Important Announcement
PubHTML5 Scheduled Server Maintenance on (GMT) Sunday, June 26th, 2:00 am - 8:00 am.
PubHTML5 site will be inoperative during the times indicated!

Home Explore 947 Khun Yay Chandra Khonnokyoung (1)

Description: 947 Khun Yay Chandra Khonnokyoung (1)

Search

Read the Text Version

que tu reviendrais ? Pourquoi nous quittes-tu pour être ordonnée ? » Khun Yay ne répondit pas et respecta un noble silence. Elle était de manière générale quel- qu’un qui parlait peu. Elle comprenait que ces repro- ches démontraient indirectement tout l’attachement que Khun Naï Lap avait à son égard. En prenant les purs préceptes d’une renonçante, il devenait pour elle beaucoup plus facile d’étudier le haut niveau de Dhamma qu’enseignait Luang Pou Wat Paknam. Sa recherche fondamentale concernait les cinq agrégats (khandhā)*, les douze sphères de la connaissance (āyatanā*), les dix-huit éléments (dhātū*), les vingt-deux facultés (indriyā*), les qua- tre nobles vérités* et les douze chaînons de la copro- duction conditionnelle (paṭicca-samuppāda*). Sans l’aide d’aucun livre, Khun Yay acquit cette masse de connaissance en voyant par elle-même les choses tel- les qu’elles sont. Plus elle pratiquait, plus sa connais- sance s’étendait. Elle découvrit ainsi de nombreux aspects de la sagesse, dont certains ne pourront être compris par tous que lorsque les temps appropriés seront venus. De manière bien réelle, sans avoir lu un seul mot, Khun Yay prenait progressivement place parmi les sages ayant atteint le plus haut niveau de connais- sance. 53 www.kalyanamitra.org

Luang Pou Wat Paknam 54 www.kalyanamitra.org

L’atelier de méditation Il existe dans ce monde des ascètes qui luttent afin de déraciner les fermentations mentales. Persévérant dans leur combat, écartant l’insouciance, ils mettent toutes leurs aptitudes au service de leur esprit et peuvent ainsi ac- quérir des pouvoirs psychiques*. Lorsque leur esprit est concentré, ils peuvent faire des prouesses paranormales : se dédoubler et se réunir, apparaître et disparaître à volonté, passer à travers les murs comme s’il s’agissait d’un espace vide, surgir du sol ou s’y plonger, surgir de l’eau ou y marcher comme sur la ter- re ferme, flotter dans l’air tel un oiseau, tou- cher les astres de leur propre main, se rendre dans les plans d’existence élevés avec leur corps physique.33 L’atelier de méditation34 était un vaste bâti- ment, traversé par une fine cloison qui le séparait en deux parties sur toute sa longueur. A cette époque, trente moines y méditaient d’un côté et trente renon- çantes, religieuses ou laïques de l’autre. Ceux qui 33 Sampasādanīya-sutta (S/DĪG III/5/n°159) 34 Rong-ngham (l’atelier)-tham-vijja (de la connaissance du Dhamma). 55 www.kalyanamitra.org

méditaient d’un côté ne pouvaient voir celles qui mé- ditaient de l’autre. La cloison était bien évidemment installée pour éviter que les hommes et les femmes ne puissent constituer une distraction mutuelle. Les moi- nes et les renonçantes n’avaient de manière générale aucun contact, se connaissant à peine. Luang Pou sié- geait du côté des moines. Un trou percé dans la cloi- son au niveau de la place occupée par Luang Pou permettait aux renonçantes de bénéficier des mêmes enseignements et instructions. Seul le profil de son visage pouvait être vu du côté des renonçantes. En temps normal, les méditants se succédaient en six périodes de quatre heures. Durant la seconde guerre mondiale, les périodes furent réduites à quatre, portant leur durée à six heures. La première équipe méditait de six heures du soir à minuit et la seconde de minuit à six heures du matin. La première équipe revenait méditer de six heures du matin à midi et la seconde de midi à six heures du soir. Les deux équipes se succé- daient ainsi permettant à la recherche méditative de se développer sans aucune interruption vingt-quatre heu- res sur vingt-quatre35. Khun Yay fut choisie comme responsable de l’équipe de nuit en raison de sa grande détermination mais également de sa bonne santé. Même si elle paraissait fragile, elle était très assidue dans tout ce qu’elle en- treprenait. Elle n’avait pas à méditer plus longtemps que les autres, mais une fois assise elle ne bougeait plus. Elle restait en posture assise comme si cela ne 35 L’équipe entrante commençait sa concentration avant de pénétrer dans la salle afin que la continuité soit parfaite. 56 www.kalyanamitra.org

devait jamais finir, en cessant définitivement de res- sentir quoi que ce soit en provenance de son corps. Elle ne percevait plus que son expérience intérieure. A la fin de sa période de six heures, ses condisciples s’empressaient de quitter la pièce, mais Khun Yay restait encore une bonne demi-heure pour entendre les instructions que Luang Pou allait donner à la nouvelle équipe. Elle méditait un peu avec celle-ci avant de se retirer. Après avoir quitté l’atelier, elle maintenait la subtilité méditative de son esprit en l’intégrant à ses tâches quotidiennes. A l’extérieur, son corps accomplissait toutes ses fonctions, mais, à l’intérieur, son esprit res- tait fermement concentré sur la sagesse. Lorsque le moment venait de se rendre à l’atelier, la plupart de ses condisciples attendaient le dernier moment mais Khun Yay se trouvait toujours sur place un quart d’heure avant le début de la session afin d’entendre les conclusions de Luang Pou, pour le cas où elle pourrait en tirer quelque instruction. C’est pour cette raison que l’on dit de Khun Yay qu’elle fut, de tous les disciples de Luang Pou, celle qui bénéficia du plus grand nombre d’enseignements. Elle ne laissa aucune connaissance méditative lui échapper. Elle sut com- ment chaque session avait fini ou avait commencé. A cette époque, l’exploration des plans d’existence paradisiaques ou infernaux faisait partie des exercices réguliers proposés par Luang Pou. Ceux à qui il était permis d’étudier ces sujets devaient être particulière- ment sérieux et motivés pour développer les aptitudes leur permettant de saisir la véritable profondeur des domaines qu’on leur demandait d’explorer. Si quel- 57 www.kalyanamitra.org

qu’un était insuffisamment attentif et concentré, Luang Pou le réprimandait de deux mots : « les brai- ses ! ». Les braises doivent en effet être tisonnées et constamment entretenues si l’on veut qu’elles puis- sent, au moment opportun, faire ressurgir le feu. De même, les méditants « braises » exigeaient, pour pro- gresser, une attention constante de Luang Pou. Khun Yay, elle, ne laissa jamais à Luang Pou, durant toute son existence, la moindre opportunité de lui faire ce type de reproche. Elle était comme le légendaire pur- sang des Ecritures bouddhistes36 qui apprenait sa le- çon à la simple vue du fouet subi par les autres che- vaux : il n’avait nul besoin d’être lui-même fouetté. Durant leurs recherches, Khun Yay Chandra et Khun Yay Thongsuk découvrirent une technique qui leur permettait de recueillir un indicible mérite en prati- quant le don* directement auprès du corps d’illumination du Bouddha au sein du nibbāna*. El- les initièrent de cette façon la tradition consistant à dédier leur nourriture aux bouddhas du passé, du pré- sent et du futur, sous la double forme d’une cérémo- nie mensuelle très formelle et d’une dédicace quoti- dienne avant chaque repas. Dans les faits, cette tradi- tion existait depuis bien longtemps en Thaïlande sous la forme très superficielle consistant à déposer sur un autel une offrande de nourriture dédiée au Bouddha. La pratique du don à travers la méditation, réinventée par Khun Yay et toujours en vigueur aujourd’hui, est devenue un signe distinctif de la tradition Dhammak- āya. 36 Patoda-sutta (S/AṄG IV/12/3/n°113) 58 www.kalyanamitra.org

Vint un jour où Khun Yay, comme tous les thaïlandais, dut se choisir un surnom. Les surnoms ne faisaient pas partie de la culture siamoise originelle mais venaient d’être introduits par le roi Rama VI37 comme une mesure de modernisation38 : une loi im- posait à chacun de se trouver un surnom. Peu de temps auparavant, des fidèles avaient offert à Luang Pou un éventail précieux fait de plumes de paon. Il était magnifique et Luang Pou l’apporta à l’atelier de méditation afin de l’attribuer à un disciple par tirage au sort. Il y avait durant cette période plus d’une centaine de pratiquants. L’éventail devait natu- rellement revenir au meilleur d’entre eux. Même si Luang Pou savait que Khun Yay était la plus méri- tante, il permit à chacun de tenter sa chance au tirage au sort ; un moyen pour chacun, en fait, de tester ses pouvoirs psychiques. Luang Pou formula en lui-même le vœu que l’ascète le plus accompli gagne ce prix. Khun Yay, de son côté, ressentait profondément que cet éventail devait lui revenir ; par sa méditation, elle fit en silence le vœu de recevoir l’éventail. Elle se présenta la dernière pour participer au tirage au sort : étrangement, le lot gagnant avait échappé à la totalité des personnes présentes dans l’atelier. Une fois qu’elle eût tirée son morceau de papier, elle dut le dérouler et le faire lire par quelqu’un (puisqu’elle ne savait pas lire). Elle avait gagné cette petite compéti- tion par la seule force de ses pouvoirs psychiques. 37 Mahavajiravudh (R.1910-1925) 38 Une mesure destinée à compenser la longueur et la com- plexité de nombreux noms de familles ! 59 www.kalyanamitra.org

