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Non-conformists Russian Painters

Published by pressanalyst, 2017-11-23 12:30:03

Description: Non-conformists Russian Painters book edited for the exhibition in the new Russian cultural center in Paris, quai Branly.

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On trouve rarement dans les collections russes d’autres cultures, à la fois pour ceux qui lui sontles œuvres des artistes qui émigrèrent de proches et qu’il connait bien et pour ceux quil’URSS dans les années 1970. se situent géographiquement et mentalementElles sont en revanche bien présentes dans la bien loin de la France.collection Scherrer. Les œuvres d’Ernest Neiz-vestny, Mikhaïl Chemiakin, Boris Zaborov et Plongés aujourd’hui dans l’âge de la globalisa-Edouard Zelenin étaient en quelque sorte plus tion, il nous est difficile d’imaginer qu’il y afacilement accessibles aux collectionneurs de vingt ou trente ans, les non-conformistes sovié-Paris qu’à ceux de Moscou. Il faut saluer les ta- tiques ne travaillaient que pour eux-mêmes etbleaux puissants et ô combien expressifs du pour un petit groupe d’amateurs enthousiastes.grand sculpteur Ernst Neizvestny : “Silence” Il semblait qu’il n’y avait aucune chance que(1976) et “Composition” (1979). leurs œuvres soient vues par un public plusHéros de la seconde guerre mondiale, cet ar- large. Ces artistes ont été soumis à l’oppressiontiste eut le courage de faire face à l’apostrophe et aux persécutions de l’Etat soviétique. Lesgrossière de Nikita Khrouchtchev lors de musées ne s’intéressaient aucunement à leursl’odieuse exposition Manège de 1962, qui mar- travaux, les critiques les ignoraient et, s’il leurqua la fin du “dégel”. Bien plus tard, par une arrivait d’écrire à leur sujet, c’était en dessorte d’ironie du destin, c’est Neizvestny qui fut termes proprement scandaleux. De très nom-chargé de réaliser la tombe de Khrouchtchev breuses œuvres furent détruites ou disparurentau cimetière de Novodevichy ; une œuvre sans laisser de trace. Grâce à quelques raresqui révèle les contradictions et les drames per- collectionneurs, aussi passionnés que mon altersonnels de l’ex-Secrétaire Général du Parti ego français Victor Scherrer, d’autres œuvrescommuniste de l’Union Soviétique. furent sauvées, sans lesquelles il serait impos-Pour moi, les portraits constituent la trame cen- sible d’imaginer l’histoire de l’art russe du XXetrale de la collection de Victor Scherrer. Nom- siècle. Ces œuvres vont à présent connaîtrebreux, ils témoignent de l’intérêt du une nouvelle vie.collectionneur pour les gens d’autres pays etV. Scherrer et Alexandre Kronikdans sa maison-musée à Moscou 51

CHAPITRE VIENTRETIENS ET PERSPECTIVESOSCAR RABINESe retrouver avec le photographe Vladimir Sichov et Lada Skatchkovadans l’appartement qu’occupe Oscar Rabine, rue Quincampoix, à unjet de pierre de Beaubourg : un vrai plaisir ! Sous les fenêtres de l’atelierd’artiste, l’animation de la place Michelet : “Je me sens bien ici. Cetatelier est ma maison ; dehors, c’est le théâtre permanent et je suisobligé d’y participer”. Oscar RABINE et Victor SCHERRER dans l’atelier du peintre à Paris (Photographie : Vladimir Sichov)A sa manière, Rabine est un “seigneur”. de notre travail d’artiste”; courage etNon pas de ceux dont se dégage de constance dans “le chemin que je m’étaisprime abord une autorité de leader, plu- tracé : vivre pour peindre et peindre pourtôt un modèle de constance dans les vivre… ET EXPOSER – notre obsession,convictions et le système de valeurs, pétri notre besoin, notre but dans la vie”.de courage et de refus du compromis sur J’aborde d’abord les origines, la “tribu Kro-l’essentiel. Le tout accommodé d’une pivnitsky” et Lianozovo ; et aussi la ques-étonnante simplicité. tion de l’étiquette “non-conformiste” ouPas de compromis lorsqu’est en jeu “la “non officiel” ou encore “deuxième avant-liberté de peindre, d’exposer et de vivre garde” pour caractériser ce mouvement. 52

Victor Scherrer Peintres russes non-conformistes, cielles bannissaient. Chacun suivait son proprenon officiels ou de la deuxième avant-garde ? Vous chemin : Nemoukhine et Masterkova étaientavez été l’initiateur d’un mouvement qui com- des artistes abstraits, moi, principalement, jemence à la fin des années cinquante et se termine suis un artiste concret, avec les sujets de la vieavec la chute du mur de Berlin. sociale. Kropivnitsky était un passionné, il ex-Quel adjectif employer pour caractériser ces périmentait toutes les manières de peindre :peintres : non-conformistes ? non officiels ? ou l’abstraction, faisait des eaux-fortes, travaillaitencore deuxième avant-garde ? comme illustrateur. Il changeait constamment. Plavinsky a été très impressionné par Dubuffet,O.R. Il y avait plusieurs cercles : Lianozovo au- Vetchtomov voyait le monde comme un cos-quel j’appartenais, le cercle de Kabakov, mou- mos. C’étaient des individualités réunies parvement conceptualiste qui reflétait ce qui se une seule chose : l’absence de liberté.passait à l’Occident... Rien de pareil à Liano- A Lianozovo, on pouvait s’exprimer, les genszovo. Dans ce mouvement il y avait aussi des venaient chez nous comme dans un musée.poètes, et ce qui les unissait et donnait cette Après la chute du Mur, ce besoin n’existaitimpression que c’était un mouvement (pas une plus.école), c’est l’impossibilité d’exposer et demontrer ses œuvres. A Lianozovo, pendant un O.R. Le terme officiel ou non officiel n’est pascertain temps, on pouvait réciter de la poésie très clair ici en France ou même aujourd’hui enet montrer les tableaux que les autorités offi- Russie. A notre époque c’était très clair. Si tu 53

