m’avez accompagnée sur ce chemin spirituel. Nous nous y rencontrerons bientôt de nouveau. Puisse chacun d’entre vous bénéficier de l’abondance et de la richesse dans votre vie présente comme dans toutes vos vies futures. Puissiez-vous posséder une richesse suffisante pour vous permettre d’exercer une générosité sans fin. Puisse chacun accéder en soi à l’illumination, claire comme le cristal, puisse chacun atteindre sans délai Dhammakāya. Si, confrontés à un problème, vous ne voyez aucune solution, méditez et vous trouverez la solution. Puissiez-vous tous être heureux pour toujours. Puissiez-vous avoir de longues vies vous permettant de rechercher ce qui est profitable. Puissent tous vos souhaits se réaliser par la vertu de la générosité que vous aurez cultivée. Puissions-nous tous, dans nos vies futures, nous ren- contrer de nouveau sur le chemin de l’esprit. Il est maintenant l’heure, pour moi, de me séparer de vous… » Message enregistré par Khun Yay peu avant son décès et diffusé lors de sa crémation le 3 février 2002. 184 www.kalyanamitra.org

Comment méditer ? La méditation est un état de bien-être, de paix intérieure et de bonheur que nous pouvons engendrer nous-mêmes. C’est une pratique, recommandée par le bouddhisme, permettant d’atteindre le bonheur, l’insouciance, la plénitude mentale et la sagesse dans la vie quotidienne. La méditation n’a rien de mysté- rieux ; elle peut être aisément pratiquée par chacun en suivant la technique enseignée par Phramonkolthep- muni (Sodh Candasaro), Luang Pou Wat Paknam, telle qu’elle est décrite ci-dessous. La technique de méditation pas à pas 1) Rendre hommage aux Trois joyaux Pour commencer, il est profitable de rendre hommage aux Trois joyaux – le Bouddha, le Dhamma et le Saṅgha – puis de prendre les cinq ou les huit Précep- tes pour affermir sa vertu. 2) Méditer sur sa bonté Agenouillez-vous ou asseyez-vous avec les jambes sur le côté et pensez à tout ce que vous avez pu réali- ser de positif durant la journée, dans le passé et à tout ce que vous projetez de réaliser de positif dans le fu- tur. Méditez sur ces bonnes actions de telle façon que 185 www.kalyanamitra.org

votre corps tout entier semble composé de minuscules particules de bonté. 3) S’asseoir, détendre son corps et son esprit Asseyez-vous dans la position du demi-lotus, le dos bien droit, la jambe droite croisée au dessus de la jambe gauche115. Vos mains doivent reposer dans votre giron, les paumes vers le haut, les poignets re- posant sur le sommet des cuisses, la pointe de l’index droit devant toucher celle du pouce gauche. Essayez de trouver la position la plus stable. Ne prenez pas une position non naturelle qui vous contraindrait à vous forcer et serait source de douleurs ; mais en mê- me temps, ne vous affaissez pas ! Fermez doucement les yeux comme si vous vous en- dormiez. Ne vous forcez pas à fermer les yeux. Assu- rez-vous qu’aucune tension ne subsiste au niveau de vos sourcils. Détendez chaque partie de votre corps, en commen- çant par les muscles de la face, les épaules, les bras, la poitrine, le tronc et les jambes. Concentrez-vous sur chacune de ces tâches, en créant dans votre esprit un sentiment de bien être. Développez la sensation que vous êtes en train d’entrer dans un état de calme et de tranquillité, tant dans votre corps que dans votre es- prit. 115 Cette posture est la position idéale. Si elle est source d’un inconfort pouvant perturber la méditation, toute posi- tion confortable (et permettant néanmoins de ne pas s’assoupir) fera l’affaire. 186 www.kalyanamitra.org