L’éventail, cependant, ne resta pas bien longtemps entre ses mains parce que Khun Yay Thongsuk vint lui demander, non pour elle-même… mais pour don- ner à Khun Yay Chandra l’occasion d’une action mé- ritoire. Khun Yay était bien plus intéressée par une action méritoire que par la possession d’un éventail, si magnifique soit-il ; elle le remit donc fièrement à celle qui lui avait tant appris. Ce don n’était pas motivé par le seul fait que Khun Yay Thongsuk avait été son en- seignante ; si quiconque était venu lui demander quel- que chose qu’elle possédait, elle l’aurait donné sans l’ombre d’un regret. Elle préférait donner qu’accaparer. Elle ne prêtait aucune attention aux richesses du monde, toute entière concentrée sur la richesse de la vie intérieure, sur l’atteinte du Dham- ma. Elle ne garda de cet épisode que le surnom qu’elle adopta, l’expression thaïe pour « plume de paon », Khon-nok-young. Tous, y compris Luang Pou, savaient que les affaires mondaines étaient le dernier des centres d’intérêt de Khun Yay ; un jour, le Maître la testa avec une nou- velle sorte de questions ; alors qu’elle était en pleine méditation, profondément concentrée sur un sujet important, il lui demanda soudain : « qu’est-ce qu’un poisson salé39 a donc de si bon ? » Khun Yay garda un silence étonné ; elle ne savait que répondre à une telle question. Luang Pou l’avait habituée à des ques- tions de haute métaphysique ; de ce fait, une interro- gation sur les vertus du poisson salé ne l’inspirait guère ! En général, elle mangeait la nourriture qu’on 39 Pla salit 60 www.kalyanamitra.org

lui présentait sans même se poser la question de sa- voir si elle avait bon goût ou non. Elle ne mangeait que pour satisfaire son estomac, pour continuer à vi- vre et acquérir une force suffisante pour méditer. Ja- mais elle n’avait réfléchi à la raison pour laquelle le poisson salé pouvait être considéré comme appétis- sant. Les méditants du Wat Paknam suivaient stric- tement les directives de Luang Pou. Ses disciples étaient si inspirés qu’ils permettaient à la tradition Dhammakāya de se répandre progressivement dans la quasi-totalité des provinces thaïlandaises. Des ascètes sélectionnées, comme Khun Yay Thongsuk et Khun Yay Thean Thirawat, se virent remettre une petite somme d’argent par Luang Pou et confier la mission de partir prêcher dans plus de dix-huit provinces, cer- taines aussi éloignées que l’était alors Chiang Mai. Telle ne fut pas la voie de Khun Yay. Elle ne quitta jamais le temple pour une destination lointaine. Son unique tâche consista à méditer, nuit et jour, sans in- terruption. D’autres renonçantes quittaient de temps à autre le temple pour faire des visites et rencontrer des amis, mais Khun Yay n’avait ni argent, ni amis, ni aucune famille vivant à Bangkok. Elle n’avait rien ni personne pour la distraire de la méditation. Elle consacrait par conséquent chacun de ses jours à la culture mentale, ne manquant jamais une seule ses- sion. Un jour, pourtant, quelqu’un invita Khun Yay, de l’autre côté du fleuve, dans le centre de Bangkok. Elle alla demander à Luang Pou la permission de s’y rendre ; mais celui-ci ne se montra guère enthou- 61 www.kalyanamitra.org

siaste : il craignait qu’elle ne rencontre en chemin des circonstances qui pourraient perturber la permanente subtilité de son esprit. Il ne lui donna pas sa permis- sion et se contenta de lui répondre : « de manière gé- nérale, si vous désirez quelque chose, visualisez cette chose au centre de votre corps ». Elle ne quitta donc pas le temple et imagina quelque chose au centre de son corps ; comme par miracle, le lendemain matin, un inconnu vint la rencontrer et lui offrit précisément ce qu’elle avait imaginé. En une autre occasion, lorsqu’arriva la saison des du- rians40, Khun Yay se prit à rêver secrètement du goût de ces fruits. Luang Pou sut ce qu’elle avait en tête et lui dit : « si c’est d’un durian que vous rêvez, vous le trouverez au centre de votre corps ; si c’est ce que vous désirez manger, vous n’avez qu’à l’imaginer au centre de votre corps. » Elle s’efforça d’imaginer un durian au centre de son corps et, de nouveau, le matin suivant, quelqu’un qu’elle n’avait jamais vu aupara- vant vint offrir un durian à chaque membre de la congrégation. Cela confirma ce qu’elle savait : tout succès dans cette vie peut être obtenu en passant par le centre du corps. Si l’esprit de quelqu’un est parfai- tement concentré en ce point du corps, la réussite peut être aisément obtenue sans avoir besoin de s’adresser à quelqu’un ou de se rendre quelque part. Malgré son jeune âge, Khun Yay pratiquait sérieuse- ment, comme une ancienne, toujours à la limite de la 40 Fruit tropical très prisé des thaïs, d’une consistance et d’une odeur… déconcertantes. Sa taille peut atteindre 40 cm de circonférence et son poids 5 kg. 62 www.kalyanamitra.org

prouesse méditative. Et elle n’était jamais bien loin de Luang Pou au cas où celui-ci l’appellerait. Non seulement elle atteignait un degré de réalisation inégalé, mais elle restait, dans sa vie de tous les jours, quelqu’un qui se satisfaisait de peu. Elle ne recher- chait la possession de quoi que ce soit. Elle n’était pas d’une nature grégaire. Son approche éminemment simple du monde permettait à son esprit de rester calme en permanence, plongé nuit et jour dans le Dhamma. C’est pour toutes ces raisons que Luang Pou lui donnait toute sa confiance. C’est à elle qu’il confiait la garde des précieuses boules de cristal utili- sées pour la recherche méditative41. Elle se consacrait entièrement à toute tâche mentale que lui confiait Luang Pou et ne laissait personne la distraire de son objectif. Luang Pou lui avait demandé de trouver le lieu de renaissance de si nombreuses personnes qu’elle était en ce domaine incroyablement précise. S’il lui arrivait de se tromper, elle ne commettait jamais plus la même erreur. Même si les imprécisions étaient tolérées par- mi les membres de l’atelier de méditation, Khun Yay ne se contentait pas du niveau des autres. Il n’était donc pas étonnant que tous la considèrent comme la plus accomplie des disciples. Quelle que soit la ques- tion posée ou la tâche demandée par Luang Pou, Khun Yay s’en acquittait aisément. Rien de ce que lui 41 Afin de favoriser la visualisation d’une boule de cristal au centre de son corps, il est possible de commencer sa médita- tion par la contemplation d’une véritable boule de cristal. Les textes appellent kasiṇa ce type de support. 63 www.kalyanamitra.org

imposait Luang Pou n’était en dehors de ses capacités. Si on lui demandait le lieu de renaissance d’un défunt, elle pouvait répondre. Elle était capable de mesurer la quantité de mérites qu’une personne avait accumulée. Elle pouvait lire dans le passé comme dans le futur.42 Ce sont cette attention de tous les instants et cette dévotion au Maître qui conduisirent Luang Pou, devant toute la congrégation, à prononcer cette louan- ge célèbre : « ma fille Chandra est la première ; elle est sans égale ». Ce fut un compliment que Luang Pou ne prononça qu’une seule fois durant toute sa vie. La communauté du Wat Paknam autour de Luang Pou 42 Pour le bouddhisme, le futur n’est pas « écrit » à l’avance et la divination est donc impossible. En revanche, la com- préhension profonde de la loi du kamma* peut donner une idée assez précise du futur des êtres en fonction de leurs actes passés et présents. 64 www.kalyanamitra.org

Une guerre bien réelle Iddhivisayo nāma acinteyyo43 Le domaine des pouvoirs psychiques, en vérité, est inconcevable pour la pensée conceptuelle. Ceux qui possèdent des pouvoirs psychiques paranormaux sont ceux dont l’esprit est à la fois apai- sé et libéré de la pensée conceptuelle. Un tel esprit est capable d’appréhender immédiatement44 ce que sont les plans d’existence paradisiaques ou infernaux, et même le nibbāna*. Il est impossible, pour toute per- sonne encore plongée dans le monde, de comprendre et de mesurer l’immensité des capacités des ascètes maîtrisant les pouvoirs psychiques. Une fois pleine- ment concentré et apaisé, le pouvoir de l’esprit est quasiment sans limite. Il n’est donc pas surprenant que les Ecritures bouddhistes décrivent un si grand nombre de faits paranormaux produits par des ascètes ayant entraîné leur esprit à atteindre une extrême pu- reté. Cette capacité de produire des phénomènes para- normaux n’est pas l’apanage des seuls moines et non- nes ; il est également à la portée des disciples laïques 43 Upālisutta-vaṇṇanā (S/MAJ V/1/6/n°65) 44 C'est-à-dire sans passer par des réflexions et des concepts. 65 www.kalyanamitra.org

ayant maîtrisé leur esprit à un même degré. La renon- çante Visākhā45, « entrée dans le courant »* depuis l’âge de sept ans, avait ainsi acquis une force physi- que décrite comme « dépassant celle de cinq élé- phants ». La disciple laïque Mātikamātā46 était, elle, capable de lire dans l’esprit d’autrui, de se souvenir de ses propres vies antérieures et de rechercher celles des autres. Tout cela relève de pouvoirs mentaux qui ne sont que des effets secondaires47 d’un long déve- loppement de la pratique de la méditation. Une fois atteinte la maîtrise parfaite de son propre esprit, il devient possible de contrôler toutes choses, qu’il s’agisse d’objets mentaux, de notre corps ou de notre environnement. Tout peut réellement passer sous no- tre contrôle. Ainsi, lorsque l’esprit est devenu infini- ment subtil et léger, le corps physique peut devenir tout aussi subtil et léger, permettant au méditant de flotter dans l’air. Khun Yay n’était donc pas une exception : sa pratique assidue et continue de la méditation conférait à son esprit une subtilité quasi permanente, ce qui lui don- nait la capacité de réaliser des actes paranormaux. Khun Yay pratiquait la méditation sous la direction de Luang Pou depuis deux années lorsqu’éclata la se- conde guerre mondiale. Durant cette période, Bang- kok fut occupée par plus d’un million de soldats des 45 Visākhā-vatthu (S/KHU XXIII/4/8) 46 Aññatarabhikkhu-vatthu (S/KHU XXIII/3/2/n°34) 47 L’ascète bouddhiste ne recherche pas ces pouvoirs pour eux-mêmes ; ils sont accessibles au stade du quatrième de- gré de réalisation méditative (jhāna), qui n’est d’ailleurs pas le plus élevé. 66 www.kalyanamitra.org