Oscar RABINE, Victor SCHERRERet Vladimir SICHOV( Photographie de Lada Skatchkova )étais membre de l’Union des peintres, tu étais O.R. L’artiste devait travailler à tout prix, ba-un artiste officiel, sinon, non officiel. Si tu n’étais layer les rues, par exemple.pas membre d’une des deux associations : On pouvait être non-conformiste dans une par-l’Union des peintres ou l’Union professionnelle tie de son œuvre, la peinture par exemple, maisde Moscou, tu n’étais pas un peintre ! reconnu comme officiel pour une autre partie : l’illustration de livres, dans le même exemple.Vladimir Sichov intervient : En revanche, Zverev est un cas particulier. Re-Dans l’Union soviétique vous étiez obligé de connu comme psychiquement malade, il n’étaittravailler ; si vous ne travailliez pas, vous alliez pas obligé de travailler. Il était officiellementen prison. Travailler ça ne veut pas dire aller à fou ; Yakovlev, Sitnikov, avaient le même sta-l’usine de 9h à 18h. Pour les artistes, il y avait tut. Sitnikov avait comme tuteur Volodial’Union des peintres, organisation non seule- Moroz. Donc il n’avait aucun droit de signer unment officielle, mais idéologique ; à côté, il y document. Moroz était un bon peintre profes-avait une organisation officielle non idéolo- sionnel, qui n’exposait et ne montrait pas sesgique, l’Union professionnelle des artistes gra- œuvres.phiques (Gorkom – Comité des artistes de la Quand l’Union Soviétique est devenue la Rus-ville de Moscou), qui réunissait tous les artistes sie, c’était fini.et non artistes qui travaillaient dans les maisonsd’édition. Moi, par exemple, en tant que pho- Vladimir Sichov La seule chose qui les réu-tographe, j’ai été membre de ce syndicat. Si nissait, en effet, c’était la pression du système !vous êtes membre du syndicat, vous n’êtes paspoursuivi pour parasitisme ; si vous êtes mem- V.S. Quand est-ce que Lianozovo commencebre de l’Union, vous faites carrément partie de comme groupe ?l’élite. O.R. Il n’y a jamais eu de groupe, il y avait desL’exposition Bulldozers a permis aux artistes peintres, il y a avait d’abord la famille, ensuited’obtenir leur affiliation à Gorkom. Ainsi, vous il y a eu des poètes qui étudiaient chez Kro-pouviez d’une certaine façon, être non-confor- pivnitsky, et qui étaient mes amis en mêmemiste et n’avoir aucun problème avec la police. temps, Guenrikh Sapguir, Seva Nekrasov, Kho-Kabakov était non-conformiste dans son line.œuvre, mais tout à fait officiel, car il gagnait sa Avec le Congrès mondial de la jeunesse envie en illustrant des livres. Boulatov continuait 1957 à Moscou, et l’arrivée de dizaines de mil-à illustrer des livres d’enfants comme une liers de jeunes venus de tous les pays, lespartie intégrante de son œuvre. Russes ont découvert l’évolution de l’art mo- derne en Occident, qui a joué le rôle de cataly-V.S. Donc, quand vous êtes reconnu “non of- seur… Le VIe congrès de la jeunesse en 57, laficiel”, vous n’existez plus, vous êtes un parasite ? période de liberté commence. 54

V.S. Le mouvement non-conformiste a donc tie de sa collection. Des amis diplomates l’ontexisté pendant une trentaine d’années ? aidé à sortir le reste. J’ai eu des relations tendues avec les autoritésO.R. Une forme de “liberté” a commencé en jusqu’au moment où ils ont décidé que je de-74. Deux semaines après l’exposition des bull- vais partir moi aussi. Gleser faisait partie desdozers, il y a eu l’exposition à Izmailovo. Les leaders. Il était le premier à faire des exposi-autorités ont accepté la majorité des artistes tions ouvertes aux étrangers.dans l’Union professionnelle, donc, on les a enquelque sorte “officialisés”. V.S. Avez-vous connu Costakis ?Moi-même, j’en avais déjà été membre avant,car j’avais illustré plusieurs livres. Par contre, O.R. Il aimait recevoir les artistes ; sa maisonaprès ces expositions on m’a exclu. Certains ar- n’était pas aussi ouverte que celle de Sachatistes n’étaient pas d’accord avec la politique de Gleser, mais il recevait beaucoup chez lui.Gorkom. Il y avait la censure, il n’y avait pas de C’était aussi un musée, où il collectionnait prin-vraie liberté. cipalement les années 20 et quelques artistes plus récents qu’il aimait beaucoup, comme, parV.S. Les valeurs religieuses avaient-elles une in- exemple, Zverev ou Krasnopevtsev. Il venaitfluence sur votre art ? chez nous à Lianozovo. Il est le premier à m’avoir acheté un tableau et le premier aussiO.R. Ces valeurs n’étaient pas importantes à acheter un tableau à Tselkov.pour les peintres de mon cercle, à part moi, àpart Plavinsky qui a traité ces sujets. V.S. Que pensez-vous du “néoclassicisme russe”J’ai utilisé les sujets religieux (j’ai même une actuel ?icône que vous pouvez voir derrière vous),mais je les utilisais comme j’utilisais tous les ob- O.R. Quand vous marchez dans la forêt et quejets du quotidien, une bouteille de vodka, un vous êtes perdu, vous devez faire demi-tour.hareng… Les problèmes de l’orthodoxie en C’est la même chose avec l’art.Russie m’intéressaient quand je vivais en Rus-sie. Car à cette époque la religion était persé- V.S. Et le SOTS ART ?cutée tout comme nous, les artistes. Je suiscroyant comme la majorité des gens, je crois en O.R. Ce terme concerne uniquement la situa-quelque chose, je ne suis ni orthodoxe, ni juif, tion soviétique : on ne peut pas exploiter indé-ni musulman. finiment ce contexte politique. Il n’y a pas de futur dans ce qu’ils ont fait, dans la mesure oùV.S. Quel est le rôle d’Alexandre Gleser ? l’URSS n’existe plus. Cela dit, le SOTS ART se justifiait tout à fait comme réaction par rapportO.R. Organisateur d’expositions clandestines à à l’art officiel.Moscou il n’habitait pas loin de chez moi. Dansson appartement il a organisé un vrai musée V.S. Pourquoi avez-vous choisi Paris ?aux portes ouvertes. Les Russes et les étrangerspouvaient venir le visiter ; les autorités n’ap- O.R. Je pense que c’est le destin. J’aurais pu mepréciaient pas forcément mais n’interdisaient retrouver n’importe où. Simplement j’avais despas ouvertement non plus. Les temps ont amis à Paris, des Russes et des Français. Je mechangé. Ça s’est terminé quand même par un sens bien ici. Je voyage rarement. Quand je suisultimatum à Gleser. On lui a ordonné de quitter à New York ou à Moscou, je me sens étranger.le pays, tout en l’autorisant à emporter une par- J’aime vivre à Paris. 55