4) Prendre une boule de cristal comme support de méditation Imaginez une boule de cristal claire, lumineuse, sans défaut, flottant au centre de votre corps (la « septième base de l’esprit » de l’illustration). Cette boule de cristal doit être pure et apaisante, comme la lumière scintillante d’une étoile. En même temps, répétez doucement en vous-même le son du manta « sammā arahaṃ », encore et encore. Une solution alternative consiste à imaginer une boule de cristal, de petite taille (comme celle d’une grosse perle) au niveau de la première base de l’esprit, puis de la déplacer doucement jusqu’à la septième base de l’esprit en passant par chacune des autres bases ; à chacune de ces étapes, on peut répéter trois fois, en soi-même, le manta « sammā arahaṃ». Les sept bases de l’esprit sont : Base 1 - L’entrée de la narine (narine gauche pour les femmes, narine droite pour les hommes) Base 2 - Le coin de l’œil, au point où naissent les larmes (œil gauche pour les femmes, droit pour les hommes) Base 3 - Le centre de la tête Base 4 - Le haut du palais Base 5 - Dans la gorge (derrière la pomme d’Adam) Base 6 - Dans le ventre, à l’arrière du nombril Base 7 - Le centre de gravité du corps, à deux doigts d’épaisseur au dessus du point précédent 187 www.kalyanamitra.org

Le centre du corps (7ème base) à 2 doigts d’épaisseur au dessus du niveau du nombril Une fois la boule de cristal devenue visible au centre de votre corps, continuez de maintenir votre sensation de calme, comme si l’objet faisait lui-même partie de cette sensation. Si la boule de cristal s’estompe ou disparaît, ne soyez pas déçu, continuez de maintenir le sentiment de calme et imaginez une nouvelle boule de cristal à la place de l’autre. Si l’objet mental apparaît ailleurs qu’au centre du corps, ramenez-le doucement vers le centre, sans, surtout, faire le moindre effort. Lorsque l’objet mental est stabilisé au centre du corps, fixez votre attention au centre de la sphère, en imagi- nant qu’il s’y trouve une toute petite étoile. Maintenez en permanence votre concentration sur cette petite étoile. L’esprit va se régler de lui-même jusqu’à s’immobiliser parfaitement. A cette étape, l’esprit va plonger doucement dans ce centre, où une nouvelle 188 www.kalyanamitra.org

sphère lumineuse va apparaître. Cette nouvelle sphère est connue sous le nom de « sphère du paṭhama mag- ga* » ou « sphère du Dhamma* ». Cette sphère est une porte d’entrée, le début du chemin menant au nibbāna. Imaginer ainsi l’objet de méditation est quelque chose que vous pouvez faire n’importe quand, en tout lieu, que vous soyez assis, debout, en train de marcher, allongé ou en train de faire n’importe quelle activité. Il est d’ailleurs conseillé d’imaginer cet objet en per- manence, tout au long de la journée, sans faire d’effort. Peu importe comment vous gérez tout cela, vous de- vez vous satisfaire du niveau que vous atteignez, afin d’éviter qu’une attente excessive de résultats immé- diats ne devienne un obstacle pour votre progression. Si vous méditez jusqu’à atteindre, au centre du corps, une « sphère du Dhamma » stable et brillante comme un diamant, vous devez tenter de l’y maintenir en méditant sur elle de manière aussi continue que possi- ble. De cette façon, les fruits de votre méditation permet- tront de maintenir votre vie sur le chemin du bonheur, du succès, de l’insouciance, et de garantir votre pro- grès continu en matière de méditation. 189 www.kalyanamitra.org