armées de l’Axe. La Thaïlande devint un gigantesque camp militaire utilisé par l’Axe comme base arrière dans ses offensives contre la Birmanie et l’Inde. Pour cette raison, les forces des Alliés bombardaient sans cesse Bangkok. Malgré ces bombardements, Luang Pou refusa d’évacuer le Wat Paknam Bhasicharoen. Il disait que si le pire devait advenir il mourrait dans son temple. Bien plus, il intensifia son activité en accueil- lant toujours plus de visiteurs. Le Wat Paknam était situé à un jet de pierre de l’écluse séparant le canal de Bhasicharoen du grand canal de Bangkok48. Ce nœud de communication, d’une importance stratégique, était une cible privilé- giée des bombardiers. Luang Pou avait une confiance absolue dans la puissance de Dhammakāya et consi- dérait que celle-ci mettait le Wat Paknam et sa congrégation à l’abri des bombes. La confiance de Luang Pou était justifiée puisque, dans les faits, ni le wat, ni les écluses adjacentes ne subirent de domma- ges. Cette réputation de sécurité provoqua une forte augmentation de l’affluence au sein du temple durant les périodes de bombardement. Les gens croyaient que Luang Pou possédait une sorte de pouvoir magi- que contre les bombes et lorsque les sirènes retentis- saient, les habitants de Bhasicharoen se hâtaient de rejoindre non pas à un abri anti-aérien… mais tout simplement l’enceinte du temple. Luang Pou demandait aux méditants de rechercher l’heure des bombardements. Il leur demandait : « à 48 La moitié ouest de la capitale thaïlandaise est toute en- tière bâtie sur un réseau de canaux, les klong. Pak nam si- gnifie « embouchure ». 67 www.kalyanamitra.org

quelle heure lâcheront-ils leurs bombes au- jourd’hui ? ». Une fois cette heure connue, lorsque commençaient à se faire entendre les lointaines explo- sions des bombes, il restait immobile et demandait aux méditants : « allez intercepter ces bombes qui pourraient blesser quelqu’un et déviez-les vers la mer ou vers des zones inhabitées !» Luang Pou mettait ses disciples tout à la fois au ser- vice de son pays et de l’humanité, sans prendre parti. Il méditait pour mettre fin à ce conflit et pour restau- rer la paix. Il demandait aux méditants de rendre leur esprit toujours plus subtil afin de pouvoir utiliser le pouvoir de Dhammakāya pour surmonter les diffi- cultés. Il utilisait des pouvoirs dérivés de la médita- tion pour provoquer chez les pilotes de bombardiers l’illusion que la ville était une forêt ou un bras de mer ne méritant aucun largage de bombes ; à l’inverse, les forêts alentours et la mer prenaient l’image de la ville et les pilotes y larguaient leur cargaison sans dom- mage. En 1941, plusieurs quotidiens de Bangkok consacrè- rent leur une aux « miracles » accomplis par le Wat Paknam. Un incident particulier, qui stupéfia la pres- se49, se produisit lors d’un bombardement qui visait le grand pont Rama Ier. Le Wat Paknam est situé à une très courte distance du pont. Ce jour-là, les habitants qui fixaient le ciel furent surpris de voir une multitude de renonçantes du Wat Paknam flottant dans l’air, interceptant les bombes qui venaient d’être larguées et 49 Par exemple le journal Vipassana Banteungsarn 68 www.kalyanamitra.org

les contraignant de leurs mains nues50 à tomber dans le fleuve ou dans les zones inhabitées. Tant de gens virent de leurs propres yeux les efforts héroïques des renonçantes que la renommée des miracles de Luang Pou Wat Paknam se répandit partout. Tout le monde put voir les efforts bien concrets du Vénérable pour réduire le bain de sang et encourager l’harmonie entre les êtres humains. Pour la plupart des gens, il aurait été bien dif- ficile, avec une telle pression, de passer la guerre à méditer durant de longues heures. Cette tension géné- rale affectait la santé de toute personne normalement constituée. Mais, pour Khun Yay, ces années de guer- re n’avaient rien de particulier. Khun Yay ne craignait pas les bombardements. Malgré le chaos généralisé, elle ne manqua pas la moindre seconde de recherche méditative. Elle savourait uniquement et simplement la chance qu’elle avait de pouvoir améliorer encore sa maîtrise de la connaissance née de Dhammakāya. A cause de la pénurie de tissus, la plupart des renonçan- tes étaient vêtues de lambeaux. La nourriture était devenue insuffisante. La région subissait des inonda- tions provoquées par la destruction des digues. Mais Khun Yay ne laissa jamais rien perturber sa médita- tion. Luang Pou Wat Paknam était, depuis long- temps, célèbre pour la compassion qu’il manifestait à l’égard des étrangers. Lorsqu’un étranger était près 50 C’est bien la méditation, en réalité, qui leur permet- tait de projeter leur image et de dévier les bombes. 69 www.kalyanamitra.org

d’atteindre Dhammakāya il ne cessait, durant des jours d’exprimer sa satisfaction. Luang Pou étendit cette même compassion à l’ensemble des habitants des nations engagées dans la guerre. Sans succomber à la haine ou à la tentation nationaliste alors si répan- dues, Luang Pou et ses méditants regardaient le mon- de avec impartialité. Ni le patriotisme, ni l’occupation de la Thaïlande ne les poussèrent à considérer un camp ou l’autre comme ennemi. Ils voyaient tous les êtres humains comme égaux et méditaient pour l’harmonie du monde et la fin des hostilités. La béné- diction qu’il donnait à tous ceux qui visitaient le tem- ple était que tous les êtres soient prospères, que le riz abonde dans les champs, que la pluie respecte le rythme des saisons et… que les hommes cessent enfin de se combattre. La plus grande contribution de Khun Yay à la protec- tion de la Thaïlande fut celle qui semble avoir permis d’écarter la menace d’un bombardement atomique. Peu de temps avant la fin de la guerre, un membre de l’atelier de méditation eut la vision d’un nouveau type d’arme, une bombe construite par les Alliés pour met- tre un terme à la guerre en Asie ; il eut également la vision qu’une telle bombe allait être larguée sur Bangkok. Il fut demandé à Khun Yay de voir quels dégâts ce type de bombe pourrait causer à la ville. Durant sa méditation, elle vit que la cité serait totale- ment rasée. Elle dit à Luang Pou que toute la popula- tion mourrait et que la ville serait aussi rase que la peau d’un tambour. Luang Pou ordonna au trésorier du temple de prendre tout l’argent liquide du temple et de partir aussi loin qu’il pourrait aller en sept jours. Luang Pou lui dit que si ses propres efforts étaient 70 www.kalyanamitra.org

couronnés de succès, il le saurait dans sept jours et pourrait revenir au temple en toute sécurité. Luang Pou n’en parla à personne d’autre. Il ferma de l’intérieur les portes de l’atelier de méditation, inter- disant à quiconque d’entrer ou de sortir. La nourriture et les boissons devraient être introduites dans la salle à travers la fente destinée au courrier. Quand les sirènes d’alerte retentissaient, certains mé- ditants étaient gagnés par la terreur et tentés de s’enfuir. Khun Yay, elle, n’était pas effrayée par les bombes et méditait sereinement. Suivant son exemple, l’atelier resta assis, méditant avec ferveur, dans le but de tenter de sauver le pays. Et de fait, pour une raison connue seulement de Luang Pou et de ses méditants, ni le bombardier ni la bombe n’arrivèrent à Bangkok. Les Alliés avaient soudainement changé d’avis et de destination51 ; peu surent que ce changement stratégi- que était le fruit de sept jours de méditation ininter- rompue derrière les portes closes d’un temple… A la fin de la Seconde guerre mondiale, bien que toute menace ait heureusement disparu, Khun Yay conserva la même ardeur dans sa méditation. Sa recherche progressait. Elle continua d’exceller dans sa connaissance profonde de la distinction des actes pro- fitables (kusala*), non profitables (akusala) et neu- tres (avyākata). Elle vit la bataille éternelle que se 51 Ces bombes furent finalement utilisées contre le Japon, à Hiroshima et Nagasaki, les 6 et 9 août 1945. 71 www.kalyanamitra.org

livrent le profitable et le non profitable52 et la façon dont cette tension affecte la vie des êtres. Elle condui- sit son esprit à une sérénité toujours plus parfaite afin de mieux « combattre Māra* ». Elle ne pensait à rien d’autre qu’à approfondir encore et encore sa médita- tion jusqu’à atteindre le point où l’on accède à la ré- alisation la plus aboutie du Dhamma53. Lorsqu’elle était en compagnie de ses plus proches disciples, Khun Yay leur confiait souvent : « je ne peux encore accéder au nibbāna ; je dois d’abord en finir avec les mārā.» Luang Pou Wat Paknam disait lui-même que l’origine de toute la souffrance des êtres est symbolisée par « Māra », que les obstacles rencontrés par celui qui tente d’accomplir un acte vertueux viennent de « Māra », que « Māra » est tout ce qui nous empêche d’accumuler les perfections* comme nous le souhaite- rions. Les Ecritures bouddhistes mentionnent fré- quemment « Māra » lorsqu’elles évoquent la lutte constante entre le profitable et le non profitable, entre le « bien » et le « mal », entre la vertu et l’absence de mérite, entre le côté obscur des choses et leur face claire, entre la connaissance et l’ignorance, entre la pureté et l’impureté. Ce combat-là se déroule sur tous les champs de bataille : ceux du corps, de l’esprit et du monde extérieur. Les deux contraires, dhamma* 52 Le bouddhisme ne parle pas de « bien » et de « mal » dans l’absolu, mais distingue ce qui contribue au progrès spirituel et ce qui lui nuit. 53 Tee sut haeng thamm : le point où toutes les fermenta- tions mentales sont éradiquées. 72 www.kalyanamitra.org