V.S. Qu’aimeriez-vous que l’on dise de vous plus j’ai toujours eu un petit cercle qui aimait ce quetard dans l’histoire de l’art ? je faisais et cela continue. Grâce à cela, je peux rester matériellement indépendant. Je ne travailleO.R. Je pense que tout artiste aimerait qu’on jamais avec des galeries ou des “art dealers”.parle de lui. C’est venu tout seul, on a com- Peu importe ce que je veux ce que l’onmencé à écrire et à parler de moi. Et ensuite, pense de moi. Personne ne tiendra compteça ne dépend pas de moi, je ne peux pas impo- de mon opinion, il y aura toujours des lé-ser aux gens ce que je veux qu’on dise de moi. gendes. Je fais rarement attention à ce qu’onChaque artiste voit son œuvre un peu différem- écrit sur moi. La légende est un mythe,ment par rapport aux spectateurs. Et même quelque chose d’irréel comme vous pouvezchaque spectateur la voit différemment. Je suis le constater dans mes œuvres, y comprisheureux que durant plus de la moitié de ma vie, celles qui sont dans votre collection.Illustration d’Oscar RABINE pour l’affiche de la Biennale de l’Art Russe non officiel 56

CHER OSCAR RABINE PARLEZ-NOUS DE VOS COLLECTIONNEURS…Il m’est toujours agréable de voir une col- Dodge. Les dernières années ont vu se for-lection comme la vôtre, Victor Scherrer, mer d'importantes collections, réunies parqui reflète l'époque et en même temps les les “nouveaux Russes” grâce aux achatsgoûts et les sensibilités de son propriétaire. dans les ventes aux enchères. Nos œuvres vivent, changent de propriétaires, il y en aTout a commencé en Union soviétique. Nos beaucoup qui reviennent en Russie.œuvres étaient plus accessibles aux collec- Toutes les époques ont connu des amateurstionneurs étrangers qu'à nos admirateurs qui aimaient et appréciaient l'art, avaientrusses, qui n'étaient pas très fortunés. du goût et l’envie de comprendre. Les gé-Même si on vendait nos tableaux pas très nérations changent, les queues pour les ex-cher, en Union soviétique tout le monde positions s'allongent. L'élitisme de l'art àavait du mal à joindre les deux bouts, et l'époque de Léonard de Vinci résidait dansl'achat d'une œuvre d'art n'était pas une af- le fait que la possession était réservée auxfaire très simple. Il y avait aussi des riches, seuls grands de ce monde ; mais pas néces-fonctionnaires ou pas, mais ils nous évi- sairement la compréhension ni la sensibi-taient. “Vous êtes les peintres pour les pauvres” telle lité. L'idée toute faite que le grand publicétait la qualification qu'ils nous donnaient. ne comprend rien n'a pas tout à fait lieuJe ne sais, si cela existe, les peintres pour d'être. Les historiens d'art n'existaient pasles pauvres… Les collectionneurs étrangers il y a encore quelques centaines d'années ;achetaient parce qu'ils en avaient les mais le grand public acceptait et compre-moyens, mais aussi parce que les œuvres nait que l'art est magnifique, en entrantleur plaisaient. Chez eux, ils n'auraient pu dans les cathédrales et en éprouvantacquérir des œuvres de la même qualité à l'émerveillement à la vue des fresques etdes prix comparables. Mais ici, grâce à des des sculptures.conditions particulières, les œuvres étaient Le XXe siècle est parti dans l'expérimenta-accessibles. tion ; pour cela il a renoncé au passé, ceLes collectionneurs russes étaient généra- qui a été fait avec succès. Avec la victoirelement nos amis, à qui le plus souvent on de la démocratie, paradoxalement, l'artfaisait cadeau de nos tableaux. C'était aussi s'est retranché dans l' “actuel”. On ne va pasune façon de les remercier pour certains parler de Duchamp et de Malevitch, lesservices rendus. On avait une autre raison grands symboles du radical et de l'expéri-pour le faire : cela nous permettait de voir mental. L'être humain continue à avoir be-chez le même collectionneur, dans la soin de communiquer avec les œuvres, pasmême maison, les œuvres de différents ar- seulement de les voir une fois. Il a besointistes, car les visites des ateliers n'étaient de les inclure dans son monde esthétique,pas chose facile ! En parlant des collection- sans lequel il est difficile de vivre, commeneurs russes, je pense à Alexandre Gleser, il est difficile de vivre sans la musique deà feu Talotchkine, Noutovitch, qui habite Bach, sans les œuvres de Goya, sans les ta-toujours à Moscou, et encore à un formida- bleaux des impressionnistes...ble collectionneur Alec Roussanov, dont la Nos œuvres sont celles avec lesquelles lescollection a été dispersée, suite à des gens vivent, parfois plusieurs décennies,contraintes familiales. Nos tableaux se sont comme on en voit l'exemple avec votreretrouvés dans des collections dans le collection. Si nos œuvres intéressent en-monde entier, pas forcément dans les plus core aujourd'hui, c’est qu’elles sont plusimportantes comme celle de Norton que les témoignages critiques de l'époque. 57