Conseils complémentaires 1) Eviter l’effort Durant votre méditation, ne vous forcez jamais. Ne fermez pas les yeux trop fortement en pensant que vous verrez ainsi plus vite l’objet de méditation. Ne raidissez pas vos bras, votre abdomen ou votre corps, parce que toute forme de tension a pour effet d’éloigner l’esprit du centre du corps vers le lieu de la tension. 2) Ne pas chercher à voir quelque chose à tout prix Vous devez en permanence conserver un esprit neutre. Ne laissez pas votre esprit être distrait de sa focalisa- tion sur l’objet de méditation et le manta. Ne vous souciez pas du moment où l’objet de méditation va enfin apparaître. L’image apparaîtra d’elle-même lorsque le moment sera venu, tout comme le soleil se lève en suivant son propre rythme. 3) Ne pas se soucier de sa respiration La méditation, suivant cette technique, débute avec la visualisation d’un objet lumineux (āloka kasiṇa). Une fois atteinte la « sphère du Dhamma », la médita- tion se prolonge en passant par le corps humain subtil (« corps astral »), le corps « angélique », le corps « de brahmā avec forme », le corps de « brahmā sans for- me »116 ; et enfin elle atteint le « corps du Dhamma », 116 Ces « corps » correspondent respectivement aux plans d’existence sensuels terrestres, aux plans d’existence sen- 190 www.kalyanamitra.org

le Dhammakāya. Il est alors possible d’orienter sa méditation vers le discernement (vipassanā*). Par conséquent, aucune étape n’exige de pratiquer la concentration sur la respiration. 4) Maintenir en permanence l’esprit au centre du corps Même lorsque vous en avez terminé avec votre médi- tation assise formelle, continuez à maintenir votre esprit au centre de votre corps. Peu importe que vous vous teniez debout, que vous marchiez, que vous soyez assis ou couché, ne laissez pas votre esprit s’écarter du centre de votre corps. Continuez à répéter en vous-même le manta « sammā arahaṃ » tout en visualisant la sphère de cristal au centre de votre corps. 5) Déplacer tous les objets apparaissant dans l’esprit vers le centre du corps Quoi qui puisse apparaître dans l’esprit, déplacez-le (doucement) vers le centre de votre corps. Si l’objet disparaît, inutile de le rechercher tout autour. Conti- nuez à maintenir votre attention au centre du corps en répétant le manta. De fait, lorsque l’esprit deviendra plus paisible, un nouvel objet apparaîtra. suels célestes, aux plans d’existence des devā avec forme et aux plans d’existence des devā sans forme. Ils permettent d’y accéder durant la méditation et éventuellement d’y sé- journer à l’occasion d’une renaissance. 191 www.kalyanamitra.org

La méditation de base résumée ici mène à un approfondissement du bien être. Celui qui ne cesse de pratiquer, qui cultive une méditation régulière et qui accède à la « sphère du Dhamma », doit essayer de maintenir cette sphère au centre de son corps pour le reste de son existence, tout en menant une vie ver- tueuse. Cette pratique constitue un refuge pour la vie et ap- porte le bonheur, dans l’existence présente comme dans son au-delà. Khun Yay 192 www.kalyanamitra.org

Résumé des bienfaits de la méditation 1) Bienfaits personnels pour le méditant L’esprit : l’esprit se sent à l’aise ; il est calme et apai- sé. La mémoire s’améliore. La personnalité : la confiance en soi augmente. Le calme devient apparent. L’irritation diminue, laissant la place à un sentiment de gentillesse envers les au- tres. La vie quotidienne : du fait de l’absence de stress, la vie quotidienne s’améliore. Le travail ou les études sont couronnées de succès. Le méditant jouit d’une meilleure santé, tant mentale que physique. Ethique et prise de décision : chaque situation don- née est éclairée par une compréhension juste de ce qui est bien et de ce qui est mal. Les décisions importan- tes ne suscitent plus d’inquiétude, le méditant com- prenant mieux les résultats de ses actes. Le méditant peut éviter les actions et les décisions négatives ; il est satisfait et confiant à propos de ses choix. 2) Bienfaits pour la famille du méditant La paix et le succès : la vie de famille devient plus harmonieuse, du fait de l’accroissement du respect mutuel et de la considération entre les membres de la famille. Les parents sont plus aptes à diriger leur fa- mille avec succès. 193 www.kalyanamitra.org