et adhamma, se partagent en permanence, à tous les niveaux, le contrôle de l’existence. Luang Pou ensei- gnait qu’aussi longtemps que l’on ne parvient pas à comprendre l’origine de la souffrance, à en éradiquer les racines, rien ne peut empêcher les êtres vivants de connaître la souffrance, et de l’infliger aux autres. Luang Pou connaissait tout cela par expérience, à tra- vers la méditation, grâce aux capacités que conférait l’atteinte de Dhammakāya ; c’est en suivant ce fil conducteur-là qu’il consacra sa vie entière à mener son esprit vers la sérénité. Luang Pou ne cessait de répéter que les guerres me- nées par les êtres humains ne sont jamais justes parce qu’« en vérité la haine n’est jamais apaisée par la hai- ne »54. Dans de tels conflits, les gens se trompent d’ennemi. Le seul véritable ennemi est « Māra », qui personnifie tout ce qui empoisonne l’esprit : la re- cherche du plaisir, le désir (lobha), l’aversion (dosa) et l’égarement (moha). Ce n’est qu’en cessant d’alimenter ces feux que la paix pourrait régner dans le monde. Même si ces comportements sont parfaite- ment visibles autour de nous, leur nature profonde n’est visible qu’avec l’œil de Dhammakāya. Plus la subtilité atteinte à travers la méditation est importante, plus l’on devient apte à identifier les poisons subsis- tant dans l’esprit, dans le corps ou dans la société. Telle est la source de la quête du Dhamma suprême. Ce n’est qu’en atteignant ce but que l’on peut arracher 54 Dhammapada (S/KHU II/1/n°5). La fin du verset est : « la haine est apaisée par l’absence de haine, c’est une loi éternelle ». 73 www.kalyanamitra.org

les racines de la souffrance. Tant que l’on n’a pas atteint ce but, on reste nécessairement « esclave de Māra ». C’est bien « Māra » qui conduit les gens à des pensées et à des conduites non profitables : pour ou- blier la vieillesse, la maladie et la mort, aspects les plus visibles de la souffrance, ils multiplient les com- portements illusoires ; ils sacrifient la nature et le cli- mat au point que plus la jamais la pluie ne tombe en suivant le rythme des saisons, entraînant la séche- resse, la récession de l’économie, la famine, les épi- démies, rendant la vie des peuples insupportable et les menant souvent à la guerre. C’est pour cela qu’il faut atteindre le Dhamma le plus élevé, pour « défaire Māra ». Tel était le but que poursuivait Khun Yay, nuit et jour, par sa recherche méditative. Telle était l’œuvre qu’elle espérait accomplir en l’espace d’une seule vie. Luang Pou Wat Paknam 74 www.kalyanamitra.org

La disparition du maître Sappuriso ca kho, bhikkhave, kataññū hoti katavedī. Sabbhi hetaṃ bhikkhave, upaññātaṃ yadidaṃ kataññutā kataveditā. Kevalā esā, bhikkhave, sappurisabhūmi yadidaṃ kataññutā kataveditā”ti55 Il est vertueux, ô moines, celui qui reconnaît ce qu’il doit aux autres et rembourse cette dette. Une telle personne est appréciée des hommes vertueux. Toutes les formes de reconnaissance, ô moines, sont à la base de la vertu. En 1954, Luang Pou avait réuni tous les disci- ples de son temple pour leur annoncer qu’il mourrait dans les cinq années à venir mais que tous devraient continuer à propager la méditation Dhammakāya à travers le monde, cette propagation étant importante, et même indispensable, pour l’humanité. Son principal souci à cette époque était que tous les travaux de construction soient achevés avant sa mort, que les moines puissent toujours se voir offrir une nourriture suffisante et que l’étude des Ecritures bouddhistes ne s’interrompe pas. Il appela tous les disciples à persévérer dans les actions qu’il avait ini- 55 Samacitta-vagga (S/AṄG II/1/4/n°33) 75 www.kalyanamitra.org

tiées. Il annonça que le temple ne tarderait pas à être agrandi, même si lui ne serait plus présent. Ses disci- ples le supplièrent de rester encore, mais il répondit qu’il devrait à coup sûr mourir.56 Tous surent alors que le fait d’appeler publiquement tous les fidèles à s’engager à prendre plus de responsabilités dans l’œuvre entreprise - la perpétuation et le développe- ment de la tradition Dhammakāya - témoignait de la profondeur de la préoccupation de Luang Pou. Luang Pou donna pour instruction à Khun Yay de ne pas quitter le temple et de continuer à y enseigner la connaissance de Dhammakāya dans l’attente de l’arrivée d’un moine qui puisse prendre la relève. Il lui déclara : « Chandra ! Ne vous hâtez pas de mou- rir ! N’abandonnez pas la vie d’enseignante pour vous retirer dans les forêts57 ! Après ma mort, les fidèles ne pourront se reposer que sur vous pour recevoir la connaissance de Dhammakāya et les maintenir dans le droit mais étroit chemin. Si vous n’êtes pas leur maî- tre, ils chuteront, victimes de Māra. » En 1957, l’état de santé de Luang Pou s’était aggravé. Il sut que son corps ne lui permettrait plus de vivre très longtemps. Même lorsque Luang Pou tomba très malade, son esprit resta empli du Dhamma et plongé 56 Les ascètes accomplis sont renommés pouvoir connaître le moment de leur mort mais également, si nécessaire, pou- voir le reculer un peu. Une annonce et une réponse identi- ques furent faites par le Bouddha (Mahāparinibbāna-sutta - S/DĪG II/3) qui estimait que sa tâche avait été accomplie. 57 Pour un ascète avancé, la tentation est en effet grande de se retirer en un lieu isolé pour se consacrer totalement et définitivement à la méditation. 76 www.kalyanamitra.org

dans la recherche méditative. Chaque soir, il deman- dait aux moines de venir méditer près de lui durant une ou deux heures. Khun Yay, en raison de sa condi- tion de femme, n’était pas autorisée à prendre soin de lui lorsqu’il était alité ; elle ne pouvait, à distance, que constater son état. Chaque soir, Luang Pou demandait à chacun de méditer. Jusqu’au dernier jour de sa vie il continua à enseigner la méditation. Juste avant de mourir, il exhorta ainsi ses disciples : « la durée de notre vie est trop courte. Nous ne pouvons vaincre Māra en l’espace d’une seule vie. Nous restons pri- sonniers de son étreinte. » Ces mots, bien évidem- ment, ne doivent pas être pris comme une mise en doute de la capacité de ses disciples à méditer ; il ne les accusait pas d’avoir échoué. Il voulait uniquement s’assurer qu’ils avaient bien conscience que leur tâche n’était pas aisée à achever et qu’ils ne devaient pas se reposer sur leurs lauriers tant que l’ultime but ne se- rait pas atteint. Avant de mourir, Luang Pou fit des prophéties à pro- pos du temple. Il annonça que le Wat Paknam devien- drait très célèbre et qu’un grand nombre de nouveaux disciples viendraient rejoindre la congrégation. Il demanda au renonçantes de ne pas procéder à sa crémation mais d’embaumer son corps. Non par vani- té, mais parce que son corps, conservé, continuerait à assurer la prospérité du temple : ceux qui viendraient en pèlerinage pour lui rendre hommage assureraient la subsistance de la congrégation. Dans la pièce où son corps reposerait, une cassette audio permettrait de diffuser en permanence son enseignement de la médi- 77 www.kalyanamitra.org

tation. Les visiteurs seraient ainsi incités à faire des dons pour la continuité du temple. Quelque chose avait changé depuis que Luang Pou était tombé sérieusement malade. Il n’avait plus le temps de diriger ses étudiants de l’atelier de médita- tion. Il n’avait plus le temps d’enseigner aux nou- veaux méditants. Sans l’implication personnelle de Luang Pou, l’éducation offerte par le temple dérivait lentement vers l’académisme aux dépens de la recher- che méditative. Dans les faits, à partir de cette époque, le Wat Paknam devint l’un des principaux centres d’étude des Ecritures bouddhistes. Au moment de la mort de Luang Pou, la plupart des grands méditants avaient déjà progressivement quitté le temple pour, dans la solitude, vivre pleinement leur méditation. Les seules personnes qui demeuraient encore dans le tem- ple étaient les renonçantes ; elles continuaient à prati- quer en suivant strictement les directives originelles de Luang Pou. Luang Pou Wat Paknam décéda le 3 février 1959 à l’âge de 73 ans. Ses dernières paroles furent : « continuez d’œuvrer comme si j’étais toujours vi- vant. Ne cessez jamais de méditer. Restez vertueux et continuez à aider les moines. » Malgré l’importance de la tâche accomplie durant sa longue existence mo- nastique, il n’y avait à ses côtés lors de ses derniers instants qu’une poignée de fidèles, principalement des renonçantes. Néanmoins, en se retirant dans des sites isolés, dans des ermitages forestiers, la grande majori- té de ses autres disciples lui rendaient hommage à leur manière en s’efforçant d’entretenir le haut degré de méditation auquel le Maître les avait menés. 78 www.kalyanamitra.org