Oscar RABINE Arrêt du tramway hôpital A13, 1967 Fusain sur papier Oscar RABINEÉchoppe à essence, 1958 Crayon sur papier Oscar RABINE Village aux marguerittes, 1979 Crayon et aquarelle sur papier 58

Du moins, j'aimerais bien y croire. Mes des- Le point d'interrogation est resté, il n'y asins sont ironiques, comme “Echoppe à es- pas eu de tableau ; il reste le dessin, mêmesence”, dessin, qui sera transformé plus si ce thème me revient régulièrement ettard en tableau. Le sujet est clair. Au mo- demande de trouver une façon pour l'ex-ment où je l'ai fait, les premiers spoutniks primer. Il est étonnament difficile de dé-ont été lancés et j'ai essayé d'exprimer mes crire les tableaux, on peut les regarder, lessentiments ironiques par rapport à cet événe- ressentir, mais pour en parler, il faudrait unment soit-disant héroïque. Plus tard j'ai fait talent particulier. Certains tableaux sontune litho avec le même sujet. Parfois, mes des expérimentations pour moi (Prisunicdessins ne trouvaient pas leur aboutisse- avec la bouteille et la danseuse), je ne lesment dans les tableaux. La façon de traiter prends pas au sérieux.le sujet pouvait ne pas me satisfaire. Ainsi J'exprime mes sentiments et mes perceptionsle cancer est resté toujours au stade du des- avec les couleurs, comme dans ce tableausin. J'ai essayé de traiter le sujet de cette “Village aux marguerites, peint durant notremaladie très répandue, cela ne m'a pas premier été en France avec Valentina. Nousconvaincu. J'ai dessiné le cancer, l'hôpital, sommes allés à la montagne et après cele tramway qui a un point d'interrogation à voyage reste un petit village de montagnela place du numéro : où il va et à quoi bon. avec une église et un bouquet de fleurs.NOTE SOMMAIRE SUR LES COLLECTIONNEURS DEPEINTURE RUSSE NON-CONFORMISTESi les peintres russes non-confor- en-dehors de l’Union soviétique peintres non-conformistes émigrésmistes connaissent une notoriété à puis de la Russie, citons la collec- en France. (Colleccio Guéron - Artce point croissante, c’est aussi à tion Kolodzei, créée à Moscou à la Inconformista Rus – a la Nau Gaudileurs collectionneurs qu’on le doit. fin des années 1960, en pleine de Mataró). Citons encore RenéCeux-ci mériteraient qu’on leur guerre froide, par Tatiana Kolodzei. Guerra, autre sauveteur des œuvresconsacre un ouvrage, retraçant La Fondation Kolodzei est actuel- des artistes mis à l’index par le ré-leurs aventures, depuis celle du pre- lement gérée par Natalia Kolodzei, gime soviétique.mier d’entre eux, Norton Dodge fille de Tatiana. En Belgique, Benoît Cardon de(1927-2011), considéré comme le En France, la collection Jean- Lichtbuer incarne avec talent le“Lorenzo de Medicis de l’art russe”. Jacques Guéron est d’une richesse collectionneur d’art russe non-Dès ses premiers voyages en URSS exceptionnelle, comme le prouve le conformiste.en 1955, où il préparait un PhD catalogue de l’exposition tenue au En Russie, certains collectionneurspour l’Université d’Harvard sur le musée d’art contemporain de Ma- ont mis “les bouchées doubles”thème de la productivité dans l’in- taró en 2015. Jean-Jacques Guéron pour combler ce vide dans l’histoiredustrie des tracteurs soviétiques, a commencé cette collection à la artistique de leur pays. Au premierDodge se mit à collectionner les suite de sa rencontre avec Mikhaïl rang, les collections d’Alexandreoeuvres des artistes dissidents. On Chemiakine au début de 1972. Ce Kronik et d’Igor Markin que nouslui attribue le sauvetage et l’expa- “coup de foudre” allait donner nais- avons décrites ici. Citons, parmitriation de près de 10 000 œuvres sance à une collection qui, outre de d’autres, Vladimir Potanine, qui àd’artistes non-conformistes. La col- nombreux et exceptionnels Che- l’automne 2016 fit don d’une partielection Norton & Nancy Dodge miakine, Yankilevski, Zelenine, Zve- de sa collection d’art au Centrecomprend plus de 20 000 œuvres rev, Zaborov, Tselkov, Steinberg, Pompidou à Paris, ou encore Mi-qui firent l’objet d’un don à l’Univer- Rabine, Nemoukhine, Boulatov… khail Kiyko et son épouse, dont lasité Rutgers. Cette collection fait comprend aussi des sculptures collection comprend de nombreuxl’objet d’une exposition permanente d’Alexander Ney. Soulignons que non-conformistes réunis dans leau musée d’art de l’Université Jane Jean-Jacques Guéron a constitué sa catalogue “Beautiful Impulses ofVoorhees Zimmerli. collection à partir d’œuvres ac- the Soul” (IgmArtGallery, Inc.Parmi les grands collectionneurs, quises majoritairement auprès de 2015). 59