Coopération : les membres de la famille sont plus nombreux à honorer leurs obligations et à coopérer pour résoudre les problèmes communs. 3) Bienfaits pour la société Une société paisible : les problèmes sociaux les plus graves trouvent leur origine dans des états d’esprit troublés. Si chacun apprenait à méditer et à vivre pai- siblement, les problèmes « endémiques » comme le crime et la toxicomanie diminueraient. Respect : le respect envers les autres augmente sim- plement grâce à la pratique régulière de la méditation et à l’application des préceptes moraux. L’honnêteté fait naturellement baisser la suspicion. Une société à visage humain : le calme de la vie quo- tidienne résultant de la méditation peut être partagé et largement répandu autour de soi grâce au travail so- cial. 4) Bienfaits spirituels La compréhension de l’éternité : chacun, qu’il ait ou non une foi personnelle, peut approfondir sa propre spiritualité à travers la méditation. Les fidèles de tou- tes les religions, par la pratique de la méditation, peu- vent explorer en profondeur leur propre croyance, et en particulier comprendre ce qu’ils conçoivent comme étant « l’éternité ». L’inspiration : le méditant, en réalisant le profond bonheur qui peut être acquis par la méditation, trouve de nouvelles sources d’inspiration dans sa propre tra- dition spirituelle. 194 www.kalyanamitra.org

Glossaire Abhidhamma : cf. Tipiṭaka Adhamma : cf. dhamma Arahā L’ultime stade de la progression spirituelle. L’arahā, ayant mis fin aux āsavā, cesse de renaître au sein du saṃsāra* et atteint le nibbāna. Āsavā Au temps du Bouddha, āsava désignait l’alcool issu de la fermentation, qui provoque l’ivresse et fausse ainsi la vision de la réalité*. Le Bouddha employait cette métaphore pour parler des tendances, habitudes et illusions nées de « fermentations mentales » dont il faut se déprendre si l’on veut appréhender la réalité. Les āsavā sont au nombre de trois ou quatre selon les textes : l’ignorance (avijjā), le devenir (bhava), les désirs (kāmā) et les opinions erronées (diṭṭhī). Association avec des sages : cf. Kalyāṇamittatā Āyatanā (douze) Les cinq sens et la pensée plus leurs objets externes respectifs (les formes, les sons, les odeurs, les sa- veurs, les objets tangibles, les idées). Bhāvanā La culture mentale, la méditation. L’une des trois pra- tiques du bouddhiste, les deux autres étant la pratique du don (dāna) et celle de la morale (sīla). 195 www.kalyanamitra.org

Les divers objets et méthodes de méditation exposés par le Bouddha se répartissent entre deux systèmes complémentaires. L’un est consacré au développe- ment de la sérénité (samatha*) et de la concentration (samādhi*), l’autre est consacré au développement du discernement (vipassanā*), aussi appelé développe- ment de la sagesse (paññā). Bienveillance : cf. Mettā Bodhi « L’Eveil », la connaissance suprême d’un bouddha. Bouddha signifie « l’Eveillé ». Catumahārājika Les « Quatre grands souverains gardiens », plan d’existence situé juste au dessus de celui des humains. Communauté : cf. Saṅgha Compassion : cf. Karuṇā Concentration : cf. Bhāvanā Corps astral : Cf. 3) page 190 et note n°116 Corps d’illumination : cf. Dhammakāya Culture mentale : cf. Bhāvanā Dāna La pratique du don. L’une des trois pratiques du bouddhiste, les deux autres étant la pratique de la mo- rale (sīla) et celle de la méditation (bhāvanā). Degrés d’accomplissement Les disciples du Bouddha sont répartis en quatre caté- gories ; chacune correspond à un degré de réalisation 196 www.kalyanamitra.org