Après la disparition de Luang Pou, Khun Yay Chandra resta au Wat Paknam et continua de vivre dans le même petit kuti58 qu’elle partageait avec Khun Yay Thongsuk. Jamais Khun Yay Chandra n’oublia que Khun Yay Thongsuk était à l’origine de la réus- site de sa quête du Dhamma ; elle la respectait et la tenait en très haute estime. Au Wat Paknam, elles restèrent toujours ensemble, comme une sœur aînée avec sa jeune sœur ou comme un maître avec son élè- ve. Du vivant de Luang Pou, la tâche de diffuser le Dhamma dans toutes les provinces de Thaïlande avait été confiée à Khun Yay Thongsuk. Elle voyageait très fréquemment loin du temple pour donner des ser- mons ; de ce fait, elle pouvait être coupée des travaux de l’atelier de méditation durant de longues périodes. Lorsque c’était le cas, Khun Yay Chandra se char- geait, dès son retour, de l’informer des progrès ac- complis. Cette étroite association avec Khun Yay Chandra permit à Khun Yay Thongsuk d’exceller tout à la fois dans la propagation du Dhamma et dans la recherche méditative. La connaissance de Dhammak- āya commença ainsi à prendre pied dans les provin- ces. Tant que sa santé lui permit, Khun Yay Thongsuk continua de sillonner le pays, enseignant la méditation à toutes les catégories de la population ; elle gagna ainsi des disciples dans toutes les régions de Thaï- lande. Mais c’est épuisée qu’elle revenait de ses péri- 58 Cabane sur pilotis (pour des raisons d’isolement, de salu- brité et de sécurité) servant de demeure et de lieu de médita- tion aux renonçants. 79 www.kalyanamitra.org

ples. Le temps qu’elle passait au Wat Paknam lui permettait de dissiper la fatigue des voyages ; Khun Yay Chandra l’aidait à profiter pleinement de ces pré- cieux moments. En échange d’une mise à jour de ses connaissances en matière de méditation, Khun Yay Thongsuk racontait à Khun Yay Chandra ses aventu- res lointaines. En 1960, peu de temps après la mort de Luang Pou, Khun Yay Thongsuk développa un terrible cancer de l’utérus. Lorsque ses symptômes croissaient, elle sé- journait à l’hôpital Siriraj59 ; lorsqu’ils s’apaisaient, elle était autorisée à retourner dans son kuti du Wat Paknam. Finalement, lorsque son état fut tel que les médecins de l’hôpital ne lui laissèrent plus aucun es- poir, elle regagna définitivement son kuti. Les symp- tômes de la phase terminale furent horribles. L’épreuve était si difficile à supporter que le nombre des volontaires qui se relayaient auprès d’elle se ré- duisit jusqu’à ce qu’il ne restât plus que Chandra. Celle-ci vit dans cette épreuve une occasion de payer avec gratitude sa dette envers son premier Maître. Elle devait laver à la main les vêtements et le linge de sa compagne ; elle devait la nourrir. Jamais elle ne fut démoralisée par cette lourde tâche et jamais elle ne montra la moindre répugnance devant les pénibles symptômes de la maladie. Elle écoutait patiemment les propos délirants qui échappaient à Khun Yay Thongsuk dans ses moments de forte fièvre. Les médecins avaient prescrit des mé- dicaments que la malade devait prendre à des mo- 59 Le plus ancien hôpital de la capitale, fondé en 1888. 80 www.kalyanamitra.org

ments précis, comme par exemple avant ou après les repas ; mais Khun Yay Thongsuk ne pouvait ou ne voulait parfois pas suivre ces prescriptions. Chandra devait donc faire usage de délicatesse et d’attention pour tenter de les lui faire ingurgiter au moment op- portun. Mais souvent, en voyant Chandra préparer les médicaments, elle criait, minée par la fièvre : « je ne veux plus de médicaments ; à quoi bon ? » Sentant que le moment était mal choisi, Chandra savait battre en retraite et attendre patiemment l’instant ou sa com- pagne lui donnerait une chance de soulager une infime partie de sa souffrance. Toutes deux savaient que le cancer était en phase terminale, mais cela ne diminua pas l’attention que Chandra portait à son enseignante. Lorsque le délire s’apaisait ou que la patiente était de meilleure composition, de nuit comme de jour, Khun Yay était présente à ses côtés, le flacon de médica- ment à la main. En ce temps-là, le cancer était un terrible mal. Aucune médecine n’était véritablement efficace contre la ma- ladie, ni contre les odeurs des tumeurs suppurantes qu’elle pouvait engendrer. Khun Yay devait nettoyer les pertes de sa compagne, laver son corps et ses vê- tements. Elle s’était procuré de l’huile parfumée pour aider à masquer les odeurs et préserver ainsi la dignité de Khun Yay Thongsuk lorsque ses disciples venaient de tout le pays pour lui rendre visite. Un jour, au sortir des toilettes, Khun Yay Thongsuk sourit de manière rassurante à Khun Yay Chandra, mais lui annonça d’une voix parfaitement claire : « le cancer a maintenant touché mes intestins ; je vais 81 www.kalyanamitra.org

mourir. Toi seule resteras avec moi. Les autres ne voudront pas être présentes. » Lorsque vint sa dernière heure, Khun Yay Thongsuk gisait, la tête sur les genoux de Khun Yay Chandra. Elles étaient effectivement seules. Même si son cancer n’avait jamais atteint un tel paroxysme, les yeux de la malade étaient alertes et ouverts. Elle annonça à Khun Yay Chandra : « mon heure est venue ; je peux voir des statues de Bouddha tout autour de moi60. » Son amie l’écouta avec calme, et lui répondit : « ma sœur, pénètre dans le nibbāna ! », de telles paroles ne pre- nant tout leur sens qu’entre des adeptes de la médita- tion. Et Khun Yay Thongsuk s’éteignit ainsi, paisi- blement, blottie contre Khun Yay Chandra. Khun Yay organisa une grande cérémonie pour son enseignante et sa sœur dans le Dhamma. Elle dura trois jours. Les récitations rituelles eurent lieu au Wat Paknam et la crémation au Wat Apsornsuwan, suivie d’une dispersion de ses cendres au fil du fleuve. Khun Yay était parvenue à se procurer le catafalque qui avait été celui d’une fille du roi Rama V ; la cérémo- nie fut donc à la fois élégante et parfaitement organi- sée. 60 A l’esprit de l’être qui va mourir se présente spontané- ment une image, un signe (nimitta*) représentant une voli- tion passée. Ce signe est généralement appelé gati-nimitta, « signe de destination », car il donne une indication sur l’état futur de renaissance. 82 www.kalyanamitra.org

Enseignante en titre Ye jhānapasutā dhīrā, nekkhammūpasame ratā Devāpi tesaṃ pihayanti, sambuddhānaṃ satīmata61 Les dieux eux-mêmes envient ceux qui pratiquent la méditation, avisés, satisfaits de la sérénité assurée par le renoncement au monde, ceux qui sont pleine- ment éveillés et concentrés. Après le décès de Khun Yay Thongsuk, Khun Yay Chandra continua de demeurer au Wat Paknam, emplie du devoir dicté par les derniers mots de Luang Pou. Pourtant, dix ans après la disparition de celui-ci, bien des gens considéraient toujours que Khun Yay ne pouvait être un excellent maître de méditation parce qu’elle ne s’exprimait pas autant, ni aussi bien, que Khun Yay Thongsuk. Mais Khun Yay avait confiance en elle-même et estimait que ses compétences en ma- tière de méditation pourraient être utiles aux autres. Elle n’avait reçu aucune formation en matière d’exposition du Dhamma* ; on ne lui avait enseigné que la méditation la plus profonde. Elle n’avait au- cune disposition pour les discours en public ; son aura d’enseignante ne provenait que de la force intérieure 61 Dhammapada (S/KHU II/14/n°181) 83 www.kalyanamitra.org

acquise à travers des années d’intense méditation. Elle avait une très forte personnalité. Assurée par sa propre expérience méditative de l’existence de Dhammakāya, elle n’usait jamais d’arguments sophistiqués pour susciter l’intérêt des autres envers la pratique de la méditation. Il lui suffisait de les amener à s’assurer eux-mêmes de la véracité de cette voie, par leur pro- pre expérience62. Elle leur disait : « méditez et vous comprendrez par vous-mêmes ! » Le caractère direct et ferme de ses paroles désarmait la critique et incitait les fidèles à venir et à revenir encore. Khun Yay ne souhaitant pas enseigner le bouddhisme, elle déléguait cette tâche aux derniers disciples formés par Khun Yay Thongsuk. Si quelqu’un lui demandait cependant de lui apprendre le bouddhisme… elle lui enseignait la méditation et l’incitait à méditer réguliè- rement. Elle ne s’engageait jamais dans une conversa- tion érudite. La pratique, éminemment supérieure aux discussions, était son maître mot. Lorsque ses disci- ples parvenaient à atteindre personnellement les sphè- res intérieures ou « corps intérieurs », ils commen- çaient à comprendre directement ce qu’est Dhammak- āya. Et beaucoup d’entre eux furent ainsi capables d’atteindre Dhammakāya. A cette époque Khun Yay vivait dans un kuti de bois qui, en principe, avait trois niveaux, mais était si mi- 62 L’une des principales qualités du Dhamma est celle d’être ehipassika, un adjectif formé à partir de l’invitation ehi !, « viens ! » et du verbe passati dont la polysémie convient parfaitement à l’invitation pratique du bouddhisme : « voir », « observer », « voir avec l’esprit », « connaître », « comprendre », « découvrir », « rencontrer »… 84 www.kalyanamitra.org