… ET LA “TRIBU KROPIVNITSKY” Valentina KROPIVNITSKAYA Le rêve. 1977 Crayon sur papierVictor Scherrer Passons aux autres membres tout l’enchantement et la diversité de la naturede la “tribu Kropivnitsky” : votre femme Valentina, et de créer un monde rempli de vie réelle, telle quevotre beau-père Evgueny et votre beau-frère Lev. je la ressens”.VALENTINA KROPIVNITSKAYA EVGUENY KROPIVNITSKY(MOSCOU 1924 – PARIS 2008) (MOSCOU 1893- MOSCOU 1979)Pour Oscar Rabine, les dessins de Valentina O.R. “Ce que je dois à Evgueny Leonido-recréent un monde fantastique, et en vitch Kropivnitsky est incalculable. Pour lamême temps très vivant. Elle a insufflé un première fois de ma vie, je rencontrais unpeu de son âme dans ses petits animaux, homme merveilleusement cultivé, qui ai-leur a transmis ses rêves, sa vision d'une vie mait et connaissait la peinture. Et cetpaisible et sans agressivité. homme me trouvait du talent !Dans cette vie, telle qu'elle la voyait dans Mon seul vrai maître, non seulement ilson imagination, il n'y a avait pas de place m’encouragea à peindre, mais il m’ouvritpour de sérieux conflits. Même s'il s’y des horizons inconnus en art, en littérature,trouve quelques personnages menaçants, en musique. Plus tard, malgré son oppositionils sont si magiques, qu'ils ne contredisent – il estimait qu’un peintre ne doit jamais seaucunement ce sentiment de rêverie ly- marier – j’épousai sa fille Valentina”.rique et de bonté.Comme son mari, Valentina est attachée à LEV KROPIVNITSKYla France : “L’air même de la France est doux, léger,bleu clair et enveloppe la magnifique architecture des (TIOUMÉNI 1922-1994 )vieilles villes et de Paris elle-même. La nature, ma- O.R. Lev Kropivnitsky est le frère degnifique et variée de ce pays m’a donné beaucoup de Valentina. Sur votre tableau il représentenouvelles impressions et élargi ma vision du monde. sa femme Galina. Il y a eu beaucoup deEn France, mes œuvres sont devenues plus lyriques et variantes de ce tableau, et des centaines deelles n’ont presque plus de sujet. J’essaye d’exprimer dessins. 60

Valentina KROPIVNITSKAYA Le songe, 1971 Crayon sur papierEvgueny KROPIVNITSKYPortrait de jeune fille, 1965Feutre sur papierEvgueny KROPIVNITSKY Femme assise, 1971Feutre et gouache sur papier Lev KROPIVNITSKI Portrait de Galina, 1977 Technique mixte sur papier 61

ENTRETIENS ET PERSPECTIVESVLADIMIR NEMOUKHINE REGARDS SUR SES ŒUVRES DANS LA COLLECTION SCHERRERInterviewé par Lada Skatchkova,Vladimir Nemoukhine a bien vouludonner ses commentaires sur ses œuvres dans la collection Scherrer,et plus généralement, sur sa conception de la peinture et desnon-conformistes.“Tous les peintres sont différents et ce qui nous unit, c’est l’art. Parmi les œuvresde cette collection, la plus importante pour moi est le Joker. C’est lui qui reflètele mieux mon image d’artiste.Toutes les œuvres sont importantes ; les unes plusabouties, d’autres sont juste le chemin vers des idées diverses, qui ne trouventpas forcément leur aboutissement dans un tableau, mais restent au stade decroquis, d’esquisses.”Mes premiers tableaux avec les cartes sont ap- Au début de mon chemin d’artiste, j’ai beau-parus en 1964 ; avant les cartes n’existaient pas. coup peint d’après la nature. De 1958 à 1964 j’aiLe Joker appartient à la période où j’ai peint es- eu ma période abstraite, ensuite j’ai commencésentiellement les valets de carreau et les jokers. à peindre les cartes, n’étant absolument ni unJe ne pouvais pas me permettre de défigurer le joueur de cartes ni un joueur tout court.visage humain ; dès lors, la représentation sym-bolique des cartes me donnait la possibilité de Mes premiers tableaux de cette période étaientreprésenter l’homme dans un système condi- exécutés comme des natures mortes géomé-tionnel, celui des jeux de cartes. Dans ce sys- triques : c’était deux 6 de carreau, ou 6 et 7 detème, je pouvais me permettre d’utiliser carreau, 7 et 8 de carreau ou 9 de carreau.différents procédés formalistes. Les œuvres decette période, qui ne sont jamais des portraits, Plus tard, les sujets ont commencé à se déve-sont la transformation de ma perception forma- lopper dans d’autres systèmes de jeu de cartes.liste des cartes, construite sous forme d’un por- Les cartes proprement dit, c’est un sujet banal,trait conditionnel ou de joker. trivial, et je dirais presque un terrain glissant. En tant que peintre, j’avais envie de l’observer Vladimir NEMOUKHINE Valet de carreau, 1988 Gouache sur papier 62

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Vladimir NEMOUKHINE Breakfast on the train, 1974 Gouache sur papierVladimir NEMOUKHINE Cartes, 1989 Huile sur toile 64