spirituelle, mesurable par le nombre de renaissances restant à subir : 1) l’être « entré dans le courant » (sotāpatti), qui ne peut renaître ensuite plus de huit fois ; 2) « celui qui revient une fois » (sakadāgāmī) ; 3) « celui qui ne revient plus » (anāgāmī) 4) l’arahā. Dhamma (Dharma en sanskrit) Le mot provient de la racine dhṛ : « ce qui maintient » ; il fait par conséquent d’abord référence à ce qui structure le monde, c'est-à- dire aux lois naturelles. Il fait ensuite référence à la doctrine du Bouddha, en tant qu’elle rend compte du jeu des choses, de la réalité, de la vérité* et enseigne la meilleure façon d’en tirer parti. De fait, le dham- ma, le Dhamma du Bouddha, la réalité et la vérité sont synonymes. On trouve fréquemment le couple dhamma / adhamma : la vraie doctrine / la fausse doctrine ; ou plus généralement la conduite spirituel- lement profitable / non profitable. Dhammakāya « Le corps du Dhamma ». Au sens premier, le corpus des enseignements du Bouddha. Au sens profond, la transmutation du corps par le Dhamma, la voie d’accès à la réalité ultime*. Au sens technique, le « corps d’illumination » ou « corps de Bouddha » (Cf. 3) page 190 et note n°116) et l’état méditatif (go- trabhū*) permettant d’y demeurer. Au sens général, la tradition prônant cette méthode de méditation. Nous utilisons l’expression « le Dhammakāya » pour parler du « corps d’illumination » et l’expression « Dhammakāya » pour tous les autres aspects. 197 www.kalyanamitra.org

Dhātū Ici, les « dix-huit éléments » sont les six sens (cinq plus la pensée), leurs objets respectifs et les conscien- ces correspondantes. Discernement : cf. Vipassanā Discipline : cf. Vinaya Don, donation : cf. Dāna Dukkha « La souffrance ». Notion très riche qui renvoie à tou- tes les formes de souffrance : la souffrance ordinaire, physique et psychique ; la souffrance due au change- ment, physique et psychique ; la souffrance due à la nature conditionnée de toute chose ; la conscience de ces souffrances. Cf. Quatre nobles vérités. Ecritures : cf. Tipiṭaka Enfers : cf. Plans d’existence Entrée dans le courant : cf. Degrés Eveil : cf. Bodhi Faculté de voir et connaître : cf. Vipassanā Fermentations mentales : cf. Āsavā Générosité : cf. Dāna Gotrabhū Synomyme de jhāna, état de conscience raffiné issu de la pratique méditative. 198 www.kalyanamitra.org

Iddhi-vidhā « Les exploits du pouvoir », pouvoirs psychiques ac- cessibles à travers un degré élevé de méditation. Ces pouvoirs sont ainsi listés par les textes : étant un, de- venir plusieurs ; (se) rendre visible, (se) rendre invisi- ble ; passer à travers la matière ; plonger dans la terre comme si c’était de l’eau ; marcher sur l’eau comme si c’était de la terre ; se déplacer dans l’espace comme sur terre ; atteindre d’autres planètes ; accéder aux mondes des Brahmā par l’intermédiaire d’un double de soi-même ; raccourcir ou rallonger les distances ; multiplier ou réduire la nourriture ; en modifier le goût ; se métamorphoser. Impermanence : cf. Trois caractéristiques Indriyā Classification des facultés et phénomènes physiques et mentaux. Intention (ou volition) Ce qui sous tend l’action volontaire et alimente le kamma : « Ce que j’appelle kammā, ô moines, c’est la volition (cetanā) »117 Kalyāṇamittatā Amitié spirituelle. Permettant de recevoir des conseils avisés et de partager son expérience, cette condition est décrite par le Bouddha comme indispensable à la progression spirituelle. 117 Nibbedhika-sutta (S/AṄG VI/6/9/n°63) 199 www.kalyanamitra.org