nuscule qu’il paraissait n’en avoir qu’un. C’est ce kuti qu’elle avait partagé avec Khun Yay Thongsuk. Les pilotis entre le sol et le premier niveau mesuraient à peine un mètre vingt, une hauteur suffisante pour ram- per ou s’asseoir, mais insuffisante pour se tenir de- bout. Le sol était pavé de planches de bois, toujours impeccables. C’est dans cet espace que des gens ve- naient méditer, que l’on surnommait du coup « ceux d’en bas ». Le premier niveau était le plus spacieux, si l’on peut dire, de cette construction. Contre un mur, on trouvait une table servant d’autel, avec une statue de Bouddha et, sur une seconde table, une photo de Khun Yay Thongsuk. De l’autre côté de la pièce vi- vait Khun Yay. C’est là qu’elle méditait, dormait, recevait ses visiteurs et qu’elle organisait une céré- monie d’offrandes au Bouddha, le premier dimanche du mois. A côté de l’endroit où elle s’asseyait pour recevoir ses visiteurs, on trouvait un petit meuble où elle rangeait quelques remèdes pour ceux qui venaient la voir pour des problèmes de santé ; les bouteilles y étaient rangées avec soin. Le second niveau était situé juste au dessus du premier, son plancher constituant le plafond du premier ; la hauteur de la petite pièce avait été calculée pour que l’on puisse s’y tenir debout, mais pas plus. Khun Yay se réveillait à quatre heures du matin pour méditer seule jusqu’à l’heure du petit déjeuner. Elle revenait ensuite vers les huit heures pour méditer de nouveau, cette fois-ci en compagnie de ses élèves. Que ceux-ci fussent nombreux ou pas, elle enseignait. Peu importait la qualité de la personne qui lui rendait visite, elle l’accueillait toujours avec la même phra- 85 www.kalyanamitra.org

se : « si vous n’avez rien d’urgent à faire, laissez de côté vos obligations, asseyez-vous et clarifiez votre esprit pendant quelques instants ; après, nous parle- rons. » Les visiteurs acceptaient bien volontiers de méditer. A cette époque, il s’agissait principalement de personnes dans la force de l’âge, qui avaient une vie de famille et des obligations professionnelles. For- te de ses trente ans d’expérience méditative, Khun Yay était une enseignante efficace : ceux de ses visi- teurs qui menaient une vie correcte* et avaient acquis une certaine expérience de la méditation sous la conduite de Luang Pou atteignaient immédiatement, avec elle, le stade de la clarté intérieure. Si certaines de ces personnes attendaient plus de Khun Yay, un conseil par exemple, elle leur parlait durant la médita- tion, pendant les dix dernières minutes de la session, tandis qu’elle et eux avaient encore les yeux clos. Les conseils, dispensés ainsi, touchaient plus profondé- ment les auditeurs dans la mesure où ils étaient perçus par un esprit rendu plus perceptif par la méditation. C’est ainsi que Khun Yay formait progressivement tous ceux qui s’adressaient à elle. Khun Yay avait sa propre façon de diffuser le Dham- ma. En dehors de l’enseignement qu’elle donnait aux fidèles intéressés par la méditation, elle était toujours disponible pour tenter de soulager les souffrances de ceux qui ne venaient la voir que pour un problème de vie quotidienne ou de santé. Nombreux étaient ceux qui venaient quérir l’aide de Khun Yay après que la médecine ait déclaré sans espoir l’état d’un de leurs enfants ou petits enfants. D’autres venaient afin qu’elle les aide à retrouver un proche disparu. 86 www.kalyanamitra.org

D’autres encore venaient dans l’espoir de partager le mérite* de cette rencontre avec un parent décédé. Khun Yay savait recevoir ses visiteurs d’une façon telle que même ceux qui venaient la voir sans inten- tion de méditer s’en retournaient chez eux avec une parcelle d’expérience méditative qu’ils pouvaient fai- re fructifier. Khun Yay utilisait sa connaissance de Dhammakāya avec un esprit empli de compassion pour tenter de soulager tous ses visiteurs, sans jamais faire de dis- tinction entre eux. Même ceux qui venaient à elle sans grand respect, ceux qui venaient « pour voir ». Visiter les plans d’existence paradisiaques ou infer- naux était quelque chose que Khun Yay pratiquait aisément ; se rendre dans les royaumes de l’après vie était pour elle aussi normal que de quitter son kuti pour se rendre à l’autre bout du temple. Confrontée aux questions de ses visiteurs sur le lieu de renais- sance de leur proche, elle ne faisait rien de spécial ; elle fermait les yeux quelques instants, méditait pour unifier sa pensée en elle-même avec le Dhammakāya, jusqu’à ce que sa faculté de « voir et savoir » puisse s’étendre aux trois Royaumes63, jusqu’à ce que les trente-et-un plans d’existence soient comme de sim- ples baies dans la paume de sa main. Fermer les yeux pour découvrir le lieu de renaissance d’un disparu était pour elle aussi simple que, pour tout un chacun, ouvrir les yeux pour trouver dans une pièce un objet disparu. 63 Les 3 grands domaines entre lesquelles sont répartis les 31 plans d’existence. Cf. note 18. 87 www.kalyanamitra.org

Si le défunt était tombé dans un enfer, elle ne ména- geait pas ceux qui l’interrogeaient : elle leur expli- quait quel kamma accumulé avait conduit le défunt à une telle renaissance et ce à quoi il devait s’attendre : « le défunt vit maintenant sur tel ou tel plan d’existence infernal et supporte tel ou tel type de souf- france » ou « bientôt, le défunt aura épuisé le kam- ma64 qui l’a mené dans cet enfer et il renaîtra sur un plan d’existence moins défavorable. » Lorsque ses visiteurs la remerciaient, Khun Yay leur répondait qu’il serait bien plus utile d’accomplir des actions profitables et d’en dédier le mérite à leur défunt ; et que, pour rendre ce transfert de mérite efficace, ils devaient purifier leur esprit en méditant un peu cha- que jour… De même, si elle aidait directement un défunt à quitter un enfer, c’était en lui enseignant la méditation et en l’avertissant que s’il ne continuait pas à purifier ainsi son esprit il retomberait là où il était auparavant plon- gé. Souvent, les visiteurs découvraient, étonnés, que Khun Yay en savait bien plus qu’eux-mêmes sur les actions négatives de leur défunt parent avec lequel ils avaient pourtant vécu toute leur existence ! Ils n’avaient en général voulu voir que ses bonnes ac- tions. Un couple vint un jour rencontrer Khun Yay pour la première fois. Après qu’ils l’eurent saluée avec res- 64 Aucun séjour dans un plan d’existence, humain, infernal ou paradisiaque, n’est éternel. Lorsque les effets du kamma qui ont produit cette renaissance s’estompent, le lieu de renaissance suivant est différent. 88 www.kalyanamitra.org

pect, elle entama directement la conversation avec eux de cette façon : « vous venez donc me voir pour ces- ser de parier sur les chevaux ? » L’homme parut stu- péfait et lorgna vers sa femme, imaginant qu’elle avait en cachette parlé de son vice à Khun Yay. La femme se défendit : « ne me regarde pas comme ça ! C’est la première fois que je viens ici ! » La voix de Khun Yay était neutre, comme si elle ne parlait de personne en particulier, comme si elle ne faisait que constater les choses. L’étrangeté venait du fait que ses remar- ques étaient toujours exactes, même si elles concer- naient des actes connus de son seul interlocuteur. Un autre couple vint solliciter l’aide de Khun Yay. La femme était institutrice à l’école du Wat Bovornives et fidèle disciple de Khun Yay. Le mari était égale- ment un homme bien, mais totalement obtu. Il ne croyait pas vraiment à la réalité d’autres plans d’existence favorables ou défavorables, ce qui ne l’empêchait d’ailleurs pas d’accomplir des actions méritoires, juste « au cas où… » Il faisait des récita- tions rituelles une heure par jour, parfois deux : si les enfers se révélaient finalement être une réalité, il au- rait au moins accompli tout ce qu’il fallait pour y échapper. Ce jour-là, il avait une étrange question à poser : « quelque chose d’étonnant m’est arrivé ; si vous le permettez, j’aimerais vous le raconter afin que vous me disiez si c’est ou non le fruit de mon imagi- nation ». Et il conta son histoire : « une nuit, j’étais allongé sur le balcon de notre maison de campagne ; le clair de lune était suffisant pour que distingue les choses clairement ; je vis soudain quelque chose qui ressemblait à une colonne de fumée monter entre les 89 www.kalyanamitra.org

lames disjointes du plancher du balcon et s’assembler en une image humaine de la taille d’un arbre ; l’apparition grimpa ensuite sur le sommet du toit. Je l’ai vue de mes propres yeux, mais je n’ai aucune idée de ce que c’était. Khun Yay, j’ai conté cette histoire dans une multitude de temples, et nulle part je n’ai reçu une explication satisfaisante. Soit les explications étaient émaillées de peut-être ou de probablement, soit elles suggéraient que j’avais trop d’imagination. » Tout en écoutant, Khun Yay avait fermé les yeux. Les fidèles assis à portée d’oreille du couple se deman- daient ce que Khun Yay allait répondre à la question un peu pressante du mari : « alors, Khun Yay, pou- vez-vous expliquer ce que j’ai vu ? » A peine avait-il reposé sa question que Khun Yay lui répondit : « ce que vous avez vu était un peta65, et ce peta était aupa- ravant l’un de vos parents. » L’homme jeta un regard courroucé à Khun Yay, protestant : « aucun de mes parents n’a pu renaître en tant que peta ! » Khun Yay ne réagit pas devant la puérilité de l’homme. Sans montrer aucun signe d’irritation, elle demeura calme- ment assise. Même s’il disait ne pas vouloir la croire, il ne pouvait écarter la possibilité qu’un de ses parents ait pu avoir une telle renaissance. Si Khun Yay ne semblait aucunement gênée de cette situation, les fidè- les qui l’entouraient étaient gênés pour elle et en vou- laient à cet homme du manque de considération dont il faisait preuve à l’égard de la renonçante - mi en colère et mi curieux de voir comment Khun Yay allait 65 Un esprit famélique, un fantôme, peuplant l’un des quatre plans d’existence défavorables. 90 www.kalyanamitra.org