dans l’art. C’est un travail sérieux, et pas du tout chose, on pensait à l’art, à ses problèmes, à sesl’engouement pour le jeu ou pour ses effets. possibilités ; chacun de nous résolvait ses pro-Les cartes sont un objet qui me procure la pos- pres problèmes dans l’art. Rabine c’est Rabine,sibilité de m’adonner à la peinture, bien que ce il a son style, son propre objectif artistique, Ne-soit un objet mécanique dont je ne suis pas l’in- moukhine a le sien.venteur. Tselkov ne ressemble pas à Rabine, Rabine neOn peut peindre des pommes, des bouteilles, ressemble pas à Tselkov, Kabakov ne res-on peut peindre ce qu’on veut. Pour moi ce fut semble pas à Nemoukhine, Nemoukhine neainsi que j’ai commencé à peindre les cartes : ressemble pas à Boulatov et on les appelle touselles ne me distrayaient pas de la peinture. Les les “non-conformistes”. C’est impossible.cartes ont été inventées il y a bien longtemps. Ils sont tous les soixantards – un groupe deElles apparaissent dans l’art depuis le XIVe siè- peintres arrivé à une période précise après lecle ; donc, je ne suis pas du tout un novateur. dégel sur cette nouvelle avant-scène politiqueSimplement, je les ai regardées d’un point de du pays. C’est pour cela qu’aujourd’hui il estvue formel différent, ce qui me permettait de important de considérer chaque peintredévelopper mon propre regard sur la peinture. comme une personnalité à part. Qui sont Ra-C’est ainsi que je suis devenu individualiste, j’ai bine ou Nemoukhine ?créé mon monde, je suis devenu “champion Ce n’est pas le non-conformiste Rabine ou ledes cartes”, comme m’a appelé un critique hon- non-conformiste Nemoukhine, c’est le peintregrois. Rabine et le peintre Nemoukhine ; ce sont des personnalités qui demandent une approche àL’individualisme est le trait distinctif des pein- part. Steinberg vient de décéder et Claude Ber-tres des années 1960. On les appelle les soixan- nard dans une nécrologie écrit “le peintre so-tards. viétique Steinberg vient de décéder”.Le courant comme “non-conformisme” ou Le pouvoir soviétique nous réfutait, c’est un fait ;“l’art non officiel” n’existe pas ; mais existe le mais dire que nous sommes des peintres noncubisme, le futurisme, l’impressionnisme, l’abs- officiels ou non-conformistes aujourd’hui seraittractionnisme et tant d’autres… faux. Je me considère en tant que cubofuturiste, en prenant en considération les côtés informelsLe non-conformiste, c’est le peintre qui est en de mes façons de faire ; le non-conformismedésaccord avec les postulats du régime concer- ne signifie rien.nant l’art. Le régime soviétique nous attaquait, Qui sommes-nous ? Les exilés de l’état ? Pas duc’est un fait et un sujet à part. On nous refusait tout. “Chacun a son alibi”. C’est ce que j’ai écritles expositions, on nous ignorait en disant que sur ceux qui sont partis en Occident. Chacunnotre art n’était pas de l’art du tout, on nous ap- avait ses problèmes, politiques ou non. Il n’estpelait charlatans et incultes. pas étonnant que l’être humain recherche les meilleures conditions pour son existence. EnLe “non-conformisme” est un terme plutôt po- 1971, la situation était vraiment tendue, mais lalitique. Les peintres ne peuvent pas être des principale vague d’émigration a commencénon-conformistes : on ne combattait pas contre dans les années 90.le régime soviétique, le régime combattaitcontre nous. On pensait à tout à fait autre Le bonheur d’un peintre dans le monde de l’art 65

est dans l’art lui-même, et ne dépend pas de réussi, très peu. Nabokov, par exemple, n’a ja-l’endroit où il se trouve. La relation avec la Pa- mais eu une maison, en considérant que sa mai-trie est palpitante, responsable, importante son se trouve à Saint-Pétersbourg. Il est tempspour chaque être humain ; peu importe où il se de comprendre que notre relation avec nous-trouve. Chacun a son alibi, sa raison, pour la- mêmes, l’art, l’époque, est très complexe. Onquelle il s’est retrouvé en Occident. On ne peut ne peut pas l’interpréter d’une façon primitive.pas mettre tout le monde dans le même sac. In- Il existe des personnalités, des peintres qui nedéniablement, la Russie joue un rôle primor- ressemblent pas à d’autres, qui appartiennent àdial. Tous ceux qui sont partis la gardent avec des mouvements différents : abstractionnismeeux. Il est très difficile de quitter sa Patrie : ou l’abstraction lyrique, l’expressionnismec’est tout simplement impossible. Il est impos- abstrait ou le cubisme. Tous les peintres sontsible d’en avoir une deuxième, peu de gens ont différents et ce qui nous unit, c’est l’art.V. Nemoukhine et Oscar Rabine(Photographie : Vladimir Sichov) 66

L’ADIEU A SACHA GLESERLe samedi 4 juin 2016, je recevais de Tamara Gleser ce courriel :“Papa, alias Sacha, est mort ce matin à 82 ans. Une messe sera célébréele mercredi 8 juin à 11h à l’église Notre Dame de la Dormition àSainte Geneviève des Bois et sera suivie de l’inhumation au cimetière russe.” (Photographie : V.Scherrer)Ma réponse : “C’est avec beaucoup d’émotion non-conformistes en Occident, puis, plus tardi-et de tristesse que j’apprends le décès de votre vement, chez les Russes eux-mêmes. Elle sou-père, notre cher Sacha. C’est grâce à lui que j’ai ligne le rôle du “Musée de l’art russe en exil”,été initié à la peinture russe non-conformiste. ce fief d’émigrés russes devenu orphelinat puis,Grâce à lui, à son talent hors du commun, à son grâce à Gleser, musée. Elle retrace ensuite lescourage, en particulier durant les années nombreuses expositions organisées par Sachasombres de l’URSS, les peintres et les écri- Gleser, qui permirent d’accroître la visibilité etvains de l’époque ont connu cette notoriété la notoriété des peintres et de leurs œuvres.internationale, qui les a inscrits dans l’histoirede la Russie. Je prierai donc pour lui, ne dou- Le 8 juin 2016, l’église Notre-Dame de la Dor-tant pas que sa place au Paradis lui était depuis mition nous accueillait pour accompagnerlongtemps réservée”. Sacha Gleser, avec toute la splendeur de la liturgie orthodoxe. Membres de la famille etLe lendemain, Arts Hebdo Médias publiait sous familiers, peintres, collectionneurs, critiquesla plume de Charlotte Waligora un vibrant d’art, tous aussi émus entourant le cercueil dehommage à “Alexandre Gleser, héraut des non- celui qui, à chacun, avait apporté un peu deconformistes russes”. Auteure d’une thèse sur lui-même. Un peu de ce courage, de cette per-“La vie artistique russe en France au XXe siè- sévérance, de ce refus de toute complaisancecle. L’art de l’émigration”, Waligora met en évi- vis-à-vis des pouvoirs, de cette pointe dedence la contribution majeure de Gleser à la “folie”, de cet amour de l’art … En un mot, deconnaissance et la reconnaissance des peintres cette foi ! 67