Kamma (Karma en sanskrit). Il peut être ainsi défini : « action volontaire, consciemment acceptée, issue du corps, de la parole ou de la pensée », « action intentionnelle dans laquelle le résultat est inhérent », « impulsions qui résultent d’actions antérieures et qui produiront des effets en relation avec la continuité de l’existence ». Tous ces actes constituent un flux com- plexe qui imprime ses effets sur nos corps, nos pen- sées et nos nouvelles actions ; à leur tour, les actions que nous effectuons avec notre corps, notre langage et notre esprit produisent de nouvelles impulsions, qui déterminent la nature et la qualité de nos existences futures. Ce flux est en quelque sorte « notre énergie en devenir ». Les actes, au regard du kamma, peuvent être profitables (kusala), non profitables (akusala) ou sans incidence (avyākata). Karuṇā La compassion, faculté de ressentir la souffrance d’autrui. L’une des quatre méditations « illimitées » (appamaññā) reposant sur le développement sans limite de la bienveillance (mettā), de la compassion (karuṇā), de la joie bienveillante (muditā) et de l’équanimité (upekkhā*). Khandhā Les cinq agrégats qui forment l’être, c'est-à-dire la matière, les sensations, les perceptions, les formations mentales et la conscience. Kusala, akusala : cf. Kamma 200 www.kalyanamitra.org

Manta (Mantra en sanskrit) Mots ou formules répétés dou- cement ou en silence durant la méditation pour facili- ter la concentration de l’esprit. Māra Dans les textes bouddhiques, māra (étymologique- ment « celui qui fait mourir ») a plusieurs sens : le nom d’un deva (māra-deva-putta) ; le nom d’une catégorie entière de déités, les mārā ; la personnifica- tion de la mort (maccu-rāja, « le roi de la mort ») ; l’ensemble des plans d’existence soumis à la mort et à la renaissance (māra-dheyya, « le royaume de Māra ») ; une allégorie, la personnification de la tenta- tion extérieure comme du conflit intérieur, ses trois filles se prénommant Désir, Paresse et Luxure, et ses trois fils Confusion, Gaieté et Fierté. Méditation : cf. Bhāvanā Mérite : cf. Puñña Mettā La bienveillance, le sens de la gratitude et de la pa- tience. L’une des quatre méditations « illimitées ». Cf. Karuṇā. Neutre : cf. Upekkhā Nibbāna (Nirvāna en sanskrit). L'étymologie du terme nibbāna est une composition du préfixe ni, qui signifie « ab- sent », « loin de », « sans » et de la racine vā(ti), « souffler ». Cet ensemble a donc le sens de « souffler (une flamme) », « éteindre (un feu) » ; il est égale- 201 www.kalyanamitra.org

ment utilisé comme un terme médical signifiant la disparition de la fièvre ou de la souffrance. Pour les bouddhistes, le terme permet de désigner la libération issue de l’Eveil, le seul état inconditionné et permanent. Ce but ultime du bouddhisme peut se définir négati- vement : l’extinction du désir, l’extinction de l’aversion, l’extinction de l’égarement, la cessation, le non produit, le non conditionné, la non mort etc. Il peut également se définir positivement : la subtilité, la tranquillité, la sécurité, la constance, la pureté, la déli- vrance etc. Ce qui caractérise le mieux le nibbāna, c’est la libération du cycle des renaissances : « la ces- sation du devenir, c’est le nibbāna. »118 Nimitta Un élément important de la méditation de concentra- tion est le « signe » : nimitta désigne l’objet de la pratique, ici une boule lumineuse, tel qu’il est perçu directement, avec précision, sans déformation ni ajout conceptuel. On parle de « signe appris » (uggaha- nimitta) lorsque l’objet de la pratique apparaît dans le champ de la conscience aussi bien les yeux fermés que les yeux ouverts. Avec l’approfondissement de la concentration, le signe devient une réplique pure de l’objet, le « signe de contrepartie » (paṭibhāga- nimitta). Octuple connaissance supranormale Résume les acquis de l’arahā : 1) le discernement* ; 2) les « prouesses mentales » (manomaya iddhi) 118 Kosambi-sutta (S/SAṂ I/7/8/n°68) 202 www.kalyanamitra.org