gérer cette situation. Celle-ci expliqua calmement : « votre parent était intendant d’un temple mais dé- tournait des sommes à son profit ; c’est ce qui lui a valu, à sa mort, de reprendre naissance en tant que peta. » « Impossible, rajouta l’homme, aucun de mes parents n’a jamais été intendant d’un temple. Si vous êtes si sûre de vous, dîtes-moi donc le nom de ce pa- rent ! » Khun Yay ne releva pas l’insolence de son interlocuteur et lui répondit calmement : « il s’appelait Rasamee ». « Si son nom était Rasamee, il ne s’agit certainement pas de l’un de mes parents. Si c’était un parent, il aurait un nom meilleur que celui- là ! » Il joignit ses mains en signe de politesse, se leva et descendit du kuti. On ne le revit plus jusqu’à ce que tout le monde ait oublié cet incident. Des mois après, il revint voir Khun Yay et admit furtivement : « bien ; j’ai fait quelques recherches ; j’avais effectivement un parent nommé Rasamee et il était bien intendant d’un temple. Il est mort il y a très longtemps et je ne peux savoir s’il avait ou non puisé dans la caisse. Mais une chose est certaine, rien de ce que vous me direz ne pourra me convaincre de l’existence des petā ! » D’autres fidèles venaient interroger Khun Yay sur l’opportunité de subir une opération chirurgicale. A certains, elle répondait : « pour ce qui est de votre opération, vous pourriez guérir même sans y avoir recours ». Ils protestaient souvent qu’ils avaient déjà pris rendez-vous avec le chirurgien pour l’opération. Khun Yay leur répondait alors : « faites comme bon vous semble ; mais si vous devez subir cette opéra- tion, répétez le manta « sammā arahaṃ » le plus possible avant et durant celle-ci. » Une fois leur opé- 91 www.kalyanamitra.org

ration subie, bien des fidèles revinrent voir Khun Yay pour lui faire savoir que le chirurgien n’avait finale- ment rien trouvé d’anormal. Khun Yay se contentait alors de dire avec finesse : « c’est bien ! Cela vous a au moins servi à voir à quoi ressemble une opéra- tion ! » Khun Yay, pour soulager la souffrance de celles et ceux qui venaient chercher du réconfort auprès d’elle, utilisait la méthode que lui avait enseignée Luang Pou. Lorsqu’un malade venait la voir, s’il restait à celui-ci suffisamment de mérites accumulés pour res- ter en vie, elle était tout à fait capable de l’aider à re- trouver la santé. De ce fait, le flot de ses visiteurs semblait ne jamais devoir se tarir. Environ six mois après la mort de Khun Yay Thongsuk, un diseur de bonne aventure vint proposer à Khun Yay de lui lire les lignes de la main. « Vous allez avoir un grand nombre de disciples et vous serez un refuge pour des milliers de personnes », expliqua le devin, lui proposant une consultation gratuite. « Sottises ! », lui répondit Khun Yay, « je vis seule et je ne possède rien ; je n’ai aucun disciple ; je n’ai rien d’autre que ce petit kuti ». Pourtant, en réponse à une autre prédiction, celle de Luang Pou, une nouvelle génération de fidèles inté- ressés par la méditation prenait le chemin du Wat Paknam Bhasicharoen et s’en venait trouver Khun Yay dans son humble kuti. Khun Yay n’y attacha pas trop d’attention mais, se rappelant les mots de Luang Pou, elle commença à enseigner à ces groupes impor- tants en faisant de son mieux. Elle réalisa finalement que le chiromancien aussi avait vu juste. Au fil du 92 www.kalyanamitra.org

temps, elle reçut un nombre toujours grandissant de disciples, souvent si jeunes qu’ils auraient pu être ses petits enfants. Elle comprit que ce n’était que le tout début de ce que Luang Pou avait évoqué en lui disant qu’elle « apporterait la méditation au monde ». Elle réunit un petit groupe de méditants plus réguliers aux- quels elle enseignait dans son propre kuti. En 1961, à l’âge de cinquante-deux ans, Khun Yay devint souffrante. Lorsqu’elle tomba gravement ma- lade durant plusieurs mois, quelques uns de ses élè- ves, craignant le pire, rédigèrent sa biographie. Même si Khun Yay ne se considérait pas comme un « Maî- tre » de méditation, des articles lui furent alors consa- crés dans des livres de méditation et des magazines bouddhistes. Khun Yay Thongsuk demeurait naturel- lement plus connue que Khun Yay Chandra parce qu’elle avait largement diffusé ses connaissances à travers des sermons, exposant son expérience médita- tive de manière si détaillée et démontrant si bien la profondeur de sa compréhension métaphysique qu’elle avait gagné le respect des érudits bouddhistes - elle était pourtant, comme Khun Yay Chandra, illet- trée. Tandis que croissait le nombre de ses disciples, son kuti se faisait bien exigu. Il ne pouvait plus contenir tous ceux qui voulaient venir s’y asseoir pour méditer. Le groupe de ses méditants les plus assidus réunit la somme de cinquante huit mille baht qui permit la construction, dans l’enceinte du Wat Paknam, d’une maisonnette de deux niveaux dotée d’une cuisine, d’une salle de bain et d’un petit jardin. L’objectif était de disposer d’un lieu de méditation plus convenable ; 93 www.kalyanamitra.org

ce fut là le premier local du Dhammaprasit, le précur- seur de la Dhammakāya Foundation. Alors âgée de quatre-vingt-cinq ans, Khun Naï Liap continuait à fréquenter le Wat Paknam ; lors- qu’elle y rencontrait Khun Yay, elle ne pouvait s’empêcher de lui rappeler : « sœur Chandra, tu avais dit que tu reviendrais mais tu n’es pas revenue ! ». Pourtant, sur son lit de mort, elle demanda à une ser- vante de prier Khun Yay de venir l’assister dans ses derniers instants ; lorsque Khun Yay arriva, elle lui répéta son reproche favori : « tu avais dit que tu re- viendrais mais tu n’es pas revenue ! » Mais cela ne lui interdit pas de faire à Khun Yay un don très consé- quent pour son usage personnel. Quitte à décevoir son ancienne patronne, il n’avait jamais été dans l’intention de Khun Yay de rester une servante durant toute sa vie. Apprendre elle-même, puis enseigner à une nouvelle génération de méditants, transmettre le flambeau de la tradition à celui qui succéderait à Luang Pou, telle était sa mis- sion. 94 www.kalyanamitra.org

La formation d’un successeur Kāyasuciṃ vacīsuciṃ, cetosuciṃ anāsavaṃ Suciṃ soceyyasampannaṃ, āhu ninhātapāpakan”ti66 Ceux qui sont corrects dans leurs actes, dans leurs paroles et dans leurs pensées, ceux qui sont libérés des fermentations mentales, ceux-là seuls, ayant abandonné le mal, peuvent être appelés « purs » Il y avait un lycéen de l’Ecole Suan Kulark – l’un des meilleurs établissements de Bangkok – qui avait une soif insatiable de connaissance du boudd- hisme et de tout ce qui relevait du surnaturel. Des questions sans réponse occupaient tout son esprit : « pourquoi naissons-nous ? Quel est le sens de l’existence ? ». Il ne savait vers qui se tourner pour trouver de véritables réponses. Sympathique et socia- ble, il était très populaire parmi ses condisciples et tous le trouvaient bien de sa personne. Personne donc, n’aurait songé à se moquer de son penchant pour le bouddhisme et pour la méditation. Il s’appelait Chaiyaboun Sutthiphol. Il était grand, maigre et por- tait en permanence des lunettes noires afin de soulager une hyper sensibilité à la lumière. Les questions spiri- 66 Samacitta-vagga (S/AṄG III/12/9/n°122) 95 www.kalyanamitra.org

tuelles occupaient son esprit depuis l’âge de treize ans. Il avait découvert dans le magazine intitulé Vipassana Bangteungsarn les exploits de Khun Yay Thongsuk et Khun Yay Chandra durant la guerre. Le magazine avait même inséré des photos des deux renonçantes et de certaines de leurs compagnes, telle Kru67 Yanni. L’article racontait comment elles avaient détourné des bombes lâchées sur Bangkok. Le jeune étudiant esti- mait que si Khun Yay Chandra avait été capable de telles prouesses, répondre à ses questions existentiel- les ne devrait être pour elle qu’une formalité. Ainsi germa dans son esprit l’idée de lui rendre visite. Pour- tant, étrangement, bien que la maison dans laquelle il vivait à cette époque fût proche du Wat Paknam, il ne donna pas suite immédiatement à son désir. Trois années plus tard, à l’âge de dix-neuf ans, il se rendit enfin au Wat Paknam. A son arrivée, il ne sut pas trop où chercher Khun Yay. Tandis qu’il jetait un coup d’œil circulaire sur le temple, il aperçut une femme vêtue de blanc qui se tenait devant le petit bâtiment construit en mémoire de Khun Yay Thong- suk. Elle lui tournait le dos. Le jeune étudiant ne la connaissait pas ; et elle ne le connaissait pas non plus. Il n’avait aucun moyen de savoir qu’il s’agissait bien de la personne qu’il avait vue dans les magazines. Aussi, lors de cette première visite, bien qu’il se fût trouvé à quelques pas seulement de Khun Yay, il s’en retourna déçu. Très pris par ses études, il n’eut plus, 67 Kru est issu du terme indien gourou, désignant un maître spirituel. 96 www.kalyanamitra.org