Alexandre Gleser restera ainsi l’incarnation du courage et de la foi dansl’avenir de l’art russe non officiel, comme en témoigne cet article vi-sionnaire écrit en 1978 pour le Salon des Réprouvés (Galerie Hardy,Salon des Réprouvés, Peintres Russes non officiels. Exposition orga-nisée par Mikhaïl Chemiakine et Alexandre Gleser. Paris 1978).“Qu’est-ce qui, dans l’art russe non officiel, bravo disent-ils, on sait bien qu’il n’est passéduit le public occidental, qui est, ô com- facile de travailler dans ces conditions,bien plus sollicité que le public soviétique ? mais si vous voulez la vérité, eh bien, toutCe ne sont certainement pas les re- cela c’est du déjà-vu, c’est ce qu’on faisaitcherches formelles qui n’étonnent plus chez nous il y 30 ou 40 ans. Puis, viennentpersonne en Occident. Ce serait plutôt le les comparaisons : Rabine est comparé àcontraire : le public occidental est las de Chagall, Soutine ou Vlaminck, Svechni-ces recherches, gavé des “fruits de la kov à Seurat, Plavinsky à Dubuffet, Kali-froide intelligence” et est attiré par la spi- nine à Dali … Que se passe-t-il ? Je croisritualité, la profonde sincérité et, n’ayons que les critiques occidentaux ont une idéepas peur des mots, par la recherche d’un préconçue de l’art russe non officiel.idéal qu’il découvre dans l’art russe. Le Avant, il y avait Kandinsky, Malevitch,critique italien Franco Passoni, a dit, lors Lissitsky, Gabo, Popova … et maintenant,d’une intervention à la Biennale de Venise : on attend la suite : ce sera du post-“Cette exposition nous a apporté quelque constructivisme, du post-cinétisme, duchose de neuf, de frais ; l’avant-garde oc- post et encore du post… et on s’attendcidentale est aujourd’hui nihiliste. Cette obligatoirement à de nouvelles décou-exposition, elle, est humaniste”. Quant à vertes (le sculpteur Ernst Neizvestny dit,Peter Osnos, correspondant du Washing- non sans humour, qu’on n’attend rien deston Post, il écrivait ce qui suit après l’expo- artistes des autres pays, mais qu’un artistesition des non conformistes qui s’était russe doit “avoir du génie”).tenue en 75 à Moscou : “Les meilleuresœuvres sont d’une grande beauté, d’une Et soudain, les critiques découvrentsincérité émouvante et bouleversante, qui quelque chose de totalement différent : ilsreflète la véritable conception du monde sont surpris, étonnés, ils ont un choc ar-des russes contemporains.” Telle est peut- tistique. Eux qui ne comprennent rien àêtre l’explication du succès que les expo- notre vie, à la désespérante réalité quisitions d’art russe non officiel rencontrent nous entoure, ne prennent même pas laà Vienne, Berlin, Washington, Paris, Lon- peine de comprendre ce qu’ils voient etdres et Venise, du succès qu’elles rencon- cherchent immédiatement à employertrent auprès du public, tout au moins. des normes occidentales pour classer lesQuant à la majorité des critiques, ils re- œuvres des artistes russes, et cela lesmarquent tel ou tel peintre, mais portent conduit à d’étranges comparaisons :sur les autres un regard condescendant : Svechnikov, le tragique, est comparé68

à la sérénité de Seurat, et tel ou tel autre rant qui nous sauverait de la main glacéepeintre doit absolument ressembler à son du conceptualisme ou de l’hyper-réa-prédécesseur occidental ; finalement lisme ? Or, on nous propose quelqueils déclarent : c’est de “l’art provincial de chose qui est bien plus essentiellementtroisième ordre”. russe qu’il n’apparaît à première vue”.Tous les critiques occidentaux ne sont Oui, c’est bien ainsi, cet art est essentiel-pas aussi superficiels et dépourvus d’ob- lement russe, issu de la réalité soviétiquejectivité, loin de là, mais la majorité d’en- et de ses fantasmes surréalistes, écrasétre eux, hélas, ne veulent ou ne peuvent par la lourde presse d’un régime totali-comprendre l’œuvre des non-confor- taire qui se dit socialiste et qui anéantitmistes russes. Le critique anglais John tout artiste qui ose créer librement.Spurling reconnaît sincèrement : “… à la Il est donc vain de chercher des ressem-vue de tant d’artistes inconnus qui solli- blances entre des artistes qui ont bravé lacitent en même temps notre attention, il censure, et des maîtres célèbres de l’Oc-est compréhensible que notre réaction de cident. L’expressionnisme, le surréalisme,défense nous amène à les classer selon des le réalisme fantastique, le symbolisme, lecatégories occidentales bien connues”. conceptualisme et les autres courantsMais Spurling a mieux compris les non- russes ne proviennent pas de l’art oc-conformistes que la plupart de ses col- cidental. Ils sont entièrement issus delègues, car il ajoute dans le même article : la terre russe et sont inspirés par la vie“Qu’attendions-nous en réalité ? d’innom- soviétique.brables Bacon, Hockney, Pollock, Koo- Seule l’expérience ou la compréhensionning, Riley et Rauschenberg russes de cette vie permet de comprendre etsortant casqués tels Minerve, du crâne d’apprécier réellement l’art russe non of-fracassé de Brejnev, ou un nouveau cou- ficiel qui en est issu…”SACHA GLESER POÈTESacha restera aussi le poète qui, fin Dernier anniversaire en Russie.1975, dédiait ces vers à son ami Dmi- Dans tes yeux, hier, quelle peine enfouie ?tri Plavinsky, avant d’être forcé de Anniversaire d’absinthe en Russie,quitter l’URSS pour la France où il Anniversaire de tristesse en Russie,fonde en janvier 1976 le Musée d’Art Anniversaire d’adieu en Russie.Russe en Exil à Montgeron. Que faisais-tu, rue Preobrajenka,Pour Dmitri Plavinsky (1975) Emmitouflée de neige jusqu’aux sourcils, Que cries-tu contre la bourrasque, malheureuse ?Paris 1994, extrait de Ton Juif fait ses adieux à la Russie.“20 ans après l’Exposition bulldozer” Est-ce un mirage, ou bien entends-je vraiment Des bonnes femmes sangloter sous ma fenêtre… Hier pourtant j’étais jeune, jeune seulement. Dernier anniversaire en Russie. 69

CATALOGUEDE LA COLLSCHERRER 70

CHAPITRE VILECTLON 71

VAGRICH BAKHCHANYAN (1938-2009) Chaos, sd. Gouache sur papier 43 X 35,5 cm Visage féminin, sd. Crayon de couleur sur papier 35 X 25 cm 72

PIOTR BELENOK (1938-1991)Apocalypse, 1973Technique mixte sur papier65 X 80 cm 73

SERGUEÏ BORDATCHEV (1948-) Composition, 1973 Encre et aquarelle sur papier 48 X 36 cm 74

ERIK BOULATOV (1933-) Paris Moscou Question ? 1992 Encre et gouache sur papier 30 X 22 cm Paris Moscou Espoir ! 1992Encre et gouache sur papier 30 X 22 cm 75

76

MlKHAÏL CHEMIAKlNE (1943-) L’ours Stylo bille sur papier 14 X 21 cm77

Nature morte métaphysique lithographie 51 X 71 cmTransformation de Picasso, 19915 lithographies et 2 pages de texte92 X 65 cm 78

MlKHAÏL CHEMIAKlNE (1943-) Autoportrait, 1994 Mikhal CHEMIAKINE Technique mixte sur papier et Alexandre GLESER 35 X 28 cm (Photographie : Vladimir Sichov)Le ventre de Paris, 1977Litho EA 7974 X 52 cm

NATHALIA CHIBANOVA (1948-)Nathalia avec son ami à Izmaïlovo, septembre 1974 Méditation,(Photographie : Vladimir Sichov) Portrait de femme avec singe et chauve-souris, 1974 Encre sur papier 62 X 42 cm 80

VITALY DLUGY (1934-1990)Hommage à DE CHIRICO, 1976 Encre et aquarelle sur papier Knife and pallet, 1980 Acrylique sur toile (Photographie : Vladimir Sichov) 81

82

HENRY ELINSON (1935-2010)L’enlèvement d’Europe, Bestiaire,sd. Encre sur papier sd. Encre sur papier54 X 38 cm 62 X 48 cm Chapeau, 1974 sd. Encre sur papier 62 X 48 cm 83

NADEJDA ELSKAYA (1946-) Samovar argent et feuilles, 1975 Huile sur toile 99 X 80 cm (Photographie : Vladimir Sichov) 84

GARRY FAIF (1942-2002)Composition,sd. Collage et technique mixte24 X 32 cm 85

YURI GALETSKY (1944-) Les mouettes,1978 Gouache sur papier 65 X 50 cm 86

SERGUEÏ HOLLERBACH (1923-)Scènes de la vie américaine (1), Scènes de la vie américaine (2), 1985 1985 Lavis sur papier Lavis sur papier 27 X 19 cm 27 X 19 cm 87

VLADIMIR GRIGOROVITCH (1939-) Sur la rive, 1977 Aquarelle et crayon sur papier 75 X 100 cm 88

YOURI JARKIKH (1938-) (Photographie : Vladimir Sichov) Nika 1973 Huile sur toile 90 X 50 cm89

Le peintre et son modèle, sd. Pastel sur papier 65 X 50 cm90

Paysage au Poisson, VIATCHESLAV KALININE 1971 (1939-) Crayon sur papier. 40 X 26 cm (Photographie : Vladimir Sichov) 91

MARC KLIONSKY (1927-) Composition, 1974 Encre et gouache sur papier 89 X 56 cm 92

Exodus III, 1974 Encre et gouache sur papier 73 X 62 cm93

VICTOR KOULBAK (1946-) Œufs et couverture, 1973 Encre sur papier 26 X 38 cm 94

Portrait de jeune fille, EUGUENY KROPIVNITSKY 1965 (1893-1979) Feutre sur papier 34 X 28 cm Femme assise,1971 Feutre et gouache sur papier 38,5 X 28 cm (Photographie : Vladimir Sichov) 95

LEV KROPIVNITSKY (1922-1994) Portrait de Galina, 1977 Technique mixte sur papier 55 X 38 cm 96

Le rêve, 1977 VALENTINA KROPIVNITSKAYACrayon sur papier46 X 48 cm (1924-2008) Le songe, 1971 Crayon sur papier 32 X 50 cm (Photographie : Vladimir Sichov) 97

OLEG LIAGATCHEV Tête métaphysique, 1977 Technique mixte sur papier (1939-) 30 X 26 cm 98

VLADIMIR LIAGATCHEV (1945-)Composition, 1975Technique mixte sur papier63 X 45 cm 99

ALEXANDRE MAKHOV Couple, 1969 Encre sur papier (1944-) 30 X 20 cm Fantasmes, 1973 Encre sur papier 30 X 21 cm 100


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