avant longtemps, l’occasion de retourner au Wat Pak- nam Bhasicharoen. Ses questions demeurèrent donc sans réponse. Il commença des études supérieures en sciences éco- nomiques à l’université Kasetsart de Bangkok. Durant ses congés du mois d’octobre 1963, il décida de re- tourner au Wat Paknam pour tenter de nouveau de rencontrer Khun Yay. Sur place, il s’enquit d’une renonçante appelée « Mère Chandra », mais personne n’avait jamais entendu parler de quelqu’un appelé ainsi. Il rencontra cependant quelqu’un qui lui expli- qua qu’il n’y avait pas de « Mère Chandra » mais une enseignante prénommée Chandra. Il pensa qu’il devait s’agir de quelqu’un d’autre. Sa journée ne fut pas gâchée pour autant car un moine âgé l’aborda et lui suggéra d’aller étudier le Dhamma avec un moine nommé Ajahn68 Vira qui savait ensei- gner la méditation telle qu’il l’avait lui-même apprise de Luang Pou Wat Paknam. Ce moine, Phrabhavana- kosol Thera69 (Vira Gaṇuttamo) autorisa le jeune étu- diant à s’asseoir à côté du haut parleur qui permettait d’entendre ce qui se passait dans l’atelier de médita- tion. Les instructions qu’il entendait étaient, pour lui, hermétiques. Il comprit que l’on parlait d’alléger la souffrance humaine, la sécheresse et la famine ; de faire tomber les pluies conformément aux saisons ; de 68 Le titre d’Ajahn (Ajaan, Acharn) provient du pāli ācariya signifiant « enseignant » ; il est généralement porté en Thaï- lande par les moines de la Tradition de la Forêt ayant une ancienneté minimale de dix ans. 69 Le titre de Thera (« ancien ») est conféré aux moines ayant une certaine ancienneté d’ordination. 97 www.kalyanamitra.org

soigner des maladies. Au fond de lui, même s’il ne comprenait pas grand-chose, il se sentit intéressé par ce type d’instructions. Ce qui l’impressionna surtout, c’est lorsqu’il les entendit évoquer longuement les mārā. Le lendemain, le jeune étudiant revint au wat et s’assit de nouveau près du haut parleur. Il revint ainsi durant une quinzaine de jours. Mais il n’en avait pas pour autant mis de côté son désir de rencontrer Khun Yay. Il demanda à un autre jeune assis près de lui de le conduire auprès de l’enseignante nommée Chandra, espérant qu’elle et la renonçante des magazines ne faisaient qu’une seule et même personne. Il eut la chance, cette fois, d’être présenté à Khun Yay, sur les marches qui menaient au mausolée de Luang Pou. Khun Yay avait un aspect radieux et un visage sou- riant. Elle était alors âgée de cinquante-trois ans. Même si elle était maigre et peu imposante, elle avait dans les yeux une lueur qui la rendait différente. Elle avait des yeux, en effet, qui parlaient d’eux mêmes de compassion profonde, de détermination et d’accomplissement intérieur. L’étudiant reconnut immédiatement en elle la personne qu’il cherchait depuis si longtemps. Celle qui allait pouvoir apporter les réponses à toutes les questions qu’il portait en lui. Il voulut, ce jour-là, poser immédiatement ces ques- tions et obtenir des réponses. En particulier sur la fa- çon dont la renonçante avait pu détourner des bom- bes ! Malheureusement pour lui, Khun Yay avait déjà un rendez-vous. Elle se contenta de lui rendre son salut et de lui dire : « aujourd’hui, je suis très oc- cupée ; nous devrons reporter notre entretien à un 98 www.kalyanamitra.org

autre jour ; je dois maintenant assister à des funérail- les. » Ces quelques mots anodins de la part de Khun Yay suffirent à attiser les espoirs de l’étudiant. Il se propo- sa de revenir le lendemain et se rendit au temple de très bon matin, empli d’espérance. Depuis l’enfance il portait en lui tant de questions restées sans réponse ! Il avait pourtant multiplié les occasions d’obtenir des explications en visitant des temples renommés pour leurs enseignements, mais rien de ce qu’il y avait en- tendu n’avait pu le satisfaire. Le lendemain, Khun Yay lui répondit si clairement qu’il fut immédiatement convaincu de suivre ses en- seignements et de pratiquer le Dhamma avec elle. Chaque jour, à la fin des cours, il venait méditer en sa compagnie. La distance était grande entre l’université Kasetsart et le Wat Paknam ; il fallait en particulier traverser le fleuve Chao Phraya ; ce trajet lui prenait bien une heure et demie. Il quittait l’université le ma- tin, venait méditer avec Khun Yay, puis retournait à l’université le soir. Cet étudiant fut le premier à s’adresser à son ensei- gnante en l’appelant Khun Yay. Une habitude que les autres disciples adoptèrent progressivement. Pour leur première rencontre, Khun Yay ne perdit pas son temps en paroles inutiles ; elle fit asseoir son élève et commença à lui enseigner la technique de méditation. Elle ne lui donna qu’un conseil : « prenez fréquem- ment le temps de méditer ». Il prit effectivement la méditation très au sérieux et suivit rigoureusement le conseil donné par Khun Yay. Il ne fut qu’à moitié étonné de sa propre assiduité : il n’y avait dans son esprit aucun doute sur ce qu’il recherchait, sur ce qu’il 99 www.kalyanamitra.org

avait jusqu’ici recherché en vain auprès d’autres éco- les. Khun Yay n’avait pas besoin de justifier les de- mandes qu’elle lui adressait ; il se sentait tout sim- plement heureux d’y répondre. Nous étions à la veille du Nouvel An. De nombreuses fêtes étaient organisées sur le campus de l’université Kasetsart. Comme il n’avait rien à cacher à Khun Yay, il vint lui demander la permission de participer à ces fêtes. Khun Yay ne lui interdit rien ; elle se contenta de dire : « vous allez à ces fêtes chaque an- née, il n’y a aucune raison pour que je vous empêche d’y participer aussi cette année. Mais, s’il vous plait, n’y allez pas avant minuit… » Le jeune étudiant parla du Dhamma avec Khun Yay jusqu’à huit heures du soir puis rejoignit le campus. Il finit d’y dîner vers les dix heures. Il savait parfaitement que s’il attendait minuit, la plupart des fêtes auraient pris fin, mais il voulait tenir parole. Il laissa ainsi passer toutes les réjouissances. Il fit un grand nombre de fois le tour de l’enclos où l’université gardait son bétail, regardant sans cesse le cadran de sa montre jusqu’à ce que les aiguilles atteignent enfin le chiffre douze. Il bondit alors comme un diable hors de sa boîte et courut jus- qu’au lieu des festivités… juste à temps pour voir tous ses condisciples se souhaiter une bonne nuit et en- fourcher leur vélo pour s’en retourner chez eux. Ce n’était là que l’un des multiples exemples de la façon dont Khun Yay le testait pour juger du degré de sérieux de son engagement à étudier le Dhamma. Au- cun de ces petits obstacles ne l’empêcha de persévérer dans sa pratique. Cette persévérance n’était sans doute pas étrangère aux propos que Khun Yay lui avaient tenus lors de leur premier entretien sérieux. Khun 100 www.kalyanamitra.org

Yay, en effet, lui avait alors révélé : « vous êtes celui dont Luang Pou, durant la seconde guerre mondiale, m’avait annoncé la naissance. » Lorsqu’il se rendait au Wat Paknam durant le week- end, il pratiquait la méditation matin, midi et soir. Si des disciples rendaient visite à Khun Yay, il se retirait dans le cloître du temple et ne revenait méditer dans le kuti que lorsque ceux-ci s’en étaient retournés. Il avait l’habitude de s’asseoir le dos contre le pilier central. La plupart des disciples de Khun Yay lui avaient été légués par Khun Yay Thongsuk ; mais, si ce jeune étudiant n’était pas tout à fait le premier élève de Khun Yay, il dépassa très vite par son sérieux la plu- part de ceux qui l’avaient précédé. Khun Yay réserva énormément de temps à ce disciple si fervent. Non seulement elle lui enseigna la techni- que de méditation jusqu’à ce qu’il soit capable d’atteindre Dhammakāya par lui-même, mais elle accepta également de répondra à toutes les questions qu’il se posait, même si certaines d’entre elles lui pa- raissaient sans grande importance. Dans les premiers temps de sa rencontre avec Khun Yay, celle-ci avait conservé l’habitude de mâcher du bétel70. Son disciple ne cessait de lui demander pour- quoi elle avait décidé de mâcher du bétel, quel bien- fait cela lui procurait, si cela avait bon goût. Elle lui répondait que certaines noix avaient bon goût, d’autres non, et qu’elle recrachait le bétel s’il n’était pas bon. Mais bientôt, lassée par ces questions inces- 70 Une habitude alors très répandue dans les campagnes siamoises. 101 www.kalyanamitra.org

santes… elle finit par abandonner cette habitude qu’elle avait pourtant depuis si longtemps. Quand son disciple commença à être capable d’atteindre de lui-même Dhammakāya, Khun Yay continua à l’assister, à l’encourager ; une présence attentive et constante que même ses parents ne lui avaient jamais prodiguée. La recette du succès était simple : il devait sans cesse progresser jusqu’à ce que la rectitude de sa pratique soit certaine. Il devait de ce fait méditer chaque jour, sans exception. Même si la fatigue le rattrapait parfois et qu’il s’endormait en méditant, il devait conserver ce rythme de pratique. Il devait s’assurer qu’il suivait rigoureusement la tech- nique que lui enseignait Khun Yay. En général, Khun Yay était très active et d’une santé de fer. Même si elle était très maigre, elle rayonnait de joie. En une occasion, pourtant, elle tomba malade et fut autorisée à séjourner pour sa convalescence dans une maison de l’avenue Sukhumvit71, située à l’époque en plein milieu des champs. Son étudiant décida de lui rendre visite avec assiduité, moins pour être présent à son chevet que pour satisfaire sa soif inextinguible de questions sur le Dhamma. Lorsqu’il arrivait auprès d’elle avoir parcouru à pied les kilomè- tres de l’avenue Sukhumvit, il était en nage. Entré dans la maison, s’il voyait Khun Yay étendue, affai- blie, sur son lit, il ne lui demandait pas comment elle allait, mais lui demandait ses instructions pour pro- gresser encore dans sa méditation. Et Khun Yay, mê- me si elle était trop faible pour pouvoir ne serait-ce 71 Aujourd’hui l’une des principales artères de Bangkok, que nul ne choisirait plus pour une convalescence ! 102 www.kalyanamitra.org